HISTOIRE DES ROMAINS

 

SIXIÈME PÉRIODE — LES GRACQUES, MARIUS ET SYLLA (133-79) - LES ESSAIS DE RÉFORME

CHAPITRE XLVII — DICTATURE DE SYLLA (DE NOVEMBRE 82 AU COMMENCEMENT DE 79).

 

 

I. — LES PROSCRIPTIONS.

Sylla est de cette famille d’impitoyables niveleurs qui, de sang-froid, sans haine ni colère, brisent et broient pour unir : le Richelieu de l’aristocratie. Dans la guerre Sociale, c’était lui qui avait porté les coups les plus terribles : à Chéronée, à Orchomène, il avait battu Mithridate et conquis l’Orient une seconde fois ; à Sacriport, au combat de la porte Colline, il avait écrasé ce qui restait du parti populaire et du parti italien, tous deux ligués contre lui. Il avait donc partout fait triompher la cause de Rome, l’unité de l’empire, et, sans l’avoir voulu, il était devenu le bras vengeur de la noblesse. Italiens, provinciaux, tribuns factieux, consuls démagogues, tous avaient senti le poids de son épée. Des bords du Tibre au mont Taurus, le silence et la terreur rognaient. Il n’y avait plus de peuple, plus de sénat, plus de constitution, mais un seul homme à la tète de cent vingt mille soldats.

Quand il eut tout brisé, cet homme voulut tout reconstituer. Pour asseoir solidement son ouvrage, il crut qu’il fallait déblayer encore le terrain, arracher les ruines restées debout, faire disparaître jusqu’au dernier des chefs de cette génération nourrie dans l’anarchie et élevée dans la violence. Avant de renouveler les choses, il se dit qu’il l’allait renouveler les hommes, et, après avoir affiché longtemps une modération inattendue, il devint cruel par calcul. Deux fois on a vu, aux plus sanglantes époques de notre histoire, combien est plus terrible que la passion cette cruauté qui ne croit être qu’un raisonnement logique.

Le lendemain du combat de la porte Colline, il haranguait le sénat dans le temple de Bellone ; tout à coup on entend des cris de désespoir, les sénateurs se troublent : Ce n’est rien, dit-il, seulement quelques factieux que je fais châtier, et il continua son discours : en ce moment, cinq ou six mille prisonniers samnites et lacaniens périssaient égorgés[1]. Quand il revint de Préneste, il monta à la tribune, parla longtemps de lui-même en termes magnifiques, et termina par ces paroles : Bientôt, si vous êtes dociles, j’améliorerai votre position[2] ; mais qu’aucun de mes ennemis, aucun de ceux qui, depuis la rupture de la trêve avec le consul Scipion, ont été contre moi n’espèrent de pardon. De ce jour les proscriptions commencèrent.

Les premiers coups furent pour la famille de Marius. Un de ses parents, Marius Gratidianus, qui venait de s’honorer dans la préture en réprimant la falsification des monnaies, fut poursuivi par Catilina, qui lui creva les yeux, lui arracha la langue, les oreilles, les mains, lui rompit les bras et les jambes ; et quand ce cadavre, encore animé, ne fut plus qu’un monceau de chairs meurtries et d’ossements brisés, il lui trancha la tête, qu’il porta tolite sanglante à Sella ; puis il se lava froidement les mains dans l’eau lustrale d’un temple voisin. On n’épargna pas même les morts : le cadavre du vainqueur des Cimbres fut exhumé, livré aux outrages et jeté dans l’Anio[3]. Avant les proscriptions, ce même Catilina avait tué son frère ; il fit mettre son nota sur les listes pour confisquer ses biens[4].

César, alors âgé de vingt ans à peine, était parent de Marius et gendre de Cinna ; Sylla voulut le contraindre à répudier sa femme. Pison, Pompée lui-même, avaient obéi à une semblable injonction ; César refusa de commettre cette lâcheté et s’enfuit dans les montagnes de la Sabine, où il faillit plusieurs fois périr. Les larmes de sa famille, des vestales mêmes, arrachèrent sa grâce : Je vous le laisse, aurait dit le tout-puissant dictateur, mais dans cet enfant il y a plusieurs Marius[5]. Le mot n’a sans doute pas été prononcé, mais l’honnête refus de César annonce un de ces caractères résolus qui ne plient pas aisément, et qui, lorsqu’il s’y joint une haute intelligence, font plier les circonstances et les hommes. Toutefois il crut prudent de quitter l’Italie et alla servir au siége de Mytilène, qui résistait encore depuis Mithridate ; il y mérita une couronne civique[6].

Un grand nombre de victimes avaient déjà péri lorsque Catulus demanda à Sylla, dans le sénat : Et avec qui donc nous réjouirons-nous de ta victoire, si le sang coule dans les villes autant que sur les champs de bataille ? Un Metellus ajouta : Où et quand comptes-tu t’arrêter ?Je ne sais encore. — Mais au moins fais connaître ceux que tu destines à mourir. — Je le ferai. Et il dressa une liste de quatre-vingts noms qu’il fit afficher dans le Forum ; il laissa passer un jour, et le lendemain publia une seconde liste de deux cent vingt personnes, puis une troisième de pareil nombre. J’ai proscrit tous ceux dont je me suis souvenu, dit-il au peuple, mais j’en ai oublié beaucoup ; leurs noms seront inscrits à mesure qu’ils reviendront à ma mémoire. Metellus devait se tenir pour satisfait : la proscription n’allait plus au hasard, l’ordre était mis dans le meurtre, la légalité dans l’assassinat. Tout homme pouvait sans péril se faire bourreau et, au plaisir de tuer, joindre un profit de 12.000 deniers pour chaque tête abattue. Du 1er décembre 82 au 1er juin 81, pendant six longs mois[7], on put tuer impunément ; on tria encore longtemps après, car Roscius d’Amérie fut égorgé le 15 septembre. Tous ceux qui cachaient un proscrit partageaient son sort, fut-ce un frère, un fils ou un père. Sylla paya quelques meurtres jusqu’à 2 talents.

De Rome la proscription s’étendit sur l’Italie entière ; des bandes de cavaliers gaulois, conduites par Catilina et d’autres sicaires, allaient à la recherche des victimes. Rien ne protégeait, ni les autels domestiques ni les temples des dieux ; rien non plus, pas même les services rendus à la bonne cause, ne pouvait sauver d’un débiteur infidèle ou d’un héritier impatient. Les familiers de Sylla, ses affranchis, surtout Vettius Picens et ce Chrysogonus dont Cicéron a immortalisé l’infamie, même ses esclaves[8], vendaient le droit de faire placer un nom sur la liste fatale. Celui-ci, disait-on, c’est sa belle villa qui l’a fait périr ; celui-là, ses bains dallés de marbre ; cet autre, ses magnifiques jardins. Un citoyen qui était toujours resté en dehors des partis se promenait sur la place, il s’approche des listes et y voit son nom : Ah ! c’est ma maison d’Albe qui me tue, s’écrie-t-il. Il veut fuir, déjà le meurtrier le suivait. Les Biens des proscrits étaient confisqués ; souvent Sylla les vendait lui-même à l’encan : C’est mon butin, disait-il. Les courtisanes, les musiciens, les mimes, dont il était entouré, achetaient à vil prix : les biens de Roscius valaient 6 millions de sesterces, Chrysogonus les eut pour 2.000. Metella, l’épouse du maître, Sylla lui-même, s’attribuèrent une part énorme dans les confiscations ; aussi put-il faire une magnifique offrande sans beaucoup s’appauvrir, quand il donna à Hercule la dîme de ses biens. Catilina, un des sicaires les plus redoutés, refit dans ce bouleversement universel sa fortune délabrée, et Crassus fonda la sienne. C’était l’expropriation de la classe riche au profit de quelques nobles et de leurs valets. Les coupeurs de bourse, qui avaient tant profité des proscriptions de Marius, rendirent gorge. Beaucoup payèrent de leur fortune et de leur tête la guerre qu’ils avaient faite à la noblesse dans leurs tribunaux. Pompée, assez opulent, grâce aux exactions de son père, n’eut pas besoin de se souiller de ces honteux marchés.

Cicéron nous a conservé, dans un de ses plaidoyers, le vivant tableau de ces abominations dont il fut le témoin. Il n’a jamais été un grand politique, mais il tient une si large place dans l’histoire littéraire de son pays et, nous pouvons dire, dans l’histoire intellectuelle du monde, que rien de ce qui le touche ne doit être oublié.

Il était né, en octobre 107 [9], sur le charmant domaine que son père, chevalier romain, d’esprit très cultivé, possédait au voisinage d’Arpinum près du confluent du Fibrenus et du Liris[10]. Lorsqu’il eut pris, en 91, la robe virile, il devint l’élève assidu de l’augure Q. Mucius Scævola, qui lui enseigna le droit civil et pontifical. À dix-huit ans, il fit campagne sous Cn. Pompeius Strabo, dans la guerre Sociale ; mais il avait peu de goût pour la vie militaire, et il revint bien vite à ses études de rhétorique et de philosophie : il y passa sis ans sous les meilleurs maîtres, que l’invasion (le Mithridate avait chassés de la Grèce à Rome. Après la ruine définitive des marianistes, il se hasarda à paraître au Forum et plaida successivement, au civil pour Quinctius, au criminel pour Roscius d’Amérie : ce fut son entrée dans la vie publique.

