HISTOIRE DES ROMAINS

 

SEPTIÈME PÉRIODE — LES TRIUMVIRATS ET LA RÉVOLUTION (79-30)

CHAPITRE LI — IMPUISSANCE DU GOUVERNEMENT DE LA RÉPUBLIQUE.

 

 

I. — TROUBLES INTÉRIEURS ; COMMENCEMENTS DE CÉSAR.

Au temps de Sylla, les aruspices toscans consultés sur certains prodiges avaient répondu qu’un nouvel âge du monde approchait et que la forme de l’univers allait changer. Il n’était pas nécessaire de savoir lire dans le ciel pour voir que sur la terre une révolution se préparait.

Depuis soixante ans, deux tentatives avaient été faites en sens contraire pour reconstituer la république, l’une en vue des intérêts populaires, l’autre au nom des intérêts aristocratiques. La première échoua, parce que les Gracques comptèrent trop sur cette tourbe d’affranchis qui avaient remplacé l’ancien peuple romain ; l’autre parut un moment réussir, parce que Sylla se servit de la seule force qui restât dans Rome, la noblesse : mais cette noblesse, qui aurait pu gouverner le monde si elle avait su se gouverner elle-même, se montra incapable de garder l’empire, et Pompée lui ôta, pour payer les applaudissements du peuple, une partie de ce que Sylla lui avait donné. C’était encore une restauration inintelligente du passé, un retour aux temps de Sulpicius et de Saturninus, sans plus de garanties contre l’esprit de faction ; c’était la guerre ramenée au Forum : elle y éclata bien vite. Le consulat de Pison, en l’année 67, peut être compté parmi ceux des plus mauvais jours de la république.

Un ancien questeur de Pompée, C. Cornelius, était alors tribun ; il voulut réprimer les prêts usuraires dont les nobles ruinaient les provinces, et empêcher quelques sénateurs vendus de dispenser, au nom de leur compagnie, de l’observation d’une loi. Pison combattit sa rogation et, le peuple murmurant, il fit saisir plusieurs mutins ; mais la foule se rua sur les licteurs, brisa leurs faisceaux et chassa le consul du Forum sous une grêle de pierres. Comme son patron, Cornelius n’était pas un démagogue, il congédia l’assemblée, et modifia sa proposition : pour valider un sénatus-consulte qui dispenserait d’une loi, il faudra la présence de deux cents membres au moins[1]. Il essaya aussi d’étendre le crime de brigue à ceux qui auraient aidé le candidat incriminé, et il formula contre eux des peines sévères. Pison, à qui la violence venait de mal réussir, usa de l’adresse ; il s’empara de cette loi, afin de n’en pas laisser l’honneur au tribun, et, sous prétexte qu’avec des peines immodérées on ne trouverait ni accusateur ni juges, il ne demanda pour les coupables que l’expulsion du sénat, l’interdiction des charges et une amende[2]. Cette fois encore une émeute l’obligea à fuir du Forum ; il fit appel é ses amis, revint en force, et la loi passa[3]. A peine Cornelius fut-il sorti de charge que les deux Cominius l’accusèrent du crime de majesté pour n’avoir pas tenu compte du veto de ses collègues ; mais un autre agent de Pompée, Manilius, à la tête d’une troupe armée, les menaça de mort. Ils s’enfuirent, sous la protection des consuls, dans aine maison d’où ils s’échappèrent la nuit par les toits (66).

Ainsi les luttes à main armée recommençaient : naguère Licinius Macer accusait le sénat de despotisme, maintenant les consuls reprochent aux tribuns leurs violences ; nobles et peuple étaient donc également convaincus d’impuissance à gouverner, et il n’y avait plats qu’une expérience à tenter : la monarchie[4]. Trois hommes y tendaient alors : Pompée, à la manière de Périclès, par les lois mêmes de son pays ; Catilina, comme les Denys et les Agathocle, par les conspirations et la soldatesque ; César, à la façon d’Alexandre, par d’irrésistibles séductions et l’ascendant de son génie. Entre ces trois hommes nu autre se plaça, qui, meilleur que son temps, croyait à la vertu, au pouvoir de la raison, et qui ne se résignait pas à la pensée qu’on ne pût sauver la liberté. Comme Drusus, Cicéron cherchait le salut de la république, non dans la domination exclusive d’une classe de citoyens, mais dans la conciliation de tous les ordres : avec un seul, c’était le despotisme ; avec deux, la guerre ; avec trois, l’harmonie, la paix. Il avait déjà contribué à faire rendre aux chevaliers les jugements, et il travaillait à mettre de leur côté l’opinion publique en exaltant dans tous ses discours leur impartialité et leurs services. Il aurait voulu enchaîner Pompée à leur cause, et, comme il avait compris de quelle nature était son ambition, il n’avait rien épargné pour la favoriser[5]. D’ailleurs, homme nouveau, Cicéron avait besoin pour se faire jour de l’appui de Pompée ; son ambition personnelle se trouvait ainsi d’accord avec ce qu’il croyait être l’intérêt public.

Un autre personnage flattait aussi Pompée et, à l’ombre de ce nom alors si grand, se faisait une place dans l’État. Nous connaissons Jules César. Son influence dans Rome était déjà considérable, et il ne la devait ni aux charges qu’il avait remplies, il n’était que pontife ; ni à ses exploits, il n’avait pas encore commandé ; ni à son éloquence, bien qu’elle fût prouvée par des succès. Le peuple mettait ses espérances dans ce gendre de Cinna, dans ce neveu de Marius, sorti de la plus noble des maisons patriciennes, et il subissait le charme répandu sur toute la personne du descendant de Vénus et d’Anchise[6]. Son esprit et ses manières avaient une séduction qu’un autre dominateur a aussi possédée ; niais elle s’alliait dans César à une élégance naturelle que Napoléon ne put jamais acquérir. C’est que l’un était, malgré lui-même, le représentant d’une jeune et rude démocratie, l’autre l’héritier d’une vieille noblesse, un grand seigneur égaré au milieu du peuple[7].

Il faut bien le dire, le futur maître du monde ne fut d’abord que le roi de la mode : les plus élégants désespéraient de porter comme lui leur toge[8], et les femmes ne savaient pas lui résister. Magnifique et prodigue, comme s’il eût compté sur les richesses du monde, il jetait l’or, moins pour ses plaisirs que pour ses amis, pour le peuple qu’il conviait à des fêtes splendides. Cicéron, trop grand artiste pour bien juger les hommes, Cicéron, qui crut au repentir de Catilina, comme plus tard au désintéressement d’Octave, se laissa tromper à cette frivolité apparente. Quand je le vois si bien frisé, disait-il, et craindre de déranger sa chevelure du bout du doigt, je me rassure ; un tel homme ne peut songer à bouleverser l’État. Il eût été moins confiant, s’il se fût rappelé ce voyage en Asie (76), durant lequel César, tombé aux mains des pirates, étonna, maîtrisa ces brigands par sa fierté, les forçant à l’écouter, à le servir, et les menaçant de la croix, tout captif qu’il était. Ils lui avaient demandé 20 talents pour sa rançon : Ce n’est pas assez, vous en aurez 50, mais ensuite, je vous ferai tous pendre ; et il leur avait tenu parole. Sa rançon arrivée de Milet, il avait ramassé quelques vaisseaux, les avait poursuivis, enlevés et fait attacher à des croix, malgré le gouverneur de la province. De retour à Rome, il accusa le syllanien Dolabella pour les concussions commises par lui dans son gouvernement de Macédoine, puis Antonius Hybrida, un des lieutenants du dictateur, qui avait pillé plusieurs villes grecques. Ces procès retentissants étaient un moyen pour un jeune homme d’attirer sur soi l’attention ; mais, par le choix de ses victimes, César affirmait ses opinions populaires. Quelque temps après, tandis qu’il étudiait à Rhodes, il avait appris que Mithridate attaquait les alliés de la république. Aussitôt il était passé sur le continent ; avait rassemblé des troupes, battu plusieurs détachements de l’armée pontique, retenu les villes dans l’alliance romaine ; et tout cela il l’avait fait sans titre, sans mission. Sylla, auquel il avait résisté, en lui refusant de répudier la fille de Cinna[9], l’avait mieux compris. Redoutez, disait-il aux nobles, redoutez ce jeune élégant, à la robe flottante[10]. L’élégant débauché cachait en effet une grande ambition, parce qu’il sentait son génie et qu’il voyait les maux dont souffrait la république, l’impuissance dit remède imaginé par Sylla et l’absolue incapacité de ses héritiers. Ses amis assuraient l’avoir vu pleurer devant une statue d’Alexandre en répétant : A mon âge, il avait conquis le monde, et je n’ai encore rien fait.

Il avait fait plus qu’il ne voulait dire[11]. Déjà le sénat redoutait le neveu de Marius et de cet Aurelius Cotta qui lui avait enlevé les jugements, l’orateur populaire qui avait provoqué le rappel des amis de Lépide, le prodigue qui éclipsait toute la noblesse par ses magnificences. Crassus, consul et triomphateur, voyait en lui un rival[12], Pompée, un ami nécessaire, et le peuple l’aimait, le peuple qu’il courtisait sans bassesse, qu’il menait, en contenant ses passions mauvaises, comme ces chevaux fougueux qu’il se plaisait à dompter au Champ de Mars. Les grands espéraient que, ruiné par ses folles dépenses, il cesserait d’être redoutable en cessant de pouvoir acheter les charges[13] ; mais ils oubliaient que le peuple lui donnerait peut-être ce qu’il vendait à d’autres. Les usuriers d’ailleurs, avec leur instinct rapace, avaient deviné l’avenir du jeune prodigue, et personne ne refusait à celui qui aurait un jour tant à donner. Avant d’avoir exercé aucune charge, il devait 1300 talents[14] !

Quand Pompée était revenu d’Espagne, il avait trouvé César en possession d’un tel crédit, qu’il avait dû compter avec lui. Il avait pensé s’en faire un instrument, il en servit lui-même ; du moins, il tomba sous le charme, il écouta des conseils déguisés sous les éloges, et César contribua beaucoup à la détermination qui sépara Pompée de la noblesse, où était sa véritable place, pour le mettre à la tête du peuple, où son caractère ne pouvait le laisser longtemps.

Il était habile de rendre favorable au parti populaire et au tribunat un homme qui devait inévitablement un jour blesser le peuple et les tribuns. Il ne l’était pas moins, après l’avoir compromis avec l’aristocratie, de l’en éloigner plus encore en lui faisant décerner des honneurs presque monarchiques. César appuya vivement les propositions de Gabinius et de Manilius. Cette fois il se rencontrait avec Cicéron sur le même terrain, mais avec des intentions bien différentes ; l’homme nouveau ne songeait qu’à gagner un patron et des voix pour sa prochaine candidature au consulat. Le patricien populaire voyait avec plaisir le peuple s’habituant à conférer de grands pouvoirs que lui-même réclamerait peut-être un jour. Cependant il y avait bien de la hardiesse à entasser tant de puissance dans les mains de Pompée ; n’était-ce pas travailler à se donner un maître ? Mais ce rival, a-t-on dit, César le connaissait ; du jour où il avait vu les façons royales de ce héros populaire, il n’avait pas cru à la durée de sa popularité. Pompée n’avait pour lui que ses succès militaires ; mais des victoires, César en gagnera : ces succès, il les effacera par des succès plus grands, et il lui restera l’avantage, immense dans une république qui périt, de savoir dominer et conduire cette foule du Forum dont la souveraineté nominale pouvait toujours être changée par un habile homme en souveraineté réelle.

On a trop insisté sur ces patients calculs, et on en a exagéré la subtile profondeur. Si Pompée eût été capable d’un acte de virilité, tout cet échafaudage d’ambition se serait écroulé. Dans les commencements de sa vie politique, César suivit les événements plutôt qu’il ne les domina ; tout au plus les aida- t-il à s’engager dans la voie qu’ils prenaient d’eux-mêmes. Il commanda à l’avenir de la seule manière dont l’homme puisse contraindre l’avenir à servir ses vues, en pressentant, par une nette intelligence du présent, vers quel but éloigné la société s’avance. La phrase suivante de Cicéron citée par Suétone (César, 9) : Dès son édilité il rêva l’empire, et il se l’assura quand il fut consul, est un de ces mots sonores, comme le grand orateur aimait à en faire. César ne rêva pas de dictature dès sa jeunesse. Sa naissance l’avait mis dans le parti populaire, celui qui voulait des réformes, il y resta sans dévier jamais ; consul, il commença ces réformes nécessaires ; dictateur, il les continua en les portant plus loin, et l’empire naquit de la guerre civile.

Mais tous les plans pour le présent et l’avenir, ceux de César ou de Pompée, comme ceux du sénat ou des tribuns, faillirent être déjoués par une conjuration sortie des sentines les plus impures de la république.

