HISTOIRE DES ROMAINS

 

CINQUIÈME PÉRIODE — CONQUÊTE DU MONDE (201-133)

CHAPITRE XXXIV — ORGANISATION DES PROVINCES ROMAINES.

 

 

I. — ÉTENDUE DES DOMAINES DE LA RÉPUBLIQUE VERS L’AN 150.

Cent trente ans environ avant notre ère, la république romaine avait fini ses grandes guerres et fondé son empire. Il ne lui restait plus à vaincre que Jugurtha, Mithridate et les Gaulois. Elle possédait déjà les trois grandes péninsules de l’Europe méridionale : l’Espagne, l’Italie et la Grèce. Entre l’Italie et la Grèce, elle s’était ouvert une route autour de l’Adriatique par la soumission des Istriens et des Japodes en 129, des Dalmates en 154, des Illyriens avant la seconde guerre Punique : route peu sûre encore et qui ne le deviendra que sous l’empire, après de nouveaux coups frappés sur ces rudes et belliqueuses populations. Un préteur était même allé chercher jusque sur les bords du Danube ces nations gauloises que Philippe et Persée avaient voulu pousser sur l’Italie[1]. Entre l’Italie et l’Espagne, la route de terre manquait ; mais, de ce côté, Rome avait depuis longtemps noué d’utiles alliances, et dans quelques années elle y formera une province. En attendant, Marseille prêtait ses navires, son port, ses pilotes, depuis le Var jusqu’à l’Èbre, et mettait au service des Romains son influence sur les barbares du voisinage. Ses espions avaient averti Rome du passage de l’Èbre par Annibal, surveillé sa marche en Gaule, guidé les cavaliers de Scipion dans les reconnaissances ; et, pour défendre ces utiles alliés, le sénat avait envoyé, dés l’année 154, ses légions au delà des Alpes contre les Oxybiens et les Déciates, qui menaçaient les comptoirs massaliotes de Nice, d’Antibes et de Monaco[2]. Rome devait assurer à tout prix ses communications avec l’Espagne.

D’indépendance laissée à quelques districts montagneux du nord de l’Espagne, de la Cisalpine et de l’Illyrie, n’empêche pas de regarder les trois péninsules d’Europe comme soumises à l’autorité des Romains. Dans l’Asie-Mineure, ils dominaient jusqu’au Taurus ; mais, ayant reconnu dans l’expédition de Manlius la faiblesse des Galates, auparavant si redoutés, ils ne leur avaient pas encore demandé l’abandon d’une liberté qui, à cette extrémité des frontières de la république, était moins gênante qu’utile. Gavium, la grande cité d’Ancyre, même Pessinunte, qui, depuis l’arrivée de Cybèle aux bords du Tibre, aurait dû être pour les Romains une ville sainte, restaient donc aux mains des tétrarques gaulois. En Afrique, elle avait gardé le territoire de Carthage, que ne pouvaient plus inquiéter les Numides, divisés, depuis la mort de Masinissa, entre plusieurs rois. L’Égypte était sous sa tutelle, les Juifs dans son alliance, et ce qu’il restait de petits rois dans l’Asie Mineure à sa discrétion. Rhodes et les villes grecques du littoral asiatique lui rendaient des honneurs divins[3] ; enfin avant six années la Gaule Transalpine sera entamée. La domination de Peine on son influence s’étendait donc de l’Océan aux bords de l’Euphrate, et des Alpes à l’Atlas. Il fallait bien peu d’efforts pour achever le pompeux outrage de l’empire romain.

C’est le moment d’examiner l’organisation donnée par le sénat aux pays d’outre-mer ou transalpins, comme nous avons étudié, après la guerre du Samnium[4], les arrangements faits dans l’Italie conquise. Nous verrons aux chapitres suivants les résultats qu’eurent ces conquêtes pour l’état intérieur.

Le territoire de la république se divisait en deux parties : l’Italie, au sud du Rubicon et de la Macra, et les provinces, terres tributaires[5]. Il y en avait huit alors :

Sicile, divisée, à cause de sa richesse, en deux questures, dont le siége était à Lilybée et à Syracuse[6] ;

Corse et Sardaigne ;

Cisalpine ;

Macédoine avec la Thessalie, l’Illyrie et l’Épire,

Asie pergaméenne ;

Afrique carthaginoise ;

Espagne ultérieure ;

Espagne citérieure.

L’Achaïe, c’est-à-dire la Grèce et ses îles, peut être regardée comme une neuvième province, quoiqu’elle n’eût pas encore de gouverneur particulier.

A ces domaines de la république un autre est à joindre : la Méditerranée lui appartenait, et le couple divin des dieux de la mer, Neptune et Amphitrite, que les Grecs avaient tant honoré, commençait à recevoir les hommages de Rome. Neptune avait eu bien tard un temple dans le Champ de Mars, et nous ne savons rien du culte qu’on lui rendait, pas même, avec certitude, le jour où sa fête était célébrée. Mais les artistes grecs, au service des riches Romains, se plairont à multiplier les gracieuses représentations d’Amphitrite et de ses Néréides. Trompeuses images de la paix régnant sur les flots : car Rome ne donnera point à son domaine maritime 1a sécurité qu’elle assure à ses provinces continentales. Elle a détruit toutes les marines étrangères sans les remplacer, et elle ne fait rien pour la police des mers, où la piraterie s’exercera longtemps avec impunité.

 

II. — LA PROVINCE[7].

Dans l’antiquité, la guerre sans merci donnait au Vainqueur les biens, la terre, la vie, même les dieux du vaincu[8]. Le sénat avait d’abord exercé ce droit terrible dans toute sa rigueur à l’égard de quelques peuples de l’Italie. L’Épire, Numance, Corinthe et Carthage avaient eu le même sort, la destruction. Mais généralement Rome laissait à ses sujets leur religion[9], leurs lois[10], leurs magistrats[11], leur sénat et leurs assemblées publiques, la plus grande partie ou la totalité de leurs terres et de leurs revenus[12], en un mot une très grande indépendance municipale, même un sort moins dur qu’au temps de leur liberté, car le sénat avait souvent diminué le tribut qu’ils paraient aux rois, leurs anciens maîtres[13], et il ne leur imposait pas le service militaire, qui, en règle générale, était réservé aux seuls habitants de home et de l’Italie.

Ces peuples pouvaient donc se croire libres encore, et, de plus, ils étaient débarrassés de deux maux qui leur avaient fait une existence intolérable : au dehors, des guerres sans raison et sans fin, où des deux côtés, pour les plus misérables motifs, on détruisait incessamment les moissons, les villages et les hommes ; au dedans, une démagogie envieuse qui recommençait la lutte du pauvre contre le riche dès que la lutte avec l’étranger cessait. Ceux qui possédaient étaient constamment exposés ii la confiscation, à l’exil ou à la mort. Le sénat romain reluit les choses à leur place : la paix entre les peuples et l’ordre dans les villes ; il interdit les guerres privées et partout il reconstitua fortement le pouvoir.

Le mot provincia a un double sens : d’une part, il exprime la compétence du magistrat ayant l’imperium judiciaire ou l’imperium militaire, et d’autre part, le lieu où cette compétence s’exerce. Le préteur qui jugeait à Rome n’avait que la première ; le proconsul qui gouvernait un pays conquis les avait toutes deux, et le pays finit par prendre le nom de la fonction, provincia. Quand un peuple avait fait sa soumission à Rome, il recevait une constitution ou, comme on disait, une formule, qui déterminait la quotité du tribut et les obligations des provinciaux à l’égard de la république. Cette formule, qui variait d’une province à l’autre, était rédigée par le général vainqueur ou par des commissaires du sénat, ordinairement au nombre de dix. Habituellement le général, pour mieux pacifier le pays, lui donnait de nouvelles lois civiles. Ainsi firent Paul-Émile en Macédoine[14], Gracchus en Espagne, Rupilius en Sicile, Lucullus en Asie, Pompée dans la Bithynie. En Achaïe, ce fut Polybe qui, à la demande des cités, reçut du sénat commission de régler la forme de leur gouvernement[15].

Ces constitutions municipales conservaient l’ancienne organisation aimée des indigènes ; seulement on la rapprochait des institutions aristocratiques de Rome[16], comme on ramenait peu à peu les lois civiles des vaincus aux : lois civiles des vainqueurs[17]. Ainsi, les soixante-cinq villes de la Sicile[18] avaient chacune un sénat, deux censeurs qui faisaient le cens tous les cinq ans, des ordres de citoyens, des charges auxquelles on n’arrivait qu’à la condition de remplir certaines conditions d’âge et de fortune. On permit même aux peuples, surtout en Grèce et en Orient, de célébrer en commun leurs fêtes religieuses et de reformer leurs ligues inoffensives[19].

Les provinces où la turbulence des populations et le voisinage de l’ennemi rendaient les soldats nécessaires, étaient gouvernées par des consulaires ; les autres, plus pacifiques, par des préteurs[20]. Ces fonctions pouvaient durer plusieurs années. Des citoyens sans charge obtenaient même quelquefois, du sénat ou du peuple, une province[21].

Les aristocraties, qui administrent gratuitement, les démocraties, qui doivent administrer économiquement, ne multiplient pas dans l’État lès fonctions publiques ; la monarchie, au contraire, fait pulluler les places : témoin l’aristocratique Angleterre, qui n’avait naguère que vingt-quatre mille employés émargeant au budget de l’État, et l’empire de Constantin, où l’armée des fonctionnaires égalait celle des légions. Rome républicaine ne voulut jamais entrer dans le détail de l’administration des provinces. Elle affermait les impôts, pour n’avoir pas à les lever elle-même, les travaux publics, pour n’avoir pas à les conduire, et elle laissait les villes gérer leurs propres affaires, avec l’intention de ne sen mêler que si la paix publique était troublée. Elle gouvernait, elle n’administrait pas : regere imperio populos.... Alors un seul homme suffisait pour une province vaste comme un royaume.

 

III. — LE GOUVERNEUR.

Aux portes mêmes de Rome, dés qu’il avait franchi l’enceinte sacrée du pomerium, le gouverneur prenait ses insignes et ses licteurs avec les haches sur les faisceaux, six pour un propréteur, douze pour un proconsul, et déjà il pouvait exercer la juridiction volontaire[22], mais non l’autorité proconsulaire, en vertu de laquelle il n’avait le droit d’agir que dans les limites de sa province. Ses fonctions étaient gratuites. Cependant il recevait du sénat, pour ses frais de séjour et de voyage, une somme quelquefois considérable[23], et des provinciaux le blé nécessaire à sa maison ; charge onéreuse, car une troupe nombreuse l’accompagnait : c’était la cohorte prétorienne, c’est-à-dire les soldats qui formaient sa garde ; les jeunes nobles désireux de s’initier, sous lui, aux affaires publiques ; ses amis, comites, qui venaient partager ses honneurs ou exploiter son influence[24] ; ses familiers, ses affranchis, gens de confiance pour les missions délicates et secrètes ; les scribes, pour rédiger les actes publics ; les interprètes, les médecins, les aruspices, les hérauts, etc.[25]

Le gouverneur, quel que fût son titre, était investi de l’autorité politique, militaire et judiciaire ; il avait un droit absolu sur la personne et sur les biens des provinciaux. A Rome, chaque magistrat avait aussi, dans sa sphère d’action, un pouvoir à peu prés illimité, mais il était permis au citoyen lésé de recourir à un magistrat égal ou supérieur, qui, par son veto, neutralisait l’action d’un collègue ou d’un inférieur. Dans les provinces, rien de semblable : le proconsul n’ayant ni collègue ni supérieur, son autorité y était sans limites et ses décisions immédiatement exécutées ; seuls les citoyens qui s’y étaient établis conservaient le droit d’appel aux tribuns de Rome[26].