Homme nouveau, Cicéron n’avait point d’attache avec la noblesse, qui lui fera sentir, en plus d’une rencontre, ces légères impertinences du grand seigneur à l’égard du parvenu, dont les blessures sont si vives[11]. Comme il avait trop d’esprit pour n’y pas répondre, il se moquera tout haut de ces gens qui se donnent la peine de naître et à qui la fortune vient en dormant[12]. Mais ses instincts délicats et élevés l’éloignaient plus encore de la foule, et cette contradiction entre ses goûts et sa naissance, la faiblesse de son caractère, l’extrême mobilité de ses sentiments, donneront à sa vie une indécision qui fera tort à sa renommée. Les récits qui sont suivre montreront le politique, et nous apprécierons plus tard le philosophe. Pour le moment, nous sommes à ses débuts et nous n’avons qu’à écouter l’orateur. Son éloquence ne fut jamais celle d’un homme de gouvernement ; jusque sous la toge consulaire, il gardera les habitudes du barreau, par suite d’une éducation prolongée oit, la rhétorique ayant tenu trop de place, le bien dire passait avant le bien penser. Une langue harmonieuse, presque musicale, charmait, rien qu’à être entendue, et toutes les habiletés que l’école enseignait, les lieus communs de la philosophie et de la morale, mélangés tour à tour de sarcasmes et de pathétique, enlevaient sûrement un accusé à ses juges, quel que fut le bien fondé de l’accusation[13]. Autant que le grand orateur Antonius, il s’inquiétait peu de jouer au barreau différents personnages. L’accusateur de Verrés sera le défenseur de Fonteius ; celui qui se fera le juge et l’exécuteur de Lentulus et de ses complices fut sur le point de défendre Catilina. Il admettait qu’on pouvait aider au succès par de petits mensonges[14], et il disait : Lorsqu’on plaide, on parle comme le veut la cause et non pas suivant sa raison[15]. Il avait tous les dons que quelques-uns estiment nécessaires pour faire l’avocat accompli.

On a dit qu’il avait plus d’une fois plaidé avec une grande énergie des causes gagnées d’avance. Ce ne fut point le cas pour le procès de Roscius d’Amérie, car il fallait attaquer le tout-puissant favori du dictateur, l’affranchi Chrysogonus. Mais il est probable qu’il y courut moins de danger qu’on ne pense. Sylla était un homme de pouvoir : il avait fait de son gouvernement une forteresse, il ne voulait pas qu’on en fit une caverne de voleurs, et Cicéron, garanti par Metella et ses puissantes alliances, peut-être par la secrète connivence du maître, ne courut en réalité aucun péril.

Sextus Roscius, hôte des Metellus, des Servilius et des Scipions, était par sa naissance et sa richesse le premier citoyen du municipe d’Ameria. Un soir, à Rome, il fut assassiné par les émissaires de deux de ses parents qui, pour s’emparer de son bien, treize fermes, presque toutes situées dans la fertile vallée du Tibre, obtinrent de Chrysogonus qu’il mit le nom de la victime sur les listes fatales, quoiqu’elles fussent depuis longtemps fermées. Après le meurtre, on se partagea le. prix du sang : trois des meilleures terres furent abandonnées aux assassins, et Chrysogonus acheta les dix autres 2.000 sesterces : elles en valaient 6 millions. Le fils gênait, car il pouvait un jour revendiquer son héritage : on essaya de le tuer, avais il se réfugia dans la maison d’une des plus grandes dames de Rome, Cæcilia Metella[16]. Désespérant de l’atteindre en cet asile, ils l’accusèrent d’avoir tué son père, et personne, parmi les orateurs du temps, n’osa prendre sa défense. On laissa ce soin à un avocat de vingt-six ans, la veille inconnu et le lendemain célèbre. Roscius paraît avoir été acquitté de l’accusation de parricide ; mais nous ne saurions dire s’il rentra dans ses biens[17].

Quel fut le nombre des victimes ? Appien parle de quinze consulaires, de quatre-vingt-dix sénateurs et de deux mille sis cents chevaliers[18] ; Eutrope et Orose, de vingt-quatre consulaires, sept prétoriens, soixante anciens édiles et deux cents sénateurs[19] ; Valère Maxime, de quatre mille sept cents proscrits. Mais qui pourrait compter, dit un autre[20], tous ceux qu’immolèrent les haines privées ?

Un fait conservé par hasard montrera qu’elles se donnaient carrière en Italie aussi bien qu’à Rome. Pour échapper à une accusation capitale, un meurtrier avait fui de Larinum, ville marianiste, et s’était réfugié dans le camp de Sylla. Après la bataille de la porte Colline, il rentre dans sa cité, y prend la dictature, comme envolé du vainqueur, et, à son tour, destitue, condamne et tue ; celui qui l’avait accusé est mis à mort avec tous les siens, parents et amis. Que de scènes pareilles ont dû se passer dans cette multitude de petites cités qui avaient, comme Rome, leurs factions, et, comme elle encore, les vengeances du parti victorieux, quand l’autre était abattu. Une véritable terreur pesa sur la péninsule entière. Pour la peindre, les détails nous manquent, et les horreurs de 95 n’en donneraient qu’une idée affaiblie. Mais nous volons bien que, dans l’espace de quelques mois, le défenseur de la noblesse fit couler plus de sang, dans le parti populaire, que les mauvais empereurs n’en répandirent, en deux siècles, dans la faction des grands[21].

La proscription ne s’arrêta pas aux victimes, elle frappa leur postérité jusqu’à la troisième génération : pour ôter à leurs enfants l’espoir et les moyens de les venger un jour, les fils et les petits-fils des proscrits, privés de, l’héritage paternel, furent déclarés indignes d’occuper jamais une charge publique[22].

Pour les citoyens de Rome, les proscriptions étaient individuelles ; comme Tarquin, Sylla n’abattait que les plus hautes tètes ; pour l’Italie, il y eut des proscriptions en masse. Pas un Samnite n’échappa, car Rome, disait-il, ne pourra être tranquille tant qu’il restera un seul homme de ce peuple[23]. Les villes qui avaient envoyé des soldats à ses adversaires furent non seulement privées du droit de cité, mais démantelées, quelques-unes détruites, toutes dépouillées de leurs terres, qu’il donna à ses vétérans. Sulmo, une des trois capitales des Péligniens, Spolète et Interamna, dans l’Ombrie, Préneste et Norba, deux vieilles cités latines, Nole, qui résistait encore quand le dernier des confédérés avait mis bas les armes, furent vendues à l’encan[24]. Naples perdit probablement alors son île d’Ænaria (Ischia) ; Pompéi, une partie de son territoire ; Stabies, la totalité du sien. Bien d’autres payèrent ainsi les promesses de Sylla à son armée. Dans le Samnium, Bénévent resta seul debout[25]. A Préneste, il avait ordonné qu’on amenât tous les habitants à son tribunal, mais les voyant en grand nombre : Je n’aurai jamais le loisir, dit-il, d’écouter tant de gens ; il faudrait un temps infini pour séparer quelques innocents parmi tant de coupables : qu’ils périssent tous ! Il voulut cependant en sauver un qui avait été son hâte. La vie me serait odieuse si je la tenais du bourreau de mon pays, s’écria ce généreux citoyen, et il se rejeta dans la foule que les soldats entouraient déjà.

L’Étrurie expia cruellement l’assistance qu’elle avait donnée au parti populaire. Les hommes qui avaient conduit le mouvement tombèrent sous le glaive, et les colonies militaires que le vainqueur établit changèrent, en beaucoup de lieux, la population tout entière. Alors, dit Niebuhr, périt l’antique nation étrusque avec ses sciences et sa littérature. La plus grande partie du peuple perdit la propriété foncière et languit pauvre sous des maîtres étrangers, dont l’oppression étouffa dans une postérité dégénérée tout patriotique souvenir.

L’idiome du Latium et les mœurs romaines, portés par les colons dans les districts où vivaient avec le plus d’énergie les langues, les traditions, les religions nationales, en effacèrent les derniers restes[26]. Mais, avant que cette fusion ne fût complète, il y eut de nombreuses résistances. Les protestations des sociétés qui périssent sous une domination étrangère sont appelées par celle-ci des actes de brigandage. Le proscrit se jette dans la montagne, et, soutenu par la sympathie des populations, y lutte longtemps et presque avec honneur. Après l’immense bouleversement causé par cette expropriation générale, l’Italie resta couverte de bandes armées, comme, après le soulèvement des provinces orientales, la mer se couvrit de pirates. Spartacus et Catilina essayeront bientôt de rallier ces deux forces déjà tournées contre la société qu’ils attaqueront eux-mêmes.

Les provinces eurent aussi leurs proscrits, et la main de fer qui pesait sur l’Italie s’étendit sur l’empire entier. Sylla s’était chargé lui-même de punir la Grèce et l’Asie ; il laissa ses lieutenants pacifier les provinces du Nord, de l’Ouest et du Sud : Metellus, la Cisalpine ; Valerius Flaccus, la Narbonnaise, où les proscrits lui livrèrent bataille[27] ; Pompée, la Sicile et l’Afrique. Malgré sa modération habituelle, Pompée se montra sévère : les Mamertins, foulés par lui, revendiquaient leurs privilèges : Cessez donc, leur dit-il durement, d’alléguer les lois à celui qui porte l’épée[28]. Carbon s’était réfugié dans l’île de Cossyra, il le fit traîner à son tribunal et décapiter après avoir insulté à ses malheurs[29]. Un autre chef, Brutus, pour éviter de pareils outrages, se poignarda[30]. Pompée n’avait pourtant pas la froide et impassible cruauté de Sylla. Himère s’était tournée du parti contraire, et il avait résolu de la châtier sévèrement ; un habitant de cette ville la sauva par une fière réponse. Les soldats du jeune général pillaient et frappaient ; il mit son cachet sur leurs épées et punit ceux qui le rompirent. Norbanus, le consul marianiste de l’année 83, avait déjà péri : réfugié à Rhodes, il s’était tué sur la place publique pour n’être pas livré à Sylla, qui réclamait sa tête.

