HISTOIRE DES ROMAINS

 

TROISIÈME PÉRIODE — GUERRE DE L’INDÉPENDANCE ITALIENNE OU CONQUÊTE DE L’ITALIE (343-265)

CHAPITRE XVIII — ÉTAT INTÉRIEUR DE ROME DURANT LA GUERRE SAMNITE.

 

 

I. — LES MŒURS.

On a fait de cette époque l’âge d’or de la république. Suivant la vieille et honorable coutume de louer le temps passé, on a donné aux Romains de cette époque toutes les vertus. Ils et avaient, surtout de celles qui font les bons citoyens. Les vainqueurs des Étrusques et de Tarente ne méprisaient pas la pauvreté ; ces plébéiens qui s’étaient fait reconnaître tant de droits acceptaient tous les devoirs, et leur patriotisme avait la force d’un sentiment religieux. Deux Decius ont donné leur vie pour l’armée romaine, et Postumius, Manlius, ont immolé chacun un fils à la discipline. Le censeur Rutilius, réélu au sortir de charge (266), convoque le peuple et le censure tout entier pour avoir conféré deux fois de suite au même citoyen ces importantes fonctions. Si Corn. Rufinus, malgré deux consulats, une dictature et un triomphe, s’est fait chasser du sénat pour ses 10 livres de vaisselle d’argent, quand la loi n’en permettait que 8 onces[1] ; si le consul Postumius a forcé deux mille légionnaires à couper ses blés ou à défricher ses bois, Atilius Serranus recevait, à la charrue, la pourpre consulaire, comme autrefois Cincinnatus la dictature ; Regulus, après deux consulats, ne possédait qu’un petit champ avec un seul esclave dans le territoire stérile de Pupinies, et Curius, de ses mains triomphales, comme Fabricius, comme Æmilius Papus, préparait dans des vases de bois ses grossiers aliments. Le même Curius, qui déclarait dangereux un citoyen à qui 7 arpents ne suffisaient pas[2], a refusé l’or des Samnites, Fabricius celui de Pyrrhus ; et Cinéas, introduit dans le sénat, a cru y voir une assemblée de rois.

En ce temps-là, dit Valère Maxime, peu ou presque point d’argent : quelques esclaves, 7 jugères de terres médiocres, l’indigence dans les familles, les obsèques payées par l’État, et les filles sans dot ; mais d’illustres consulats, de merveilleuses dictatures, d’innombrables triomphes, tel est le tableau de ces vieux âges[3]. Disons plus simplement que, grâce à la loi Licinienne sur la limitation des propriétés[4], Rome n’avait ni l’extrême richesse qui donne parfois titi insolent orgueil, ni l’extrême pauvreté qui fait naître l’envie et l’esprit de révolte. Le plus grand nombre était dans cette heureuse médiocrité qui excite au travail, l’ait sentir le prix du peu que l’on possède et met au cœur la volonté de le défendre énergiquement.

Ce peuple avait ses défauts ; il aimait le travail, mais aussi le butin, l’usure, les procès, et il avait dans le sang du lait de la louve. Le créancier était dur pour son débiteur, le père pour son fils, le maître pour ses esclaves, le vainqueur pour le vaincu. Ils avaient l’esprit court du paysan qui vit la tête courbée sur le sillon, avec les passions brutales des natures pesantes et l’orgueil grossier de la force physique. !tien de généreux, rien d’élevé ; ni art, ni philosophie, ni religion véritable ; pour idéal, le gain et la domination, qui est la forme publique de l’esprit de lucre. Leur vie domestique était-elle plus édifiante qu’elle ne le sera dans la suite ? Le mal se voit mieux dans les sociétés qui sont en pleine lumière que dans celles dont l’histoire pénètre difficilement les ténèbres. Mais il est des vices que développent l’excès de richesse, les loisirs d’une existence trop facile, et des tentations plus nombreuses : toutes choses que les Romains du quatrième siècle ne connaissaient certainement pas.

Ils étaient probes et observaient la parole donnée. Confiez, disait-on plus tard, un trésor à un Grec, prenez dix cautions, dix signatures et vingt témoins : il vous volera. À Rome, un magistrat a dans les mains toutes les richesses publiques, et, pour qu’il n’en détournât rien, il suffisait de son serment. Cette bonne foi du particulier, cette probité du magistrat, étaient un reflet d’une vertu plus générale qui existait dans tout le corps des citoyens : le respect absolu de la loi, I’obéissance préalable à l’autorité établie, sauf à faire appel d’un ordre arbitraire. Le peuple le plus jaloux de sa liberté que l’univers ait jamais vu se trouva en même temps le plus soumis à ses magistrats et à la puissance légitime ![5] Bossuet a raison d’admirer ces deux idées qui pour tant d’hommes sont contradictoires ; c’est leur union qui fait les citoyens vraiment libres et les États vraiment forts.

On n’aime pas le Romain, mais on est contraint de l’admirer, parce que, dans cette société, si l’homme est petit, le citoyen est grand. Il l’est par des vertus civiques qui lui méritaient l’empire, par le courage indomptable qui le lui donna, par la discipline, dans le sens le plus élevé du mot, et par la sagesse politique qui le lui conservèrent. Aussi son histoire où le poète et l’artiste oint si peu à prendre sera-t-elle toujours l’école des hommes publics.

 

II. — LA CONSTITUTION ; ÉQUILIBRE DES POUVOIRS.

Les dangers de la guerre du Samnium avaient ramené la paix entre les deux ordres. Les petites rivalités ayant cessé devant le grand intérêt du salut public, l’émancipation politique des plébéiens s’était pleinement accomplie, et la nouvelle génération patricienne, élevée dans les camps, avait perdu le souvenir amer des victoires populaires. Les hommes nouveaux étaient maintenant aussi nombreux dans le sénat que les descendants des vieilles familles curiales ; et les services comme la gloire de Papirius Cursor, de Fabius Maximus, d’Appius Cæcus et de Valerius Corvus, n’effaçaient ni les services ni Ila gloire des deux Decius, de P. Philo, quatre fois consul, de C. Mænius, deux fois dictateur, de Cæcilius Metellus, qui commençait l’illustration de cette famille, dont Nævius devait dire : Les Metellus naissent consuls à Rome, de Curius Dentatus enfin et de Fabricius, plébéiens qui n’étaient pas même d’origine romaine.

Il y avait union parce qu’il y avait égalité, parce que l’on ne connaissait plus l’aristocratie du sang, et qu’on n’honorait pas encore celle de la fortune. A cette époque la constitution romaine présentait cette sage combinaison de royauté, d’aristocratie et de démocratie qu’ont admirée Polybe, Machiavel et Montesquieu. Par le consulat il y avait unité dans le commandement ; par le sénat, expérience dans le conseil ; par le peuple, force dans l’action. Ces trois pouvoirs se contenant mutuellement dans de justes limites, toutes les forces de l’État, autrefois tournées les unes contre les autres, avaient enfin trouvé, après une lutte de plus de deux siècles, cet heureux équilibre qui les faisait concourir, avec une irrésistible puissance, vers un but commun, la grandeur de la république.