Ces proconsuls étaient parfois avides, injustes et cruels : nous en aurons bientôt la preuve. Cependant deux choses gênaient l’arbitraire de ces puissants personnages : leurs assises étant publiques, les plaideurs trouvaient, dans cette publicité, un commencement de garantie, et les provinciaux ayant le droit de plainte par-devant le sénat, les gouverneurs étaient contenus par la crainte des accusations qui seraient portées contre eux : ainsi, durant la guerre de Persée, des Espagnols vinrent demander au sénat justice de plusieurs généraux. Ne souffrez pas, disaient-ils, que vos alliés soient plus cruellement traités que des ennemis. Le préteur Canuleius, à qui le gouvernement de l’Espagne était échu, eut ordre de désigner cinq sénateurs qui informeraient contre les magistrats accusés de concussion, et d’autoriser les Espagnols à se choisir des patrons qui défendraient leur Fronton du temple cause. Ils en prirent quatre : Porcius Caton, Corn. Scipion, fils de Cneus, Paul-Émile et Sulpicius Gallus. Le premier qu’ils citèrent fut renvoyé absous, mais deux préteurs, pour échapper à une condamnation, s’exilèrent Tibur et à Préneste[27].

On verra plus loin que, en 149, un tribunal fut tout exprès organisé pour recevoir ces plaintes. Sans doute l’exercice de ce droit était dangereux, à cause des inimitiés qu’il suscitait, mais il était utile, car des condamnations pouvaient être obtenues, témoin celle de Verrès ; et il se trouvait toujours é Rome, sans compter les patrons de la province, ses défenseurs obligés, quelque ambitieux en quête d’une grande cause à plaider pour se, mettre en évidence et préparer une candidature aux élections prochaines. Ainsi commença César ; cent autres avaient fait comme lui.

En résumé, le gouvernement, républicain à Rome, était monarchique dans les provinces ; et on ne devra pas s’étonner lorsqu’on verra ce qui était la loi pour soixante-dix millions d’hommes le devenir pour l’imperceptible minorité qu’on appelait le peuple romain.

Le gouverneur était général, juge suprême, même législateur ; car, par son édit, il déclarait quels principes il suivrait pour l’administration de la justice[28]. Dans les villes stipendiaires, qui portaient tout le poids de la conquête, il confirmait l’élection des magistrats locaux[29], veillait au maintien de l’ordre et à la bonne gestion des affaires municipales[30]. Il prévenait, en imposant son arbitrage ou son autorité, les guerres particulières, dispersait les rassemblements séditieux, faisait, au besoin, dans la province, des levées et toutes les réquisitions que la guerre exigeait[31]. Représentant de l’intérêt public, il provoquait l’exécution des travaux d’utilité commune, et en assignait la dépense sur le trésor de la ville[32]. Parfois même il établissait ou supprimait certains impôts[33], mais toujours il devait laisser copie de ses comptes dans deux villes de sa province.

Juge suprême et sans appel, sauf le recours des citoyens romains aux tribuns du peuple, il décidait au civil et au criminel d’après les règles posées par lui-même dans son édit[34]. Pour éviter aux justiciables des déplacements coûteux, il allait tenir ses assises dans des lieux désignés d’avance, conventus juridici[35]. En Sicile, et ces usages se reproduisaient dans les autres provinces, les procès entre citoyens d’une même ville étaient vidés par les magistrats du lieu ; entre les habitants de villes différentes, par des juges que le préteur désignait ou faisait tirer au sort ; entre un particulier et une cité, par le sénat d’une autre ville ; entre un Romain et un Sicilien, par des juges pris dans la nation du défenseur. En Sicile, pour les contestations entre les publicains et les propriétaires, on décidait d’après les lois du roi Hiéron[36]. Mais on pouvait appeler de tous ces jugements au préteur. Les sujets ne semblent pas d’ailleurs avoir eu le droit de vie et de mort, si ce n’est sur les esclaves. Ainsi le sénat de Catane instruit contre un esclave un procès capital ; mais, en Judée, les Juifs, qui condamnent Jésus à mort, ne peuvent le faire exécuter : il fallut que Ponce Pilate donnât les ordres pour le supplice[37]. La loi défendait formellement au préteur de déléguer le droit du glaive qui lui avait été donné[38] ; et il ne devait prononcer qu’après avis de son conseil, sorte de jury, dont le préteur prenait les membres dans sa cohorte et parmi les citoyens résidant dans la province.

Dans le monde gréco-romain, le pouvoir religieux fut presque toujours subordonné au pouvoir politique[39]. Celui-ci, sans doute, était fort tolérant au sujet des croyances, dont il ne s’inquiétait guère ; mais il voulait tenir les prêtres dans une étroite dépendance, surtout les chefs, qui devaient répondre pour leurs subordonnés. En Judée, et ce droit fut exercé partout ailleurs, les gouverneurs, héritiers des prérogatives des rois, disposèrent à leur gré de la grande sacrificature[40].

 

IV. — LES LÉGATS ET LE QUESTEUR.

Dans l’accomplissement de leurs fonctions, les gouverneurs étaient aidés par un petit nombre d’agents secondaires. Les premiers en dignité étaient les légats, dont le nombre variait suivant l’importance de la province, et qui, choisis par le proconsul, devaient être cependant agréés et confirmés par le sénat[41], de sorte qu’ils étaient considérés comme tenant leur charge, de l’État. À ce titre, ils étaient inviolables pendant toute la durée de leur mandat[42] ; leurs attributions n’étaient pas rigoureusement déterminées, seulement ils devaient à leur chef l’appui de leur bras et de leurs conseils. Ordinairement, celui-ci partageait avec eux l’administration de la province. Ils Commandaient alors, chacun dans son district et sous la surveillance du gouverneur, auquel ils référaient pour tous les cas douteux, mais sans exercer le jus necis, qui n’appartenait qu’au magistrat investi du merum imperium[43]. Dans la Tarraconaise, dit Strabon, le consul a sous ses ordres trois légions et trois lieutenants. L’un, avec deux légions, veille sur les Gallaïques, les Astures et les Cantabres ; l’autre, avec la troisième, sur tout le littoral jusqu’aux Pyrénées. Le dernier a dans son ressort les peuplades établies dans l’intérieur et sur les deux rives de l’Èbre. Le consul lui-même passe l’hiver, soit à Tarragone, soit à Carthagène, et il y rend la justice. Durant l’été, il fait des tournées pour remédier aux abus qui peuvent se glisser dans l’administration[44].

Au-dessous ou à côté des légats était le questeur, particulièrement chargé de tous les détails de l’administration financière. Il recevait du trésor public l’argent nécessaire à la solde, à l’entretien des troupes et aux acquisitions à faire dans la province, pour le compte de l’administration romaine. Quelques impôts qu’on n’affermait pas aux publicains étaient levés par lui. Les Romains ne connaissant pas le principe de la division des pouvoirs, le questeur, principal agent financier, pouvait être appelé à de tout autres fonctions ; son expérience et son zèle appartenaient au proconsul, qui faisait de lui, au besoin, un juge, un administrateur ou un général. Le questeur avait, comme les édiles à Rome, une juridiction propre et le droit de faire certains édits[45]. A la fin de l’année, il devait rendre compte de sa gestion financière, et une loi Julia l’obligea de déposer son état de recettes et de dépenses, à Rome, dans l’ærarium, après en avoir laissé copie dans deux villes de la province. La Sicile avait deux questeurs, résidant l’un à Syracuse, l’autre à Lilybée[46].

 

V. — OBLIGATIONS DES PROVINCIAUX.

Les provinciaux devaient aux gouverneurs une obéissance absolue[47] ; à Rome ils devaient de plus un tribut, car les provinces étaient les fermes du peuple romain, quasi prædica populi Romani[48]. Au moment de la conquête, les Romains avaient pris pour eux toutes les terres royales et quelquefois les biens communaux, ou même la totalité des terres de certaines villes qui, par leur courage et leur patriotisme, avaient mérité, de la part du vainqueur, un traitement plus sévère. Ces terres avaient échues au domaine du peuple romain et en subissaient toutes les conditions[49]. Quant aux terres laissées aux indigènes, leur caractère était changé. Par le fait de la guerre, les habitants des provinces, au lieu de la propriété, n’avaient plus que la possession du sol provincial[50] ; ils étaient des fermiers perpétuels, et le signe de cette diminution de droit était le tribut que les détenteurs devaient payer agi propriétaire véritable, le peuple romain[51].

Ces contributions étaient de quatre sortes : l’impôt personnel, l’impôt foncier, les douanes et droits régaliens, les réquisitions.

L’impôt personnel était calculé d’après le cens, ex censu, c’est-à-dire d’après la fortune de chacun.

L’impôt foncier était payé soit en espèces[52], soit en nature[53], et alors habituellement fixé à la dixième partie des fruits[54]. Cette combinaison semblait plus favorable aux tributaires, parce que, si Rome profitait des bonnes récoltes, elle courait aussi toutes les chances des récoltes mauvaises ; tandis que, dans le cas de l’abonnement en argent, la somme étant file, les tributaires paraient, lors même que la terre ne leur avait rien rendu[55]. Le citoyen romain qui possédait des biens-fonds dans une province était soumis à l’impôt foncier[56].

Il y avait des réquisitions de diverses sortes : les unes accidentelles, les autres permanentes. Ainsi, les provinciaux devaient fournir ait magistrat qui venait veiller à leur sûreté, le blé nécessaire à sa maison, soit en nature, et alors le sénat eu déterminait la quantité, soit en argent, et le sénat prenait soin encore, dans ce cas, de fixer d’avance le prix auquel la conversion serait faite[57]. Parfois le sénat exigeait, pour le besoin des armées ou par suite d’une mauvaise récolte, double dîme, mais il en payait le prix[58]. Si le gouverneur jugeait à propos d’équiper une flotte polar protéger la province contre les pirates, il fallait construire des navires, fournir des matelots, des soldats, nourris et payés par la ville qui les devait[59]. Si une armée était nécessaire, la province donnait le blé pour la nourrir. Le sénat payait cette prestation, mais au prix qu’il fiait lui-même, et les provinciaux étaient obligés de transporter le blé là où il convenait au préteur de le recevoir. Ils devaient encore les logements pour les quartiers d’hiver, et quelquefois même des auxiliaires pour les légions[60].

Le sénat s’était réservé les mines des métaux précieux, les carrières de marbre, même celles de certaines pierres, les salines, les pêcheries et les douanes. Les douanes étaient d’un produit considérable, car la république avait maintenu tous les droits de port qu’elle avait trouvés établis. Ce droit, à la douane de Syracuse, était d’un vingtième de la valeur des objets[61].