 

II. — CATILINA (63-62).

Sylla croyait avoir fait de ses vétérans des laboureurs paisibles, et de ses sicaires enrichis d’honnêtes citoyens. Mais ces soldats paresseux firent travailler pour leur compte, puis vendirent leurs terres et lie gardèrent que leur épée, dans l’espérance d’une autre guerre civile et de nouveaux pillages. Il avait fallu moins de temps encore à leurs anciens chefs pour dissiper l’or des proscrits. Les classes riches, aisées, virent avec effroi au-dessous d’elles, non plus les pauvres de Rome, populace oisive, résignée maintenant à ses misères, et ne demandant pour vivre dans le repos que quelques mesures de blé, mais une autre populace ayant le goût et le besoin de la débauche, des hommes aux regards sinistres, à la main prompte, ennemis de l’ordre et de la société, quelque gouvernement qui la régît, et vivant à ses dépens de mille industries criminelles. Chaque jour, cette tourbe menaçante augmentait.

Longtemps il ne sortit de là que des crimes individuels ; mais un homme vint qui voulut se faire de cette classe, en guerre avec la société, une arme pour son élévation. Catilina avait toutes les qualités d’un chef de parti : une naissance illustre[15], l’air noble, un corps de fer qui supportait tous les excès, de grands talents, une audace et un courage sans bornes, au besoin la tempérance du plus rude soldat. Libéral, officieux, insinuant, il savait être austère, grave ou enjoué, selon le caractère et l’âge de ceux qu’il voulait gagner. Toujours prêt à servir ses amis de son argent, de son crédit et de sa personne, n’épargnant pour eux ni les travaux ni le crime, il exerçait autour de lui, dans cette sphère de la débauche, un irrésistible ascendant[16]. Deux siècles plus tôt, Catilina eût été un grand citoyen, mais l’état social et les mœurs de la Rome nouvelle lui donnèrent une autre ambition, et il en poursuivit le succès avec l’emportement de sa fougueuse nature. Par son âge, Catilina appartenait à cette génération qui était arrivée à la vie publique sous la dictature de Sylla. Les temps où la terreur est dans les cités, que ce soit la nature qui frappe par la contagion ou les hommes qui tuent par le glaive, ces temps sont souvent mêlés, toujours suivis de la plus effroyable licence. C’est au milieu d’une pareille époque, quand la fortune et la vie n’étaient qu’un jeu, que Catilina, préparé par les désordres de sa jeunesse[17], avait achevé son éducation politique. Aussi, comme il se jouait lui-même de la vie et de la fortune ! Nous avons dit qu’il se signala parmi les massacreurs les plus féroces ; il avait tué son beau-frère pour être libre dans un amour incestueux ; il égorgea son épouse et son fils pour décider une femme à lui donner sa main[18]. Durant sa propréture en Afrique, il commit de terribles concussions (67) ; à son retour, il brigua le consulat, mais une députation de la province étant venue l’accuser, le sénat raya son nom de la liste des candidats. Catilina se retira frémissant ; on lui interdisait même la brigue légale : il prépara une révolution.

Il y avait longtemps qu’il s’était uni à tout ce que Rome renfermait de gens infâmes et coupables. Mais c’était un parti qu’il voulait, et non pas seulement des complices ; il s’étudia donc à gagner les pauvres et la jeunesse ruinée en se faisant le ministre de ses passions. Il avait toujours, pour qui lui en demandait, de beaux chiens de chasse, des chevaux, des gladiateurs, de folles femmes ; puis du plaisir il les faisait passer au crime : il les tenait alors. Cette jeunesse débauchée ne faisait pas encore une armée. De longue main Catilina s’eu était préparé une par ses relations avec les colons militaires, ses anciens compagnons d’armes. Il leur rappelait Sylla et ses dons, leurs terres engagées à des usuriers ; s’il arrivait au consulat, lui, s’il devenait le maître, il saurait bien conserver aux vainqueurs les fruits de leur courage. Une abolition des dettes serait le prélude de nouvelles gratifications. Aussi les vétérans s’étaient-ils tenus prêts à venir en foule voter pour lui. Catilina avait donc déjà de grandes ressources. La sévérité des nouveaux tribunaux lui fournit d’autres alliés.

Un jugement venait de condamner les deux consuls désignés pour l’année 65, P. Autronius Pætus et P. Corn. Sylla, comme coupables d’avoir acheté les suffrages ; les accusateurs L. Aurelius Cotta et L. Manlius Torquatus avaient été élus à leur place. Catilina envenima leur ressentiment, et un complot fut formé pour égorger, aux calendes de janvier, les nouveaux consuls, quand ils iraient sacrifier au Capitole. Crassus et César entrèrent, dit-on, dans cette conjuration ; le premier aurait été créé dictateur, et, dans cette charge, aurait réintégré au consulat Autronius et Sylla. Ce doit être une calomnie. Crassus, si riche, avait tout à perdre en s’associant à des gens ruinés, dont le premier soin eût encore été de bouleverser les fortunes. Pour César, sa douceur répugnait aux violences préméditées par les conjurés ; mais tous deux ne voyaient certainement pas cette agitation avec colère, et, sans s’y mêler, ils ont dû en attendre l’issue pour la faire tourner au profit de leur ambition. Ni l’un ni l’autre ne pouvaient donner la main à ces désespérés en révolte contre tout l’ordre social, et ils n’entendaient pas davantage se faire les souteneurs de l’oligarchie. Ils se réservaient donc, laissant les grands et Catilina s’affaiblir mutuellement en un mortel combat.

Deux fois le coup manqua, aux calendes de janvier et aux nones de février, par l’attitude des consuls, qui avaient été avertis. Il semble qu’alors un rapprochement ait eu lieu, ou plutôt que le sénat tremblant ait cherché, par des concessions, à désarmer ces furieux. Cn. Pison un des conjurés les plus redoutés, fut envoyé comme préteur en Espagne ; il est vrai que son escorte espagnole l’assassina. Mais lorsque Clodius reprit contre Catilina l’accusation de concussion, l’un des consuls qui avaient failli être tués, Torquatus, défendit l’accusé, et nous ne savons pas si Cicéron ne partagea point avec lui cette défense. Du moins il s’y prépara, et, dans une lettre qui nous est restée, il se félicite d’avoir obtenu tons les juges qu’il souhaitait. S’il est acquitté, ajoute-t-il, j’espère m’entendre avec lui pour notre candidature[19]. Voilà une lettre qui donne beaucoup à penser au sujet de la grande journée des nones de décembre 63. Mais il nous faut raconter cette histoire avec les seuls documents que le temps nous a laissés, sauf à faire de discrètes réserves[20].

Catilina fut acquitté, mais ruiné[21]. Tout l’or qu’il avait apporté d’Afrique était passé à ses juges (65).

Ce qui disposait le sénat à fermer les yeux sur de tels projets, c’était le sentiment de sa faiblesse et la crainte que lui inspirait César. L’ambition de Catilina paraissait encore n’être que celle d’un seul homme ; derrière César, les sénateurs voyaient tout un parti[22]. Cette année même (65), il avait été nommé édile curule, et n’avait pas perdu cette occasion de faire légalement une brigue plus sûre que celle du jour des comices, en achetant d’un coup le peuple entier par la magnificence de ses jeux et par des prodigalités inouïes. Il décora de tableaux et de statues le Forum, les basiliques, les temples ; et, pour honorer la mémoire de son père, il fit paraître trois cent vingt couples de gladiateurs, couverts d’armures dorées ; jamais le cirque n’avait vu un tel carnage ; jamais le peuple n’avait si bien rassasié ses joies féroces. Le sénat s’alarma de cette boucherie, ou plutôt des facilités que fournissaient pour un coup de main tant de bravi qui formaient une armée ; un décret fixa le nombre de gladiateurs qu’à l’avenir on ne pourrait plus dépasser. Les Mégalésies et les grands Jeux romains furent célébrés avec la même pompe : aux malheureux condamnés a combattre les bêtes, il avait donné des lances d’argent[23].

A ces fêtes, à ces jeux, Bibulus, son collègue, qui faisait alors l’apprentissage de l’abnégation, disait d’un air étonné : Nous nous ruinons tous deux, et il semble que lui seul paye ; le peuple ne voit que lui[24]. César eut bien d’autres applaudissements quand un matin on découvrit de toute la ville, aux portes du Capitole, des statues étincelantes d’or : c’était le vieux Marius qui reparaissait avec ses trophées de la guerre de Jugurtha et des Cimbres[25]. Déjà quelques années auparavant, César avait fait porter l’image de Marius aux funérailles de sa tante Julie, et, du haut de la tribune, il avait prononcé l’éloge de cette femme, veuve du vainqueur des Cimbres[26]. Mais ces trophées, le sénat les avait proscrits, Sylla les avait arrachés, et un édile les rétablissait ! Les grands restèrent muets devant tant d’audace et devant la joie de la multitude, accourue pour saluer l’image de l’homme qui, malgré son égoïste ambition, avait toujours été aimé, comme le plus glorieux représentant du peuple. Catulus eut beau s’écrier : Ce n’est plus par de sourdes menées mais à la face du ciel que César attaque la constitution[27], personne n’osa le soutenir, et les trophées du héros populaire continuèrent de briller au-dessus de la tête des sénateurs tremblants.

Cette journée était décisive ; un parti venait de retrouver son vrai chef et son drapeau : dans les affections du peuple, Pompée descendait au second rang, César montait au premier. Le vainqueur de Sertorius, des pirates et de Mithridate peut maintenant revenir, l’édile est en état de le forcer à compter avec lui.

Au sortir de l’édilité (64), César essaya de se faire donner la mission d’aller réduire l’Égypte en province, en vertu d’un testament de Ptolémée Alexandre Ier. Ce royaume, par où passait alors tout le commerce de l’Orient avec l’Europe, était le plus riche pays du monde. S’il n’avait pas les trente-trois mille villes que Théocrite lui donne, il est certain qu’il payait, chaque année, un impôt de 14.800 talents. Avec de tels revenus, on pouvait solder bien des dettes, et avec les moissons de l’Égypte faire au peuple bien des largesses. Crassus et César se disputèrent cette riche proie. Ils ne l’eurent ni l’un ni l’autre. L’affaire fut reluise, et le tribun Papius chassa par une loi tous les étrangers que les deux compétiteurs, surtout César, déjà en relation intime avec les Transpadans[28], avaient attirés à Rome pour faire passer leur demande.

Au lieu de cette brillante mission, César fut appelé à présider le tribunal chargé de punir les meurtriers, de sicariis. Jusqu’alors il s’était borné à protester contre la dictature de Sylla : il voulut la frapper d’une flétrissure légale. Parmi les affaires qu’il évoqua à son tribunal, fut celle de deux meurtriers des proscrits, L. Bellianus, le centurion qui avait tué Lucretius Ofella, et un autre assassin plus obscur ; il les condamna[29]. Pour frapper le sénat, il remonta plus haut encore. A son instigation, un tribun du peuple, Labienus, accusa, l’année suivante, le vieux sénateur Rabirius d’avoir, prés de quarante ans auparavant, sur un décret du sénat, tué un magistrat inviolable, le tribun Saturninus[30], et il réclama l’application de la vieille loi de perduellion, qui ne laissait pas, comme la loi de majesté, la faculté de l’exil volontaire[31]. Condamné par les duumvirs, Rabirius en appela au peuple. Mais Labienus plaça sur la tribune aux harangues l’image du tribun égorgé ; et n’accorda au défenseur de l’accusé qu’une demi-heure pour son plaidoyer. Malgré les éloquents efforts de Cicéron, malgré les prières, les larmes des principaux sénateurs, Rabirius eût été déclaré coupable, si le préteur Metellus Celer n’eût arraché le drapeau blanc qui flottait sur le Janicule[32]. Ce peuple formaliste céda, en riant de lui-même, au vieil usage ; l’assemblée fut déclarée dissoute, et César, content d’avoir encore une fois prouvé sa force, laissa tomber l’affaire[33] ; mais les sénateurs étaient avertis que, s’ils essayaient un jour des coups d’État, le peuple briserait leurs instruments[34].

