HISTOIRE DES ROMAINS

 

SIXIÈME PÉRIODE — LES GRACQUES, MARIUS ET SYLLA (133-79) - LES ESSAIS DE RÉFORME

CHAPITRE XXXIX — LA RÉACTION ARISTOCRATIQUE ; COMMENCEMENTS DE MARIUS ; JUGURTHA (121-106).

 

 

I. — RÉACTION ARISTOCRATIQUE.

Quand on entité au Tibre les trois mille cadavres, étanché le sang des rues et payé le prix du meurtre, le farouche Opimius, pour éterniser le souvenir de cette odieuse victoire, fit frapper une médaille qui le représenta sous les traits d’Hercule, avec une massue et la couronne triomphale. Ensuite il purifia la ville par des lustrations, et voua un temple à la Concorde[1] : parodie dérisoire du dernier acte de la vie de Camille. Mais Camille n’avait pas égorgé Licinius ; il avait fermé l’ère des troubles ; Opimius ouvrait celle des proscriptions.

Cependant les grands n’osèrent user trop vite de leur victoire ; ils mirent quinze ans à renverser l’œuvre des Gracques. Après avoir intimidé le triumvir Papirius Carbon, le seul qui restât des amis de Caïus, ils le déshonorèrent, en le chargeant de défendre Opimius, cité par un tribun pour répondre du meurtre de tant de citoyens. L’année d’après, ils le firent accuser lui-même par le jeune Crassus. Opimius avait été acquitté ; Carbon n’échappa à une condamnation que par une mort volontaire. Quant aux lois, elles furent successivement modifiées et rapportées. La permission accordée à chacun de vendre son lot fit en peu de temps revenir aux riches presque toutes les terres partagées. Puis le tribun Thorius fit passer cette loi : On cessera de diviser le domaine public, les détenteurs resteront en possession de ce qu’ils conservent encore, à la condition de payer une redevance qui sera distribuée au peuple. C’était une taxe des pauvres. Le peuple de Rome, favorisé dans sa paresse, applaudissait à ces coups portés à la loi agraire ; mais M. Octavius diminua les distributions gratuites de blé ; et en l’année 111 un autre tribun, qu’Appien ne nomme pas, supprima la redevance[2].

Les grands ne voulaient ni de la reconstitution d’une classe de petits propriétaires qui, un jour, leur aurait demandé des comptes, ni du droit de cité accordé aux Italiens, ce qui aurait fait descendre Rome du rang de maîtresse de l’Italie à la condition de simple capitale, ni de colonies transmarines, latinisant les provinces et y propageant des droits qu’il faudrait respecter. Eux seuls dans le sénat et dans les charges ; au-dessous d’eux, une populace facile à effrayer par des archers crétois ou à tenir contente par des jeux et des distributions : telle était leur imprévoyante politique. Cependant ils n’osèrent pas, au premier moment, toucher aux lois judiciaires, de peur de mécontenter l’ordre puissant que Caïus avait constitué et qui venait de les aider à l’abattre. Ils comprirent même que, pour conserver cette puissance qui leur revenait, il fallait prévenir, par quelques sévérités, de nouvelles attaques tribunitiennes. L’an 116, les censeurs Metellus le Dalmatique et Domitius Ænobarbus dégradèrent trente-deux sénateurs, dont deux anciens censeurs, et chassèrent de la ville les comédiens et tous les jeux, excepté ceux de dés et d’osselets[3]. Le consul Scaurus publia l’année suivante une nouvelle loi somptuaire et restreignit les droits politiques des affranchis. Deux ans après, l’austère Cassius Longinus condamna plusieurs vestales, que le grand pontife n’avait osé punir[4]. Enfin, quand éclatèrent les scandales de la guerre de Numidie, les chevaliers, s’associant à l’indignation du peuple, frappèrent un pontife et plusieurs consulaires. Mais les grands trouvèrent que cette sévérité allait trop loin, et en l’année 106 le consul Cépion demanda que la moitié des places de juges fût rendue aux sénateurs. Arrachez-nous, disait au peuple l’orateur Crassus, arrachez-nous à ces bêtes féroces, dont la cruauté lie peut se rassasier de notre sang ; ne souffrez pas que nous soyons asservis à d’autres qu’à vous tous, car nous ne pouvons, nous ne devons avoir que le peuple pour maître[5]. Ces humbles paroles gagnèrent la multitude, qui se désarma elle-même. Les jugements furent partagés[6].

Tout retombait donc dans l’ancien état, les pauvres dans la misère, les grands dans le faste et la confiance. Des deux fils de Cornélie, il ne restait qu’un souvenir sanglant.

Mais, dit un autre tribun, dont le nom est aussi grand et moins pur, Mirabeau, quand le dernier des Gracques tomba, frappé du coup mortel, il jeta de la poussière contre le ciel, et de cette poussière naquit Marius. Moins de deux ans après la mort de Caïus, Marius était tribun.

 

II. — COMMENCEMENTS DE MARIUS[7].

C’était un citoyen d’Arpinum[8], rude comme Caton, illettré, n’aimant ni l’école ni le théâtre[9], et qui, sans la guerre des Cimbres, n’eut jamais joué qu’un rôle secondaire. Soldat intrépide, bon général, sans qualités supérieures, et mauvais politique, il était aussi irrésolu au Forum qu’il était ferme dans les camps. Vivant au jour le jour sans projets arrêtés, il trahit tour à tour, dans sa longue carrière, le sénat, les chefs populaires et les alliés, et il finit par rentrer dans Rome, lui le troisième fondateur de Rome, à la tête d’une armée d’esclaves débauchés à leurs maîtres. Au siège de Numance, Scipion avait remarqué son courage, et l’on dit qu’un jour quelqu’un lui ayant demandé quel général pourrait le remplacer : Celui-ci peut-être, avait-il dit en touchant l’épaule de Marius : mot fait après coup, comme tant d’autres. Marius n’était alors âgé que de vingt-trois ans, et le destructeur de Carthage, qui avait, dans la république et au milieu des grands, une si haute position, n’a pu penser ce qu’on lui fait dire. L’appui des Metellus, anciens protecteurs de sa famille[10], fit arriver Marius, en 119, au tribunat. Son premier acte fut une proposition contre la brigue. Les candidats et leurs amis, dans le but de solliciter les voix jusqu’au dernier moment, se tenaient d’ordinaire sur les ponts qui conduisaient dans l’enceinte où les centuries votaient. Pour les en chasser, Marius proposa de faire rétrécir les ponts de telle sorte, qu’un seul homme y pût passer à la fois. Toute la noblesse se récria contre cette audace d’un jeune homme inconnu, mais dans le sénat Marius menaça le consul de la prison et appela son viateur pour y traîner Metellus. Les grands ne voulurent pas engager une nouvelle lutte pour un objet secondaire : la rogation passe Le peuple applaudissait, quelques jours après, le tribun fit rejeter une distribution gratuite de blé. Cette prétention de faire la leçon aux deux partis tourna tout le monde contre lui. Aussi échoua-t-il quand il brigua l’une après l’autre les deux édilités. En 117 il n’obtint la préture que le dernier ; encore lui reprocha-t-on d’avoir acheté des suffrages. Les nobles affectaient en ce moment une grande sévérité. On avait vu, dans l’enceinte réservée, l’esclave d’un de ses amis, le sénateur Cassius Sabacon. Accablé par la chaleur du jour et par une soif ardente, Cassius s’était fait apporter, disait-il, un peu d’eau par son esclave. Les censeurs ne l’en chassèrent pas moins du sénat : ou sa déposition était fausse, disait-on, on il était coupable d’avoir donné au peuple un exemple de faiblesse. Marius fut lui-même accusé ; parmi les témoins appelés était C. Herennius, qui refusa de déposer, parce que Marius était son client, et que la loi déchargeait les patrons de cette nécessité. Les juges admettaient l’excuse. Mais du jour où j’ai été élevé à une magistrature, répondit Marius, qui attendait de son patron un témoignage favorable, je suis sorti de clientèle. Plutarque, qui rapporte le fait, ajoute : Ce n’était point tout à fait exact, car les seules magistratures curules rompent le lien de la clientèle, et Marius n’exerçait pas encore la préture, puisque son élection était contestée. Il y eut partage égal des voix, ce qui entraînait l’acquittement.