En Afrique, un préteur avait décrété l’affranchissement des esclaves ; c’était la ruine pour les marchands italiens d’Utique : ils l’avaient brûlé dans sa maison. Cependant la province restait fidèle à la faction de Marius. Un gendre de Cinna, Domitius Ahenobarbus, y avait organisé la défense et avait entraîné dans son parti Hiarbas, qui venait de dépouiller l’autre roi de Numidie, Hiempsal. Mais Pompée arriva avec six légions portées par cent vingt galères que suivaient huit cents vaisseaux de transport. En un même jour, il battit, près d’Utique, l’armée ennemie et força son camp, où Domitius périt ; Hiarbas fut pris et mis à mort. Une marche de plusieurs journées dans la Numidie et jusqu’au désert rétablit parmi ces nomades le respect du nom romain.

Contre Sertorius, maître de l’Espagne, le dictateur fit marcher le préteur Annius, qui le chassa ; contre les Thraces, les gouverneurs de Macédoine, Dolabella et Pison ; contre les pirates, le même Dolabella, le préteur Thermus et enfin le proconsul Servilius Vatia. Mais, en Asie, Murena ayant recommencé la guerre contre Mithridate, Sylla, qui voyait autour de lui, dans l’empire même, assez d’embarras et de dangers, défendit à son lieutenant de provoquer un ennemi redoutable.

Foulées par la guerre, les provinces furent encore écrasées d’impôts, car il fallait remplir le trésor de Rome épuisé. On oublia les traités, les promesses. Tous contribuèrent, non seulement les villes tributaires, mais celles qui avaient gagné l’immunité et l’indépendance par leur soumission volontaire ou par d’importants services. Pour satisfaire à ces demandes impérieuses, plusieurs cités durent engager les terres et les propriétés publiques, leurs temples, leurs murailles[31]. Les peuples alliés, les rois amis, furent contraints de montrer leur zèle par la grandeur de leurs dons. D’un bout à l’autre de l’empire, il n’y eut personne qui ne payât de son sang ou de sa fortune cette restauration de la vieille république.

Tout ce sang versé allait-il au moins régénérer l’empire ? Une vie nouvelle et plus pure allait-elle animer ce grand corps ? Non, ces massacres n’étaient que l’inauguration du règne des soldats. En échange du pouvoir que les légionnaires lui avaient donné, Sylla leur avait livré l’Italie, les provinces, et une chose plus précieuse encore, la discipline. Maintenant les soldats savaient que la désertion pouvait être honorable ; que la personne du chef n’était point sacrée, ni Rome inviolable. La patrie n’était plus pour eux au pied du Capitole, mais sous leurs enseignes, et ces enseignes, ils les vendaient au plus offrant[32]. Durant ces dix années de guerre civile, toute la population mâle de l’Italie avait passé par les camps. Vainqueurs et vaincus, tous s’étaient imprégnés de ces idées que le droit n’existait point là où était la force. Le peu qu’il y avait encore de respect pour les magistrats, pour les lois, pour la propriété, les proscriptions l’avaient effacé ; et de ce bouleversement universel une seule chose était restée dans les esprits : l’incertitude du présent, l’insouciance de l’avenir, avec le besoin pour tous, comme durant nos saturnales du Directoire, entre la république et l’empire, de s’étourdir dans les plaisirs et la débauche. Cependant cette génération, mûre pour l’anarchie, ne l’était pas pour la servitude. On parlait encore de droits, de liberté, et Sylla régnait au nom et au profit d’une vieille faction.

 

II. — RÉFORMES DE SYLLA.

Après avoir tué les hommes par le glaive, Sylla essaya de tuer le parti par les lois. Pour les donner, il voulut bien prendre un titre légal. Les deus consuls avaient péri ; il fit réunir les comices ; puis, sortant de Rome, comme pour leur laisser toute liberté, il écrivit à l’interroi Valerius Flaccus qu’il pensait que la république avait besoin d’une dictature illimitée qui remit l’ordre dans l’État, et qu’il lui semblait que personne ne pourrait, dans cette charge, être plus utile que lui-même à la république[33]. On obéit (nov. 82), et, après cent vingt ans d’interruption, on revit les vingt-quatre licteurs et les haches sur les faisceaux ; mais, ce qu’on n’avait jamais vu, c’était le peuple romani se dépouillant par un décret formel de tous ses droits, pour les remettre à un seul homme. Il fut solennellement proclamé que la volonté de Sella serait la loi ; que tous ses actes étaient ratifiés d’avance[34] ; qu’il aurait le droit de vie et de mort sans jugement, le pouvoir de confisquer les biens, de partager les terres, de bâtir ou de renverser des villes, d’ôter ou de donner les royaumes ; de nommer les proconsuls et les propréteurs ; de leur conférer, au lieu et place du peuple, l’imperium ; de décider s’il serait pourvu pendant la durée de ses pouvoirs extraordinaires aux grandes charges de l’État ; enfin de fixer lui-même le terme de sa magistrature. C’était l’empire avant les empereurs ; Auguste n’aura pas plus de pouvoirs que Sylla. Rome acceptait cette solution du problème de ses destinées par la même raison qui lui fera applaudir les victoires de César et d’Octave. On était si las de guerres et de massacres, si désireux de jouir enfin, avec tranquillité, de sa vie et de ses biens, que beaucoup disaient : Bon roi vaut mieux que mauvaises lois[35].

Sans user d’un des droits dont il venait de se faire investir et contrairement à l’ancien usage qui suspendait le consulat durant les dictatures, Sylla laissa faire les élections consulaires ; il cumula même, en 80, cette charge avec la dictature ; en 70, on l’élut encore il refusa.

Le 29 janvier 81, il inaugura sa dignité nouvelle par un triomphe, pour célébrer sa victoire sur Mithridate. On n’y porta que les tableaux des batailles qu’il avait gagnées et les images des villes grecques ou asiatiques qu’il avait prises. Mais les plus illustres personnages de Rome qu’il avait sauvés de la proscription suivaient son char couronnés de fleurs ; et leurs actions de grâces, où revenaient sans cesse les noms de père et de sauveur, montraient que c’était le chef de parti bien plus que le général romain qui triomphait.

Sella n’avait été toute sa vie qu’un soldat ; il voyait clairement que le monde ne pouvait être régi par une assemblée populaire, orageuse et vénale ; et, s’inquiétant bien plus de la puissance de borne que de sa liberté, qui d’ailleurs n’était plus que la licence, il voulut faire régner au Forum le silence des camps. Mais, pour mettre les citoyens à l’abri de perpétuelles émeutes et assurer aux sujets un gouvernement régulier, il ne sut trouver d’autre remède qu’un retour vers le passé ; il crut l’aristocratie assez sage pour n’abuser plus du souverain pouvoir, et il le lui donna.

Nous présenterons les lois du dictateur, non dans Tordre incertain où elles se succédèrent, mais selon les différents chefs sous lesquels on peut les classer : extension de l’autorité du sénat, limitation de la puissance des tribuns et de l’assemblée du peuple, mesures relatives au droit de cité, aux Italiens, aux provinciaux, lois pénales, lois somptuaires, etc.

La guerre civile et les proscriptions avaient décimé le sénat. Sylla y fit entrer trois cents membres nouveaux, que les comices par tribus[36] choisirent parmi les citoyens les plus riches[37] ; et, pour faire de cette assemblée le principe conservateur de la constitution, il lui rendit les jugements[38], avec la discussion préalable des lois, c’est-à-dire le pouvoir judiciaire et le veto législatif : c’était la suppression de la loi Hortensia. Il lui conserva le droit de désigner les provinces consulaires, décida que les gouverneurs resteraient dans leurs provinces tant qu’il plairait au sénat[39], et, afin d’assurer le recrutement de cette assemblée sans recourir aux censeurs, il porta à vingt le nombre des titulaires de la questure, charge qui ouvrait la porte du sénat[40]. La suppression de la lectio quinquennale rendait aux pères conscrits l’inamovibilité.

L’empire, en s’étendant, avait rendu nécessaire l’accroissement du personnel administratif : au lieu de sir préteurs, Sylla en fit nommer huit, et il établit, pour eux et pour les consuls, la règle de la prorogation des pouvoirs. Chaque année il entrait en charge deux consuls pour la direction générale du gouvernement et huit préteurs, dont deux pour les anciennes prétures urbaine et étrangère, six pour la présidence des nouveaux tribunaux. Leurs fonctions annuelles remplies à Rome, ces hauts dignitaires allaient, suivant la désignation faite par le sénat, gouverner les deux provinces consulaires et les huit provinces prétoriennes accompagnés, chacun, d’un questeur. Ainsi toute l’administration sortait du sénat et y rentrait. Comme ce corps, au sein duquel se discutaient les affaires publiques, avait encore à remplir les tribunaux, les ambassades et les légations, l’importance de ses fonctions justifiait l’augmentation du nombre de ses membres. Mais, malgré le chiffre de six cents pères conscrits, ce sénat inamovible, maître de soixante millions d’hommes, formait une étroite oligarchie qui allait, plus que jamais, considérer la république comme son patrimoine héréditaire. Nous la verrons gouverner sans intelligence, préparer elle-même le triumvirat par ses outrages à Pompée, par ses colères contre César, et, avec sa politique tour à tour téméraire et faible, rendre inévitable la guerre civile où elle périra.

