HISTOIRE DES ROMAINS

 

SEPTIÈME PÉRIODE — LES TRIUMVIRATS ET LA RÉVOLUTION (79-30)

CHAPITRE LVII — LA GUERRE CIVILE ET LA DICTATURE DE CÉSAR DEPUIS LA MORT DE POMPÉE JUSQU’À CELLE DE CATON (48-46).

 

 

I. — GUERRE D’ALEXANDRIE (OCT. 48 A JUIN 47), EXPÉDITION CONTRE PHARNACE.

César savait achever ses victoires. Laissant Cornificius en Illyrie pour veiller sur Caton et la flotte pompéienne, Calenus en Grèce pour en réduire les peuples, il partit avec deux légions qui formaient à peine une troupe de trois mille deux cents piétons et de huit cents cavaliers, et il suivit Pompée à la piste, afin de ne pas lui donner le temps de refaire une armée. D’après un récit peu vraisemblable, comme il traversait l’Hellespont sur une barque, il aurait rencontré Cassius à la tête de dix galères pompéiennes et lui aurait commandé de se rendre. Cassius, troublé, se serait soumis sans penser qu’il pouvait d’un coup finir la guerre[1]. Une chose plus certaine, c’est que l’Asie, horriblement foulée par Scipion, apprit avec joie quel maître lui donnait le sort des armes. Le vainqueur déchargea la province du tiers des impôts, lui permit de lever elle-même le tribut[2] et en changea le système : au régime désastreux des dîmes il substitua une redevance fixe[3] ; de sorte qu’il aie resta aux publicains que la levée de quelques impôts indirects de peu d’importance ; il comptait bien trouver et prendre en Égypte l’argent qu’il ne voulait pas demander à l’Asie épuisée.

Peu de jours après la mort de Pompée, il arriva devant Alexandrie, avec trente-cinq vaisseaux et quatre mille hommes. Quand Théodote lui présenta la tête de son rival, il détourna les yeux avec horreur, et ordonna qu’on ensevelit pieusement ces tristes restes dans une chapelle de Némésis qu’il fit bâtir aux portes de la ville. Les ministres du roi se sentirent blessés de ces honneurs rendus à leur victime, et voyant César si mal accompagné, ils oublièrent qu’ils avaient devant eux le maître du monde. Les soldats égyptiens, excités sous main, s’écriaient, quand passaient les licteurs, que leur présence était un attentat à la majesté royale. Chaque jour il y avait des émeutes où l’on tuait quelques légionnaires. Lorsque, pour payer ses troupes, le consul réclama une vieille dette de Ptolémée Aulète, montant à dix millions de sesterces, Pothin répondit dédaigneusement que César avait encore sur les bras de bien grandes affaires ; qu’il lui serait utile de partir au plus vite pour les terminer, et qu’à son retour il recevrait certainement, avec les bonnes grâces du roi, tout l’argent qui lui était dû. Ce langage était trop clair ; mais César ne pouvait ni ne voulait partir. Les anciens disaient que de novembre en mars la mer était fermée[4]. Les vents étésiens, ou vents du nord, qui soufflent avec violence dans l’Archipel, interrompaient la navigation d’Égypte en Grèce, et condamnaient le vainqueur de Pompée à rester dans Alexandrie[5]. Or il avait trop à cœur les intérêts de Rome pour ne pas utiliser son séjour forcé au bord du Nil en réglant les affaires égyptiennes selon les convenances de la république ; et l’intérêt de la république était que les assassins de Pompée, qui le prenaient de si haut avec César, cessassent d’être les maîtres de ce riche royaume, placé depuis longtemps dans la clientèle de Rome. Il manda secrètement à Cléopâtre de revenir. Elle partit avec le seul Apollodore, son confident, et arriva de nuit devant le palais. Comme elle ne pouvait en passer le seuil sans être reconnue, elle s’enveloppa dans un paquet de hardes qu’Apollodore lia avec une courroie, et qu’il porta chez César. Cette jeune femme, qui venait de lever une armée pour se faire elle-même justice et qui répondait si hardiment à son appel, lui parut être l’alliée dont il avait besoin. Au nom de Rome, qui avait revu la tutelle de cette race royale divisée, il força Dionysos à se réconcilier avec sa sœur[6]. Plutarque ne voit dans cette aventure qu’une affaire d’amour ; j’y vois aussi et surtout une affaire de politique. Les ministres comprirent bien vite que leur ruine était le gage de cette réconciliation. Pour la rompre, ils persuadèrent au jeune Ptolémée de s’échapper du palais et d’appeler le peuple à son secours. Les Romains ressaisirent le prince fugitif ; mais cette tentative d’évasion excita dans la ville un soulèvement que César essaya d’apaiser en lisant au peuple le testament du dernier roi, Aulète, et en déclarant qu’à titre de tuteur il ordonnait, conformément à cet acte, que Ptolémée et Cléopâtre régnassent ensemble[7]. L’insurrection n’eut pas de suite ; Pothin parut même se résigner, mais en secret il rappela Achillas, qui commandait à Péluse vingt mille hommes d’assez bonnes troupes, grâce aux cadres romains que Gabinus avait laissés en Égypte. César leur fit défendre par Ptolémée de commettre aucune violence, pour réponse, ils mirent à mort les envoyés ; quatre mille Romains eurent alors à tenir tête à vingt mille soldats exercés et à un peuple irrité de trois cent mille âmes. Ils occupèrent, au nord de la rue Canopique, une partie des quartiers du Bruchium, où se trouvaient le palais des rois et le théâtre ; puis ils fermèrent toutes les avenues, de manière à faire de cet ensemble de constructions solides une vaste forteresse où Achillas perdit bientôt l’espoir de les forcer. Pour couper leurs communications avec la mer, il attaqua, dans le port, la flotte royale dont César s’était emparé ; les Romains ne pouvant la sauver y mirent le feu, qui gagna l’arsenal et détruisit la fameuse bibliothèque des Ptolémées ; elle renfermait, disait-on, quatre cent mille volumes.

De l’intérieur du palais, Pothin entretenait d’actives communications avec les assiégeants ; César le fit tuer, et resserra plus étroitement Ptolémée. L’eunuque Ganymède, confident de Pothin, parvint cependant à s’échapper avec la plus jeune sœur du roi, Arsinoé ; il la conduisit au camp, où elle fat saluée du nom de reine. Ganymède, homme actif et intelligent, profita pour lui-même de la faveur des soldats ; il leur fit tuer Achillas, prit sa place, et crut avoir trouvé un infaillible moyen de détruire l’armée romaine en coupant les aqueducs qui fournissaient de l’eau à leur quartier et en faisant arriver, à l’aide de machines, l’eau de la mer dans leurs citernes. Mais ils creusèrent des puits[8], et attendirent patiemment les secours demandés par César au gouverneur de l’Asie, Domitius Calvinus.

C’était un habile homme, ferme et juste, qui, nommé à ce poste après Pharsale, avait déjà tout réorganisé. Il put envoyer au dictateur une légion par terre et une autre par mer, qui fut jetée par les vents à l’ouest d’Alexandrie. César, avec quelques vaisseaux, alla chercher la seconde, et au retour battit Ganymède qui lui barrait le passage. L’eunuque répara ses galères, en construisit d’autres, et s’obstina à vouloir fermer la nier pour affamer les Romains. En face de la ville s’étendait l’île de Pharos, qu’un môle joignait au rivage ; César l’attaqua et réussit à s’en emparer. Hais les Alexandrins continuèrent bravement leurs efforts pour détruire sa hotte, et il se trouva un jour si pressé qu’il n’échappa qu’en se jetant à la mer, où l’on veut qu’il ait tenu d’une main, au-dessus de l’eau, ses Commentaires, en nageant de l’autre. Encore une légende à supprimer César n’avait certainement pas emporté ses manuscrits pour un combat dans le port d’Alexandrie[9].

