HISTOIRE DES ROMAINS

 

TROISIÈME PÉRIODE — GUERRE DE L’INDÉPENDANCE ITALIENNE OU CONQUÊTE DE L’ITALIE (343-265)

CHAPITRE XVII — ORGANISATION DE L’ITALIE PAR LES ROMAINS.

 

 

I. — LE DROIT DE CITÉ ET LES TRENTE-CINQ TRIBUS.

Tandis que Rome soumettait l’Italie, les Grecs renversaient la monarchie persique. A ceux-ci, quelques années d’une vie d’homme avaient suffi pour dominer de l’Adriatique à l’Indus. A Rome, il fallut un siècle pour s’étendre du Rubicon au détroit de Messine. Si elle n’avançait que pas à pas, du moins ce qu’elle avait une fois saisi, elle savait le garder ; et la Grèce, au bout de quelques générations, avait tout perdu, jusqu’à sa liberté.

Dans cet immobile Orient où les gouvernements passent comme l’eau des fleuves qui va se perdre au désert, mais où les mœurs persistent comme l’immuable nature, la révolution qui transféra l’empire des Perses aux Macédoniens n’eut pas de suites durables, et ce vieux monde n’en fut agité qu’à la surface. Pour organiser après avoir vaincu, pour rétablir après avoir détruit, les Grecs ne se trouvèrent ni assez nombreux ni assez forts. Restés, après Alexandre, sans direction ; perdus, pour ainsi parler, au milieu des populations asiatiques, ils n’exercèrent sur elles qu’une faible influence, et, par leurs imprudentes divisions, ils encouragèrent leurs révoltes. Ce que le conquérant aurait su faire peut-être, serrer en un seul faisceau tous ces peuples dont, en tombant, la monarchie persique avait brisé les liens, aucun de ses successeurs ne le tenta. Là, comme ailleurs, la Grèce fut convaincue d’impuissance à rien organiser de grand, en dehors des petites cités que ses politiques et ses philosophes trouvaient encore trop vastes. Dans l’ordre politique, il ne résulta donc de cette conquête qu’une immense confusion ; et si, dans l’ordre moral, il s’établit entre ces hommes de deux mondes jusqu’alors séparés un heureux échange de doctrines, si, de la comparaison de leurs systèmes philosophiques et religieux, il sortit un riche développement intellectuel, l’Occident seul en profita, parce qu’à l’occident Rome sut établie l’ordre et l’unité de pouvoir.

La république romaine croit lentement. Son territoire ne s’étend qu’à mesure que sa population augmente ; et avant de faire d’un pays une province, elle s’y prépare de longue main des appuis ; elle y forme à l’avance une population romaine, romaine par ses intérêts ou par son origine. Au milieu de vingt peuples indépendants, elle lance une colonie, sentinelle perdue qui veille toujours sous les armes. De telle cité, elle fait son alliée ; à telle autre, elle accorde l’honneur de vivre sous la loi quiritaire ; à celle-ci avec, le droit de suffrage, à celle-là en lui conservant son propre gouvernement. Municipes de divers degrés, colonies maritimes, colonies latines, colonies romaines, préfectures, villes alliées, villes libres, toutes isolées par la différence de leur condition, toutes unies par leur égale dépendance du sénat, elles forment comme un vaste réseau qui enlacera les peuples italiens, jusqu’au jour oit, sans luttes nouvelles, ils s’éveilleront sujets aie home. Donnons-nous à loisir le spectacle de cette politique, qui fit d’une petite ville le plus grand empire du monde[1].

Le patriotisme ancien avait quelque chose de matériel et d’étroit. La patrie qu’on pouvait voir et toucher, dont on embrassait d’un regard l’étendue, du haut du cap Sunium, du mont Taygète ou du Capitole, était la patrie véritable, l’autel et les foyers pour lesquels il fallait mourir : pro ares et focis. Mais ces liens invisibles d’un même idiome, d’idées, de sentiments, de mœurs et d’intérêts communs, ce patriotisme, né de la fraternité chrétienne et de la civilisation moderne, nul, dans l’antiquité, ne le connut. Chacun était de sa tribu, de son canton ou de sa ville. Comme Sparte, Athènes et Carthage, comme toutes les républiques conquérantes dé l’antiquité, Rome n, voulait pas que la souveraineté fût transférée hors de son forum et di’ sa curie. Ces villes n’étaient point des capitales, mais l’État tout entier. Il n’y avait de citoyens[2] que dans leurs murs ou sur l’étroit territoire qui les entourait : au delà c’étaient des terres conquises et des sujets. Aussi, Sparte, Athènes et Carthage, qui ne renoncèrent jamais à cet orgueil municipal, ne furent jamais que des villes, et périrent[3]. Rome, qui l’oublia souvent, devint un grand peuple et vécut douze siècles.

La sagesse politique des Romains ne s’éleva point cependant jusqu’à l’idée de créer une nation italienne. Ôter aux vaincus le droit d’agir extérieurement en peuple libre, parce que Rome veut, dans son intérêt, supprimer en Italie les guerres locales, comme, plus tard, elle les supprimera dans le monde ; les placer dans des conditions variées de dépendance pour qu’une pression inégale empêchât un concert dangereux ; enfin les faire servir à la sécurité et à la grandeur romaines, en exigeant leur assistance contre tout ennemi étranger, telle fut la pensée du sénat, quand les légions lui eurent donné l’Italie à gouverner. Pour comprendre et régler cette situation, le sénat n’eut qu’à se souvenir. Veux idées fort anciennes inspirèrent sa conduite : quant aux droits politiques, il mit les Italiens, à l’égard du peuple romain, dans la condition où les plébéiens avaient été si longtemps vis-à-vis des patriciens : il en fit un peuple subordonné ; quant à la commune défense, il leur imposa le râle que les Latins et les Herniques avaient rempli, après le traité de Spurius Cassius : il en fit les gardiens de sa fortune et les instruments de sa puissance.

L’origine de Rome, en effet, son histoire et la politique qui, sous les rois, avait ouvert la cité aux vaincus ; sous les consuls, la curie aux plébéiens, avaient appris au sénat que la force seule ne fonde rien de durable et que l’on ne peut tenir qu’un moment le pied sur la gorge du vaincu. Implacable sur le champ de bataille, Rome n’a de pitié ni pour les chefs ennemis tombés dans ses mains, ni pour la ville livrée à sa merci. Elle tue froidement et fait des guerres d’extermination, à la suite desquelles il se trouve que des peuples entiers ont disparu. A d’autres, elle prend une partie de leur territoire ; c’est la guerre antique dans toute sa dureté. Mais, après la victoire, point d’oppression tyrannique ; elle laisse à ses sujets leurs lois, leurs magistrats, leur religion, c’est-à-dire toute leur vie municipale ; point de tribut, ce signe persistant et douloureux de la défaite et de la servitude ; point d’extorsions fiscales ni de levées arbitraires de soldats : dans le cas d’un danger commun, ils fourniront des subsides ; en hommes et en argent d’après les règles établies pour les Romains eux-mêmes. S’ils ont perdu leur indépendance, ils sont devenus men1res d’un puissant État qui fait rejaillir sur eux l’éclat de son nom, et, les plaies de la guerre cicatrisées, ils seront certainement plus heureux qu’avant leur défaite, puisqu’ils auront la paix et la sécurité ait lieu de fréquents combats et de perpétuelles alarmes[4].

