HISTOIRE DES ROMAINS

 

TREIZIÈME PÉRIODE — RAFFERMISSEMENT DE L’EMPIRE PAR LES PRINCES ILLYRIENS (268-305).

CHAPITRE XCVII — CLAUDE ET AURÉLIEN (268-275).

 

 

I. — CLAUDE Il (208-870) ; LA PREMIÈRE INVASION REPOUSSÉE.

Les conjurés du camp de Milan ne ressemblaient pas aux prétoriens qui avaient mis jadis l’empire aux enchères. C’étaient de vaillants soldats, résolus à en finir avec la honte de Rome par le rétablissement de la discipline et en menant vigoureusement la guerre contre les Barbares. Ils choisirent celui d’entre eux qui paraissait le plus expérimenté et qui était le plus en vue, le Dalmate Claude[1]. Les flatteurs de Constance Chlore, son petit-neveu, donneront à Claude pour aïeul le Troyen Dardanus ; mais il avait fait lui-même sa noblesse. Dèce l’avait déclaré indispensable à la république ; Valérien le tenait en haute estime, et Gallien redoutait son jugement.

Sous Valérien, Claude avait eu le gouvernement de l’Illyricum et le commandement des troupes répandues des Alpes à l’Euxin, avec les appointements du préfet d’Égypte, les honneurs du proconsul d’Afrique et une suite aussi nombreuse que celle de l’empereur[2] : par où l’on voit que le faste des cours orientales avait gagné celle de Rome et transformait, même en ces temps malheureux, le comitatus sévère des anciens proconsuls en un cortège royal, ruineux pour les finances publiques. La mollesse de Gallien l’irritait : il en revint quelque chose au prince, qui se hâta d’écrire à un de ses officiers une humble lettre où se révèle la misérable condition de ces augustes qui ne savaient ni commander ni se faire obéir :

Rien ne m’a été pénible comme d’apprendre par votre rapport que Claude, notre parent et notre ami, est très irrité contre moi pour des bruits, la plupart faux, qui lui ont été répétés. Je vous prie, mon cher Venustus, si vous voulez me montrer de l’attachement, d’engager Gratus et Herennianus à l’apaiser. Mais que tout se passe à l’insu des soldats daces, de peur que, déjà mécontents, ils ne se portent à quelque fâcheuse extrémité. Je lui envoie des présents : faites qu’il les reçoive avec plaisir ; mais qu’il ne se doute pas que je connais ses dispositions à mon égard, car, s’il me croyait du ressentiment contre lui, il pourrait prendre un parti violente[3].

Gallien espérait payer ainsi sa rançon : j’estime que Claude n’en eut que plus de mépris pour lui. Quand les conjurés l’eurent proclamé empereur, les soldats marquèrent quelque mécontentement, afin de se vendre plus cher. Vingt pièces d’or distribuées à chacun d’eux levèrent tous les scrupules. Ils déclarèrent Gallien tyran ; le sénat agit de même avec un empressement plus réel. Il fit traîner aux gémonies les serviteurs de celai qui s’était inquiété de trouver chez les sénateurs un reste de patriotisme, et l’on conte que, dans la curie même, un des officiers du trésor eut les yeux arrachés[4], supplice lâche qui annonce l’approche du Bas-Empire. Claude arrêta ces exécutions, et les pères conscrits, repentants, mirent Gallien au nombre des divi, ce qui équivalait au maintien de ses actes.

Lorsqu’ils apprirent l’élection de Claude, ils la confirmèrent par ces acclamations répétées qui nous semblent si contraires à la gravité sénatoriale, mais qui n’étonnaient personne : Auguste Claude, que les dieux vous accordent à nos vœux ! (répété soixante fois) ; Claude auguste, c’est vous, ou un prince qui vous ressemblât, que nous avons toujours souhaité (quarante fois) ; Claude auguste, les vœux de la république vous appelaient au trône (quarante fois) ; Claude auguste, vous êtes le modèle des frères, des pères, des amis, des sénateurs et des princes (quatre-vingts fois) ; Claude auguste, délivrez-nous d’Aureolus (cinq fois) ; Claude auguste, délivrez-nous des Palmyréens (cinq fois) ; Claude auguste, délivrez-nous de Zénobie et de Victoria (sept fois) ; Claude auguste, que Tetricus ne soit rien (sept fois)[5].

Claude, en effet, se trouvait en face de trois adversaires. Mieux inspiré que le sénat, il en négligea deux, qui se trouvaient aux extrémités de l’empire, se délit rapidement du troisième, Aureolus, qu’un jugement des soldats condamna à mort, et s’occupa des préparatifs d’une grande guerre contre les Barbares. L’affaire de Tetricus, avait-il répondu aux sénateurs, ne regarde que moi, celle des Goths intéresse la république[6].

Depuis trente années ces Barbares ravageaient les frontières romaines ; le butin s’y faisant rare, l’idée leur vint de se transporter en corps de nation dans l’intérieur de l’empire, dont ils connaissaient le climat plus tempéré que celui des plaines scythiques, où des froids et des chaleurs extrêmes rendent la vie si dure. Des messagers coururent des rives du Dniester à celles de la Morava (March) ; des conseils furent tenus chez les Tervinges, ou Goths de l’Ouest, chez les Gépides, les Mérules, les Peuciniens, et une vaste coalition se forma pour seconder l’invasion des Goths de l’Est, ou Gruthunges, par une série d’attaques sur le Danube moyen. Les Scordisques, d’origine celtique, entrèrent dans la ligue ; les Alamans et leurs voisins les Juthunges[7], sans doute instruits de ces projets, se promirent d’en profiter pour retourner faire leur main dans la riche vallée du Pô. Ils furent même les premiers prêts : sans attendre leurs alliés, ils se jetèrent, dés l’année 268, dans les défilés des Alpes, qu’ils avaient souvent pratiqués, et descendirent sur les bords du lac de Garda. Claude les y reçut avec une armée sur laquelle il avait déjà su prendre de l’empire, et la moitié des Barbares tomba sous l’épée des légionnaires. C’était de bon augure pour une lutte plus sérieuse.

Durant l’hiver de 268, la cognée ne cessa de retentir dans les forêts sarmates ; les arbres abattus étaient roulés au bord des fleuves, que couvrirent au printemps deux mille barques[8], où s’entassèrent des guerriers éprouvés. La horde, composée de trois cent vingt mille combattants[9], sans compter les femmes, les enfants et les esclaves, se mit en marche dans la direction de l’Ouest, avec d’innombrables troupeaux[10] et de grands chars qui, dans les campements, servaient d’enceinte[11]. L’armée et la flotte suivirent la côte à quelque distance du rivage, l’une à cause des marécages que ces fleuves paresseux laissent à leur embouchure, l’autre à raison des bas-fonds que les alluvions forment assez loin en mer[12]. La traversée du Danube se fit avec l’assistance des vaisseaux, et quelques journées de marche amenèrent les Goths en vue de Tomi. Les invasions précédentes avaient fait sentir à toutes les villes de ces régions la nécessité de relever leurs murs et de se mettre en état de défense. Tomi ferma ses portes, les habitants garnirent leurs murailles, et les Goths ne furent point en état d’y faire brèche. Ne pouvant non plus s’arrêter dans ces plaines de la Dobroudja, où il est si difficile de vivre, ils firent route vers les Balkans dans la direction de Marcianopolis (à 18 milles à l’ouest de Varna). Cette ville, bâtie par Trajan, fut digne de son fondateur : elle repoussa toutes les attaques. Les Barbares conçurent alors un plan habile : ils se séparèrent. La flotte fit voile vers la Propontide, menaça Byzance et Cyzique, puis, malgré une tempête qui lui causa une grande perte d’hommes et de navires, elle gagna la péninsule de l’Athos, où ceux qui la montaient se partagèrent encore. Les uns assiégèrent Cassandrée, l’ancienne Potidée, et la grande ville de Thessalonique, pour s’ouvrir la Macédoine. Les autres ravagèrent la Grèce, les Cyclades, la Crète, Rhodes, Chypre, et l’orage, épuisant sa force en avançant, alla se perdre sur les tûtes de la Pamphylie.

Pendant que le bruit de ces pillages retenait inactives dans le sud de l’empire les forces romaines qui se trouvaient autour de la mer Égée, l’attaque principale se prononçait au nord : les Goths traversaient la Mœsie et arrivaient dans la vallée du Margus (la Morava du sud), sentant bien qu’ils ne trouveraient un établissement tranquille sur la rive droite du Danube qu’après avoir détruit l’armée impériale. Jamais Rome, depuis les Gaulois et Annibal, ne s’était trouvée dans un si grand péril. Claude écrivit au sénat : Je vous dois, pères conscrits, la vérité : trois cent vingt mille Barbares ont envahi le territoire romain. Si j’en triomphe, vous reconnaîtrez que nous avons bien mérité de la patrie ; si je ne suis pas vainqueur, souvenez-vous à qui je succède. La république est épuisée, et nous combattons après Valérien, après Ingenuus, après Regalianus, après Lælianus, après Postumus, après Celsus, après mille autres que le mépris inspiré par Gallien avait détachés de la république. Nous n’avons plus de boucliers, plus d’épées, plus de javelots. Tétricus est maître des Gaules et des Espagnes qui sont les forces de l’empire, et, ce que j’ai honte d’écrire, tous nos archers servent sous Zénobie. Si peu que nous fassions, nos succès seront assez grands[13].

Claude prit de sages mesures. Il ne marcha pas droit à la rencontre de cette masse énorme. Laissant son frère Quintillus, à la tête de forces considérables, autour d’Aquilée, pour tenir fermée cette porte de l’Italie, il traversa l’Illyrie, entra en Macédoine par la passe de Scupi et s’arrêta dans la haute vallée de l’Axios. Il se plaçait ainsi entre la flotte des Goths et leur armée de terre. Couvert contre celle-ci par le mont Orbelos, il pouvait, par l’Axios, qui débouche au fond du golfe Thermaïque, surveiller ce qui se passait à la côte. Si les machines, que les Barbares avaient fait construire par des transfuges, avaient raison de la résistance des habitants de Thessalonique, l’empereur était en état d’empêcher les vainqueurs de s’étendre dans la Macédoine et de rejoindre leurs frères. Cette position lui permettait donc d’attendre son heure pour frapper le coup décisif.

Mais les Goths ne savaient pas prendre de vive force une ville bien défendue et n’avaient pas la patience nécessaire pour la réduire par la famine[14]. A la nouvelle de l’approche de Claude, ils marchèrent audacieusement à sa rencontre ; Aurélien, qu’il avait nommé maître de la cavalerie, les arrêta par un combat dans lequel les cavaliers dalmates se signalèrent. Trois mille Goths furent tués ; on en prit bien davantage, et Claude, rendu libre de ses mouvements au nord, par le désarroi de l’ennemi au sud, passa les monts pour aller chercher la grande armée dans la vallée du Margus. La bataille eut lieu près de Naïssus (Nissa) ; elle fut longue et sanglante. Un corps, qui put opérer par une route non gardée, tourna l’ennemi et le prit à dos. Cette manœuvre fut désastreuse pour les Barbares : cinquante mille restèrent sur la place (269)[15] ; les autres, coupés de la vallée du Danube, se jetèrent en diverses bandes sur la Macédoine et la Thrace. Les légions se divisèrent pour les suivre ; la guerre s’éparpilla, et il devint impossible de renouveler le coup frappé à Naïssus. De temps en temps, les Barbares s’arrêtaient derrière l’enceinte de leurs chariots, fortification mobile d’où, plus d’une fois, ils firent des sorties heureuses contre ceux des Romains qui s’aventuraient en trop petit nombre dans leur voisinage. Cependant, décimés par ces continuelles attaques, par la faim, par les maladies, ils périssaient en foule. Une troupe assez nombreuse parvint à se réfugier dans les Balkans. Les Romains survinrent encore et occupèrent les issues de la montagne, où, durant un hiver rigoureux, les vivres manquèrent. Pour en finir, Claude entra dans les défilés et les y força (270).

L’empereur rédigea son bulletin de victoire avec une emphase que cette fois on pardonne : Nous avons détruit cent vingt mille Goths et coulé deux mille navires. L’eau du fleuve se cache sous les boucliers qu’elle roule, les rivages sous les épées et les lances brisées, les champs sous les os des morts. Tous les chemins sont encombrés par l’immense bagage qu’ils ont abandonné[16].

La flotte impériale avait eu raison, elle aussi, de ce qu’il restait des navires sortis du Dniester[17] ; de sorte que, de cette multitude immense, bien peu revirent les lieux qu’ils avaient quittés une année auparavant, si pleins d’audace et d’espérance. Ceux qui n’avaient pas péri allèrent cultiver comme esclaves ou colons les terres des vainqueurs, tandis que leurs femmes étaient distribuées entre les soldats romains. Un certain nombre de jeunes Barbares furent enrôlés dans les cohortes ; d’autres envoyés à Rome pour les jeux de l’amphithéâtre. La capitale, sans doute, ne fut pas seule honorée d’un présent de gladiateurs. Claude dut accorder la même faveur à plusieurs cités, afin que toute l’Italie vit servir à ses plaisirs ces Goths qui, durant une génération entière, lui avaient inspiré tant de terreur[18].

