HISTOIRE DES ROMAINS

 

PREMIÈRE PÉRIODE — ROME SOUS LES ROIS (755-510) – FORMATION DU PEUPLE ROMAIN

CHAPITRE IV — CHANGEMENTS DANS LA RELIGION ET DANS LA CONSTITUTION SOUS LES TROIS DERNIERS ROIS.

 

 

I. — Les dieux de l’Étrurie à Rome ; réformes de Tarquin l’Ancien.

Le troisième et le quatrième roi de Rome répètent les deux premiers : Tullus est un nouveau Romulus, Ancus un second Numa symétrie suspecte qui répugne à l’histoire, mais laquelle la légende se plait. Celle-ci attribue pourtant un caractère particulier à Tullus : il achève la cité en lui donnant ses institutions militaires, militaris rei institutor[1].

Le règne des trois derniers rois, au contraire, marque une ère nouvelle. A quelque cause que cela tienne, soit rétablissement pacifique ou à main armée d’un chef étrusque, soit :une longue période pour nous inconnue qui prépara cette transformation, il est certain que la cité dont le territoire n’avait que 6 milles de long sur 2 de large est devenue une grande ville qui couvre îles sept collines et fait de monumentales constructions ; qui compte par cent mille le nombre de ses habitants et étend au loin sa puissance ; qui, enfin, remplace l’antique simplicité par l’éclat des fête, ses dieux fétiches par les grandes divinités étrusques, et leurs modestes autels par le Capitole aux cent marches.

Que ce fût un héritage des Pélasges, ou mieux un emprunt fait aux colonies grecques de l’Italie par l’intermédiaire des Étrusques campaniens, les dieux de la Grèce étaient en grand honneur dans les cités méridionales de l’Étrurie. C’est de là qu’ils vinrent à Rome. Tarquin l’Ancien chassa, dit-on, du mont Tarpéien tous les dieux de Numa pour y élever un temple à la grande famille céleste : Jupiter, Junon et Minerve. La jeunesse seule et le dieu Terme résistèrent, car le peuple romain ne devait jamais vieillir, ni ses frontières reculer. Cérès, qui s’identifia avec Palis, et dont la prêtresse fut toujours une femme grecque, appelée de Naples ou de Velia (Élée)[2] pour desservir le sanctuaire qu’on lui éleva après la famine de 496 ; Diane, qui se confondit avec Feronia, la protectrice des petites gens[3], et à laquelle Servius bâtit un temple ; Vulcain, que Tatius honorait déjà ; Mercure, dieu plébéien du commerce qui naissait et de l’éloquence qui allait grandir, firent aux dieux indigènes une dangereuse concurrence. Apollon, Neptune, Bacchus, Cybèle et Vénus, ne vinrent que plus tard. Le premier était destiné à une haute fortune. La sibylle de Cumes, dont Tarquin le Superbe acheta les livres, était une prêtresse d’Apollon, le dieu rédempteur, puisqu’il connaissait les expiations nécessaires. Sous Auguste, il prendra place à côté de Jupiter Capitolin.

Ainsi la sphère de la vie religieuse ira s’élargissant et elle deviendra si grande, que ces innombrables divinités finiront par s’y perdre, pour laisser apparaître le Dieu unique dont elles n’avaient été que les obscures manifestations ; mais alors aussi l’on verra une société nouvelle, d’autres idées, d’autres lois et, pour tout dire, un autre monde.

Comme si les dieux de la Grèce portaient l’art avec eux, leur entrée clans home fut marquée par le premier effort pour donner aux immortels des demeures moins modestes et une figure moins rude. Des ouvriers tos ans construisirent le grand temple du Capitole, et l’Étrusque Turrianus moula en argile la statue de Jupiter, que Tarquin y plaça[4].