Le peuple souverain des Quirites est toujours celui du Forum, et il ne peut exercer ses droits que dans l’enceinte sacrée du pomerium[5], mais, dans cette enceinte, les vaincus seront admis peu à peu, à mesure que, par une longue communauté d’action, et d’intérêts, ils se seront pénétrés de l’esprit de Rome. Les plus braves et les plus voisins de la ville y entrèrent d’abord. C’était sans doute pour les Romains partager les profits de la victoire ; c’était aussi, en doublant leur nombre, s’assurer des victoires nouvelles et des conquêtes durables. De 384 à 264, douze tribus furent créées et l’ager Romanus s’étendit de la forêt Ciminienne jusqu’au milieu de la Campanie. Sur ce territoire les censeurs vont compter 292.334 hommes en état de combattre[6], c’est-à-dire une population de 1.200.000 âmes, qui, serrée autour de Rome, sera certainement assez forte pour tenir en respect le reste de l’Italie[7]. Deux siècles auparavant la population militaire ne dépassait pas 124.214 hommes[8]. Malgré les pertes des guerres gauloise et samnite, la force de Rome en citoyens, et par conséquent en soldats, s’est donc accrue dans la proportion de 1 à 3.

Le vieux peuple romain compte à peine pour moitié dans ce nombre.

Mais ses 21 tribus[9] lui donnent 21 suffrages et les nouveaux citoyens, peut-être plus nombreux, en comptent 12 seulement : les districts de l’Étrurie méridionale, romains depuis 387, ont 4 voix ; les Latins, les Volsques, les Ausones et les Èques, 2 chacun ; les Sabins, en 241, ne formeront non plus que 2 tribus[10]. Ajoutons que, pour le vote dans les centuries, l’éloignement de Rome des nouveaux citoyens ne leur permettra pas, à moins de déplacements coûteux, d’assister aux comices. Ainsi, tout en doublant ses forces militaires, tout en déclarant membres de l’État souverain Ies peuples établis autour d’elle jusqu’à 50, 60 ou 100 milles de ses murs, Rome réserve prudemment à ses anciens citoyens leur légitime influence. Elle contente la vanité de ses sujets, sans altérer le caractère fondamental de s constitution ; elle reste une ville, et elle est déjà presque un peuple : elle a la force du nombre et celle de l’unité.

Cette union cependant ne fut jamais si complète qu’il ne restât aux portes mêmes de Rome des villes indépendantes. Partout le territoire des 35 tribus, ager Romanus, était coupé de territoires étrangers, ager peregrinus. A Tibur, à Préneste, les exilés romains trouvaient un asile inviolable, car la loi qui leur interdisait l’eau et le feu ne pouvait les frapper hors des terres de la république[11]. Tout en frisant de son forum le seul théâtre des discussions politiques, le seul lieu, de l’Ombrone au Vulturne, où pussent se produire les grandes ambitions et les grands talents, le sénat avait voulu laisser quelque aliment à ce vieil amour des Italiens pour leur indépendance municipale. Maintes villes du Latium, nomen Latinum[12], restaient donc des cinés étrangères, bien que rattachées par des liens divers à la grande association de peuples et de cités qui formaient la république romaine. Moins durement traités, en général, que les autres peuples de l’Italie, entourés de citoyens romains, ayant les mêmes intérêts matériels, la même langue, les mêmes mœurs, souvent les mêmes lois civiles, avec le droit d’échange, jus commercii et de nombreuses facilités pour obtenir le droit de cité, les Latins n’avaient pas d’autres sentiments que ceux des citoyens de Rome. L’élection de leurs magistrats et de leurs sénateurs (décurions), la liberté qui leur était laissée dé faire des lois d’intérêt local, d’administrer leurs revenus, de battre monnaie[13], de veiller au culte et à la police de leur ville[14], entretenaient la vie dans ces petites cités. Leur tribune, moins retentissante que la tribune romaine, n’était pas moins passionnée. Avant de voir à Rome la rivalité de Marius et de Sylla, Cicéron avait vu à Arpinum les luttes héréditaires de ses ancêtres et de ceux de Marius[15]. Mais ces consuls, ces censeurs municipaux, le sénat se gardait bien de les oublier dans leur municipe. Il avait établi que l’exercice d’une charge municipale donnerait le droit de cité romaine[16], rattachant ainsi a la fortune et aux intérêts de Rome tout ce qu’il y avait d’hommes riches, nobles ou ambitieux dans les villes latines. Pour désarmer les plébéiens, il avait appelé leurs chefs dans son sein ; pour désarmer les Latins, il appelait leur noblesse dans Rome.

Ce droit de cité, dont le sénat savait si bien se servir pour stimuler le zèle, récompenser les services et effacer ou adoucir le regret de la liberté perdue[17], impliquait, pour celui qui l’avait obtenu, l’autorité absolue sur ses enfants, sur sa femme, sur ses esclaves et ses biens, la garantie de la liberté personnelle, du culte, du droit d’appel et celui de suffrage jusqu’à 60 ans[18] ; l’aptitude aux emplois ; l’inscription sur les registres du cens et l’obligation du. service militaire dans les légions ; celui de la faculté d’acheter et de vendre suivant la loi des Quirites ; l’exemption de tout impôt, excepté de celui que payaient les citoyens[19] ; enfin le droit utile de participer à la jouissance des terres du domaine ou à l’adjudication des fermages publics ; en un mot, le bénéfice des lois civiles, politiques et religieuses des Romains. Parmi ces droite, les uns regardent la famille et la propriété : on les comprenait sous le nom de jus Quiritium ; les autres intéressaient l’État : c’est le jus civitatis ; tous réunis, ils formaient le droit de cité dans sa plénitude, jus civitatis optimo jure.

 

II. — MUNICIPES, PRÉFECTURES ET VILLES FÉDÉRÉES.

Aux Italiens restés en dehors des 35 tribus, le sénat conféra tantôt les droits civils, comme aux Cærites[20] après l’invasion gauloise, tantôt les droits politiques dans toute leur extension. Quelquefois le sénat n’accordait que le droit d’échange (commercium) ou de mariage (connubium), et dans ce cas les enfants suivaient la condition du père[21]. Loin d’avilir le droit de cité par une libéralité imprudente, le sénat le fractionnait, afin de varier les concessions qui lui permettaient de récompenser le zèle ou de punir la tiédeur, en mettant partout l’inégalité.