La large saignée faite à la nation gothique allait assurer un siècle de tranquillité à la Mœsie[19]. Mais le prince qui avait repoussé cette première et formidable invasion tomba dans son triomphe. La peste l’avait aidé à délivrer les provinces : elle l’emporta lui-même à Sirmium (avril 270). Il n’avait que cinquante-quatre ans, et sa verte vieillesse promettait à l’empire un règne réparateur : car il aimait la justice, il voulait la discipline et il était de ceux qui savent la maintenir. Au milieu de ces ambitieux surnoms que tant d’empereurs reçurent pour de réelles, plus souvent pour de problématiques victoires, l’historien doit mettre à la place la plus honorable celui de Claude le Gothique. Les peuples gardèrent sa mémoire ; sous Constantin, Eumène disait encore : Que n’est-il resté plus longtemps le sauveur des hommes et devenu plus tard le compagnon des dieux ![20]

A la nouvelle de la mort de Claude, les légions d’Aquilée proclamèrent son frère, M. Aurelius Quintilius, que le sénat se hâta de reconnaître. Les soldats de Pannonie avaient mieux choisi en prenant Aurélien[21], que, suivant certains récits, Claude lui-même avait désigné pour son successeur. Telle était la renommée de ce chef, que son rival n’essaya pas même une lutte avec lui. Après un règne de trois semaines, selon les uns, de quelques mois, selon d’autres[22], Quintilius se tua, ou fut mis à mort par les soldats que sa sévérité irritait.

 

II. — AURÉLIEN[23] (370-375).

Après les cérémonies de la fête de Cybèle, dit Vopiscus, le préfet de la ville, Junius Tiberianus, me fit monter dans sa voiture, qui nous mena du Palatin aux jardins de Varus, et nous causâmes, entre autres choses, de l’histoire des empereurs. Comme nous arrivions au temple du Soleil, consacré par Aurélien, Tiberianus, qui tenait à la famille de ce prince, me demanda si l’on avait écrit sa vie : Des Grecs l’ont fait, lui dis-je, mais pas un Latin. — Eh quoi ! s’écria ce vertueux personnage[24], un Thersite, un Sinon, et tous les monstres de l’antiquité, nous les connaissons, la postérité les connaîtra comme nous, et Aurélien, ce vaillant prince, qui a rendu à Rome son univers, sera ignoré de nos descendants ! Cependant nous avons ses éphémérides, où il avait ordonné de consigner ses actes de chaque jour[25]. Je vous ferai donner ces livres, qui sont dans la bibliothèque Ulpienne, afin que vous montriez Aurélien tel qu’il fut.

C’étaient de riches matériaux que le magistrat suprême offrait à l’historien. Vopiscus, petit esprit et pauvre écrivain, n’a pas su les mettre en œuvre. Mais les pièces officielles qu’il tira des archives sont, à divers titres, intéressantes ; nous en avons déjà profité et nous en profiterons encore.

Claude avait détruit la grande armée gothique, sauf quelques bandes réfugiées çà et là dans les montagnes, qui reparurent un moment aux environs d’Anchialos et de Nicopolis, où les gens du pays suffirent à les disperser[26]. Mais, d’après le plan concerté, il devait y avoir une seconde invasion par la Pannonie ; les Vandales, les Juthunges et les Alamans s’agitaient. C’était pour arrêter ces nouveaux assaillants que Claude avait fait route au nord et cantonné ses troupes à Sirmium, forte place non loin de l’embouchure de la Save dans le Danube, et centre de la défense dans cette, région.

Aurélien s’y trouvait quand la mort de Claude lui valut l’empire. Il était né en 214 [27], aux environs de cette ville, d’un colon du sénateur Aurelius, dont l’affranchi, suivant l’usage, avait pris le nom, et qui faisait valoir une petite ferme de son patron[28]. Sa mère était prêtresse du Soleil dans la bourgade qu’ils habitaient, et il garda toujours une dévotion particulière pour ce dieu. Nous connaissons son courage, ses exploits et les hautes charges qu’il avait remplies. Comblé d’honneurs par Valérien, il avait été, sur les instances de ce prince, adopté comme fils ou comme gendre par Ulpius Crinitus, un des grands personnages de l’empire, qui prétendait appartenir à la famille de Trajan. Le fils du paysan pannonien devenait l’héritier du culte, du nom et des biens de la plus illustre maison de Rome[29].

Très sévère pour la discipline, très exigeant pour le service, Aurélien exerçait pourtant un grand empire sur les troupes, parce qu’elles avaient vu maintes fois leur général se battre en soldat, ce qui, dans les guerres anciennes, ajoutait au prestige du chef. On parlait de nombreux ennemis tués par lui, et, dans les camps, il était appelé Aurélien à la main de fer[30]. Étant le plus brave, il put être le plus ferme. Un soldat outrage la femme de son hôte : Aurélien le fait attacher à deux arbres courbés de force en sens contraire et qui le déchirent en se redressant. Un autre jour, il écrit à un officier : Si tu veux être tribun, si tu veux vivre, tiens le soldat. Que personne ne dérobe un poulet, un mouton, même une grappe de raisin, ou n’exige de l’huile, du sel et du bois. Il faut se contenter de sa ration : ce que l’État donne suffit ; le butin se prend sur l’ennemi et ne doit pas coûter de larmes aux provinces. Veille à ce que les armes, les habits, les chaussures, soient toujours en bon état ; les chevaux de bât bien pansés, le mulet de compagnie[31] soigné par chacun à tour de rôle et tout le fourrage employé, afin qu’on n’en détourne pas pour le vendre. Fais soigner gratuitement les soldats par les médecins et empêche-les de perdre leur argent dans les tavernes ou avec les aruspices ; exige qu’ils se conduisent décemment dans les quartiers ; les querelleurs seront battus. Septime Sévère avait ainsi parlé, et cette fermeté avait valu à l’empire un règne glorieux ; elle eut, sous Aurélien, les mêmes effets.

Comme le grand Africain, Aurélien était de mœurs austères et dédaigneux du plaisir ; comme lui encore, il ne se pressa pas d’aller recevoir les banales acclamations du sénat. Il battit les Juthunges qui menaçaient la Rhétie et régla les affaires de cette frontière, ce qui l’occupa quelques mois. Lorsqu’il fit enfin le voyage de Rome, il parla fièrement dans le sénat : J’ai de l’or pour mes amis, dit-il, et du fer pour mes ennemis[32]. On verra que ces ennemis ne furent pas toujours aux frontières. Pour n’avoir rien à craindre en Italie des anciennes troupes de Quintillus, il était venu de Pannonie bien accompagné. Les Juthunges et les Vandales trouvèrent l’occasion propice pour envahir cette province. Aurélien y revint en toute hâte, se faisant précéder de l’ordre qu’on rentrât le grain et le bétail dans les forteresses. Le choc fut rude et la victoire indécise ; pourtant, la nuit venue, l’ennemi recula, et Aurélien manœuvra de manière à lui couper la route du Danube. Menacés de la famine dans un pays ruiné, les Barbares ouvrirent des négociations. Leurs députés cachaient la crainte sous l’arrogance ; l’empereur remit l’audience au lendemain. Il les reçut assis sur son tribunal, entouré d’une pompe militaire et menaçante : à ses côtés, ses principaux officiers à cheval ; derrière lui, les aigles d’or des légions, les images des princes, les piques d’argent qui portaient en lettres dorées le nom des différents corps, puis l’armée comme prête au combat et rangée en demi-cercle sur une éminence qui la laissait voir tout entière[33]. Moins habiles que l’Indien des prairies à cacher leurs sentiments, les Juthunges, en face de cet imposant spectacle, restèrent un moment interdits ; mais l’audace leur revint vite : Nous ne demandons pas la paix en vaincus, dit leur interprète, mais en anciens amis des Romains et en hommes qui savent qu’une bataille perdue par surprise peut être suivie d’une victoire. Notre seule nation compte quarante mille cavaliers, le double de fantassins, et l’Italie, que nous avons courue presque entière, sait bien quelle est notre valeur. Avec notre alliance, tu n’auras à craindre aucun ennemi. Donne-nous donc les présents accoutumés, les subsides que nous recevions avant la guerre, et la paix est faite. Dexippos, qui raconte cette scène, est un contemporain, mais il place dans la bouche d’Aurélien une bien longue réponse ; nous n’en retiendrons que la fin. Puisque vous avez violé les traités pour piller nos campagnes, vous n’avez nulle grâce à demander, et dans l’état ois vous êtes, c’est à vous d’accepter la loi du vainqueur. Vous savez ce qu’il est advenu des trois cent mille Goths qui s’étaient jetés sur l’empire : le même sort vous attend. Je vais passer le Danube et punir, chez vous-mêmes, votre infidélité. Les Juthunges, cette fois intimidés, promirent de rentrer en leur pays. Quelques mois après, nouvelle invasion des Vandales et des Jazyges et nouveau succès d’Aurélien qui, pour rendre leur retraite plus prompte, leur donna des vivres. Ils avaient livré en otages les fils de leurs chefs et deux mille cavaliers, qui prirent rang parmi les auxiliaires des légions[34]. Aurélien, de son côté, faisant un sacrifice qui devait coûter à son orgueil, quoiqu’il ne coûtât rien à l’empire, leur céda la Dacie en offrant des terres, au sud du Danube, à ceux des colons romains qui voudraient quitter la province. Cet abandon était nécessaire, car, débordée sur ses deux flancs et envahie au cœur, la Dacie n’était plus tenable. S’il y restait des Romains, et il y en a encore qui forment un peuple nombreux et brave, il n’y restait plus d’administration romaine, excepté dans la Transylvanie, où quelques cohortes défendaient sans doute les mines d’or de ce pays, que les Romains exploitaient depuis un siècle et demi. Afin de donner à croire qu’on n’avait rien perdu, on fit d’une portion de la Mœsie une Dacie nouvelle, et le nom de la conquête de Trajan resta sur la liste officielle des provinces de l’empire. Mais, au lieu de la Dacie des montagnes, vraie forteresse qui eût été imprenable si l’on avait su en fermer la porte sur le bas Danube, ce fut la Dacie du rivage, Dacia Repensis[35], qui ne couvrait plus rien. Enfin le dieu Terme reculait. Pour un victorieux, cette condition était dure ; Aurélien semble avoir voulu se couvrir du consentement de ses soldats, comme représentants du peuple romain. Du moins il consulta l’armée sur la question de la paix avec les Vandales[36], et le rappel des garnisons daciques dut être la conséquence tacitement acceptée de la convention que l’armée approuva. Dans l’état de l’empire et du monde barbare, le Danube paraissait la meilleure frontière, et les grands succès de Claude, ceux mêmes d’Aurélien, prouvent que, si le fleuve n’interdisait point aux envahisseurs le passage, il gênait le retour.

Nous ne dirons pas aussi facilement que l’empereur un adieu définitif à cette vaillante population romaine de la Dacie Trajane. Digne de son origine et de celui qui lui avait donné ses premières cités, elle a joué dans les Carpates le rôle de Pélage et de ses compagnons dans les Asturies, bravant, du haut de cette forteresse inexpugnable, toutes les invasions ; regagnant pied à pied, tandis qu’elles s’écoulaient vers le sud ou l’ouest, le terrain perdu, et reconstituant, après seize siècles de combats, une Italie nouvelle, Tzarea Roumanesca, dont les peuples de race latine saluent l’avènement au rang des nations libres[37].

Aurélien s’était résigné à laisser ce triste souvenir s’attacher à son nom, à cause d’une nouvelle invasion des Alamans et des Juthunges en Italie. Dans l’espérance d’exterminer ou de prendre la horde entière, il voulut imiter la manœuvre de Claude à Naïssus : faire attaquer de front les envahisseurs par la plus grande partie de son armée, dans la plaine du P0, tandis que lui-même, avec les prétoriens et les auxiliaires, leur couperait la retraite. Cette division des forces romaines amena un désastre. Les Barbares sortant sur le soir d’épaisses forêts, où ils s’étaient cachés, surprirent, près de Plaisance, les Romains, qui se gardaient mal. Beaucoup de ceux-ci périrent, et une partie de la Cisalpine fut livrée à la plus épouvantable dévastation. Des Alpes au détroit de Messine, on trembla un moment, comme on avait tremblé naguère dans la péninsule des Balkans, à l’approche de la grande armée gothique.