Quant au peuple, nous ne nous plaindrons pas que sa souveraineté ait été rendue illusoire. On sait qu’il n’avait plus rien de commun avec les plébéiens d’autrefois, aussi constants dans leur politique d’émancipation progressive que dans leur dévouement à la patrie, dans leur respect pour la loi et pour la discipline sociale. La foule du Forum, plus mobile à présent que les flots tumultueusement agités de Charybde et de Scylla, ne méritait pas l’honneur de porter le grand nom de Peuple Romain et d’en conserver les droits. Cependant le dictateur ne put faire oublier la vieille doctrine que dans l’assemblée publique résidait toujours la souveraineté nationale, et il suffisait de ce principe pour qu’un habile homme trouvât toujours le moyen de battre en brèche la nouvelle constitution. Du moins le dictateur prit-il toutes les mesures qui paraissaient devoir faire de cette royauté populaire une vieille idole reléguée dans l’ombre et le silence.

Les tribuns perdirent le droit de présenter une rogation au peuple[41], à moins d’une autorisation préalable du sénat[42], leur veto fut restreint aux seuls intérêts privés : ils pouvaient protéger encore un citoyen contre l’arbitraire d’un magistrat, mais ils ne pouvaient plus arrêter une mesure de gouvernement[43]. L’exercice du tribunat ôta même le droit de briguer d’autres charges[44] ; Sylla pensait que les ambitieux s’éloigneraient d’une magistrature condamnée au désintéressement.

Si les tribuns ne pouvaient plus parler au peuple[45], si toute loi devait être préalablement approuvée par le sénat[46], les comices par tribus perdaient en réalité leur puissance législative : réduits à l’élection des magistrats inférieurs, ils semblaient n’exister plus. Quant aux comices par centuries, on ne peut dire que Sylla leur ait rendu, par le rétablissement intégral des classes, le caractère aristocratique qu’ils avaient aux anciens jours. Il leur laissa la souveraineté législative qui était à peu près ôtée aux comices par tribus ; mais la nécessité que toute proposition de loi fût précédée d’un sénatus-consulte les mettait dans la dépendance du sénat.

En matière électorale le peuple fut encore dépouillé de la prérogative qu’il possédait, depuis l’année 104, de nommer les pontifes[47] : la cooptation fut rétablie. Sylla ne lui laissa même pas le droit d’épigramme, cette ombre de liberté à laquelle la foule et certains esprits tiennent plus qu’à la liberté même. Les peines portées par les lois décemvirales contre les écrivains satiriques furent augmentées.

Quant aux chevaliers, qui depuis cinquante ans jouaient un si grand rôle, Sylla n’en tint compte ; il ne les trouvait pas dans la vieille constitution, il les effaça de la nouvelle[48]. Il leur reprit les jugements, les fermages de l’impôt asiatique changé en redevances fixes[49], et, les chassant des quatorze bancs que Caïus leur avait assignés derrière les sénateurs assis à l’orchestre, il les força d’aller se confondre, aux représentations, avec la foule plébéienne. Les chevaliers perdaient donc du pouvoir, de la fortune et, ce à quoi quelques-uns tiennent autant, des privilèges de vanité.

La censure eut le sort de l’ordre équestre. Aux yeux de Sylla, elle était une magistrature récente qui voulait dominer le sénat lui-même : il la supprima, ou du moins il l’absorba dans sa dictature et n’en décréta pas le retour quinquennal. De 81 à 70, il n’y eut pas de censeurs[50]. Mais la censure et l’ordre équestre se vengeront. Ce sera par les chevaliers que sa législation périra, et les premiers censeurs nommés, neuf ans après sa dictature, chasseront soixante-quatre membres de son sénat[51].

Afin de sembler faire quelque chose en faveur du peuple et des pauvres, il confirma la loi de Valerius Flaccus, qui diminuait les dettes d’un quart[52], mais pour se donner le droit de supprimer les distributions qui nourrissaient la paresse du peuple[53].

Il avait payé à ses soldats la guerre civile en leur abandonnant un immense butin et d’innombrables esclaves qu’ils avaient vendus, il donna encore à ses cent vingt mille légionnaires, répartis en vingt-trois colonies, les champs les plus fertiles de la péninsule[54]. Dans la Lucanie, le Samnium et l’Étrurie, la propriété changea de mains. C’était l’exécution d’une loi agraire, telle que nul tribun n’aurait osé la concevoir, et la création d’un peuple nouveau pour la nouvelle constitution. Comme Tiberius Gracchus, Sylla défendit le cumul des lots, afin de prévenir les agglomérations de biens-fonds. Il voyait donc, lui aussi, le mal produit par les latifundia. Mais les tristes résultats qu’il obtint montrèrent combien était, à présent, chimérique l’espoir né dans cette reconstitution de la petite propriété. Remplacer des populations laborieuses par une soldatesque débauchée n’était pas augmenter cette classe rurale qui avait fait la force de l’ancienne république, le prolétariat seul s’accroissait de toutes les victimes de cette immense expropriation, et, avec lui, les périls de la république nouvelle. A vrai dire, Sylla n’avait voulu que conserver en Italie une armée permanente qui ne lui coûtât rien. Mais ce seront des épées à vendre au plus offrant, et Catilina recrutera ses bandes incendiaires dans les colonies syllaniennes.

Si un enseignement politique ressort de la constitution romaine, c’est que le gouvernement qui veut être fort et calme doit donner satisfaction aux besoins qui se produisent successivement dans la cité. Les sociétés sont de grandes familles où les aînés ont l’obligation de faire la part des plus jeunes, à mesure que ceux-ci arrivent à la force, à l’intelligence, au travail commun. Durant trois siècles, ce système avait assuré la fortune de Rome. Mais depuis longtemps l’aristocratie y avait renoncé, et cette faute, Sella l’exagérait encore. Par ses lois, les tribuns, le peuple et les grands étaient ramenés de quatre siècles en arrière, les uns à l’obscurité du rôle qu’ils jouaient le lendemain de la retraite au mont Sacré, les autres à l’éclat, à la puissance des premiers jours de la république. Pouvait-il les ramener aussi aux mœurs antiques : les nobles au désintéressement, les pauvres au patriotisme, et ôter à Rome cet empire qui lui imposait des conditions nouvelles d’existence ? Sylla n’essaya même pas de rendre aux grands et au peuple, par une épuration sévère, la considération publique et le respect d’eux-mêmes. Dans le sénat, il fit entrer des gens obscurs et indignes[55] ; dans le peuple, il répandit dix mille affranchis, les cornéliens, qui devaient lui servir de garde urbaine contre les émeutes, et le garantir, les jours de vote, contre les surprises du scrutin. Des Espagnols, des Gaulois, obtinrent le droit de cité[56] : mesure louable dans un autre système que le sien ; et il laissa les Italiens, excepté ceux qui avaient servi contre lui[57], répandus dans les trente-cinq tribus. C’était un fait accompli sur lequel il n’était point intéressé à revenir, puisque ses colonies militaires avaient presque renouvelé la population italienne. D’ailleurs il avait fait dans sa constitution la part du sénat si grande et celle du peuple si petite, qu’il ne semblait pas qu’on eût rien à craindre d’une concession qui, quelques années plus tôt, aurait assuré le pouvoir aux chefs populaires. Mais ce suffrage universel des Italiens établis depuis le Rubicon jusqu’au détroit de Messine, il eût fallu l’organiser, et les exemples ne manquaient pas pour indiquer la marelle à suivre. Sylla n’y songea pas, de sorte que, au lieu d’un système de votation qui eût offert des garanties à l’ordre, on fut exposé à voir, certains jours, des troupes d’électeurs séduits par des promesses ou gagnés par des présents, accourir aux comices et jeter dans l’urne quelque nom menaçant. Du vivant même de Sylla, un de ses ennemis arriva ainsi au consulat, et, dans l’anarchie légale dont Rome a pris l’habitude, un consul pourra défaire ce qu’avait fait un dictateur.

Sylla avait rendu le pouvoir aux grands ; il ne s’abusait pourtant pas sur leur moralité, et ses lois pénales, dirigées contre les crimes qu’ils commettaient habituellement, prouvent qu’il chercha, sinon à les rendre meilleurs, du moins à les intimider. Pour diminuer la brigue, il décréta qu’on ne pourrait obtenir un second consulat qu’après un intervalle de dix ans[58], et il défendit qu’on sollicitât la préture avant la questure, le consulat avant la préture[59]. Lucretius Ofella, celui qui avait si longtemps assiégé Préneste, scella cette loi de son sang. Il demandait le consulat sans avoir été préteur ; Sella l’avertit de se désister : il continua. Un centurion le poignarda au milieu de la place. Quand le peuple traira le meurtrier aux pieds du dictateur, assis sur son tribunal dans le temple de Castor : Qu’on relâche cet homme, dit-il, c’est par mes ordres qu’il a agi. Et il leur conta l’apologue du laboureur qui, deux fois arrêté dans ses travaux par les piqûres des insectes, à la fin s’en débarrasse en jetant sa chemise au feu ; puis il ajouta : Deux fois je vous ai vaincus, prenez garde que, pour de nouvelles fautes, je n’emploie de plus terribles châtiments ![60]

Il s’était élevé par la violence et, le premier, il avait fait marcher sur Rome des légions ; il crut pouvoir prévenir le retour de pareils attentats, en reprenant la loi de majesté de Saturninus et de Varius, qu’il étendit à des cas nouveaux. A l’avenir devait être puni par l’interdiction du feu et de l’eau, c’est-à-dire par l’exil, quiconque porterait atteinte à l’honneur et à la sécurité de l’empire, violerait le veto d’un tribun, ou arrêterait un magistrat dans l’exercice de ses fonctions ; tout magistrat qui laisserait lui-même dégrader entre ses mains les droits de sa charge ; tout gouverneur qui de sa pleine autorité déclarerait la guerre, sortirait de sa province avec ses troupes, les exciterait à la révolte, les livrerait à l’ennemi, ou qui vendrait leur liberté à des chefs prisonniers. Ce fut de cette loi, qui plus tard punit non seulement les actes, mais les paroles, que les empereurs firent nu si cruel usage.