L’Étrurie donna encore autre chose qui lui appartenait en propre : le miracle du Toscan Navius popularisa dans la ville le respect pour les augures. Nul doute que l’époque où Rame adopta tant de coutumes ; étrusques n’ait été celle aussi de l’introduction de la science augurale comme religion d’État : c’était un moyen d’autant plus sûr de gouvernement, que tous, gouvernants et gouvernés, y ajoutaient une foi entière. Pour étudier cet art mystérieux, de jeunes patriciens furent envoyés en Étrurie, et, longtemps, les augures ne furent pris que dans les plus nobles familles, dans celles dont les membres remplissaient le sénat et les magistratures. L’augure, en effet, devait être à la fois un prêtre convaincu[5] et un politique prévoyant, celui-ci inspirant celui-là et lui faisant, à son insu, rapporter du ciel le décret divin le plus conforme aux intérêts de l’État[6].

Cette croyance aux signes acheva de faire des Romains le peuple le plus religieux de l’univers. Ce fut, dit Polybe, une des causes de sa grandeur ; et l’ami de Scipion a raison, car cette piété aveugle, si elle ne gagna pas la faveur des dieux, assura du moins le pouvoir de l’aristocratie, en tenant le peuple dans la dépendance des plus expérimentés et des plus sages. D’ailleurs, malgré leur croyance aux augures, la noblesse romaine et son sénat n’abandonnèrent jamais les choses terrestres à la religion qu’après n’avoir rien laissé à faire à la prudence humaine. Au besoin, ils conjuraient les présages funestes par les plus libres interprétations, sans que leur foi s’en alarmât. Lin consul allait livrer bataille, et l’aruspice, annonçait d’heureux présages ; il s’était trompé : les signes étaient contraires. Cela le regarde, dit le consul, et non moi ai mon armée à qui de favorables auspices ont été promis ; et il engagea l’action. Dès les premiers coups, l’aruspice tomba, mais le consul fut victorieux.

C’est aussi Tarquin l’Ancien qui, le premier, porta la main sur la vieille constitution, non pas encore pour la changer, niais pour en élargir les bases. Malgré l’opposition des patriciens et de l’augure Nivius, il forma cent nouvelles familles patriciennes, dont les chefs entrèrent dans le sénat (patres minorum gentium). Étaient-ce les plus riches et les plus nobles des plébéiens, ou seulement les chefs des Lucères, jusqu’alors repoussés du sénat, et que Tarquin, le roi étranger, y aurait admis ? L’élévation du nombre des vestales, de quatre à six, semblerait confirmer l’opinion qu’il aurait voulu rendre la troisième tribu l’égale des deux premières. Mais Cicéron affirme que tout le patriciat fut doublé[7], et Tite Live, en rapportant la création de trois nouvelles centuries de chevaliers, les nomme Ramnenses, Titienses et Luceres posteriores. Ainsi il y eut : les premiers et les seconds Ramnenses, les premiers et les seconds Titienses[8], etc., comme il y avait les patres majorum et les patres minorum gentium, ceux-ci ne votant qu’après les premiers. Au reste, que ce soit l’admission des Lucères aux droits politiques et religieux des anciennes tribun ou le doublement, par l’adjonction de familles nouvelles, de tout le corps aristocratique, il importe peu, car il reste hors de doute que le patriciat fut profondément modifié par Tarquin. C’était comme une préparation aux grandes réformes de Servius.

 