Pour calmer ces frayeurs, on recourut aux expiations religieuses. Aurélien, qui savait quel parti on peut tirer, pour mener les foules, de l’intervention des dieux et de l’appareil des vieilles superstitions, écrivit au sénat la lettre suivante que le préteur urbain lut dans la curie : Je m’étonne, vénérés Pères, que vous ayez hésité si longtemps à ouvrir les livres sibyllins : on vous croirait réunis dans une église de chrétiens et non dans le temple de tous les dieux. Agissez enfin, et, par la sainteté des pontifes, par les solennités de la religion, aidez le prince qui est aux prises avec de dures nécessités. Il n’est jamais honteux de vaincre par l’assistance des immortels. C’est ainsi que nos aïeux ont entrepris et terminé tant de guerres.

Avant l’arrivée de cette lettre, même proposition avait été faite dans le sénat, mais les esprits forts et les courtisans du prince en avaient ri. Aurélien suffira à tout, disaient-ils. Le message impérial changea naturellement ces dispositions, et le premier sénateur à qui le consul en charge demanda son avis reprocha aux pères conscrits de songer si tard au salut de la république et d’avoir été si lents à recourir aux livres du destin, à profiter des bienfaits d’Apollon[38]. Allez donc, saints pontifes, allez, vous qui êtes purs, irréprochables et sacrés ; allez dans un pieux costume et dans de saintes dispositions ; montez au temple, préparez-y les sièges ornés de lauriers ; ouvrez de vos mains respectables les livres de la religion ; cherchez-y les destinées éternelles de la république ; apprenez à des enfants qui aient leur père et leur mère l’hymne qu’ils doivent chanter. Nous déterminerons la dépense nécessaire à cette cérémonie ; nous ordonnerons l’appareil des sacrifices, et nous fixerons le jour de la lustration des champs[39]. (Séance du 10 janvier 271.)

On purifia la ville, on chanta les hymnes saints, on fit une procession autour de Rome et l’on promit aux dieux d’en faire une autour des champs ; enfin l’on accomplit des sacrifices aux lieux déterminés par le livre sacré, pour empêcher les Barbares de les franchir[40]. Vopiscus ne dit pas que ces expiations furent des sacrifices humains ; mais Aurélien avait offert des captifs de toute nation[41], et ce ne pouvait être qu’afin de renouveler l’antique coutume d’enterrer vivants les hommes dont l’ombre irritée devait arrêter la marche de leurs compatriotes.

Tout en se mettant en règle avec les dieux, Aurélien prenait ses mesures contre les Barbares. Ceux-ci, partis en guerre pour le butin bien plus que pour la conquête, s’étaient divisés afin d’étendre plus loin leurs déprédations. Ils semblent s’être avancés jusqu’au Métaure, ce qui annoncerait leur intention de marcher sur Rome, suprême ambition de tous ces pillards. On a, du moins, une inscription[42] où les cités de Pesaro et de Fano rendent des actions de grâces à Hercule Auguste, collègue de l’invincible Aurélien, sans doute pour quelque exploit de guerre accompli dans leur voisinage. Aurélien suivait ces bandes, les détruisant l’une après l’autre ; près de Pavie, il eut affaire au gros de l’armée barbare et lui infligea un grand désastre. De ceux-là encore, bien peu revirent la hutte paternelle cachée dans les grands bois du Neckar et du Mein.

Que s’était-il passé à Rome durant cette campagne ? Sans doute ou y avait joué de la langue contre le Pannonien qui laissait le peuple-roi avoir si grande peur. On avait peut-être renversé ses statues, tué quelques-uns de ses gens ou de ses soldats. Il y eut certainement de grands désordres, puisque Vopiscus parle de séditions violentes[43]. Le vaillant soldat qui avait passé sa vie à combattre pour le salut de l’empire regarda comme une trahison cette émeute faite à l’approche de l’ennemi et en punit sévèrement les auteurs ; des sénateurs même périrent[44].

Depuis longtemps Rome, dans la sécurité que lui donnaient sa fortune et son empire, avait franchi son enceinte, et le mur de Servius disparaissait sous les maisons et les jardins qui couvraient l’immense remblai et le pied de l’agger[45]. L’ennemi se rapprochant, Aurélien se résolut à revenir aux précautions des anciens jours. C’était un aveu humiliant, mais nécessaire. Il donna à Rome une seconde enceinte qui enveloppa la première et que Probus achèvera : elle eut environ 11 milles, ou 16 kilomètres, de tour[46] (271). Cette nouvelle ligne de fortifications est encore marquée par le mur dit d’Honorius, à cause des réparations que ce prince y fit.

Les Barbares repoussés et Rome mise à l’abri d’un coup de main. Aurélien songea aux deux compétiteurs qui tenaient en dehors de son autorité l’orient et l’occident de l’empire, Zénobie et Tetricus. Celui-ci était le plus proche, irais il paraissait le moins dangereux, et Aurélien avait déjà des raisons particulières pour ne le point redouter[47] ; il dirigea ses premiers coups contre la reine de Palmyre.

Vainqueur de Sapor, dont il avait insulté deux fois la capitale en plantant ses flèches dans les portes de Ctésiphon, Odenath avait été investi par Gallien du commandement de toutes les forces romaines en Orient, et associé rhème à l’empire. Il s’apprêtait à délivrer l’Asie Mineure, des Goths, lorsque, en 266-267, il tomba victime d’une de ces tragédies fréquentes dans les maisons royales de l’Orient[48]. Un jour, dans une chasse royale, son neveu Mæonios lança le premier trait sur la bête, au débucher ; et la tua. C’était contraire à l’étiquette, qui réservait ce coup au prince, et Odenath l’en reprit avec colère. Mæonios ne tint pas compte de l’avertissement. L’ambition d’être renommé le plus habile chasseur du désert lui ôtait toute prudence : deux fois encore ses flèches partirent avant celles du roi. L’insulte était publique : Odenath lui retira son cheval, ce qui équivalait à une dégradation, et le bouillant jeune homme s’emportant en menaces, il le fit jeter en prison. Délivré, grâce aux prières d’Hérodès, fils allié du roi, l’Arabe garda au cœur une haine violente et, avec l’aide de quelques complices, assassina, au milieu d’un festin, Odenath et Hérodès[49].

Zénobie avait partagé le pouvoir et les travaux de son époux[50]. Elle prétendait descendre des rois macédoniens d’Égypte, ce qui avait fait d’elle la plus noble femme de l’Orient ; on la disait aussi la plus belle, et elle en était la plus chaste[51]. L’ambition et l’amour de la gloire avaient étouffé en elle les vices que nourrit le harem. Elle savait toutes les langues parlées de Palmyre à Athènes et d’Athènes à Memphis, même le latin[52] ; elle lisait Homère et Platon ; avec Longus, le douteux auteur du traité du Sublime, mais le sage qui sut bien mourir, elle discutait des questions de philosophie et de littérature ; avec le fameux archevêque d’Antioche, Paul de Samosate, des questions de théologie, et elle donna à ses deux fils aînés de si habiles maîtres, qu’on a dit de l’un d’eux, Timolaos, que, s’il avait vécu plus longtemps, il aurait mis son nom à côté de ceux des grands orateurs latins. Le désert avait, comme Athènes et Rome, son académie de beaux esprits ; mais on n’y avait pas tous les goûts du monde occidental, car, dans Palmyre, il ne se trouve aucune trace de ces amphithéâtres que les cités vraiment romaines se hâtaient de bâtir.

Zénobie suivait son époux à la chasse et à la guerre : elle vainquit avec lui les Perses et essaya, sans lui, de conquérir l’Égypte. Quelques-uns l’accusent d’avoir été du complot qui coûta la vie au césar de Palmyre. On peut en douter. Elle avait, d’un premier mariage, un fils, à qui Hérodès fermait la route du pouvoir et que sa mort ferait roi. La mère se l’est dit, sans doute : peut-être l’a-t-elle espéré ; mais participer au complot contre Odenath eût été conspirer contre elle-même. Mæonios avait assassiné son oncle par vengeance, pour prendre sa place et non pour la laisser à la reine. Il n’avait pas été non plus nécessaire de le pousser à se défaire d’Hérodès, qu’Odenath avait associé à l’empire[53] : le premier crime rendait le second nécessaire, et nous accordons que la belle-mère du jeune prince dut voir sans chagrin cette mort, qui délivrait son fils d’un concurrent. La tragédie accomplie, elle souleva contre le meurtrier les soldats qui l’avaient proclamé roi et qui, sans doute pour un peu d’or, portèrent sa tête aux pieds de Zénobie ; après quoi ils saluèrent du titre d’auguste son fils aîné Waballath et de celui de césar les deux autres[54]. Elle les montra au peuple, à l’armée, revêtus de la pourpre romaine, et elle garda la réalité du pouvoir avec le titre de basilissa, reine, l’équivalent sans doute, pour les Palmyréens, du nom d’augusta.

Au milieu de la confusion où l’on vivait depuis bientôt quarante ans, nul ne s’étonnait que tant de césars sortissent d’une ville arabe : il en était venu de pires lieux. Mais ce qui devait paraître étrange, c’était de voir ces enfants du désert, qui ont toujours retenu la femme dans une condition inférieure, courber la tête sous cette main douce et ferme. L’Orient, il est vrai, avait tant de déesses régnant au ciel, qu’il pouvait, sans trop grande résignation, laisser régner des femmes sur la terre[55], et ses légendes lui parlaient toujours de Sémiramis, la puissante souveraine de Babylone, de Didon, la glorieuse Carthaginoise, et de cette reine de Saba qui avait voulu contempler dans sa splendeur le roi des Juifs, fondateur de Tadmor. Zénobie se plaisait elle-même à rappeler le souvenir de Cléopâtre, dont elle avait la beauté et la puissance, mais dont elle n’eut peut-être pas, à la dernière heure, la résolution virile[56]. Sa cour fut calquée sur celle des empereurs, avec des adorations orientales empruntées à la Perse, que Dioclétien allait imiter, et le diadème royal, qu’il porta. Le bras nu, le casque en tête, elle haranguait ses troupes d’une voix mâle et sonore, faisait route avec elles, habituellement à cheval, quelquefois à pied, et tenait tête à ses généraux en de longs festins, où pourtant elle gardait son rang et sa dignité. Aurélien lui rendit justice : Ceux qui disent que je n’ai vaincu qu’une femme ne savent pas quelle était cette femme, ni combien elle était prudente dans les conseils, persévérante dans les décisions, ferme avec les soldats et, suivant les circonstances, libérale ou sévère. C’est par elle qu’Odenath a vaincu les Perses, et c’est par crainte de ses armes que les Arabes, les Sarrasins et les Arméniens se sont tenus en repos[57].

Zénobie était donc un sérieux adversaire. Elle s’était proposé d’ajouter à son empire oriental deux régions qui devaient en être les postes avancés et les boulevards : l’Égypte, où elle envoya une armée qui s’empara d’Alexandrie, et l’Asie Mineure, dont les peuples, qui ne savaient pas dire non, acceptèrent sa domination. Les Bithyniens seuls s’y refusèrent, et ce refus compromettait tout : car la Bithynie, baignée par la Propontide et le Bosphore, était la grande route des armées pour passer d’Europe en Asie, et cette route restait ouverte à Aurélien.

L’affaire d’Égypte eut de brillants commencements. L’historien Zosime parle d’une armée de soixante-dix mille hommes qui se serait emparée du pays, ou tout au moins des provinces du Nord. Un général du nom de Probus[58] avait eu la charge de courir sus aux pirates qui, à la suite du désordre produit par la grande invasion gothique, infestaient les eûtes de l’Asie Mineure et de la Syrie ; il débarqua, avec ce qu’il avait de troupes, dans le Delta, où les Palmyréens n’avaient laissé qu’une garnison de cinq mille hommes, grossit sa petite armée de quelques volontaires, et allait avoir raison des troupes de Zénobie, quand il se laissa surprendre près de Memphis. Tombé aux mains de l’ennemi, il se tua[59], et la reine resta maîtresse de la basse Égypte.

Des monnaies alexandrines portent les têtes d’Aurélien et du fils de Zénobie, comme s’ils eussent été deux collègues, et la plus récente, où est marquée la septième année du règne de Waballath, montre que cette situation dura jusqu’en 272 [60].

Au printemps de cette année, Aurélien quitta l’Italie avec une puissante armée, pour aller régler les affaires d’Asie. Chemin faisant, il nettoya l’Illyrie, la Thrace et la Mœsie des bandes gothiques qui s’y trouvaient encore, ou qui y étaient rentrées ; il en poursuivit une au delà du Danube, et se fit livrer en otage un certain nombre de jeunes filles nobles, qu’il interna à Périnthe. Il écrivit au légat de la Thrace de fournir pour leur entretien une certaine somme, mais de les réunir en communautés de sept personnes, pour que la dépense fût moins onéreuse à la république, tout en permettant à ces jeunes filles de vivre plus à l’aise. On a vu comment ces otages servaient la politique impériale : une d’elles épousa un général romain ; les autres firent sans doute de même : l’empereur fournissait la dot.