On peut considérer encore comme un impôt payé par les provinces, ou du moins comme un revenu du peuple romain, ce que les particuliers donnaient pour envoyer leurs troupeaux dans les pâturages publics[62].

 

VI. — DIVERSES CATÉGORIES DE VILLES PROVINCIALES.

La régie fondamentale de la politique romaine à l’égard des vaincus était de diviser les populations en diversifiant les conditions d’existence politique faites aux peuples, aux cités, même aux individus. Le sénat s’efforçait d’effacer les anciens souvenirs d’indépendance, en créant des intérêts nouveaux[63] ; il séparait ce qui avait été uni, unissait ce qui avait été séparé, et il mettait des degrés dans la servitude, pour que, le joug pesant d’une manière inégale, les peuples ne se trouvassent point rapprochés par une commune oppression contre la domination étrangère[64] : divide et impera ! Nul peuple n’a plus habilement pratiqué cette maxime, et à aucun elle n’a mieux réussi.

Chaque province, loin de former un tout homogène, avait deux sortes d’habitants : les tributaires, soumis à l’omnipotence du gouverneur, bien que conservant leurs institutions particulières, et les privilégiés, qui étaient comme placés en dehors de la province et par conséquent soustraits à l’action du magistrat romain[65]. Ceux-ci composaient même plusieurs classes réparties en deux grandes catégories : les villes qui avaient une organisation romaine et celles qui conservaient leur constitution nationale ; les premières seront nombreuses en Occident, les autres se trouvaient surtout en Orient.

Colonies romaines. Elles avaient le droit de cité, c’est-à-dire toutes les capacités du droit romain, mais non le domaine quiritaire, car le sol provincial ne pouvait être élevé à la dignité du sol italique et en posséder les prérogatives[66], dont la principale était l’exemption du tribut[67]. Les colons étant citoyens pleno jure en exerçaient tous les droits lorsqu’ils séjournaient à home et pouvaient arriver aux honneurs, c’est-à-dire aux charges de l’État.

Les municipes, dont les habitants, cives sine suffragio, tout en gardant leurs lois, jouissaient, lorsqu’ils venaient à Rome, des prérogatives du citoyen romain, excepté qu’ils ne pouvaient voter dans les comices, ni aspirer aux charges publiques. Ces villes étaient placées par l’opinion au-dessous des colonies, après lesquelles Pline les nomme toujours[68].

Les colonies latines, dont les magistrats, à l’expiration de leur charge, étaient capables du droit de cité romaine. Leurs habitants avaient le jus commercii ou le droit d’acquérir et de transmettre la propriété quiritaire[69] ; mais ils n’avaient pas le jus connubii qui leur aurait donné la puissance paternelle sur leurs enfants. Quand ils habitaient Rome, ils votaient dans une tribu tirée au sort[70].

Les villes alliées, fœderatæ[71], telles que Messine, Marseille, Gadès, Évora, Sparte, Athènes, etc., qui avaient conclu avec Rome, soit un traité rait à conditions égales, soit une convention impliquant[72] l’obligation de reconnaître la majesté du peuple romain[73].

Les villes libres, qui avaient, comme les villes alliées, tous les dehors de l’indépendance, l’usage de leurs lois et la juridiction entière, mais tenaient cette liberté du bon vouloir de Rome et d’un sénatus-consulte, au lieu de la garder en vertu d’un traité[74] ; elles devaient au trésor romain le stipendium. Corcyre, station des forces navales de Rome dans l’Adriatique, était libre, mais un proverbe intraduisible marque ce que valait cette liberté[75]. Ces villes étaient en grand nombre, on en trouvait partout, excepté en Sardaigne[76].

Les villes exemptes d’impôts, immunes[77].

On trouve aussi des villes qui réunissaient plusieurs de ces titres et étaient à la fois colonies et libres, colonies et exemptes, libres et alliées. Ainsi Patras eut le droit de cité, quand elle devint colonie romaine. De plus, elle fut libre, parce que, ayant reçu un grand hombre d’indigènes, il avait paru dur et impolitique de la soumettre, ainsi que l’était toute colonie, aux lois civiles de Rome. La liberté lui permettait de s’organiser comme elle l’entendait. Ces colonies étaient cependant soumises à l’impôt foncier et à l’impôt personnel[78], à moins d’une dispense spéciale, immunitas[79], ou, plus tard, de la concession du jus Italicum, qui donnait au sol provincial un des attributs essentiels du sol italique, l’exemption de l’impôt foncier.

Certaines villes enfin avaient un patron à Rome, ainsi les Marcellus pour la Sicile, les Caton pour Chypre, etc., ou des liens d’hospitalité avec quelque noble personnage, et pouvaient compter en toute affaire sur sa puissante intervention. C’était un avantage, quelquefois onéreux, mais qui ne constituait pas une situation politique distincte, à moins que ce ne fût avec Rome même que la ville eût contracté ces liens[80].

Ces villes aimaient les distinctions autant que leurs concitoyens aimaient les honneurs. Entre celles d’une même province, on établit des rangs, et il en résultait certains droits de préséance.

Il n’y avait pas seulement différence entre les villes, mais quelquefois encore entre les citoyens d’une même ville, car le droit de cité romaine, la latinité, l’immunité, la liberté, pouvaient être accordés même héréditairement soit à des familles, soit à des individus[81]. Ainsi un Lipariote ayant sauvé la vie à des députés que le sénat envoyait en Grèce, ses descendants, lorsque Rome fit la conquête de leur île, environ un siècle et demi plus tard, furent déclarés exempts de tout tribut.

Je n’ai point fini d’énumérer toutes les conditions des sujets : Rome conférait volontiers depuis quelque temps son droit de cité à des provinciaux[82], mais en mettant des degrés pour arriver à la pleine jouissance de ce privilège. Ainsi on pouvait, comme l’auront les principaux habitants de la Gaule chevelue jusqu’à Claude, obtenir la cité romaine, sans le droit d’aspirer aux charges[83]. Pour devenir citoyen romain, un homme d’Égypte devra se faire recevoir d’abord citoyen d’Alexandrie[84]. Enfin on trouvait encore cette distinction entre les villes sujettes, que les terres conquises avaient été laissées ou rendues à celles-ci, plus heureuses, au prix d’une redevance fixe, la dîme (civitates decumanæ)[85] ; à celles-là, moins favorisées, au prix d’une redevance variable[86] dont la levée était affermée par les censeurs (civitates censoriæ)[87].

La province était donc bien loin de former un tout homogène. Il g a plus, les provinces différaient entre elles, puisque la condition où elles avaient été placées vis-à-vis de Rome n’était pas la même pour toutes. On a déjà vu que les unes avaient un gouverneur d’un rang plus élevé, les autres d’un rang moindre. Les privilèges dont nous venons de parler avaient aussi été répartis dans chacune d’une manière fort diverse ; leurs institutions municipales n’avaient rien de commun, et, comme leurs droits étaient différents, leurs charges aussi variaient. Il n’est pas possible de déterminer ce que chacune payait à Rome ; mais on voit bien qu’elles ne payaient pas toutes la même somme ni de la même manière.

Ainsi la Gaule et la Macédoine semblent n’avoir donné qu’une somme fixe[88]. La plupart des cités de l’Afrique carthaginoise[89], l’Égypte[90], la Syrie et la Cilicie[91] payaient la capitation, même pour les femmes, et l’Égypte, à ce qu’il semble, pour les esclaves. Cette dernière province fut plus tard chargée de nourrir pendant quatre mois le peuple romain[92]. La Sicile, la Sardaigne fournissaient leurs dîmes en nature ; la Sardaigne payait de plus un tribut calculé d’après la fortune de chacun[93]. L’Afrique, l’Espagne, rachetaient leurs moissons ait prix d’une somme qui ne variait jamais, quelle qu’eût été l’intempérie de la saison[94]. L’Asie, la Grèce, payaient l’impôt foncier[95].

Il était difficile qu’il y eût autant de diversité dans la manière de lever l’impôt. Le collecteur ne pouvait être que Romain ou indigène. Le sénat autorisa les Espagnols[96], César les Asiatiques[97], Paul Émile les Macédoniens, à lever eux-mêmes leurs contributions. En Grèce[98], en Asie avant César[99], en Sicile, les percepteurs étaient des publicains qui avaient acheté à Rome la ferme des tributs. En Sicile, certaines limes, celles du vin, de l’huile et des menues récoltes, étaient affermées, avant Verrès, par les questeurs, dans l’île même[100].

Quand les Romains eurent dompté le Latium, ils interdirent tout commerce entre les cités. Même défense fut faite, après la chute de Persée, aux Macédoniens, répartis entre quatre districts ; à l’Illyrie, divisée en trois cantons qui devaient rester absolument étrangers les uns aux autres[101] ; à l’Achaïe, après la chute de Corinthe[102]. Un mot de Cicéron montre que partout la même politique avait été suivie : Dioclès de Panorme, dit-il, avait loué un champ sur les terres de Ségeste, car entre ces deux villes il y a droit de commerce[103]. Le jus commercii était donc l’exception, et la défense était la règle, puisque l’orateur craint qu’on ne s’étonne de voir un habitant d’une ville posséder sur le territoire d’une autre cité. Il est vrai qu’il s’agit ici de deux villes libres, c’est-à-dire de deux États réputés indépendants ; mais ces sortes de villes étaient en grand nombre, et je ne doute pas que de semblables interdictions n’aient été prononcées en beaucoup de lieux. Les citoyens romains, pouvant acquérir et trafiquer partout, trouvaient trop bien leur compte à des prohibitions qui les délivraient de toute concurrence, pour que le sénat ne voulût point multiplier ces interdictions.

La province, divisée intérieurement comme nous venons de le montrer, n’avait aucun lien avec les provinces voisines. Celles-ci étaient une terre étrangère, aliena. Aussi pouvait-on être exilé de sa province[104]. Le proconsul qui franchissait les limites de son gouvernement encourait l’accusation de majesté ; et une ville, du moins en Bithynie d’après la loi de Pompée, ne pouvait donner chez elle le droit de cité à l’habitant d’une autre province[105]. Ces défenses s’accordaient trop bien avec l’esprit étroit des municipalités antiques pour n’avoir point été partout acceptées sans résistance.

Depuis que la féodalité, c’est-à-dire le règne des châteaux, a passé sur la société moderne, les campagnes se sont séparées des villes. Celles-ci n’ont plus autour d’elles qu’une étroite banlieue ; autrefois elles avaient une province. Aujourd’hui la classe aisée et une partie considérable de la classe ouvrière vivent et meurent dans la cité. La vie entière s’y écoule, parce que là se trouvent le commerce, l’industrie, l’activité intellectuelle, toutes les ressources et tous les plaisirs de la civilisation. Chez les anciens, on vivait aux champs, dans les rudes labeurs de l’agriculture, les seuls que l’on connut, dans l’isolement aussi que cette existence impose. Cependant il fallait un lieu où se réfugier en cas d’invasion, où se réunir pour discuter les affaires communes, une forteresse et une place publique, le Capitole et le Forum, l’Acropole et l’Agora. C’était la ville, ordinairement placée sur une hauteur de défense facile. Cette enceinte fortifiée (urbs) formait, avec tout le territoire qui en dépendait, une cité (civitas).