II. — Réformes de Servius Tullius.

On a vu que les Romains avaient fait de leur sixième roi un protégé des dieux. L’empereur Claude qui avait composé une histoire des Étrusques, dit un jour au sénat : Nos écrivains veulent que Servius soit né d’une esclave nommée Ocrisia, tandis que lés annales étrusques en font le compagnon très fidèle de Cæles Vibenna, dont il partagea toutes Ies chances aventureuses. Chassés de l’Étrurie par les vicissitudes d’une existence hasardeuse, ces deux chef ; vinrent occuper le mont Cælius avec les débris de leur armée, et la colline doit son nom à Cæles Vibenna. Quant à Servius qui portait comme Étrusque le nom de Mastarna, il le changea pour celui sous lequel nous le connaissons aujourd’hui. Par la suite, il parvint au trône, qu’il occupa d’une façon glorieuse et utile pour le bien de l’État[9]. — Un tombeau de Vulci, découvert il y a vingt ans à peine[10], confirme le récit de l’impérial historien, ou du moins prouve que la légende était nationale en Étrurie. Sur une des parois du tombeau deux personnages sont représentés ; l’un qui tend ses mains liées ; l’autre qui coupe la courroie, et tient sous son bras l’épée dont il va armer son ami. Au-dessus de leurs têtes sont écrits leurs noms : le captif s’appelle Cæles Vibenna, et celui qui le délivre est Mastarna. Voilà bien les deux compagnons d’armes qui, après maintes aventures, quelquefois fâcheuses comme celle que la peinture rappelle, arrivèrent à Rome où l’un devint chef du peuple de Mars, et l’autre donna son nom au mont Cœlius. On comprend que l’orgueil romain ait préféré à l’aventurier étrusque cherchant fortune à la pointe de son épée le favori des dieux du Capitole.

Cet aventurier fut pourtant un pacifique. On ne cite de lui qu’une guerre problématique contre les Véiens[11], que Denys d’Halicarnasse transforme en une victoire sur la nation étrusque tout entière (IV, 27). Servius fut par excellence le roi législateur. La constitution mise sous son nom lui appartient-elle ou fut-elle l’œuvre du temps ? Cette réforme qui, modifiée à plusieurs reprises, a cependant vécu autant que la liberté romaine, doit être sortie, non du cerveau d’un homme, mais des mœurs et des nécessités sociales. Les patriciens, ou le peuple primitif, qui d’abord formaient seuls l’armée, auront été contraints, dans l’intérêt de leur sécurité, d’appeler peu à peu les plébéiens à servir avec eux dans les légions. Servius n’a sans doute fait autre chose que régulariser l’ordre nouveau qui s’était insensiblement produit ; il n’en mérite pas moins que son nom reste attaché à cette grande institution.

Nous parlerons donc de ce prince comme les anciens en parlaient, lui laissant, sous la réserve de l’observation précédente, l’honneur d’avoir été le législateur de la Rome royale et républicaine.

On sait que les plébéiens n’avaient ni le droit de vote, jus suffragii, ni le droit de mariage et d’échange, jus connubii et commercii, avec les familles patriciennes, mais qu’ils jouissaient de la liberté personnelle. Depuis Romulus, leur nombre s’était sans cesse accru[12], car ses successeurs étaient demeurés fidèles à la politique d’attirer les vaincus à Rome pour augmenter sa population militaire. Jusqu’à Servius la plèbe resta sans direction et sans unité. Cependant ces hommes d’origines différentes pouvaient s’entendre et devenir quelque jour dangereux. Le prince, dont la naissance aussi était étrangère et qui redoutait l’inimitié des patriciens, comprit de quel secours lui serait ce peuple nombreux et opprimé. Il reprit aux patriciens une partie des terres qu’ils avaient usurpées sur le domaine public, pour distribuer à chaque chef de famille plébéienne 7 jugera (1h 77) en pleine propriété quiritaire, et il força l’aristocratie, déjà ébranlée par les innovations de Tarquin, à recevoir les plébéiens comme membres d’une même cité.