Dans la Bithynie, Aurélien fut reçu en libérateur ; les hostilités commencèrent chez les Galates, où il fallut prendre Ancyre de vive force. Une des principales villes de la Cappadoce, Tyane, qui couvrait la passe cilicienne dans le mont Taurus, aurait fait une longue résistance si un de ses plus riches citoyens n’avait indiqué un point mal fortifié et mal gardé. Aurélien fit mourir le traître, sans toutefois confisquer ses biens, vertu rare chez les princes de ce temps. Les soldats s’attendaient au pillage de cette riche cité : l’empereur le leur refusa. Apollonius de Tyane avait encore ses dévots ; le biographe d’Aurélien en était un, et il prétend qu’une apparition du héros empêcha le prince de détruire la ville. La politique conseillait cette modération, et Aurélien comprenait que, dans ces temps troublés, il fallait de l’indulgence envers ceux qui ne savaient de quel côté était le droit et où devait aller l’obéissance[61]. Quand il eut raconté qu’Apollonius interdisait le sac de sa ville natale, les soldats, qui auraient peut-être résisté au prince, n’osèrent résister à l’homme divin, et un heureux mensonge sauva une grande cité.

Les passes du Taurus n’étaient point gardées[62], les légions descendirent en Cilicie, contournèrent le golfe d’Issus, et, arrivées aux Pyles Syriennes, découvrirent à leurs pieds le lac d’Antioche, la ville elle-même, mollement couchée au bord de l’Oronte, et Daphné, le sanctuaire des dévotions licencieuses. Zénobie s’y tenait avec une partie de sa cavalerie. Une action, qui ne semble pas avoir été bien sanglante[63], livra la ville aux Romains ; ils y entrèrent, tandis que les Palmyréens se retiraient dans la direction de Chalcis. Aurélien continua son système de clémence. Beaucoup d’habitants d’Antioche, craignant d’être traités en partisans de la reine, avaient suivi l’armée arabe ; une proclamation leur garantit la vie et les biens : presque tous rentrèrent.

Dans une autre affaire, à laquelle on a donné beaucoup de retentissement, il montra le même esprit de conciliation. Paul de Samosate cumulait à Antioche les fonctions d’évêque et d’intendant des finances pour le compte de Zénobie[64]. La ville contenait beaucoup de juifs et de chrétiens ; parmi les derniers se trouvaient des hommes qui, tout en admettant l’Évangile, rejetaient la divinité du Christ, ou du moins qui l’entendaient autrement que l’Église. Selon eux, Jésus n’était qu’un homme en qui l’Esprit de Dieu, le Logos, était descendu comme il avait été envoyé à Moïse et aux prophètes[65]. Ils reconnaissaient donc l’union du Verbe divin et de l’humanité dans le Christ, et accordaient qu’il méritait d’être appelé Dieu. Niais cette tentative d’explication rationnelle ruinait le dogme du Dieu fait homme et diminuait la fécondité religieuse du christianisme. Paul pensait comme eux. En 264 sa foi avait déjà paru suspecte ; cependant un nombreux synode d’évêques asiatiques, de prêtres et de diacres, s’étant réuni pour examiner sa doctrine, n’avait pu y trouver d’hérésie. Cinq ans après, ses adversaires convoquèrent une autre assemblée où vinrent soixante-dix évêques, qui le retranchèrent de la communion des fidèles. Une lettre synodale, adressée aux évêques de Rome et d’Alexandrie, à tous les évêques, prêtres et diacres formant l’Église qui est sous le ciel, leur annonça la déposition de l’évêque d’Antioche. Paul, soutenu par Zénobie, n’en conserva pas moins la maison épiscopale. La cause fut portée devant Aurélien, qui, avec un bon sens dont il faut lui tenir compte, se garda de prononcer lui-même, encore moins de se rappeler, à propos de ces disputes, qu’il existait des édits impériaux contre les chrétiens. Ce sont affaires d’évêques, dit-il : que celui-là conserve la maison épiscopale avec qui les évêques de Rome et d’Italie resteront en communion. Le frère de Sénèque, le tribun de Jérusalem, avait aussi répondu, au sujet de saint Paul, accusé par les juifs : Je ne suis pas juge de ces sortes de choses. L’honnête et vaillant soldat dont nous écrivons l’histoire avait de lui-même retrouvé cette vérité de bon sens que tant d’empereurs ont méconnue et méconnaîtront encore[66]. Il en recueillit aussitôt le fruit. Les amis de l’évêque avaient été, comme lui, les partisans de la reine ; sans les frapper, Aurélien les punissait, et, du même coup, il se conciliait la communauté chrétienne, qui était nombreuse dans cette grande cité.

On a voulu voir, dans le renvoi qu’il prononça, une reconnaissance par le prince de la primauté du siège romain. Il était naturel qu’Aurélien, ayant à faire décider un point de doctrine entre les chrétiens, s’adressât aux évêques de la métropole de l’empire, et qu’il constituât les chefs des communautés chrétiennes d’Italie arbitres du différend, sans attacher à cette affaire d’autre importance. Son jugement n’en constituait pas moins un précédent fort utile pour l’autorité pontificale.

Toutes choses réglées à Antioche, Aurélien se mit à la poursuite de l’ennemi. Il en atteignit l’arrière-garde non loin de Chalcis et la délogea d’une hauteur où elle s’était établie. Les Palmyréens ne s’arrêtèrent plus que sous les murs d’Émèse ; Zénobie y avait réuni soixante-dix mille hommes, appuyés à une place qui avait été certainement fortifiée, et ayant devant eux une large plaine propre aux charges de leur cavalerie. La bataille, cette fois, fut acharnée. Chez les uns, la vieille gloire de Rome ; chez les autres, la gloire récente de Palmyre, animaient tous les cœurs. Un moment Aurélien put craindre de voir ses légions fléchir sous le choc : sa cavalerie fut presque détruite ; mais une charge vigoureuse, qu’il mena lui-même contre le centre de la ligne, trop étendue, de l’ennemi, décida de la victoire. Elle avait été si chèrement achetée, que les Romains ne furent pas en état de poursuivre les vaincus. Au plus fort du combat, Aurélien avait voué un temple au Soleil, et l’on raconta dans la suite que le dieu avait été vu au milieu. des légions, raffermissant leurs lianes ébranlées. Le Soleil était la grande divinité de Palmyre : il avait donc abandonné son peuple ; mais les dieux se mettent toujours du côté des gros bataillons et, par un sentiment fait à la fois d’orgueil et d’humilité, les victorieux se plaisent à transformer en assistance divine l’aide qu’ils ont trouvée dans leur courage[67].

Dans un conseil de guerre que Zénobie avait tenu à Émèse, la retraite sur Palmyre avait été décidée. On comptait que la lourde armée romaine ne pourrait pas traverser le pays de la soif, ou du moins qu’elle y vivrait difficilement, exposée qu’elle serait aux continuelles attaques des nomades. Les brigands de Syrie, comme Vopiscus les appelle, firent en effet beaucoup de mal aux Romains, mais ne les empêchèrent pas d’arriver devant la capitale du désert. Elle était environnée d’un fossé profond et d’une muraille couverte d’innombrables machines de guerre, qui lançaient incessamment des flèches, des dards et des feux[68]. L’empereur ne s’était pas attendu à une aussi énergique défense. En arrivant en vue de la place, il avait écrit à la reine : Aurélien, empereur du monde romain et vainqueur de l’Orient, à Zénobie et à ceux qui sont engagés dans sa cause. Vous auriez dû faire de vous-mêmes ce que je vous prescris par cette lettre. Je vous ordonne de vous rendre, sous la promesse de vous laisser vivre. Vous, Zénobie, vous vous retirerez, avec votre famille, dans l’endroit que je vous désignerai, d’après l’avis du vénérable sénat. Vous abandonnerez au trésor de Rome ce que vous aurez de pierreries, d’or, d’argent, de soie, de chevaux et de chameaux. Les Palmyréens conserveront leurs droits[69].

La réponse fut aussi fière : Zénobie, reine de l’Orient, à Aurélien auguste. Jamais personne n’a osé demander ce qu’exige votre lettre. C’est le courage qui décide de tout à la guerre. Vous voulez que je me rende, comme si vous ne saviez pas que la reine Cléopâtre a mieux aimé mourir que d’être redevable de la vie à un maître. J’attends incessamment les secours des Perses ; j’ai pour moi les Sarrasins et les Arméniens. Des voleurs de Syrie ont battu votre armée, Aurélien ; que sera-ce lorsque nous aurons reçu les renforts qui nous viennent de tous les côtés ? Alors vous quitterez ce ton superbe avec lequel vous exigez ma soumission, comme si vos armes étaient partout victorieuses[70].

Après cet échange de paroles irritantes, il ne restait qu’à forcer la ville ou à la réduire par la famine. L’armée romaine investit la place. Zénobie comptait sur la Perse, mais la Perse venait, en trois ans, de changer trois fois de monarque, au milieu de conspirations des grands et de querelles religieuses qui agitaient les peuples. Le vainqueur de Valérien, Sapor, était mort en 271. Son fils, Hormisdas, un pacifique, régna quatorze mois, et son successeur, Bahram, le bienfaisant, moins de quatre années. D’Hormisdas on raconte un trait digne des Mille et une nuits. Soupçonné de s’être mis d’intelligence avec des satrapes, mécontents de ne pas voir finir le règne de Sapor qui durait depuis trente ans, il se coupa la main et l’envoya à son père en signe de sa fidélité. La coutume ne voulait pas qu’un prince mutilé pût régner ; Sapor l’oublia pour honorer le courage de son fils, qu’il appela au trône après lui. Cette légende a protégé la mémoire d’Hormisdas : à Bain Hoormuz, qu’il avait bâti, les Persans montrent encore un oranger planté par lui, disent-ils et qui est l’objet de leur vénération[71].

Bahram régnait quand Aurélien parut devant Palmyre. Mais le royaume était troublé par les prédications de Manès, qui cherchait à fondre en une seule doctrine la religion du Christ et celle de Zoroastre. Les peuples, la cour même, se divisaient entre l’ancien et le nouveau culte. Sapor avait banni le sectaire ; Hormisdas le favorisa. Les mages, inquiets pour leur autorité religieuse, reprirent leur empire sur l’esprit de Bahram, qui condamna Manès à être écorché vif, et fut, peu de temps après, assassiné par un partisan du réformateur. Cette double tragédie est postérieure au siège de Palmyre ; mais ces divisions expliquent la prudente attitude de ceux qui, naguère, tenaient un empereur romain prisonnier. Ils se contentèrent d’envoyer du côté de Palmyre quelques faibles secours, qui furent interceptés. Pour l’Arménie, nous avons dit ailleurs les raisons qui lui faisaient, de l’amitié de Rome, une nécessité. Quant aux Arabes et aux Sarrasins, ils furent intimidés ou achetés, et il n’y fallut ni beaucoup de force ni beaucoup d’or.

Zénobie resta donc seule. Lorsqu’elle sut qu’elle n’avait plus à compter sur ceux qu’elle croyait ses alliés, et qu’elle vit les vivres diminuer rapidement, elle se résolut à fuir chez les Perses, dans l’espoir de les amener à faire un effort vigoureux, tandis que ses guerriers tenaient encore. Montée sur un dromadaire rapide, elle se dirigea sur l’Euphrate et elle allait en toucher le rivage, quand les cavaliers lancés à sa poursuite l’atteignirent. Cette triste nouvelle jeta la confusion dans Palmyre. Quelques-uns voulaient résister encore, le plus grand nombre jeta ses armes et ouvrit les portés. Aurélien ne changea rien aux conditions qu’il avait d’abord proposées ; il traita la ville avec douceur, lui laissa ses droits et se contenta de prendre les trésors de Zénobie.

De retour à Émèse, on les troupes purent se dédommager avec les ressources d’une riche province des privations qu’elles venaient de souffrir, l’empereur constitua un tribunal pour juger Zénobie et ses ministres. Dans sa première entrevue avec Aurélien, elle n’avait pas démenti sa fierté. Comment as-tu osé, lui demanda-t-il, outrager la majesté des empereurs romains ? Et elle lui répondit : Je te reconnais pour empereur, toi qui sais vaincre ; mais les Gallien, les Auréole et les autres ne l’étaient pas. La flatterie ne dépassait pas la juste mesure. On dit cependant qu’au tribunal elle rejeta lâchement sur ses conseillers la responsabilité de la guerre. Ce doit mètre une calomnie des vainqueurs ou une habileté d’Aurélien. Les soldats voulaient du sang, et il était bien résolu à ne pas verser celui de la reine, car il n’entendait pas que la nouvelle Cléopâtre manquât à, son triomphe. Les juges s’arrangèrent pour ne trouver coupables que les serviteurs : ils furent envoyés à la mort. Parmi eux était Longin, qui marcha au supplice avec la sérénité d’un sage (275).