Ces accusations, cette difficulté à se faire jour, ralentirent son zèle ; il passa obscurément à home l’année de sa préture, à ce point qu’on ne sait s’il géra la préture urbaine ou celle des étrangers ; il ne se signala même, l’année suivante, dans son gouvernement de l’Espagne Ultérieure, que par la vigueur qu’il déploya pour réprimer les brigandages des habitants. A son retour, le paysan d’Arpinum scella sa paix avec les nobles par un grand mariage : il épousa la patricienne Julia, tante de César, et Metellus, oubliant, en faveur de ses talents militaires, la conduite qu’il avait tenue dans son tribunat, l’emmena, comme son lieutenant, en Numidie.

 

III. — JUGURTHA.

Bien des races avaient passé sur cette lisière fertile du grand désert africain dont une partie formait le royaume de Jugurtha. Le peuple qui est l’impénétrable énigme de l’Europe savante, les Basques, en étaient peut-être venus. Si les cheveux blonds et les yeux bleus qu’on y voit encore révèlent une infiltration de sang du Nord au sein de ces populations filles du soleil brûlant, on peut croire que les descendants des Vandales qui régnaient en ces lieux, aux derniers jours de l’empire romain, y sont encore. Mais a qui attribuer ces monuments mégalithiques qu’une fée semble y avoir transportés du fond de notre Bretagne ? La terre des monstres, Africa portentosa, est aussi la terre des problèmes insolubles. Les Romains ne se préoccupaient pas de ces questions qui nous inquiètent. Salluste, qui s’est fait raconter les traditions recueillies dans les plus anciens livres du pays, passe bien vite sur ces origines obscures ; il ne parle que de trois peuples : les Numides et les Maures, au milieu desquels s’étaient établis les colons phéniciens, et, dans le désert, les Gétules[11].

Depuis la destruction de Carthage, le nord de l’Afrique était partagé entre trois dominations : à l’ouest, le royaume de Maurétanie ; au centre et assez loin dans le désert[12], celui des Numides, qui s’étendait du Mulucha (Molouya) au Tusca (Zaine) ; enfin, derrière ce fleuve, la province romaine, l’ancienne Zeugitane, que le royaume numide entourait par le sud et l’est en s’étendant jusque vers la Cyrénaïque. Mais dans la région des Syrtes se trouvait une grande et riche cité, Leptis, qui entendait bien ne pas obéir aux rois numides, et qui durant la guerre de Jugurtha sollicita l’amitié de la république et une garnison[13]. Plus loin dans l’est, Cyrène et l’Égypte étaient dévouées à Rome ; sur les côtes mêmes de la Numidie, le sénat avait donné à plusieurs villes le titre d’alliées.

Les Maures étaient peu connus, et les comptoirs que Carthage avait sensés sur leurs rivages étaient tombés avec elle. Mais les Numides ou Nomades[14], les Berbères et les Kabyles d’aujourd’hui, s’étaient fait dans la seconde guerre Punique un nom retentissant. Ils parlaient une langue dont les débris ont été retrouvés depuis les îles Fortunées (les Canaries) jusqu’aux cataractes du Nil. C’étaient des barbares dont le voisinage des Carthaginois avait développé l’astuce naturelle, parce qu’ils avaient dû lutter de ruse avec elle, comme dans leurs déserts ils luttaient de ruse avec la gazelle et, dans leurs montagnes, avec le lion et la panthère. Masinissa[15], que nous avons vu sans foi ni scrupule, mais cavalier intrépide, même à quatre-vingt-dix ans, était le fidèle représentant de cette race qui, avec ses chevaux rapides[16], vivait de chasse et de rapines, bien plus que de ses cultures. Celles-ci s’étendaient dans les vallées fertiles et au bord des ruisseaux, où le dattier donnait ses fruits savoureux. Sur les plaines, au flanc des collines, garanties contre la sécheresse par les grands bois qui couvraient leurs cimes, de nombreux troupeaux de bœufs et de moutons erraient l’année entière uns clôture ni abri, partout où ils trouvaient de l’herbe, partout aussi décimés par les fauves qui étaient les vrais maîtres du pays. Bientôt Rome, pour assurer les plaisirs du peuple à l’amphithéâtre, fera aux félins la guerre sans relâche que nous leur faisons pour donner à nos colons la sécurité ; et, comme tant d’autres royautés, celle du lion passera. Cependant, au voisinage des cultures, quelques villes s’étaient formées sur des monticules ou des rochers de facile défense. La conquête par Masinissa de plusieurs provinces carthaginoises, surtout de la fertile Emporia, en avait accru le nombre, et la Numidie renfermait, dans sa partie orientale, de florissantes cités où affluaient déjà les marchands italiens[17]. Ainsi, de proche en proche, la civilisation pénétrait chez ces nomades, en fixait une partie au sol, multipliait les échanges et mettait de l’or dans la main de leurs princes : un petit-fils de Masinissa croira en avoir assez pour acheter Rome. Cette propagande pacifique s’opéra surtout durant le règne de celui qu’on appela le Philhellène, Micipsa.

Ce pays était donc un beau et grand royaume, comme l’Afrique n’en avait pas encore vu[18], dont la population guerrière aurait pu devenir redoutable, si la politique du sénat n’avait pris soin de la tenir divisée. A la mort de Masinissa, Scipion Émilien avait déjà partagé la Numidie entre les trois fils du vieux prince : une fin prématurée enleva les deux aînés, et le troisième, Micipsa, resta seul roi ; mais il avait lui-même deux fils, Adherbal et Hiempsal, entre lesquels il comptait aussi diviser ses États.

Avec ses enfants, Micipsa avait élevé un fils naturel de son frère Manastabal[19], Jugurtha, qui semblait avoir hérité de l’indomptable courage et de l’ambition peu scrupuleuse de son aïeul. Comme Masinissa, c’était le meilleur cavalier de l’Afrique, et nul n’attaquait le lion avec plus de courage. En voyant croître chaque jour sa réputation, Micipsa craignit d’avoir nourri un rival pour ses fils ; dans l’espérance que la guerre l’en débarrasserait, il le chargea de conduire un secours à Scipion devant Numance ; mais l’ambitieux jeune homme en profita pour s’attacher les Romains de distinction qui se trouvaient au camp, et de cette expédition, qui avait accru sa popularité parmi les Numides, il revint plein d’espérance : car il avait découvert le fatal secret, qu’avec de l’or on pouvait tout à Rome[20]. Scipion le renvoya en Afrique avec de brillants témoignages de sa faveur et une lettre pour Micipsa, où il disait : Votre Jugurtha a fait preuve de la plus grande valeur ; je sais combien cette parole vous fera plaisir. Ses services me l’ont rendu cher, et il ne dépendra pas de moi qu’il ne devienne aussi l’ami du sénat et du peuple romain. Il est digne de vous et de son aïeul Masinissa. Était-ce une lettre de complaisance où une perfidie ? Scipion a-t-il voulu assurer à Jugurtha une position telle, que le roi numide et ses fils fument obligés de compter avec lui ? Ces Romains ne faisaient rien sans calcul, et la dernière hypothèse paraît vraisemblable. Toujours est-il que Micipsa, inquiet de l’ambition de son neveu, crut prudent de ne pas lui laisser faire sa part lui-même ; il l’adopta et lui donna en mourant le tiers de son royaume pour racheter le reste. Il accompagna ce don, s’il faut en croire Salluste, de sages conseils sur la nécessité de l’union ente les trois frères. Discours inutile que Jugurtha, s’il l’entendit jamais, oublia aussi vite que le fit Caracalla quand Sévère, pour prêcher la concorde à ses enfants, leur lut à son lit de mort les paroles mises par Salluste dans la bouche du roi numide.