A la fin, cependant, il s’alarma de cette lutte qui lui faisait perdre un temps précieux et courir des dangers inutiles. Il rendit aux Alexandrins leur roi, dans l’espérance d’arriver à un accommodement ou de jeter la division parmi ses ennemis. Cette concession, prise comme un signe de faiblesse, ne fit que les animer davantage, et ils arrêtèrent encore un convoi qui arrivait de Cilicie. Heureusement Mithridate le Pergaméen, que l’on croyait fils du grand Mithridate et que César avait chargé de lever des troupes en Syrie, réunit dans cette province une armée qui se grossit en route de beaucoup de Juifs ; car ce peuple voyait dans le vainqueur de Pompée l’exécuteur des arrêts de Jéhovah contre celui qui avait violé le Saint des Saints. Le Pergaméen atteignit Péluse à la fin de janvier 47 ; la ville, quoique forte et bien gardée, fut enlevée par une vive attaque.

Il y a deux clefs de l’Égypte, dit l’auteur de la Guerre d’Alexandrie : l’une est au Phare, la porte de mer ; l’autre à Péluse, la porte de terre. César tenait l’une ; Mithridate venait de prendre l’autre, qui assurait ses communications ; il pouvait donc s’enfoncer sans crainte dans le pays. Il remonta la rive orientale de la branche pélusiaque, et dans une assez chaude affaire, dont le principal honneur resta au père d’Hérode, il jeta au fleuve une armée égyptienne qui voulait l’arrêter. Ce succès facilita le passage du Nil, qu’il opéra entre le sommet du Delta et Memphis. Beaucoup de Juifs habitaient cette ville. Des lettres du grand prêtre Hyrcan les avaient ralliés au parti de César ; ils fournirent à Mithridate des auxiliaires, des vivres et des renseignements. Tel était le nombre des circoncis dans cette armée que le lieu où se livra la bataille décisive en garda le nom de camp des Juifs[10].

En apprenant l’approche de l’armée de secours, César était sorti de sa forteresse alexandrine, et prenant à l’ouest, tandis que Ptolémée remontait avec sa flotte la branche canopique, il avait, bien que sa route fût plus longue, prévenu les Égyptiens, et fait sa jonction avec Mithridate. Le roi plaça son camp sur une colline de la chaîne Libyque qui vient mourir au Nil, vers Chom-Cherik, au lieu où Amasis, cinq siècles auparavant, avait conquis l’Égypte sur Apriès et où, sept siècles plus tard, Amrou la conquit sur les Alexandrins. Sa flotte, à l’ancre dans le fleuve et remplie d’archers et de frondeurs, pouvait couvrir de flèches et de balles de plomb l’étroit espace qui restait libre entre le Nil et le camp. Néanmoins les légionnaires, après avoir franchi de vive force un canal d’irrigation, se ruèrent sur le camp royal ; mais, pris entre les traits qui en partaient et ceux qui venaient de la flotte, ils se trouvèrent dans une situation dangereuse. Un mouvement tournant les dégagea ; des cohortes cheminèrent inaperçues sur les derrières du camp et l’assaillirent par les hauteurs. Il était mal gardé de ce côté, où les Égyptiens croyaient n’avoir rien à craindre, et fut pris. A la vue des enseignes romaines dans ses lignes, l’armée royale se précipita en désordre vers la flotte. Dans la bagarre, le roi se noya, et un riche butin récompensa les légionnaires de leur longue patience. L’Égypte accepta pour reine Cléopâtre, qui épousa le dernier de ses fières, Ptolémée Néotéros, tandis que sa sœur, Arsinoé, était envoyée captive à Rome[11].

Sorti glorieusement de cette rude épreuve, César demeura encore deux ou trois mois en Égypte. On lui reproche ce séjour : Cléopâtre, dit-on, l’enivrait de toutes les séductions de l’esprit et de la beauté ; molle et fastueuse comme une fille de l’Orient, vive et passionnée comme une enfant de l’Ionie, la voluptueuse sirène retenait le héros. — Si César aimait le plaisir, il aimait davantage sa gloire et sa fortune, qu’une passion sénile eût compromises[12]. Après onze ans passés sous latente,il avait droit, sans doute, à quelques jours de repos, mais le moment de se reposer n’était pas venu, alors que ses adversaires reconstituaient en Afrique une puissante armée et battaient les césariens en Illyrie, quand un nouveau Mithridate se montrait en Asie, des troubles en Espagne, des passions révolutionnaires à Rome et en Italie. Avec un tel homme, il faut voir les choses par leur côté sérieux : s’il n’a point quitté plus tôt l’Égypte, c’est d’abord qu’il lui avait été difficile d’en sortir, ensuite qu’il y était retenu par un intérêt romain, bien plus que par l’amour d’une femme. Amené dans ce pays par le désir de terminer la guerre en s’emparant de Pompée, il était tombé au milieu d’un peuple en révolte contre la tutelle de Rome. Chaque jour qu’il avait passé sur ce rivage avait été pour lui un jour de combat, et, comme l’opinion, même en ce temps-là, était une grande force, il n’avait pas voulu sortir d’Égypte en fugitif. Après la victoire, il fallut rester encore pour faire accepter à la turbulente Alexandrie la condition de cité vassale, garantir la sécurité des deux légions qu’il y laissa, affermir l’autorité des rois qu’il venait de lui donner, et apaiser les ressentiments populaires par des hommages aux dieux indigènes. Ce n’était point par simple complaisance pour Cléopâtre qu’il s’était arrêté à cette solution de la question égyptienne[13]. Faire de ce riche pays une province eût été exposer à de dangereuses tentations le proconsul qu’on y enverrait : Auguste et les empereurs, durant deux siècles, ont pensé à ce sujet comme César[14]. Mieux valaient des chefs indigènes, qui seraient utiles sans être jamais dangereux. Mais ces rois imposés par l’étranger, il fallait habituer le peuple à les craindre, et ce protectorat nécessaire exigeait que  la main virile du dictateur prit et retint quelque temps les rênes. La tranquillité rétablie et ce qui avait paru d’abord une aventure terminée par un triomphe, il put partir comme il était venu en dominateur, avec une auréole de plus au front.

De pressantes dépêches l’appelaient à Rome, mais l’Asie Mineure était menacée par le roi du Bosphore. Entre un intérêt personnel et l’intérêt de la république, il n’hésita pas ; au lieu de faire voile pour l’Italie, il se résolut à arrêter les progrès de Pharnace, dût-il l’aller chercher jusqu’au fond de son royaume.

Ce fils de Mithridate, fait par Pompée roi du Bosphore, avait profité de la guerre civile pour reprendre le Pont, chasser Dejotarus et Ariobarzane de la petite Arménie et de la Cappadoce. Le gouverneur de la province d’Asie avait été battu en essayant de défendre ces deux princes, et Pharnace, maître de la plus grande partie de l’ancien royaume de son père, y exerçait d’affreuses cruautés, emmenant captifs les publicains et tuant ou émasculant les Romains qui trafiquaient dans ces régions. César traversa rapidement la Palestine et la Syrie. Dans la Judée, régnait de nom le faible Hyrcan II, le dernier des Maccabées ; en fait, le pouvoir appartenait à son ministre, l’Iduméen Antipater. César reconnut le premier comme chef politique et religieux de sa nation, mais il laissa le pouvoir réel au second, qu’il fit citoyen romain et procurateur de la Judée. Des deux fils d’Antipater, l’aîné, Phasaël, eut le gouvernement de Jérusalem ; le second, Hérode, celui de la Galilée. Ces Arabes judaïsants, sortis de l’Idumée, fondaient leur fortune sur les ruines de celle des Maccabées et la cimentaient avec l’amitié de César, que les premiers empereurs leur continuèrent.