Ces concessions étaient faites parfois à un homme, à une famille, à une classe entière ; plus souvent, à toute une ville. On nommait municipes les villes ainsi agrégées à la grande société romaine. Il y en avait de trois sortes[22] :

1° Les municipes optimo jure, dont les habitants avaient tous les droits, toutes les obligations des citoyens romains. Leur gouvernement intérieur était calqué sur celui de Rome, mais ils cessaient d’être un État indépendant, civitas[23], puisqu’ils faisaient partie de la république et n’avaient pas le droit de battre monnaie, flue possédaient les villes fédérées et les colonies latines ;

2° Les municipes sans droit de suffrage, dont les habitants se trouvaient dans la même condition que les anciens plébéiens de Rome, portaient le titre de citoyens, servaient dans les légions, mais ne pouvaient arriver aux charges et ne votaient jamais[24] ;

3° Les villes ayant avec Reine un traité d’alliance qui les liait à sa fortune, sans changer leurs lois et leurs institutions.

Au-dessous des municipes venaient, dans cette hiérarchie sociale, les préfectures, qui n’avaient point de magistrats ; un préfet, envoyé de Rome chaque année, y rendait la justice et gérait toutes les affaires ; ces villes tombaient à l’état de simples bourgs, vici[25].

Les préfectures de cette sorte étaient des viles punies de leur trop grande puissance et de leurs révoltes, comme Capoue durant la seconde guerre Punique, ou des cités troublées par des dissensions intestines et qui demandaient à Rome un corps de lois et un préfet (1). Au moyen âge chaque république italienne avait aussi un podestat étranger. Du reste, parmi les préfectures, même diversité que parmi les municipes, et sans doute pour les mêmes raisons.

Les dedititii étaient plus maltraités encore : livrés par la victoire à la discrétion de Rome, ils avaient dû donner leurs armes et des otages, abattre leurs murailles ou recevoir garnison, payer un impôt et fournir un contingent déterminés par le sénat. D’après la formule de dédition conservée par Tite-Live, eux et leurs biens, même leurs dieux, devenaient la propriété du vainqueur. Les dedititii étaient les sujets de Rome.

D’autres ne portaient aucun de ces noms. Ils avaient avec Rome des traités d’amitié ou d’hospitalité publique qui faisaient de leurs citoyens, quand ils arrivaient au Forum, les hôtes du peuple romain et leur permettaient d’assister, en une place d’honneur, à ses fêtes religieuses. Ou bien encore une convention dont ils avaient débattu les termes les déclarait les libres alliés du peuple romain, civitates fœderatæ : illusion qui servait les desseins du sénat, sans rien ôter à sa puissance ! Tarente était libre, comme les cités herniques[26] ; mais ses murailles abattues, sa citadelle occupée par une légion romaine, disaient assez ce qu’était cette liberté. Naples était l’alliée de Rome, ainsi que Velia, Nole, Nucérie, les Marses, les Péligniens et quantité d’autres peuples, mais il lui fallait dans toutes les guerres donner des vaisseaux et une solde pour les troupes[27]. Les Camertins et les Héracléotes avaient traité sur le pied de l’égalité, æquo fœdere[28] ; Tibur, Préneste, avaient conservé tous les signes extérieurs de l’indépendance comme la plupart des cités étrusques et grecques, et semblaient des États étrangers. Mais ces alliés de Rome avaient promis de respecter la majesté romaine, ce qui leur interdisait toute entreprise contre la fortune du peuple romain[29]. Le terme d’ailleurs était assez vague pour que le sénat pût en faire sortir toutes les obligations qu’il lui plairait d’y voir, et, comme dans chaque ville, Rome s’était créé des amis en soutenant le parti des grands contre le parti populaire, dont on redoutait toujours quelque héroïque folie[30], que pouvait être cette égalité entre quelques villes obscures et la maîtresse de l’Italie ? Qu’était cette indépendance due seulement à la dédaigneuse ou habile modération du vainqueur ?

Telle fut donc la politique suivie par le sénat dans sa conduite à l’égard des vaincus : le respect des libertés locales dans toutes les cités où des circonstances particulières n’avaient pas commandé des rigueurs, mais point de mesures générales, elles auraient uni ce que le sénat voulait diviser. Au contraire, interdiction formelle de toute ligue, de tout commerce, de mariage même, entre les Italiens de cités ou de cantons différents[31] ; et pour chaque peuple qui se soumet ; des conditions particulières ; pour chaque ville, un traité spécial[32]. A juger d’après les apparences, on prendrait l’Italie pour une confédération d’États libres dont un, placé au centre, l’emporterait sur les autres seulement en puissance et en renommée. Le sort de la ligue latine nous a d’avance appris quel sera celui de la fédération italienne.

La défense qui rompait tout lien entre les cités était d’ordre politique et se comprend aisément ; celle qui n’autorisait pour l’Italien l’exercice du jus commercii que dans les limites de son territoire était d’ordre économique et eut de graves conséquences, qui n’apparaissent pas tout d’abord. Pouvant seuls acheter et vendre par toute la péninsule, en ne rencontrant que la concurrence très limitée des habitants du lieu où se faisait l’opération, les Romains eurent un privilège qui leur permit de réunir peu à peu dans leurs main une grande partie de la propriété foncière italienne. Cette prescription aida certainement beaucoup à la formation des latifundia, que nous verrons, dans les siècles suivants, constituer au profit des Romains d’immenses domaines cultivés par des armées d’esclaves.

Il y eut cependant des conditions communes à !toute l’Italie. Ainsi la prudence conseillait de ne point assujettir les Italiens à un impôt foncier, et cette exemption devint un des caractères du droit italique sous l’empire. Mais citoyens pleno jure, citoyens sine suffragio, alliés ou socii, fédérés, tous furent soumis au service militaire, que ces peuples belliqueux regardaient à peine comme une charge, et leurs contingents durent être levés, armés, soldés, peut-être même entretenus aux frais des villes[33], ce qui était juste, puisque Rome ne les demanda d’abord que pour la défense commune.

 

III. - COLONIES ET VOIES MILITAIRES.

Après avoir divisé les intérêts, il fallait empêcher qu’ils ne pussent se réunir : les colonies prévinrent ce danger.