Dans la ville, les consuls[6] sont les chefs du gouvernement ; mais ils sont iceux, d’ordre différent, et leur inévitable rivalité assure la prépondérance du sénat auquel ils sont contraints par leurs plus chers intérêts de montrer une prudente déférence. Ils reçoivent les ambassadeurs des nations étrangères, ils convoquent le sénat et le peuple, proposent des lois, rédigent les sénatus-consultes et commandent aux autres magistrats ; mais toute cette puissance, plus honorifique que réelle, vient se briser contre l’opposition d’un collègue ou l’autorité inviolable du tribunat, contre la souveraineté du peuple qui fait les lois, contre un décret du sénat, qui peut annuler les pouvoirs d’un consul en faisant nommer un dictateur. A l’armée, le consul parait un chef absolu ; il choisit une partie des tribuns légionnaires, fixe les contingents des alliés et exerce sur tous le droit de vie et de mort ; mais, sans le sénat, il n’a ni vivres, ni vêtements, ni solde ; et un sénatus-consulte peut arrêter subitement ses entreprises, lui donner un successeur ou le proroger dans son commandement, lui accorder ou lui refuser le triomphe[7]. Il fait des traités, mais le peuple les ratifie ou les casse. Il agit, il décrète, mais les tribuns le surveillent et, par leur veto, l’arrêtent, par leur droit d’accusation le tiennent en de continuelles alarmes. Enfin, sa magistrature expirée, il doit rendre compte au peuple pour en recevoir des applaudissements qui lui promettent de nouvelles charges, ou des reproches et des murmures qui lui ferment à jamais l’accès des grandes fonctions, quelquefois une amende qui le ruine et le déshonore[8].

Les sujets, les alliés et les rois étrangers, qui ne traitent jamais qu’avec le sénat réuni dans le temple de Bellone pour leur rappeler que Rome était toujours prête à la guerre[9], qui le voient juger leurs différends, répondre à leurs députés, envoyer au milieu d’eux des commissaires tirés de son sein et accorder ou refuser le triomphe aux généraux qui les ont vaincus, regardent ce corps comme le maître de la république[10]. A Rome même, les sénateurs ne paraissant que vêtus de la pourpre royale ; siégeant dans les temples ; discutant les grandes affaires, les plans des généraux et le gouvernement des pays conquis ; pouvant ajourner les assemblées du peuple ou rendre des décrets qui ont force de loi[11] ; recevant les comptes des censeurs et des questeurs ; autorisant les dépenses, les travaux, les aliénations du domaine ; veillant à la conservation de la religion de l’État, à la poursuite des crimes publics, à la célébration des jeux et des sacrifies solennels ; enfin, décrétant, en cas de péril, des supplications aux dieux, après la victoire, des actions de grâces et réglant jusqu’aux affaires du ciel en donnant le droit de cité et des temples à des divinités étrangères, les sénateurs, dis-je, semblent être les premiers dans l’État par l’étendue de leurs droits politiques, comme ils l’étaient par leur dignité et par le respect qu’on attachait à leur nom. Mais, soum s au contrôle irresponsable des censeurs, le sénat est encore prés clé par les consuls, qui dirigent à leur gré ses délibérations. Serait-il d’accord avec eux, qu’il ne pourrait, sans le consentement des tribuns, ni s’assembler ni rendre un décret ; et l’omnipotence législative du peuple le met dans la dépendance des centuries et des tribus. Tous ses membres d’ailleurs sont indirectement nommés par le peuple, puisque c’est lui qui élève aux charges et que c’est par les charges qu’on entre au sénat[12].

Chez nous le pouvoir exécutif peut être interrogé sur ses actes aussitôt qu’ils sont accomplis ; pour quelques-uns même avant l’exécution, ce qui permet de les arrêter. A Rome, le magistrat ne rend compte qu’après l’expiration de sa magistrature. Il est inviolable, sacrosanctus[13], et ne cède qu’à l’intercession d’un collègue, au veto d’un tribun ou à celui des auspices. On ne peut même le poursuivre pour un crime de droit commun.

Le peuple, jury suprême[14], corps électoral et législatif[15], en un mot le vrai souverain au Forum, retrouve dans Ies tribunaux civils les sénateurs pour juges, à l’armée les consuls pour généraux  les uns, armés de l’autorité des lois et du pouvoir discrétionnaire que donne une législation incertaine et obscure ; les autres, d’une discipline qui commande une obéissance aveugle. Le plébéien se gardera de blesser ceux qui pourraient se venger sur le plaideur ou sur le légionnaire des votes hostiles du citoyen. Dans les comices mêmes où le peuple est roi, rien n’est laissé au nasard du moment. Le magistrat qui réunit l’assemblée, circonscrit le débat ; il demande soit un non, soit un oui ; il n’accepte pas de question, et le peuple répond : uti rogas pour approuver, antiquo pour rejeter. Nous dirions aujourd’hui que l’assemblée n’avait ni le droit d’amendement ni celui d’interpellation. On ne discutait que dans les conciones, sorte d’assemblées préparatoires oit l’on ne votait pas. Si pourtant le peuple souverain entendait faire acte de souveraineté, il pouvait être arrêté par un double veto dans les comices par tribus, celui des tribuns ; dans les centuries, celui des dieux, exprimé par les augures. Enfin, fermiers de l’État polir les domaines, les travaux publics et le recouvrement des impôts, nombre de citoyens, surtout les plus riches, dépendent encore du sénat et des censeurs qui adjugent les enchères, font les remises, prolongent les termes de payement ou cassent les baux[16].

Il n’y a pas jusqu’aux plus pauvres qui n’aient leur jour de fête et de royauté. La veille des comices, le patricien oublie sa noblesse pour ce mêler à la foule, pour caresser ces rois de quelques heures qui donnent les honneurs, la puissance et la gloire. Il prend la main calleuse du paysan, appelle par son nom le plus obscur quirite[17], et, plus tard, il rendra au peuple en un jour d’élection tout ce que lui et ses pères auront gardé du pillage de plusieurs provinces. La brigue, que dans un siècle il faudra punir parce qu’elle amènera la vénalité, ne fait encore que rapprocher le riche du pauvre et donner aux grands une leçon d’égalité.

Chaque corps de l’État, dit Polybe, peut donc nuire à l’autre ou le servir ; de là naît leur concert et la force invincible de cette république.

Une puissance morale, la censure, elle-même irresponsable et illimitée dans ses droits, veillait au maintien de cet équilibre. Dans les législations orientales, le principe conservateur de la constitution est le sentiment religieux, car la loi n’est que l’expression de la volonté divine. En Grèce et à Rome, Lycurgue et fuma donnèrent aussi à leurs lois la sanction des dieux. Mais Solon et les Romains de la république, plus éloignés de l’époque sacerdotale, confièrent à des hommes ce pouvoir conservateur : Solon à l’aréopage, la constitution romaine aux censeurs. A Athènes, l’aréopage, sorte de tribunal placé en dehors de l’administration, ne fut jamais assez fort pour exercer une influence utile ; à Rome, la censure, chargée de très graves intérêts matériels, fut une magistrature active dont l’importance politique accrut et assura l’autorité morale[18]. Ces détails qu’aucune idée ne peut frapper, ces dangereuses innovations qui ébranlent sourdement les républiques en détruisant l’égalité, les censeurs surent les atteindre et les punir. Souvent ils chassèrent du sénat et de l’ordre équestre, ou privèrent de leurs droits politiques de puissants citoyens, et dans la répartition des classes ils exerçaient la législation sur le corps même qui avait la puissance législative[19], et ils mettaient leurs actes sous la sanction de la religion, en offrant à la clôture du cens le sacrifice solennel des suovetaurilia. Par leur autorité sans contrôle, ils venaient en aide au pouvoir exécutif toujours si faible dans les démocraties.