Antioche avait été bien traitée par Pompée ; quand il avait fait de la Syrie une province romaine, il avait donné à cette ville l’autonomie. Mais les habitants de la voluptueuse cité portaient légèrement la reconnaissance : à la nouvelle du désastre de Pharsale, ils étaient passés du côté du plus fort. César leur en tint compte et renouvela en leur faveur le décret qui garantissait leur indépendance, puis il gagna rapidement Tarse, où il avait convoqué d’avance les députés de la Cilicie et des pays voisins. Il prit connaissance de toutes les contestations, récompensa et punit, donnant beaucoup en fait de privilèges, demandant peu, si ce n’est de l’argent que ces riches provinces étaient en état de fournir. Nous avons encore un décret qui rappelle ses faveurs à Aphrodisias de Carie, qu’il déclara libre et exempte d’impôt. Beaucoup de cités participèrent à ces largesses qui grevaient l’avenir, mais servaient le présent, parce qu’elles étaient achetées argent comptant[15]. L’ordre promptement remis en ces pays troublés il traversa à grandes journées la Cappadoce, s’arrêta deux jours à Mazaca, sa capitale, rétablit Ariobarzane, et donna à un descendant de la famille royale la grande prêtrise du temple de Bellone, à Comana. Dejotarus, qui possédait, avec le titre de tétrarque, presque toute la Galatie et, avec celui de roi, la petite Arménie, vint au-devant de César sans insignes et en suppliant. Il avait combattu à Pharsale pour Pompée et s’attendait à expier douloureusement la faute de n’avoir pas su deviner le vainqueur. Selon les usages anciens, cette imprudence devait lui coûter ses États, peut-être la vie ; il en fut quitte pour des reproches, une amende et la perte de quelques districts ; César lui rendit les ornements royaux[16].

Dans le Pont, Pharnace essaya de négocier pour traîner les choses en longueur. César n’était pas homme à se laisser tromper par cette duplicité de barbare : il marcha en avant, quoiqu’il eût bien peu de monde sous la main : une seule légion de vétérans réduite à mille hommes par les fatigues et les combats, les deux légions de la province d’Asie que Pharnace avait battues et quelques troupes de Dejotarus. Mais, avec lui, les recrues devenaient vite de vaillants soldats, et l’ennemi se sentait d’avance vaincu par ce capitaine que nul encore n’avait pu vaincre. Cette fois cependant, Pharnace, qui se vantait d’avoir gagné vingt-deux batailles, osa attendre l’armée romaine et l’attaqua le premier. César sourit à cette audace[17]. Une seule action réduisit le fils de Mithridate à fuir avec quelques cavaliers jusque dans le Bosphore ; il y fut tué par Asander, qui avait épousé sa sœur Dynamis et qui prit sa place. En cinq jours cette guerre était terminée[18]. Je suis venu, j’ai vu, j’ai vaincu, écrivait César à un de ses amis de Rome. Il donna le royaume de Pharnace à Mithridate le Pergaméen, qui avait si bien conduit l’expédition d’Égypte ; et, comme il ne pouvait lui en assurer la possession immédiate, il ajouta à ce don éventuel les tétrarchies galates de Dejotarus[19]. Heureux Pompée, s’écriait César en comparant ces guerres d’Asie avec sa lutte des Gaules, heureux Pompée d’avoir acquis à si peu de frais le surnom de grand ! Après avoir renversé la fortune de son rival, il ruinait sa gloire.

 

II. — RETOUR DE CÉSAR À ROME (47).

Les affaires de l’Asie réglées, César partit enfin pour l’Italie, où son absence prolongée avait causé de graves désordres, et il y arriva avant qu’on sût qu’il était parti.

Ces troubles étaient causés par un personnage que nous avons déjà rencontré, Cœlius, cet amide Cicéron, qui le déclare un grand politique et dont l’histoire n’a fait qu’un brouillon. C’était un homme d’esprit, amuseur de salon et fort méchante langue, qui s’était fourvoyé dans la politique lorsqu’en lui le goût du pouvoir s’était joint à celui des plaisirs. Préteur en 48, il se crut mal récompensé de services qu’il n’avait point rendus, et, sans autres titres que de jolies lettres et de scandaleuses amours, il prétendit aux premiers rôles, qui tous étaient pris. Au moment où, de chef populaire et de chef d’armée, César, avec un grand sens politique, se faisait chef d’État, Cælius se fit démagogue et rêva de chercher la fortune à la tête des pauvres. Il promit son appui aux débiteurs qui ne voudraient pas se soumettre à la décision des arbitres si judicieusement établis l’année précédente par César ; et personne ne se présentant, il recourut aux grands moyens révolutionnaires : la suspension du payement des loyers et l’abolition des dettes. Le sénat de César et son collègue dans le consulat, Servilius, montrèrent heureusement beaucoup de décision. Le consul défendit à Cælius d’exercer les fonctions de sa charge, et, le préteur s’y obstinant, il fit briser sa chaise curule et le chassa de la tribune, sans qu’une voix s’élevât dans le peuple en faveur de ce représentant arriéré des violences tribunitiennes. Après ce déshonneur public et cet abandon de la part du peuple, le nouveau Catilina sortit de honte, et finit comme lui, mais avec moins de grandeur sauvage. Cælius avait rappelé de Marseille Milon, qui avait encore quelques-uns de ses gladiateurs ; tous deux cherchèrent à exciter un soulèvement dans la Campanie et la Grande-Grèce. C’était assez des deux grandes ambitions qui se disputaient l’empire ; on ne fit aucune attention é ces aventuriers obscurs, qui périrent salas bruit, l’un devant Cosa, l’autre à Thurium.

Pendant les huit mois que dura la lutte en Grèce, la ville resta dans une cruelle anxiété, que la nouvelle de la bataille de Pharsale ne dissipa point, parce que tout ce qui restait de forces aux pompéiens se tenait dans le voisinage de l’Italie. Quand arriva le récit de la mort de Pompée et qu’on vit son anneau apporté par Antoine, l’enthousiasme, jusqu’alors incertain et tenu en réserve au service de celui des deux rivaux que la victoire désignerait, éclata autour du nom de César. Antoine eut soin de le diriger d’une manière utile aux intérêts de son général, qui fut élu une seconde fois dictateur pour une année entière (oct. 48) ; on lui donna le consulat pour cinq années, la puissance tribunitienne pour sa vie durant, le droit lie décider de la paix et de la guerre, avec la présidence des comices d’élection aux brandes magistratures. Aussi, comme il était absent, n’élut-on, pour l’année 47, que des tribuns du peuple. César prit possession de la dictature à Alexandrie, et, puisqu’il n’y avait pas de consuls, il chargea Antoine, son maître de la cavalerie, du gouvernement de la ville. Brave, mais violent et débauché, Antoine n’avait ni l’énergie persévérante ni la prudence déliée que les circonstances réclamaient. Les bruits sinistres qui circulèrent bientôt sur la triste situation de son chef en Égypte rendirent sa conduite indécise ; il n’osa tenir tête aux brouillons à qui la mort de César ferait peut-être passer la puissance. Le gendre de Cicéron, Corn. Dolabella, ruiné par ses débauches, s’était, comme Clodius, fait adopter par un plébéien, afin d’arriver au tribunat. Une fois nommé, il avait repris la proposition d’abolir les dettes. Antoine résista d’abord mollement ; mais, quand il crut avoir à venger sur Dolabella une offense personnelle, il passa à l’excès contraire, et des scènes de violence et de pillage recommencèrent dans la ville[20], comme pour prouver, même aux plus incrédules, l’indispensable besoin que Rome avait d’un maître. Heureusement ce maître arrivait ; César avait enfin débarqué à Tarente en septembre 47.