Les colonies grecques furent quelquefois fondées dans un but commercial, comme les trois cents comptoirs de Milet, jamais dans un but politique, si ce n’est pour débarrasser la mère patrie d’un excès de population ou d’une foule turbulente. Ainsi que l’essaim chassé de la ruche, les colons devenaient étrangers à leur métropole[34], tout au plus lui devaient-ils, dans les choses religieuses, quelques marques de déférence et de respect filial. Le droit civil explique le droit politique ; à Athènes, le fils, inscrit dans la phratrie, devenait citoyen, et nul ne conservait d’autorité sur lui. A Rome, le père était maître de la vie et des biens de son fils, même sénateur, même consul. Pour la colonie née de Rome[35], l’émancipation non plus n’arrivait jamais. Du sénat elle recevait sa loi municipale ; son organisation intérieure était calquée sur celle de la mère patrie ; elle avait des sénateurs ou décurions, des consuls ou duumvirs, des censeurs ou duumvirs quinquennaux, mais en cas de guerre, elle devait verser dans le trésor romain un impôt, dans les légions jusqu’au dernier de ses hommes valides[36]. C’est que l’ancienne colonie romaine n’était véritablement qu’une garnison[37] envolée sur les terres de l’État, et, comme Machiavel la nomme, une sentinelle[38]. Elle ne s’établit pas au hasard[39], dans les contrées les plus fertiles, sur les bords d’un fleuve, en face d’un port. Elle a pour but non sa prospérité, mais la garde d’un territoire[40]. Au lieu de bâtir une ville à son choix, elle occupe, en des gorges étroites, sur des montagnes escarpées, de vieilles cités enceintes de bonnes murailles et qui commandent au loin le pays[41]. L’agrimensor, parti de Rome avec les colons en armes, tous vieux soldats[42], leur partage les maisons comme les terres. A l’origine, ils étaient peu nombreux ; dans les petites cités du Latium et de la Sabine, on voyait trois cents familles ; plus tard, quand il fallut occuper d’importantes positions militaires, ce furent de véritables armées qui partirent : six mille hommes allèrent à Bénévent, couvrir la Campanie ; plus encore à Venouse, menacer la Grande-Grèce, défendre l’Apulie, contenir les Lucaniens et les Samnites du Sud. On a cru qu’établis aux dépens des anciens habitants, et par conséquent entourés d’ennemis, les colons ne pouvaient déserter leur poste pour aller voter à Rome et que, comme aux soldats sous les drapeaux, la loi leur ôtait le droit de délibérer. Nous n’avons aucun témoignage attestant qu’ils n’aient pas conservé la plénitude des privilèges du citoyen romain. C’est que tout en les gardant, ils avaient bien autre chose à faire que de venir augmenter le bruit et la foule au Forum. La république leur demandait de rendre les conquêtes durables ; de surveiller les vaincus et de prévenir leurs révoltes, de porter par toute l’Italie la langue, les mœurs, les lois, le sang de Rome et du Latium[43]. Ils y réussiront si bien que, dans quelques années, naîtra au fond de l’Apulie celui que les Romains appelleront le père de leur littérature, Ennius noster, le poète qui chantera en 81 livres les hauts faits de leurs aïeux.

Suivant une coutume de la vieille Italie, là où les vaincus avaient été épargnés, les colons prenaient habituellement un tiers du territoire ; les indigènes se partageaient le reste et n’avaient plus dans leur propre ville qu’une situation inférieure, pareille à celle des plébéiens de Rome, quand ceux-ci étaient encore privés du jus suffragii et du jus honorum. Aussi les révoltes étaient fréquentes, et on a vu maintes fois les colons chassés ou surpris et massacrés par leurs sujets. Mais le temps et la communauté des intérêts effacèrent, comme à Rome, ces différences. Le populus et la plebs coloniale finirent par se confondre dans l’égalité des droits municipaux, à laquelle s’ajouta souvent l’égalité des droits avec home, en vertu d’un plébiscite qui inscrivait la ville dans une des trente-cinq tribus. Alors il n’y restait plus que la division naturelle entre les riches et les pauvres, les assidui et les ærarii, les honestiores et les humiliores, qui devaient former la grande division sociale dans les derniers temps de la république et sous l’empire.

Avec les Gracques commencera une nouvelle espèce de colonies, celle de pauvres à qui l’on donnera des terres ; une autre encore avec Marius et Sylla, celle de soldats, qui en obtiendront comme récompense militaire : deux faits très différents dont nous aurons à montrer les conséquences.

Pour compléter l’étude des anciennes colonies, voyons quels postes le sénat leur donnait à garder.

Jusqu’à la guerre du Samnium, Rome, plus occupée de trouver la paix au dedans que des conquêtes au dehors, n’avait formé qu’un petit nombre de ces établissements à la fois politiques et militaires. En Étrurie, Sutrium et Nepete, aux débouchés de la forêt Ciminienne ; chez les Rutules, Ardée et Satricum ; chez les Volsques, Antium, pour surveiller la côte ; Vélitres, Norba et Setia, pour tenir en respect la montagne.

Dans la guerre du Samnium, les légions avaient beau vaincre, la guerre n’eût jamais fini, si le sénat, par ses colonies, n’eût peu à peu acculé l’ennemi à l’Apennin. Par Terracine, sur la voie Appienne, il ferma la route de la Campanie dans le Latium ; par Frégelles , il barra la vallée du Trerus qui menait à Préneste et au mont Albain ; par Sora, Interamna, Minturnes, toutes sur le Liris, il couvrit le pays des Volsques et celui des Herniques.

Une seconde ligne défendit la première, Atina, Aquinum, Casinum, dans le pays montagneux qui sépare le Vulturne du Liris, fermèrent des passages que les Samnites avalent plusieurs fois suivis pour descende dans la vallée de ce dernier fleuve et de là tendre la main aux peuples soulevées du Latium. Vescia, Suessa Aurunca, Sinuessa chez les Aurunces, Thanum et Calès chez les Sidicins, gardèrent le pays entre le bas Liris et le Vulturne.

Cette double ligne, qui enveloppait le Latium au sud et au sud-est, se rattachait, à l’est, par Alba Facentia chez les Marses, Æsula et Carseoli chez les Èques, à l’importante position de Narnia, qui couvrait la route de l’Ombrie vers Rome, et aux colonies de l’Étrurie : Nepete, Sutrium, Cosa, Alsium et Frégelles. Derrière ce formidable rempart, Rome pouvait braver tous les ennemis. Annibal et Pyrrhus, qui le franchirent une fois, mais sans l’avoir brisé, n’osèrent s’arrêter au milieu de ce cercle redoutable.

Dans le reste de I’Italie, les colonies furent moins nombreuses : la population de Rome et de ses alliés latins n’aurait pu suffire à former tant de garnisons ; mais leur force et la position qu’on leur choisit leur permirent de rayonner au loin. Ainsi le Samnium n’en eut que deux : à Æsernia et à Bénévent, d’où partaient toutes les grandes routes de l’Italie méridionale ; le Picenum trois : Hadria, Firmuni, Castrum ; l’Ombrie quatre, échelonnées sur la route des Gaulois : Narnia, qui barrait la vallée moyenne du Tibre ; Spolète, qui couvrait cette place et la route de Rome ; Sena et Ariminum, tête de pont tournée contre les Cisalpins[44].

Dans la Campanie, les Grecs s’étaient montrés fidèles ; mais Capoue, toujours remuante, était serrée de près par les colonies de Saticula et de Calès ; au besoin, Casilinum, sur un rocher au bord du Vulturne et à deux pas de Capoue, pouvait recevoir garnison. L’Apulie fut gardée par Lucérie et par Venouse, qui mettait sur ses monnaies l’aigle de Jupiter tenant la foudre ; la Calabre, par Brindes et Valentia ; la cite de Lucanie par Pæstum. Plus au sud, Tarente, Locres, Rhegium, sur le détroit., et quelques autres places avaient des garnisons.