En tout État, c’est une grave question que de savoir dans quelles mains doit être le pouvoir judiciaire. Cette question troubla le dernier siècle de la république romaine aux époques antérieures, elle avait reçu une solution originale. Le consul d’abord, le préteur ensuite, ne jugeait pas lui-même. Pour chaque espèce, il donnait la règle de droit qui devait être appliquée, et les juges désignés par lui, avec l’agrément des parties, décidaient la question de fait. Ainsi le procès était double, in jure, devant le préteur, in judico, devant les juges. Pour les causes graves, les juges étaient pris dans le sénat ; pour les affaires moins importantes, dans le corps des centumvirs élus au nombre de trois par chacune des trente-cinq tribus. Ainsi, l’organisation de la justice civile était, à certains égards, celle que nous avons pour la justice criminelle : le magistrat déclarait, d’après la nature de la cause, quelle décision juridique elle comportait, et des judices ou jurés prononçaient sur le point de fait.

La justice criminelle était exercée par le peuple. Quiconque avait, par un crime, violé la paix publique, était justiciable de l’assemblée souveraine, qui recevait aussi les appels formés contre les sentences des magistrats ; ceux-ci, en vertu de leur charge qui les obligeait à faire respecter la loi, punissaient les délits dont un certain nombre seraient qualifiés par nous de crimes. Le châtiment était les verges pour les petites gens, pour les autres une amende. Les consuls et les préteurs avaient en outre conservé de la royauté le droit de nommer, pour les cas graves et pressants, des questeurs criminels, juridiction exceptionnelle que nous verrons devenir permanente, quæstiones perpetuæ. Du reste, la justice criminelle s’exerçait rarement, par la justice domestique lui enlevait les crimes de l’esclave, du fils, s’il n’était pas émancipé, et de l’épouse in manu. Le maître, le père et le mari prononçaient dans l’intérieur de la maison la sentence et la faisaient exécuter. Il n’y a donc pas, à l’époque ou nous sommes de l’histoire romaine, un corps de citoyens qui soient investis de l’autorité judiciaire et qui, grâce à ce privilège, puissent menacer la liberté des autres classes. La justice est alors égale pour tous ; dans un siècle, elle ne le sera plus.

Cette constitution si bien pondérée exposait à pendant l’Etat à de grands périls. Elle n’était point écrite ; et les doits des assemblées ou des magistrats n’ayant jamais été clairement définis, il pouvait arriver que les diverses juridictions empiétassent les unes sur les autres ; de là des chocs, c’est-à-dire des troubles ; ou bien qu’une seule, aidée par les circonstances, prit dans l’État une prépondérance dangereuse. Ainsi Hortensius avait donné une égale autorité aux décisions du sénat et à celles du peuple : que ces deux pouvoirs se mettent en opposition, et il n’y aura dans l’État aucune force légale, si ce n’est le remède violent et temporaire de la dictature, qui pourra sans combats terminer cette lutte. Mais la prudence du sénat sut pendant un siècle et demi prévenir ce danger. Il se fit un partage entre lui et le peuple des matières sur lesquelles devait s’exercer leur omnipotence législative. Au peuple, les élections et les lois d’organisation intérieure ; ait sénat, l’administration des finances et des affaires extérieures ; aux magistrats, les droits illimités de l’imperium pour l’exercice du pouvoir exécutif.

D’ailleurs si ce peuple était continuellement poussé en avant par des besoins nouveaux, il était constamment aussi retenu en arrière par son respect des temps anciens. Tant que Rome resta elle-même, elle eut, à l’image de son dieu Janus, les yeux tournés à la fois vers le présent et vers le passé. La coutume des aïeux, mos majorum, y conserva une autorité qui permit souvent de suppléer à la loi écrite ou de la tourner, et cette autorité de la coutume fut un puissant principe de conservation sociale.

 

III. — ORGANISATION MILITAIRE.

Au dehors, ce gouvernement était défendu par les meilleures armées qui eussent encore paru. Nul adversaire, nulle entreprise, ne pouvaient effrayer les vainqueurs des Samnites et de Pyrrhus. Ils avaient triomphé de tous les ennemis et de tous les obstacles : de la tactique grecque[20] comme de la fougue gauloise et de l’acharnement samnite ; les éléphants de Pyrrhus ne les avaient étonnés qu’une fois[21]. Entourés d’ennemis, les Romains n’avaient, pendant trois quarts de siècle, connu d’autre art que la guerre, d’autre exercice que les armes. Ils n’étaient pas seulement les soldats les plias braves, les mieux disciplinés de l’Italie, mais les plus agiles et les plus forts. Le pas militaire était de 24 milles en 5 heures ; et durant les marches ils portaient leurs armes, pour cinq jours de vivres, des pieux pour camper : en tout, au moins 60 livres romaines. Dans l’intervalle des campagnes, les exercices des camps continuaient au Champ de Mars. Ils lançaient des javelots et des flèches, combattaient à l’épée, couraient et sautaient tout armés, ou traversaient le Tibre à la nage, se servant, pour ces exercices, d’armes d’un poids double ; de celui des armes ordinaires. Les plus grands citoyens prenaient part à ces jeux ; des consuls, des triomphateurs rivalisaient de force, d’adresse et d’agilité, montrant à ce peuple de soldats que les généraux avaient aussi les qualités du légionnaire.

Toutes les puissances combattaient alors avec des mercenaires ; Rome seule avait elle armée nationale, d’où l’étranger, l’affranchi, le prolétaire étaient exclus, et qui avait déjà établi cette religion du drapeau qui a fait accomplir tant de miracles[22].

Tous les citoyen aisés et riches devaient passer par cette rude école de discipline, de dévouement et d’abnégation. Personne, dit Polybe, ne peut être élu à une magistrature qu’il n’ait fait dix campagnes. Combien cette loi ne relevait-elle pas la dignité et la force de l’armée !

Nous venons de suivre les Romains au sénat et au Forum, nous avons montré leur vie publique, et leur vie privée ; cette étude ne serait pas complète si nous ne cherchions pas à les voir au camp. L’organisation militaire est pour tous les peuples une question bien grave. Sans les soldats formés dans les gymnases de la Grèce, les Perses étaient vainqueurs à Marathon et à Platées ; sans la phalange de Philippe, Alexandre ne sortait pas de la Macédoine ; sans la légion, l’Italie et le monde eussent été livrés aux barbares avant que la civilisation s’y fût assez fortement enracinée pour ne pouvoir plus en être arrachée tout entière. Le tableau de l’armée romaine fait donc nécessairement partie de l’histoire de Rome, et pour le tracer nous n’avons qu’à abréger, en le complétant sur quelques points, le récit de Polybe, qui, s’il n’est pas un grand écrivain, a été le plus intelligent observateur de l’antiquité[23].

Après l’élection des consuls, 24 tribuns, toujours d’ordre sénatorial ou équestre, sont nommés, 16 par le peuple, par les consuls, pour la levée annuelle, qui est habituellement de quatre légions[24]. On les choisit de telle sorte, que 14 soient pris parmi ceux qui ont servi au moins cinq ans. Et cela est facile, puisque tous les citoyens sont obligés, jusqu’à quarante-six ans, de porter les armes, soit dix ans dans la cavalerie, soit seize ans dans l’infanterie. On n’excepte que ceux dont le bien ne passe pas 400 drachmes et qui sont réservés pour la marine. Quand la nécessité l’exige, on les prend même pour l’infanterie ; et alors leur obligation militaire est de vingt années de service.

Chaque légion a 6 tribuns, qui commandent tour à tour la légion pendant deux mois sous les ordres supérieurs du consul, et l’on a soin que ce collège soit formé en proportion à peu près égale de jeunes et d’anciens tribuns.