Contre l’attente de beaucoup, son retour ne fut marqué par aucune proscription. Seulement il confisqua les biens de ceux qui portaient encore les armes contre lui, et fit vendre à l’encan ceux de Pompée. Dolabella et Antoine s’en rendirent adjudicataires ; mais le dernier refusa d’en payer le prix, et répondit fièrement aux réclamations de César, que c’était sa part dans le butin. Le dictateur se contenta de lui imposer une légère restitution d’argent : il n’estimait pas assez les hommes de son temps pour employer contre eux la sévérité, ce qui eût été les supposer capables de changement, et il répugnait par nature aux mesures de rigueur.

Il multiplia les charges : les unes, comme la préture, dans l’intérêt du service ; les autres, telles que les collèges sacerdotaux, pour satisfaire de vaniteuses et puériles ambitions[21]. Il doubla le sénat en y appelant de braves officiers, comme Junius Pera avait fait après Cannes et en donnant le laticlave aux plus considérés des provinciaux[22]. La noblesse romaine, naturellement, s’en indigna ; elle appela ces nouveaux venus des barbares et les poursuivit de ses sarcasmes ; mais ces prétendus barbares représentaient, dans la curie, une grande et nouvelle idée, l’unité du monde romain.

Quoiqu’on fût au neuvième mois de l’année, il tint les comices consulaires, et proclama Fufius Calenus et Vatinius. Quelques jours après, il se fit désigner lui-même consul, pour l’année suivante, avec Lépide, et il prit en même temps la dictature. Ses partisans dotés de places, de dignités et de gouvernements, il para aux pauvres leur lofer d’une année, et accorda aux débiteurs la suppression des intérêts des trois derniers termes. Les soldats réclamaient aussi l’accomplissement des promesses tant de fois renouvelées ; ceux de la dixième légion allèrent jusqu’à une révolte ouverte. César l’apprend et les convoque au Champ de Mars ; il s’y rend seul, monte sur son tribunal et leur commande de parler. A sa vue, les murmures se taisent : incertains, honteux, ils demandent à voix sourde leur congé. Je vous licencie, répond aussitôt le général ; allez, Quirites. César a trouvé pour eux la plus vive offense : il les appelle citoyens, eux, ses compagnons d’armes, eux, des soldats ! Les rendre citoyens, c’est les dégrader : ils aiment mieux qu’il les châtie, qu’il les décime ; et ils le pressent de retirer la flétrissante parole. On a vanté ce trait d’éloquence ; il jette un triste jour sur cette époque ; tout ce que nous avons dit de la transformation des mœurs politiques est expliqué par le sens attaché maintenant à ces deux mots, citoyens et soldats, Quirites et commilitones ; l’homme civil n’est plus rien, l’homme de guerre est tout ; le règne des adnées approche : déjà leur chef ne veut plus quitter, même dans l’intérieur de la cité, son titre militaire d’imperator.

 

III. — GUERRE D’AFRIQUE (46). THAPSUS, MORT DE CATON.

Cette sédition apaisée, César partit pour accabler en Afrique les débris de Pharsale. Après la perte de cette bataille, Octavius, un chef pompéien, avait réuni quelques troupes en Macédoine ; de là il était passé en Illyrie, avait été contraint par Cornificius et Vatinius de fuir en Afrique, où Juba et Atius Varus commandaient la seule armée pompéienne qui prit se vanter d’une victoire. Les chefs réunis à Corcyre, Labienus, Scipion, Afranius, Petreius, Faustus Sylla, fils du dictateur, résolurent de gagner cette province. Caton était à Dyrrachium avec une flotte et des soldats. Il en offrit le commandement à Cicéron, qui était consulaire, tandis que lui-même n’avait été que prêteur. Mais, depuis Pharsale, Cicéron était dans les plus vives angoisses, craignant de rester avec ces forcenés, honteux de partir, et ne sachant comment excuser auprès de César sa fuite d’Italie. La proposition de Caton le décida. Lui commander, lui combattre, quand il ne fallait pas poser les armes, mais les jeter : c’était une dérision. Le fils aîné de Pompée, Cneus, irrité de ces paroles, courut sur lui l’épée à la main et l’aurait tué, sans Caton qui protégea son départ. Il revint à Brindes toujours accompagné de ses licteurs avec leurs faisceaux couronnés du laurier triomphal ; et pendant une année il y maudit la guerre d’Alexandrie, celle de Pharnace et les lenteurs de César, coupable cette fois d’éterniser ses anxiétés, en laissant aux pompéiens le temps de se relever, et peut-être d’amener une nouvelle péripétie[23].

Tandis que ses amis faisaient route vers Utique, Caton, soupçonnant que Pompée s’était dirigé sur l’Égypte, se résolut à lui conduire ses trois cents vaisseaux et les troupes qui les montaient. Sans la trahison des Égyptiens, ces dix mille hommes, trouvant dans Alexandrie Pompée vivant, auraient pu changer la face des choses. Prudemment, il les mena sur les côtes de la Cyrénaïque pour y recueillir de plus sûres nouvelles. Ce fut le fils même de Pompée qui lui apprit la catastrophe. Il ne lui restait donc qu’à gagner à son tour la province romaine d’Afrique. Les mêmes vents qui empêchaient César de quitter Alexandrie, forcèrent Caton à laisser sa flotte tout l’hiver dans les ports de la Cyrénaïque. Mais, vu l’urgence de rejoindre l’armée qui se reformait autour d’Utique, il s’approvisionna d’eau et de vivres à Cyrène et s’engagea au travers du désert de Barca. Lorsqu’au bout de trente jours il atteignit Leptis Magna, ses troupes se trouvèrent si fatiguées, qu’il dut se résigner il y attendre la fin de l’Hiver. Du reste, il était là à portée de Scipion et assuré de pouvoir faire sa jonction avec lui.

On avait reconnu pour chef ce consulaire qui portait un nom de bon augure dans mue guerre d’Afrique, mais Scipion était un fort mauvais général[24]. Il prit pour second un ancien lieutenant de César, Labienus, dont l’habileté ne pouvait balancer les inconvénients du choix malheureux qu’on avait fait. Si, à Dyrrachium, à Pharsale, les pompéiens étaient déjà divisés, qu’était-ce maintenant que le seul homme qui pouvait les contenir n’était plus ? Quelqu’un cependant prenait les façons d’un chef suprême : c’était le roi barbare. Sans Caton, tous ces Romains si fiers lui eussent cédé, même Scipion, à qui Juba interdit de porter le manteau écarlate des commandants en chef, parce que la pourpre, disait-il, n’appartenait qu’aux rois[25]. Il voulait qu'on saccageât Utique, l’accusant d’être dévouée à César, en réalité pour détruire la capitale romaine de l’Afrique ; Caton encore l’en empêcha. Mais Scipion ne voyait pas si loin ; il s’engagea à payer la solde de la cavalerie numide, et, entrant à son insu dans les vues du roi, il dévasta la province, sous prétexte de ruiner d’avance l’ennemi.