Pour relier ensemble tous ces postes, et transporter rapidement les légions sur les points menacés, de grandes voies militaires furent tracées d’une extrémité à l’autre de la péninsule. Au plus fort de la guerre Samnite, en 312, le censeur Appius avait commencé la voie Appienne, qui conduisit, à travers les marais Pontins, de Rome à Capoue. Ce grand exemple fut suivi, et dès que les censeurs purent appliquer aux travaux de la paix les ressources du trésor, on se mit à l’œuvre avec une telle activité, qu’avant la seconde guerre Punique la voie Valérienne traversait Tibur, les colonies de Carséoli et d’Alba, et ne s’arrêtait qu’à Corfinium, de l’autre côté de l’Apennin ; la voie Aurélienne longeait les côtes de l’Étrurie, et la voie Flaminienne allait du Champ de Mars à Ariminum, c’est-à-dire à l’entrée de la Cisalpine.

Par les voies Appienne et Latine, Rome se trouva alors en communication prompte et facile avec l’Italie inférieure ; par les voies Aurélienne et Flaminienne, avec l’Étrurie et l’Ombrie ; par la voie Valérienne, avec les pays du centre de l’Apennin. Les colonies, assises sur ces routes, pouvaient, en cas de danger, les fermer[45].

Le génie d’un peuple ou d’une époque se montre dans son architecture. La Grèce eut le Parthénon, ou la suprême élégance et la beauté idéale ; le moyen âge, les cathédrales de Reims et d’Amiens, ou les élans impétueux de la prière. La gloire architecturale des Romains est surtout dans leurs voies militaires dont le solide réseau enlaça l’Italie d’abord, plus tard le monde. Ce peuple ne regarde pas en haut ; ses yeux et ses mains sont fixés sur la terre ; mais au un ne l’a plus fortement saisie[46].

Outre les colonies militaires, envoyées dans les plus fortes places de l’Italie, Rome avait dans les campagnes des établissements d’un autre genre, et qui aidaient au même but, la propagation dans toute la péninsule de la race latine. L’ager Romanus s’arrêtait au Vulturne ; mais le reste de l’Italie était couvert de terres attribuées au domaine public du peuple romain. Les Bruttiens avaient cédé la moitié de la Sila[47] ; les Samnites et les Lucaniens, qui avaient reconnu la majesté du peuple romain ; les Sabins et les Picénins, dépouillés par Curius, les Sénons, exterminés par Dolabella, avaient perdu plus encore, et la moitié peut-être des meilleures terres de la péninsule était devenue propriété romaine. Les censeurs les avaient affermées[48] ; et des pâtres, des laboureurs romains, se répandant par tout le pays, allaient incessamment se mêler aux populations italiennes.

Afin d’assurer la rentrée de l’impôt mis sur les terres du domaine, le sénat partagea la péninsule en quatre grands départements, où furent envoyés quatre questeurs qui résidèrent à Ostie et à Calès pour les provinces qui regardent la mer Inférieure ; dans l’Ombrie et la Calabre pour les pays baignés par l’Adriatique[49].

Aux villes de diverse sorte que nous avons nommées se rattachent les cantons, pagi, et les gros bourgs, vici, qui avaient leurs magistrats annuels, les fora et les conciliabula. Dans les pays où la population n’était pas agglomérée, certains lieux devinrent le marché commun, forum, et le point de réunion, conciliabulum, de tout le canton[50]. Des communautés s’y formèrent, qui peu à peu devinrent des vici ou même des cités ; et le pâtre nomade des marais Pontins, comme le montagnard dont la hutte était cachée au fond des plus secrètes vallées de l’Apennin, fut rattaché à ce régime municipal dont Rome, tout en le respectant, se fit un instrument de domination.

 

IV. - SUPRÉMATIE RELIGIEUSE ; ROME GOUVERNE ET N’ADMINISTRE PAS.

La religion exerçait dans toute la péninsule une trop grande influence pour qu’en disciplinant l’Italie les Romains n’aient pas compris qu’il fallait aussi discipliner ses cultes. Nous avons vu qu’ils évoquaient à Rome les divinités protectrices des villes conquises ; quand ils laissèrent aux vaincus leurs dieux, ils soumirent leurs prêtres au contrôle des prêtres romains, qui revendiquèrent pour eux seuls la connaissance de la science augurale. Du Rubicon au détroit de Messine, il n’arriva pas un prodige qu’il ne fût aussitôt déféré par les peuples tremblants au sénat romain, interprété par ses augures, expié selon leurs prescriptions[51]. Par là, le clergé local fut dépossédé de son principal moyen d’influence, et les Romains tinrent l’Italie par la religion comme ils la tenaient par la politique et par les armes. Plus tard, bientôt même, nous verrons le sentiment religieux s’affaiblir et chez quelques-uns disparaître. Alors il était encore puisant, et les Romains donnaient l’exemple de la piété. On a compté de 302 à 290, dix temples bâtis par eux dans leur ville.

Les autres grands peuples de l’antiquité avaient bien su conquérir ; aucun ne sut conserver ses conquêtes, parce qu’aucun ne voulut oublier les droits que la victoire lui avait donnés. Sous ses rois, Rome appelait les étrangers dans son sein ; maintenant assez peuplée au gré du sénat, elle crée des citoyens romains hors de ses murs, et, pour stimuler le zèle, elle fait briller aux yeux de tous ce titre qui fait monter au rang des maîtres de l’Italie, qui libre d’impôts[52], ouvre l’accès des charges et appelle aux distributions de terres, à la jouissance du domaine. C’est la monnaie dont elle page tous les services : monnaie précieuse, qu’elle divise pour en gagner un plus grand nombre à sa cause. Donc, s’il est vrai que le peuple romain, terrible contre les forts et sans pitié sur le champ de bataille, lait porté la destruction partout où il trouvait une vive résistance, du moins, la guerre achevée, relevait-il lui-même dans l’intérêt de sa grandeur l’ennemi qu’il venait d’accabler ; il se plaisait, comme dit le poète, parcere subjectis et debellare superbos. Content d’avoir détruit la puissance politique de ses adversaires, il respectait le plus souvent, dans cette première période de ses conquêtes, leurs mœurs, leurs lois et leur gouvernement, Il savait qu’un peuple peut se résigner à la perte de son indépendance, c’est-à-dire à l’aveu de sa faiblesse, jamais au mépris des coutumes de ses pères. La centralisation était politique, non pas administrative ; et la plupart des cités conservant leurs magistrats[53], leurs lois, leur culte, leurs finances, leur police intérieure, pouvant conférer elles-mêmes leur droit de bourgeoisie, administrer la justice criminelle[54] et civile, enfin se donner des lois, se croyaient plutôt associées à l’éclat du nom de Rome que soumises à sa puissance. L’agitation de leurs comices faisait croire à leur liberté. Toutes les forces vives de l’Italie étaient centralisées aux mains des consuls ; le sénat disposait de ses cinq cent mille soldats, de sa cavalerie et de sa marine, et cependant la vie politique n’était point éteinte dans les municipes ; le sang ne se retirait pas des extrémités pour affluer au cœur, comme il arrivera un siècle et demi plus tard, quand s’élèveront ces tourmentes au milieu desquelles s’abîmera la république. Nous sommes encore dans l’âge de la modération et de la sagesse.