Quand on doit faire une levée, ordinairement de quatre légions, tous les Romains en âge de porter les armes sont convoqués au Capitole. Là, les tribuns militaires tirent les tribus au sort et choisissent dans la première que le sort désigne quatre hommes égaux, autant qu’il est possible, en taille, en âge et en force. Les tribuns de la première légion font leur choix les premiers ; ceux de la seconde ensuite, et ainsi des autres. Après ces quatre citoyens, il s’en approche quatre autres ; ce sont alors les tribuns de la seconde légion qui font leur choix les premiers ; ceux de la troisième après ; et ainsi de suite. Le même ordre s’observe jusqu’à la fin d’où il résulte que chaque légion est composée d’hommes de même âge et de même force, ordinairement au nombre de quatre mile deux cents, et de cinq mille quand le danger presse[25]. Quant aux cavaliers, le censeur les choisit d’après le revenu, trois cents par légion. La levée faite, les tribuns assemblent leur légion, et, choisissant un des plus braves, ils lui font jurer qu’il obéira aux ordres des chefs et qu’il fera tout pour les exécuter. Les autres, passant à leur tour devant le font le même serment, en prononçant les mots : Idem in me. C’était l’équivalent de notre formule : Je le jure[26].

En même temps, les consuls font savoir aux villes d’Italie d’où ils veulent tirer des secours le nombre d’hommes dont ils ont besoin, le jour et le lieu du rendez-vous. La levée se fait dans ces villes comme à Rome, même choix, même serment. On donne un chef et un questeur à ces troupes et on les met en marche.

Les tribuns, après le serment, indiquent aux légions le jour et le lieu où elles doivent se trouver sans armes, puis les congédient. Quand elles se sont assemblées au jour marqué ; des plus jeunes et des plus pauvres on fait les vélites ; ceux qui les suivent en âge forment les hastaires ; les plus forts et les plus vigoureux composent les princes, et on prend les plus anciens pour en faire les triaires. Ainsi, chaque légion est composée de quatre sortes de soldats, qui diffèrent par le noir, l’âge et les armes : six cents triaires, mille deux cents princes, autant de hastaires ; le reste forme les vélites.

Les vélites sont armés d’un casque sans crinière, d’une épée, d’un bouclier rond qui a 3 pieds de diamètre, et de plusieurs javelots dont le bois a 2 coudées de long et un doigt de grosseur. La pointe, longue de 1 spithame[27], est si effilée, qu’au premier coup elle se fausse, de sorte que les ennemis ne peuvent le renvoyer[28].

Les hastaires ont l’armure complète, c’est-à-dire un bouclier convexe, large de 2 pieds et demi et long de 4. Il est fait de deux planches collées l’une sur l’autre et couvertes en dehors d’un linge, puis d’un cuir de veau. Les bords de ce bouclier en haut et en bas sont garnis de fer, et la partie convexe est couverte d’une plagale de même métal, pour parer les traits lancés avec une grande force. Les hastaires portent l’épée sur la cuisse droite ; la lame en est forte et frappe d’estoc et de taille[29]. Ils ont, en outre, deux pilum, un casque d’airain et des bottines. De ces deux javelots, l’un est rond ou carré et a 4 doigts d’épaisseur ; l’autre est plus léger, mais pour tous les deux la hampe a 3 coudées et le fer autant[30]. Sur leur casque se dresse un panache rouge ou noir, formé de trois plumes droites et hautes d’une coudée, ce qui fait paraître plus grands et leur donne un air formidable. Les moindres soldats portent en outre, sur la poitrine, une lame d’airain qui a 12 doigts de tous les côtés. Mais ceux qui sont riches de plus de 10.000 drachmes ont, au lieu de ce pectoral une cotte de mailles. Les princes et les triaires ont les mêmes armes, seulement les triaires n’ont qu’une lance (hasta ou δόρυ).

Dans chacun de ces trois corps, on choisit, laissant à part les plus jeunes, vingt des plus prudents et des plus braves pour faire d’eux les centurions. Le premier élu a voix délibérative dans le conseil. Il y a vingt autres officiers d’un rang inférieur, optiones, et qui sont choisis par les vingt premiers pour conduire l’arrière-garde. Chaque corps est partagé en dix manipules[31], à l’exception des vélites qui sont répandus en nombre égal dans les trois autres corps. Les centurions choisissent dans leur compagnie, pour porter les enseignes, deux hommes des plus forts et des plus braves, vexillarii, signiferi[32].

La cavalerie se divise de la même manière en dix compagnies ou turmes ; chacune d’elles a trois chefs dont le premier nommé commande la compagnie entière ; ces chefs en choisissent trois autres d’ordre inférieur pour veiller aux derniers rangs. Les armes de la cavalerie sont une cuirasse, un bouclier solide et une forte lance ferrée à son extrémité inférieure, afin qu’elle puisse servir encore quand la pointe en est brisée[33].

Après que les tribuns ont ainsi partagé les troupes et donné pour les armes les ordres nécessaires, ils congédient l’assemblée jusqu’au jour où les soldats ont juré de se réunir. Rien ne peut les relever de leur serment, si ce n’est les auspices ou des difficultés insurmontables. Chaque consul marque séparément un rendez-vous aux troupes qui lui sont, destinées, ordinairement la moitié des alliés auxiliaires et deux légions romaines. Quand les alliés ont rejoint, douze, officiers choisis par les consuls, et qu’on appelle préfets, sont chargés d’en régler la distribution. On met à part les mieux faits et les plus braves pour la cavalerie et l’infanterie qui doivent former la garde des consuls. Ceux-là s’appellent les extraordinaires. Quant au nombre total des alliés, il est pour l’infanterie égal à celui de l’infanterie romaine, et triple pour la cavalerie. On prend pour les extraordinaires le tiers de celle-ci, et la cinquième partie de l’infanterie. Les préfets partagent le reste en deux corps, dont l’un s’appelle l’aile droite et l’autre l’aile gauche.

Sur le champ de bataille, la légion se formait en trois lignes : à la première, les hastats ; à la seconde, les princes ; à la troisième, les triaires, tous partagés en dix manipules, rangés sur vingt hommes de front et six de profondeur. Dans l’ordre serré, confertis ordinibus, les soldats étaient placés à 3 pieds l’un de l’autre, dans tous les sens, afin d’avoir l’espace nécessaire pour le maniement de leurs armes. Un même intervalle séparait les dix manipules de chaque ligne, de sorte que le front d’une légion en bataille était de 570 mètres, sans compter l’espace réservé à la cavalerie que le général plaçait ordinairement aux ailes et qui prenait un espace de 1m,50 par cheval. Dans l’ordre étendu, laxatis ordinibus, les soldats étaient séparés les uns des aubes par un intervalle de 6 pieds, ce qui doublait la ligne du front.

A chaque manipule des hastats et des princes étaient joints quarante vélites qui formaient derrière cette infanterie pesante un sixième et un septième rang de troupes légères. Les vélites passaient par les intervalles pour engager l’action de loin, en tirailleurs, y rentraient quand les hastats en venaient aux mains, ou les fermaient lorsqu’ils pouvaient encore, de là, lancer utilement leurs traits sur l’ennemi. L’armée romaine n’eut que plus tard des archers et des frondeurs. Si les hastats pliaient, ils se retiraient par les intervalles des princes placés derrière eux, et tandis que ceux-ci combattaient, les triaires, un genou en terre et couverts par leur bouclier, attendaient le moment d’entrer en action. 