C’est, en bien des questions, un point fort grave à déterminer que celui où il faut arrêter la division pour éviter de descendre jusqu’à une molécule sans vie ou de s’en tenir à un tout encore hétérogène et gênant par sa masse. Notre commune est trop petite, nous en avons trente-six mille, mais la cité romaine était trop grande ; dans la Gaule chevelue, du Rhin aux Pyrénées, il y en eut seulement soixante. C’étaient donc de petits États d’une administration compliquée, renfermant des villes secondaires[106], ayant un budget des recettes et des dépenses, des magistrats pour faire le cens, rendre la justice, veiller aux travaux publics, à la police, à la salubrité, à tous les intérêts enfin de la ville et du territoire, et prêts, si la main qui leur imposait la paix se fût retirée, à armer leurs milices et à les envoyer en guerre contre leurs voisins, qu’ils n’aimaient pas plus que les grands États n’aiment ceux dont ils touchent les frontières[107].

Si cette organisation municipale laissait peu de chose à faire au gouverneur, à moins qu’il n’eût le goût de se mêler à tout, elle faisait de l’empire de Rome, au lieu d’une société homogène, une réunion de petites républiques dont un grand nombre vivaient à des conditions différentes. Enveloppées et contenues par l’administration supérieure, ces cités resteront unies tant que la force de cohésion durera ; quand elle se sera affaiblie, tous les liens se rompront, et les barbares, malgré leur petit nombre, soumettront l’un après l’autre ces peuples qui, n’ayant jamais mis en commun leurs intérêts ni leurs sentiments, n’y mettront pas davantage, au moment décisif, leurs ressources et leur courage.

 

VII. — ASSEMBLÉES PROVINCIALES.

Entre l’État et la commune, bien que celle-ci ne fût pas réduite aux insignifiantes proportions qu’elle a chez nous, il aurait fallu une division intermédiaire, une représentation politique de la province elle-mène. Alors il se serait trouvé, au-dessous du gouvernement redouté qui siégeait à Rome, niais au-dessus des magistrats humbles et timides de chaque cité, des hommes parlant au none de la province, c’est-à-dire au nom d’un intérêt considérable, et que le gouvernement eût été forcé de prendre en très sérieuse considération. Ces assemblées, sans doute, auraient pu devenir gênantes, niais elles eussent sauvé le pouvoir de ses propres excès. L’institution eût donc été bonne ; était-elle possible ?

Les anciens n’étaient pas si ignorants qu’on l’a dit du système représentatif[108]. Si la race grecque n’a jamais voulu sortir de ses petites cités[109] pour former un grand État, jamais non plus ses tribus n’oublièrent leur fraternelle origine, et, en signe de cette communauté de sang, elles eurent de certaines institutions nationales où la religion, les arts et le plaisir avaient plus de part, sans doute, que la politique, mais qui frirent un lien entre les divers membres de la famille Hellénique. Les amphictyons de Delphes ne furent pas toujours réduits à régler les affaires du temple, et les Lyciens avaient un parlement véritable : gens sages, dont les vingt-trois cités, dit Strabon, envoient des députés à une assemblée qui se tient dans une ville désignée à l’avance. Les plus considérables de ces villes ont chacune trois voix, les moyennes deux, les autres une seule. Elles contribuent dans la même proportion aux dépenses publiques... L’assemblée commence par nommer un chef de la confédération ; ensuite, elle procède à l’élection des autres charges du corps lyciaque. Elle désigne aussi les juges de tous les tribunaux. Autrefois on y délibérait sur la guerre, sur la paix et sur les alliances ; mais aujourd’hui cela ne peut se faire que du consentement des Romains, qui n’accordent un pareil droit qu’autant que les délibérations ont pour objet leur propre intérêt. Le nombre des magistrats et des juges nommés par chaque ville est en raison du nombre des voix dont elle dispose[110].

Le corps lyciaque ne formait pas un exemple isolé. La Grèce, qui a été la grande école politique du monde, avait voulu, après avoir passé par tous les régimes, et comme pour ne laisser aucune épreuve qu’elle n’eût tentée, faire aussi l’essai du gouvernement représentatif. Commencée trop tard et au milieu de circonstances contraires, cette expérience échoua. Cependant l’éclat que jeta la ligue achéenne sur les derniers jours de la Grèce valut à ce système une popularité durable. La conquête achevée et affermie, home laissa ses nouveaux sujets renouer l’un après l’autre ces liens qu’elle avait d’abord soigneusement brisés. Partout les confédérations se reformèrent ; et si, politiquement, ces ligues nouvelles n’eurent pas mule l’ombre de la liberté, du moins en conservaient-elles le souvenir, et la réalité pouvait revenir un jour sous ces formes pour le moment mensongères[111].

La Bithynie, la Cappadoce, l’Asie Pergaméenne, eurent des assemblées générales qui se tenaient successivement dans les principales villes de la province. Sur une médaille appartenant à la numismatique de Pergame, on voit le temple de Rome et d’Auguste avec cette légende : Communitas Asiæ. César réunit à Tarse les débutés de toutes les villes de Cilicie[112]. Il est encore fait mention au Digeste des assemblées des Thraces et de celles des Thessaliens, qui se tenaient à Larisse ; au Code, d’un sacerdoce général ou d’une intendance des jeux de la Syrie et de la Phénicie ; dans les inscriptions et les médailles de la province d’Asie, d’un pontife suprême, άρχιερεύς, et d’un président des jeux sacrés, Άσιάρχης, élus par Ies députés de la province entière, xοινόν Άσίας[113]. Pour ces réunions les députés se plaçaient dans un ordre déterminé par le rang de leurs villes : celles-ci étant premières, comme Éphèse et Pergame, celles-là septièmes, comme Magnésie d’Ionie.

Les témoignages de ce genre sont très nombreux pour la période impériale, mais l’usage était ancien et antérieur à la conquête. On a même vu dans le cours de cette histoire que tous les peuples italiens avaient de pareilles assemblées, que les Romains prenaient part aux féries latines, et qu’une proposition fut un jour présentée pour faire élire, par les villes alliées, deux sénateurs qui siégeraient au Capitole avec les pères conscrits de la république. Ces idées n’étaient donc pas étrangères aux Romains, et ils les portèrent avec leur domination dans les régions occidentales, où elles avaient germé d’elles-mêmes. César, en Espagne, convoquera les députés de l’Ultérieure à Cordoue, et ceux de la Citérieure dans Tarragone. En Gaule, il réunira chaque année les états généraux du pays, dans la péninsule ibérique.

Nous savons peu de chose sur les droits de ces assemblées. Dans l’Occident, César et Auguste paraîtront leur donner un caractère politique, en les consultant sur les plus importantes affaires ; en Orient, elles ne semblent avoir eu, du moins pour le temps auquel nos documents se rapportent, que des attributions religieuses[114]. On voit celle de l’Asie proconsulaire, tenue en l’an 165 de notre ère, dans la haute Phrygie, nommer les asiarques, parmi lesquels le gouverneur romain choisissait celui qui devait remplir les fonctions très honorables, mais ruineuses, de pontife suprême pour toute la province ; un passage de Strabon prouve l’ancienneté de cet usage[115].

Il y avait certainement, dans ces coutumes aimées des peuples, un germe que la politique aurait pu développer au grand profit des provinces et de l’empire ; mais on laissa ces assemblées subsister obscures et inutiles, de sorte que le gouvernement provincial manqua d’un contrepoids nécessaire qui aurait pu lui être facilement donné. Si l’on trouvait cette idée singulière, nous répondrions que l’histoire n’est point faite pour enregistrer les faits accomplis et y applaudir ; que Rome, devenant un monde, devait se transformer, et que, pour une aussi vaste domination, il n’y avait que deux formes possibles de gouvernement celle qu’on finit par adopter, le pouvoir absolu d’un prince, ce qui subordonna la prospérité de l’empire à tous les accidents des naissances royales, à tous les hasards des élections de caserne ; ou bien l’étroite union de Rome avec ses provinces, par la participation effective de celles-ci à l’administration générale. Sans doute cette organisation aurait heurté de vieux préjugés romains ; mais on ne fonde un grand État qu’avec de la prévoyance. César et Auguste en eurent un moment dans la Gaule ; le sénat aurait pu en avoir partout, car avec ces assemblées, qui ne manquaient nulle part, il lui aurait été facile de mettre le conseil à coté de l’action, le contrôle en face de l’arbitraire, le frein auprès de la force. Cette constitution, Rome l’avait dans son sénat et ses consuls ; il s’agissait de la donner aux sujets, puis de relier étroitement les provinces à Rome, en accordant à leurs assemblées ce que Spurius Carvilius avait demandé, après le grand massacre de Cannes, pour les curies des cités italiennes[116]. La question valait la peine d’être étudiée et résolue, car l’empire mieux organisé, l’eût été le moyen âge de moins[117].

Ise clergé catholique comprit bien l’importance de ce rouage pour établir sur d’immenses espaces la communauté des intérêts et des croyances. Il imita, dans ses synodes d’évêques, les assemblées provinciales, de sorte que si celles-ci n’ont pas mis le régime représentatif dans l’État, elles ont aidé à le mettre dans la société religieuse. L’Église couronna cette œuvre de profonde sagesse, en établissant, au-dessus de ces synodes provinciaux, un sénat suprême, le concile œcuménique, et cette double institution assura longtemps l’unité de sa foi, de sa discipline et de son empire. Ce que Rome chrétienne sut faire, pourquoi Rome païenne ne l’aurait-elle point fait ? L’orgueil romain et l’intérêt de deux cents familles, que nous verrons, au dernier siècle de la république, vivre des dépouilles du monde, ne le permirent pas.

Cependant, pour être juste, reconnaissons que la solution indiquée était bien difficile, avec ces fatalités d’éducation, de milieu historique et de préjugés héréditaires, qui dans tous les temps font si petite la vraie liberté de l’esprit. La province qui ne réussit même pas à se faire reconnaître personne civile, capable d’agir et de posséder, resta une simple division territoriale ; et les gouverneurs, qui regardaient leur commandement comme un exil[118], quand ils ne le regardaient pas comme un moyen de refaire leur fortune ruinée par les plaisirs ou l’achat d’une charge[119], ne trouvèrent autour d’eux que faiblesse et servilité ; parce qu’il n’y avait nulle part l’union qui donne la force, ni la dignité qui naît du sentiment du droit qu’on veut et qu’on peut faire respecter.

Plutarque a écrit quelque part un mot énergique : parlant des Asiatiques, il les appelle les peuples qui jamais ne savent dire non. D’un bout à l’autre des vastes domaines de la république, si ce n’est dans les gorges inaccessibles où quelques montagnards abritaient encore leur liberté, il ne se voit plus de nation qui sache prononcer ce mot-là. Aussi, malgré les formules et les traités, malgré tous les privilèges qui viennent d’être si longuement énumérés, il n’existe, à vrai dire, qu’une condition dans les provinces, celle de sujets.