Ce même Labienus, qui lui servait de lieutenant dans le tribunat, comme il lui en servira dans la guerre des Gaules, fit encore abroger la loi cornélienne relative aux pontifes, dont la nomination fut rendue aux comices. Le peuple en témoigna aussitôt à César sa reconnaissance en lui donnant le grand pontificat, charge à vie qui le rendait inviolable[35]. Ni ses mœurs ni l’athéisme qu’il professait ouvertement n’avaient été pour lui des obstacles. Ses mœurs et ses opinions étaient celles de la plupart des hommes de son temps ; en ce liement même, Lucrèce écrivait son poème audacieux contre la crédulité populaire. La religion officielle n’était plus qu’une institution d’État. ; mais elle donnait à son chef une brande situation, et César ne voulait pas laisser à d’autres ce moyen d’influence. Catulus, un de ses compétiteurs, le sachant obéré, avait essayé vie le désintéresser en lui offrant des sommes considérables, J’en emprunterai de plus grandes pour réussir, dit-il ; et l’on pourrait croire qu’il s’était préparé à recourir à la force, si sa dernière parole à sa mère, en partant pour les comices, était vraie : Aujourd’hui je serai banni ou vous me reverrez grand pontife[36]. La même année (63), il fut désigné pour la préture, et, continuant ses bons rapports avec Pompée, il lui fit accorder par un plébiscite le droit d’assister aux jeux avec une couronne de laurier et la robe triomphale[37].

Cicéron était alors consul. La crainte de César et de Catilina avait fait accepter de la noblesse l’homme nouveau[38], le brillant avocat qui avait su gagner tant de causes, et qui répétait tout bas à chaque consulaire : De cœur, j’ai été toujours, avec vous, du parti des grands, jamais du côté du peuple. Si j’ai parfois parlé dans le sens populaire, c’est qu’il me fallait gagner Pompée, dont le crédit est si nécessaire à une candidature[39]. D’ailleurs ceux qui se présentaient ne valaient guère mieux que Catilina. Galba et Cassius, étaient inconnus ; Antonius avait été chassé du sénat, et il n’aurait pu, disait-il lui-même, plaider dans Rome à crédit égal contre un Grec[40]. Rejeter, par un refus, du côté de Pompée ou de César, un homme que sa modération classait naturellement parmi les conservateurs, c’eût été une imprudence et de plus un effort inutile. Soutenu par les publicains et l’ordre équestre qu’il avait tant servis ; par les municipes italiens, qui se souvenaient de son origine ; par la jeune noblesse, enthousiaste de son éloquence, et par les principaux meneurs des tribus, qui lui avaient fait depuis deux ans des promesses formelles, Cicéron serait arrivé au consulat sans le sénat et malgré lui. En l’accueillant de bonne grâce, les nobles gagnaient le dévouement du parvenu, et ils donnaient à leur parti, pour les luttes du Forum, un grand orateur, c’est-à-dire une force considérable.

Cicéron fut élu d’une voix unanime, sans même que le peuple voulût aller au scrutin[41]. Ce succès blessa César au vif, mais il était facile de mettre cette popularité à l’épreuve en soulevant une question où il faudrait se prononcer entre le peuple et le sénat. — Le tribun Rullus proposa une loi agraire, dont les dix commissaires investis de l’imperium auraient pendant cinq années un pouvoir absolu pour vendre en Italie, en Sicile, en Espagne, dans la Macédoine, la Grèce, l’Asie Mineure et jusque dans le Pont, les terres du domaine publie, excepté celles qui avaient été assignées pendant la dictature de Sylla. Avec le produit de cette vente et les revenus de toutes les provinces, moins ceux de l’Asie, réservés à Pompée, que César ménageait toujours, avec la restitution du butin de guerre et de l’or coronaire que les généraux n’auraient pas remis au trésor ou employés en monuments publics, les décemvirs devaient acheter en Italie des champs labourables pour les distribuer aux pauvres, notamment dans la Campanie et dans le fertile territoire de Venafrum et de Casinum. La rogation leur reconnaissait enfin le droit d’exiger la redevance due au trésor pour toute terre du domaine publie, qu’ils laisseraient aux détenteurs. En offrant aux colons de Sylla un échange contre espèces ou une garantie de leur propriété, et en accordant un dédommagement à ceux qui, dépossédés par le dictateur, étaient tombés dans ta misère, on aurait rait cesser les haines excitées par les proscriptions. Le but de Rullus, ou plutôt de César, était donc patriotique. Ils voulaient réconcilier les anciens et les nouveaux propriétaires, et en même temps abolir le prolétariat, cette plaie des grandes cités et des sociétés riches, qu’aujourd’hui nous cherchons à former par une distribution plus équitable des bénéfices de l’industrie, et qui alors ne pouvait être guérie qu’avec des concessions de terre. Mais la loi eût aussi renversé toutes les fortunes aristocratiques, en forçant les grands à restituer le butin de guerre, qui appartenait aussi bien à l’État que les terres conquises par ses armes et dont Rullus disposait. Pour les Romains de l’âge vraiment républicain, ce droit de l’État avait toujours été respecté ; un siècle plus tôt, Caton le censeur agissait encore conformément à ce principe, et Caton d’Utique ne détourna pas une drachme du trésor cypriote. Dans la nouvelle république on avait pensé autrement : les soldats de Rome combattaient et mouraient, plus encore pour donner de l’or à leurs chefs que des provinces à leur patrie. La clause introduite par le tribun eût ruiné le fils de Sylla, Lucullus, Metellus, Catulus et cent autres. C’était donc une refonte de l’État et une conception profonde qui révèle l’inspiration de César, et de son génie réformateur ; mais c’était aussi une loi bien compliquée et d’application difficile. Les nobles, détenteurs du domaine public, les chevaliers, fermiers de l’impôt, étaient également menacés ; ils annonçaient qu’une dictature sortirait d’une loi qui conférait de tels pouvoirs. Ce fut une raison pour Cicéron, leur avocat ordinaire, de l’attaquer ; il le fit dans quatre discours éloquents[42]. Avec une suprême habileté, il démontra aux pauvres qu’en leur donnant des terres, on les dépouillait ; qu’en leur parlant de liberté, on allait les asservir ; et, au milieu de cette fertile Campanie qu’on voulait leur partager, il leur montra le fantôme menaçant de Capoue ressuscitée et aussi redoutable pour Rome qu’aux jours d’Annibal. Son éloquence, aidée de l’argent des riches, empêcha la loi de passer. Mais, tout en répétant qu’il voulait être un consul populaire, Cicéron avait été forcé, par sa nouvelle position, d’expliquer comment il comprenait la popularité. Ses raisons sont excellentes. Cependant le peuple, en ne l’entendant parler que de soumission à l’ordre établi, devait trouver que le portrait fait par son consul d’un chef populaire ressemblait singulièrement à celui d’un ami dévoué des grands. César, que Cicéron avait attaqué à mots couverts[43], était battu ; il avait toutefois atteint un. but important : le brillant avocat qui venait de plaider si bien était désormais classé ; aux yeux de tous, Cicéron n’était plus que l’orateur des riches.

Un autre tribun proposa de mettre un terme à la dégradation civique dont Sylla avait frappé la postérité de ses victimes. Ce décret était une cruauté, Cicéron l’avouait[44], et le premier acte de la dictature de César sera la suppression de cette iniquité. Mais, après avoir recouvré leurs droits politiques, les fils des proscrits redemanderaient peut-être aux clients de Cicéron leurs biens confisqués ; il fit encore rejeter cette rogation. Quand le peuple siffla le tribun Roscius, pour avoir donné aux chevaliers des places séparées au théâtre, le consul, qui aimait à monter à la tribune[45], entraîna la foule au temple de Bellone, lui fit honte de céder à une basse envie, magnifia l’ordre équestre, et la ramena repentante au théâtre. Ce fut, dit Quintilien, son plus beau triomphe oratoire. Mais, quand le peuple n’était plus sous le charme de ce beau langage, il retrouvait ses rancunes et sa colère. La popularité de Cicéron ne paraissait plus redoutable.

Durant tout ce consulat, César avait harcelé sans relâche Cicéron. Les attaques du parti populaire ne furent cependant pas pour le consul sa plus grande affaire. Catilina l’inquiétait bien davantage. Effrayé des progrès que faisait la conjuration dans Rome et dans toute l’Italie, il commençait à voir que, s’il y avait entre le sénat et César une question d’influence et de pouvoir, entre Catilina et les grands il y avait une question de vie ou de mort. Aux dernières élections consulaires, Antonius ne l’avait emporté sur Catilina que de quelques voix, et celui-ci s’était remis sur les rangs pour l’année 62. Afin de l’écarter, Cicéron et le sénat appuyèrent Silanus et Murena, l’un et l’autre amis de Crassus et de César, afin de gagner ces deux puissants personnages, qu’on soupçonnait de voir avec plaisir les dangers dont Catilina menaçait l’oligarchie[46]. Comme dernière ressource, le cas où ce dernier serait élu, Cicéron fit ajouter aux peines portées par les lois contre la brigue un exil de dix ans pour le coupable[47]. Catilina, à bout de patience, était décidé ; s’il ne réussissait pas cette fois, à jouer enfin le tout. Ses préparatifs étaient achevés ; des armes étaient réunies en divers lieux. Des vétérans de l’Ombrie, de l’Étrurie et du Samnium, depuis longtemps travaillés par ses émissaires, se préparaient sans bruit. La flotte d’Ostie paraissait gagnée. Sittius Nucerinus, en Afrique, promettait de soulever cette province et peut-être l’Espagne. A Rome sans doute Cicéron montrait une fâcheuse vigilance, mais il n’avait pas de forces sous la mails, toutes les légions étant en Asie avec Pompée, et Catilina croyait pouvoir compter sur l’autre consul, Antonius ; enfin un des conjurés, L. Bestia, était tribun désigné, un autre préteur. Il espérait donc qu’il suffirait d’un signal pour que des armées apparussent tout à coup sous les murs de Rome, où d’autres complices allumeraient sur divers points l’incendie, afin d’arriver, au milieu de la confusion ; jusqu’au sénat et aux consuls. Quelques conjurés, surtout le préteur Lentulus Sura[48], homme ruiné et flétri, parlaient d’armer les esclaves qui remuaient dans l’Apulie. Catilina hésita à déchaîner une tourbe qu’il craignait de ne pouvoir ensuite maîtriser. Ses complices ne voulaient qu’échapper à leurs créanciers et à leurs juges ; il avait une ambition plus haute. En plein sénat, il osa dire : Le peuple romain est un corps robuste, mais sans tête ; je serai cette tête. Et une autre fois : On veut porter l’incendie dans ma maison, je l’éteindrai sous des ruines[49]. Moins habile que César et que Pompée, il se plaçait en, dehors de la constitution pour la renverser d’un coup, sûr que les siens, une fois gorgés d’or, lui laisseraient le pouvoir, même ce Lentulus qui se croyait prédestiné à régner sur Rome[50].

Il attendait avec anxiété l’issue des comices consulaires. Cicéron, qui, par les révélations d’un des conjurés[51], tenait déjà tous ses secrets, vint présider l’assemblée avec une cuirasse qu’il laissait voir sous sa toge ; des soldats occupaient les temples voisins, et la foule des chevaliers entourait le consul. Silanus et Murena, les deux candidats du parti sénatorial, l’emportèrent[52].

Le même jour, des émissaires sortaient par toutes les portes de Rome, et, à quelque temps de là, le sénat apprenait que des rassemblements armés avaient été vus dans le Picenum et l’Apulie ; que la place forte de Préneste avait failli être surprise ; que dans Capoue l’on redoutait un soulèvement d’esclaves ; qu’un ancien officier de Sylla, Mallius, campait devant Fésules avec une armée de soldats tirés des colonies militaires et de paysans ruinés ; qu’enfin, à Rome, deux conjurés avaient essayé de pénétrer au point du jour chez Cicéron pour l’assassiner[53]. Par bonheur, deux proconsuls, Marcius Rex et Metellus Creticus, venaient d’arriver d’Orient, et attendaient aux portes de la ville, avec quelques troupes, le triomphe qu’ils sollicitaient. Le premier fut aussitôt dirigé contre Mallius, le second sur l’Apulie ; un autre préteur alla dans le Picenum, et Pompeius Rufus courut à Capoue pour en faire sortir les gladiateurs, qu’il distribua par petites bandes dans les municipes voisins. Rome même fut mise, comme nous dirions, en état de siége. Les consuls, investis par le sénat d’un pouvoir discrétionnaire, provoquaient des révélations par des promesses ; ils levaient des troupes, plaçaient des gardes aux portes, sur les murailles, et ordonnaient des rondes dans tous les quartiers. Cet appareil militaire, ces craintes contre un ennemi invisible, augmentaient l’effroi : tous les riches se sentaient menacés d’un grand péril, qui n’était pas aux frontières, mais autour d’eux, sur leurs tètes, et ils ne savaient où le combattre. Cicéron comprenait que, au milieu de cette terreur, il suffirait du plus léger incident pour déranger tous les calculs, mais il ne voulait rien précipiter : on n’était plus au temps de Servilius Ahala ; la violence n’eût peut-être pas réussi ; et il savait qu’un acte d’énergie qui échoue tue un gouvernement débile le sénat devait couvrir sa faiblesse de son respect pour la légalité. Il avait bien d’autres ennemis : quel parti prendraient Crassus et César ? A coup sûr, ils s’opposeraient à une justice qu’il serait facile d’appeler proscription et tyrannie. Pour isoler les conjurés, il fallait donc les contraindre à démasquer leurs projets incendiaires ; et Catilina restait dans Rome, Catilina venait au sénat !