Pour le camp, le lieu est choisi avec soin ; une fois l’emplacement désigné, on cherche l’endroit d’où le général pourra le plus facilement tout voir et on y plante un drapeau. Autour, on mesure un espace carré dont chaque côté est éloigné du drapeau de 100 pieds : c’est le prétoire. A gauche et à droite du prétoire sont le forum ou marché et le quæstorium, c’est-à-dire le trésor et l’arsenal. On établit les légions du côté qui est le plus commode pour aller à l’eau et au fourrage. Les douze tribuns, s’il n’y a que deux légions, se logent sur une ligne droite, parallèle au prétoire et à une distance de 50 pieds, leurs tentes faisant face aux troupes qui commencent à s’établir à 100 pieds plus loin, sur une ligne également parallèle[34].

Cette ligne est coupée perpendiculairement à son milieu par une ligne droite, et à 25 pieds de chaque côté de cette ligne, on loge la cavalerie des deux légions vis-à-vis l’une de l’autre et séparées par un espace de 50 pieds. Derrière la cavalerie, qui est ainsi établie à la hauteur du milieu des tentes des tribuns, des deux côtés d’une des grandes rues du camp, sont logés les triaires, une cohorte derrière un escadron. Ils se touchent, mais en se tournant le dos. À 50 pieds des triaires et vis-à-vis d’eux, on place les princes de l’autre coté de la seconde et de la troisième rue, qui commencent, aussi bien que celle de la cavalerie, à la ligne des tentes des tribuns et finissent au front du camp. Au dos des princes on met les hastaires, puis à 50 pieds de ceux-ci, le long de la quatrième et de la cinquième rue, la cavalerie des alliés. Derrière cette cavalerie se place l’infanterie des alliés, qui fait face au retranchement, de sorte qu’elle a vue sur deux des quatre côtés du camp.

Entre la cinquième et la sixième cohorte, il y a une séparation de 50 pieds, laquelle forme une nouvelle rue qui traverse le camp parallèlement aux tentes des tribuns et coupe les cinq rues par le milieu. Cette rue transversale s’appelle Quintaine.

A l’extrémité de la ligne que foraient les tentes des tribuns, et parallèlement aux deux côtés du camp, se trouve, en face de, la place du questeur et de celle du marché, le logement de la cavalerie extraordinaire et des cavaliers volontaires. Derrière ces cavaliers se placent l’infanterie extraordinaire et les fantassins volontaires qui ont vue sur le retranchement. Ces cavaliers et ces fantassins sont toujours à la suite du consul et du questeur.

En face des dernières tentes de ces troupes, on laisse un espace large de 100 pieds, parallèle aux tentes des tribuns, et qui traverse toute l’étendue du camp. Au-dessous de cet espace est logée la cavalerie extraordinaire des alliés, ayant vue sur le marché, le prétoire et le trésor. Un chemin ou une rue large de 50 pieds partage en deux le terrain de la cavalerie extraordinaire, venant à angle droit du côté qui ferme le derrière du camp jusqu’au terrain qu’occupe le prétoire. Enfin, derrière la cavalerie extraordinaire des alliés campe leur infanterie extraordinaire, tournée du côté du retranchement. Ce qui reste d’espace vide des deux côtés est destiné aux étrangers et aux alliés qui viennent au camp. Toutes choses ainsi rangées, on voit que le camp forme un carré qui, par la disposition intérieure, ressemble à une ville régulière.

Du retranchement[35] aux tentes il y a 200 pieds de distance ; cet espace sert à faciliter l’entrée et la sortie des troupes. On y met aussi les bestiaux et tout ce qu’on prend sur l’ennemi. Un autre avantage considérable, c’est que, dans les attaques de nuit, il n’y a ni feu ni trait qui puisse arriver aux tentes, si ce n’est très rarement.

S’il arrive que quatre légions et deux consuls campent ensemble, la disposition est la même pour l’une et l’autre armée ; seulement il faut s’imaginer deux armées tournées l’une vers l’autre, et jointes par les côtés où les extraordinaires de l’une et d l’autre sont placés, c’est-à-dire par le derrière du camp, et celui-ci alors forme un carré long, occupant un terrain double du premier.

Une fois le camp établi, les tribuns reçoivent le serment, de tous les hommes libres ou esclaves, qu’ils ne voleront rien dans le camp, et que, s’ils trouvent quelque chose, ils le prêteront au prétoire. Ensuite on commande deux manipules, tant des princes que des hastaires de chaque légion, pour garder la place qui s’étend en face des tentes des tribuns, et que les soldats remplissent pendant le jour. La tente et les bagages de chaque tribun sont en outre gardés par quatre soldats. Trois manipules tirés au soit parmi les princes et les hastaires fournissent chaque jour cette garde qui est destinée aussi à relever la dignité des tribuns. Les triaires, exemptés de ce service, veillent sur les chevaux, quatre par manipule pour l’escadron placé derrière eux. Ils doivent empêcher que ces chevaux ne s’embarrassent dans leurs liens, ou ne causent, en s’échappant, du tumulte dans le camp. Un manipule est toujours de garde à la tente du consul.

Les alliés font deux côtés du fossé et du retranchement, les Romains les deux autres, un par légion. Chaque coté se distribue par parties, suivant le nombre des manipules, et pour chaque partie un centurion préside au travail ; quand tout le côté est fini, deux tribuns l’examinent et l’approuvent.

Les tribuns sont chargés de la discipline du camp. Ils y commandent tour à tour deux ensemble pendant deux mois. Cette charge parmi les alliés est exercée par les préfets. Dès le point du jour les cavaliers et les centurions se rendent aux tentes des tribuns, et ceux-ci à celle du consul, dont ils prennent les ordres.

Le mot d’ordre de la nuit se donne de la manière suivante : on choisit dans les turmes de la cavalerie et dans les manipules de l’infanterie qui ont leur logement au dernier rang, un soldat que l’on exempte de toutes les gardes. Tous les jours, un peu avant le coucher du soleil, ce soldat se rend à la tente du tribun, y prend le mot d’ordre qui est écrit sur une petite planche de bois et s’en retourne à sa compagnie. Quand le chef en a pris connaissance, il la porte avec des témoins au chef de la compagnie suivante, et celui-ci la donne au centurion, qui est son plus proche voisin ; ainsi des autres, jusqu’à ce que le mot d’ordre ayant passé par tous les manipules, soit revenu aux tribuns, avant la nuit close.

La nuit, un manipule entier veille au prétoire. Les tribuns et les chevaux sont aussi gardés par des soldats que l’on retire des manipules. D’ordinaire on donne trois gardes au questeur. La garde de chaque corps se prend dans le corps même. Les côtés extérieurs sont confiés au soin des vélites, qui pendant le jour montent la garde le long du retranchement ; de plus, il y en a dix à chaque porte du camp.

La cavalerie fait les rondes. Quatre cavaliers du premier escadron se rendent à la tente du tribun, de qui ils apprennent par écrit quels postes ils doivent visiter ; puis ils retournent au premier manipule des triaires, dont le centurion est chargé de sonner de la trompette à chaque heure que la garde doit être montée. Le signal donné, le cavalier à qui la première garde est échue, fait la ronde accompagné de quelques amis dont il se sert comme de témoins, et il visite non seulement les gardes postés au retranchement et aux portes, mais encore tous ceux qui sont à chaque compagnie de fantassins et de cavaliers. S’il trouve les sentinelles de la première veille sur pied et alertes, il reçoit d’elles une petite pièce de bois sur laquelle est écrit le nom de la légion, le numéro du manipule et de la centurie dont les soldats en faction font partie. Si quelqu’une est endormie ou absente, il prend à témoin ceux qu’il a amenés et se retire. Les autres rondes se font de la même manière. A chaque veille, on sonne de la trompette, afin que ceux qui doivent faire la ronde et ceux qui font la garde soient avertis en même temps.