Par la loi de falsis, contre ceux qui falsifiaient la monnaie ou les testaments, qui vendaient ou achetaient des hommes libres, et par la loi de sicariis, contre les meurtriers, les incendiaires, les parricides, les faux témoins et les juges prévaricateurs, Sylla punissait des crimes trop communs dans Rome. Par sa loi de repetundis, cette sauvegarde des provinces, il chercha à réprimer l’avidité des préteurs dans leurs gouvernements ; c’est au reste la seule mesure qu’il ait prise en faveur des provinciaux. Homme du passé, il voulait que la conquête dont il avait lui-même renouvelé les droits continuât de peser sur eux, et sa loi de provincis ordinandis ne régla guère que les intérêts de Rome. Aucun gouverneur ne devait quitter sa province sans ordre ; il fallait qu’il y restât jusqu’à ce qu’il plût au sénat de lui envoyer un successeur, et qu’il en sortit alors, dans les trente jours qui suivaient l’expiration de ses pouvoirs, en laissant une copie de ses livres de compte dans deux villes de son gouvernement[61]. Cependant il défendit aux gouverneurs de rien exiger au delà de ce qui leur était accordé par les règlements, et il limita les dépenses souvent excessives que faisaient les provinces pour envoyer à Rome des ambassades chargées de louer le gouverneur sortant et de gagner d’avance leur nouveau maître[62].

Depuis la guerre Sociale, il n’y avait eu à Rome ni tribunaux ni justice[63]. Sylla réorganisa les quæstiones perpetuæ, établies soixante-dix ans auparavant par Calpurnius Frugi. Dès lors il y eut huit de ces tribunaux permanents que présidèrent les préteurs[64]. Comme les juges dans ces cours de justice étaient tous sénateurs et qu’ils prononçaient sans appel, l’administration de la justice criminelle passait tout entière au sénat. Auparavant, le droit de récusation était très grand ; il ne permit pas qu’on récusât plus de trois juges, à moins d’être sénateur[65]. Ces lois pénales furent le plus grand effort législatif accompli à Rome depuis les Douze Tables.

On ne sait pas ce qu’il fit pour les finances ; il s’en occupa cependant : car il augmenta le nombre des questeurs. Tacite dit aussi qu’il agrandit l’enceinte de Rome, bien qu’il n’eut ajouté aucune province à l’empire. Il considéra sans doute que la Grèce et l’Asie, reconquise sur Mithridate, lui donnaient le droit d’assurer à la ville l’espace qui manquait à sa population croissante. Peut-être aussi fut-ce lui qui porta de l’Æsis au Rubicon[66] la limite de l’Italie.

Dans cette restauration du gouvernement aristocratique, Sylla n’oublia pas la religion, regardée par les politiques de tous les temps comme un utile instrument de gouvernement. Malgré l’impiété dont il avait fait preuve en Grèce, il affichait du respect pour les dieux, et, jusqu’à sa dernière heure, il crut aux prédictions des astrologues. On l’a vu, à la bataille de la porte Colline, tirer de son sein une statuette d’Apollon, et la prier très dévotement de le sauver du péril. Ce grand joueur avait un culte particulier pour la Fortune, et ce débauché était un adorateur de Vénus, mais aussi de la Vénus qu’il avait vue en songe revêtue des armes de Mars : il lui offrit une couronne et une hache d’or, double symbole de son propre pouvoir. En écrivant aux Grecs, il signait Έπαφρόδιτος, le Favori de Vénus ; à Rome, il se faisait appeler Félix, l’Heureux. Une statue équestre lui fut élevée devant les Rostres avec cette inscription : Corn. Sullæ Felici, et il donna aux deux enfants qu’il eut de Metella les noms de Faustus et de Fausta, qui ont le même sens. On pourrait croire qu’il obéissait à un sentiment profondément religieux lorsqu’il rapportait tous ses exploits à la faveur divine : il n’en est rien ; l’idée était toute romaine. Ce peuple pensait que, dans les batailles, la victoire venait moins de l’habileté du chef que des auspices heureux envoyés par le ciel à celui-ci et refusés à celui-là ; de sorte que plus les dieux favorisaient un homme, plus ils semblaient le rapprocher d’eux : c’était un élu. Se dire l’objet de leur protection persévérante équivalait à se déclarer d’une nature supérieure. Le bien-aimé de la déesse Aphrodite cachait donc dans sa piété un immense orgueil, comme les Juifs dans leur culte pour Jéhovah, dont ils se disaient le peuple préféré.

Il augmenta le nombre des pontifes et des augures, qu’il porta de dix à quinze, et leur rendit le droit de compléter eux-mêmes leur collège par cooptation. C’était assurer le secret et la discipline dans le corps sacerdotal ; c’était aussi remettre aux mains des grands une arme contre les assemblées populaires, si les autres moyens de cassation venaient à manquer. Il fit encore chercher partout les oracles sibyllins pour remplacer les livres qui avaient péri dans l’incendie du Capitole, et il rebâtit ce temple avec magnificence.

Malgré la dépravation de ses mœurs, ses amours infâmes et ses débauches, Sylla rendit plusieurs lois pour remettre en honneur la sainteté du mariage et arrêter l’abus du divorce[67], les dépenses des festins et des funérailles’. Comme toutes les lois somptuaires, ces règlements furent sans force et sans durée[68] ; celui même qui les avait portés les renversa par son exemple. Mais il n’en fut pas ainsi de ses lois pénales, dont plusieurs dispositions ont vécu jusqu’à nos jours.

 

III. — ABDICATION ET MORT DE SYLLA (79-75).

Quand Sylla eut accompli son œuvre, il se retira, non par mépris des hommes ou dégoût du pouvoir : Sylla ne portait pas si haut les prétentions à la sagesse ; il voulait voir fonctionner librement ce gouvernement sorti de ses mains. Cependant son abdication (79) parut un défi jeté à ses ennemis et une audacieuse confiance dans sa fortune. Mais les charges et le sénat remplis de ses créatures, tant d’hommes intéressés au maintien de ses lois, et ses dix mille cornéliens, ses cent vingt mille vétérans répandus dans l’Italie, dont il aurait pu d’un mot refaire une armée formidable, rendaient cette confiance peu dangereuse[69]. On se rappelle qua, chargeant un jour Crassus de traverser un pays dangereux, il lui avait dit : Je te donne pour escorte ton père assassiné et toute ta famille égorgée. Que de sanglants souvenirs protégeaient Sylla redevenu citoyen ! Aux yeux mêmes des victimes, ces terribles destructeurs semblent porter en eux une invincible puissance qui briserait les poignards et qui émousserait les glaives. Marius, désarmé, fit reculer d’un regard le Cimbre venu pour l’égorger ; et quand Sylla, renvoyant ses licteurs, descendit au milieu de la foule, tout le peuple frémit et trembla au contact de l’homme fatal.

Un jeune homme pourtant, le fils sans doute de quelque proscrit, l’insulta un jour et le poursuivit d’outrages jusqu’à sa maison. Sylla se contenta de dire : Voilà une insolence qui empêchera les futurs dictateurs de faire comme moi ; et, en effet, ils n’ont point agi comme lui.

Les Grecs ont une gracieuse image qui ut aussi une pensée philosophique : Hercule désarmé par Omphale ; la Mollesse domptant la Force ; la Vertu cédant à la Volupté. L’Hercule romain, lui aussi, laissait tomber ses armes. Autant que le pouvoir, Sylla aimait soit indolence et les plaisirs. Il avait attendu, au milieu des débauches, jusqu’à quarante-sept ans pour occuper de hautes charges. De ce jour, il est vrai, il n’en était plus sorti ; mais, dès qu’il crut sa mission achevée, il rentra dans soit repos. Ses adieux au peuple furent dignes de cette royauté insolente qui abdiquait elle-même, et de cette foule qui se vendait pour un congiarium. Il la gorgea de viandes, de vins précieux, de mets recherchés, et avec une telle profusion, que chaque jour on en jeta dans le Tibre des quantités prodigieuses que le peuple repu avait laissées. Au milieu de ces réjouissances, Metella tomba dangereusement malade. Elle avait courageusement partagé sa bonne et sa mauvaise fortune, mais les prêtres défendirent au favori de Vénus de souiller sa maison par des funérailles ; avant qu’elle expirât, il lui signifia un acte de divorce et la fit transporter dans une maison étrangère. Il n’ordonna pas moins, malgré sa loi, de célébrer avec magnificence la pompe funèbre.