Deux moyens lui servirent pour atteindre ce but les tribus et les centuries, c’est-à-dire l’organisation administrative et militaire de l’État. — Il partagea le territoire romain[13] en 26 régions et la ville en 4 quartiers : en somme 30 tribus. Cette division toute géographique fut aussi religieuse, car il institua des fêtes pour chaque district : les Compitalia pour la plèbe des tribus urbaines, les Paganalia pour les tribus rurales ; administrative, car chaque district eut ses juges pour les affaires civiles[14], son tribun (curator tribus) pour tenir note des fortunes et répartir l’impôt ; militaire enfin, car ces tribune réglaient aussi le service militaire de leurs tribules, et, en cas d’invasion soudaine, les réunissaient dans un fort construit au centre du canton[15]. L’État se composa donc de 30 communes ayant leurs chefs, leurs juges, leurs dieux particuliers, mais point de droits politiques, ces droits ne devant être exercés que dans la capitale. Sans toucher aux privilèges des patriciens, Servius assurait aux plébéiens cette organisation municipale qui doit précéder et qui amène la liberté politique. Comme les patriciens donnaient leur nom à toutes les tribus moins une, on est en droit d’en conclure qu’ils conservaient l’influence dans les cantons où étaient leurs domaines, et qu’ils remplissaient probablement toutes les charges de luges et de tribuns municipaux. Mais, pour la première fois, ils se trouvaient confondus avec les plébéiens dans une division territoriale où la naissance et la fortune n’étaient pas comptées. Cela seul valait une révolution. Un temps viendra où ces tribus voudront et obtiendront des droits politiques. Ce jour-là sera la victoire du nombre ; les centuries assurèrent celle de la richesse.

Servius avait fait le cens ou dénombrement, que l’on dut à l’avenir renouveler tous les cinq ans (lustrum). Chaque citoyen était venu déclarer sous serinent son nom, son âge, sa famille, le nombre de ses esclaves et la valeur de son bien[16]. Une fausse déclaration aurait entraîné la perte des biens, de la liberté et même de la vie[17]. Connaissant ainsi toutes les fortunes, il partagea les citoyens, en raison de leurs biens, en cinq classes, et chaque classe en un nombre différent de centuries. Denys parle de six classes et donne à la première 98 centuries, tandis que les cinq autres réunies n’en avaient que 95. Dans chaque classe, on distinguait les juniores, de 17 à 45 ans accomplis, qui composaient l’armée active, et les seniores, de 46 à 60, qui formaient la réserve. La première classe renfermait ainsi 40 centuries de seniores, 40 de juniores et, de plus, 18 centuries de chevaliers, c’est-à-dire les 6 centuries équestres de Tarquin (sex suffragia) et 12 nouvelles, formées par Servius des plébéiens les plus riches et les plus considérés. L’État donnait à chacun de ces 1800 cavaliers un cheval et, pour son entretien, une solde annuelle (æs hordearium), que les orphelins et les femmes non mariées payèrent[18]. La seconde classe étaient attachées 2 centuries d’ouvriers (fabri), et à la quatrième 2 de musiciens (tubicines)[19]. Les pauvres, capite censi, formaient la sixième classe et une seule centurie, qui ne servait pas dans les légions[20].

Au total l’armée comptait 170 centuries de fantassins, 18 de cavaliers, 4 de musiciens et d’ouvriers[21].

Cicéron, dans le passage tant controversé du IIe livre de la République, ne parle que des cinq classes formées des assidui (asses dace, contribuables)[22]. A la première, il donne 89 centuries ; aux quatre autres, 104 ; en tout : 195, comme dans le compte de Denys, et une de moins que dans celui de Tite-Live. Les prolétaires dont le cens ne s’élevait pas à 12.500 as, accensi et velatis[23], suivaient sans arrhes les légions pour remplacer les morts, combattre à la légère, ou faire auprès des chefs le service d’ordonnances. Les plus pauvres, capite censi, qu’on ne comptait sur le registre du cens que pour leur tète, comme les esclaves et le bétail, ne servaient jamais. Marius fut le prunier qui les appela sous les enseignes et de ce jour l’armée perdit sont caractère national.