Ceux qui ont fait la ronde portent dès le matin au point du jour, au tribun, les petites pièces de bois qu’ils ont recueillies. S’il n’en manque aucune, on n’a rien à leur reprocher, et ils se retirent. S’ils en rapportent moins qu’il n’y a eu de gardes, on examine ce qui est écrit sur chacune d’elles, quelle garde ne s’est point trouvée à son poste et l’on appelle le centurion et les hommes de garde pour les confronter avec l’homme de la ronde qui produit ses témoins, sans quoi il porte seul toute la peine. On assemble ensuite le conseil de guerre. Les tribuns jugent, et le coupable est passé par les verges.

Ce châtiment s’inflige ainsi : le tribun prenant une baguette ne fait qu’en toucher le criminel ; et aussitôt tous les légionnaires fondent sur lui à coups de verges et de pierres en sorte que le plus souvent il perd la vie dans ce supplice. S’il n’en meurt pas, il reste noté d’infamie. Il ne lui est pas permis de retourner dans sa patrie, et personne de ses parents ou de ses amis n’oserait lui ouvrir sa maison. Une punition si sévère fait que la discipline à l’égard des gardes nocturnes est toujours exactement observée. Le même supplice est infligé à ceux qui volent dans le camp, qui rendent un faux témoignage, se prêtent à quelque infamie, ou ont été repris trois fois de la même faute. Il y a aussi des notes d’infamie pour celui qui se vante aux tribuns d’un exploit qu’il n’a pas fait, qui abandonne son poste ou jette ses armes pendant le combat. Aussi les soldats, dans la crainte d’être punis ou déshonorés, bravent-ils tous les périls ; attaqués par un ennemi de beaucoup supérieur en nombre, ils restent inébranlables à leurs postes. D’autres, après avoir perdu par hasard leur bouclier ou leur épée dans le combat, se jettent au milieu des ennemis pour recouvrer ce qu’ils ont perdu ou pour éviter par la mort les reproches de leurs camarades et la honte attachée à la lâcheté[36].

S’il arrive que des manipules entiers aient été chassés de leur poste, le tribun assemble la légion ; on lui amène les coupables ; il les fait tirer au sort, et tous ceux qui amènent les chiffres 10, 20, 30, etc., sont passés par les verges. Le reste est condamné à ne recevoir que de l’orge au lieu de blé, et à camper hors du retranchement, au risque d’être enlevé par l’ennemi. Cela s’appelle décimer. Pour les soldats, au contraire, qui se sont distingués soit dans un combat singulier, avec la permission du général, soit dans une escarmouche où le chef n’imposait pas l’obligation de combattre, le consul réunit encore la légion, fait approcher ceux qu’il veut récompenser, et, après leur avoir décerné de grands éloges, il fait présent d’une lance à celui qui a blessé l’ennemi, d’une coupe ou d’un harnais à celui qui l’a tué et dépouillé.

Après la prise d’une ville, ceux qui les premiers sont montés sur la muraille reçoivent une couronne d’or[37]. Il y a aussi des récompenses pour les soldats qui sauvent des citoyens ou des alliés. Ceux qui ont été délivrés couronnent eux-mêmes leur libérateur. Ils lui doivent, pendant toute leur vie, tin respect filial et tous les devoirs qu’ils rendraient d un père. Les légionnaires qui ont reçu ces récompenses ont droit, au retour de la campagne, de se présenter clans les jeux et dans les fêtes, vêtus d’un habit qu’il n’est permis de porter qu’à ceux dont les consuls ont honoré la valeur. Ils suspendent encore, aux endroits les plus apparents de leurs maisons, les dépouilles qu’ils ont remportées sur les ennemis, pour être des monuments de leur courage.

Tels sont le soin et l’équité avec lesquels on dispense les peines et les honneurs militaires. Doit-on être surpris, après cela, que les guerres entreprises par les Romains aient un heureux succès ?

Après une victoire ou la prise d’une ville, le partage du butin se fait avec la même régularité. Une moitié des soldats gardent le camp ; les autres se dispersent pour le pillage, et chacun rapporte à sa légion ce qu’il a pu prendre. Ce butin est vendu à l’encan, et les tribuns se partagent également le prix entre tous, y compris les malades et ceux qui sont absents par ordre.

La solde du fantassin est de deux oboles par jour[38]. Les centurions ont le double, les cavaliers le triple ou une drachme. La ration de pain pour l’infanterie est des deux tiers d’un médimne attique de blé par mois, celle du cavalier de 7 médimnes d’orge et de 2 de blé[39]. L’infanterie des alliés a la même ration que celle des Romains ; leur cavalerie, 1 médimne et un tiers de blé et 5 d’orge. Cette distribution se fait aux alliés gratuitement ; mais, à l’égard des Romains, on leur retient sur la solde une certaine somme marquée pour les vivres, les habits et les armes, qu’on doit leur donner.

Comme le camp est toujours disposé de la manière qui vient d’être dite et que chaque corps y occupe la même place, il suffit que l’armée, en arrivant au lieu où elle doit camper, voie flotter le drapeau blanc qui marque l’emplacement de la tente du consul, pour que tous les manipules sachent où ils devront s’arrêter. Les soldats s’y rendent comme ils entreraient dans leur cité natale, chacun allant droit à sa demeure, sans pouvoir se tromper. Aussi les Romains n’ont pas besoin de chercher comme les Grecs, un lieu fortifié par la nature ; ils peuvent camper partout, et partout, quand l’ennemi a voulu tenter une surprise nocturne, il les a trouvés établis dans une forteresse où l’on faisait bonne garde[40].

On voit qu’il n’est pas question, pour l’armée de ce temps, de la répartition des soldats selon l’ordre des classes. La légion du premier siècle de la république était constituée aristocratiquement d’après la fortune. Après l’établissement de la solde en 400, et probablement depuis les réformes de Camille, les distinctions établies ou réglées par le roi Servius avaient dû disparaître, et l’égalité semblait régner au camp comme au Forum. L’âge et la force décidaient de la place que le soldat aurait dans le rang. Mais Rome tenait trop à ses anciens usages pour les oublier tout en les modifiant. Les riches qui, dans l’infanterie, ont une armure complète, fournissent seuls tous les cavaliers, ceux qui se montent à leurs frais, equo privato, à qui l’État donne 7 médimnes d’orge par mois, et ceux qui reçoivent de lui un cheval, equus publicus, avec une allocation pour l’entretenir, æs equestre, équivalent de la ration accordée aux autres en nature. Les pauvres ne sont reçus que dans les vélites, sortes d’enfants perdus qui ne comptent pas pour l’action sérieuse, et les indigents sont enrôlés seulement dans les temps de grave péril[41]. Leur service à l’armée est donc une exception qui deviendra la règle à partir de. Marius, c’est-à-dire au temps où les ambitieux croiront que les plus pauvres sont les meilleurs auxiliaires[42]. A l’époque des guerres Puniques, l’armée était encore l’image de la patrie ; dans deux siècles elle ne le sera plus.

Notons aussi que nul peuple dans l’antiquité n’a si fidèlement rempli l’obligation du service militaire. On peut dire que, de la bataille du lac Régille à celle de Zama, les Romains furent une armée toujours sur pied. Pour être élevé par eux à une magistrature civile, il fallait avoir été soldat, et cette coutume durera jusqu’à la fin des Antonins. Lorsque, au troisième siècle de notre ère, les fonctions civiles furent séparées des fonctions militaires, ce qui restait de l’esprit de la vieille Rome disparut, et le règne des aventuriers commença.