En donnant à l’Italie l’organisation qu’on vient de décrire, Rome avait accompli tout ce que lui permettait sa constitution municipale et plus que ne lui enseignait la sagesse politique de l’antiquité. Elle restait la cité souveraine de par le droit de la victoire ; mais elle se faisait la capitale des Italiens, en attirant dans son sénat leurs plus notables citoyens. Si ce n’était pas le système représentatif dans sa vérité, c’en était l’image affaiblie, et elle suffit à commander notre admiration pour ce génie politique qui prévenait les temps de si loin[55].

 

 

 

 



[1] Tacite le dit (Ann., XI, 24) : Quid aliud exitio Lacedœmoniis et Athentensibus fuit, quanquam armis pollerent, nisi quod victos pro alienigenis arcebant ? At conditor nostri Romulus tantum sapientia valuit, ut plerosque populos eodem die hostes, dein cives habuerit (Discours de Claude.)

[2] Le maximum du nombre des citoyens fut à Athènes de vingt mille. (Thucydide, II, 13 ; Démosthène, adv. Aristog., I. Cf. Bœckh, I, 7.) La limitation du nombre des citoyens était la base des gouvernements de la Grèce. (Letronne, Acad. des inscr., VI, 186.)

[3] D’après le droit public de la Grèce, les vaincus étaient : ou massacrés, comme les Platéens et les Méliens ; ou chassés, comme les Potidéates, les Éginètes, les Scyréens, les Cariens de Lemnos, etc. (Thucydide, II, 27 ; Diodore, XII, 44 ; Corn. Nepos, Cim., 2, et Milt., 2) ; ou asservis, comme les Dolopes, les Pélasges de Lemnos et d’Imbros (Thucydide, I, 98 ; Diodore, XI, 60), et les anciens habitants de la Crète sous les Doriens (Athénée, VI) ; ou faits esclaves de la glèbe, comme les Hilotes, les Pénestes, les Maryandiniens chez les Héracléotes du Pont ; les Gymnesii à Argos (Müller, Dor., II, p. 55). D’autres enfin, plus heureux, n’étaient soumis qu’à des redevances et à quelques obligations humiliantes, comme les Messéniens, les Lesbiens, etc. (Pausanias, Messen., Thucydide, III, 501. II y a toujours bien loin de là à la politique romaine.

[4] Denys (I, 89) dit de Rome : ... xοιντάην τε πόλεων xαί φιλνθρωποτάτην. Cf. ibid., II, 16, et Salluste, Cat., 6 ; Florus, I, 1 ; Tite-Live, passim, Tacite, Ann., XI, 24, et Cicéron, dans le beau passage du de Legibus (II, 2), et dans le pro Balbo (13) : Romulus docuit etiam hostibus recipiendis augeri hanc civitatem oportere. Cujus auctoritate.... nunquam est intermissa largitio et communicatio civitatis.

[5] Roma sola urbs, cetera oppida (Isidore, VIII, 6).

[6] Cens fait au commencement de la première guerre Punique (Épitomé, Tite-Live, XVI). Cf. Eutrope, II, 10.

[7] Je suis, pour l’évaluation de la population totale, la règle adaptée par Clinton dans ses Fasti Hellenici. Ihne (Röm. Gesch., I, 465) force ces chiffres et arrive à une population d’un million et demi, à laquelle il donne un demi million d’esclaves. Je crois ces deux chiffres exagérés, surtout le dernier.

[8] Cens de 463 (Tite-Live, III, 3). On n’en comptait encore que 169.000 en 338, avant les grandes annexions que les succès de la guerre, qui commençait al6rs, permirent d’accomplir.

[9] 4 urbaines : Esquilina, Collina, Suburana et Palatina ; 17 rurales : Æmilia, Camilia, Claudia, Cornelia, Crustumina, Fabia, Galeria, Horatia, Lemonia, Menenia, Papiria, Pollia, Pupinia, Romilia, Sergia, Veluria et Voltinia. Les quatre tribus urbaines ont des noms géographiques ; les dix-sept tribus rurales, une seule exceptée, Crustumina, portent le nom de gentes patriciennes.

[10] Étrusques : Stellatina, Tromentina, Sabalina, Arniensis, en 387 (Tite-Live, VI, 5). — Volsques : Pomptina et Publilia, en 358 (Tite-Live, VII, 15). — Latins : Mœcia et Scaptia, en 332 (Tite-Live, VIII, 17). — Ausones : Oufentina et Falerina, en 318 (Tite-Live, IX, 20). — Èques : Aniensis et Terentina, en 299 (Tite-Live, X, 9). — Sabins : Velina et Quirina, en 241 (Tite-Live, Épitomé, XIX).

[11] De même à Naples.

[12] Le nomen Latinum comprend maintenant ce qui restait des anciens peuples latins encore agrégés à la cité romaine, et ceux qui avaient reçu le jus Letii, comme les colonies du nom latin ; mais, parmi les peuples du nom latin, il s’établit aussi des différences : les uns conservèrent quelques-uns des privilèges de l’ancienne alliance les autres qui, peut-être, furent d’abord les habitants des douze colonies latines fondées depuis 268, n’eurent pas le droit de battre monnaie, si ce n’est des pièces de cuivre, et ne  gardèrent le jus commercii qu’avec des restrictions. De là une distinction entre le Latium majus et le Latium minus qui se répandit beaucoup sous l’empire. Ce Latium minus ouvrait la cité romaine à ceux des Latins qui avaient géré une des grandes charges municipales ou convaincu un magistrat romain de concussion.

[13] Il semble qu’à partir de 268 les Latins durent cesser de battre de la monnaie d’argent et que l’émission de leur monnaie de bronze cessa après la seconde guerre Punique. Mommsen, Hist. de la monnaie Rom., tome III, p. 188-195.

[14] Aulu-Gelle, Noct. Att., XVI, 93 : legibus suis et suo jure utentes. Voyez ibid., IV, 4, la preuve de l’existence chez les Latins d’un droit civil distinct du droit civil de Rome, pour les mariages, et dans Tite-Live (XXXV, 7), pour les dettes. La loi Julia détruisit ce droit particulier.

[15] De Leg., III, 16. Arpinum, sur une colline qui dominait le Liris, près de son confluent avec le Fibrenus, était entouré de murailles cyclopéennes dont une porte a quelque ressemblance avec les portes fameuses de Mycènes et de Tirynthe. Cicéron se construisit tout auprès une villa dans une des îles du Fibrenus. Voyez la charmante description qu’il en donne au de Legibus, II, 1.

[16] Strabon, IV, p. 187 ; Appien, Bell., Civ., II, 20. Gaius, I, 96 : Hi qui vel magistratum, vel honorera gerunt ad civitalem Romanam perveniunt.

[17] Cependant quelques Italiens refusèrent cet honneur si envié. (Tite-Live, IX, 45 ; XXIII, 20.)