Les Romains n’ont donc pas su s’élever à une conception plus haute que celle de la force, et toute leur science politique se formule en deux mots : divide et impera. Du moins, sous les proconsuls honnêtes et sous les empereurs intelligents, ce principe d’administration fut couvert par un beau nom, celui de justice, jus, qui devait dominer toutes les relations de Rome avec les provinciaux. Quand Pline parle d’une ville, il ne dit rien de plus que le tribunal d’où elle relève, où elle vient demander le droit, jura petere. Plus tard, il y en aura un autre exprimant le bienfait qui sera la rançon de cette domination impérieuse, pax romana ; cette paix romaine, qui rapprochera les nations et confondra les langages, véritable divinité de l’empire, à laquelle les plus grands princes, Auguste, Vespasien, Trajan, élèveront des temples, et dont les peuples honoreront par de sincères hommages l’immense majesté, immensa romanæ pacis majestas[120].

 

 

 

 



[1] Expédition d’Asconius contre les Scordisques (155).

[2] Voyez Desjardins, Géogr. de la Gaule romaine, t. II, p. 164.

[3] Polybe, XXXI, 11. Les Rhodiens, en 163, placèrent dans le temple de Minerve, en l’honneur du peuple romain, un colosse haut de 50 coudées. Dès l’an 170 : Alabandenses templum urbis Romæ se fecisse commemoraverunt ludosque anniversarios ei divœ instituisse (Tite-Live, XLIII, 6). Smyrne avait fait de même vingt-cinq ans plus tôt. (Tacite, Ann., IV, 56.)

[4] Voir chapitre XVII.

[5] Stipendiaria facta est (Velleius Paterculus, II, 28).

[6] Cicéron, Verrines, II, 4.

[7] Pour rendre cette étude moins incomplète et n’avoir pas à y revenir avant l’empire, j’utiliserai parfois des faits et des témoignages postérieurs à l’année 130.

[8] Divina humanaque omnia, disent Plaute (Amphitryon, I, I, 102) et Tite-Live (I, 38) ; cf. VII, 31 ; IX, 9 ; XXXVI, 28 ; Polybe, XX, 9, 10 ; XXI, 1 ; XXXVI, 2. Le sol provincial était considéré comme laissé en jouissance à ses anciens maîtres sous la réserve du droit supérieur du peuple romain, droit qui était représenté par le tributum ou le vectigal. Cf. Gaius, II, 7, et Cicéron, Verrines, III, 6.

[9] Tacite, Ann., III, 60-63 ; IV, 14, 43 ; Tertullien, ad Nation., II, 8 ; Apologétique, 24. Unicuique provinciæ et civitati suus deus est ; Bœckh, Corp. Inscript., n° 4474. Les jurisconsultes reconnaissaient même le caractère sacré des propriétés religieuses dans les provinces. Gaius, II, 7 : pro sacro habetur.

[10] Je traite tout au long ce sujet plus loin au chapitre du Régime municipal sous l’empire.

[11] Les inscriptions et les médailles mentionnent en très grand nombre, dans les provinces grecques et latines, des magistrats élus par leurs concitoyens et qui avaient la juridiction entière, même le jus necis, sauf en certains cas réservés au gouverneur, qui recevait aussi les appels.

[12] Les revenus des villes consistaient : 1° en octrois (Suétone, Vitellius, 24) ; 2° péages (Strabon, XII, p. 575, Portorium Dyrrhachinorum, Cicéron, pro Flacco, 3 ; de même à Tarse (Dion Chrysostome, Or., XXXIV) ; à Ambracie, mais ici avec cette exception : dura immunes Romani ac socii Latini nominis essent (Tite-Live, XXXVII, 44) ; à Thermes, l’exemption n’était stipulée que pour les fermiers de l’État (Plebisc. de Therm., lig. 71-75) ; Marseille leva, plus tard, un droit sur le canal de Marius (Strabon, IV, p. 283) ; 3° en largesses, que les mœurs rendaient obligatoires pour les citoyens aspirant aux charges municipales (Pline, Lettres, X, 94) ; 4° en intérêts des capitaux prêtés (Digeste, L, tit. IV, fr. 18, § 2) ; 5° en revenus tirés des propriétés publiques : édifices, biens communaux situés souvent très loin ; Capoue en avait en Crète (Velleius Paterculus, II, 82), Empories dans les Pyrénées occidentales, Byzance en Bithynie. Cette même ville partageait, dit Strabon, avec les Romains les revenus qu’elle tirait de la pèche du thon dans l’Euxin. Arpinum et Attella eurent des biens en Gaule (Cicéron, Fam., XIII, 7, 11). Deux petites villes de Ligurie possédaient des terres dans le Bénéventin (Bulletin de l’Inst. arch., année 1835). Les aqueducs, les égouts (Cicéron, adv. Rullum, III, 2), les pâturages communaux (Hygin., de Lim., p. 192), donnaient des revenus souvent levés par des publicains qui les prenaient à ferme (Digeste, XXXIX, tit. IV, fr. 55, § 1). A ces revenus il faut ajouter les donations faites par des particuliers pour fondations d’édifices, de festins, de distributions, ou de jeux publics perpétuels (Pline, Lettres, X, 79 ; Tacite, Ann., IV, 45 ; Orelli, passim). Et, bien qu’une cité stipendiaire ne put alors être instituée héritière, ni recevoir un legs, il arrivait sans doute bien souvent qu’on oubliait la loi ou qu’on la tournait, comme fit Pline (Lettres, V, 7).

[13] Antoine dit aux Grecs de l’Asie Pergaméenne : Οΰς έτελεϊτε φόρευς Άττάλω, μεθήxαμεν ύμϊν, (Appien, Bell. civ., V, 4). Paul-Émile déchargea les Macédoniens de la moitié du tribut quod pependissent regibus, réduisit de moitié le prix des baux pour les fermiers des mines de fer et de cuivre. En Illyrie aussi, diminution de moitié. (Tite-Live, XLV, 26, 29.) Cicéron dit (pro lege Manilia, 6) : Provinciarum vectigalia tanta sunt ut iis ad ipsas provincias tutandas vix contenti esse possimus. En Sicile, ils n’avaient mis aucun impôt nouveau : Forum agris vectigal nullum novum imponerent (Cicéron, II, in Verrines, III, 6).

[14] Tite-Live, XLV, 50, 22. Leges quibus adhuc utitur. (Justin, XXXIII, 2.)

[15] Pausanias, VIII, XXX, 5. Mummius avait déjà auparavant introduit certains changements. (Id., VII, XVI ; cf. Polybe, XL, 10.)

[16] Pausanias le dit expressément (VII, XVI, 9). Quinctius fit la même chose en Thessalie (Tite-Live, XXXIV, 51), et Gabinius en Judée (Josèphe, Bell. Jud., I, 8, 5). La loi de Pompée, pour la Bithynie et le Pont, qui ne permettait d’entrer au sénat des villes qu’à trente ans, après avoir rempli une charge, et y laissait les sénateurs pour toute leur vie, fixait certainement aussi un cens pour les décurions. Cf. Pline, Lettres, X, 85 ; Athénée, V, 51. Cicéron écrivait à son frère (ad Quint., I, 1, 2, 8) : Provideri abs te tu civitates optimatium consiliis administrentur. En Sicile, les citoyens étaient répartis en classes ex genere, censu, ætrate. (Cicéron, Verrines, II, 2, 49.)

[17] Les édits des préteurs et des questeurs provinciaux (Gaius, I, 6), souvent même des sénatus-consultes (Ulpien, Fr., XI, 18 ; Cicéron, ad Att., V, 21), opéraient cette fusion.

[18] Cicéron, II in Verrines, II, 55. Il faut sans doute ajouter à ces soixante-cinq villes les deux cités confédérées, Messine et Tauromenium. Pline (Hist. nat., III, 8) dit soixante-huit ; Ptolémée (III, 4), cinquante-huit ; Diodore (XXIII, 5), soixante-sept ; Tite-Live (XXVI, 40), soixante-six.

[19] Pausanias, VII, XVI.

[20] Cette division en provinces consulaires et prétoriennes variait fréquemment. La Macédoine, consulaire avec Pison, fut prétorienne sous son successeur (Cicéron, in Pison, 56, et de Prov. cons., 7). Les limites mêmes des provinces changeaient quelquefois. (Cicéron, in Pison., 16, 21, 24, Tite-Live, XXIV, 44.)

[21] Scipion avait ainsi obtenu l’Espagne ....qui sine magistratu res gessisset (Tite-Live, XXVIII, 58) ; cf. Salluste, Catilina, 19 ; Suétone, César, 9 ; Polybe, VI, 15.

[22] Mais non la juridiction contentieuse, ... jurisdictionem habet non contentiosam, sed voluntariam (Digeste, I, tit. XVI, fr. 1 et 2).

[23] On appelait cet argent vasarium. Pison reçut ainsi 18 millions de sesterces. La route pour gagner la province était tracée d’avance et se faisait sur navires, chevaux ou voitures, fournis en partie par l’État, en partie par les pays que le gouverneur traversait. (Appien, Bell. civ., V, 45 ; Tite-Live, XLII,1 ; Cicéron, II in Verrines, V, 18 ; ad Att., V, 13 ; VI, 8 ; in Pis., 55.) Dans les voyages à travers la province, le gouverneur logeait sous la tente, comme le fit Cicéron en Cilicie, quand il ne voulait point fouler les habitants, on il descendait chez un de ses hôtes. Il semble qu’il y avait quelque chose d’analogue à nos billets de logements. Cf. Cicéron, II in Verrines, I, 25 : Ostendit munus illud suum non esse ; se quum suce partes essent hospitum recipiendorum.... recipere solere. Mais le gouverneur devait toujours entrer dans sa province par la même ville. Ulpien dit au Digeste (I, XVI, 4, fr. 5) : Oportet ut per eam partem provinciam ingrediatur per quam ingredi maris est et quas Grœci έπιδηυίας appelant sive xατάπλουν.

[24] Vitellius, gouverneur de Syrie, ayant déposé Ponce Pilate, procurateur de Judée, fit administrer cette province par Marcellus, un de ses amis. (Josèphe, Ant. Jud., XVIII, 4.) C’étaient les contubernales.

[25] Cicéron, II in Verrines, II, 10, 30 ; ad Quint., I, 1, 4 ; ad Fam., X, 50 ; XIII, 54 ; X9, 4 ; Festus, s. v. Prœtoria ; Pline, Hist. nat., VI, 5 ; Pline le Jeune, Lettres, IV, 12. Le gouverneur ne pouvait rien acheter dans sa province (Cicéron, II in Verrines, IV, 5), ni recevoir aucun pion (Cicéron, de Leg., III, 4, et lex Servilia). Ils avaient le droit de battre monnaie pour les besoins de l’armée ; on a des statères d’or de Flaminius. (Lenormant, la Monnaie dans l’antiquité.)

[26] En vertu des lois Porcia et Sempronia, qui défendaient de battre de verges un citoyen romain. (Cicéron, II in Verrines, V, 63 ; pro Rabirio, 4.)

[27] Tite-Live, XLIII, 2.

[28] Cicéron, ad Att., VI, 6. Chaque nouveau gouverneur était libre de rédiger un édit nouveau, mais il pouvait conserver celui de son prédécesseur ou ne le modifier qu’en partie, edictum tralatitium. La réunion de ces édits forma le droit honoraire que les Romains appelèrent viva vox juris civilis. Voyez les curieux détails que donne Cicéron sur l’édit qu’il publia dans son gouvernement de Cilicie (ad Att., VI, 5).