Adherbal, Hiempsal et Jugurtha devaient régner conjointement (118). Dès les premiers jours, des querelles s’élevèrent ; Jugurtha, levant le masque, fit égorger Hiempsal en trahison ; et Adherbal, battu en voulant venger son frère, fut forcé de se réfugier dans la province romaine (117). Il se rendit à Rome pour plaider sa cause dans le sénat ; mais les envoyés de Jugurtha achetèrent publiquement les consciences à vendre, et le sénat, dont la politique voulait que la Numidie restât divisée, se contenta de décréter l’envoi de dix commissaires chargés de partager le royaume entre les deux princes.

Le chef de l’ambassade, Opimius, était gagné, même avant de quitter Rome ; les autres cédèrent à l’influence de l’or numide, et Jugurtha obtint d’eux ce qu’il voulait : la meilleure part de la succession de Micipsa. Il ne s’en contenta pas longtemps, et l’issue de la lutte était facile à prévoir d’après le caractère opposé des deux adversaires : l’un actif, inquiet, toujours prêt à combattre ; l’autre faible, timide et bien plus craintif qu’à craindre[21]. D’abord Jugurtha fit ravager les terres d’Adherbal, puis il supposa une conspiration formée par ce prince contre sa vie, et, aux vives plaintes que lui fit porter Adherbal, il répondit par une guerre ouverte que termina une bataille livrée sous les murs de la ville royale de Cirta (Constantine). Sur son rocher entouré de précipices et auquel un seul passage donnait accès, Cirta était alors imprenable. Beaucoup de marchands italiens s’y étaient établis pour exploiter les ressources du pays, dont les Numides ne savaient pas tirer parti[22]. À l’approche de Jugurtha et de ses bandes de pillards, ils s’armèrent, et Adherbal, réfugié au milieu d’eux, put y attendre cinq mois l’effet des prières qu’il adressa à Rome. Deux de ses serviteurs réussirent a traverser de nuit le camp royal et portèrent au sénat les humbles supplications dut malheureux prince. Le royaume de Numidie vous appartient, disait-il, sauvez-le, en m’arrachant à des mains impies. Je vous en conjure par la majesté de votre empire, par la sainteté de l’amitié, s’il reste en vous un souvenir de mon aïeul Masinissa. Quelques sénateurs voulaient diriger aussitôt une armée sur l’Afrique ; les amis de Jugurtha obtinrent qu’on n’envoyât encore qu’une députation, à la tête de laquelle on plaça M. Æmilius Scaurus.

Ce personnage, en ce moment un des plus influents a Rome, avait longtemps fait la banque pour sortir de pauvreté. Après avoir passé, suivant l’usage, par l’édilité et la préture, il brigua le consulat, et une opulente succession, qu’il usurpa, lui fournit les moyens d’acheter les suffrages (115)[23]. Il n’en montra pas moins dans son consulat une sévérité catonienne. Envoyé dans la Cisalpine, il soumit son armée à une discipline rigoureuse et imposa à ses soldats les plus rudes travaux pour dessécher les marais de la Trébie[24]. Ses succès contre les Carnes lui valurent le triomphe, et peu de temps après il reçut le titre de prince du sénat. Jusqu’alors il s’était montré contraire à Jugurtha ; à son arrivée en Afrique, il écrivit au prince numide une lettre menaçante, lui ordonnant de venir recevoir à Utique les ordres du sénat. Soit faiblesse, soit corruption, Scaurus et ses collègues, après tout ce bruit et de longs pourparlers inutiles, se retirèrent, emportant quelques belles promesses et sans doute beaucoup d’écus. lis n’étaient pas arrivés à Rome qu’Adherbal, forcé par la famine de se rendre, périssait dans les supplices avec les Italiens qui l’avaient défendu (112)[25]. Peut-être ce crime audacieux serait-il resté impuni sans un tribun, Memmius, qui accusa hautement les nobles. Le sénat, contraint par l’indignation du peuple, déclara qu’une armée et un consul seraient envoyés en Afrique.

Une loi agraire de cette même année 111, qui fixe la condition dei terres dans l’Afrique carthaginoise, semble avoir été une précaution prise pour mettre un ternie à beaucoup d’incertitudes parmi les alliés et les sujets de Rogne, sur la nature de leurs droits, en tant que détenteurs de biens-fonds qu’ils possédaient à des conditions très diverses[26]. C’était un règlement d’intérêt général et en même temps un moyen d’empêcher Jugurtha d’exciter des troubles dans une province que son royaume enveloppait.

Le sort donna la Numidie à Calpurnius, et la guerre qui devait abaisser sous tant d’humiliations[27] l’orgueil des nobles allait commencer.

Le Numide crut encore pouvoir tout arrêter. Il envoya à Rome son fils et deux de ses confidents avec beaucoup d’or ; mais Calpurnius fit rendre un décret qui leur interdisait l’entrée de la ville et les obligeait à quitter l’Italie dans les dix jours. C’était bien commencer. Calpurnius avait sans doute pensé qu’il se vendrait plus cher en Numidie qu’à Rome, à la tête de ses légions qu’au milieu du sénat, où il faudrait partager avec beaucoup. En Afrique, il reçut le roi dans son camp et traita avec lui, demandant pour la république trente éléphants, des chevaux, un peu de bétail et quelque argent ; pour lui-même et pour son lieutenant Scaurus, de grosses sommes.

À la nouvelle de ce marché, Memmius éclate avec une éloquence qui rappelait celle de Caïus Gracchus[28]. Vous avez laissé honteusement périr vos défenseurs, disait-il au peuple, n’importe ; j’attaquerai comme eux cette faction orgueilleuse qui depuis quinze ans vous opprime. Nous vous indigniez tout bas de voir le trésor public au pillage et les tributs des rois et des nations confisqués par quelques hommes ; mais pour eux ce n’était pas assez, il a fallu qu’ils livrassent à vos ennemis vos lois, votre majesté, la religion et l’État. Loin d’en rougir, vous les voyez passer devant vous étalant avec une insolente fierté leurs sacerdoces, leurs consulats, leurs triomphes, prix non plus de la vertu, mais du pillage. La bonne foi, l’honneur, la religion, le juste, l’injuste, ils trafiquent de tout. Des esclaves, achetés à prix d’argent, ne supportent pas l’injustice, et vous, Romains, nés pour commander, vous souffrez la servitude. Et quels sont ces hommes ? Ils ont égorgé vos tribuns, versé le sang du peuple, et ils sont devenus vos maîtres, en faisant passer dans vos âmes timides la terreur qui devait être dans leur conscience coupable. On me dira : Que demandez-vous ? Je veux qu’on sévisse contre ceux qui ont livré à l’ennemi l’honneur de la république, qu’on les poursuive par le témoignage de Jugurtha lui-même. Le peuple, entraîné, décida que le juge le plus intègre de ce temps, Cassius Longinus, irait en Afrique engager Jugurtha à se rendre à Rome, sous la foi publique, pour découvrir les manœuvres de M. Æmilius Scaurus et de ses complices. Comptant sur l’appui des nobles, Jugurtha ne craignit pas d’obéir à cette assignation ; mais, quand Memmius lui ordonna de parler, un autre tribun, qu’il avait acheté, lui défendit de répondre.

Il y avait alors à Rome un prince numide, Massiva, autre petit-fils de Masinissa. Le consul Sp. Postumius Albinus, impatient d’avoir une guerre à conduire, lui conseilla de profiter de la colère du peuple pour demander la couronne de Numidie. Jugurtha le fit assassiner par un de ses affidés, Bomilcar, qui, le coup fait, réussit à s’échapper (110). C’était cependant par trop d’insultes : un décret du sénat ordonna au roi de sortir à l’instant de Rome. Quand il en eut passé les portes, il se retourna, et jetant sur elle un regard de mépris et de haine : Ville à vendre, s’écria-t-il, il ne te manque qu’un acheteur !