[18] Macrobe, Saturnales, I, 5 ; Pline, Lettres, IV, 25 ; Festus, s. v. Sexagenarios.

[19] C’est-à-dire un impôt modéré, quelques droits de douane et d’octroi, 1/20e sur la vente et l’affranchissement des esclaves.

[20] Comme ils ne votaient ni ne pouvaient arriver aux charges, les censeurs, pour punir un citoyen, l’inscrivaient in fabulas Cæritum. Mais cette liste des Cérites avait d’abord été un titre d’honneur, quand les habitants de Cære s’associèrent à l’État romain ea conditione ut semper rem publicam separatam a populo Romano haberent. Festus, s. v. Municeps.

[21] Gaius, Inst., I, 77. Quand le mariage avait lieu entre personnes n’ayant pas le jus connubii, la condition des enfants était réglée par celle de la mère ; en cas de mariage d’un pérégrin avec une Romaine, natum deterioris parentis conditionem sequi jubet lex Mensia (Ulpien, Lib. reg., V, 8). Cf. Gains, Inst., I, 78, 81, 86.

[22] Festus, s. v. Municipium. Lorsque le peuple, en recevant le droit de cité, adoptait les lois romaines, beneficio populi Romani, ce peuple était dit fundus, et ses citoyens vidaient leurs procès d’après la loi romaine, quelquefois par devant un præfectus jure dicundo que nommait le prætor urbanus. Ainsi en était-il à Arpinum, dont les habitants avaient le droit de suffrage à Rome et dans plusieurs autres villes. Remarquons, en passant, qu les préfets, quelle que fût leur fonction, et il y en eut de natures très différentes, étaient toujours nommés et non élus.

[23] Ascon., in Pisonianum : .... colonia Placentia tumerat civitas.

[24] Festus, s. v. Municipes ... cives erant et in legione merebant, sed dignitates non capiebant. Les Campaniens étaient dans cette catégorie ; c’est pour cela que Polybe (II, 5) les compte avec les Romains. Cf. Tite-Live, VIII, 44. — Festus, s. v. Prœfectus.

[25] ... in quibus et jus direbatur et nundinæ agebantur... neque tanten magistratus suos habebat (Festus, ibid.).

[26] Elles avaient l’autonomie. (Tite-Live, IX, 43.)

[27] Tite-Live, XXVIII, 45. Rhegium, Velia, Pæstum, devaient aussi des vaisseaux (XXVI, 39). De même Tarente (XXXV, I6), Locres (XXXVI, 42), Uria (XLII, 48), et aliæ civitates ejusdem jaris. Cicéron dit, en parlant de ces charges imposées aux villes alliées : .... Inerat nescio quo modo, in illo fædere societatis, quasi quœdam nota servitulis (II in Verr., V, 20).

[28] Cicéron, pro Arch., 4 ; pro Balbo, 20, 22 ; Tite-Live, XXVII, 46.

[29] .... ut populi Romani majestatem comiter conservaret (Digeste, XLIX, 15, 7, § 1).

[30] A Capoue, durant la deuxième guerre Punique, la noblesse resta fidèle aux Romains, le peuple fut pour Annibal.

[31] Cf. Tite-Live, VIII, 14 ; IX, 43 ; XLV, 29.

[32] Pour des villes qui portent le même titre, on trouve des différences. Ainsi Messine et Tauromenium devinrent durant la première guerre Punique des villes fédérées, mais la première devait un vaisseau, et l’autre n’en devait pas (Cicéron, II in Verr., V, 19)

[33] Pour l’incorporation des Italiens dans l’armée romaine, voyez Polybe, VI, fr. 5. Il dit que Rome donnait gratuitement du blé et de l’orge aux auxiliaires italiens (ibid., fr. 8), tandis qu’elle en retenait le prix sur la solde des citoyens romains. On doit conclure de ce passage qu’elle ne prenait pas à sa charge la solde des auxiliaires, quoiqu’elle partageât le butin avec eux. Mais leurs chefs, prœfecti sociorum, étaient des citoyens romains (Tite-Live, XXIII, 7.)

[34] Il faut toutefois excepter les xλαροΰχοι. Athènes entra dans ce système après les guerres médiques, et lui dut la puissance qu’elle garda pendant un demi-siècle. Le vrai colon grec était dans un état d’infériorité à l’égard de ses métropolitains (Thucydide, I, 25). Celui d’Athènes, s’il revenait dans l’Attique, n’était plus qu’un métèque. Voyez sur cette question le savant mémoire de N. Foucart sur les Colonies athéniennes du cinquième et du sixième siècle.

[35] Les colonies étaient des images de Rome. Ex civitate quasi propagatæ sunt et jura institutaque omnia populi Romani habent.... cujus islæ coloniæ quasi effigies parvæ simulacraque esse.... videniur. (Aulu-Gelle, Noct. Att., XVI, XIII, 8-9.)

[36] .... Milites pecuniamque darent (Tite-Live. XXIX. 15).

[37] Non tam oppida Italiæ quam propugnacula imperii (Cicéron, Bull., II, 27).

[38] Le mot est de Cicéron. Dans le pro Fonteio, il appelle Narbonne Specula populi Romani et propugnaculum.

[39] Servius (in Æn., I, 12) définit une colonie : deducti sunt in locum certum ædifeciis munitum.

[40] Brutus (ap. Appien, Bell. Civ., II, 140) appelle les colons : φώλαxας τϋν πιπολεμηxότων.

[41] Horace dit, en parlant de Venouse : Quo ne per vacuum Romano incurreret hostis (Satires, II, 1, 58).

[42] Tite-Live, IV, 48 ; Frontin, Stratagèmes, IV, 3, 12. Les colons formaient une petite armée ayant ses centurions et ses cavaliers, qui recevaient une part plus grande(Tite-Live, XXXV, 9, 50 ; XXXVII, 57 ; XL, 34.) Trois magistrats étaient ordinairement chargés de les conduire et de veiller pendant les premières années à leurs besoins : triumviri deducendis coloniis, qui per triennium magisiratum haberent (Tite-Live, XXXII, 29). Les colonies cités maritimes (toutes les colonies sur la mer ne l’étaient pas, mais seulement celles qui gardaient un port important ou l’entrée d’un fleuve) étaient exemptes du service sur terre et quelquefois sur mer : sacro sancta vacatio (Tite-Live, XXVII, 38 ; XXXVI, 3). On leur demandait avant tout de défendre la position qui leur avait été confiée, et cet intérêt paraissait si considérable, que les colonies maritimes avaient été composées de citoyens romains.

[43] Asconius (in Pison.) comptait avant la seconde guerre Punique cinquante-trois colonies, dont vingt-trois de droit latin. Madvig et Mommsen ont relevé les noms de trente et une ou trente-deux colonies romaines et de trente-neuf colonies latines. Dans celles-ci, on recevait non seulement des Latins et des Italiens, mais aussi des plébéiens de Rome qui préféraient une propriété dans une colonie à l’exercice d’un droit politique au Forum.