Liste de Tite-Live[24]

Liste de Denys

Centuries des chevaliers

18

Centuries des chevaliers

18

Ière classe — 100.000 as

Ière classe — 100 mines

Centuries des anciens

40

Centuries des anciens

40

Centuries des jeunes

40

Centuries des jeunes

40

Centuries des ouvriers

2

 

 

IIe classe — 75.000 as

IIe classe — 75 mines

Centuries des anciens

10

Centuries des anciens

10

Centuries des jeunes

10

Centuries des jeunes

10

 

 

Centuries des ouvriers

2

IIIe classe — 50.000 as

IIIe classe — 50 mines

Centuries des anciens

10

Centuries des anciens

10

Centuries des jeunes

10

Centuries des jeunes

10

IVe classe — 25.000 as

IVe classe — 25 mines

Centuries des anciens

10

Centuries des anciens

10

Centuries des jeunes

10

Centuries des jeunes

10

 

 

Centuries des cornicines et tubicines

2

Ve classe — 11.000 as

Ve classe — 12 ½ as

Centuries des anciens

15

Centuries des anciens

15

Centuries des jeunes

15

Centuries des jeunes

15

Centuries des cornicines et tubicines

3

 

 

Centuries des accensi

VIe classe

Centuries des capite censi

1

Centuries des capite censi

1

Total . . . . .

194

Total . . . . .

193

L’incertitude sur le nombre des centuries et sur la base d’après laquelle se fit la répartition n’empêche pas d’apprécier l’importance politique de cette réforme militaire. Ce n’est plus la naissance qui divise les citoyens en patriciens et plébéiens, c’est d’après la fortune que sont à la fois réglées leur répartition dans les classes, leur place dans la légion, la nature de leurs armes, qu’ils doivent se procurer eux-mêmes, la quotité de l’impôt que chacun d’eux payera. Toutes les centuries contribueront au trésor pour une somme proportionnelle à leur cens, et, plus tard, elles exerceront au Champ de Mars, hors de la ville patricienne, les mêmes droits politiques. Mais la première classe compte 98 centuries, bien qu’elle soit de beaucoup la moins nombreuse, puisqu’elle ne renferme que les riches ; elle fournira donc plus de la moitié de l’impôt, et ses légionnaires, en raison même de leur petit nombre, seront plus souvent appelés sous les enseignes. C’est aussi par centuries qu’après 510 seront pris les suffrages pour décider de la paix ou de la guerre, nommer aux charges et faire les lois : les riches, divisés en 98 centuries, auront 98 voix sur 193, ou la majorité, c’est-à-dire une influence décisive dans le gouvernement. Leur unanimité acquise d’avance à toute proposition favorable à leurs intérêts rendra le droit des autres classes illusoire. Quelquefois, en cas de désaccord entre les centuries de la première classe, celles de la deuxième pourront être appelées à voter, très rarement celles de la troisième, jamais celles des dernières, bien que chacune d’elles renferme peut-être plus de citoyens que les trois premières réunies.

Servius, dit Cicéron, ne voulut pas donner la puissance au nombre : ce fut par les suffrages des riches, non par ceux du peuple, que tout se décida[25]. Il aurait pu ajouter : la prépondérance n’appartenait pas à la richesse seule, elle fut donnée encore à la sagesse et à l’expérience, puisque les seniores ou citoyens âgés de plus de 45 ans, moitié moins nombreux que les juniores, de 17 là 45 ans révolus, possédaient autant de suffrages[26]. Enfin chacun avait la charge qu’il pouvait porter, et les droits dans l’État étaient proportionnels aux obligations.

Dans les lois nouvelles, les rangs étaient aussi nettement marqués que dans l’ancienne constitution ; mais cette inégalité s’effaçait aux yeux des pauvres devant l’honneur d’être comptés au nombre des citoyens et devant les avantages matériels faits à leur condition. Si les riches conservent le pouvoir politique, sur eux aussi pèsent toutes les charges : dans la ville, la plus lourde part de l’impôt ; à l’armée, le service le plus fréquent, l’armement le plus coûteux et les positions les plus dangereuses. Mais, à cette époque, il n’y avait guère à Rome d’autre richesse que la propriété territoriale ; or presque tout l’Ager Romanus et la plus grande partie des terres conquises se trouvant entre les mains des patriciens, ceux-ci restaient, ainsi que par le passé, les maîtres de l’État : ces nouvelles lois qui reconnaissaient les plébéiens comme citoyens libres de Rome, et qui, par voie de conséquence, les appelleront un jour à voter sur les affaires publiques, ne changeaient donc pas en réalité la condition présente des deux ordres. Cependant un progrès immense était accompli en plaçant l’aristocratie d’argent, puissance mobile et accessible à tous, à côté de l’aristocratie de naissance, puissance immuable, ces lois préparaient les révolutions qui mirent dans Rome républicaine l’union et une force invincible.