Albinus le suivit en Afrique et parut vouloir pousser vivement la guerre ; mais Jugurtha, tantôt combattant, tantôt négociant, gagna le temps des comices, et le consul, rappelé à Rome, laissa les légions à son frère A. Postumius. Dans l’espérance de mettre la main sur les trésors du roi, Aulus conduisit à marches forcées, au milieu de l’hiver, l’armée devant Suthul[29]. Dans cette triste histoire de la décadence républicaine, on retrouve à chaque pas la trahison ; les soldats voulurent avoir, eux aussi, les profits de la vénalité ; une cohorte de Ligures, deux escadrons de thraces, un centurion, des légionnaires, passèrent à l’ennemi ou livrèrent leurs postes. L’armée, battue et cernée, passa sous le joug, et un traité de paix fut signé : une des conditions portait que l’armée romaine évacuerait dans les dix jours la Numidie. C’était la réponse de Jugurtha au sénatus-consulte qui n’avait accordé que le même temps à ses envoyés et à lui-même pour sortir d’Italie (109). Fidèle aux vieilles traditions, le sénat cassa la honteuse convention que le propréteur n’avait pas eu d’ailleurs le droit de conclure, et Albinus revint en toute hâte ; mais il ne put rien faire avec cette armée démoralisée par l’indiscipline et la défaite.

Un tribun provoqua encore la punition de ces lâchetés. Mamilius fit ordonner, par le peuple, des poursuites contre tous ceux qui s’étaient vendus au roi numide. Scaurus, directement menacé, eut l’adresse de se faire mettre de la commission d’enquête. Quatre consulaires cependant furent condamnés : parmi eux était Opimius, le meurtrier de Caïus Gracchus, qui alla mourir obscur et déshonoré à Dyrrachium.

Cette guerre, dont on s’était joué d’abord, devenait inquiétante, parce qu’une autre plus terrible, celle des Cimbres, s’approchait de l’Italie. On porta au consulat (109) un homme intègre et sévère, Q. Cœcilius Metellus, à qui le sort donna l’Afrique pour province : il fallait chasser de l’armée le brigandage, la lâcheté et l’indiscipline ; Metellus y donna ses premiers soins, aidé dans cette réforme par ses lieutenants, Marius et le stoïcien Rutilius Rufus, qui tous deux avaient appris, sous Scipion Émilien, devant Numance, que la discipline est la garantie de la victoire. Quand le consul eut rendu aux soldats la confiance en eux-mêmes, il rentra en Numidie sans se laisser arrêter par les humbles ambassades du roi, gagnant en secret ses députés pour leur faire livrer Jugurtha mort ou vif[30] ; parlant de paix, mais avançant toujours en bon ordre jusqu’à Vaga[31], où se trouvaient un grand nombre de trafiquants italiens, et où il mit garnison. Maître de cette place importante qui assurait ses communications avec la Province, ses vivres et sa retraite, il alla chercher Jugurtha, et, dans une action qui dura tout un jour, il le battit sur les bords du Muthul[32] (l’Oued-Seybouse) qui se jette dans la mer à Hippo Regius (Bone), (108). Cette victoire entraîna la défection de plusieurs villes : Sicca (el-Kef)[33] se donna aux Romains et devint leur entrepôt dans la Numidie orientale ; Cirta leur ouvrit peut-être aussi dès ce moment ses portes, et Jugurtha, peu à peu abandonné de tous les siens, sauf de sa cavalerie régulière[34], fut réduit à commencer une guerre nouvelle d’escarmouches rapides, qui pouvait lui rendre ce qu’il avait déjà perdu.

La Numidie, hérissée de montagnes que coupe le lit des torrents, n’est qu’une suite de vallées et de hauteurs abruptes, qui rendent les marches pénibles et les surprises aisées. De tels pays, habités par une race d’hommes à demi nomades et dévoués à leur roi, qu’ils regardaient comme le héros national, ne pouvaient être gagnés par une seule victoire, il y fallait mille combats. Chaque vallée devait être enlevée comme une ville, chaque montagne comme une forteresse. Metellus s’y résigna : toutes les plaines fertiles furent, l’une après l’autre, saccagées, les villes brûlées, les hommes en état de combattre égorgés. Jugurtha le suivait pas à pas, par les montagnes, tournant autour de la lourde infanterie romaine, mais sans oser lancer contre elle sa rapide cavalerie, qui s’y serait brisée ; arrêtant les convois, enlevant les fourrageurs, troublant les sources et ravageant lui-même le pays. Quand le consul, pour se rapprocher de la Province, assiégea Zama[35], deux fois, durant l’assaut, le roi faillit emporter le camp romain. Cette action termina la campagne ; Metellus mit garnison dans les places conduises et alla prendre ses quartiers dans la Province.

Cependant la plus grande partie de la Numidie orientale était soumise ; Sicca, Braga, Cirta, sa capitale, et toutes les villes de la côte étaient occupées pais des garnisons romaines. Le roi s’effraya de voir recommencer une telle guerre ; sur l’avis d’un traître, Bomilcar, qui, se sachant condamné à Rome pour l’assassinat de Massiva, avait dans une secrète entrevue fait ses conditions avec Metellus[36], Jugurtha demanda la paix et livra 200.000 livres d’argent, ses éléphants, des armes, des chevaux et tous les transfuges qui n’eurent pas le temps de s’enfuir en Maurétanie. Mais quand il reçut l’ordre de venir lui-même se rendre au consul, il ne put s’y résoudre, et Metellus, continué dans son commandement, recommença les hostilités en gardant ce qu’il avait reçu.

Jusqu’alors Marius avait loyalement secondé son chef. Devant Zama, il avait sauvé le camp et failli emporter la place. Envoyé à Sicca pour ramener un convoi, il avait, quoique surpris, battu la cavalerie numide et retenti la ville dans le parti de Rome. Durant l’action, nul n’était plus intrépide ; au camp, dans les marches, personne n’était aussi infatigable, et les soldats voyaient avec étonnement un légat consulaire dormir comme eux sur la terre nue, travailler aux fossés et planter les palissades. Metellus était dur et fier ; au moins dans son lieutenant la sévérité du commandement était tempérée par des manières populaires, et il n’ordonnait rien qu’il ne fût prêt à faire lui-même. Aussi était-ce à lui que les soldats rapportaient tous les succès de la campagne ; déjà les devins lui prédisaient une haute fortune, et les négociants d’Afrique, les publicains, même les soldats, la lui préparaient, en écrivant à Rome qu’on ne verrait la fin de la guerre contre le barbare que si Marius était nommé consul[37].

Il était alors âgé de quarante-huit ans ; il avait géré le tribunat, la préture et gouverné une province ; il ambitionnait les faisceaux consulaires ; mais depuis longtemps les nobles fermaient obstinément la charge suprême aux hommes nouveaux et se passaient de main en main le consulat[38]. En quatorze ans les seuls Metellus l’avaient eu six fois : aussi quand Marius demanda à soli général la permission d’aller à home se porter candidat, Metellus, étonné de cette étrange audace, lui répondit : Chasse de ton esprit ces chimères et proportionne tes désirs à ta condition : il sera temps de te présenter quand mon fils aura l’âge. Le jeune Metellus faisait alors ses premières armes, il avait vingt ans (108).

Blessé dans son ambition et dans son orgueil, Marius ne contint plus sa haine : devant les soldats, il accusait la dureté du proconsul ; à Utique[39], il promettait aux marchands italiens, que cette guerre ruinait, de prendre en quelques jours Jugurtha mort ou vif, n’eût-il que la moitié des troupes. On lui a même prêté une vengeance cruelle. Dans un soulèvement des habitants de Vaga, toute la garnison romaine avait été massacrée, à l’exception de son chef Turpillius, l’ami et l’hôte de Metellus. Un conseil de guerre le condamna ; et, comme il n’avait que le droit du Latium, il fut battu de verges[40], puis décapité, et Marius se serait vanté d’avoir, par cette condamnation, attaché à l’âme du proconsul une furie vengeresse. La sentence était juste ; car si Turpillius n’avait pas trempé dans le complot, il avait, par sa négligence, causé la mort de tous les Romains[41]. Aussi le mot doit-il être placé dans la très longue liste des mots apocryphes. Metellus finit par céder, mais douze jours seulement avant les comices consulaires. Marius fit une telle diligence, qu’il arriva le septième jour à home.