 

IV. — RÉSUMÉ.

Ainsi, au cœur de l’Italie, au milieu de populations domptées, désunies et surveillées, s’élevait un peuple, fort de son union et de ses mœurs, qui, après avoir mis près de deux siècles à faire sa constitution et son armée, avait, en moins de quatre-vingts ans, soumis et organisé la péninsule entière, du Rubicon au détroit de Messine. Devant ce grand spectacle, devant ces résultats de l’activité et de la prudence humaines, nous souvenant de ce que Rome avait d’abord été, nous dirons, avec Bossuet : De tous les peuples du monde, le plus fer et le plus hardi, mais tout ensemble le plus réglé dans ses conseils, le plus constant dans ses maximes, le plus avisé, le plus laborieux, enfin le plus patient a été le peuple romain. De tout cela s’est formée la meilleure milice et la politique la plus prévoyante, la plus ferme et la plus suivie qui fut jamais.

Voilà de bien glorieuses destinées et une bien grande histoire. Cependant si, dans Rome, nous avons trouvé beaucoup de grands citoyens, nous ne saurions dire que nous y ayons jusqu’à présent trouvé un seul grand homme. Cet empire était, comme Bossuet le montre malgré lui-même, l’œuvre du temps, des circonstances historiques et de la sagesse collective du sénat et du peuple. L’union de ceux qui délibéraient à la curie et de ceux qui votaient au comice, l’esprit de sacrifice et l’esprit de discipline, c’est-à-dire les grandes vertus civiques, voilà ce qui a donné aux Romains la victoire sur les Samnites et l’Italie ; ce qui leur donnera la victoire sur Carthage et le monde. Cette histoire est donc le triomphe du bon sens appliqué avec persévérance aux choses publiques ; elle est aussi la plus éclatante protestation contre la vieille doctrine du gouvernement du monde par les dieux et contre la théorie nouvelle qui attribue tout le progrès humain aux grands hommes. Ils font beaucoup assurément ; et dans les œuvres de l’art et de la pensée, ils font tout mais en politique, il n’y a de grands hommes que ceux qui sont la personnification des besoins de leur temps et qui dirigent les forces sociales dans le sens où ces forces allaient d’elles-mêmes. Nous verrons un jour Rome, incapable de conduire ses destinées, s’abandonner aux mains de ses chers militaires ; mais, pendant un siècle encore, ses institutions et son vieil esprit la préserveront de ces guides dangereux.

 

 

 

 



[1] Tite-Live, Épitomé, XIV. Il le fut peut-être pour ses rapines. La réponse que lui fit Fabricius (Cicéron, de Orat., II, 66) le représente comme un pillard.

[2] Pline, Hist. nat., XVIII, 4.

[3] Valère Maxime, IV, IV, 6 et 11. Le triomphe de Curius introduisit, au dire de Florus, de grandes richesses dans la ville ; l’argent se trouva bientôt assez abondant pour que, trois ans après la prise de Tarente, on frappât de la monnaie d’argent. Jusqu’alors il n’y avait eu que des as d’airain. Polybe (XVIII, 2) célèbre encore la pauvreté de Paul Émile et de Scipion Émilien.

[4] Eo anno plerisque dies dicta ab ædilibus, quia plus quam quod lege finitum erat, agni possederent (Tite-Live, X, 13).

[5] Bossuet, Disc. sur l’hist. univ., IIIe partie, chap. VI.

[6] A propos des consuls, Cicéron dit la célèbre et dangereuse maxime : ollis salus populi suprema lex esto. C’était une justification indirecte de son consulat.

[7] C’est le sénat qui autorisait le consul à prendre dans le trésor l’argent nécessaire pour couvrir les frais de cette solennité. (Polybe, VI, 5.)

[8] Postumius fut, au sortir de charge, condamné à payer 500 000 as. Tite-Live, Épitomé, XI ; Camille avait failli être frappé de la même amende.

[9] Ce temple, voué par Appius en 296 (Tite-Live, X, 19, et Pline, XXXV, 3), fut bâti hors de la ville, dans le Champ de Mars. Le sénat s’y réunissait pour recevoir lis ambassadeurs étrangers et les consuls qui lui demandaient le triomphe. A l’entrée de ce temple était la colonne que le fécial frappait d’un javelot quand l’ennemi était trop loin pour qu’il pût lui porter la déclaration de guerre du peuple romain.

[10] En Angleterre aussi le peuple s’occupe peu des affaires extérieures, dont il laisse généralement aux ministres la direction.

[11] Montesquieu, Esprit des lois, V, 3. Légalement, le pouvoir législatif du sénat ne s’exerçait que pour les affaires administratives. Mais la limite était bien difficile à fixer, et on voit plus d’un sénatus-consulte empiéter sur le terrain de la loi. Le sénat s’attribua même plus tard le droit de dispenser de l’observation des lois (Cicéron, pro lege Man., 21). Sur, es formalités suivies polir la rédaction d’un sénatus-consulte, voyez Foucart, Mém. sur un sénatus-consulte inédit de l’an 170.

[12] On verra plus loin comment Fabius Buteo compléta le sénat après Cannes. Aussi les sénateurs sont-ils souvent représentés comme élus par le peuple (Tite-Live, IV, 4 ; Cicéron, pro Sextio, 65, pro Cluent., 56). Dans le de Legibus (III, 3), Cicéron dit que le sénat doit se composer de tous les anciens magistrats, et Sylla rendit une loi dans ce sens. Cependant les censeurs pouvaient inscrire sur leur liste qui bon leur semblait, mais la loi Ovinia les obligeait d’appeler d’abord les anciens magistrats. C’est là ce qui faisait du sénat une assemblée si expérimentée.

[13] Tite-Live, IX, 9. Le préteur Lentulus, complice de Catilina, ne put être poursuivi qu’après qu’il se fut démis de sa charge. (Cicéron, Catilinaires, III, 6.)

[14] En tête de la constitution romaine, Cicéron (de Leg., III, 5) place le droit sacré de l’appel.

[15] Le peuple réuni par tribus nommait les tribuns, les édiles, les questeurs, une partie des tribuns lésionnaires, les chefs des colonies, les commissaires pour les lois agraires, les duumvirs maritimes (Aulu-Gelle, XIII, XV ; Tite-Live, VII, 5 ; IX, 30). Il délibérait dans les conciones et votait dans l’assemblée des tribus (plebiscitum) : sur les propositions des tribuns, lesquelles touchaient quelquefois aux plus graves intérêts de l’État ; sur la concession du droit de cité (Tite-Live, XXXVIII, 36) ; sur les attributions des magistrats (Tite-Live, XXII, 25, 26, 30). Flaminius leur fera voter sa loi agraire. Elles avaient aussi un pouvoir judiciaire (Tite-Live, XXVI, 3, 4 ; Appien, Bell. Civ., I, 31). Dans les assemblées centuriates, le peuple, comme puissance législative, fait les lois, décide de la paix et de la guerre, ratifie les traités et reçoit les comptes des magistrats ; comme corps électoral, il nomme aux grandes charges ; comme tribunal suprême, il reçoit l’appel de tous les magistrats, prononce sur la vie des citoyens, sur le crime de royauté et de haute trahison (Tite-Live, VI, 20 ; XXVI, 3 ; Cicéron, de Leg., III, 4, 19 ; pro Sext., 44, 51). Mais nous savons que dans ces assemblées les riches et la classe aisée dominent, et que la multitude est réduite à un rôle sans importance.

[16] Polybe, VI, 7-11. J’aurais pu le citer presque pour chaque phrase de ce tableau de la constitution romaine. Quand on en rapproche celui qu’a tracé Cicéron dans son traité des Lois (III, 3), on voit que le premier a été écrit par un homme d’État, le second par un jurisconsulte et par un philosophe qui, dans le premier livre au moins, se préoccupe d’une chose dont l’ancienne Rome n’avait nul souci, le droit naturel.