[29] Cicéron, ad Att., VI ; Pline, Lettres, X, 28, 35, 47, 50, 52, 53, 63, 85. Trajan répète plusieurs fois à Pline qu’un gouverneur étant le tuteur des villes, le gardien de leur fortune, son devoir est d’examiner sévèrement les comptes. Cicéron disait dans son édit pour la Cilicie : Diligentissime scriptum caput est quod pertinet ad minuendos sumptus civitatum (ad Fam., III, 8). La loi Julia et Titia de l’an 31 (?) donnait au gouverneur des droits même plus étendus par rapport à la tutelle dative ou conférée par le magistrat que ceux qu’exerçait le préteur à Reine en vertu de la loi Atilia. Cf. Giraud, Hist. du droit romain, p. 253. Défense fut faite par Auguste aux cités provinciales de témoigner leur reconnaissance à leur gouverneur avant deux mois révolus, à compter de leur départ. (Dion, LVI, 23.)

[30] Cicéron fit rendre gorge à tous les magistrats des villes de Cilicie qui avouèrent sans honte que depuis dix ans ils pillaient. (Ad Att., VI, 1.) Tacite parle des violences des grands dans les provinces : Ut solent prœvalidi provincialium et opibus nimiis ad injurias minorum elati (Ann., XV, 20). Les comptes d’Apamée n’avaient jamais été, avant Pline, contrôlés par le gouverneur de Bithynie. Trajan, qui veut tout voir, ordonne à Pline d’y regarder de près, tout en promettant aux habitants que cette intervention ne tirera pas à conséquence. (Pline, Lettres, X, 56.)

[31] Cicéron, ad Att., V, 18 ; ad Fam., XV, 1 ; II in Verrines, V, 17 ; pro Flacco, 12.

[32] Ponce Pilate fit construire des aqueducs à Jérusalem ; pour ces travaux, il prit l’argent dans le trésor sacré. (Josèphe, Ant. Jud., XVIII, 4.)

[33] Vitellius, à son entrée à Jérusalem comme gouverneur de Syrie, supprima un impôt perçu sur tous les fruits vendus dans la ville (Josèphe, Ant. Jud., XVIII, 4). Pison mit un impôt sur toute chose vendue en Macédoine. (Cicéron, in Pison, 36.)

[34] Ils suivaient tantôt les lois romaines, tantôt les lois de la province. Ainsi Q. Cicéron fit coudre deux Mysiens dans le sac des parricides, coutume romaine, et il menaça d’autres coupables de les faire brûler vifs, supplice inusité à Rome. (Cicéron, ad Quint., I, 2.)

[35] Cicéron, gouverneur de la Cilicie, envoie un de ses lieutenants à Chypre pour rendre la justice aux citoyens romains qui y trafiquaient et qui avaient le droit d’y trouver des juges. (Ad Att., V, 21.) Pline donne une liste nombreuse et cependant incomplète de ces conventus juridici, que les Grecs appelaient διοιxήσεις. (Cicéron, ad Fam., XII, 57, 1 ; Strabon, XII, 629, etc.)

[36] Cicéron, Verrines, II, 13.

[37] Saint Jean, XVIII, 31. Mais une accusation de faux en écriture publique devait être jugée par les magistrats municipaux ; ainsi à Thermes. (Cicéron, II in Verrines, II, 37.) Cette question est du reste traitée tout au long au volume où je présente le tableau de l’empire aux deux premiers siècles de notre ère.

[38] Nec enim potest quis gladii potestatem sibi datant ad alium transferre (Ulpien, au Digeste, I, Lit. XVI, § 6 pr.).

[39] Voyez aux Actes des Apôtres, XVIII, 14-15, le jugement de Gallion entre saint Paul et les Juifs : Comme il n’y a que des contestations de doctrines..., je ne veux pas m’en rendre juge. Cf. Festus, s. v. Sacra munic. Le monothéisme même, qui condamnait si hautement le culte des idoles, était permis, licita. (Tertullien, Apologétique, 21.) Si le druidisme fut proscrit, c’est qu’il travaillait à relever le patriotisme gaulois, et si Tibère fit jeter au Tibre la statue d’Isis (Josèphe, Ant. Jud., XVIII, 3, 4), c’est qu’il fallait une réparation à la morale outragée. Les cultes venus d’Orient furent d’ailleurs toujours suspects au sénat. Ils avaient un esprit de prosélytisme qui, agissant dans l’ombre, effrayait le gouvernement, parce qu’il prenait ces associations religieuses ou pour des sociétés secrètes, que la loi romaine proscrivait (Digeste, XLVII, 22, fr. 1, 5), ou pour des sociétés de vices, comme la secte hideuse des bacchanales découverte en 186, et qui avait laissé un si lugubre souvenir. (Voyez au chapitre XXXV.) Quant aux cultes inoffensifs, ils avaient pleine sécurité, et les gouverneurs devaient protéger, dans Ies provinces, les temples, leurs propriétés et leur droit d’asile. (Tacite, Ann., III, 60-63.) Gaius dit formellement (Inst., II, 7) quod in provinciis non ex auctoritate populi Romani consecratum est [quanquam] proprie sacrum non est, tamen pro sacro habetur. Cf. Cicéron, II in Verrines, II, 50, 52 ; IV, 49. On verra plus tard quand et pourquoi les chrétiens furent persécutés.

[40] Josèphe, Ant. Jud., XVIII, 5, et en vingt autres endroits. Un officier du gouverneur gardait même dans la tour Antonia l’éphod et les vêtements sacerdotaux du grand prêtre. (Id., ibid., 6.) En Italie, pour ce qui concernait le culte, toutes les villes étaient dans le ressort de Rome, juris atque imperii Romani esse (Tacite, Ann., III, 71). Voyez au chapitre XXXV le décret sur les bacchanales.

[41] Tite-Live, IV, 17 ; Salluste, Jugurtha, 28 : Calpurnius.... legat sibi homines.... factiosos. Cicéron, ad Fam., XIII, 55 : Ei detulerim legationem. Cf. ad Quint., I, 1, 5 ; pro Sextio, 14, et in Vatin., 15 : Ut legati ex senatus auctoritate legarentur. Le sénat déterminait leur nombre. Ainsi, en 56, César en obtint dix (Cicéron, ad Fam., I, 7), Pompée quinze (Plutarque, Pompée, 25).

[42] Adimere mandatam jurisdictionem licet proconsuli non auteur inconsulto principe (Digeste, I, tit. XVI, fr. 6, § 2). Aucune accusation ne pouvait être reçue contre eux pendant la durée de leur légation. (Cicéron, in Vatin., 14.)

[43] Dion, LIII, 14 ; et Digeste, I, tit. XVI, de officio proc. et leg. ; tit. XXI, de officio cui mandata est jurisdictio.

[44] III, p. 166. Il pouvait établir son tribunal partout ou bon lui semblait. (Josèphe, Ant. Jud., XX, 5). Quadratus dresse le sien au bourg de Lydda. Pline dit aussi : In publicis negotiis intra hospitium eodem die exiturus vacarem (Lettres, X, 85). Dans les cas graves, ou lorsqu’il s’agissait de personnages de distinction, le gouverneur renvoyait l’accusé à Rome. (Josèphe, Ant. Jud., XX, 5, et Bell. Jud., II, 7.)

[45] Le questeur n’était pas choisi par le gouverneur, mais lui était donné par le sort. (Cicéron, ad Quint., I, 1, 3) Néanmoins les relations entre eux étaient presque celles de fils à père. (Cicéron, pro Planc., 11.) Le questeur était consulis particeps omnium rerum consiliorumque (Cicéron, II in Verrines, II, 1, 15). Il avait deux licteurs avec les faisceaux, mais non les haches. (Spanheim, de Usu nummorum, II, p. 164.)

[46] Cicéron, II in Verrines, II, 4.

[47] Gaius, Inst., I, 6.

[48] Cicéron, II in Verrines, III, 18. Cf. eumd., ibid., II, 3, et de Officiis, III, 21. Il appelle les provinciaux les colons du peuple romain : Cum illis sic agere, ut cum coloris nostris solemus.

[49] Tite-Live, XXV, 28 ; Cicéron, adv. Rullum, II, 21, et ibid., I, 2 : Agros in Macedonia regios.... agrum optimum et fructuosissimurn Corinthium.... agios apud Carthaginem novam. II, 19 : ....agios Bithyniæ regios quibus nunc publicam fruuntue, etc. Cf. Tacite, Ann., XIV, 18 ; Hygin, de Limit., édit. Goës, p. 210.

[50] In eo solo, dominium populi Romani est..., nos autem possessionem tantum et usumfructum habere videmur (Gaius, Inst., II, 7). Cf. Cicéron, II in Verrines, III, 6 ; Appien, Bell. civ., II, 140.

[51] Id autem imperium cum retineri sine vectigalibus nullo modo possit, æquo animo parte aliqua suorum fructuum pacem sibi sempiternam redimat [Asia] atque otium (Cicéron, ad Quint., I, 1, 11).

[52] Cicéron, II in Verrines, III, 6.

[53] Appien, Bell. civ., II, 140. Certains peuples ne payaient que la dîme, et Cicéron, énumérant les principales sources de revenus que le peuple romain possède en Asie, dit à plusieurs reprises : scriptura, documæ, portorium. Pro Flacco, 8 ; pro lege Manilia, 6.

[54] Hygin, de Limit. constit., éd. Goës, p. 194. Mais ces différences ne furent bien établies qu’après le cadastre d’Auguste.

[55] Appien, Bell, civ., V, 4. Mais c’était aussi le système qui prêtait le plus aux exactions. Aussi César fut-il obligé de le changer en une somme fixe. (Appien, ibid., V, 5 ; Dion, XLII, 6.)

[56] Cicéron, II in Verrines, III, 12. Tot Siculi lot equites Romani (ibid., 14) ; Septitio.... equite Romano, affirmante se plus decuma non daturum (ibid., 25, et pro Flacco, 52). Le sénatus-consulte qui donna la liberté à Chios porte même : Οϊ τε παρ’ αύτοϊς όντες ‘Ρωμαϊοι τοϊς Χείων ύπαxύωσιν νόμοις (Bœckh, Inscript., n° 2222).

[57] Frumentum in cellam et frumentum œstimatum (II in Verrines, III, 81, 5).

[58] Aussi Cicéron appelle-t-il ce blé frumentum emptum par opposition au frumentum decumanum (II in Verrines, III, 81). En trois ans Verrès reçut 57 millions de sesterces pour achat de blé en Sicile, au compte de Rome. Dans les provinces peu fertiles, le sénat demandait seulement un vingtième. Voyez Tite-Live, XXXVI, 2 ; XLIII, 2 ; XLV, 51.

[59] Cicéron, II in Verrines, V, 17, 21 ; Philippiques, XI, 12. Ainsi Milet devait avoir toujours dix navires équipés. (Cicéron, II in Verrines, I, 51.) Messine en devait un. Syracuse en arma sur l’ordre de Verrès.