Depuis le succès de Memmius et la loi Mamilia, le courage était revenu aux tribuns. Par sa réputation, par sa haine contre les nobles. Marius méritait leur appui. Ils le présentèrent aux suffrages, et les citoyens des tribus rustiques vinrent en foule voter pour le fils du paysan d’Arpinum : il fut élu. Le peuple, qui ne sait pas plus s’arrêter dans la faveur que dans la haine, cassa un décret du sénat qui conservait à Metellus son gouvernement et donna au nouveau consul la province de Numidie. Dès lors Marius ne garda plus de mesure sans cesse il répétait que son consulat et sa province étaient des dépouilles opimes enlevées sur les nobles. Vous m’avez ordonné de conduire la guerre contre Jugurtha, dit-il un jour au peuple, et la noblesse s’en est indignée ; réfléchissez, je vous prie, s’il ne conviendrait pas de changer votre décision et de choisir, dans la foule des nobles, un homme de vieille race, comptant beaucoup d’aïeux et pas une seule campagne, afin, sans doute, que troublé d’une si lourde charge et sentant le péril de son ignorance, il prenne quelqu’un du peuple qui lui apprenne son office. J’en connais qui, arrivés au consulat, se sont mis bien vite à lire les actions de nos aïeux et les écrits des Grecs sur l’art militaire. Ce qu’ils ont lu, moi je l’ai fait ; ce qu’ils ont appris dans les livres, je l’ai appris dans les camps. Jugez maintenant ce qui vaut le mieux, des actes ou des paroles.... Je ne peux,.pour justifier votre choix, étaler les images, les triomphes, les consulats de mes aïeux ; mais j’ai des piques, un étendard, des colliers, nombre d’autres récompenses militaires, et des cicatrices sur ma poitrine. Voilà ma noblesse. Ces gens-là méprisent ma naissance, moi leurs vices ; ils oublient que le plus noble, c’est le plus brave. Ah ! si l’on pouvait demander aux aïeux d’Albinus et de Calpurnius qui de nous trois ils voudraient avoir pour fils, quelle serait, croyez-vous, leur réponse ? où dit que je suis un homme grossier, parce que je ne sais pas ordonnes un festin et que j’estime plus un laboureur qu’un cuisinier et qu’un histrion. Je l’avoue volontiers, car j’ai appris de mon père et d’autres gens de bien que l’élégance appartient aux femmes, aux hommes le travail, et que pour nous les armes sont la plus belle parure. Et il continua longtemps à flageller, dans son rude langage, la cupidité, la sottise et l’orgueil des nobles, trois vices, disait-il, qui jusqu’ici avaient protégé Jugurtha.

Ce qui fût plus grave que ces paroles haineuses, c’est qu’il ouvrit les légions, aux prolétaires[42]. Il y avait dans cette mesure toute une révolution. Jusqu’alors on n’avait enrôlé que des hommes qui, possédant quelque bien, laissaient à la république un gage de leur fidélité ; sous les drapeaux, ces soldats restaient citoyens. Quand Marius eut donné des armes à la populace, le service militaire, au lieu d’être un devoir civique, devint un métier, et les pauvres qui, à la ville, vendaient leurs votes, au camp, vendirent leur courage. Durant quatre-vingts ans les légions ne seront plus les armées de la république, mais celles des chefs qui sauront les acheter par l’indiscipline, le butin ou la gloire (107).

 

IV. — COMMANDEMENT DE MARIUS EN NUMIDIE (107-105).

Le sénat n’avait pas voulu irriter par une inutile résistance cette opposition populaire qui se reformait autour de Marius. Les préparatifs se firent donc avec rapidité : argent, vivres, armes, équipements de toutes sortes, Marius obtint tout ce qu’il demanda. La nouvelle des derniers succès de Metellus hâta son départ.

Ce général, à l’ouverture de sa troisième campagne, avait encore une fois dispersé l’armée numide et rejeté le roi dans le désert. Avec quelques-uns des cavaliers royaux et les transfuges, Jugurtha gagna la forte ville de Thala, où étaient renfermés ses enfants et ses trésors. Metellus ne craignit pas de risquer son armée dans ces solitudes sans culture et sans eau. Entre Thala et la rivière la plus voisine, dans un espace de 50 milles, on ne trouvait qu’une plaine aride et déserte[43]. Metellus laissa derrière lui tous ses bagages, réunit un grand nombre de bêtes de somme, qu’il chargea de blé pour dix jours et d’un grand approvisionnement d’eau ; puis il organisa des convois que les indigènes devaient lui amener à jour fixe. Il put donc sans danger s’opiniâtrer quarante jours au siége de cette place. Quand il la prit, Jugurtha en était sorti avec ses trésors. Menacé par la trahison, poursuivi sans relâche par un infatigable ennemi, ce prince ne savait où reposer sa tête. Depuis la conspiration de Bomilcar et de Nabdalsa, un des plus illustres chefs numides, il ne se fiait à aucun de ses serviteurs, et il n’osait coucher deux fois dans le même lieu. Longtemps il erra dans les déserts des Gétules. Sa réputation, ses trésors, attirèrent autour de lui ces barbares ; il les arma, les disciplina, et, se retrouvant à la tête de forces nombreuses, il traita avec sort beau-père, Bocchus, roi de Maurétanie. Ce prince, déjà irrité que le sénat eût rejeté son alliance au commencement de la guerre, voyait avec épouvante les désastres répétés de Jugurtha. Son gendre eut peu de peine à l’entraîner, et les deux rois, réunissant leurs forces, marchèrent vers Cirta, sous les murs de laquelle Metellus s’était retranché. C’est là qu’il apprit que son commandement lui était enlevé et que sort odieux rival arrivait. Pour ne le point rencontrer, il chargea Rutilius de lui remettre l’armée, et partit pour Rome, où ses amis lui firent donner le triomphe avec le nom de Numidicus. Un tribun l’accusa cependant de concussion. Mais, quand il présenta sort registre aux juges, ceux-ci détournèrent les yeux et le renvoyèrent absous.

La guerre n’était pas finie cependant. Jugurtha et Bocchus, toujours retirés dans des lieux inaccessibles, suivaient de loin la nouvelle armée de Marius, espérant trouver une occasion favorable de tomber sur ces légions inexpérimentées. Mais le consul, habilement servi par ses espions, savait jour par jour ce que faisait l’ennemi et prévenait tous ses desseins Dans maintes escarmouches, il battit les Gétules ; il faillit même, dans une rencontre près de Cirta, tuer de sa main Jugurtha. Quand il eut ainsi aguerri ses troupes, il revint au système de Metellus. De tous les exploits de ce général, le plus vanté était la prise de Thala. Marius alla attaquer, plus loin dans le désert, au milieu d’une plaine infestée de serpents, la ville de Capsa[44], et il la prit en un jour, sans perdre un soldat, ce qui ne l’empêcha pas de la brûler, d’y tuer tous les jeunes hommes et de vendre le reste. Beaucoup d’autres villes furent enlevées encore ou abandonnées de leurs habitants et, comme Capsa, livrées aux flammes.

Jusqu’alors la guerre s’était concentrée dans la partie de la Numidie voisine de la province romaine. ; Marius la porta à l’autre extrémité, vers les frontières de la Maurétanie.