La chute de la reine de l’Orient avait eu un grand retentissement, et l’abandon où l’avaient laissée tous ses alliés montrait la crainte qu’inspirait l’empire ressuscité. Aurélien avait donc quitté la Syrie l’esprit libre de toute inquiétude, et déjà il avait traversé l’Asie Mineure, même une partie de la Thrace, quand la nouvelle lui arriva que les Palmyréens s’étaient soulevés, que la garnison romaine et son chef Sandarion étaient égorgés, qu’enfin un certain Antiochus avait été proclamé empereur[72]. Palmyre n’avait pu se résigner à retomber, du rang de cité impériale, dans son ancienne condition de ville marchande. Elle avait bu un moment à la coupe des grandeurs, elle en était encore enivrée, et dans ses rêves revenait toujours l’image de ses conducteurs de caravanes passés césars de Rome. L’acte de folie qu’elle venait de commettre fut cruellement expié. La colère d’Aurélien était terrible : on a déjà vu sa sévérité à Rome ; à Palmyre, il fut d’autant plus impitoyable qu’il y avait été plus clément. Nous ne savons rien de l’expédition qu’il chargea de sa vengeance ; on voit par une de ses lettres que ce fut comme l’exécution de tout un peuple. Aurélien auguste à Ceionus Bassus. Il ne faut pas que les soldats fassent plus longtemps usage de leurs glaives : on a assez tué, assez exterminé de Palmyréens. Nous n’avons pas fait grâce aux mères ; nous avons tué les enfants, égorgé les vieillards, massacré les habitants des campagnes. A qui laisserons-nous désormais le pays ? A qui laisserons-nous la ville ? Il faut épargner le petit nombre de ceux qui sont restés et les supposer corrigés par la vue de tant de supplices. Je veux qu’on rétablisse tel qu’il était le temple du Soleil, pillé par le porte-aigle de la troisième légion, par les porte-étendards, par le draconnaire[73] et par ceux qui donnent du cor et du clairon. Vous avez, dans les cassettes de Zénobie, 300 livres pesant d’or ; vous en avez 4.800 d’argent, provenant des biens des Palmyréens ; enfin vous avez les pierreries royales. Faites servir toutes ces richesses à l’ornement du temple ; vous ferez ainsi une chose agréable aux dieux immortels et à moi. J’écrirai au sénat d’envoyer un pontife pour faire la dédicace de ce temple[74].

Palmyre ne s’en releva pas. Les familles qui avaient fait sa fortune avaient sans doute péri dans le massacre, et ceux des habitants qui survécurent ne surent pas les remplacer. Le commerce s’habitua à prendre d’autres routes ; les sables envahirent l’oasis dépeuplée, et, durant dix siècles, on ignora jusqu’au lieu où la reine de l’Orient avait bâti ses palais de marbre ; mais une source qui coule encore a peut-être gardé, à travers les âges, le nom de celui qui fit cette grande ruine[75].

Après la tragédie d’Émèse, Aurélien s’était hâté de regagner l’Europe, sans descendre en Égypte, d’où un aussi vaillant homme que lui-même, Probus, avait chassé les Palmyréens. Croyant ce pays pacifié, il n’avait pas jugé à propos de s’y montrer ; mais, lorsqu’on sut qu’il était en route pour la Gaule, un négociant enrichi dans le commerce du papyrus d’Égypte et des denrées de l’Inde, le Grec Firmus, que la fortune politique des cheiks de Palmyre avait ébloui, voulut jouer leur rôle. Il acheta le secours des Blemmyes et des Sarrasins, souleva Alexandrie toujours prête pour une émeute, et arrêta la flotte frumentaire, ce qui était grave. Il avait pris la pourpre au moment où Palmyre se révoltait, doit l’on peut conclure que les deux mouvements avaient été combinés[76]. Aurélien n’eut point de peine à enfermer l’usurpateur dans un des trois quartiers d’Alexandrie, le Bruchium, qu’un mur séparait du reste de la ville et où César avait si longtemps bravé toutes les forces de l’Égypte. C’est là qu’étaient le palais des Ptolémées, le Muséum, qu’un long portique, construit avec les marbres les plus précieux, réunissait à la résidence royale, et le temple des Césars, bâti au lieu où s’élevaient naguère les deux obélisques appelés les aiguilles de Cléopâtre[77]. Aurélien n’entreprit pas de forcer cette place d’un genre particulier ; mais la faim lui livra Firmus, qu’il fit mettre en croix ; il démantela le Bruchium, le palais des rois et tout ce qui aurait pu servir d’abri à une nouvelle émeute, pour que l’approvisionnement de Rome ne restât pas à la merci de cette séditieuse cité[78]. Cette fois, du moins, sa colère porta plus sur les monuments que sur les hommes[79] ; mais il augmenta d’un douzième l’impôt frumentaire de l’Égypte et lui imposa un nouveau tribut annuel : l’envoi à Rome d’une certaine quantité de verre, de papyrus, de lin, de chanvre et d’autres produits du pays[80].

Zénobie captive, le brigand Firmus expirant sur la croix et la populace d’Alexandrie contenue par une garnison romaine, l’ordre allait renaître dans l’Orient, deux fois parcouru en quelques mois par une grande armée victorieuse. De toutes parts affluaient les ambassades, les protestations d’amitié et les présents, entre autres, comme don du roi de Perse, un manteau de pourpre qui semble avoir été l’aïeul de nos cachemires de l’Inde[81]. Rien ne retenait donc Aurélien de ce côté, et il était libre de tourner enfin son attention vers les provinces de l’Occident, où Tetricus régnait depuis plus de cinq ans[82].

Victoria, la mère des camps, était morte[83], et son âme virile ne soutenait plus le courage chancelant du débonnaire sénateur qu’elle avait fait empereur des Gaules. Établi à Bordeaux, pour ne pas être troublé dans son repos par les bruits de la frontière et les cris des légions, il attendait qu’Aurélien le débarrassât de sa royauté. Des médailles le représentent vêtu, non pas de la cuirasse, mais de la toge, et portant d’une main un sceptre, de l’autre une branche d’olivier où une corne d’abondance. Lorsque, en touchant leur solde. les soldats voyaient l’empereur figuré sur les monnaies avec les attributs de la paix et une légende signifiant que la modération dans le succès fait la grandeur des princes, ils devaient considérer ce pacifique comme ne méritant pas de commander à des hommes. Ils le gardaient pourtant leur orgueil se plaisait à conserver cet empire des Gaules qui était leur ouvrage. Eux et leurs chefs avaient dans ces provinces leurs habitudes, leurs intérêts, et ils se disaient que ce n’était pas Tetricus qui troublerait cette tranquille existence, en les menant il l’autre bout de l’empire contre les Perses ou les Blemmyes. D’ailleurs la Gaule était aussi leur domaine ; ils s’y conduisaient en maîtres, avec l’insolence d’une soldatesque commandant à ses chefs. Pour résister à leurs exigences, Autun ferma ses portes ; ils l’assiégèrent pendant sept mois, sans que Tetricus fit rien pour mettre un terme à cette guerre étrange. Claude, qu’Autun implora, était trop occupé par les Goths pour entendre ces plaintes lointaines ; la malheureuse ville fut mise à sac[84], et beaucoup de ses citoyens périrent (269). Un d’eux s’enfuit jusqu’au pied des Pyrénées, à Tarbes que traverse l’Adour et qui entend au loin mugir l’Océan irrité ; il s’y maria et fut l’aïeul du poète Ausone, une des dernières renommées littéraires de l’empire[85]. D’autres cités pensaient comme Autun : une inscription de Barcelone atteste la fidélité de cette ville à Claude et à l’empire[86].

Le dévouement intéressé des légions gauloises ne rassurait point leur prince. On peut croire qu’il avait par de secrets messages recherché la confiance de Claude, et nous savons qu’il écrivit à Aurélien en citant Virgile : Héros invincible, délivre-moi de ces méchants[87]. L’entente s’établit aisément entre deux hommes, dont l’un ne voulait pas de collègue tandis que l’autre aspirait à redevenir sujet. Quand les armées se rencontrèrent près de Châlons-sur-Marne, Tetricus communiqua son ordre de bataille à Aurélien et, au moment de l’action, abandonna ses troupes, qui se débandèrent[88]. L’empire entier se trouva réuni sous un seul chef (274) ; il y avait vingt-et-un ans que cela ne lui était arrivé.

Aurélien célébra ce grand événement par un triomphe, où il essaya de surpasser la magnificence de ces anciennes solennités, que depuis longtemps Rome n’avait pas revues[89]. Lentement passèrent, sous les yeux de la foule éblouie d’innombrables couronnes d’or offertes par les villes romaines ; vingt éléphants, des girafes, des bêtes fauves apprivoisées ; le char d’un roi des Goths traîné par quatre cerfs, celui de la reine de Palmyre fait d’argent et d’or ciselés, où brillaient mille pierres précieuses ; des tableaux représentant les batailles gagnées, les cités prises et l’image des nations vaincues. Puis venaient le sénat, les magistrats et les pontifes ; le peuple en toges blanches et les collèges, ou corporations, précédés de leurs bannières ; l’armée avec ses enseignes ; les cataphractaires aux pesantes armures et les soldats couverts de leurs décorations militaires ; enfin huit cents couples de gladiateurs destinés aux jeux, suivis de la foule des captifs de toutes les nations limitrophes de l’empire, les uns enchaînés, les autres portant les dépouilles conquises, et, parmi eux, des femmes de race gothique qui avaient été prises combattant au milieu de leurs pères et de leurs époux. Mais tous les regards étaient pour Tetricus et son fils, qui marchaient vêtus d’une chlamyde écarlate et portant les braies gauloises pour qu’on reconnût bien les empereurs de la Gaule. Zénobie les suivait chargée de pierreries, une chaîne d’or aux pieds, une autre aux mains, une troisième au cou ; et, suprême dérision, c’était un bouffon persan qui soutenait ces chaînes dont le poids l’accablait, pour rappeler à la reine déchue en quel vain espoir elle s’était confiée. Aurélien jouissait brutalement de sa victoire. Du moins, plus clément que Marius et que César, il ne fit point, lorsqu’il monta au Capitole, le signe fatal qui eût été l’ordre de conduire les captifs au Tullianum, où Jugurtha avait précédé Vercingétorix[90].

La fête terminée, il rendit à Tetricus ses honneurs, lui donna un palais sur le mont Cælius et le nomma correcteur de la Lucanie[91], en lui disant que mieux valait gouverner une province italienne que de régner au delà des Alpes, ce à quoi l’ancien auguste ne contredisait pas. Il l’appelait souvent son collègue, quelquefois son compagnon d’armes, même imperator, et ces distinctions autorisèrent le sénat à placer Tetricus, après la mort d’Aurélien, parmi les divi[92]. Vercingétorix avait autrement fini ; mais il avait autrement vécu.

A Zénobie, Aurélien donna aussi une villa près de Tibur, au voisinage de celle d’Hadrien. Elle y vécut comme une grande dame romaine ; ses filles entrèrent dans les plus illustres maisons, et, deux cents ans plus tard, de nobles personnages se disaient descendants de la reine de Palmyre ; parmi eux l’on compte un contemporain de saint Ambroise, saint Zénobe, évêque de Florence[93].

Le triomphe avait été la fête du prince, le peuple eut ensuite les siennes : représentations scéniques, jeux du cirque, grandes chasses, naumachies, combats de gladiateurs et distributions gratuites. Aurélien décida que, à l’avenir, les citoyens recevraient chaque jour un pain de fleur de farine et de la viande de porc. Toutes les distributions furent augmentées d’une once, c’est-à-dire d’un douzième. Il voulait même acheter dans l’Étrurie des terres qu’il aurait fait planter de vignes, afin de donner chaque jour au peuple une mesure de vin, comme on lui donnait une mesure d’huile. Un conseiller, plus sage que l’empereur, combattit ce projet. Après cela, dit le préfet du prétoire, il ne nous restera qu’il leur donner aussi des poulets et des oies. Aurélien céda, mais fit vendre par le fisc du vin à prix réduit, ce qui était d’une économie politique presque aussi mauvaise. Après la nourriture, le vêtement : il distribua des tuniques de lin d’Afrique et des bandes d’étoffes pour qu’aux jeux ils pussent marquer, en les agitant, leur faveur aux héros du cirque[94].