Le 8 novembre, le consul avait réuni les sénateurs dans le temple de Jupiter Stator. Catilina s’y présente ; à sa vue, Cicéron éclate : Jusques à quand abuseras-tu, Catilina, de notre patience ? Quoi ! ni la garde qui veille la nuit sur le mont Palatin, ni les troupes réunies dans la ville, ni la consternation du peuple, ni ce concours des bons citoyens ni ce lieu fortifié où le sénat s’assemble, ni les regards indignés que tous ici jettent sut : toi, rien ne t’arrête !... Ô temps ! ô mœurs ! Tous ces complots, le sénat les connaît, le consul les voit et Catilina vit encore ! Que dis-je, il vit ? Il se rend au sénat, il désigne aux poignards ceux de nous qu’il veut immoler et nous, qui avons reçu du sénat le décret dont Opimius frappa Caïus Gracchus, nous le laissons inutile, comme un glaive qu’on n’ose tirer du fourreau !... Oui ! j’attends encore, car je veux que tut ne périsses que quand tu ne pourras plus trouver quelqu’un d’assez pervers pour te plaindre et te défendre. Jusque-là tu vivras, mais tu vivras comme tu vis maintenant, entouré, assiégé d’hommes qui à ton insu te gardent et te surveillent ; des yeux toujours ouverts, des oreilles toujours attentives, suivront et recueilleront tes paroles.... Renonce, crois-moi, à tes desseins ; tu es enveloppé, tes projets nous sont connus. Veux-tu que je te les dise ? Rappelle-toi que le 20 octobre j’avais annoncé pour le 27 la prise d’armes de Mallius : me suis-je trompé ? Pour le 28, le massacre de toute la noblesse : n’est-ce pas ma vigilance qui ce jour-là t’a arrêté ? Et le 1er novembre, quand tu as voulu surprendre la colonie de Préneste, n’était-elle pas bien gardée ? Va, tu ne fais pas une action, tu n’as pas un projet, pas une pensée, que je n’entende, que je ne voie, que je ne comprenne. Je te dirai encore ce que tu as fait la nuit dernière : tu as été chez Læca ; tu as partagé l’Italie entre tes complices ; tu as désigné ceux qui partiraient avec toi, ceux qui resteraient à Rome ; à ceux-ci tu as marqué les lieux où ils devaient allumer l’incendie ; aux autres tu as demandé quelques instants encore, jusqu’à ce que j’aie été assassiné, et deux chevaliers sont venus dans ma maison pour te débarrasser de ce dernier souci ; mais déjà je savais tout.... Quoi donc t’arrête encore ? Achève tes desseins, sors de Rome, les portes te sont ouvertes. Si j’ordonnais ta mort, la lie impure que tu as soulevée resterait dans notre ville ; pars, et qu’avec toi elle s’écoule hors de nos murs. Dans cette enceinte même, plusieurs ne paraissent pas convaincus ; si je te frappais, ils diraient que je fais le roi. Mais, quand tu sens dans le camp de Mallius, qui doutera encore ? Alors d’un coup nous écraserons nos ennemis, et ce mal qui a tant grandi sera enfin arraché du sein de la république. Écoute, je crois entendre la patrie elle-même qui te crie : Catilina, depuis quelques années, il ne s’est pas commis un forfait dont tu ne sois l’auteur, aucun scandale où tu n’aies trempé ; contre, toi les lois sont muettes et les tribunaux impuissants. Ne me délivreras-tu pas des terreurs que tu causes ?

Et en disant ces mots Cicéron se hâtait, pour empêcher que Catilina ne les regardât comme une faiblesse, de lui montrer les chevaliers romains qui entouraient la curie en frémissant, prêts à frapper, sur un signe, l’ennemi de tous les riches. Mais le consul voyait la populace favorable au rebelle[54] ; il craignait que le sang du coupable ne retombât un jour sur sa tête comme celui d’une victime, et il le poussait de toutes ses forces à la guerre ouverte, afin de pouvoir le déclarer légalement ennemi publie. Il se rappelait Scipion Nasica et Opimius morts misérablement pour avoir servi une oligarchie bien autrement forte que celle qu’il défendait maintenant, et il se serait contenté de l’exil volontaire de Catilina.

Chassé par l’éloquente parole du grand orateur, Catilina sortit du sénat, la menace à la bouche La nuit venue, il quitta Rome, et, après quelques hésitations, il alla se mettre à la tête des troupes de Mallius, leur portant, comme gage de victoire, une aigle d’argent sous laquelle les soldats de Marius avaient combattu à Aix et à Verceil[55].

En partant, il avait mis sa femme Orestilla sous la protection de Q. Catulus par une lettre où il disait : Poussé à bout par l’injustice qui me prive des récompenses méritées par mes services, tandis qu’on les accorde à des hommes indignes, j’ai embrassé la cause des malheureux. C’était le seul parti qui me restât à prendre pour sauver mon honneur[56]. Aux yeux de ces patriciens, un échec électoral était un outrage, parce qu’il diminuait leur dignité. Catilina n’avait peut-être pas le droit de parler ainsi, mais le sentiment de ce qui était dû à un Romain de grande race remplissait l’âme de ces nobles, lors même qu’ils étaient tombés dans le mépris public.

Avant de s’éloigner, Catilina avait mandé aux conjurés qu’il laissait dans la ville, de compter toujours sur lui, et que bientôt il serait aux portes de Rome. Cicéron essaya de se débarrasser d’eux, comme il avait fait du chef, en dévoilant dans une assemblée du peuple leurs projets, en les accablant tour à tour de ses sarcasmes et de ses menaces[57].

Enfin, Quirites, cet audacieux est sorti de nos murs ; Catilina a fui ; sa frayeur ou sa rage l’a emporté loin de nous. Les coutumes de nos ancêtres, la sécurité de l’État, demandaient son supplice. Mais combien parmi vous refusaient de croire à ses crimes ! Combien les traitaient de chimères ou les excusaient ! Maintenant personne ne doutera, et vous le combattrez face à face, puisqu’il se déclare publiquement votre ennemi. Que n’a-t-il emmené avec lui ses dangereux complices ! Pour son armée, pour cette tourbe de vieillards désespérés, de paysans sans ressources et de débiteurs fugitifs, j’ai le plus profond mépris : ce n’est pas devant l’épée qu’ils fuiront ; il suffira de leur montrer l’édit du préteur. Mais il en est d’autres qui, parfumés d’essences et habillés de pourpre, courent çà et là dans le Forum, assiégent les portes du sénat, entrent même dans la curie. Voilà ceux de ses soldats que j’aurais voulu voir partir avec lui. Les portes sont ouvertes, les chemins sont libres. Qu’attendent-ils ? Ils se trompent étrangement, s’ils croient que ma longue patience ne se lassera pas. Qui remuera dans la ville, qui entreprendra contre la patrie apprendra que Rome a des consuls vigilants, un sénat courageux, des armes, une prison, où nos ancêtres ont voulu que les crimes manifestes fussent expiés.

Un petit nombre seulement de conjurés s’effrayèrent et partirent. Parmi eux était le fils d’un sénateur ; son père, averti, le fit poursuivre et tuer par ses esclaves[58]. Mais Lentulus, Cethegus, Bestia, restaient à Rome, tantôt parlant d’accuser Cicéron pour avoir exilé un citoyen sans jugement, tantôt s’arrêtant au projet d’un massacre général des magistrats pendant les Saturnales. Cicéron, servi par de nombreux espions, suivait tous leurs mouvements ; il n’osait cependant frapper, parce qu’il manquait de preuves écrites ; l’imprudence des conjurés lui en donna.

Il y avait alors à Rome des députés allobroges, qui depuis longtemps réclamaient vainement, justice pour leur peuple, ruiné par les exactions des gouverneurs. Lentulus les fit sonder par Umbrenus, comptant exploiter lent mécontentement au profit de sa cause. Ils cédèrent, promirent l’assistance de leur cavalerie ; puis, réfléchissant aux dangers d’une telle alliance, ils allèrent tout révéler à Fabius Sanga, leur patron. Celui-ci se hâta de les conduire au consul, qui leur commanda d’exiger de Lentulus un engagement écrit, sous prétexte que leurs compatriotes ne pourraient, sans cela, croire à leurs paroles. Lentulus, Cethegus et Statilius scellèrent de leurs sceaux les lettres demandées, et donnèrent leurs pleins pouvoirs à Volturcius qui partit en même temps que les députés. Le pont Milvius, par où ils devaient passer, était cerné : on les saisit avec leurs dépêches, et, avant que la nouvelle s’en fût répandue, Cicéron manda les principaux conjurés, qui, n’ayant aucun soupçon, se rendirent à son appel. Sans les interroger, sans décacheter leurs lettres, il les mena au temple de la Concorde, où le sénat s’était réuni, pour commencer l’instruction. Accablés par les dépositions de Volturcius et des Allobroges, les accusés reconnurent leurs sceaux, n’osant rien avouer, n’osant non plus rien nier. Lentulus, plongé dans un indigne abattement[59], abdiqua, séance tenante, la préture ; il fut remis à la garde de l’édile Spinther, Statilius à César, Gabinius à Crassus, Cethegus à Cornificius, Ceparius au sénateur Cn. Terentius. Avant de se séparer, le sénat vota des actions de grâces au consul dont la vigilance avait sauvé la république, et décréta que de solennelles supplications seraient adressées aux dieux, comme pour les victoires des armées : Cicéron était le premier qui, sans avoir revêtu l’habit de guerre, eût mérité cet honneur.

Il se hâta de porter au peuple ces révélations[60], et la taule, jusque-là indifférente aux dangers de l’oligarchie, s’émut de cette alliance des conjurés avec un peuple barbare, de cet appel fait à Catilina d’accourir sur Rome, fût-ce avec une adnée d’esclaves, tandis que ses complices mettraient le feu en divers endroits de la ville et commenceraient le massacre. Chacun, même le plus pauvre, se sentit menacé, et le consul, rassuré du côté du peuple, précipita les choses au sénat. Le 5 décembre[61], ce jour des nones qu’il célébra si souvent, Cicéron ouvrit la délibération sur le sort des conjurés. Plusieurs songeaient à profiter de cette circonstance pour faire envelopper leurs ennemis personnels dans la proscription qu’on allait prononcer. Catulus, Pison surtout, fatiguèrent Cicéron de leurs instances pour qu’il fit parler les Allobroges contre César. D’autres suscitèrent des accusateurs contre Crassus[62]. Mais Cicéron savait bien qu’en les attaquant le sénat aurait affaire à trop forte partie. C’était bien assez de Catilina à vaincre, d’une guerre civile à terminer, d’une exécution illégale à accomplir.

Le sénat n’avait pas le pouvoir judiciaire ; à l’assemblée du peuple seule était réservé le droit de prononcer une sentence capitale. Le sénat allait donc commettre une usurpation, et la responsabilité devait en retomber sur celui qui s’en faisait honneur, sur le consul. Aussi la conduite de Cicéron était-elle à la fois pleine de réserve et d’audace. Il poursuivait la tâche qu’il s’était donnée pour le repos de L’État, pour sa propre gloire et pour sa fortune politique ; hais, s’il ne reculait pas devant les périls du moment, il tâchait, à force de prudence, de conjurer ceux de l’avenir. Tout en violant l’esprit de la constitution, il suivait scrupuleusement les formes : il ne faisait pas arrêter les conjurés dans leurs maisons, afin de respecter le domicile des citoyens ; il ne livrait pas Lentulus aux licteurs : il le conduisait lui-même par la main au milieu du sénat, parce qu’un consul seul pouvait contraindre un préteur ; enfin il faisait déclarer les conjurés ennemis publics, perduelles, pour qu’on pût procéder contre eux comme s’ils n’étaient plus citoyens. Mais il semblait craindre d’augmenter le nombre des accusés, et, au milieu de tant de coupables, il ne demandait que cinq têtes. Dans la curie, s’il disait hautement qu’il prenait tout sur lui, il n’oubliait pas de montrer la solidarité qui unissait le sénat à son consul. Pendant prés de deux mois il avait laissé inutile le décret qui lui donnait toute puissance ; aujourd’hui encore il voulait que la sentence fût portée par cette assemblée, afin qu’il ne parût qu’un instrument, et que sa cause devînt celle du sénat.