Non loin du Mulucha ou Malva (la Molouia), commune frontière des Numides et des Maures, s’élevait, au milieu de la plaine, un monticule couronné d’un château fort et qui n’était accessible que par un étroit sentier, bordé de précipices. Jugurtha y avait mis une partie de ses trésors, quantité de vines et une bonne garnison, qu’une source abondante garantissait contre la soif. Impossible d’attaquer une telle place avec les moyens ordinaires, les terrasses, les tours, les mantelets ; et cependant Marius tenait beaucoup à la prendre. Un Ligure qui servait dans les cohortes auxiliaires, étant un jour sorti du camp pour chercher de l’eau, tourna la colline, et, du côté opposé à l’attaque, il vit des colimaçons qui rampaient au flanc du rocher. En s’aidant des pieds et des mains, il y grimpa pour les ajouter à son ordinaire, et, l’ardeur de la chasse l’entraînant, il monta si haut, qu’il arriva près d’un chêne dont la tête atteignait la cime du plateau. Des branches de l’arbre il put y sauter ; de là, il vit la forteresse à ses pieds et la garnison sur le rempart se riant des vains efforts des Romains. Sur le rapport qu’il en fit, Marius donna l’ordre à cinq trompettes, choisis parmi les hommes les plus agiles, et à quatre de ses plus braves centurions de renouveler l’escalade du Ligure. Ils le suivent ; chacun porte, attachés sur le dos, son épée et un bouclier fait de cuir, afin que le poids soit moins lourd et que les armes ne puissent s’entrechoquer bruyamment. Le soldat les précède ; aux pointes des rochers, aux racines des arbustes, il attache des cordes pour aider ses compagnons. Il soutient de la main ceux qu’effraye une route si nouvelle, et, quand la montée devient trop rude, il les fait passer l’un après l’autre sans leurs armes, que lui-même porte derrière eux. Enfin ils arrivent. Tous les humides étaient occupés sur le mur à repousser une violente attaque. Mais, quand les trompettes sonnent derrière eux et qu’ils voient au-dessus de leurs têtes des armes, des soldats, ils croient l’armée romaine dans la place ; l’épouvante les prend ; ils fuient, et Marius se saisit du rempart[45].

Ce fut à ce siège que Sylla, son questeur vint le rejoindre avec un corps de cavalerie latine. Il eût été difficile de réunir deux hommes de caractères plus opposés. Sylla, de l’illustre famille Cornelia, mais d’une branche restée jus’ qu’alors obscure, aimait autant les mœurs nouvelles, le plaisir, l’élégance des manières et du langage, que Marius les haïssait. Prodigue de son bien comme de son amitié, avide de gloire, brave, éloquent et d’uni zèle, d’une activité que rien n’arrêtait[46], il fut bientôt cher aux soldats et aux officiers. Marius lui-même aima ce jeune noble qui ne comptait pas sur ses aïeux (106).

Jugurtha avait perdu ses villes et ses châteaux. Pour décider Bocchus à risquer une grande bataille, sa dernière espérance, il lui promit un tiers de son royaume. L’armée romaine, surprise par les deux rois dans une marche, fut comme assiégée durant une nuit sur une colline ; mais, au point du jour, les légionnaires reprirent l’avantage et firent un massacre des Maures et des Gétules. Une seconde surprise tentée sur les légions, près de Cirta, réussit un instant. Au milieu de la mêlée, Jugurtha criait aux Romains, en montrant son épée ensanglantée, qu’il avait tué Marius, et déjà les légionnaires s’ébranlaient, quand Sylla et Marius lui-même accoururent. Les deux rois n’échappèrent que par une fuite précipitée.

La fidélité de Bocchus ne survécut pas à ce double désastre. Cinq jours après la bataille, il demanda à traiter. Marius renvoya ses députés au sénat, qui répondit : Le peuple romain n’oublie jamais ni les injures ni les services ; il pardonne à Bocchus, puisqu’il se repent, mais, pour l’alliance et l’amitié de Rome, il ne l’obtiendra que quand il aura su les mériter. Réserve sinistre que le barbare comprit. Sur de nouvelles instances de Bocchus, Marius confia à son questeur la dangereuse mission de traverser toute la Numidie et une partie du pays des Maures pour aller conférer avec leur roi. Les rhéteurs se sont emparés de cette situation pour tracer le dramatique tableau des incertitudes de Bocchus, voulant un jour livrer Jugurtha aux Romains, et le lendemain, Sylla au roi numide[47]. La première trahison terminait la guerre et assurait à Bocchus une province ; la seconde attirait sur lui toutes les vengeances de Rome, sans lui donner une chance de succès ni en ôter une au consul. Il n’a pas même dû y penser. Jugurtha, appelé à une conférence, fut chargé de liens et remis à Sylla, qui lui fit traverser, enchaîné, tout son royaume (106).

C’était l’usage qu’un général vainqueur ne quittât le pays devenu sa conquête qu’après l’avoir organisé au mieux des intérêts de Rome. Marius passa prés de deus années encore en Numidie. Nous serions curieux de connaître ce qu’il y fit : mais il ne s’agissait plus alors de grands combats, de belles escalades et de tragiques aventures ; les œuvres de la paix, des travaux de prévoyance habile, ne prêtaient pas à l’éloquence. Salluste n’en dit mot et termine son histoire à la prise de Jugurtha.

Avant de quitter l’Afrique, Marius régla le sort de sa conquête et, par des faveurs habilement distribuées, s’y fit des clients dont César retrouva les descendants fidèles aux amitiés paternelles[48]. Bocchus reçut la Numidie occidentale (provinces d’Alger et d’Oran) ; l’Afrique romaine s’agrandit d’une partie de la Numidie orientale. Le reste du royaume fut cédé à Gauda, dernier prince de l’ancienne famille royale. Le sénat avait en ce moment sur les bras de trop sérieuses affaires pour se donner l’embarras de former une nouvelle province en un pays encore ingouvernable, parce qu’il ne s’y trouvait rien sur quoi Rome pût s’appuyer pour le tenir. Il aimait mieux livrer ce royaume affaibli à des princes qu’il garderait aisément dans sa dépendance, jusqu’à ce qu’il lui convint de les remplacer par ses proconsuls[49]. Patient parce qu’il se croyait éternel, il faisait toujours dans sa politique la part du temps, ce qui lui donna une grande force. En attendant que vienne le moment de l’annexion, l’ancienne province d’Afrique sera comme un foyer d’où la civilisation romaine rayonnera sur la Numidie, qu’insensiblement elle attirera à elle par les liens invisibles des mœurs et des idées, lesquelles gagneront de proche en proche jusqu’au sauvage pays des Maures. Cette politique expectante était d’ailleurs sans danger, car il n’y avait nul État dans le monde qui pût profiter des coups que Rome frappait, substituer son influence à la sienne, ni relever ce qu’elle avait abattu.

Marius rentra dans Rome avec Jugurtha le 1er janvier 104. Loin de porter, comme on le raconte, envie à soit questeur, qui n’était alors qu’un bien milice personnage, il associa Sylla à son triomphe, en lui laissant distribuer aux soldats des médailles qui représentaient le consul sur un char à quatre chevaux, et portaient au revers ces mots : L. Corn. Sylla prog. Après le triomphe, le roi numide fut jeté dans le Tullianum[50]. Par Dieu, s’écria-t-il en riant, que vos étuves sont froides ! Il y lutta six jours contre la faim (104). Il avait eu l’audace de combattre seul contre Rome et il s’était défendu avec une adresse qui usait die tous les moyens, le fer et l’or, mais aussi avec un courage indomptable. Ses vices sont ceux de son temps et de sa nature africaine ; sa bravoure, sa persévérance, ses qualités militaires, honorent son nom et la race dont l’existence politique périt avec lui.

Neuf ans plus tard, le sénat tint dans une autre région africaine la même conduite qu’en Numidie.