[60] Tite-Live, XXIX, 1 ; XXXVI, 2 ; César, Bell. Gall., I, 50 ; Cicéron, II in Verrines, V, 47. Ainsi Rome levait des cavaliers dans la Gaule (César, ibid., I, 15 ; Plutarque, Crassus, 17 ; Antoine, 37 ; Appien, Bell. civ., II, 49 ; IV, 88), dans l’Espagne (Plutarque, Antoine, 57 ; César, ibid., V, 26 ; Appien, ibid., I, 89), dans la Thrace (Salluste, Jugurtha, 58 ; Plutarque, Lucullus, 18 ; Tacite, Ann., IV, 46), dans la Numidie (Salluste, Jugurtha, 68 ; Appien, ibid., I, 42). La Crète et les Baléares fournissaient des archers et des frondeurs renommés. (Tite-Live, Ép., LX ; Salluste, Jugurtha, 105 ; Appien, ibid., II, 49.) Les provinces qui étaient le théâtre d’une guerre fournissaient naturellement beaucoup d’auxiliaires (Appien, ibid., II, 70 ; César, Bell. civ., I, 48 ; Tacite, Hist., 71). Ces auxiliaires avaient ordinairement des chefs de leur nation (César, Bell. Gall., I, 18 ; VIII, 12 ; Bell. civ., III, 59). Noricorum juventus (Tacite, Hist., III, 5) ; Rœtica auxilia (ibid., I, 67). Bœtorum juventus, sucta armis et more militiœ exercita (ibid., 63). Les Helvètes entretenaient à leurs frais une garnison de leurs soldats dans un château fort. (Tacite, ibid., I, 67.)

[61] Le sénat faisait exploiter directement certaines mines et affermait l’exploitation des autres. Les mines d’ardent de Carthagène lui rapportaient par jour ; au temps de Polybe (XXXIV, 9, 8), 25.000 drachmes, et on y employait quarante mille ouvriers. Un ancien sénatus-consulte défendait d’exploiter les mines d’Italie ; cependant les censeurs affermèrent une mine d’or prés de Verceil, à condition qu’on n’y employât que cinq mille ouvriers. Les mines de l’Asturie, de la Lusitanie et de la Calice donnaient par an, du temps de Pline (Hist. nat., XXXIII, 21), 20.000 livres pesant d’or. César afferma en Crète des carrières de pierre à aiguiser, cotorias locaret (Digeste, XXXIX, tit. V, fr. 13). Il y avait des mines de métaux précieux en Macédoine ; mais Paul-Émile en interdit l’exploitation. Il permit de travailler à celles de fer et de cuivre. Quant au portorium, voyez Cicéron, II in Verrines, II, 70, 75, et pro lege Manilia, 6. Étant en Cilicie, il recommande à Atticus de lui faire passer ses lettres per magistros scripturæ et portus nostrarum diocesium. Son frère Quintus avait laissé les publicains lever en Asie le portorium circumvectionis, droit de circulation : Cicéron déclare que ce dirait n’est pas dû (I., II, 16).

[62] Festus, s. v. Scriptuarius.

[63] Voyez surtout les précautions prises en Macédoine par Paul-Émile et en Gaule par Auguste : nouvelles capitales, nouvelles délimitations administratives, interdiction de connubium et de commercium entre les districts, etc. Septime Sévère dégrada Byzance à la condition d’un simple village du territoire de Périnthe. (Dion, LXXIV,14.)

[64] Strabon, VIII, p. 385.

[65] Strabon dit (IV, p. 187) de Nîmes : Elle a le droit latin.

[66] Provinciale solum nec mancipi est (Gaius, Inst., II, 27. voyez au chap. XXXVI) Provincialia prædia usucapionem non recipiunt (id., ibid., 46) ; ces colonies n’étaient pas libres de s’organiser à leur guise. Jura institutaque omnia populi Romani non sui arbitrii habent.

[67] On a beaucoup discuté pour savoir si les colonies de citoyens romains établies dans les provinces étaient soumises au tributum soli. Je ne doute pas qu’elles ne le fussent, et une de mes raisons est que César ou Auguste n’aurait pas imaginé un droit nouveau, le jus Italicum, si ce droit avait existé déjà dans les colonies romaines des provinces.

[68] Hist. nat., II, 4, 25, sqq. ; Aulu-Gelle, Noct. Att., XVI, 13 : Quœ tamen corditio (coloniarum), eum sit mugis obnoxia et minus libera, potion tamen et prœstabilior existimatur propter amplitudinem majestateraque populi Romani, cujus istœ coloniœ quasi effigies parvœ simulacraque esse quædam videntur. Aussi voit-on, à cause du premier motif, des colonies demander leur transformation en municipes, comme les Prénestins sous Tibère : Ut ex colonia in municipis statum redigerentur (Aulu-Gelle, ibid., XVI, 13).

[69] Par usucapio, in jure cessio, mancipatio, vindicatio et la testamenti factio. Plus tard, sous l’empire, on trouve une autre sorte de villes, les cités de droit italique, qui étaient exemptes de l’impôt foncier, puisque leur sol était assimilé à celui de l’Italie.

[70] Tite-Live, XXV, 3 ; Appien, Bell. civ., I, 23 ; lex Malacitana, 53.

[71] Elles devaient, en cas de nécessité, des auxiliaires, des navires, et en Sicile une part du frumentum imperatum. Cf. Cicéron, II in Verrines, V, 21. On peut citer encore Tauromenium en Sicile ; Tarragone (Pline, Hist. nat., III, 3), Malaca, en Espagne ; les Voconces, les Lingons, les Rames, les Édues et les Carnutes, en Gaule ; Athènes, en Grèce ; Amisus, de Bithynie ; Rhodes, Tyr, en Asie ; en Afrique, Utique, etc., etc. Ces villes, qui avaient contracté avec Rome une véritable alliance, par traité solennel, gravé sur airain au Capitole et lu publiquement chaque année (Bœckh, Inscr., n° 2485), étaient les plus réellement indépendantes pour leur administration intérieure, de toutes celles qui étaient comprises dans les provinces romaines. Cf. Pline, Lettres, X, 94.

[72] Justin, XLIII, 5 : æquo jure percussum.

[73] Majestatem populi Romani comiter conservato (Cicéron, pro Balbo, 16). Cf. au Digeste, XLIX, 157, 3, et Tite-Live, IX, 20 : Teates.., impetravere ut fædus darotur, neque ni æquo tamen fædere, sed ut in ditione populi Romani essent.

[74] Appien, Bell. civ., I, 102.

[75] Strabon, VII, p. 529, fr. 8. Pour les choses politiques, cette liberté était nulle ; mais on verra ailleurs qu’elle était grande pour l’administration intérieure de la cité.

[76] Cicéron, pro Scauro, 15. Elles étaient affranchies de l’obligation onéreuse des quartiers d’hiver : Plebisc. De Thermens., lig. 45 : Ne quis magistratus.... milites.... hiemandi causa introducito. Elles gardaient leurs lois, leurs magistrats (Polybe, XVIII, 29), et le proconsul ne devait pas empiéter sur leur juridiction : Omillo jurisdictionem in libera civitate contra leges senatusque consulta (Cicéron, de Prov. cons., 5).

[77] L’immunité ne résultait nullement de la concession de la liberté. Ainsi, en 168, les Macédoniens sont déclarés libres, mais soumis à un tribut (Tite-Live, XLV, 29, 52). Plusieurs peuplades d’Illyrie reçoivent, an contraire, outre la liberté, l’immunité (id., ibid., 26). César accorda la même faveur aux Atrébates (Bell. Gall., VII, 76), Claude aux habitants d’Illion, Antonin à ceux de Pallantium (Pausanias, VIII, 45). Cf. Bœckh, Corp. Inscr., n° 3610, et not. ad h. l. C’était alors l’immunitas plenissima. Cf. Callistratus, au Digeste, XXVII, 1, 17, § 1. Antioche était libre : Caracalla lui accorda de plus le titre de colonie, mais salvis tributis (Digeste, L., 15, fr. 8, § 5). J’ai dit que ces villes privilégiées étaient comme en dehors de la province : il ne faudrait pas prendre trop à la lettre cette expression, car les Romains ne l’auraient pas comprise. Tarse, ville libre, était la résidence du gouverneur de Cilicie et un chef-lieu de juridiction, comme l’était aussi Panorme en Sicile, malgré son titre de civitas libera. Il est vrai que, dans ce cas, la ville gardait sa juridiction particulière. Salluste dit (Jugurtha, 31) : Indignabamini ærarium expilari, reges et populos liberos paucis nobilibus vectigal pendere ; et Appien (Bell. civ., I, 102) dit qu’au temps de Sylla les peuples et les rois, amis ou alliés, et non seulement les cités stipendiaires, mais les villes fédérées qui avaient un traité avec Rome et auxquelles l’immunité et la liberté avaient été accordées, toutes payaient tribut et devaient l’obéissance. L’immunité affranchissait même de la lime, du moins en Sicile (Cicéron, II in Verrines, II, 69 ; III, 6 ; V, 21), et de certaines obligations onéreuses, comme les quartiers d’hiver (Plebiscit. de Thermens., l. 43-45). Il y a plus, l’immunité était personnelle, non territoriale, Halicyenses, quorum incolæ decumas dant, ipsi agios immunis habent (Cicéron, II in Verrines, III, 40). L’insola est l’individu domicilié dans une ville, mais non citoyen de cette ville. Quand l’État demandait double dîme à une province, les villes liberæ et immunes étaient obligées d’en fournir au prix fixé (Cicéron, II in Verrines, IV, 9 ; III, 73). Strabon, parlant des Éleuthérolaconiens, dit (VIII, p. 505) : πλήν τών φιλxών λειτουργιών άλλο συντελοΰντες ούδέν.

[78] Digeste, L, tit. 15, fr. 8, § 7.

[79] Pline, Hist. nat., III, 3, 4.

[80] Hospitium privatum, hospitium publicum (Tite-Live, I, 49 ; V, 50). On ne trouve à citer que la ville de Cære comme étant dans le cas d’hospitium publicum avec Rome. Cependant cette relation devait être établie assez fréquemment, au moins avec les cités ou les peuples des frontières, car le Digeste en parle comme d’une chose habituelle. Si cum gente aliqua neque amicitiam, neque hospitium, neque fædus, amicitiæ causa factum, habemus (XLIX, tit. 15, § 4, 9, 2). Quant aux patrons, il en est fait mention dans une foule d’inscriptions. Cf. Orelli, n° 3783 et sqq. Voyez aussi Cicéron, II in Verrines, II, 14, 39 ; de Divin., 20 ; pro Fonteio, 12 ; Appien, Bell. civ., II, 4 ; Salluste, Catilina, 31.

[81] Diodore, XII, 59. Pour le droit de cité, les exemples abondent partout. (Cicéron, pro Balbo, 3.) Joseph obtint de Titus άτέλειαν, ήπερ έστί μεγίστη τιμή τώ λαβόντι (Josèphe, Vita, 76).

[82] Stipendiarios ex Africa, Sicilia, Sardinia, cœteris provinciis mullos civitate donatos videmus (Cicéron, pro Balbo, 5) ....singillatim (id., Philippiques, II, 57).

[83] Tacite, Ann., XI, 23-25.

[84] Pline, Lettres, X, 22. Cette obligation fut imposée par Octave.

[85] Cicéron, II in Verrines, III, 6.

[86] Cicéron, in Rull., I, 4.