Dès que César avait quelques troupes sous la main, il allait en avant. Cette fois encore il parut jouer sa fortune sur un coup de dé. Renouvelant la témérité qui lui avait fait franchir le canal d’Otrante sans tenir compte de la flotte pompéienne qui eût pu le couler, il s’embarqua, malgré la saison contraire, franchit le canal de Malte et, après quatre jours de navigation, arriva au voisinage d’Hadrumète (Souza). En débarquant, il tomba : c’était un mauvais augure ; il le changea en heureux présage : Terre d’Afrique, s’écria-t-il, je te tiens, et ses soldats ne doutèrent pas qu’ils n’allassent en prendre possession. Il n’avait pourtant que cinq mille fantassins et cent cinquante cavaliers gaulois (1er janv. 46)[26]. C’était à peine une escorte, et il s’exposait a rencontrer un adversaire qui avait soixante mille hommes sous les armes, cent vingt éléphants et une nombreuse cavalerie. Mais il pensa que la flotte ennemie, prudemment retirée dans ses ports, lui livrerait encore libre passage, et ses légions, lasses de guerre, avaient besoin d’être entraînées par le sentiment du péril où leur chef se jetait. Il avait d’autres motifs de confiance : le bruit s’était répandu que, pour payer les secours de Juba, Scipion lui avait promis l’abandon de la province romaine, et les nombreux citoyens qui s’y étaient établis s’indignaient d’un marché qui les faisait passer sous la domination du roi barbare. Parmi eux se trouvaient des descendants de vétérans marianistes qui, avec la tenace fidélité des Romains aux traditions de famille, voyaient un patron dans le neveu du général de leurs pères[27]. Les pompéiens punissaient ce sentiment comme une félonie et dévastaient les districts où ils avaient cru le trouver. Tout césarien tombé en leurs mains était mis à mort. Cicéron même s’indigna de ces cruautés[28]. Malgré leurs défaites répétées, ces héritiers de Sylla étaient animés de son esprit, et tout démontre que, s’ils avaient triomphé, une violente réaction eût fait couler des flots de sang à Rome, en Italie et dans les provinces.

Ce régime de terreur n’assurait pas la fidélité de leurs soldats. Leur armée, en grande partie formée d’affranchis[29], d’esclaves, de paysans dont on avait brûlé la ferme, et de provinciaux enrôlés de force, n’avait point de consistance. Le nom de leur adversaire effrayait ces troupes novices qui ne partageaient point les passions de leurs chefs, et les déserteurs arrivaient au camp de César en si grand nombre, qu’il put former d’eux toute une division[30].

Il lui vint un autre secours sur lequel il ne comptait pas. Le désordre était tel et depuis si longtemps dans cette république en décomposition, qu’un italien, Sittius, ancien complice de Catilina, s’était fait en Afrique une sorte de royauté nomade. Il avait autour de lui des aventuriers de tout pays, en avait formé une petite armée, qui avait une escadre de guerre, et il errait le long des côtes ou dans les terres, vivant tantôt de pillage et tantôt de la solde que lui payaient les chefs auxquels il vendait son assistance. Sittius était fort indifférent à la grande querelle qui ébranlait le monde romain ; mais la fortune des pompéiens lui inspirait peu de confiance, taudis qu’il en avait une grande dans celle de César ; et puis, il ne se peut pas que, dans sa vie vagabonde, quelques démêlés avec Juba ne lui aient point attiré l’inimitié de ce roi. Sittius avait une grande connaissance des lieux, et des intelligences dans les deux royaumes numide et maure : César lui donna la mission de décider Bocchus à envahir les États de Juba, quand ce prince les quitterait pour rejoindre ses alliés.

Le dictateur comptait enlever sans peine Hadrumète. Considius l’occupait avec des forces supérieures ; il vint même menacer les césariens, qui reculèrent jusqu’à Ruspina, harcelés dans leur marche par deux mille Numides. Mais chaque fois que les cent cinquante Gaulois de César, pesamment armés, chargeaient cette cavalerie, qui menait ses chevaux sans bride et n’avait qu’un javelot à lancer, elle tournait le dos et fuyait. Les villes marchandes de la côte étaient pour celui qui finirait au plus tôt ces interminables guerres, c’est-à-dire pour César. Une d’elles, Ruspina, lui envoya des députés ; il se hâta d’occuper cette place qui avait un port où il pouvait attendre les six légions restées en Sicile. De meilleures nouvelles lui arrivèrent encore. Leptis la Petite, qui malgré son nom était une riche et importante cité, lui offrit son port, un des meilleurs de cette côte ; il était assez vaste pour que César pût y mettre ses vaisseaux à couvert. Bientôt un convoi arriva[31] ; d’autres étaient en route ; César allait partir à leur rencontre pour les empêcher de tomber aux mains de l’ennemi, quand ils parurent en vue du camp. Aussitôt il reprend l’offensive, et, à trois milles de Ruspina, il vient heurter avec trente cohortes l’innombrable cavalerie de Labienus. Celui-ci laissa ses Numides combattre à leur manière ; ils arrivaient à quelque distance du front de bataille, lançaient leurs traits, puis fuyaient, entraînant après eut les légionnaires en désordre, qui prêtaient le flanc alors et tombaient sous les coups des fantassins ennemis. César fit publier par tous les rangs qu’on ne s’éloignât pas des enseignes de plus de quatre pieds. Cette immobilité encouragea l’ennemi, et Labienus, s’approchant des césariens, leur cria : Eh ! Mais, conscrit, tu fais bien le brave ! Il vous a donc tourné la tête, à vous aussi, avec ses belles paroles ? Par Hercule ! il vous a mis dans un mauvais pas, et je vous plains. — Tu te trompes, répondit un soldat, je ne suis pas un conscrit, mais un vétéran de la dixième, et, ôtant son casque : reconnais-moi, ou mieux à ceci, et il lui lança son javelot, que Labienus n’évita qu’en faisant cabrer son cheval, qui le reçut au milieu du poitrail. Cependant l’armée, formée en cercle, était enveloppée ; la position ne paraissait plus tenable. Mais c’était un piège pour attirer l’ennemi à portée du javelot et de l’épée. A un signal, le cercle s’ouvrit et s’allongea rapidement en deux lignes qui refoulèrent tout ce qui se trouvait devant elles, puis vinrent, par la droite et la gauche, se joindre au front de bataille que César porta, par une vive attaque, sur les rangs dégarnis et troublés des pompéiens. Ceux-ci ne purent résister et se débandèrent. Un secours amené par Petreius engagea Labienus à recommencer l’action, quand César la croyait finie. Depuis leur victoire du matin, ceux de ses soldats que la veille, on pouvait encore appeler des conscrits étaient des vétérans ; une charge à fond balaya la plaine.

César venait de courir un grand péril ; il s’en était tiré par son sang-froid, en improvisant une manœuvre audacieuse que l’admirable discipline de ses légionnaires lui permit d’exécuter. Mais Scipion se trouvait à trois marches en arrière, à la tête de huit légions et de trois mille cavaliers ; une autre armée et cent vingt éléphants[32] arrivaient avec Juba. Pour ne pas rencontrer en plaine de telles forces, César s’établit entre Ruspina et la mer, dans un camp qu’il rendit inexpugnable able et d’où il pressa l’arrivée de ses convois. Il commençait à souffrir de la disette, lorsque Salluste, alors préteur, surprit l’île de Cercina où étaient les magasins de l’ennemi et en emporta les provisions. Dans le mène temps, Sittius avait pris Cirta, capitale de la Numidie, soulevé les Gétules, qui lie pardonnaient pas à Pompée de les avoir soumis aux rois numides, et par cette heureuse diversion il avait rappelé Juba à la défense de son royaume ; enfin deux légions débarquèrent de Sicile.

La situation de César n’en restait pas moins des plus étranges ; l’histoire militaire n’en connaît point de pareille. De l’Afrique, il ne tenait que le terrain renfermé dans ses lignes. Tout lui manquait, et il lui fallait tout créer : des ateliers pour forger des arises, des chantiers pour construire des machines ; il désarma plusieurs galères, afin d’avoir du bois à faire des palissades ; et comme il n’avait pas de fourrage à donner aux chevaux, il imagina de les nourrir avec des algues marines, bien lavées dans l’eau douce. A son départ de Sicile, comme la flotte était insuffisante, il n’avait voulu à bord ni bagages ni esclaves, et les soldats n’avaient emporté que leurs armes. Un tribun légionnaire ayant contrevenu à cet ordre, il l’appela, aussitôt débarqué, en présence des tribuns et des centurions de toute l’armée, et lui dit : C. Avienus, parce que tu as été inutile à la république et à moi, en remplissant mes vaisseaux de tes gens et de tes chevaux au lieu d’y mettre mes soldats, je te chasse de mon armée, avec la note d’ignominie[33], et je t’ordonne de quitter l’Afrique aujourd’hui même. Jamais homme de guerre n’a mieux compris la nécessité de réduire le plus possible les impedimenta qui rendent les armées paresseuses et lourdes.