Il faut remarquer encore, au sujet de ces gratifications, qu’elles n’étaient pas un acte de basse adulation pour captiver le populaire. La force d’Aurélien était aux armées, elle n’était pas à Rome, et, malgré ses libéralités aux Romains, il s’inquiétait peu de leur bon ou de leur mauvais vouloir. On a vu, dans tout le cours de cette histoire, que la plèbe n’exerça sous l’empire aucune action politique, et Aurélien ne faisait que continuer, en le développant, un usage républicain. Après la conquête de la Macédoine, le sénat avait supprimé l’impôt foncier ; après la reconstitution de l’empire, Aurélien augmentait les rations de vivres. C’était, sous deux formes différentes, le même avantage pour les citoyens, seulement la première mesure avait été surtout favorable aux riches, et la seconde l’était aux pauvres. Puisqu’on gardait la fiction que les citoyens habitant la capitale représentaient le vieux peuple romain, et qu’on ne pouvait ; comme aux premiers jours de la république, leur donner des terres par une loi agraire, ou leur donnait l’équivalent en vivres, et, dans la réalité, on leur donnait moins.

A Émèse, Aurélien avait retrouvé le dieu de sa mère, et il lui avait attribué sa victoire. Les extravagances d’Élagabal n’avaient pas discrédité cette divinité ; elle était en grand honneur, et c’était naturel : les païens penchant de plus en plus vers la croyance il l’unité divine, le soleil, qui répand la lumière, la chaleur et la vie au sein de la nature entière, leur semblait l’auteur de tous ces biens[95]. Aurélien lui avait offert dans Émèse de pompeux sacrifices ; à Rome, il créa en son honneur un nouveau sacerdoce[96] ; il lui bâtit un temple, qui passa, aux yeux des contemporains, pour le plus magnifique de Rome, et il l’était surtout par les richesses qui y furent déposées : une grande quantité de pierres précieuses et 15.000 livres pesant d’or. Par crainte de la jalousie des autres dieux, Aurélien fit des dons dans chacun de leurs temples.

Tant de prodigalités, sans parler de l’argent donné au peuple et aux soldats, ni de la dépense pour les fortifications de Rome, pour le curage du Tibre, pour les quais, qu’il éleva sur certains points, le long du fleuve, pour la construction de thermes sur sa rive droite, pour celle d’un forum à Ostie, pour l’augmentation de la flottille qui apportait à Rome le blé des provinces frumentaires, forcent d’admettre que les guerres heureuses qu’il avait conduites avaient mis de grandes ressources dans ses mains. Les historiens ne citent que le pillage de Palmyre ; mais Alexandrie a dû fournir un riche butin ; Antioche, Ancyre, Tyane, les villes de Syrie, alors si prospères, de grosses rançons ; et la Gaule a certainement payé, comme l’Égypte, sa rentrée dans l’empire, par un accroissement d’impôt.

L’économie d’Aurélien lui procura d’autres ressources. Il vivait simplement et voilait qu’autour de lui on vécût de même. Il obligea ses esclaves à garder la tenue modeste qu’ils avaient avant son avènement, et l’impératrice à veiller aux soins du palais ; il lui refusa un manteau de soie, parce qu’une livre de soie se vendait alors une livre d’or, et il faisait à ses amis des cadeaux qui leur donnaient l’aisance, mais ne leur donnaient pas la fortune, afin que l’envie n’eût pas de prise contre eux[97]. Lui-même n’eut jamais un vase d’argent qui pesât plus de 50 livres ; les dieux héritèrent des présents qu’on lui fit : toutes les magnificences étalées à son triomphe furent portées dans les temples, comme aux anciens jours de la vertu républicaine, afin de servir de ressources en cas de péril extrême.

Les règlements somptuaires étaient une maladie romaine ; il en fit beaucoup[98]. Ainsi, pour parer à la pénurie des métaux précieux, il interdit l’emploi de l’or sur les meubles et les vêtements. Son biographe va jusqu’à prétendre qu’il renouvela le sénat de femmes auquel Élagabal avait donné la charge de régler la toilette des matrones : puérilité que ce soldat aurait dû laisser au Syrien efféminé. Mais il déployait une grande pompe dans les solennités, où il se montrait avec une couronne sur la tête et les vêtements couverts d’or et de pierreries. Ce faste oriental était le goût du jour, et cette mode se retrouve jusque dans les œuvres d’art dont elle marque la décadence ; Dioclétien la portera bien plus loin encore. Ces deux princes croyaient qu’ils seraient plus respectés si un cérémonial imposant marquait davantage aux yeux la distance du sujet au prince.

Ce faste, souvent regardé comme nécessaire, et qui l’est dans un certain état social, n’a jamais protégé que ceux qui se protégeaient eux-mêmes par leur valeur personnelle, ou que la foi des peuples enveloppait d’une garde invisible et sûre. A ce compte, Aurélien aurait pu s’en passer, puisqu’il avait pour lui le peuple et les soldats ; mails un prince absolu n’est jamais l’abri d’une conspiration, et il allait s’en former une dans son entourage.

La fête magnifique qu’il venait de donner aux Romains précéda seulement de quelques mois sa mort.

Il employa ce temps à consolider l’œuvre de restauration qu’il avait si énergiquement poursuivie durant cinq années. Une sédition en Gaule le ramena dans ce pays[99]. On ignore ce qu’il y fit. Il est question d’un succès de Probus sur les Francs, vers les bouches du Rhin, et d’une victoire gagnée sur les Alamans, près de Vindonissa (Windisch), par Constance Chlore, le jour même où naissait son fils Constantin. Des traditions postérieures lui attribuent la reconstruction de Dijon et celle de Genabum, qui aurait pris son nom, Civitas Aurelianorum. C’étaient deux importantes positions pour le commerce et la guerre : à Orléans, le centre géographique de la Gaule, aboutissaient les principales voies militaires du pays, et Dijon était la grande étape entre la vallée du Rhône et celle de la Seine. Fréjus et la province Viennoise lui durent peut-être aussi quelque faveur ; des inscriptions qu’on y a trouvées célèbrent le restaurateur de l’univers.

Aurélien revit sans doute les bords du Rhin, théâtre de ses premiers succès ; puis il visita ceux du haut Danube, car on le trouve ensuite dans la Vindélicie et l’Illyricum. Il voulait s’assurer de l’état de cette frontière naguère si troublée et où il était bon de montrer de temps à autre la pompe impériale, surtout lorsque c’était un victorieux qui la conduisait. Aurélien se proposait de faire davantage et d’aller, jusque dans Ctésiphon, venger sur les alliés de Zénobie les injures de l’empire. Une conspiration l’arrêta avant qu’il eût, atteint Byzance.

Les auteurs ecclésiastiques prétendent que la justice divine prévint ses mauvais desseins contre l’Église[100]. Sa conduite dans l’affaire de Paul de Samosate, la paix dont les chrétiens jouirent sous son Revers d’une monnaie règne, ne donnent pas lieu de penser qu’il songeât à une persécution, et, pour expliquer sa fun, il n’est pas besoin d’user du moyen avec lequel, dans tous les temps, on a expliqué les catastrophes soudaines. A l’exemple de Septime Sévère, qu’il semble avoir pris pour modèle, il maintenait la discipline dans l’administration comme dans l’armée ; il surveillait les agents impériaux dans les provinces et punissait rigoureusement les concussionnaires, jusqu’à les faire mettre en croix. Ayant pris en faute un de ses secrétaires, Mnesthée, il le menaça d’un châtiment. L’affranchi savait que le prince ne parlait jamais en vain. Il contrefit l’écriture de l’empereur, dressa une liste de personnes connues pour n’être point dans la faveur d’Aurélien, se plaça lui-même sur cette liste, pour qu’on y donnât créance, et la communiqua à ceux qui s’y trouvaient inscrits, comme un ordre de mort qu’il avait surpris et arrêté. Pour prévenir le supplice auquel ils se croyaient réservés, les prétendus condamnés assassinèrent l’empereur (en janvier ou mars 275). Il n’était âgé que de soixante et un ans et en avait régné cinq.

Il y eut, sous ce règne, une sédition d’un caractère particulier. On a vu combien, en ce temps-là, les monnaies d’or et d’argent avaient été altérées. Le chef des monétaires de Rome, Felicissimus, avait voulu entrer en partage des profits que les princes croyaient faire par cette détestable opération. On lui donnait bien peu d’or et d’argent pour les pièces qu’il avait à frapper ; il en mettait moins encore, et il avait sans doute associé, pour une part dans les bénéfices, ceux qui étaient chargés de la fabrication. Autrement on ne comprendrait pas comment une sédition éclata quand Aurélien voulut faire cesser l’abus[101]. Cette révolte fut terrible : les industriels intéressés au commerce des métaux précieux, les argentiers, orfèvres, banquiers et tous les manieurs d’argent menacés de réformes qui changeaient apparemment les conditions du marché, auront fait cause commune avec les monétaires, et le peuple, comme toujours, s’y mêla, par haine des gardes de police. Une vraie bataille se livra dans Rome, sur le mont Cælius ; sept mille soldats y périrent, ce qui suppose un grand carnage des rebelles.

Nous connaissons fort mal cette affaire[102]. Le sénat y fut-il mêlé ? Peut-être : car les anciens mentionnent l’exécution de plusieurs de ses membres sans nous en dire les motifs, et il perdit ce jour-là le droit, qu’il exerçait depuis Auguste, d’émettre la monnaie de bronze. Du moins n’en trouve-t-on plus, après Aurélien, portant les lettres S. C. : preuve que les ateliers sénatoriaux furent réunis, depuis cette année 274, à ceux du prince[103]. Le biographe d’Aurélien ajoute que l’empereur fit ensuite frapper de la meilleure monnaie et retira la fausse de la circulation. Aurélien n’eut pas le temps de mener à bonne fin cette double opération, que Tacite reprit[104] et qui devint une des préoccupations de leurs successeurs, nais ne s’acheva que sous Dioclétien et Constantin.

Ces mesures prouvent la résolution d’Aurélien de mettre l’ordre en tout. Le même esprit de gouvernement se retrouve en d’autres actes. Il fit brûler sur le forum de Trajan, comme Hadrien l’avait déjà fait, les registres contenant les comptes des débiteurs de l’État : mauvaises créances, pour la plupart irrécouvrables, mais qui faisaient peser sur bon nombre de particuliers la crainte perpétuelle d’une exécution judiciaire. Les délations pour infractions aux lois fiscales furent abolies. Les quadruplateurs, toujours si nombreux à Rome, ne disparurent pas du coup, mais leur industrie détestable cessa d’être encouragée. Il ne se peut pas que, pour remplir son trésor, l’auteur de ces mesures ait fait tuer des sénateurs coupables seulement d’être riches.

Cependant on accuse Aurélien de cruauté, et, au quatrième siècle, ce reproche pesait déjà sur sa mémoire. Assurément il n’était point doux ; mais de pareils temps ne comportaient pas la douceur, et, dans le prince chargé de la tranquillité d’un empire, l’indulgence à l’égard des coupables est une trahison envers les innocents. Pour confirmer le reproche qu’on lui fait, il faudrait connaître les noms et le nombre de ses victimes, les motifs ou les prétextes de leur condamnation ; car nous avons appris, dans le cours de cette histoire, par plus d’un exemple, combien il reste peu de chose de ces accusations vagues, souvent même contradictoires, quand on les examine de près. Vopiscus, qui avait conversé avec des contemporains de l’empereur dont il écrivait la vie, n’ose rien affirmer. On dit, raconte-t-il, que, pour se débarrasser de plusieurs sénateurs, il leur imputa des projets de révolte ; mais, d’après Jean d’Antioche et Suidas, de nobles personnages furent condamnés sur les révélations de Zénobie, ce qui donne à penser que, durant la guerre d’Orient, il s’était formé à Rome des complots, comme on en avait vu au temps de Sévère, durant la guerre de Gaule[105]. Un fait justifiera nos hésitations. Il est certain qu’une catastrophe eut lieu dans la famille impériale, dont un membre fut mis à mort. Quel était-il ? Ceux-ci disent la nièce, ceux-là le neveu du prince, et plusieurs soutiennent que l’un et l’autre périrent. Suivant une quatrième version, la condamnée aurait été la bru d’Aurélien[106]. Si ce dernier récit était le vrai, il en faudrait conclure que, par cette exécution, Aurélien voulut effacer quelque tache faite à l’honneur de sa maison. Dans tous les cas, ce fut une tragédie domestique dont les motifs durent être sérieux, Aurélien n’étant point de ces fous qui ensanglantent leurs pénates pour un caprice.

Titus n’est pas pour nous l’idéal du prince ; aussi ne reprocherons-nous pas à Aurélien d’avoir frappé des prévaricateurs, comme les complices de Felicissimus, ou des fauteurs de révolutions, comme ceux qui avaient noué sans doute des intrigues avec la reine de Palmyre. Nous l’approuverons d’avoir livré ses affranchis et ses esclaves au juge ordinaire, quand ils étaient coupables, parce que la domesticité impériale avait toujours besoin d’être sévèrement tenue, pour ne pas abuser des nombreux moyens de nuire dont elle disposait ; et nous nous en tiendrons au jugement de l’empereur Julien, qui n’était pourtant pas favorable à un prince dont la gloire éclipsait celle de Claude, le chef de sa maison. Dans les Césars, lorsque Aurélien paraît devant l’aréopage olympique pour y être jugé, le Soleil prend sa défense : L’accusé, dit-il aux dieux, est quitte avec la Justice, ou vous avez oublié mon oracle de Delphes :

On doit souffrir les maux que l’on a fait souffrir[107].