[17] Cf. Tite-Live, passim ; Plutarque, dans la Vie de Coriolan, et le curieux livre de Quintus Cicéron, de la Demande du consulat.

[18] Censores populi ævitates, soboles, familias ; pecuniasque censento, urbis tecta, templa, vias, aquas, ærarium, vectigalia tuento, populique partes in tribus discribunto ; exin pecunias, ævitates, ordines partiunto, equitum peditumque prolem describunto, cœlibes esse prohibento, mores populi regunto, probrum in senatu ne reliquunto. Bini sumo.... (Cicéron, de Leg., III, 3).

[19] Montesquieu, Esprit des lois, liv. XI, chap. XVI.

[20] La phalange macédonienne n’avait que sa force d’impulsion, les armées barbares que le courage individuel de leurs soldats. Dans l’une, l’individu n’était rien, et la masse tout ; dans les autres, la masse rien, et l’individu tout. La légion, par sa division en manipules, laissait tout son essor au courage individuel, et conservait à la masse toute son action. Annibal rendit lui-même hommage à l’organisation des armées romaines, en armant ses vétérans comme les légionnaires. (Polybe, XVIII, 11.)

[21] On a toujours dit que Pyrrhus avait appris aux Romains à dresser un camp. La description de Polybe fait songer à l’urbs quadrada des Étrusques, et il oppose lui-même la régularité d’un camp romain à la confusion qui règne dans un camp grec.

[22] Au retour de chaque campagne, les enseignes étaient déposées dans l’œrarium.

[23] Fragment du livre VI, 19-42.

[24] En 207, la levée étant de vingt-trois légions, les comices nommèrent les vingt-quatre tribuns des quatre premières légions, les consuls désignèrent tous les autres. (Tite-Live, XXVII, 30.)

[25] D’après Tite-Live (VIII, 8), cinq mille était le chiffre normal ; plus tard, on arriva à six mille hommes. Cf. Tite-Live, XLII, 31, et Suidas, s. v. λεγεών... έξαxιοχίλιοι.

[26] Ce serment s’appelait sacramentum, parce que celui qui le prêtait devenait sacré ou dévoué aux dieux infernaux, s’il le rompait. Sénèque disait encore : primum militiœ vinculum est religio et signorum amor et deserendi nefas (Lettres, 95).

[27] Le pied grec = 0m,308 1/4 il avait donc un ½ pouce de moins que notre ancien pied ; le doigt = 0,010 (ou 1/16 du pied), le spithame = 0,231 (12 doigts ou ¾ du pied) ; la cordée = 0,462 (ou 1 pied ½).

[28] Tite-Live, XXVI, 4, dit que les vélites avaient chacun sept de ces javelots.

[29] Cette épée dont parle Polybe était l’épée espagnole adoptée par les Romains durant la seconde guerre Punique, comme ils doivent avoir pris le pilum aux Étrusques. On a trouvé à Vulci, au milieu de vieilles armes étrusques, un fer de pilum.

[30] Cela ferait 6 coudées ou 2m,77 ; mais comme une partie du fer entrait dans le bois où il était maintenu par une douille, le pilum était notablement plus court. Polybe le fait aussi trop lourd par l’épaisseur qu’il lui donne, à moins qu’il n’ait voulu parler du pilum murale qui jouait le rôle de nos fusils de remparts, lesquels sont beaucoup plus gros que le fusil ordinaire. Nous verrons les changements faits par Marius et César au pilum, l’arme avec laquelle les Romains ont conquis le monde.

[31] La légion avait donc trente manipules divisés en deux centuries, commandées chacune par un centurion, de sorte qu’il y avait soixante de ces officiers par légions. Le centurio prior commandait le premier manipule et se plaçait en tête de l’aile droite ; le centurio posterior lui servait de lieutenant, au besoin, le remplaçait et avait son poste de combat à l’aile gauche. Le signe distinctif du centurion était un cep de vigne, dont il pouvait frapper les soldats ; les alliés, en cas de faute, étaient battus de verges : quem militem extra ordinem deprehendit, si Romanus esset, vitibus, si extraneus, fustibus cecidit (Tite-Live, Épitomé, LVII). Une cohorte était la réunion d’un manipule des hastats, d’un autre des princes, d’un troisième des triaires, chacun avec les vélites qui en dépendaient. La cohorte était donc une réduction au dixième de la légion entière. (Cincius ap. Aulu-Gelle, XVI, IV.)

[32] Avant Marius, les Romains mettaient l’image du loup sur leurs enseignes (Pline, Hist. nat., X, 4.)

[33] Les cavaliers n’avaient pas d’étriers et s’exerçaient à sauter à cheval tout armés. (Végèce, I, 17.)

[34] Les tentes, faites de peaux soutenues par des perches, devaient contenir chacune dix hommes.

[35] Le camp était défendu par un fossé large de 9, 11, 12, 13 ou 17 pieds, profond de 8 ou 9. La terre qu’on en avait tirée était rejetée à l’intérieur du camp, de manière à former un parapet haut de 4 pieds dans lequel étaient plantées des palissades fortement entrelacées. Les vivandiers et les valets campaient en dehors des portes dans les procestria.

[36] Le consul Petilius ayant été tué en 176 par les Ligures, le sénat décida que la légion qui n’avait pas su défendre son général ne recevrait pas la solde de l’année et que cette campagne ne serait comptée à personne quia pro salute imperatoris hostium tellis non obtulerant, parce qu’on ne s’était pas jeté au-devant des traits de l’ennemi pour sauver le général. (Valère Maxime, II, VII, 15.) Cf. Tite-Live, XLI, 18.

[37] La couronne obsidionale a été longtemps faite seulement de gazon.

[38] L’obole était 1/6 de la drachme, et Polybe regarde la drachme grecque comme égale au denier romain, qui continua d’être considéré, pour la solde des troupes, comme valant 10 as, quand, à partir de 218 (Pline, Hist. nat., XXXIII, 13), il en valut 16 dans le commerce. Pour une année de 360 jours, la solde du fantassin était donc de 120 deniers, celle du centurion et du cavalier de 240 et 360 deniers. Le denier contenant vers ce temps 58 grains de fin (Hussey, Ancient weights) avait une valeur absolue de 0,88 centimes et une valeur potentielle beaucoup plus grande. M. de Witte porte la valeur intrinsèque des premiers deniers, taillés à raison de 72 à la livre, à 1f,01 ; ceux du deuxième, dont on en taillait 84 à la livre, à 0f,82 2/3.

[39] Le médimne égalant 51lit,70, et le modius romain n’en étant que la sixième partie, 2/3 de médimne ou 4 modii donnaient 34 litres ½ ; soit, environ, 26 kilogrammes de pain, c’est-à-dire plus que la ration de nos soldats qui est de 750 grammes par jour, ou de 22 kilos ½ par mois, en ne comptant pas les 150 grammes de pain de soupe. Les Français, pris en masse, bien qu’ils soient les plus grands mangeurs de pain de l’Europe, n’en consomment en moyenne que 500 grammes par tête et par jour.

[40] Comparez avec cette description celle que Flavius Josèphe (Bell. Jud., III, 5) donne plus de deux siècles après Polybe.

[41] L’État leur donnait une épée et un bouclier.

Proletarius publicitus scutisque feroque

Ornatur ferro.

(Ennius, ap. Aulu-Gelle, XVI, X).

[42] .... et homini potentiam quærenti egentissimus quisque opportunissimus (Salluste, ap. Aulu-Gelle, ibid.).