Ses soldats réparaient tout à force d’industrie et d’activité. La guerre des Gaules où il avait fallu improviser à chaque instant des camps, des forteresses, des flottes, des ponts sur de grands fleuves, des routes à travers les marais, leur avait appris à être ingénieurs, pontonniers, Mécaniciens. Aussi faisaient-ils sans murmurer tous les métiers, et ils ne se plaignaient pas de manquer du nécessaire, parce que leur général vivait comme eus. Le légionnaire romain était habitué à loger au camp sous une tente de peau ; eux couchaient à la belle étoile ou se faisaient des huttes de roseaux et de branchages ; et quand survenait un de ces violents orages d’Afrique, ils s’abritaient en riant sous leur bouclier[34]. Mais nul retard dans les manœuvres ; le camp était levé ou dressé avec une extrême rapidité, et César pouvait lancer en plaine, à portée de l’ennemi, ces hommes toujours alertes. Un jour, en moins d’une demi-heure,ils se couvrirent d’un fossé et d’un retranchement contre la cavalerie de Scipion[35].

Ce général méthodique n’avait pas su profiter des avantages que lui donnaient la témérité de César, la supériorité de sa flotte et sa nombreuse armée[36] ; il voulait affamer son terrible adversaire, et, pour donner à Juba le temps de le rejoindre avec trois légions, son unique souci fut d’éviter la bataille que César cherchait. Deux mois se passèrent en marches et en campements, sans résultats, dans l’étroit espace compris entre les villes de Leptis, Ruspina, Achilla et Agar, que tenait César, Hadrumète, Thapsus, Uzita et Thysdrus que Scipion occupait[37]. Il n’était pas dans les habitudes de César de rester si longtemps près de l’ennemi sans trouver le moyen de l’amener à une bataille, comme à Pharsale, ou de le cerner, comme à Lérida. Mais il n’avait que quelques centaines de chevaux, quand il s’en trouvait des milliers dans l’armée pompéienne, et il était attaché au rivage par la nécessité d’attendre ses convois de Sicile, car les provisions des villes qui avaient reçu ses garnisons et les silos des indigènes avaient été vite épuisés. Pour l’eau, il était obligé de creuser des puits dans la plaine qui s’étendait des collines à la mer et, par conséquent, de laisser les hauteurs à ses adversaires ; enfin ses troupes peu nombreuses comptaient beaucoup de recrues dont il ne faisait des vétérans que par des escarmouches de tous les jours.

Un dernier convoi lui ayant amené des vivres en abondance et les dépôts de ses légions, il se décida à frapper enfin des coups décisifs. Une tentative sur Thysdrus échoua, mais, par d’habiles manœuvres, il réussit à investir Thapsus, place importante dont le port, ajouté à ceux de Ruspina et de Leptis, devait lui donner une grande étendue de coites et par conséquent faciliter ses approvisionnements. Située entre la mer et un lac d’eau salée, Thapsus communiquait par une seule route avec le continent. En quelques heures César coupa cet isthme, et les anciens étaient si incapables de battre des retranchements de manière à y faire brèche, qu’il suffisait d’un fossé et d’une levée de terre exécutés dans une nuit pour arrêter une armée. Scipion ne pouvait sans honte ni péril abandonner Thapsus ; il accourut dès qu’il fut informé de la marche de l’ennemi, mais s’arrêta devant ses lignes et se décida à accepter une bataille. César donna pour mot d’ordre à ses troupes Félicitas. La journée, en effet, fut heureuse. Les éléphants causaient de l’effroi, la cinquième légion demanda à les combattre et en eut facilement raison, en les forçant à coups de pierres et de javelots à se rejeter sur les lignes pompéiennes. Depuis ce jour, dit un écrivain du second siècle de notre ère, cette légion a toujours eu sur ses enseignes l’éléphant qu’on y voit encore[38]. Malgré leur nombre, les pompéiens furent battus, leurs trois camps enlevés, et ils laissèrent trente mille hommes sur le terrain [6 avril (6 février)]. Tout ce qui restait de l’armée républicaine se débanda ; Thapsus, Hadrumète et Thysdrus ouvrirent leurs portes ; Zama, capitale du roi numide, lui ferma les siennes ; Bulla Regia, une autre de ses résidences, doit avoir fait de même. Dans ce sauve-qui-peut général, la clémence de César parut. aux soldats le refuge le plus sûr ; les officiers secondaires, presque toute la cavalerie de Juba, se rendirent à lui.

Les chefs ne pouvaient agir ainsi. Après Pharsale, nul parmi eux n’avait songé à prendre contre lui-même une résolution extrême. C’était une guerre loyale qui finissait, et les cruautés de Bibulus et de Labienus n’étant tombées que sur des matelots et des soldats, on les avait oubliées, de sorte que personne n’avait craint des représailles. Le lendemain de la bataille, Brutus était passé dans le camp de César, et quelques jours après Cassius lui avait livré sa flotte. La guerre d’Afrique eut un tout autre caractère, celui d’une lutte sans merci, et que les pompéiens firent atroce. D’aucun côté les chefs ne pouvaient espérer que le vainqueur pardonnât ; il ne restait donc aux généraux vaincus qu’à chercher, s’ils pouvaient en trouver, d’autres champs de bataille, ou à mourir. Labienus, Varus et Sextus Pompée gagnèrent l’Espagne, où s’était déjà rendu l’aîné des fils de Pompée, après une vaine tentative sur les côtes de la Maurétanie. Scipion s’embarqua aussi pour cette province, mais le navire qui le portait fut poussé par la tempête dans le port de Bône, au milieu de l’escadre de Sittius, qui l’enveloppa. Où est le général ? criaient les assaillants. Le général est en sûreté, répondit Scipion[39], et il se jeta sur son épée. Presque tous les autres périrent ; Considius fut tué dans sa fuite par son escorte de cavaliers gétules ; Afranius et Faustus Sylla tombèrent aux mains de Sittius, et furent égorgés dans une émeute de soldats[40]. Juba et Petreius, repoussés de toutes les villes, se résolurent à en finir avec ces misères. Après un somptueux festin, ils prirent chacun une épée et engagèrent un combat singulier. Juba tua sans peine Petreius, qui était déjà un vieillard, et se fit achever par un esclave ses cendres allèrent rejoindre au Madras’en celles des rois numides. Le duel du jeune Marius et de Telesinus dans les souterrains de Préneste avait mis ce genre de mort à la mode. Caton en inaugura un autre, que de fameux ou illustres personnages imitèrent plus tard et dont l’histoire parle avec respect.