Il n’avait, du reste, négligé aucun moyen de rassurer les sénateurs par un déploiement de forces inusité. Tous les citoyens avaient dès la veille prêté le serment militaire[63] ; beaucoup étaient enrôlés et gardaient en armes le Capitole et les principaux édifices ; de fortes patrouilles parcouraient les rues, et l’escorte ordinaire du consul, les jeunes chevaliers, entouraient le temple de la Concorde, où les Pères étaient réunis. Le consul désigné, Silanus, interrogé le premier, vota pour la peine dernière[64] ; tous les consulaires se rangèrent à son avis. César, alors préteur désigné, osa soutenir une opinion plus douce ; il vota pour la détention perpétuelle dans un municipe avec la confiscation des biens[65]. Chef du parti populaire, il était dans son rôle d’invoquer les lois pour s’opposer au coup hardi que voulait frapper une oligarchie tremblante et irritée. Le peuple d’ailleurs ne voyait pas la conspiration du même œil que les grands. Le manifeste, publié quelques jours auparavant par Mallius, semblait être celui de tous les pauvres de Rome. Parler en faveur des conjurés, c’était donc braver l’oligarchie au milieu de sa victoire et plaire au peuple, qui oublie si vite, connue César le disait, les crimes des grands coupables pour s’apitoyer sur leur supplice[66].

Déjà la plupart des sénateurs, ébranlés, passaient à son avis, même Quintus, le frère du consul, et Silanus expliquait ses propres paroles dans le sens de César. Cicéron alors se leva, fit voir le danger de s’arrêter après être allé si loin ; mais, quoiqu’il eût encore, dans et, discours, courageusement assumé sur lui seul la responsabilité à force de la montrer terrible et menaçante, pour agrandir son rôle, il avait effrayé ses collègues, qui l’eussent peut-être abandonné si Caton ne fût venu à son aide avec sa rude éloquence et d’amères récriminations contre César[67]. L’assemblée, entraînée, vota la mort[68]. Cicéron, pour compromettre César, voulut l’ faire joindre la confiscation des biens qu’il avait proposée ; la discussion recommença, mais pleine de colère et de violence. Il est odieux, disait César, de rejeter ce que mon avis avait d’humain et de n’en prendre que la disposition rigoureuse. Le consul, pressé de terminer l’affaire, consentit à ce que le sénatus-consulte ne parlât point de confiscation. Un moment le tumulte avait été si grand, que les chevaliers qui entouraient le temple avaient envahi la curie ; ils cherchaient César, pour l’égorger ; des sénateurs lui firent un rempart de leur corps[69].

Cicéron ne perdit pas un instant, pour ne pas laisser à César le temps de faire intervenir les tribuns, ni au sénat, qu’il avait enchaîné à sa cause, celui de se rétracter. Il alla prendre lui-même Lentulus dans la maison où il était détenu au Palatin, et le conduisit au Tullianum, où les préteurs amenèrent les autres conjurés. Les triumvirs capitaux les attendaient. Lentulus fut étranglé le premier. Sur son cadavre, Cethegus, Gabinius, Statilius et Ceparius subirent l’un après l’autre la même mort. Quand le consul traversa pour la seconde fois le Forum, en descendant de la prison, il ne dit que ces mots : ils ont vécu ; et la foule, frappée de stupeur, s’écoula en silence (5 décembre 63). Personne ne se dit alors que les Pères et leur consul venaient de faire un coup d’État, en usurpant le pouvoir judiciaire que la loi ne leur donnait pas. Mais un jour Clodius en demandera compte à Cicéron et César au sénat. Tôt ou tard, les fautes politiques sont expiées.

Les succès des généraux du sénat avaient sans doute donné à Cicéron la confiance d’accomplir ce qu’il regarda comme l’honneur de son consulat et un grand service rendu à son pays. Partout les mouvements avaient été réprimés par la seule présence des troupes. Il n’y avait eu de résistance sérieuse qu’en Étrurie. Cicéron, qui avait acheté, par la cession du gouvernement lucratif de la Macédoine, la coopération de son collègue Antonius, l’avait placé à la tête des troupes dirigées contre Catilina, mais en faisant surveiller toutes ses démarches par un de ses amis les plus dévoués, le questeur Sextius. Cette armée couvrait Rome, tandis qu’une autre, sous les ordres de Metellus, occupait la Cisalpine et menaçait les derrières de Catilina. Celui-ci avait réuni vingt mille hommes, dont le quart seulement était armé. Au lieu d’attaquer à l’improviste, il perdit un temps précieux à négocier la défection d’Antonius. Mais, à la nouvelle de l’exécution de Lentulus, le consul sentit que la cause des conjurés était perdue, et il ébranla enfin son armée. La désertion se mit aussitôt dans celle de Catilina ; au bout de quelques jours, il ne lui restait plus que trois à quatre mille hommes. Il voulut battre en retraite, percer l’Apennin, gagner les Alpes et la Gable pour recommencer Sertorius. Derrière lui Metellus gardait tous les passages ; il se retourna en désespéré sur l’armée consulaire qu’Antonius avait placée sous les ordres d’un vieux et habile soldat, Petreius, et la rencontra non loin de Pistoïa. Avant la bataille Catilina renvoya son cheval, comme Spartacus, et se plaça au centre avec un corps d’élite. L’action fut acharnée[70] ; pas un de ses soldats ne recula ou ne demanda quartier ; lui-même fut trouvé, bien en avant des siens, au milieu d’un monceau de cadavres ennemis, et respirant encore. On lui coupa la tête et on la fit porter à Rome. L’histoire, tout en les condamnant, garde quelque pitié pour ces grands factieux qui savent bien mourir, et l’imagination populaire fait mieux encore que l’histoire : à Rome, on couvrit de fleurs son tombeau[71], comme on le fera plus tard pour Néron, et dans les plus vieilles chroniques de Florence, Catilina joue le rôle d’un héros national[72].

A voir ce facile succès et le peu de sang qu’il fallut verser, à home celui de cinq personnages obscurs ou décriés, sur le champ de bataille celui d’une troupe, plutôt que d’une armée, de vieux soldats que tout le monde abandonnait, on est contraint de penser que l’éloquence de Cicéron a fait illusion sur l’importance véritable de cette affaire. II croyait avoir étouffé une grande faction, il n’avait tué qu’une conspiration vulgaire. Les éléments impurs que Catilina réunissait n’avaient pu prendre, en effet, la consistance d’un parti politique. De ces conciliabules pouvaient bien sortir le meurtre et l’incendie, mais non une révolution : car les révolutions sont faites par les idées et par les besoins d’une classe nombreuse qui est ou qui va être la majorité. Les passions égoïstes n’enfantent que des complots stériles.

 

III. — TROUBLES DANS ROME JUSQU’À LA FORMATION DU PREMIER TRIUMVIRAT (62-60).

Cependant ce coup hardi contre la société fut un moment utile à ceux qui°la gouvernaient et qui semblaient l’avoir sauvée. Le sénat avait fait preuve de vigilance et d’énergie ; on crut à sa force. Lui-même s’abandonna à cette douce illusion. Pompée lui parut moins grand, César moins à craindre, et il oublia l’indignation qu’il avait montrée le jour où Tarquinius accusa Crassus de complicité avec Catilina. Cicéron surtout se flattait d’avoir à jamais effrayé les ambitieux et les partis. Que les armes le cèdent à la toge, s’écriait le consulaire ébloui. Et, pour rester le héros de la pais, de la cité, il ne voulait pas même de sou gouvernement de la Cisalpine. Il fut vite détrompé. Il avait écrit à Pompée d’égal à égal, de vainqueur à vainqueur ; le générai ne daigna pas lui répondre. Déjà, pour rabaisser l’orgueil du parvenu, Pompée avait dépêché à Rome un de ses officiers, Metellus ‘Nepos, qui obtint aisément le tribunat et se déclara l’ennemi du consul. En déposant les faisceaux, Cicéron s’était promis d’adresser un discours au peuple pour glorifier son consulat immortel, qui pourtant, si l’on met à part l’exécution de Lentulus et de ses complices, n’avait été marqué que par deux lois sans importance. L’homme qui n’a pas permis aux accusés de se défendre, ne se défendra pas, dit le tribun, et il lui ordonna de se borner au serment d’usage, qu’il n’avait rien fait de contraire aux lois. Je jure, s’écria Cicéron, je jure que j’ai sauvé la république ! A ce cri éloquent, Caton et les sénateurs répondirent en le saluant du nom de Père de la patrie, que le peuple confirma de ses applaudissements.

Mais, quand l’ivresse de ce dernier triomphe fut passée, Cicéron, redevenu plus calme, vit mieux la situation. Pompée s’éloignait et de lui et du sénat ; Crassus accusait Cicéron de l’avoir calomnié, et lui en gardait une mortelle rancune ; un tribun enfin semblait le menacer d’une accusation capitale, malgré le sénatus-consulte par lequel toute action était interdite contre ceux qui avaient aidé à punir les conjurés. Le prudent consulaire s’étudia à calmer tous ces ressentiments : il tâcha d’apaiser Crassus[73] ; il proclama bien haut le zèle qu’avait montré César, et il s’humilia devant Pompée, qu’il mit au-dessus de Scipion, en demandant près de lui la place de Lælius[74]. Il alla chercher des amis jusque parmi les complices de Catilina. Publ. Sylla, un des conjurés, fut défendu par lui et acquitté, malgré l’évidence des preuves. Faut-il croire Aulu-Gelle[75] affirmant que l’accusé avait prêté à son avocat 2 millions de sesterces, qui lui servirent à acheter une magnifique maison ?

Quant à Metellus Nepos, il avait pour collègue dans le tribunat un citoyen sur qui Cicéron et le sénat pouvaient compter, M. Porcius Caton. Homme tout d’une pièce, ne transigeant sur rien ni avec personne, et jamais avec lui-même, Caton fut peut-être, de tous les personnages fameux de l’antiquité, celui qui porta le plus haut l’idée du devoir. Comme son aïeul, dont il avait la rudesse, il se fit le censeur des hommes de son temps ; sans relâche et sans mesure, il combattit pour ce qu’il crut être le droit ; et quand il pensa qu’il devait à sa cause un dernier exemple, il se tua, pour que son sang rejaillit sur la couronne triomphale du vainqueur et y restât comme la protestation suprême de la liberté.

Malheureusement cet homme de bien, qui, préteur, venait siéger à son tribunal nu-pieds et sans tunique sous sa toge, était ridicule par son affectation de rusticité, et il ne comprenait ni les choses ni les hommes au milieu desquels il vivait[76]. C’était un de ces conservateurs à outrance qui veulent arrêter le temps et ressusciter les morts. Caton l’Ancien, esprit original et sain, exerça une grande influence ; son arrière-petit-fils n’en eut aucune ; il n’arriva même pas au consulat et n’a vécu que par sa mort dans la mémoire de la postérité.

Il avait été déjà questeur ; ses prédécesseurs, tous jeunes nobles, bien vite ennuyés de chiffres et d’affaires de finances, laissaient, pour courir à leurs plaisirs, ces fatigantes fonctions aux greffiers du trésor. De là un affreux gaspillage des deniers publics, de fausses créances qui étaient admises, des dettes au trésor qui n’étaient pas payées. Caton avait surveillé ces officiers, et, malgré leurs clameurs et la protection intéressée de quelques hauts personnages, il était parvenu à les faire rentrer dans l’ordre et le devoir. Les meurtriers des proscrits s’étaient fait payer jusqu’à 2 talents pour chaque tête qu’ils apportaient. Caton les avait poursuivis comme détenteurs de deniers publics, et forcés à restitution. Ayant trouvé des registres où étaient marqués tous les revenus de la république, il les avait achetés 5 talents, et depuis qu’il était sorti de charge, il avait tenu toujours quelqu’un de ses amis dans la chambre du trésor, pour y prendre note de tous les actes, de même qu’il se faisait envoyer des provinces les ordonnances et les jugements de tous les gouverneurs.