[87] Is ager a censoribus locari solet (Cicéron, II in Verrines, III, 6). La Sicile avait trois cités fédérées, cinq cités libres et exemptes, trente-quatre villes pavant les dîmes, vingt-cinq environ dont les redevances étaient affermées par les censeurs (Cicéron, II in Ver., III, 6) ; la Sardaigne n’avait que des villes stipendiaires (Cicéron, pro Scauro, II, 44) ; la Corse, deux colonies (Sénèque, ad Helvie, 8) la Tarraconaise, après Auguste, douze colonies, treize municipes avec droit de cité, dix-huit municipes avec le jus Latii, une ville fédérée, cent trente-cinq villes stipendiaires, deux cent quatre-vingt-treize autres villes ou bourgs dans leur dépendance ; la Bétique, neuf colonies, huit municipes, vingt-neuf cités latines, six villes libres, trois fédérées, cent vingt stipendiaires. (Pline, Hist. nat., III, 1.)

[88] Vectigal certum quod stipendiarium dicitur (Cicéron, II in Ver., III, 6). La Macédoine donnait ainsi 100 talents (521.665 francs). Plutarque, Æmilius, 28. La Gaule, 40 millions de sesterces (7.663.000 francs). Suétone, César, 25 ; Eutrope, VI, 17.

[89] Appien, Libyca, 135. En Afrique, l’impôt était έπί τή γή xαί έπί τοϊς σώμαοιν, άνδρί xαί γυναιxί έμοίως.

[90] Josèphe, Bell. Jud., II, 16. Le tribut était de plus de 12.000 talents. (Strabon, XVII, p. 798.)

[91] Appien, Syr., 50. Le tribut était de 1/100 du cens. Cicéron, ad Att., V, 16 : imperata έπιxιφάλαια. Ad Fam., III, 8 : acerbissima exaclio capitum et ostiorum.

[92] Josèphe, Bell. Jud., IV, 10, 5.

[93] Tite-Live, XXIII, 32 ; Cicéron, pro Balbo, 18, Hirtius, de Bell. Afr., 98. On place la Sicile dans les mêmes conditions d’après Cicéron (II in Ver., II, 55). Omnes Siculi ex tenu quotannis tributa conferunt (id., ibid., 55, 56). Mais il faut entendre ici par tributa l’impôt nécessaire aux dépenses de chaque ville et payé par les citoyens. Dans le pro Flacco, 9, Cicéron emploie aussi le mot tributa pour désigner les revenus particuliers des villes. C’est aussi l’opinion de Huschke, Ueber den Census und die Sleuerverfassung, p. 8.

[94] Cicéron, II in Ver., III, 6.

[95] Appien, Bell. civ., V, 4 et 5 ; Cicéron, pro Flacco, 8, et pro lege Manilia, 6, Dion, XLII, 6.

[96] Tite-Live, XLIII, 2.

[97] Appien, Bell. civ., V, 4.

[98] Cicéron, de Nat. deorum, III, 19.

[99] Cicéron, II in Ver., III, 6 ; ad Quint., I, 10 ; ad Att., I, 17.

[100] Cicéron, II in Ver., III, 7.

[101] Tite-Live, XLV, 26 et 29.

[102] Pausanias, VII, 16.

[103] Cicéron, II in Ver., III, 40.

[104] Suétone, Claude, 28 ; Pline, Lettres, X, 61 ; Tacite, Ann., XV, 20. C’est notre internement.

[105] Non civitatis alienæ (Pline, Lettres, X, 115).

[106] Nîmes avait dans sa dépendance vingt-quatre bourgs. (Strabon et Pline, Hist. nat., III, 5.) Cent soixante-dix-neuf villes de la Tarraconaise possédaient deux cent quatre-vingt-treize bourgs. (Pline, Hist. nat., III, 3.) Les bourgades des Carnes, dans les Alpes carniques, étaient dans la juridiction de Tergeste. (Zumpt, Decretum municipale Tergestinum) ; Calatia relevait de Capoue, Caudium de Bénévent (Becker et Marquardt, Handbuch der rœm. Alterth., III, p. 3). C’était le principe grec : ainsi il n’y avait qu’une cité dans l’Attique et dans la Laconie, bien qu’il y eût dans ces deux provinces plusieurs autres villes. Aussi les Grecs prenaient-ils volontiers le nom de la ville pour celui du territoire. (Étienne de Byzance, passim.) Ces lieux secondaires, loci, s’appelaient en Italie fora, conciliabula, vici, castella. Cf. lex Rubria (lex Galliæ Cisalpinœ), col. II, l. 1, 26, 53, 58, et Paulus, Sent. recept., IV, 6, 2. Les chefs-lieux étaient généralement appelés municipia ou oppida. Là où il n’y avait pas de villes, on divisait le pays, comme dans la Pannonie, en pagi, comme dans la Mœsie, en regiones, les uns et les autres subdivisés en vici. (Becker, ibid.) On peut conclure de la loi Julia (tabula Heracleensis) que les seuls habitants des municipes, colonies ou préfectures, pouvaient être élevés au duumvirat ou au quatuorvirat, les plus hautes charges municipales (lignes 15, 21, 24), mais que les habitants des fora et des conciliabula pouvaient aspirer au décurionat (lignes 35, 45, 50, 54, 56, 61, 63).

[107] Voyez, dans Tacite (Hist., I, 65), la violente haine de Lyon et de Vienne, qui s’attaquent, dès que les troubles de l’empire leur permettent de le faire impunément, et le combat sanglant que se livrent les gens de Nucérie et ceux de Pouzzoles. (id., Ann., XIV, 17.) Cicéron, dans un passage que nous avons déjà cité (ad Quint., I, 1, 14), montre tous des petits États prêts à se déchirer si Rome ne leur imposait la paix. Tyr et Sidon étaient libres, Auguste fut obligé de leur citer cette liberté (18 av. J. C.) à cause des séditions qui les désolaient. (Dion Cassius, LXIV, 7.) Néron rend aux Grecs la liberté ; ils retournent aussitôt à leurs guerres intestines (Pausanias, VII, 17, 4). Aussi Vespasien les replace sous l’autorité d’un gouverneur, en disant qu’ils ont désappris la liberté. (Id., ibid.)

[108] Sur les idées répandues chez les anciens touchant un gouvernement mixte et pondéré, voyez Cicéron, de Rep., I, 45 : Tacite, IV, 33.

[109] On a compté en Grèce, sans les îles, quatre-vingt-dix-neuf États distincts, dont trente, sous les empereurs, étaient libres. (Kuhn, Beitræge z. Verf. des rœm. Reichs, p. 125-129.)

[110] Strabon, XIV, p. 665. La Carie était organisée de la mémo manière. Les cantons qui ont le plus de bourgs, dit-il, ont aussi, dans l’assemblée générale, le plus de voix ; leur associa  tien est connue sous le nom de Chryssoréon. (Id., ibid., p. 660.) S’il fallait donner un modèle d’une belle république fédérative, je prendrais la république de Lycie, ajoute Montesquieu (Esprit des lois, IX, 3). Je m’abrite derrière Montesquieu, car la Lycie finit mai (Dion, LX, 17 ; Suétone, Claude, 25), et on en a accusé ses institutions. Voyez aussi Strabon, XIII, p. 651, pour la tétrapole de Phrygie, et Gruter (Inscr., n° 2056) pour la pentapole formée par Odessus, Mesembria, Tomi, Istriani, Apollonie.

[111] Les Ioniens des treize villes de l’Ionie (Eckhel, Doctr. num., II, p. 508 ; et Strabon, XIV, 653) se réunissaient toujours au Panionium, les Achéens à Ægium (Pausanias, VII, 27), les Béotiens à Coronée (Bœckh, Corp. inscr., I, p. 5 de l’introduction) ; la ligue des Phocidiens subsistait (Pausanias, X, 5), de même que le conseil amphictyonique (id., ibid., 8). Hadrien institua à Athènes, dans le Panhellénion, une assemblée de tous les Grecs (Müller, Æginet., p. 952 et sqq. ; Bœckh, Corp. inscr., n° 535 ; et Ahrens, de Athen. statu).

[112] Ciliciæ civitates omnes Tarsum evocat.... ibi rebus omnibus provinciæ et finitimarum civitatum constitutis.... (Hirtius, Bell. Alex., 69).

[113] Ces assemblées provinciales étaient formées de σύνεδροι ou députés envoyés par chaque ville, comme nous l’avons vu pour la Lycie, comme Tite-Live (XLV, 32) le dit pour la Macédoine : Macedonum rursus advocatum consilium ; pronuntiatum, quod ad statum Macedoniœ pertinebat, senatores, quos synedros vocant, legendos esse, quorum consilio respublica administraretur. Quant au grand prêtre αρχιερεός, il appartient à l’époque impériale et était le chef provincial du culte de Rome et d’Auguste, qui fut la religion officielle de l’empire romain. (Lebas et Waddington, Voyage archéol., sect. V, n° 885.) Les patroni provinciarum, à Rome, représentaient aussi l’unité de la province. Cf. Orelli, n. 529, 3058, 3063, 3661, etc.

[114] On trouve dans les inscriptions d’Orelli, n° 3144, un prætor Hetruriæ XV populorum. Il est question au n° 2182 des sacra Etruriæ ; et les féries latines durèrent jusqu’au quatrième siècle. (Lactance, Div. Inst., I, 21.) — Pacarius, vocatis principibus insulæ (Corsicæ), consilium aperit (Tacite, Hist., II, 16). La Sicile entière, communis Sicilia, décrète que des statues seront élevées à Verrés. (Cicéron, II in Ver., II, 59, 63.)

[115] Aristide, Orat., XXVI, p. 544-6 ; Strabon, XIV, p. 649. C’est une dignité très haute, dit Philostrate (Vies des Sophistes, lib. I, § 212), mais très coûteuse, ύπέρ πολλών χρημάτων. Les asiarques avaient l’intendance des jeux sacrés de la province ; il y avait aussi des asiarques pour les solennités de villes.

[116] Voyez la proposition de Carvilius, en 296, et la demande des préteurs latins, en l’année 310. On reviendra ailleurs sur cette question de l’organisation municipale et provinciale.

[117] Le désir de s’organiser manquait si peu aux Grecs d’Asie, qu’ils avaient donné des numéros d’ordre à leurs villes ; les unes étaient métropoles et premières, les autres secondes, septièmes, etc. Ainsi Éphèse était πρώτη πασών (Eckhel, Doctr. num., II, p. 521) ; Magnésie était έβδέμη τής Άσίας (id., ibid., p. 5271 ; Aspende τρίνη τών έxεϊ (la Cilicie). (Philostrate, Vita Apollonius, I, 15.) Malheureusement tout cela n’était qu’une affaire de vanité, et cette organisation ne réglait que la préséance aux jeux et aux fêtes de la province. Cf. Eckhel, ibid., IV, p. 288.

[118] Voyez Cicéron, ad Att., II, 16, et toutes ses lettres datées de Cilicie.

[119] Egere, foris esse Gabinium ; sine provincia stare non posse (Cicéron, in Pison., 6).

[120] Pline, Hist. nat., XXVII, 1. Sous l’empire, maintenir l’ordre public fut la grande préoccupation des gouverneurs. Tibère ne voulait entendre parler d’aucun désordre. Voyez, aux Actes des apôtres, l’effroi des gens d’Éphèse à la suite d’un tumulte excité par les prédications de saint Paul.