Ce jugement semble même trop sévère ; car, à côté du droit rigoureux, Aurélien plaça souvent la clémence pour les égarés. On l’a vu accorder grâce entière aux habitants d’Antioche et aux Palmyréens après le premier siège ; arrêter les massacres après le second ; et à Alexandrie, laisser sortir du Bruchium une partie de ceux qui y étaient assiégés, bien que leur départ dût permettre de prolonger la résistance. Sa conduite à l’égard de Tetricus, de Zénobie et d’Antiochus[108] tranche avec celle de ses prédécesseurs, et il renia bien plus encore les coutumes romaines lorsqu’il proclama une amnistie pour les délits politiques[109]. C’était achever dignement la restauration de l’empire que d’effacer les traces de vingt années de guerres civiles, durant lesquelles il y avait eu, cette fois, bien plus de malheureux que de criminels.

 

 

 

 



[1] Marcus Aurelius Claudius. Trébellius Pollion (in Claudio, ?) lui donne le gentilicium de Flavius qui passa à toute sa descendance. Était-il du complot ? Zosime et Zonare le disent, et je n’en doute pas, quoi que prétende Julien, son parent. Il avait deux frères, Quintillus, dont il sera question plus loin, et Crispus, dont la fille Claudia, mariée à Eutropius, eut pour fils Constance Chlore.

[2] Salarii quantum habet Ægypti præfectura, tantum vestium quantum proconsulatui Africano detulimus, tantum argenti quantum accipit curator Illyrici (Trébellius Pollion, Claude, 15).

[3] Ces présents que l’empereur énumère dans sa lettre étaient : Deux coupes de 3 livres, ornées de pierreries ; deux tasses d’or de 3 livres, enrichies de pierres fines ; un bassin d’argent ciselé, de 20 livres ; un plat d’argent travaillé en feuilles de pampre, de 50 livres ; un autre grand plat d’argent ciselé en feuilles de lierre, de 25 livres ; un bassin d’argent du poids de 20 livres et sur lequel est gravé le tableau d’une pêche ; deux cruches d’argent de 6 livres et incrustées d’or, de petits vases d’argent pesant ensemble 25 livres ; dix coupes d’Égypte, diversement travaillées ; deux chlamydes d’une couleur éclatante et bordées de pourpre ; seize vêtements de toute sorte ; une tunique blanche de demi-soie ; un vêtement de lin avec bandes de soie brodées d’or, du poids de 3 onces ; trois paires de nos brodequins de peau de Perse ; dix ceintures dalmatiques ; une chlamyde dardanienne en forme de manteau ; un manteau d’Illyrie contre la pluie ; un surtout avec capuchon ; deux capuchons fourrés ; quatre morceaux d’étoffe phénicienne ; 150 valériens d’or, 500 trientes saloniniens.

[4] .... patronoque fisci in curiam perducto effossos oculos pependisse satis constat (Aurelius Victor, de Cæsaribus, 33).

[5] Trébellius Pollion, Claude, 4.

[6] Il prit cependant contre l’empereur des Gaules quelques précautions pour lui fermer l’Italie et menacer ses provinces. Une inscription récemment découverte à Grenoble donne à Claude le titre de Germanicus Maximus, qu’il prit à la suite de sa victoire sur les Alamans, et révèle un fait inconnu des historiens, la préparation d’une campagne contre Tetricus. Cette inscription était gravée sur la base d’une statue élevée à Claude par un corps d’armée cantonné dans la Narbonnaise, où se trouvaient des protectores (garde impériale) et que commandait le perfectissime, Jules Placidianus, préfet des vigiles. (L. Renier, aux Comptes rendus de l’Acad. des inscr. et belles-lettres, 18 juillet 1879.)

[7] Ammien Marcellin (XVII, 0) dit des Juthunges : Alamannorum pars.

[8] Zosime (I, 42) dit six mille.

[9] C’est le chiffre donné par Claude dans sa lettre au sénat.

[10] Les Barbares se faisaient habituellement suivre de leurs troupeaux pour assurer leur subsistance. On lit dans l’Histoire Auguste (Aurélien, 10) que, sous Valérien, par conséquent avant la grande invasion, Aurélien avait enlevé, à quelques bandes qui couraient la Thrace, assez de bœufs et de chevaux pour en garnir cette province, et qu’il avait pu envoyer encore dans une seule des villas de l’empereur, deux mille vaches, mille juments, dix mille moutons, quinze mille chèvres. C’était le butin le plus sûr à faire sur les Barbares. Aussi Trébellius Pollion (Claude, 9) s’écrie après la grande victoire de Claude : Quid boum barbarorum nostri videre majores, quid ovium, quid equarum ?

[11] Cet usage était si connu des Romains, qu’ils tirent, pour l’exprimer, un mot nouveau .... facta carragine (Trébellius Pollion, Gallien, 15, et Ammien Marcellin, XXXI, 7). Les Goths avant la bataille d’Andrinople, Attila après la bataille de Chalons, s’enfermèrent dans une enceinte de chariots, et les Américains font encore de même sur le territoire indien.

[12] Quel qu’ait été le nombre des navires, la flotte ne put porter l’armée entière, et l’histoire de celte invasion serait incompréhensible si l’on n’admettait pas qu’il y eut à la fois une armée de terre et une armée de mer.

[13] Trébellius Pollion, Claude, 7.

[14] Pour conserver le souvenir de la courageuse résistance de Thessalonique, on frappa une médaille de bronze en l’honneur du dieu Cabirus, DEO CABIRO, la divinité protectrice de la ville, qui lui était venue sans doute de Samothrace, le sanctuaire des Cabires. (Cf. Eckhel, t. VII, p. 472.)

[15] On a des médailles de Claude de cette année qui le représentent capite radiato. (Cf. Eckhel, t. VII, p. 471.)

[16] Epistola ad Jun. Brocchum Illyricum tuentem (Trébellius Pollion, Claude, 8).

[17] Zonare, XII, 26.

[18] Trébellius Pollion (Claude, 8-9) :.... impletæ barbarie servis Romanæ provinciæ ; factus colonus ex Cotho, nec ulla fuit regio quæ Gothum servum non haberet. Il parle aussi d’immenses troupeaux de bœufs et de moutons et equarum quas farna nobilitat Celticarum. (Cf. Zosime, I, 46.)

[19] .... pulsi per tonga sæcula siluerunt immobiles (Ammien Marcellin, XXXI, 5).

[20] Panegyr. Constantini, 2.

[21] C’est le récit de Zonare ; Zosime ne fait arriver Aurélien à l’empire qu’après la mort de Quintilius.

[22] C’est le compte de Zosime. Le nombre de monnaies de Quintillus que l’on possède (Eckhel, t. VII, p. 478 ; Cohen, t. V, p. 912-i 20) force d’adopter la seconde opinion, qui cadre mieux d’ailleurs avec les premiers faits du règne d’Aurélien.

[23] L. Domitius Aurelianus.

[24] Vopiscus (Aurélien, 1) dit sanctus, avec le sens ancien du mot.

[25] Ephemeridas.... libris linteis (Aurélien, 1). On a placé la scène racontée dans ce passage vers 291, ou seize années seulement après la mort d’Aurélien. Junius Tiberianus gérait, en effet, en cette année, son second consulat, mais non la préfecture de la ville. Plusieurs passages des chapitres XLII, XLIII prouvent que Vopiscus écrivit son livre après l’avènement de Constance Chlore (305). Le père de Vopiscus avait été parmi les familiers de Dioclétien, et l’on vient de voir que le fils était le commensal du préfet de la ville. Ces relations, dans la plus haute société de Rome, le mirent à même de profiter des souvenirs d’anciens compagnons d’armes d’Aurélien ; mais son peu de mérite montre que cette société n’était pas maintenant très exigeante pour les dons de l’esprit.

[26] Ce fait explique certaines médailles de Quintillus.

[27] Malalas (XII, p. 301) le fait mourir à soixante et un ans et, par conséquent, naître en 214 ; Tillemont et Wietersheim placent sa naissance en 212. La Chronique d’Alexandrie lui donne soixante-quinze ans à sa mort, mais les faits de son règne, ses médailles et d’autres considérations ne permettent pas de lui attribuer ce grand âge.

[28] Colonus, dit l’auteur de l’Épitomé, 35.

[29] Vopiscus parle, d’après des documents qu’il donne pour officiels, d’une adoption réelle ; cependant, comme Aurélien ne prit pas le nom d’Ulpius Crinitus, ce qui était contraire à l’usage, il serait permis de révoquer en doute cet acte. D’autre part, les inscriptions (Orelli, n°’ 9032 et 5552) et les monnaies (Eckhel, t. VII, p. 487) lui donnent pour femme Ulpia Severina ; si cette Ulpia était fille de Crinitus, ce mariage aurait assuré à Aurélien les mêmes avantages que l’adoption, tandis que, fils adoptif d’Ulpius Crinitus, il n’aurait pu épouser celle qui était devenue sa sœur. Mais beaucoup des anciennes prescriptions étaient tombées en désuétude ; il se peut donc que l’adoption et le mariage aient eu lieu.

[30] Je traduis par un équivalent qui est un souvenir du moyen âge, le latin dit : manu ad ferrum (Aurélien, 6), Aurelianus le fer en main.

[31] Mulum centuriatum, le mulet d’ordonnance.

[32] Il y a de l’incertitude sur l’ordre des événements dans ces premiers mois du règne d’Aurélien. Je me suis arrêté au récit qui m’a paru concilier le mieux les diverses données.

[33] Dexippos, Fragm. hist. Græc., III, p. 682 ; Pierre le Patrice, Excerpta de legationibus, p. 126.

[34] Cinq cents, qui s’étaient écartés pour piller, furent massacrés par le commandant des auxiliaires, et le roi des Vandales fit tuer leur chef à coups de flèches. (Dexippos, Fragm. hist. Græc., p. 686.)

[35] Entre la haute et la basse Mœsie. On l’appela d’abord Dacia Aureliani (Vopiscus, Aurélien, 59) ; elle fut ensuite divisée en Dacia Ripensis, capitale Ratiaria (Arzar Palanka), et Dacia Mediterranea, capitale Surdica (Triaditza). Dexippos ne parle pas, du moins dans les fragments qui nous restent, de l’abandon de la Dacie, et le récit d’Eutrope (IX, 15) ne permet de fixer aucune, date pour cet événement, qui se place naturellement après le double traité fait avec les Juthunges et les Vandales.

[36] Dexippos (Fragm. hist. Græc., t. III, p. 685).

[37] Je ne puis accepter l’opinion de Rœsler (Dacier unit Romœnen, Wien, 1866), qui fait revenir les Valaques dans la Dacie au commencement du treizième siècle, pas plus que celle qui soutient que parmi ces millions d’hommes qui parlent une langue dont le fond est le latin, il ne se trouve point de nombreux descendants des colons de Trajan.

[38] Les oracles sibyllins passaient pour être inspirés par Apollon.

[39] Vopiscus, Aurélien, 19.

[40] In certis lotis sacrificia ferent quæ barbari transire non possent (Vopiscus, Aurélien, 18).

[41] .... cujuslibet gentis coptos (Aurélien, 20).

[42] Orelli, n° 1031 et 1535.

[43] Romam petit vindictæ cupidus, quam seditionum asperitas suggerebat (Vopiscus, Aurélien, 18 et 21 ; cf. Ammien Marcellin, XXX, 8).

[44] Zosime (I, 49) parle de conspirations et de conspirateurs justement punis, parmi lesquels il nomme trois sénateurs.

[45] Aussi Zosime peut-il dire (I, 49) de la Rome de ce temps-là qu’elle était άτείχιστος.

[46] Je suis la correction de Pisle (delle Mura Aureliane), qui, dans le texte de Vopiscus (Aurélien, 59), quinquaginta prope millia, sous-entend pedum et non passuum ; 50.000 pieds romains font environ 11 milles ou 16 kilomètres.

[47] Eckhel (t. VII, p. 456) pense même que la négociation dont il sera question plus loin avait commencé sous Claude. On a des médailles où Claude et Tetricus sont représentés au revers l’un de l’autre. (De Boze, Mém. de l’Acad. des inscr., t. XXVI, p. 515.)

[48] La date de la mort d’Odenath est déterminée par les monnaies alexandrines ; elle se place entre le 29 août 266 et le 28 août 267. (Waddington, Inscr. de Syrie, p. 602.)

[49] Zonare, XII, 24.