Entre le huitième et le dix-huitième degré de longitude orientale, la côte d’Afrique se creuse devant la Méditerranée en un vaste demi-cercle qu’on appelle la région des Syrtes : mer inhospitalière que nos vaisseaux mêmes affrontent rarement ; côte stérile[51], recouverte de sables mouvants et où les nomades pillaient sans pitié les voyageurs naufragés. Mais aux deux extrémités de ce demi-cercle s’étendent deux régions montueuses, bien arrosées et d’une fertilité proverbiale. Les Phéniciens prirent l’une, les Grecs l’antre. Les Romains avaient déjà succédé aux premiers ; le testament de Ptolémée Apion, roi de la Cyrénaïque, les substitua aux seconds (95). Toutefois le sénat se contenta de déclarer libres, sous sa protection, les cinq villes principales de ce petit royaume : Cyrène et Apollonie, qui lui servait de port, Barca, Arsinoé et Bérénice. Il leur laissa même la jouissance du domaine royal, moyennant un tribut, et ne réduisit le pays en province que vers l’année 75, pour mettre un terme à des querelles intestines. Ce n’était pas moins une acquisition précieuse comme position politique, sans parler de l’importance commerciale de ce pays, qui fournissait à l’exportation les produits d’un sol appelé le jardin de l’Afrique et une denrée, le silphium, qui se vendait à Rome son poids d’argent. De la Cyrénaïque, Rome surveillait l’Égypte, et, de la province d’Afrique, la Numidie.

Leptis, au milieu de la côte des Syrtes, mais au débouché de vallées fertiles, avait sollicité durant la guerre numide l’amitié de Rome et obtenu de Metellus une garnison de quatre cohortes liguriennes. Cette place, presque à égale distance de Cyrène et de Carthage, unissait ces deux possessions de la république, et complétait l’investissement de toute la côte africaine.

 

 

 

 



[1] Ce temple fut reconstruit en marbre blanc par Tibère et restauré par Septime Sévère. Il en reste de magnifiques fragments.

[2] Cicéron, Brutus, 36.

[3] Tite Live, Épit. LXII, et Cassiodore, Chron. Alex.... : Artem ludieram ex orbe removerunt, præter Latinum tibicinem cum cantore et ludum talorum. En 92, les censeurs chassèrent les rhéteurs grecs. Voyez plus loin.

[4] Tite Live, Épit. XLIII ; Cicéron, Brutus, 43.

[5] Cicéron, de Orat., I, 52.

[6] Valère Maxime, VI, IX.

[7] Marius n’avait que deux noms : Caïus Marius ; Plutarque s’en étonne, parce que les Romains en avaient trois et quelquefois quatre : 1° le prænomen désignant l’individu, comme Caïus, Cneus, Lucius, Marcus, Sextus, et répondant à notre nom de baptême ; en n’en comptait guère qu’une trentaine ; 2° le nomen gentilitium ou nom de la gens à laquelle l’individu appartenait et habituellement terminé en ius un eius ; 3° le cognomen servant à distinguer les diverses familles comprises dans la même gens et qui était tiré de certaines circonstances ; morales : Imperiosus (le violent), Brutus (le sot), Cato, Catulus (l’avisé) ; physiques : Cæcus (l’aveugle), Cicéron (le pois chiche), Scipio (le bâton) ; ou historiques : Magnus (le grand), Maximus (le très grand), Torquatus (au collier), etc. ; 4° l’agnomen, en souvenir d’une victoire, Africanus, Asiaticus, Creticus, Macedonicus. Ainsi dans P. Corn. Scipio Africanus, Publius est le prénom, Cornelius le nom de la gens Cornelia, Scipio celui de la branche des Scipions, et Africanus le surnom. On conte que le cognomen Scipio vint de ce qu’un Cornelius avait guidé la marche de son père aveugle, comme celui-ci aurait pu se conduire avec un bâton, patrem pro baculo regebat (Macrobe, Saturnales, I, VI, 26).

[8] Né dans un bourg du territoire arpinate, qui s’appelle encore la patrie de Marius, Casamari.

[9] Après son triomphe, il donna des jeux grecs, auxquels il ne parut que quelques instants. Il ne voulut jamais apprendre le grec ni sacrifier, comme disait Platon, aux Grâces et aux Muses. (Plutarque, Marius, 2.)

[10] Et non pas dont il était client ; son patron était C. Herennius. (Plutarque, Marius, 5.)

[11] Le récit de Salluste est légendaire ; cependant, au témoignage de M. de Rougé, les documents égyptiens révèlent entre les tribus du nord de l’Afrique et les peuplades qui dominaient sur les côtes de la Méditerranée orientale, des rapports assez étroits pour leur permettre de se réunir dans une même confédération contre l’Égypte. Quant aux monuments mégalithiques, qui ont si justement perdu leur nom de monuments druidiques, on en trouve partout, et il s’en dresse peut-être encore. Ainsi c’était naguère une coutume en Kabylie de consacrer de la manière suivante les résolutions importantes des clans confédérés : lors de la réunion de l’assemblée délibérante, chaque tribu ayant droit au vote dressait une pierre levée, et l’ensemble de ces pierres formait un cercle autour du lieu où avait siégé le conseil ; puis, en cas de manquement d’une des parties contractantes, le menhir qui la représentait était renversé.... On s’est conformé à cette coutume pour la dernière fois il y a cent trente ans. (Communication de M. René Galles à l’Acad. des Inscript., le 10 septembre 1869, insérée dans les Mém. de l’Acad., t. XXIX, 1ère part., p. 13.)

[12] Gætulorum magna pars.... sub Jugurtha erat (Salluste, Jugurtha, 19).

[13] Elle en demanda une à Metellus, durant le siège de Thala.

[14] Strabon, II, 131 ; XII, 833, 837.

[15] Une inscription récemment trouvée à Délos écrit ainsi le nom de Masinissa.

[16] On a dit que le chameau n’y avait été importé que fort tard et surtout par les musulmans. C’est une erreur. Juba en avait déjà dans son armée. (César, Bell. Afr., 68.)

[17] Comme à Cirta (Constantine) et à Vacca, que les inscriptions nomment Vaga.

[18] La limite de la province fut marquée plus tard par un fossé tiré de Thenæ au fleuve Tusca. (Pline, Hist. nat., V, 4.)

[19] Ces noms purement phéniciens montrent que Ies grandes familles de Numidie avaient, en partie, perdu leur caractère autochtone.

[20] Omnia Romæ venalia esse (Salluste, Jugurtha, 20).

[21] Metuens magis quam metuendus (Salluste, Jugurtha, 20).

[22] Nous trouverons de même un grand nombre d’Italiens dans l’Asie Mineure, et on a vu que beaucoup s’étaient établis dans l’Espagne, qui se latinisa si vite. Pour fournir à cette invasion des provinces et des pays alliés, l’Italie se dépeupla, comme s’est dépeuplée l’Espagne du seizième siècle, par l’émigration aux mines du nouveau monde.

[23] Les Scaurus étaient une branche de la grande famille patricienne des Æmilius ; leur surnom ou cognomen signifie pied bot. Salluste dit de celui qui nous occupe : homo.... factiosus, avidus potentiæ, honoris, divitiarum, cæterum vitia sua callide occultans (Jugurtha, 15). Pline parle de même ; mais Cicéron et Tacite font son éloge. L’esprit de parti a dicté ces jugements contraires. Je note seulement qu’il était né pauvre et qu’il mourut très riche. Or, dans la Rome de ce temps-là, on ne passait pas de cette extrémité à l’autre par des voies honnêtes.

[24] Il dessécha au moyen de canaux navigables toute la plaine de Parme à Plaisance. Six ans après, durant sa censure, il pava la voie Aurélienne entre Pisæ, Vada Sabatia et Derthona, etc.

[25] ...Numidas atque negotiatores promiscue interficit (Salluste, Jugurtha, 26). Ailleurs, il appelle ces negotiatores des togati, c’est-à-dire des citoyens romains. S’ils l’étaient, ils devaient être de bien petite condition, ou Jugurtha les épargna, et c’est ce qui doit avoir eu lieu, car le meurtre de citoyens romains aurait causé à Rome une émotion qui eût rendu l’intervention de Memmius inutile. Sur ce point, Rome avait une susceptibilité aussi vive que celle de l’Angleterre, en pareil cas.