Les sénateurs le craignaient, parce qu’il ne ménageait personne ; mais le sénat l’aimait, parce que ce corps avait en lui un champion intrépide. On a vu sa conduite dans le jugement de Lentulus. Peu de temps auparavant il était sur la route de Lucanie, où il allait visiter ses terres, quand il rencontra un long convoi de bêtes de somme et de bagages. Il demanda à qui tout cela appartenait, et sur la réponse que était à Metellus Nepos, qui retournait à Rome pour briguer le tribunat : Il n’est plus temps d’aller aux champs et de se reposer, dit-il : cet agent de Pompée va tomber sur le gouvernement comme la foudre ; et aussitôt il rebroussa chemin et demanda pour lui-même le tribunat. Le peuple venait de vendre à Murena les faisceaux consulaires : Cicéron le savait, mais, en face de Catilina, qui n’était pas encore abattu, il crut qu’il y avait danger à condamner un noble, à rouvrir l’élection, et, malgré sa loi Tullia, il prit la défense de Murena, que Caton, étranger à toute prudence intéressée, accusait. Pour détruire l’ascendant d’un tel nom, il poursuivit de sarcasmes cette trop rigide vertu. Voulez-vous savoir, juges, ce qu’est un sage du Portique ? Il n’accorde rien à la faveur, il ne pardonne jamais. Lui seul est beau, fût-il estropié, bancal et de travers[77] ; seul il est riche, fût-il gueux ; il est roi, fût-il esclave. Nous autres, qui n’avons pas la sagesse, nous sommes des fugitifs, des exilés, des ennemis, des fous. Toutes les fautes sont égales, tout délit est un crime. Étrangler son père, ou tordre le cou à un poulet sans nécessité, c’est la même chose. Le sage ne doute jamais, ne se repent jamais, ne se trompe jamais et jamais ne change d’avis. Il continua longtemps ainsi. Nous avons, dit Caton, un consul bien plaisant[78]. Pourtant il ne lui en garda pas rancune, le soutint contre César, et le salua le premier du nom de Père de la patrie.

Cicéron espérait avoir réuni en un seul parti ceux qu’il appelait les honnêtes gens, c’est-à-dire, les riches ; les chevaliers s’y étaient ralliés. Le but de ce parti devait être la défense du pouvoir prépondérant du sénat, la conservation, pour les nobles, de leurs privilèges, pour les chevaliers, des sources de leur fortune ; en un mot, le maintien de l’ordre établi, sans désir d’améliorer et de légitimer ce gouvernement en diminuant les abus. Pour conserver cette union, Cicéron se prêtait à tout, même à jeter un voile sur les fautes des grands : juge de Lentulus, il venait de faire absoudre Sylla. Caton seul démasquait brutalement les coupables, dans le peuple comme dans la noblesse ; mais partout aussi il rencontrait un noble pour arrêter sa main : Cicéron lui enlevait Murena, et Catulus allait jusqu’à la violence pour sauver un greffier obscur. Caton essaya cependant de donner à ce parti quelque popularité en faisant décréter par le sénat une distribution de blé aux pauvres, qui coûta par an à l’État 1250 talents[79].

A cette mesure, les chefs populaires répondirent, malgré une vive opposition des Pères, par la suppression, en faveur des marchands, des droits d’entrée et de sortie dans toute l’Italie[80] ; bientôt César proposera d’aliéner au profit des pauvres les derniers restes du domaine public en Campanie. Ainsi chacun, même Caton, dans un intérêt de parti, augmente les dépenses de l’État et diminue les recettes : tactique dont l’usage ne s’est pas perdu. Du moins les mesures de Metellus et de César seront un encouragement au commerce et à l’agriculture, tandis que la loi frumentaire de Caton accroîtra la foule paresseuse du Forum, que, durant sa dictature, le vainqueur des grands sera obligé de réduire.

Catulus, le chef du sénat, avait commencé la reconstruction du Capitole et s’était hâté de s’assurer l’honneur, auquel un Romain tenait beaucoup, de graver son nom sur le monument. Dés le premier jour de sa préture, César proposa de confier à Pompée le soin d’achever le nouveau temple, ce qui lui donnerait le droit de mettre son nom à la place de celui de Catulus. La chose était de peu de conséquence, car ce n’était qu’une question de vanité, mais elle montre la persistance de César dans sa politique à l’égard de Pompée, et l’opposition croissante entre les populares et les nobles. Ceux-ci, à la nouvelle de la proposition de César, en avaient oublié de porter, suivant l’usage, leurs félicitations aux nouveaux consuls, et ils étaient accourus en si grand nombre au Forum, que le préteur, content d’avoir, une fois encore, manifesté ses intentions, laissa tomber l’affaire[81].

Metellus alla plus loin : il demanda que le proconsul d’Asie fût rappelé avec toutes ses forces et chargé de rétablir l’ordre dans la ville. La rogation semblait ne menacer que Catilina, qui tenait toujours ; en réalité, elle était dirigée contre Cicéron et l’oligarchie : Caton jura que, tant qu’il vivrait, la proposition ne passerait pas[82].

Le matin du jour où les tribus votaient, Metellus fit occuper par des gladiateurs le temple de Castor qui donnait sur la place, et s’assit au haut des degrés, à côté de César. Caton traverse hardiment la foule armée, et vient se placer entre le tribun et le préteur, pour les empêcher de communiquer ensemble. Quand le greffier commence à lire le texte de la rogation, il l’en empêche. Metellus ayant pris les tablettes, il les lui arrache et les brise ; le tribun veut la réciter de mémoire, un ami de Caton lui ferme la bouche. Le peuple battait des mains ; mais, sur un signe de Metellus, les gladiateurs chassèrent la foule ; Caton, qui ne voulait pas reculer, fut sauvé à grand’peine par Murena. Au bout de quelque temps les nobles revinrent en force, et Metellus, à son tour, s’enfuit de la ville dans le camp de son patron.

Les sénateurs, trompés sur leur force réelle par cette nouvelle victoire, et prenant l’habitude des coups d’État, déclarèrent le tribun et César suspendus de leurs fonctions[83]. César d’abord ne tint compte de ce décret, voulant amener tes grands à quelque violente démarche qui lut permît de se présenter au peuple comme une victime du sénat. Quand les nobles le menacèrent d’employer la force s’il n’obéissait, il renvoya ses licteurs ; mais l’effet qu’il espérait était déjà produit : on accourut en foule vers lui, on lui offrit de le maintenir, envers et contre tous, dans la charge que le peuple lui avait donnée, et le sénat, pour ne pas mettre cette apparente abnégation à une trop longue épreuve, supprima son décret.

Quelque temps après, Vettius, un des espions dont Cicéron s’était servi pour découvrir les fils de la conjuration, et qui, depuis ce temps, avait des dénonciations toutes prêtes pour qui le payait, cita César par-devant le questeur Novius Niger, comme complice de Catilina, et un autre l’accusa en plein sénat d’avoir été affilié au complot ; il le savait, disait-il, de Catilina lui-inëme. Quand ce bruit se fut répandu dans la ville, le peuple accourut encore pour sauver son chef, et fit entendre autour de la curie des cris menaçants. On se hâta de déclarer l’accusation calomnieuse ; Cicéron parla contre elle, et Vettius, livré à César, faillit être mis en pièces par la foule irritée[84]. Quant au questeur qui avait reçu une citation à son tribunal contre un préteur, magistrat supérieur, César le fit traîner en prison, pour lui apprendre à respecter l’ordre des pouvoirs.

César avait le don des grands politiques qui savent faire servir jusqu’à leurs rivaux au succès de leurs desseins. Il s’était aidé de Pompée pour renverser l’œuvre de Sylla : il s’aida de Crassus pour battre en ruine l’ouvrage de Cicéron, cette seconde renaissance du parti sénatorial. Plus qu’aucun autre des contemporains de César, Crassus lui a été sacrifié ; on a fait de lui un ridicule personnage, véritable héros de comédie, sorte d’appoint dans cette partie terrible que jouèrent les deux autres triumvirs. On oublie que comme général, il pouvait marcher l’égal de Pompée et de Lucullus, et que, si ses victoires avaient été moins retentissantes, elles étaient plus honorables, car elles avaient, contre les gladiateurs et contre Telesinus, sauvé deux fois l’existence de home. Tandis que Pompée passait au peuple, Crassus était resté fidèle à la constitution cornélienne ; et durant sept années, il fut, avec Catulus, le chef du sénat. Ses immenses richesses, butin de la guerre Civile, lui donnaient des clients jusque dans cette assemblée ; et ses esclaves, dont il eût pu former une armée, ses affranchis, ses débiteurs, ses locataires (il possédait plusieurs quartiers de Rome), rendaient son appui précieux pour faire ou polar arrêter un mouvement. Les grands commirent la faute de se l’aliéner, et ils lui montrèrent quel devait être son allié, lors qu’ils l’enveloppèrent, avec César, en de vagues soupçons de complicité avec Catilina. Dans le sénat, il n’y avait plus d’attention que pour Cicéron, Caton et Lucullus[85], et l’on parlait du prochain retour des légions pompéiennes. Contre l’oligarchie redevenue confiante et hautaine, contre le proconsul d’Asie, son ancien adversaire, Crassus dut se rapprocher de l’homme que l’oligarchie aussi persécutait. César se hâta de mettre à profit l’intimité du riche capitaliste, mais d’abord pour un autre.

Clodius, patricien de pétulante et ambitieuse nature comme tous ceux de sa race, et chargé, bien jeune encore, de dettes et de vices[86], s’était introduit sous des vêtements de femme dans la maison de César, durant la célébration des mystères de la Bonne Déesse, que jamais les regards d’un homme n’avaient profanés. A peine entré, il fut découvert ; les dévotes crièrent au scandale, et les pontifes firent recommencer les mystères souillés. Par ses liaisons avec le parti populaire, Clodius s’était aliéné les grands ; ils saisirent cette occasion de perdre ce nouvel ennemi et d’embarrasser César, dont il avait compromis la femme : ils le firent accuser de sacrilège. Cicéron et les gens tranquilles hésitaient, mais Caton pressait, et les matrones, qui se croyaient insultées, mettaient pieusement toute la ville en émoi ; surtout on attendait la conduite de César. Il trompa tout le monde. Pour concilier son honneur et ses intérêts, il répudia sa femme : non qu’elle fût coupable, mais parce que la femme de César, disait-il, ne devait pas même être soupçonnée, et il sauva Clodius en lui faisant prêter, par Crassus, l’argent nécessaire pour acheter ses juges. Cicéron, contraint par sa femme Terentia, qui se mêlait de toutes les affaires, et qui, ce jour-là, voulait le brouiller avec les Clodius, fit une déposition accablante, qu’il expia plus tard cruellement. Le sénat croyait la cause gagnée ; il avait accordé une garde aux juges sur leur demande, et confié aux magistrats le soin de voilier à leur sûreté ; mais, dans l’urne, il se trouva trente et un bulletins favorables contre vingt-cinq qui condamnaient. C’était donc pour sauver votre argent, dit Catulus à un des juges, que vous nous demandiez une garde ? Tu connais ce chauve (Crassus), écrit Cicéron : c’est lui qui a tout conduit. Il a promis, cautionné, donné ; ses bandes d’esclaves ont envahi le Forum, et les gens de bien ont fait retraite en masse[87]. Aussi le tribunal qui prononça l’acquittement n’est-il pour lui qu’un tripot qui jamais n’avait réuni pareils coquins : des sénateurs flétris, des chevaliers en guenilles, des tribuns du trésor aussi cousus de dettes que décousus d’argent.

César, qui venait de répudier sa femme pour l’ombre d’un soupçon, s’accordait à lui-même beaucoup de licence ; mais il faisait servir le plaisir à la politique. Ce n’est point par hasard qu’on trouve ses maîtresses dans les maisons où elles pouvaient le mieux aider à ses desseins : Tertulla, femme de Crassus ; Muria, femme de Pompée ; Postumia, femme de Sulpicius, dont elle fit un ami de César ; bien d’autres encore, et, avant toutes, Servilia, sœur de Caton et mère de Brutus le tyrannicide. Celle-ci, qui était veuve, eut pour lui une longue et vive affection, mais n’eut malheureusement pas, sur son frère et sur son fils, l’influence de Postumia sur son mari. Les femmes prenaient donc part à la politique ; c’était un état nouveau des mœurs, qui a été précédemment signalé et qui marque, avec tant d’autres symptômes, la fin de la vieille société, où il n’était question d’une femme que pour en dire : Elle reste au logis et file la laine.

L’échec subi par les grands dans le procès de Clodius était grave, car il fallait le mesurer sur l’importance donnée par les partis à cette affaire et y ajouter les suites qu’elle eut. Au sénat, on déclara que les juges s’étaient vendus, et une information fut commencée. L’ordre équestre en fut blessé, y voyant une tentative pour chasser ses membres des tribunaux, et leur irritation augmenta lorsque, quelque temps après, Crassus poussa les publicains à demander, sur le pris des fermes de l’Asie, une diminution que les Pères refusèrent. Déjà mécontents de la flétrissure infligée aux juges de Clodius, les chevaliers se séparèrent hautement du sénat, et l’union des ordres, la pensée constante de Cicéron, fut brisée.