Caton commandait à Utique ; il y reçut, le 8 avril au matin, la nouvelle de la défaite et assembla aussitôt les sénateurs restés auprès de lui, ainsi que les trois cents citoyens romains établis dans cette ville pour le commerce et l’exploitation de la riche vallée du Bagradas[41]. Il leur proposa de défendre la place ; d’abord son énergie passa dans tous les cœurs ; mais il fallait commencer par affranchir leurs esclaves pour les armer ; ce premier sacrifice les arrêta, et ils finirent par rejeter l’idée de la résistance. Des cavaliers de Scipion, réfugiés dans la place, voulaient qu’on tint ces marchands, ou qu’au moins on les chassât de la ville avec les autres habitants. Caton s’opposa à cette cruauté inutile, et les cavaliers s’éloignèrent lorsqu’il leur eut donné à chacun 100 sesterces sur l’argent du trésor, et Faustus Sylla autant sur son propre bien. Il s’occupa ensuite de sauver ceux qui n’osaient attendre leur grâce de César. Lorsqu’il apprit que le dictateur marchait sur Utique : Eh quoi ! dit-il, César nous traite donc en hommes ! Et, se tournant vers les sénateurs, il leur conseilla de ne plus différer, lit fermer toutes les portes, excepté celle du port, donna des vaisseaux à ceux qui en manquaient et veilla à ce que tout se fit avec ordre. L. César, un parent du vainqueur, que les trois cents avaient chargé d’implorer pour eux sa clémence, le pria de lui composer un discours, ajoutant que, quand il faudrait intercéder pour lui, ce ne serait pas avec des paroles, mais en se jetant aux pieds de César. Caton le lui défendit : Si je voulais lui devoir la vie, j’irais moi-même le trouver seul ; mais je ne tiendrai rien d’un tyran. Après le bain, il soupa en compagnie nombreuse, et l’on discuta longtemps sur ce texte que l’homme de bien est seul libre et que tous les méchants sont esclaves. Quand il eut congédié ses convives, il se retira et lut dans son lit le dialogue de Platon sur l’immortalité de l’âme. Il s’interrompit après quelques pages, pour chercher son épée, et, ne la trouvant pas, s’enquit où elle était, puis continua sa lecture, afin de ne pis montrer d’impatience ; lorsqu’il l’eut achevée, il fit venir tous ses esclaves, leur demanda d’une voix haute son épée et frappa un d’eux si violemment que sa main en fut ensanglantée. Son fils entra fondant en larmes, avec ses amis. Caton se levant alors sur son séant : Quand m’a-t-on vu, lui dit-il d’un ton sévère, donner des preuves de folie ? Tu m’enlèves mes armes pour me livrer sans défense ; que ne me fais-tu lier aussi les mains derrière le dos ? Ai-je besoin d’un morceau de fer pour m’ôter la vie ? On lui envoya son épée par un enfant ; il la prit, en examina la pointe. Maintenant, je suis mon maître, dit-il. Alors il reprit le Phédon, le relut deux fois en entier, puis s’endormit d’un si profond sommeil que le bruit de sa respiration s’entendait au dehors.

Vers minuit, il envoya au port un de ses affranchis pour s’assurer que tout le monde était embarqué, et se fit bander la plaie qu’il s’était faite à la main. Comme les oiseaux commençaient à chanter, il se rendormit pour quelques instants, puis, tirant son épée, il se l’enfonça au-dessous de la poitrine. Sa main blessée l’empêcha de frapper un coup assuré, et, en luttant contre la douleur, il tomba de son lit. Au bruit, on accourut ; les entrailles lui sortaient du corps, et il regardait fixement. La blessure n’était pas mortelle ; le médecin la banda ; mais dès qu’il eut repris les sens, il arracha l’appareil, rouvrit la plaie et expira.

Stoïcien, Caton mettait sa conduite d’accord avec sa doctrine, en pratiquant, selon les préceptes de l’école, la sortie raisonnable, εΰλογος έξαγωγή. Il le fit simplement, quoique l’effet en ait été théâtral, et il priva le vainqueur de sa plus noble conquête. Ô Caton, s’écria César en apprenant cette fin, tu m’as envié la gloire de te sauver la vie ! Cependant, quand Cicéron, admirateur d’un courage qu’il n’avait pas, composa un éloge de l’illustre mort, le dictateur, qui maniait la plume comme l’épée, y répondit par l’Anti-Caton, satire railleuse et spirituelle où le rigide préteur était représenté passant au tamis les cendres de son frère, pour retirer l’or fondu sur le bûcher, ou cédant sa femme jeune et belle à Hortensius, et la reprenant vieille, mais riche, après la mort de l’opulent orateur. Chose singulière, Caton a contre lui les deus Césars, celui des temps anciens et celui des temps modernes. L’un livre à la risée de ses courtisans la vertu trop rigide du dernier républicain ; l’autre, dont tant de fois la mort n’a pas voulu, l’accuse d’avoir lâchement déserté son poste[42]. Tous deux ont eu à peu près raison, mais nous aimons les dévouements qui accompagnent toute grande chose qui périt. Caton et la république s’en vont ensemble ; la mort de l’un achève dignement les funérailles de l’autre.

La grande et vraie république des anciens jours, qui avait suscité tant de dévouements obscurs et silencieux, était depuis longtemps disparue, et la fausse liberté pour laquelle Caton mourait ne méritait pas ce sacrifice. Mais il croyait donner sa vie pour le droit, et il faut honorer, alors même qu’il s’égare, le sentiment du devoir qui fait aller jusqu’à la mort. De ce jour, le parti républicain eut son martyr ; le sang de Caton lui donna une vertu qui le fit survivre longtemps à sa défaite et qui fut cause des terribles tragédies qu’on verra sous l’empire. Caton ne s’est pas tué seul ; par son exemple et par la légende qui se forma autour de son nom, il a entraîné, à sa suite, dans le tombeau bien des hommes qui eurent, avec son esprit étroit, sa farouche vertu. N’importe, il reste le premier de ces héros de la vie civile qui ont protesté par de belles fins stoïques contre les inclémences du sort ou la dégradation des âmes.

 

 

 

 



[1] C’est le récit d’Appien et de Plutarque. Celui de Cicéron (Philipp., II, 41) mérite plus de confiance. Cassius, dit-il, attendit César aux bouches du Cydnus pour le tuer, et celui-ci n’échappa que par hasard.

[2] Appien, Bell. civ., V, 4.

[3] Dion, XLII, 6. Peut-être fit-il le même changement en Sicile.

[4] Végèce, V, 3 : maria clauduntur.

[5] Ipse enim necessario etesiis tenebatur, qui navigantibus Alexandria sunt adversissimi venti (de Bello civ., III, 107). J’ai éprouvé dans l’Archipel, au mois de décembre, la vérité de l’observation du vieil écrivain, et les marins disent encore : Dans la Méditerranée, il n’y a que trois bons ports, juin, juillet et août. Voyez comme Pompée à Dyrrachium comptait sur l’hiver, et comment Caton fut obligé de faire, à la même époque, hiverner sa flotte à Barca. Végèce (V, 9) dit que la navigation était fermée du 16 novembre au 21 mars. Les Siete Partidas d’Alphonse le Sage répètent le mot de Végèce : Du 16 novembre au 21 mars la navigation s’arrête (leg. IX, tit. 9). A Venise, encore au seizième siècle, les voyages de retour de la côte de Syrie et d’Alexandrie étaient interdits aux navires vénitiens du 15 novembre au 20 janvier, afin qu’ils échappent aux périls d’un naufrage imminent, dans le tempo delli mesi del crudo inverno, à peine de 500 ducats pour les capitaines et de 1000 pour les actionnaires ou propriétaires du navire. (Loi du 8 juin 1569. Jal, Glossaire nautique, t. II, p. 1045.) — L’amiral Jurien de la Gravière parle de l’incapacité de la marine nouvelle à tenir la mer en hiver. Si nos cuirassés doivent rentrer au port dans la mauvaise saison, à plus forte raison était-ce une nécessité pour les galères des anciens.

[6] Plutarque, César, 54-55.

[7] Dion, XLII, 55. Dion ajoute que César promit de donner Chypre aux deux autres enfants de Ptolémée, promesse qui ne l’engageait pas beaucoup.

[8] On trouve de ces puits tout le long de la côte et jusque dans l’île de Pharos.

[9] Appien (Bell. civ., II, 150) dit qu’afin de se dérober à ceux qui le poursuivaient il nageait entre deux eaux, ne prenant l’air que pour respirer.

[10] Josèphe, Antiq. Jud., XIV, 14.

[11] Une inscription (C. I. L., I, p. 390) permet de placer le retour de César à Alexandrie, après la victoire du Nil, au 27 mars 47.... Cæsar Alexandream recepit.

[12] César avait alors cinquante-cinq ans.