[26] Cette loi, dont il nous reste de très nombreux fragments, est relative à l’ager publicus en Italie, en Afrique et en Grèce, ager corinthiacus. (Voyez C. I. L., t. I, p. 77 et suiv.) Elle déterminait les divers genres de propriétés et de possessions, et leur condition juridique : ager publicus, ou terres du domaine public du peuple romain et affermé par lui ; ager privatus ex jure Quiritium, terres assignées aux colons romains et tenues par eux en propriété quiritaire, quoique soumises au tributum, comme toute portion du sol provincial ; ager privatus ex jure peregrino, domaine des villes alliées, soumises, comme on l’a vu, à des conditions diverses. Le temps effaça peu à peu ces différences, surtout après l’édit de Caracalla ; sous Dioclétien, on n’en voit plus entre la possessio et la proprietas (Fragm. Vatic., 283) ; mais la distinction entre le sol italique et le sol provincial ne fut légalement abolie que par Justinien. Quant à la loi de 111, elle a été expliquée dans ses détails juridiques par M. Mommsen au C. I. L., et M. Ernest Desjardins (Géogr. de la Gaule rom., t. II, p. 292 et suiv.), en l’appliquant au territoire de la colonie de Narbo Martius, a montré qu’on pouvait en généraliser les dispositions. Elle paraît avoir voulu faire une liquidation générale, en réglant, pour l’Italie, l’Afrique et la Grèce, dans le sens d’une consolidation de la propriété dans les mains des détenteurs de terres publiques, les questions qui depuis vingt-deux ans avaient si fort agité les esprits. Il se peut que les préoccupations causées en ce moment par Jugurtha, tout autant que le désir de mettre un terme à l’agitation agraire, en aient décidé la présentation.

[27] ....Tunc primum superbiæ nobilitatis obviam itum est (Salluste, Jugurtha, 5).

[28] Salluste dit avoir choisi ce discours, entre beaucoup d’autres du même orateur, pour le transcrire, perscribere, et assure y avoir fait peu de changements hujuscemodi verbis disseruit (Jugurtha, 50).

[29] La position en est inconnue.

[30] Frontin (I, 8) dit qu’il agit souvent ainsi dans le double but ou de terminer la guerre par une trahison, ou de rendre à Jugurtha tous ses amis suspects.

[31] Bejah, sur la Beja, affluent de la Medjerdah et à 20 kilomètres de ce fleuve.

[32] Muthul est probablement le nom africain de la rivière que les Romains appelaient Ubus.

[33] A 15 kilomètres au sud de l’Oued-Mellègue, principal affluent de droite du Bagradas et à 45 kilomètres de ce fleuve. Elle s’est successivement appelée : Sicca, Sicca Veneria, Colonia Julia, Cirta Nova, Siecensis, Chakbanaria et et-Kef. (Note de M. E. Desjardins.) Sicca devint plus tard une colonie romaine, où Astarté, la déesse phénicienne, se changea en Vénus. On y a trouvé une statue de cette déesse, et Valère Maxime (II, VI,15) prétend qu’il s’y était conservé une étrange coutume des villes phéniciennes : les jeunes filles, même des bonnes maisons, venaient gagner leur dot, dans le temple de la déesse, par une prostitution sacrée.

[34] Præter regios eguiles (Salluste, Jugurtha, 51).

[35] La position de cette place n’a pu encore être déterminée : c’est peut-être Yana, prés de Keff, à 5 journées de chemin dans le sud-ouest de Carthage.

[36] Le complot fut découvert, et Jugurtha fit tuer Bomilcar (Salluste, Jugurtha, 70-72).

[37] Plutarque, Marius, 7.

[38] .... Consulatum nobilitas inter se per manus tradebat (Salluste, Jugurtha, 63).

[39] Aujourd’hui Ben-Chale sur le Medjerdah, à 10 kilomètres de son embouchure.

[40] Ce supplice prouve que la loi de Drusus, qui portait qu’un Latin ne pourrait être battu de verges, avait été abolie au temps de la réaction aristocratique, ou n’était pas observée.

[41] Salluste dit de Turpillius (ibid., 67) : improbus, intestabilisque videtur, et il ajoute (69) que sa défense ne le justifia pas ....sese paum expurgat. Metellus fit massacrer tout le sénat de Vaga ; les Thraces et les Ligures transfuges eurent les mains coupées, puis on les enterra jusqu’à la ceinture, et l’armée, rangée en cercle, acheva de les tuer à coups de flèches.

[42] Ipse milites scribere, non more majorum, neque ex classibus, sed uti cujusque lubido erat, capite censos plerosque (Salluste, Jugurtha, 86), et il ajoute cette phrase si vraie : homini potentiam quærenti egentissumus quisque apportunissimus.

[43] M. Ernest Desjardins veut bien me communiquer la note suivante : Thala n’a pas changé de nom. C’est la moderne Thala dans le bassin supérieur de l’Oued-Serral affluent de droite de l’Oued-Mellèg e, qui lui-même se jette dans la Medjerdah également à droite. Grenville Temple y a reconnu d’immenses ruines, oppidum magnum et opulentum, que M. Guérin a visitées et décrites (Voyage en Tunisie, t. I, p. 338-341). Thala est à 150 kilomètres à vol d’oiseau au sud du cap Roux et de la Calle, même méridien. Salluste place Thala à 50 milles du fleuve le plus voisin. Cependant un cours d’eau, l’Oued-Haïdrali, est peu éloigné de Thala ; les mots de Salluste sont sans doute une faute des manuscrits. Il n’y a pas de villes qui aient pu se trouver dans cette région, à 50 milles, c’est-à-dire à 74 kilomètres d’un cours d’eau important.

[44] Cafsa, à 280 kilomètres dans le sud de la Calle, et à 120 à l’ouest du golfe de Gabès, par 31° 30’ de lat. nord et 6° 30’ de long. est.

[45] Salluste, Jugurtha, 92-94.

[46] Salluste, Jugurtha, 95.

[47] Appien montre que le projet de livrer Jugurtha était depuis longtemps arrêté (Numid., fragm. 4). Salluste croit aux hésitations de Bocchus, ruais son propre récit prouve le contraire. Jugurtha était encore à la tête, d’une troupe nombreuse et dévouée ; il avait des intelligences parmi les maures, et, au moindre soupçon, il se serait rejeté dans le désert. Pour l’amener à quitter les siens et à se rendre à une conférence où l’on pourrait le saisir, il fallait beaucoup de duplicité. Bocchus, qui depuis longtemps négociait avec Marius, en montra autant qu’il était nécessaire, et la trahison fut menée à bonne fin.

[48] Cf. César, Bell. Afr., 55.

[49] Les Numides étaient divisés en un grand nombre de tribus souvent en guerre les unes contre les autres. Dans la province d’Afrique, où la concentration avait été plus forte., Pline comptait encore vingt-six peuplades différentes (Hist. nat., V, 4). Appien (Lybica, 10) dit aussi : Νιμάδων δέ τών έν Λιβύη δύνασται μέν ήσαν xατά μέρη πολλοί.

[50] Le Tullianum fut ainsi nommé, dit-on, de Servius Tullius, qui l’aurait creusé dans le tuf du mont Capitolin, peut-être pour en faire une citerne ; une source, en effet, le Tullius, y coule encore, et l’on tirait l’eau par le trou qu’on voit à la voûte. Plus tard, on en fit un cachot souterrain. Les condamnés étaient descendus à l’aide d’une corde par l’ouverture de la voûte, et, après l’exécution, les corps en étaient retirés avec un croc. Il se peut que la petite porte qui donne accès dans une galerie basse et souterraine soit d’une date postérieure et ait servi à traîner les cadavres au Tibre, quand ils n’étaient point exposés aux gémonies, C’est-à-dire aux escaliers des gémissements, qui conduisaient à la prison d’en haut. Les prisonniers d’État qui n’étaient point condamnés à mort étaient donnés en garde aux habitants des villes municipales les plus fortes de l’Italie. Cf. Salluste, Catalina, 51 et 52.

[51] Excepté sur les bords du Cinyps (Wadi Quasam) et aux environs des trois villes de la Tripolitaine : Leptis magna, Oea (Tripoli) et Sabrata.