Peu de mois après, comme il assistait à un combat de gladiateurs, une femme de haute naissance et très belle, Valeria, qui venait de faire divorce avec son mari, s’approcha de lui et arracha un fil de sa toge. Sylla s’en étonnant : Je veux, dit-elle, avoir une part de votre bonheur. L’acte et les paroles de Valeria le séduisent. Il fait demander son nom, sa condition, et, au bout de quelques jours, il célébrait de nouvelles noces[70].

Retiré dans sa maison de Cumes, il y vécut une année encore ; et, à voir cet homme passant ses journées à la chasse et à la pêche, dictant des Mémoires, lisant Aristote et Théophraste, ou mêlé parfois, dans de nocturnes orgies, à des mimes et à des histrions, qui eût reconnu l’ancien maître du monde ? Deux jours avant sa mort, il travaillait au vingt-deuxième livre de ses Commentaires, qu’il légua à Lucullus avec la tutelle de son fils. Les derniers mots que traça sa main défaillante célébrèrent encore son bonheur. Heureux et tout-puissant jusqu’à sa dernière heure, disait-il, comme les Chaldéens le lui avaient promis, il ne lui manquait que de pouvoir faire la dédicace du nouveau Capitole. Cependant, au milieu de ses occupations tranquilles, parfois le maître impitoyable reparaissait. La veille de sa mort, apprenant qu’un magistrat de Pouzzoles[71] tardait à payer la contribution fournie par la ville pour la reconstruction du Capitole, dans l’espoir de s’approprier l’argent quand Sylla ne serait plus, il le fit venir et étrangler auprès de son lit. Dans cette colère, un abcès creva, il rendit beaucoup de sang, et le lendemain il mourut. On a dit que sa maladie était affreuse[72], que ses chairs, décomposées et tombant en pourriture, engendraient incessamment une innombrable vermine, que le demi-dieu devenait un objet de dégoût et d’horreur (78). Il eût mérité cette fin ; malheureusement, il faut effacer ce tableau très moral, plais peu véridique. Dans les affaires humaines, la justice saute parfois une génération. C’est trente ans plus tard, à Pharsale, que la noblesse expia les proscriptions de Sella.

On lui fit des funérailles telles que Rome n’en avait pas encore vu. Les vétérans, appelés de leurs colonies, escortèrent son cadavre de Pouzzoles jusqu’à Rome. Un décret du sénat lui avait décerné l’honneur d’une sépulture dans le Champ de Mars[73]. Le corps était dans une litière dorée ; autour d’elle on portait les insignes de la dictature, et plus de deux mille couronnes d’or envoyées par les villes et les légions. L’armée précédait et suivait comme pour un dernier triomphe, et, à intervalles égaux, les trompettes sonnaient des airs funèbres. Les populations accouraient, les femmes surtout, qui, pour honorer le favori des dieux, répandaient sur son passage les plus précieux parfums.

Le sénat, les magistrats, les vestales, les prêtres revêtus de leurs insignes, et tout l’ordre équestre, attendaient le cortége aux portes de Rome, pour l’accompagner au Forum. Après l’éloge funèbre, les sénateurs chargèrent le corps sur leurs épaules jusqu’au Champ de Mars, où les rois seuls avaient été inhumés, et le déposèrent sur un bûcher : Sylla avait voulu qu’on brûlât son cadavre pour qu’un vengeur de Marius ne pût profaner son tombeau[74]. Il avait composé lui-même son épitaphe ; elle était véridique : Nul n’a jamais fait plus de bien à ses amis ni plus de mal a ses ennemis.

Ainsi mourut dans la soixantième année de son âge, tranquille et sans remords, cet homme qui a laissé dans l’histoire le souvenir de la politique la plus implacable. Son bonheur, dit Sénèque, fut un crime des dieux[75].

Nous ne contredirons pas Sénèque, quoique le ciel ne nous paraisse pas si coupable. Mais il faut expliquer la sérénité de Sylla après tant de massacres. Elle étonnerait si l’on ne savait que les Romains avaient fait du succès un dieu, Bonus Eventus ; que les suites d’une victoire leur paraissaient, comme la victoire même, un acte divin, ou du moins voulu par la divinité, et qui laissait l’âme du vainqueur aussi paisible que l’était celle du licteur frappant de sa hache pour obéir au consul. Cette fatalité antique, qui avait rempli le théâtre d’Eschyle et la conscience des Grecs de si religieuses terreurs, gardait son empire à Rome, au milieu de l’incrédulité croissante, mais s’exerçait froidement, sans soulever les magnifiques et insondables mystères du Prométhée. L’esprit à Rome ne montait pas si haut qu’à Athènes, et l’on ne s’inquiétait pas s’il y avait désaccord entre la morale et le Destin. Même pour l’incroyant, les vaincus restaient des condamnés de la Fortune, et en débarrasser le monde était de la justice, non de la cruauté, puisque la justice consistait à agir selon la volonté des dieux. Voilà pourquoi le terrible dictateur mourait sans remords ; et il en sera ainsi de tous ceux qui, entre leur conscience et leurs actes, mettront un faux principe.

Il y a deux choses dans la vie publique de Sylla, et celle à laquelle on songe le moins est la plus grande. A son avènement au pouvoir, l’empire et la constitution tombaient en ruine : il sauva l’un à Chéronée, et Rome vécut cinq siècles sur ses victoires ; il voulut relever l’autre par ses lois politiques, et elles ne durèrent pas dix années.

Cependant, si l’on embrasse dans son ensemble cette réforme législative, la plus vaste qui se soit accomplie à Rome depuis les décemvirs, on sera frappé de l’audacieux génie de l’homme qui l’exécuta : constitution politique, organisation judiciaire, administration publique, vie privée, tout y est réglé. Mais Sylla s’était trompé. Après avoir vu le mal, il s’était arrêté à en combattre les causes extérieures : quand il eut écrasé le tribunat et remis l’autorité légale aux mains d’une aristocratie épuisée, il crut avoir tout fait et pouvoir se retirer, et il allait fournir à l’histoire un des plus éclatants exemples de l’impuissance de la force à rien fonder de durable, quand elle n’agit pas dans la direction du temps.

Au lieu de regarder du côté de l’avenir et de chercher à reconnaître les idées qui lentement s’élevaient du fond des provinces, de l’Italie, clé Rome mène, il s’était retourné vers les temps anciens, et dans cette évocation aveugle du passé, il n’avait pas songé à tenir compte des éléments nouveaux qui depuis quatre siècles s’étaient développés au sein de la société romaine. Dans l’antiquité à laquelle il remontait, les esclaves, les chevaliers, les Italiens et presque le peuple lui-même n’avaient pas d’existence politique ; dans ses lois ils n’en eurent pas davantage. Mais en ne stipulant rien pour les esclaves il rendait possible une troisième révolte, que Spartacus commandera ; en effaçant les privilèges des chevaliers, il les mettait du côté de ceux qui voudront une révolution ; en écrasant les Italiens et le peuple, il préparait une armée pour Lépide, un parti pour Pompée. Il n’y a pas jusqu’à la guerre sans nom de Catilina qui ne relève de cette dictature malheureuse. Un fait considérable venait de se produire : le droit de suffrage donné aux Italiens ; il ne s’occupa point de le réglementer. Quant aux provinciaux, il ne songea même pas à eux ; ils étaient pourtant le grand problème.

Cette royauté, qui ne voulut pas durer, n’arracha donc pas le germe de mort qui minait la république, et en donnant à une aristocratie irrévocablement condamnée la force de lutter encore, elle rendit les dernières douleurs plus vives et plus longues[76]. C’est une chose dure que de souhaiter la perte de la liberté ; mais, quand cette liberté n’est qu’une sanglante anarchie où tout se perd, les mœurs, les lois, le sens moral ; quand l’héritage du genre humain est en péril par la faute d’un peuple, il faut bien désirer que ce peuple rentre en tutelle plutôt que de laisser le monde retomber dans le chaos.

Au reste Sylla compromit d’avance ses lois en les privant de leur meilleure sanction, l’exemple du législateur. Il n’y a de lois durables que celles qui se défendent elles-mêmes, parce qu’étant dans les mœurs, elles sont respectées de tous, et chaque jour il violait les siennes. Il avait puni le meurtre, et, après les proscriptions, il tua sans jugement Ofella et Granius ; la trahison et toutes ses dépêches étaient scellées du signe d’une perfidie[77]. Il avait restreint les dépenses, et ses profusions au peuple, la pompe des funérailles de Metella, étaient une insulte d ses lois somptuaires ; la falsification des monnaies, et il émit quantité de pièces auxquelles il donna une valeur arbitraire[78]. Il prétendait honorer le mariage, et, à plusieurs citoyens, il enleva leurs femmes, qu’il condamna à de nouvelles unions : Pompée fut contraint de répudier la sienne, pour épouser Æmilia que le dictateur arracha enceinte des bras de Manius Glabrion. Il avait rétabli l’autorité du sénat, et il nomma de simples soldats sénateurs. Il avait puni l’adultère, et l’on parle de grands désordres dans sa vie privée. D’autres respecteraient-ils cette législation mieux que celui qui l’avait faite ? Il ne le crut pas, et ses paroles à Pompée, au sujet de Lépide, prouvent qu’il n’espérait pas pour elle un règne paisible. En effet, odieuse au peuple et aux Italiens, défendue par des nobles sans talents, et par de grossiers soldats, qui l’abandonneront dès qu’ils auront dissipé l’argent et perdu les terres qu’ils lui doivent, elle avait encore contre elle la classe la plus active, celle des chevaliers, qui m’avaient point de place dans la nouvelle constitution. Du vivant même de Sylla, deux hommes de l’ordre équestre avaient commencé la lutte : Pompée en se créant un parti dans le parti même des syllaniens ; Cicéron en attaquant un affranchi du dictateur, dans le procès de Roscius, et le dictateur lui-même dans une cause où le jeune orateur entraîna ses juges à déclarer que Sylla n’avait pu ôter le droit de cité à des villes italiennes[79]. Dans cette réaction, Pompée sera le bras, Cicéron la voix éloquente, et tous deux seront un instant portés par elle au pouvoir suprême.