[44] Ne pouvant revenir plus tard sur cette question des colonies, je dépasse pour quelques-unes la date où nous sommes arrivés. Ainsi Spolète ne fut colonisée qu’en 240. Plusieurs autres ne furent fondées que durant la première guerre Punique.

[45] Il est vrai que les armées anciennes, ne traînant pas après elles une lourde artillerie, pouvaient plus aisément quitter les grandes routes pour éviter les places.

[46] Voici la liste des sept grandes voies partant de Rome auxquelles se rattachaient vingt voies secondaires ou embranchements des voies principales. On pourra suivre les plus importantes sur notre carte spéciale des voies militaires et des colonies avant les guerres Puniques. Dans l’énumération qui suit, nous donnons le réseau complet, pour n’avoir pas à revenir sur cette question.

I. VIA APPIA, de Rome à Capone par la plaine, et de Capoue à Brindes. Sur elle s’embranchaient les viæ Setina allant à Setia ; Domitiana, qui de Sinuessa à Surrentum contournait le golfe de Naples ; Campana ou Consularis, de Capoue à Cumes, à Pouzzoles, Atella et Naples Aquillia, de Capoue à Salerne, Pæstum, Cosentia, Vibo et Rhegium ; Egnatia, de Bénévent à Herdonée, Canusium et Brindes ; Trajana, de Venouse à Héraclée, Thurium, Crotone et Rhegium, où elle rejoignait la voie Aquillienne ; Minucia ou Numicia, traversant le Samnium du nord au sud.

II. VIA LATINA, de Rome à Bénévent, par le pied des montagnes. Elle envoyait un embranchement à Tusculum, via Tusculana, et se reliait à la voie Appienne par une traverse, via Hadriana, courant de Teanum à Minturnes. Les deux voies Appia et Latina partaient de la porte Capone. Entre les voies Latine et Valérienne couraient : la via Labicana, de la porte Esquiline à Labicum et rejoignant la voie Latine au lieu dit ad Bivium, à 50 milles de Rome ; la via Prœnestina ou Gabina, partant du même point et rejoignant la voie Latine auprès d’Anagnis ; la via Collatina, fort courte.

III. VIA TIBURTINA, de la porte Tiburtina à Tibur et se continuant sous le nom de VIA VALERIA à travers la Sabine jusqu’à Corfinium, d’où elle fut conduite jusqu’à l’Adriatique, qu’elle longea d’Aternum à Castrum Truentinum où elle rencontrait la voie Salarienne. Deux embranchements conduisaient : à Sublaqueum, via Sublacensis, dans la haute vallée de l’Anio, et en Apulie, via Frentana Appula, le long de l’Adriatique. La via Nomentana ou Ficulnensis, partie de la porte Colline, rejoignait, à Eretum, la voie Salarienne.

IV. VIA SALARIA, de la porte Colline à Ancône par Fidènes, Reate, Asculum, Picenum, Castrum Truentinum et la côte de l’Adriatique.

V. VIA FLAMINIA, de la porte Flaminienne à Ariminum, par Narnia, Interamna, Spolète, Fanum Fortunæ et Pisaurum, sur la côte. Elle fut continuée sous le nom de via Æmilia qui traversa la Cisalpine jusqu’à Plaisance, où elle franchit le Pô, atteignit Milan et, de là, courut à l’ouest jusqu’à Turin, à l’est jusqu’à Trieste. Une voie transversale, via Postumia, alla de Gènes à Vérone.

VI. VIA CASSIA, conduisait à travers l’Étrurie centrale par Véies, Sutrium, Vulsinii et Arretium à Luna, où elle rejoignait la voie Aurélienne. Un de ses embranchements, via Amerina, allait à Tuder et à Pérouse ; un autre, via Clodia, unissait Rusellæ et Tarquinii, et la via Cimina franchissait les monts de Viterbe, Ciminus mons.

VII. VIA AURELIA, sortant de Rome par la porte du Janicule, atteignait Alsium, et suivait la côte étrusque jusqu’à Gênes et Fréjus. La via Portuensis suivait la rive droite du Tibre jusqu’à Portus Augusti ; la via Ostiensis, la rive gauche jusqu’à Ostie, d’où elle se repliait, au sud, en longeant, sous le nom de via Severiana, la côte jusqu’à Terracine ; les viæ Laurentina et Ardeatina indiquent leur direction par leur nom.

Ainsi, sept grandes voies partaient de Rome : deux, Appia et Latina, vers le sud ; deux, Valeria et Salaria, vers l’Adriatique ; une, Flaminia, vers le nord-est ; deux, Cassia et Aurelia, vers le nord-ouest, et la via Æmilia desservait les deux rives du Pô. Voyez, sur cette question, l’ouvrage toujours classique de Bergier, Histoire des grands chemins de l’Empire romain et la Table de Peutinger, édition de M. Ernest Desjardins.

[47] Denys, Excerpta ex libro XX, XV (20, 5).

[48] Dans beaucoup d’endroits, les Italiens furent admis comme fermiers, et ce fut un lien de plus entre eux et Rome ; niais cela date sans doute d’une époque postérieure. Au temps des Gracques, beaucoup d’entre eus sont détenteurs du domaine (Cicéron, de Rep., III, 29).

[49] Tite-Live, Épitomé, XV ; Tacite, Ann., IV, 27.

[50] Les commissaires, nommés l’an 214 pour le recrutement, vont per fora et conciliabula. Cf. Tite-Live, passim, et Festus, s. v. Ces fora et conciliabula étaient des lieux où une population rurale n’ayant pas de cité traitait ses affaires religieuses ou judiciaires et tenait ses assemblées et son marché. - J’ai compté parmi les anciennes villes d’Italie plus de trente fora, dont plusieurs gardent encore aujourd’hui leur nom, Forli, Forlimpopoli, Fossombrone, etc.

[51] Tite-Live, XXI, 62 : lectisternium Cære imperatum ; XXII, 1, decretum est ... Junoni Lanuvii.... sacrificaretur.... Decemviri Ardeœ in foro majoribus hostus sacrificarunt. Cf. XXXIII, 51, et Jul. Obsequens. Voyez surtout le sénatus-consulte contre les bacchanales.

[52] Après la Guerre contre Persée, les citoyens n’auront même plus d’impôts à payer.

[53] Même les simples bourgs : magistri vici, item magisiri pagi quotannis fiunt. Festus, s. v. Vicus.

[54] Excepté pour les municipes optimo jure. Un citoyen romain ne pouvait, en affaire criminelle, être jugé que par tout le peuple, d’après les Douze Tables.

[55] On a vu que les Latins avaient demandé que le sénat fût composé moitié de sénateurs romains moitié de sénateurs latins. Cette idée d’une sorte de république fédérative était très familière aux Italiens du centre ; on connaît la diète étrusque de Voltumna, les féries latines, l’ancienne ligue de Rome, des Latins et des Herniques. Alexandre le Molosse avait aussi formé une amphictyonie pour les Grecs italiotes, etc.