[13] Peu après le départ de César, Cléopâtre accoucha de Césarion ; cette naissance fut, selon l’usage, représentée sur un temple, celui d’Hermontis près de Thèbes. (Cf. Champollion, Monum., pl.145-443, et Maspero, Journal asiat., 1878.) César ne donna jamais aucune attention à cet enfant et ne parla point de lui dans son testament.

[14] .... Veritus provinciam facere, ne quandoque violentiorem præsidem nacta, novarunt rerunt materia esset (Tite-Live, Épit., CXII). Le commandant des troupes qu’il laissa en Égypte, fils d’un de ses affranchis, était de trop petite condition pour n’être pas fidèle. (Suétone, César, 76.)

[15] Je crois du moins qu’il faut entendre ainsi ces mots du décret : A raison des services rendus à César. Ces villes ne pouvaient l’avoir servi que de cette façon.

[16] Ce Dejotarus, dont Cicéron, son avocat, fait un si beau portrait, était un fort vilain homme. Plutarque (de Stoic. repugn.) le représente comme un despote cruel. De plusieurs fils qu’il avait, dit-il, il ne laissa vivre que celui qu’il destinait à lui succéder. Il tua de même sa fille et son gendre (Strabon, XII, 568) ; son petit-fils Castor l’accusa à Rome d’avoir voulu tuer César. Ces rois d’Asie n’étaient jamais ni époux ni pères. Il est difficile de savoir ce que César laissa à Dejotarus ; Hirtius, Cicéron et Dion Cassius ne sont pas d’accord à ce sujet.

[17] .... Irridebat inanem ostentationem. (Bell. Alex., 74.)

[18] La défaite de Pharnace est du 2 août (29 mai) 47. (Kalend. Amitern. Orelli, Inscr., II, 397.) Cicéron écrivait à Atticus (XI, 21) : Je ne crois pas que César soit à Athènes avant le 1er sept.

[19] Mithridate n’entra jamais en possession de son royaume ; il fut défait et tué par Asander. (Strabon, XIII, 625 ; Dion, XLII, 48 ; XLVII, 28.)

[20] Cicéron, Philipp., II, 25 ; Dion, XLII, 50. Dans une de ces émeutes il périt huit cents citoyens.

[21] Il augmenta le nombre des augures, des pontifes et des quindécemvirs. Il nomma dix préteurs au lieu de huit (Dion, XLII, 51). Plus tard leur nombre fut porté à douze (Pompon., de Or. jur.), à quatorze, même à seize. (Dion, XLII, 51 ; XLIII, 59.) Salluste, qu’il nomma préteur cette année, rentra alors dans le sénat, d’où il avait été chassé.

[22] César parle lui-même de deus sénateurs allobroges (Bell. civ., III, 59) et d’un sénateur espagnol (Bell. Afric., 48). On a vu que, durant ses campagnes, il tenait table ouverte pour les provinciaux de distinction, illustrioribus provinciarum. (Suétone, César, 48.) L’empereur Claude atteste que bien longtemps avant lui Vienne fournissait des sénateurs à la curie romaine.

[23] Cicéron, ad Familiares, IV, 15.

[24] Les Commentaires ne parlent pas de Scipion, homme obscur et méprisé, que César, selon Plutarque, aurait feint de mettre à la tête de son armée. On ne sait qui a écrit le de Bello Africano, mais le récit est certainement celui d’un témoin oculaire, peut-être d’Hirtius, l’auteur du huitième livre de la Guerre des Gaules, et, ce qui est moins certain, de la Guerre d’Alexandrie.

[25] Plutarque, Cato, 64 ; César, Bell. Afric., 57. Suivant Dion (XLIII, 4), Scipion lui aurait promis toute l’Afrique romaine ; cela n’est pas probable.

[26] César, Bell. African., 3. Pour être d’accord avec le calendrier rectifié, il faut reculer toutes ces dates d’un peu plus de deux mois.

[27] .... Qui sumus clientes G. Marii.... ad te voluimus in tuaque præsidia confugere (Bell. African., 35). Scipion s’était engagé à entretenir la cavalerie du roi aux frais de la province. (Ibid., 8.) De là des levées d’argent qui indisposaient la population. En outre, pour affamer César, le blé avait été partout rentré dans les places fortes et le plat pays dévasté, agros desertos ac devastatos esse (ibid., 20).

[28] Ad Atticum, XI, 7.

[29] Ex hibridis (hommes nés d’un Romain et d’une femme étrangère) libertinis, servisque, conscripserat (Bell. African., 19).

[30] Il est à chaque instant question, dans le de Bello Africano, de transfuges passant à César.

[31] On connaissait l’usage de donner aux capitaines de navire des ordres cachetés qu’ils ne devaient ouvrir qu’en mer, après un certain temps, car on reprocha à César de ne l’avoir point fait. (Bell. African., 3.)

[32] L’auteur du de Bello Africano s’étonne qu’on n’ait pas renoncé à l’emploi des éléphants dans les batailles, l’expérience ayant fait voir que le danger était aussi grand pour ceux qui s’en servaient que pour les ennemis.

[33] Ignominiæ causa (Bell. Afric., 55). Quatre autres officiers furent de même chassés ce jour-là pour avoir manqué de courage ou d’esprit de discipline. lis furent embarqués sur l’heure, et chacun ne put se faire accompagner que d’un seul esclave. Le châtiment, en somme, n’était pas bien dur, et ce récit d’un témoin contraste arec les sévérités que Dion Cassius impute à César.

[34] .... Arundinibus scepisque contextis.... scutis capita contegebant (Bell. Afric., 47). En Espagne, l’année suivante, les soldats de César n’avaient encore que casas quæ stramentiliæ.... hibernorum causa, ædificam erant. (Bell. Hispan., 16.)

[35] .... Ea minus semi hora effecit (Bell. African., 38), par où l’on voit que les soldats de César ont encore quelque chose à apprendre aux nôtres. Il avait couvert ses travailleurs par un rideau de cavalerie.

[36] La flotte pompéienne était, à l’origine, très supérieure à celle de César ; cependant elle se borna à enlever quelques vaisseaux de charge, et ne fit aucune tentative sérieuse pour se rendre maîtresse du canal de Malte, ce qui aurait dû, à ce qu’il semble, lui être facile et aurait affamé César. Évidemment Scipion n’a pas su s’en servir, et ses capitaines n’aimaient pas à tenir la mer durant la mauvaise saison.

[37] Zeta et Sarsura furent prises par César ; Thabena lui demanda une garnison, après avoir massacré celle du roi. Vacca voulait faire de même ; Juba, prévenu, en égorgea la population.

[38] Appien, Bell. civ., II, 96.

[39] Tite-Live, Épit., CXIV.

[40] La veuve de Sylla était sœur de Cn. Pompée ; César la renvoya à son frère avec ses deux enfants. (Appien, Bell. civ., II, 100.)

[41] Suivant Appien (Bell. civ., II, 95), ces trois cents auraient constitué le sénat pompéien ; l’auteur du de Bello Africano (90) ne les appelle que les CCC qui avaient fourni de l’argent à Scipion et à Juba, mais il les distingue du reste des négociants romains établis dans la ville. Quelques-uns d’entre eux furent mis à mort.

[42] Dans ses réflexions sur les Commentaires de César, Montesquieu est de son avis, et Marc-Aurèle, le grand stoïcien, condamne la mort volontaire comme une défaillance : Le serviteur qui s’enfuit, dit-il, est un déserteur. Un récent historien de César, M. A. Fronde, dit de Caton : His character had given respectability to a cause which if left to its proper defenders would have appeared in its natural baseness, and thus on him rested the responsibility for the colour of justice in which it was disgulsed. (Cœsar, p. 421 ; 1879.) Le même écrivain, rappelant le vers fameux de Lucain : Victrix causa deis placuit, sed victa Catoni, ajoute : Was Cato right, or were the gods right ? Perhaps botte. Et nous sommes de son avis.