[50] M. de Vogüé (Inscr. sémitiques, p. 29) traduit le nom sémitique de Zénobie, Batzebinah, par mercatoris filia. Mais on peut dire aussi que Zénobie est un nom grec que la reine prit à cause de quelque parenté avec les Zenobios, très nombreux à Palmyre, et pour plaire à ses sujets grecs.

[51] Trébellius Pollion, Tyr. trig., 20.

[52] Trébellius Pollion, Tyr. trig., 50. Cet auteur ajoute que Zénobie avait lu en grec une histoire romaine, sans doute celle de Dion Cassius, et qu’elle avait composé un résumé de l’histoire d’Alexandre et de l’Orient.

[53] Trébellius Pollion, Tyr. trig., 14, 15.

[54] La légende latine des monnaies de Waballath est V. C. R. I. D. R., que M. de Sallet lit vir consularis, rex, imperator, dux Romanorum. A Palmyre, il portait en effet le titre de roi, et une inscription grecque trouvée dans la basse Égypte l’appelle Βασιλεύς, roi. Dans la cinquième année de son règne (29 août 270-28 août 271), il prit le titre d’auguste.

[55] La grande déesse de Byblos était considérée comme supérieure en puissance aux dieux masculins, par exemple à son père et à ses frères. (Halévy, Inscr. de Byblos, mémoire lu à l’Académie des inscriptions, le 3 mai 1878.)

[56] Trébellius Pollion, Tyr. trig., 30. Je dis peut-être, car Cléopâtre eut le moyen de se donner la mort, et Zénobie, très surveillée, ne doit pas l’avoir eu. Voyez plus loin.

[57] Trébellius Pollion, Tyr. trig., 50.

[58] Ou Probatus (Trébellius Pollion, Claude, 11).

[59] .... pugnavit.... temere ut pæne caperetur (Vopiscus, Probus, 9). Zonare dit même qu’il fut pris.... Ζηνοβίαν.... Πρόβον έλοΰσαν (XII, 27). Suivant M. de Sallet (die Fürsten von Palmyra, p. 41), Probus aurait été un usurpateur qui aurait essayé de s’emparer de l’Égypte pendant que Claude combattait les Goths ; Zénobie l’avait renversé, après quoi les Égyptiens avaient reconnu l’autorité de l’imperator Romanus, c’est-à-dire Waballath jurant fidélité à l’auguste romain, Claude. Nous avons suivi, pour ce personnage, le récit de Zosime, qui semble bien connaître les affaires des Palmyréens. (V. Waddington, Inscr. de Syrie, 595.)

[60] Eckhel, t. VII, p. 496. Tant que Zénobie administra l’Égypte au nom de Claude, le nom de ce prince parut seul sur les monnaies d’Alexandrie ; à la mort de Claude, elle fit frapper dans cette ville des monnaies portant l’image d’Aurélien avec le titre d’auguste et celle de Waballath, et d’autres avec la seule tète d’Aurélien. Après la rupture, en 271-272, la tête d’Aurélien disparaît des monnaies alexandrines, et le non de Waballath est suivi du titre de σιβαστός, augustus. (De Vogüé, op. cit., p. 32.)

[61] Voyez, plus loin, l’amnistie qu’il accorda.

[62] Le Taurus ou Bulghar-Dafh a, de ce côté, des cimes qui montent à 3.500 mètres, mais la passe n’en a que 966. De là Aurélien a dû gagner, par Adana et Mopsueste, la route qui franchit un contre-fort de l’Amanus (Pyles Amanides), puis contourner le golfe d’Alexandrette jusqu’au point où l’Amanus, qui court parallèlement à la côte, à une hauteur d’environ 2.000 mètres, ne laisse plus entre lui et la mer que deux défilés fameux, appelés Portes de Cilicie et Portes de Syrie, à 800 et 900 mètres d’altitude. (Voyez, au Bulletin de la Soc. de Géogr., janv. 1878, la carte de MM. Favre et Mandrot.)

[63] .... brevi apud Dafnem certamine (Vopiscus, Aurelius, 25) ; Zosime (I, 51) la fait plus sérieuse ; mais ce ne fut qu’un combat de cavalerie et une affaire d’avant-garde.

[64] Procurator ducenarius.

[65] Tout en admettant qu’il était né miraculeusement d’une vierge, έx παρθένον. (S. Athanase, Contre Apollin., I, 3.)

[66] Eusèbe, Hist. ecclés., VII, 27 et 29. La lettre synodale a été citée par Eusèbe. Il s’y trouve, selon l’habitude. beaucoup de récriminations -raies ou fausses contre Paul au sujet de sa moralité. Hefele (Conciliengeschichte, t. I, 109-117) compte trois synodes d’Antioche pour cette affaire, mais il n’a pu trouver la date du second, dont nous ne parlons pas.

[67] Voyez dans Zosime (I, 57-8) les nombreux oracles qu’on fit parler dans tous les sanctuaires de la Syrie.

[68] Sans doute du bitume dont les régions voisines abondent.

[69] Vopiscus, Aurélien, 26.

[70] Vopiscus, Aurélien, 27.

[71] Malcolm, History of Persia, t. I, p. 900.

[72] Vopiscus, Aurélien, 31. Cf. Zosime, I, 60-61.

[73] Celui qui portait l’enseigne figurant une tête de dragon, terminée par une banderole rouge qui, lorsque le vent l’agitait, imitait les replis tortueux de la queue du serpent. Cf. Trébellius Pollion, Gallien, 8, et Ammien Marcellin, XVI, 12 : .... purpureum signum draconis summitati hastæ longioris aptatum. On dirait un drapeau chinois.

[74] Vopiscus, Aurélien, 31.

[75] L’Aïn Ournus, qu’on voit près de Palmyre. On a supposé que Ournus est l’abréviation altérée d’Aurelianus. (Récit de Fatalla Sayeghri retrouvé par Lamartine, Voyage en Orient, II, 382.)

[76] L’Histoire Auguste ne le dit pas, mais le récit de Vopiscus est très confus. Je donne le vraisemblable, non le certain. Quelques mots de la lettre d’Aurélien au sénat et au peuple de Rome après la défaite de Firmus feraient penser que la soumission de l’Égypte avait été précédée de celle des Gaules, .... pacato toto orbe terrarum (Vopiscus, Firmus, 5) ; mais les autres renseignements fournis par l’Histoire Auguste, par Zosime(I, 61), par les médailles et la suite des faits sont contraires à cette opinion. On a des monnaies de la cinquième année du règne de Tetricus, c’est-à-dire de l’année 272-3.

[77] Sur ce temple des Césars, construit sous Auguste, voyez Bulletin de corr. resp. hellén., 1878, p. 175.

[78] Ammien Marcellin, XXII, 16. Voyez la lettre écrite par Aurélien au sénat et au peuple romain après la chute de Firmus.

[79] Il avait laissé sortir du Bruchium les femmes, les vieillards et les enfants. Du moins Eusèbe (Hist. ecclés., VII, 32) raconte ce fait d’après Anatolios, témoin oculaire et qui fut plus tard évêque de Laodicée, mais sans nommer Aurélien, et, comme il fait aller ensuite Anatolios au concile d’Antioche, tenu contre Paul de Samosate, il faut peut-être placer l’événement sous Claude, quand Probus chassa les Palmyréens du Delta et d’Alexandrie.

[80] Vopiscus, Aurélien, 44.

[81] Vopiscus, Aurélien, 29.

[82] Voyez de Boze, Tetricus, dans les Mémoires de l’Acad. des Inscr., t. XXVI, p. 515 et suiv. De nombreuses médailles de ce prince portent les mots : ubertas, lætitia, felicitas publica, et des bornes milliaires prouvent qu’il fit réparer les chemins en Gaule pour faciliter le commerce.

[83] Certains récits la font tuer par Tetricus, ce qui est invraisemblable. Il lui fit de solennelles funérailles et lui décréta l’apothéose, consecratio.

[84] Eumène (Pan. vet., VII, 4 : Gratiarum actio Constantino et pro Restaur. scholis, 14) mêle à ces soldats des Bagaudes ou paysans insurgés, latrocinium Bagaudicæ rebellionis.

[85] Ausone, Parent., 4. Le poète met cette fuite de son aïeul sous Victorinus.

[86] Orelli, n° 1020.

[87] Eripe me his, invicte, malis (paroles de Palinure dans l’Énéide, VI, 265).

[88] Aurelius Victor, de Cæsaribus, 55.

[89] Orose (VII, 9) a compté, de Romulus à Vespasien, trois cent vingt triomphes, et Pitiscus (Lexic. Ant., s. v. Triumphus) en a trouvé trente seulement de Vespasien à Bélisaire, qui célébra le dernier.

[90] On a prétendu que l’arc de triomphe dont on voit des restes à Besançon fut élevé à l’occasion de cette fête.

[91] Trébellius Pollion (Tyr. trig., 23) dit : de toute l’Italie péninsulaire. Il est probable qu’il faut lire corrector Italiæ regionis Lucaniæ, comme pour Postumius Titianus, consul en 301, qui fut corrector Italiæ regionis Transpadanæ (C. I. L., VI, 1418, 1419). Borghesi (Œuvres, II, 416) croit qu’Aurélien forma des onze régions d’Auguste en Italie huit provinces que Dioclétien conserva.

[92] C’est du moins ce que semblent autoriser les monnaies de Tetricus portant le mot consecracio. (Cohen, V, 171.) Cf. de Boze, Hist. de Tetricus, dans les Mém de l’Acad. des inscr., t. XXVI, p. 521. Eckhel (t. VII, p. 457) combat cette opinion.

[93] Zosime ne parle que d’un fils de Zénobie, amené avec elle à Rome, sans dire lequel, et fait mourir noyés dans le Bosphore les autres captifs. On ne connaît pas la fin de Waballath. Eckhel (t. VII, p. 493) suppose qu’Aurélien lui donna une principauté en Syrie.

[94] .... quibus uteretur populus ad favorem (Vopiscus, Aurélien, 47). Auparavant c’était un pan de sa toge qu’on agitait en signe d’applaudissement. On revint certainement après Aurélien aux distributions de blé en grains. Théodoric donna encore 120.000 modii par an. Cf. Hirschfeld, p. 20-21.

[95] C’était déjà la croyance de Pline (Hist. nat., II, 4), qui cependant ne croyait pas à grand’chose.

[96] Vopiscus, Aurélien, 35.

[97] .... divitiarum invidiam patrimonii moderatione vitarent (Vopiscus, Aurélien, 45).

[98] Vopiscus, Aurélien, 45.46. Cf. Lampride, Héliogabale, 4. Il limita le nombre des eunuques, etc.

[99] Zonare, XII, 27.

[100] Eusèbe, Hist. ecclés., VII, 30, et Zonare, XII, 27. Au livre VIII, chap. IV, Eusèbe dit que, depuis Dèce et Valérien jusqu’aux dernières années de Dioclétien, le démon dormit, et Sulpice Sévère, qui a vécu eu Gaule, ne connaît pas la grande persécution qu’on y place sous Aurélien.

[101] .... monetæ opifices qui, quum, auctore Felicissimo rationali, nummariam notant corrosissent, pænæ metu bellum fecerant (Aurelius Victor, de Cæsaribus, 35). Cf. Vopiscus, Aurélien, 58. Le procurator monetæ, d’ordre équestre, commandait à toute une armée d’ouvriers. Sur celte organisation, voyez Mém. de l’Acad. des inscr., t. IX, p. 298 ; Fr. Lenormant, la Monnaie dans l’antiquité, I, 251, et Cuq, l’Examinator per Italiam, p. 36.

[102] La lettre d’Aurélien au peuple romain, après la défaite de Firmus, donne à penser que le sénat, les chevaliers, le peuple et les prétoriens ne vivaient pas en bonne intelligence, puisque l’empereur leur recommande à tous la concorde.

[103] Les triumvirs monetates disparurent en même temps ; le dernier connu, avec une date certaine, fut consul en 225. (Wilmanns, 1211.)

[104] Vopiscus, Tacite, 9. De cette tentative, il résulta un peu plus de régularité dans le monnayage. Les Antoniniani d’Aurélien, de Tacite et de Claude valent mieux que ceux de leurs prédécesseurs. Cf. Mommsen, Hist. de la monnaie rom., III, p. 96.

[105] On a vu ci-dessus que Zosime parle aussi de plusieurs complots, dont il admet l’existence.

[106] Suidas, s. v. Aurelianus. Autre embarras : Vopiscus ne donne qu’une fille à Aurélien.

[107] Vopiscus dit à peu prés la même chose (Aurélien, 37) : Aurelianus fuit princeps necessarius magis quam bonus.

[108] Antiochus était le césar palmyréen qu’il renvoya, dit Zosime, sans daigner le punir.

[109] Amnestia sub eo delictorum publicorum decreta est (Vopiscus, Aurélien, 39).