 

 

 

 



[1] Strabon dit trois à quatre mille ; Orose, trois mille ; Denys, quatre mille ; Plutarque, six mille ; Tite-Live, huit mille.

[2] Appien, Bell. civ., I, 95.

[3] Cicéron, de Leg., II, 22 ; Val. Maxime, IX, II, 1 ; Velleius Paterculus, II, 15 ; Suétone, César, 11.

[4] Quint. Cicéron, de Petit. cons., 2.

[5] Le refus de César autorisait la colère de l’homme à qui personne n’osait résister, mais ne suffisait pas à faire voir au dictateur, dans ce jeune homme qui n’avait encore rien fait, un nouveau Marius, plus dangereux que le premier.

[6] Suétone, César, 2. Tite-Live, Épit., LXXXIX. La ville fut prise en 80. C’est à cette époque que se placent ses deux voyages auprès de Nicomède III, roi de Bithynie, sur lesquels on fit courir de si tristes bruits. Peu de Romains de ce temps échappaient à ces accusations ; ce vice était alors général et presque publiquement accepté. Mais César avait d’autres goûts qui devaient le préserver de cette honte.

[7] Sylla revint de Préneste dans la seconde moitié de novembre, et les listes ne furent affichées que quelques jours après. Pour le terme du 1er juin, c’est Cicéron qui le donne dans le pro Roscio, 44.

[8] Terrulæ Scirrhoque, pessumis servorum, divitiæ partæ sunt (Salluste, Orat. Lepidi in Hist. fragm.). Neque prius finis jugulandi fuit quam Sulla omnes suos divitiis explevit (Salluste, Cat., 51). D’après Cicéron (II in Ver., III, 55), il les exempta aussi de payer au fisc ce qu’ils devaient : remittere de somma non potuisse. Le sénat, après sa mort, annula ces dispenses. Cependant il resta à l’État 550 millions de sesterces. (Tite-Live, Épit., LXXXIX.)

[9] Ou, suivant le calendrier romain, qui avançait alors de près de trois mois, le 5 des nones de janvier 106.

[10] C’est ici ma vraie patrie et celle de mon frère. C’est ici que nous sommes sortis d’une souche très antique et que sont nos sacrifices, notre race et les nombreux vestiges de nos aïeux. Vous voyez cette maison, elle a été agrandie par les soins de notre père, et il y a passé, dans l’étude des lettres, presque toute sa vie. C’est en ce lieu, du vivant de mon aïeul et du temps que, selon les anciennes mœurs, la maison était petite comme celle de Curius, au pays des Sabins ; oui, c’est en ce lieu que je suis né. Aussi je ne sais quel charme s’y trouve qui touche mon cœur et mes sens, et m’attire en ce séjour. Eh ! ne dit-on pas que le plus sage des hommes, pour revoir son Ithaque, refusa l’immortalité ? (De Leg., II, 1.)

[11] Sur les dédains de la noblesse pour les hommes nouveaux, voyez Salluste, Jugurtha, 15.

[12] Non idem licet mihi, quod eis, qui nobili genere nati sunt ; quibus omnia populi Romani beneficia dormientibus deferuntur (II in Ver., V, 70).

[13] Lui-même, dans le particulier, se moquait agréablement de toute cette rhétorique. Voyez sa lettre à Atticus (I, 14) : Nosti.... sonitus nostros. Ailleurs (ad Att., II, 1) il dit : J’ai versé dans mon livre toute la parfumerie d’Isocrate, toutes les boites à essences de ses disciples. J’y ai même mis les fards d’Aristote.

[14] Perspicitis genus hoc quam sit..., oratorium..., quod mendaciunculis aspergendum (de Orat., II, 59).

[15] Deux ans après sa violente invective contre Vatinius, il se chargeait de le défendre. Mais, disait-il, omnes illæ (orationes) causarum ac temporum sunt, non hominunt ipsorum ac patronorum (pro Cluentio, 50). Tout le paragraphe est le développement de cette pensée.

[16] Fille de Metellus le Baléarique, qui avait été consul en 123, et sœur de Q. Metellus Nepos, consul en 98. (Cicéron, pro Roscius, 50.)

[17] Cicéron, Brutus, 90 ; de Off., II, 14 ; Plutarque, Cicéron, 3. Peu de temps après, en 79, dans la défense d’une femme d’Arretium, il soutint que le pouvoir législatif ne pouvait enlever certains droits, entre autres celui de cité, et que la loi qui avait ôté à des villes italiennes le jus civitatis était inconstitutionnelle et de nul effet.

[18] Bell. civ., I, 105.

[19] Eutrope (4, 6) donne ces chiffres pour la guerre Civile et la guerre Sociale, lesquelles, dit-il, emportèrent cent cinquante mille hommes. M. Willems (le Sénat de la république romaine, p. 405) remarque très justement que le chiffre de soixante édiliciens doit être faux, ces magistrats étant beaucoup moins nombreux dans le sénat que les prétoriens.

[20] Florus, III, 21, 25.

[21] Ultus est.... Sulla, ne dici quidem opus est quanta deminutione civium (Cicéron, in Catilina, III, 10).

[22] Les fils des sénateurs, tout en perdant les privilèges de leur condition, restèrent soumis à toutes ses charges. (Velleius Pater., II, 28 ; Cicéron, II in Ver., III, 41 ; pro Cluent., 45.)

[23] Appien, Bell. civ., I, 96.

[24] Florus, III, 21, 27. Dans le cas de partage du territoire, Ies anciens habitants et les colons (veteres et veterani) formaient quelquefois dans la même ville deux communes distinctes. Cf. Marquardt, Handbuch der römischen Alterthitmer, IV, 450, note 4.

[25] Strabon, V, IV, 11.

[26] L’osque, grâce à ses affinités avec le latin, disparut lentement. Quand Herculanum et Pompéi périront, l’osque n’y était pas encore tout à fait oublié. L’étrusque s’effaça plus vite.

[27] Cette partie de la Gaule dut être alors bien foulée, car elle fit une longue résistance. Metellus y passa, il fallut que Pompée allât le secourir, et Sertorius y trouva des alliés. Cf. Appien, Bell. civ., I, 907. Philippi Orat., in Salluste fragm.

[28] Plutarque (in Pompée) dit cependant qu’en Sicile il fit le moins de mal possible.

[29] Cette mort donna lieu à une éloquente apostrophe d’un avocat, fils d’affranchi, Helvius Mancia, dont Pompée, dans une affaire où il paraissait comme témoin, avait raillé en termes méprisants le grand âge et la naissance obscure. Qu’est-ce, avait-il dit, que cette apparition de l’ombre d’un esclave revenu des enfers pour intenter de pareilles accusations ?Oui, reprit Helvius, je reviens des enfers. J’y ai vu Brutus la poitrine sanglante se plaindre de ta perfidie, quand tu le fis égorger contre la foi d’un traité ; j’y ai vu Carbon racontant que, pour prix des services qu’il t’avait rendus dans ta jeunesse, et des soins qu’il avait pris pour te conserver le bien de ton père, tu l’avais chargé de chaînes et d’opprobres ; que, malgré ses supplications, toi, simple chevalier romain, tu t’étais constitué juge du chef de la république, revêtu d’un troisième consulat, et que tu l’avais fait indignement mourir. (Val. Maxime, VI, II, 8.)

[30] Ce Brutus est le même personnage que le préteur Damasippus dont le nom complet était L. Junius Brutus Damasippus. Salluste (Catilina, 51) le fait mourir après la bataille de la porte Colline. Tite-Live (Épit., LXXXIX), en Sicile.

[31] Appien, Bell. civ., I, 102 ; ibid., 103.

[32] Voyez le tableau, tracé par Dion Cassius (fr. 301), de l’indiscipline des soldats. Sylla, dit-il, fut la principale cause de ces maux.

[33] Les anciens dictateurs n’étaient élus que pour six mois, et leur autorité ne s’étendait pas hors de l’Italie. Nommés pour un objet déterminé, quelquefois peu important, ils ne pouvaient puiser à volonté dans te trésor ni rien changer aux lois et aux institutions existantes. Manlius, qui voulut en sortir, fut contraint d’abdiquer. C’était un pouvoir essentiellement conservateur. Sylla, chargé de donner des lois à son pays comme Solon et Lycurgue, n’avait donc de commun que le nom avec les anciens dictateurs. Il n’y en avait pas eu depuis cent vingt ans. (Appien, Bell. civ., I, 98.)

[34] Ut ipsius (Syllæ) voluntas ei (populo Romano) posset esse pro lege (Cicéron, II in Ver., III, 35. Cf. in Rull., III, 2 ; Plut., 42). Appien, Bell. civ., I, 99. Penes quem leges, judicia, ærarium, provincial, reges, denique necis et civium et vitæ licentia erat (Salluste, Hist. fragm.). Le sénat lui reconnut aussi le droit de reculer le pomerium. (Tacite, Ann., XII, 23 ; Aulu-Gelle, Noct. Att., XII, 14 ; Festus, s. v. Prosimurium.)