Cette constitution portait un autre coup à l’aristocratie en attaquant indirectement la clientèle. Elle n’abolissait pas le patronage, qui donnait aux grands la force matérielle, sans laquelle les privilèges ne peuvent longtemps se défendre ; mais elle assurait une place dans l’État aux clients qui jusqu’alors avaient vécu sous la protection des Quirites. Elle les séparait de leurs patrons le jour des comices pour les confondre, suivant leur fortune, avec les riches et les pauvres ; elle ouvrait la route du Forum à ceux qui n’avaient jamais suivi que celle de l’atrium patricien. Une autre loi de Servius autorisa les affranchis à retourner dans leur patrie, ou, s’ils restaient à Rome, à se faire inscrire dans les tribus urbaines. Cette loi aurait également reconnu aux plébéiens les droits du patronage ; de sorte que le riche plébéien pouvait dès lors se montrer dans la ville entouré, comme un Fabius, d’une troupe bruyante et dévouée. Mais la clientèle s’affaiblira en se multipliant, et, au cours des siècles, home, le siège de l’empire, se peuplera, pour la ruine de ses institutions, d’esclaves affranchis.

Cette constitution, qui devait réunir deux peuples jusqu’alors séparés, n’avait été conçue qu’en vue de l’armée[27], et l’on appelait les centuries l’armée urbaine, urbanus exercitus. Les seniores gardaient la ville, tandis que les juniores, ou l’armée active, allaient chercher l’ennemi. Sur le champ de bataille, la légion se présentait en lignes serrées qui rappelaient la phalange macédonienne[28] ; en face de l’ennemi et exposés à ses premiers coups étaient les légionnaires de la première classe, tout couverts d’airain ; derrière eux et abrités par leurs corps et leurs armures, les hommes des classes suivantes ; ceux de la cinquième servaient comme troupes légères ; 300 chevaliers formaient la cavalerie de chaque légion.

On a vu que l’ami des plébéiens de Rome le fut aussi des cités latines et qu’il les convia à des sacrifices communs en l’honneur de Diane sur le mont Aventin[29]. Les esclaves firent leur sanctuaire du temple élevé sur la colline néfaste par le roi populaire : chaque année, aux ides de sextilis (août), ils venaient y sacrifier[30] ; mais les patriciens ne semblent pas avoir admis cette déesse dans le culte national, et aucune fête publique ne fut marquée en son nom au livre des Pontifes. Il ne reste, bien entendu, aucun vestige de ce temple ni de l’image qu’il renfermait. Quand les Romains se furent hellénisés, ils confondirent leur Diane, farouche et toujours vierge, avec l’Artémis grecque, lui en donnèrent les attributs, et leurs palais, leurs villas, nous ont conservé de cette déesse quelques-unes des plus belles statues que l’art grec ait créées.

Denys assure (IV, 15) qu’en outre de sa constitution, Servius promulgua plus de cinquante lois sur les contrats, les délits, les affranchissements, les formes d’acquérir la propriété, les poids et les mesures, les monnaies, que le premier il aurait marqué d’une empreinte, primus signavit æs, etc.[31] Si Servius est bien l’auteur de cette dernière nouveauté, qui n’en était pas une pour les Grecs de la Campanie et de l’Italie méridionale, ce fut un grand service qu’il rendit à son pays, car la monnaie est au commerce ce que l’écriture est à la pensée, un puissant moyen de propagation.