Avant l’issue du procès de Clodius, César était parti pour son gouvernement de l’Espagne Ultérieure. Il laissait derrière lui Crassus engagé avec Clodius et eu rupture ouverte avec l’oligarchie ; lui-même s’était attaché l’opulent consulaire en se faisant cautionner par lui, auprès de ses créanciers, pour 850 talents (5 millions de francs), et les chevaliers regardaient avec complaisance du côté de ces hommes qui défendaient leurs intérêts et leur honneur. Enfin le proconsul d’Asie arrivait. Il arrivait, disait-on, à la tête de ses légions pour en finir avec la république. Mais Pompée n’avait ni cette ambition ni cette hardiesse ; ne sachant que mettre à la place de ce gouvernement, il entendait seulement y prendre la première place, et, pour y parvenir, il ne pensait pas, en ce moment, avoir besoin de soldats ; sa gloire devait suffire : dès qu’il eut touché Brindes, il licencia son année.

Cette démarche jeta les nobles dans l’aveuglement : ils se crurent maîtres de la situation, et lorsque Pompée demanda que les comices consulaires fussent retardés pour qu’il pût solliciter en faveur d’un de ses amis, Caton lui fit refuser cette permission. Quelque temps auparavant (63) le sénat avait accordé à Lucullus le triomphe vainement sollicité par lui pendant trois ans ; il venait d’autoriser encore celui de Metellus Creticus ; autant eût valu dire au peuple : Voilà les vainqueurs véritables de Mithridate et des pirates[88]. Pompée en avait été cruellement blessé. Toutefois, dans son premier discours au peuple[89], il parla sans colère et avec de grands ménagements pour tous les partis ; il chercha ultime a gagner jusqu’à Caton. Cette modération, en un temps où le forum était habitué aux violences de la parole, laissa tout le monde froid, et personne ne prit au sérieux ce rôle d’arbitre suprême qu’il semblait réclamer. Vers la fin de septembre, il célébra son triomphe. Le sénat avait-il voulu ne pas accorder plus de deux jours ? La cérémonie du moins ne dura pas davantage, et il resta assez d’objets pour décorer un autre triomphe. On v avait porté les bijoux et les pierres gravées de Mithridate, sa statue en argent, son trône et son sceptre, trente-trois couronnes en perles, trois statues d’or de Minerve, Mars et Apollon, le lit en or de Darius fils d’Hvstaspe, puis des tableaux sur lesquels il était écrit que Pompée avait subjugué douze millions d’hommes, pris huit cents navires, mille forteresses, trois cents villes, fondé ou repeuplé trente-neuf cités, versé dans le trésor 20.000 talents et presque doublé les revenus publics[90]. Des médailles frappées à son nom montraient le globe de la terre enveloppé de laurier et au-dessus la couronne d’or décernée au vainqueur de l’Afrique, de l’Espagne et de l’Asie. Il avait distribué à chacun de ses légionnaires 6.000 sesterces[91]. Les soldats de la république sont déjà les mercenaires de l’empire.

Mais, en descendant de son char, où il s’était montré avec le costume d’Alexandre, Pompée se retrouva seul dans cette ville, un moment auparavant pleine de sa gloire. Lucullus l’attaquait, le sénat lui était hostile, Caton prétendait qu’il n’avait eu à combattre que des femmes, Cicéron même trouvait que son héros d’autrefois était sans dignité et sans élévation[92]. Des deux consuls, l’un, Metellus Celer, était son ennemi ; l’autre, Afranius, dont il avait paré la charge, était, dit Cicéron, la nullité même, jusque-là qu’il ne savait pas ce que valait la place qu’il avait achetée[93]. Pompée fit bientôt l’épreuve de son crédit. En Orient il avait disposé des,couronnes, fait et défait des royaumes, fondé des villes, enfin tout réglé souverainement de la mer Égée au Caucase et de l’Hellespont à la mer Bouge. La confirmation de tous ses actes était pour lui une question d’honneur ; il demanda au sénat une approbation générale et prompte. Lucullus, appuyé de Caton, proposa de délibérer séparément sur chaque fait. Cette lente discussion, où mille échecs étaient inévitables, eût singulièrement rabaissé celui qui jouait naguère en Asie le rôle de roi des rois : il la refusa. Dans le même temps, il faisait demander au peuple, par le tribun Flavius, des terres pour ses vétérans. Au Forum, comme à la curie, il rencontra Maton et le consul Metellus. Les choses allèrent si loin, que Flavius fit tramer le consul en prison : tout le sénat voulait l’y suivre. Mais le patron du tribun eut honte de ces violences ; il céda une seconde fois, le cœur profondément ulcéré contre ces nobles qui le déshonoraient aux yeux de ses soldats et de toute l’Asie.

Alors, s’il faut en croire un historien[94], il se repentit d’avoir licencié ses troupes : c’était trop tard. Repoussé par les grands, il ne lui restait plus qu’à recommencer le rôle de démagogue pour lequel il était si peu fait ; mais, du côté du peuple, la première place était prise, il fallait partager : César l’attendait là.

 

 

 

 



[1] Une loi plus importante du même tribun astreignit les magistrats à publier, dés leur entrée en charge, les règles d’après lesquelles ils jugeraient, et à ne jamais s’écarter de leur édit, comme ils le faisaient auparavant, par un édit nouveau, edictum repentinum. (Dion, XXXVI, 38-39 ; Cicéron, pro Murena, 23.)

[2] Dion, XXXVI, 21, et Asconius, in Ciceronis pro C. Cornelio, fragm. I, 19, 31.

[3] L’affaire fut reprise en 65 ; Cicéron, qui voulait gagner Pompée et se rendre populaire, défendit l’accusé. Ce discours, que Quintilien (VIII, 3) appelle un chef-d’œuvre, est perdu, sauf quelques fragments.

[4] Cicéron dit qu’au commencement de son consulat novœ dominationes, extraordinaria non imperia, sed regna, quæri putabantur (de Lege agraria, II, 5).

[5] Quintus dit à son frère (de Petitione consulatus, 19, 51) qu’il s’est acquis sa popularité en défendant des amis de Pompée, Manilius et Cornelius.

[6] Cicéron, ad Fam., VIII, 15. Il portait sur son anneau l’empreinte d’une Vénus armée double emblème des faiblesses et de la gloire de ce grand homme (Chateaubriand, Itinéraire). Le musée Borbonico de Naples a un buste colossal de César qui passe pour authentique. Ses traits nous ont été aussi conservés par d’autres bustes, des statues, des monnaies et des pierres précieuses ; malheureusement toutes ces images ne se ressemblent pas. Cicéron dit de lui : Forma magnifica et generosa quodam modo (Brutus, 75).

[7] Pour la formation des hommes supérieurs la nature fait les trois quarts, l’éducation le reste. Notons que César eut pour maître de philosophie et d’éloquence le Gaulois Gniphon. (Suétone, de Grammaticis, 7.)

[8] Suétone, J. César, 45 : Usum enim lato claro ad manus fimbriato nec umquam aliter quam ut super eum cingeretur.

[9] Au dire de Plutarque (César, 1), Sylla confisqua la dot de Cornélie. Pompée et Pison avaient été moins rebelles aux volontés du dictateur.

[10] Suétone, J. César, 45 : Ut male praecinctum puerum caverent. Je ne suis pas assuré de l’authenticité de ce mot de Sylla. Ces mots ont été faits après la fortune de César.

[11] Voici la chronologie de l’histoire de César jusqu’à son consulat : le 12 juillet de l’an 100, ou de l’année 102, sa naissance ; 87, il est désigné flamine dial par l’influence de Marius ; 83, il épouse Cornélie, fille de Cinna ; 81, il sert sous Minucius Thermus, au siége de Mitylène ; 80, il y mérite une couronne civique ; 78, il sert en Cilicie sous P. Sulpicius et retourne à Rome à la nouvelle de la mort de Sylla ; 77, il accuse Dolabella ; 76, il accuse Antonins ; 75, il séjourne à Rhodes pour suivre les leçons du rhéteur Molon ; 74, il recouvre la dignité de flamine et est élu tribun lésionnaire par le peuple, qu’il a gagné en faisant des distributions de blé ; 70, son oncle, Aurelius Cotta, enlève Ies jugements aux sénateurs, et lui-même fait rappeler les complices de Lepidus ; 68, sa questure ; il suit le préteur 4ntistius dans l’Espagne citérieure ; 67, il épouse Pompeia, petite-fille du consulaire Pompeius Rufus ; il soutient la loi Gabinia, en faveur de Pompée et est chargé de veiller aux réparations de la via Àppia ; 65, son édilité curule ; 64, il est judex quæstionis de sicariis ; 63, il est élu grand pontife et préteur ; 62, sa préture ; 61, son gouvernement dans l’Espagne ultérieure ; 60, son retour à Rome ; 59, son consulat.

[12] César lui disputait une mission en Égypte, et il l’aurait obtenue du peuple si les grands n’avaient arrêté le plébiscite par le veto des tribuns.

[13] Plutarque, César, 4 ; Cicéron, pro Plancio, 26.

[14] Plutarque, ibid., 5. Il avait peut-être moins de dettes qu’on ne le dit. Ses emprunts étaient un moyen d’attacher des personnages influents à sa fortune politiques il emprunta dans ce but à Crassus, à Pompée, à Atticus. (Cicéron, ad Atticum, VI, 1, et Plutarque, ibid.)

[15] La maison Sergia était patricienne et avait donné son nom à une des tribus.

[16] C’est, du moins, le portrait que Cicéron trace de lui dans le pro Cœlio et dans la seconde Catilinaire, cependant il fut un instant lié avec lui : Me ipsum, me inquam, quondam pæne ille decepit. Catilina s’était distingué à l’armée de Curion en Macédoine, et dès qu’il avait eu l’âge prescrit pour la préture, il l’avait obtenue.

[17] Son père avait été condamné pour un meurtre. (Cicéron, pro Cluentio, 7.)

[18] Cicéron, Catilina, I, 6 ; Val. Maxime, IX, 1, 9 ; Appien, Bell. civ., II, 2. Salluste ne parle pas du meurtre de Gratidianus que Cicéron lui attribue.

[19] Ad Atticum, I, 2.

[20] Cicéron, dans le de Officiis (II, 24), ne faisait plus tard de la conjuration de Catilina qu’un complot de débiteurs contre leurs créanciers : nunquan nec majus æs alienum fuit, nec melius, nec facilius dissolutum est ; et la lettre de Mallius à Marcius Rex (Salluste, Cat., 33) prouve que ce fut la vraie cause qui donna une armée à Catilina. Mais si les soldats ne demandaient que l’abolition des dettes, le chef ne voulait-il pas autre chose ? Certainement le consulat d’abord, puis une province à piller, des charges pour ses complices et, après, une grande autorité dans l’État, une dictature au jour le jour : tabulas novas, proscriptiones locupletium, magistratus, sacerdotia, rapinas (Salluste, ibid., 21). Les documents montrent un ambitieux voulant prendre la première place ; rien n’indique un réformateur.

[21] Q. Cicéron, de Petit. cons., 3. Il fut encore accusé l’année suivante (64) de violence publique par Lucullus, et acquitté. (Dion, XXXVII, 10.)

[22] Suétone, J. César, 10 ; Dion, XXXVIII, 8.

[23] Pline, Hist. nat., XXXIII, 16 :.... Omni apparatu arenæ argenteo usus est.

[24] Beneficiis ac munificentia magnus habebatur (Salluste, Cat., 54).

[25] Plutarque, César, 6 ; Velleius Paterculus, II, 53 ; Val. Maxime, VI, IX, 14.

[26] En 68, durant sa questure, contrairement à l’usage qui n’autorisait pas les oraisons funèbres pour les jeunes femmes, il avait fait l’éloge de sa femme, Cornélie, fille de Cinna.

[27] Marius avait ordonné la mort du père de Catulus.

[28] Dion, XXXVII, 9 ; Cicéron, de Lege agrar., I,1 ; pro Archia, 5. En revenant d’Espagne, après sa questure, il avait promis aux Transpadans, qui avaient déjà le jus Latii (Asconius in Pison, p. 5, éd. d’Orelli), de leur faire accorder le jus civitatis, qu’il leur donna plus tard. Cf. Suétone, J. César, 8 ; Dion, XLI, 50.

[29] Suétone, J. César, 19 ; Dion, XXXVII, 10 ; Cicéron, pro Cluentio, 99.

[30] Il n’est pas prouvé que Rabirius ait été le meurtrier de Saturninus.

[31] Aliæ leges condemnatis civibus non animant eripi sed exilium permitii jubent (Salluste, Cat., 51. Cf. Cicéron, II Ver., V, 60). La lex de crimine majestatis de Sylla semble avoir aboli le crimen perduellionis, qui se retrouvait encore dans les lois tabellaires de Cassius (137) et de Cœlius (107).

[32] Roseum bellorum, album comitiorum fuisse tradunt (Servius ad Æneid., VIII, 1). Du temps de Dion (XXXVII, 23) la coutume était encore observée.

[33] Cette même année, il accusa C. Pison pour ses concussions dans ta Narbonnaise, et pour avoir fait injustement décapiter un Transpadan ; Cicéron défendit l’accusé, qui fut absous ; mais, par cette accusation, César avait renoué ses vieilles relations avec les Transpadans, dont il était comme le patron.