[35] Satius est uti regibus quam uti malis legibus (Cicéron, ad Her., II, 26).

[36] .... L. Cornelius dictator populum joure rogavit, populusque joure scivit.... Ce sont du moins les termes de la lex Cornelia de XX quæstoribus (C. I. L., p. 108).

[37] Tite-Live, Épit., LXXXIX : Senatum ex ordine equestri supplevit. Cf. Appien, Bell. civ., I, 100. Au contraire, Salluste (Cat., 57) et Denys d’Halicarnasse (V, 77) veulent qu’il ait pris au hasard, même parmi les simples légionnaires. Une seule considération a dû le guider : mettre au sénat ses partisans et les prendre partout où il les trouvait, mais surtout parmi les riches. Dans les mots d’Appien, ταϊς φυλαϊς άναδούς ψήφον περί έxάστου, on a vu tout un nouveau système électoral créé par Sylla. Le temps ne comportait pas de telles nouveautés, et le maître n’y avait nul goût. Le vote sur les noms proposés par Sylla n’a été qu’une simple formalité, une consécration de la volonté souveraine du dictateur.

[38] Le préteur tirait au sort, pour former le jury de chaque procès, une decuria senatorum, composée de quarante membres environ. Dans le procès de Cluentius, la décurie fut réduite par les récusations à trente-deux. (Cicéron, pro Cluentio, 27.)

[39] Tite-Live, Épit., LXXXIX ; Velleius Paterculus, II, 32 ; Tacite, Ann., XI, 22 ; Cicéron, ad Fam., XV, 9, 44, Appien, Bell. civ., I, 59.

[40] Suivant Willems (le Sénat de la rép. rom., p. 252), les questeurs n’obtinrent qu’alors tous les droits sénatoriaux, c’est-à-dire le jus sententiæ dicendæ ou droit d’opiner.

[41] Tite-Live, Épit., LXXXIX : Tribunorum plebis potestatem minuit et omne jus legum ferendarum ademit.

[42] Comme pour le plébiscite de Thermensibus, en 71.

[43] Cicéron, de Leg., III, 9 : Tribunis injuriæ faciendæ potestatem ademit, auxilii ferendi reliquit. Cf. César, Bell. civ., I, 5, et Velleius Paterculus, II, 50 : Imaginem sine re reliquerat.

[44] Appien, Bell. civ., I, 100. Asconicus, in Cicer. pro Cornel., p. 78, édit. d’Orelli. Suétone (Oct., 10 et 40) dit même que les sénateurs purent seuls arriver au tribunat. Appien connaissait cette opinion, qu’il n’ose affirmer (Bell. civ., I, 100). On n’aurait pas aisément trouvé, chaque année, dix sénateurs résignés à ne jamais s’élever plus haut que le tribunat.

[45] Cicéron, pro Cluent., 40 ; de Leg., III, 9.

[46] Appien, Bell. civ., I, 59.

[47] Asconius, in Ciceronis in Cæcil., 5 : Victore Sulla, spoliatus est populus.... arbitrio creandorum sacerdotum.

[48] Quintus Cicéron, dans le traité de Petitione consulatus, parle des proscriptions de Sylla comme particulièrement dirigées contre l’ordre équestre.

[49] Cicéron, ad Quint., I, I, 11, 33.

[50] Fastes Capitolins. Asconius dit, in Ciceronis in Cæcil., 3 : Hoc agitur tam triste severumque nomen populi Romani sic oderat ut intermissum esset per plurimos annos. Un scholiaste anonyme parle d’une suppression formelle : Tribunos et censores.... omnes pro nobilitate faciens sustulit Sulla (Schol. Gronov. in Divin., p. 384, édit. d’Orelli).

[51] Tite-Live, Épit., XCVIII.

[52] Voyez la lettre de Mallius, dans Salluste, Catilina, 55, et Festus, s. v. Unciaria.

[53] Cela paraît du moins prouvé par le discours de Lépide (Salluste, Hist. fragm.) : Ne servilia quidem alimenta reliqua habet, c’est-à-dire les 5 modii qu’on donnait par mois aux esclaves.

[54] Appien, Bell. civ., I, 100. D’après un mot de Granius Licinianus, Fæsulani irruperunt in castella veteranorum, on peut croire que les colons de Sylla ne se dispersèrent point au hasard dans la campagne, mais que, prudemment, ils élevèrent des postes fortifiés, castella, qui pouvaient leur servir de refuge en cas d’attaque de la part des anciens possesseurs.

[55] Salluste, Catilina, 57 ; Denys, V, 77. Un simple centurion, Fufidius, ancilla turpis, honorum omnium dehonestamentum (Orat. Lepidi in Salluste, Hist. fragm.), devint questeur, et par conséquent sénateur.

[56] Appien, Bell. civ., I, 100 ; Cicéron, pro Archia, 10.

[57] Sociorum et Lati magna vis civitate.... prohibentur (Orat. Lepidi in Salluste, Hist. fragm.).

[58] C’était le renouvellement de la loi de 342.

[59] Appien, Bell. civ., I, 100. Voyez la lex Villia ou Annalis que Sylla sanctionna de nouveau.

[60] Appien, Bell. civ., I, 101.

[61] Le gouverneur remplacé gardait, quoad in urbem introisset (Cicéron, ad Fam., I, 9), l’imperium, ses licteurs, sa cohorte prétorienne, tous les insignes enfin du commandement. L’État était intéressé à ce qu’il traversât l’empire dans cet appareil. L’imperium lui était d’ailleurs nécessaire dans le cas où il sollicitait le triomphe.

[62] Cicéron, II in Ver., V, 22 ; pro Flacco, 40 ; ad Fam., III, 8, 10.

[63] Senatus decrevit ne judicia, dum tumultus Italicus esses, exercerentur (Asconius, in Ciceronis pro Cornelio) ....sublatis legibus et judiciis (Cicéron, de Offic., II, 21).

[64] De crimine majestatis, de vi, de sicariis et veneficis, de parricidio, de falsis, de crimine repetundarum, de peculatu, de ambitu, de adulteriis, de injuriis. Sylla laissa subsister l’ancien tribunal des centumvirs dont la compétence se bornait à peu près aux questions d’héritage.

[65] Cicéron, II in Ver., II, 31.

[66] Strabon, V, I, 11.

[67] Plutarque, Sylla, 35, et Parall. entre Lys. et Sylla, 3 ; mais cette loi est perdue.

[68] Aux calendes, aux ides, aux nones, et aux jours de jeux publics et de féries solennelles, les dépenses ne devaient pas dépasser 30 sesterces ; les autres jours, seulement 3. (Aulu-Gelle, Noct. Att., II, 24.) Il diminua aussi le prix des denrées. (Macrobe, Saturnales, III, XVII [II, XIII], 11.) Mais la liste des mets qu’il taxa est si longue, que Macrobe s’effraye du luxe qu’elle annonce.

[69] Appien, Bell. civ., I, 104.

[70] Dion, fragm. 324, édit. Didot.

[71] Dix jours auparavant il avait apaisé une sédition à Pouzzoles et rédigé une loi municipale pour cette ville.

[72] C’était la phthiriasis ou maladie pédiculaire. (Pline, Hist. nat., XXVI, 86.) Cette maladie, dont MM. Mommsen et Ihne nient l’existence, mais que le savant docteur Hardy m’assure avoir été vue bien des fois, n’est pas mortelle et n’engendre pas cette pourriture. Appien (Bell. civ., I, 105) parle d’une fièvre qui l’emporta en une nuit, et Plutarque ajoute à la maladie pédiculaire l’abcès interne qui creva et tua le malade par infection purulente.

[73] Cicéron, de Legibus, II, 22.

[74] Jusqu’à Sylla les Cornelius étaient enterrés non brûlés.

[75] Deorum crimen erat Sylla tam felix (Cons. ad Marc., 12). Pline (VII, 44) est aussi sévère.

[76] Ihne, qui admire beaucoup Sylla, est pourtant obligé de dire (t. V, p. 430) : ... Die Republik durch keine Gesetze und keine Genie zu retten war. Et il ajoute, ce qui est vrai : Die ganze Entwickelung der Zeit entschieden darauf ginge, an die Stelle der Republik die Monarchie zu setzen. C’est reconnaître que l’œuvre de Sylla était vaine, et l’histoire condamne tout ce qui, en politique, est stérile.

[77] L’anneau représentant la trahison de Bocchus lui livrant Jugurtha.

[78] Il reprit la fabrication de deniers fourrés que Marius Gratidianus avait arrêtée, et par les prescriptions les plus sévères il obligea de recevoir la monnaie d’État à son cours nominal, quelle qu’en fût la composition métallique (Paul, Sent., V, 25, 1), si toutefois le texte de Paul ne se rapporte point à une législation postérieure à Sylla, comme Ulpien le donnerait à penser. Cf. Mosaic. et Romanar. legum collabo, titre VIII, 7, et Tacite, Ann., XIV, 40, 41. Il est du moins certain que, depuis la dictature de Sylla jusqu’à l’empire, on trouve autant de deniers fourrés que de pièces de bon aloi. (Lenormant, la Monnaie dans l’antiquité, I, 231.)

[79] Il reprit la même thèse dans le pro Cæcina, 33, en 69 (?) ; il y soutient encore que le pouvoir législatif ne peut abolir certains droits, entre autres celui de liberté qui est représenté par le jus civitatis, que par conséquent Sylla n’avait pu retirer ce droit à Volaterræ.