Les lois attribuées au grand réformateur de Rome semblent avoir eu le même caractère libéral que sa constitution ; celle-ci, par exemple, que Tarquin abolit et que le peuple mit prés de deux siècles à reconquérir : la propriété seule du débiteur, et non sa personne, répondra de sa dette. Aussi la reconnaissance populaire protégea la mémoire du roi plébéien, né dans la servitude ou sur la terre étrangère, et l’on alla jusqu’à croire qu’il avait voulu déposer la couronne pour établir le gouvernement consulaire.

Quelques années auparavant, l’Athénien Solon avait réparti les droits en proportion des biens. Ainsi, au même moment, les deux plus grandes villes de l’ancien monde voulaient renoncer au gouvernement des familles consacrées par les dieux, et adopter le principe qui est encore appliqué chez beaucoup de sociétés modernes, que le pouvoir dépend de la fortune. Mais, à Athènes, les mœurs avaient préparé la réforme de Solon, elle fut immédiatement appliquée ; à Rome, celle de Servius devançait le temps, il ne put l’établir ; mais, à la génération suivante, elle s’imposa d’elle-même.

 

III. — Tarquin le Superbe ; puissance de Rome à cette époque.

Ce furent en effet les lois démocratiques de Servius qui aidèrent Tarquin le Superbe à renverser son beau-père, lorsqu’il se fut montré aux patriciens comme le défenseur de leurs privilèges attaqués. Devenu roi par un meurtre, il détruisit les tables sur lesquelles étaient portés les résultats du dénombrement, abolit le système des classes et défendit les réunions religieuses des plébéiens[32] ; puis, soutenu de ses nombreux mercenaires, il contraignit le peuple à achever le Cirque, le Capitole et le grand Cloaque. Mais, comptant trop sur ses alliés latins et herniques, il n’épargna pas plus les patriciens que la plèbe, et, pour échapper à la mort, beaucoup de sénateurs s’exilèrent. Cette domination s’exposait par ces violences à réunir les deux ordres dans une haine commune. Elle dura cependant jusqu’à ce que l’attentat contre Lucrèce eût donné à la multitude une de ces preuves outrageantes de servitude qui, plus encore que le sang versé, amènent les révolutions, parce que l’injure faite à un se il est alors ressentie par tous.

Si la constitution de Servius s’était maintenue, dit Niebuhr, Rome aurait atteint deux cents ans plus tôt, et sans sacrifices, à une félicité qu’elle ne put ressaisir qu’au prix de rudes combats et de grandes souffrances. Heureusement que dans l’histoire d’un peuple, comme dans la vie d’un homme, le bien sort souvent du mal. Cette lutte pénible forma la jeunesse de Rome et retarda sa décadence ; mais malheur à ceux de qui vint l’offense, et malédiction sur ceux qui détruisirent, autant qu’il était en eux, la liberté plébéienne !

Les Tarquins cependant avaient porté haut et loin le nom de leur peuple. Sous ses derniers rois, Rome n’est plus l’humble cité dont le territoire s’étend à quelques milles de ses murs. Le traité avec Carthage conclu en 509, la grandeur de la ville, l’importance de ses édifices, et ses 150.000 combattants[33], quelque réduction qu’on fasse subir à ce chiffre, attestent qu’elle formait alors un des plus puissants États de l’Italie. Le Tibre était déjà contenu par des quais, et une partie des substructions faites pour porter le Capitole subsistent encore[34]. Ce temple, qui fut digne de Rome au temps de sa grandeur, formait un carré presque parfait de 200 pieds sur chaque face[35]. Une double colonnade l’entourait de trois côtés. Mais le péristyle du midi, qui regardait le Palatin, avait un triple rang de six colonnes. Il s’élevait sur une des deux cimes du mont Tarpéien, celle du nord-est, à l’endroit où se trouve l’église d’Ara-Cœli. Le dieu qui tenait la foudre a cédé la place à l’enfant qui tient la croix, il Bambino. Mais l’église est tournée en sens contraire du temple, qui regardait le Forum et le dominait majestueusement. Cependant à cette majesté manquait la grâce. Avec ses courtes colonnes et sa forme quadrangulaire, sans élévation correspondante, le temple de Jupiter avait un aspect massif et trapu. Ce sanctuaire convenait bien à un peuple de soldats qui a si lourdement pesé sur le monde.