[34] Cicéron reconnut lui-même que c’était le seul but de ce procès : Ut illud summum auxilium majestatis atque imperii, quod nobis a majoribus est traditum, de re publica tollereiur (Pro C. Rabario perd. reo, 1), et Ego in G. Rabirio.... senatus auctoritatem sustinui (in Pison, 2).

[35] Dion, XXXVII, 37. Marius, son oncle, l’avait fait nommer (87) flamine dial, à la place de Corn. Merula. (Velleius Pater., II, 45 ; Suétone, César, 1.) Sylla lui retira ce titre, qu’il recouvra à la mort de son oncle C. Aurelius Cotta, en 71.

[36] Plutarque, César, 7.

[37] Velleius Paterculus, II, 40 ; Dion, XXXVII, 21.

[38] Cicéron décrit (de Lege agraria, II, 2) l’espèce de proscription qui frappait alors les hommes nouveaux. Il n’avait pas, dit-il, au commencement de son consulat l’appui de la noblesse. Salluste parle de même (Catilina, 23).

[39] Je ne fais ici que traduire les conseils que son frère Quintus lui donnait : Minime populares, etc. voyez au traité de Petitione consulatus, où la position de Cicéron est bien marquée, de curieux et, il faut le dire, de honteux détails sur les candidatures.

[40] Q. Cicéron, de Petit. cons., 5.

[41] Non tabellam.... sert vocem vivam (de Lege agraria, II, 9).

[42] Il ne nous en reste que trois, mais Cicéron (ad Att., II, 1) en annonce quatre. Trois ans plus tard il écrivait à Atticus (I, 19) : Confirmabam omnium privatorum possessiones, is enim est noster exercitus hominum, ut tute scis, locupletium. On voit que ses idées politiques se bornaient à sauvegarder les intérêts des riches, même contre les plus légitimes revendications.

[43] Cf. de Lege agraria, I, 7 : Hi quos multo magis quam Rullum timetis ; et ch. 24 : Eis quibus ad habendum, ad consumendum nihil satis esse videatur.

[44] Cicéron, ad Atticum, II, 1 ; in Pisonem, 2 ; Plutarque, Cicero, 12.

[45] De Lege agraria, II, 5. Il n’imitera pas, dit-il, l’exemple de ses prédécesseurs, qui évitaient avec soin la tribune : aditum hujus loci conspectumque vestrum.

[46] ... Res publica in paucorum jus atque ditionem concessit. Voyez le discours que Salluste prête à Catilina (Cat., 20). C’est l’œuvre de l’historien, mais c’est aussi l’opinion d’un contemporain et d’un témoin oculaire. Salluste avait 26 ans à la mort de Catilina et il avait vécu à Reine. Salluste ne croit pas à l’atroce serment par lequel Catilina aurait voulu lier ses complices ; il a raison de n’y pas croire ; mais Flous, Plutarque et Dion ont ramassé ces abominations dont Cicéron n’aurait pas manqué de se prévaloir, si elles eussent été vraies.

[47] Cette loi exigeait aussi de tout candidat qu’il n’eût pas donné de combats de gladiateurs dans les deux années qui précédaient sa candidature. Une autre loi Tullia réduisit à une année la plus longue durée des légations libres.

[48] Parmi les conjurés, outre Lentulus, qui avait été consul en 71, et que les censeurs de 70 avaient chassé du sénat, Salluste nomme P. Autronius, L. Cassius Longinus, Cethegus, membre, comme Lentulus, de la gens Cornelia, deux neveux du dictateur, Publius et Servius Sulla, L. Varguntelus, ancien questeur également flétri par un jugement, Q. Annius, M. Porcius Læca, L. Bestia et Q. Curius, tous sénateurs ; parmi les chevaliers, M. Fulvius Nobilior, L. Statilius, P. Gabinius Capito et C. Cornelius. Lentulus, étant questeur, avait volé les deniers publics ; mis en jugement, il fut absous à deux voix de majorité : J’en ai acheté une de trop, disait-il (Plutarque, Cicéron). Durant sa préture, il présida le tribunal on se plaida l’affaire de Varron, gouverneur d’Asie. Hortensius, le défenseur, acheta le président et les juges ; mais, pour être sûr que ceux-ci gagnaient bien leur argent, il leur donna des tablettes de couleurs différentes (Cicéron, in Ver., I, et Asconius). Afin de rentrer au sénat, Lentulus brigua de nouveau la préture (64). Les livres sibyllins disaient que C C et C devaient régner à Rome : déjà la prophétie s’était réalisée pour Cinna et Cornelius Sylla, le troisième était évidemment Cornelius Lentulus. Le prince sibyllin, comme l’appelle Porcius Latro, se jeta tout entier dans la conspiration qui comptait trois autres membres de la même maison, tant le succès de Sylla avait exalté les ambitions les plus vulvaires. P. Autronius, consul désigné pour l’année précédente, avait été destitué ; Cassius Longinus avait aussi inutilement brigué cette charge en 64. Bestia était alors tribun, Gabinius avait été condamné pour ses concussions en Achaïe.

[49] Cicéron, pro Murena, 9.5 ; Salluste, Catilina, 31 : Incendum meum ruina restinquam.

[50] Cicéron, in Catilina, III, .1 ; Plutarque, Cicero, 17.

[51] Voyez, dans Salluste, le rôle de ce Curius, ancien questeur chassé du sénat liait ans auparavant, et de sa maîtresse Fulvia.

[52] Murena fut accusé de brigue par Sulpicius, que soutint Caton, au grand déplaisir de Cicéron, car une condamnation aurait rendu toutes ses chances à Catilina ; aussi se chargea-t-il, avec Hortensius et Crassus, de le défendre. Murena fut acquitté.

[53] Salluste, Catilina, 27, 30 ; Appien, Bell. civ., II, 2. Voyez dans la IIe Catilinaire, 3, la description de l’armée de Mallius.

[54] Nam semper in civitate, quibus opes nullæ sunt, bonis invident, malos extollunt ; vetera odere, nova exoptant (Salluste, Catilina, 37) ... qui probro.... præstabant.... Romam sicut in sentinam confluxerant (Ibid.)

[55] Cicéron, in Catilina, I et II. Catilina quitta Rome le 9 novembre 63, qui répond dans le calendrier réformé au 15 Janvier 62.

[56] Salluste, Catilina, 35.

[57] C’est le sujet de la seconde Catilinaire.

[58] Val. Maxime, V, VIII, 5 ; Dion, XXXVII, 36.

[59] On avait trouvé chez lui beaucoup d’armes.

[60] Troisième Catilinaire, prononcée le 3 décembre.

[61] Répondant au 7 février 62.

[62] On vient de voir que Catulus avait été le rival malheureux de César dans la candidature au pontificat et que César avait accusé Pison criminellement. Crassus fut dénoncé en plein sénat par un des conjurés. Salluste (Cat., 48) prétend avoir entendu dire é Crassus que c’était à Cicéron qu’il devait cet outrage.

[63] L’année précédente, Rabirius, condamné comme perduellis, en avait appelé au peuple, et Cicéron avait déclaré que, depuis la loi de majesté, on ne pouvait plus recevoir le crimen perduelliotis. Dans le pro Rabirio, il avait rappelé la loi de Caïus Gracchus : Ne de capite civium Romanorum injussu vestro judicaretur et il répète dans le de Legibus, III, 1, de capite civis, nisi per maximum comitiatum.... ne ferunto.

[64] Plutarque, Cicéron, 27.

[65] Dion, XXXVII, 55.

[66] Voyez son discours dans Salluste (Cat., 51). C’est dans ce discours que lui, le grand pontife, déclare que la mort est la fin de toute peine, qu’au delà il n’est ni joie ni chagrin.

[67] Voyez, dans Plutarque (Cat., 24), un trait qui peint à la fois le caractère soupçonneux de Caton et les mœurs de César à l’occasion du billet de Servilia, sœur de Caton, billet que celui-ci prit pour une lettre des conjurés.

[68] Suétone, César, 14.

[69] Dix huit ans plus tard, Cicéron se vantait encore d’avoir rendu l’arrêt, avant d’avoir recueilli les voix : ante quam consulerem, ipse judicaverim (ad Att., XII, 21). — The execution of the Catilinarians was an act of sanguinary panic, such as provokes and may sometimes compel retaliation. (Merivale, History of the Romans..., t. I, p. 190, n. 2.)

[70] Cette bataille eut lieu quelques jours après l’entrée en charge des nouveaux consuls, par conséquent au commencement de 62 (milieu de mars de l’année véritable). (Dion, XXXVII, 39 ; Tite Live, Épit., CIII.) L’affaire ne finit pas là : pendant près d’une année il y eut des accusations et des exils. Cf. Cicéron, pro Sulla, et Dion, XXXVII, 41. Quant au vainqueur, Antonius, gouverneur, l’année suivante, de la Macédoine, il s’y déshonora si bien par ses exactions, qu’il fut exilé et qu’en 49 César refusa de le rappeler.

[71] Cicéron, pro Flacco, 38.

[72] Malespini, Istor. Fiorent., cc. 13-21. On a trouvé prés de Fiesole des monnaies dont la plus récente date du consulat de Cicéron. Quelque paysan effrayé par la guerre civile avait caché là son trésor et ne put revenir le prendre.

[73] Cicéron, ad Att., I, 14. Crassus ne le loua qu’après le retour de Pompée, et pour faire pièce à celui-ci, en exaltant d’autres services que les siens.

[74] Ad Fam., V, 7.

[75] Aulu-Gelle, Noct. Att., XII, 12. Les grands avocats de Rome avaient la prétention de ne rien recevoir de leurs clients ; c’étaient des amis auxquels ils prêtaient le secours de leur éloquence. Cicéron le dit en vingt endroits, et reproche à Hortensius, dans les Verrines par exemple, que son zèle ne soit pas désintéressé. Les clients devaient payer les jours d’élection ; d’ailleurs les cadeaux remplaçaient les honoraires.

[76] Il reste cependant de lui une lettre adressée à Cicéron qu’on ne s’attendrait pas à voir signée de son nom et où il se moque très Finement du grand moqueur. (Ad Fam., XV, 5.)

[77] Distortissimi (pro Murena, 29).

[78] Plutarque, Cato minor, 21.

[79] Id., ibid., 26. Dans la Vie de César, il n’estime cette dépense qu’à 5.500.000 drachmes, ou 917 talents.

[80] Proposé en 60 par le préteur Metellus Nepos. (Dion, XXXVII, 51.)

[81] Suétone, César, 15 ; Dion, XXXVII, 44. Catulus, chargé de relever le temple brûlé au mois de juillet 85, en avait fait la dédicace en 69, quoiqu’il fut loin d’être achevé, et il continuait à diriger les travaux de reconstruction.

[82] Plutarque, Cato minor, 26.

[83] Suétone, César, 16.

[84] Suétone, César, 17 ; Dion, XXXVII, 41.

[85] Salluste affirme avoir souvent entendu Crassus se plaindre vivement de Cicéron. Velleius Paterculus rend hommage aux mœurs de Crassus : Vir cetera sanctissimus immunisque voluptatibus (II, 46).

[86] On a vu sa conduite dans l’armée de Lucullus, son beau-frère. Pour Ies années suivantes, voyez sa biographie dans Cicéron (de Har. resp., 20), qui naturellement le peint avec les plus noires couleurs.

[87] Ad Atticum, I, 16.

[88] Pompée n’arriva à Rome qu’à la fin de l’an 62. (Clinton, Fasti Hellen., III, 181.)

[89] Prima concio Pompeii.... non jucunda miseris, inanis improbis, beatis non grata, bonis non gravis : itaque frigebat (Cicéron, ad Atticum, I, 14).

[90] 85 millions de drachmes, au lieu de 50 millions, ou environ 79 millions de francs, au lieu de 46.500.000. (Plutarque, Pompée, 47.) Le triomphe fut célébré le 28 et le 29 septembre 61.

[91] Pline, Hist. nat., XXXVII, 6. Après la délivrance de Modène, en 43, le sénat en promit 10.000, et les triumvirs les donnèrent. Les donations de l’empire ne montèrent pas habituellement si haut. Quant à la médaille représentant un globe couronné de laurier, on n’en connaît pas d’exemplaire, et il n’était pas dans les usages des monétaires romains de frapper de pareils types.

[92] Nihil habet amplum, excelsum, nihil non suminissum alque populare (ad Atticum, I, 20).

[93] L’argent donné pour sa nomination avait été distribué dans les jardins mêmes de Pompée ; le sénat ordonna une enquête. (Cicéron, ad Atticum, I, 16.)

[94] Dion, XXXVII, 50.