De tous les ouvrages de Tarquin, le plus important fut la Cloaca maxima. Ses fondations s’enfonçaient profondément sous terre, et ses nombreuses ramifications allaient chercher dans les terrains bas de la ville les eaux et les boues pour les conduire au Tibre. Ce fut seulement quand cet immense ouvrage eut été achevé que la plaine marécageuse[36] qui s’étendait entre le pied de sept collines fut assainie et desséchée. Telle était la hauteur de la triple voûte[37] du canal principal, construite en longues pierres de pépérin, posées sans ciment, qu’Agrippa y pénétra dans une barque, et Pline assure qu’un char à foin aurait pu y passer. Aussi la tradition parle-t-elle, comme pour les grandes constructions des rois égyptiens, de la misère du peuple condamné à de tels travaux.

Au reste, la domination de Rome était alors assez étendue pour que la grandeur de l’État se manifestât par la magnificence des édifices. Dans le traité conclu avec Carthage l’année même de l’expulsion de Tarquin, et que Polybe[38] traduisit de l’original conservé dans les archives des édiles au Capitole, toutes les villes de la côte du Latium, Ardée, Antium, Circei, Terracine, sont citées comme sujettes de Rome. Dans l’intérieur du pays, Aricie lui obéissait au même titre ; Suessa Pometia avait été prise et Signia colonisée. Entre le Tibre et l’Anio, toute la basse Sabine lui appartenait, et les récits sur Porsenna prouvent qu’au nord du Tibre sa frontière s’étendait assez loin pour que dix de ses trente tribus eussent leur territoire en Étrurie. Sa marine, surtout celle de ses alliés, n’était même pas sans importance, puisqu’on peut conclure des termes du traité que des navires marchands, sortis du Tibre ou des ports du Latium, trafiquaient jusque dans la Sicile, la Sardaigne et l’Afrique. C’était sans doute la route de l’Égypte que les Carthaginois voulaient leur fermer, en interdisant à Rome et à leurs alliés la navigation à l’est du Beau Promontoire. La révolution républicaine lui coûtera cette puissance, qu’elle mettra plus d’un siècle et demi à reconstituer.

Les Grecs, qui ont fait de Romulus un descendant d’Énée, de Numa un contemporain de Pythagore, et du successeur d’Ancus le fils d’un Corinthien, ont illustré l’histoire du dernier Tarquin de récits copiés dans Hérodote. Ainsi Sextus entre à Gabies comme Zopyre dans Babylone, et le conseil silencieux, mais singulièrement expressif, de Tarquin à son fils est celui de Thrasybule à Périandre. Servius avait honoré, dit-on, l’Artémis grecque en lui élevant un temple sur l’Aventin ; Tarquin honora l’Apollon hellénique en envoyant à Delphes une ambassade, qui, dans la légende, ne sert qu’à montrer la folie simulée de Brutus, un souvenir peut-être de celle de Solon. Enfin on a donné à ce roi les traits d’un des nombreux tyrans que la Grèce a connus. Sa chute même est un problème. Est-ce Lucrèce qui, par sa mort généreuse, a renversé le puissant monarque dont tant de cités subissaient la loi, ou ne fût-ce pas le peuple romain qui se souleva contre un maître étranger ?

Il est difficile de ne pas considérer le temps de la royauté des Tarquins comme l’époque d’une domination des Étrusques acceptée ou subie au bord du Tibre, et la Rome du Superbe comme la capitale de la plus glorieuse des lucumonies. Maîtres de la Toscane et de la Campanie, les Étrusques ont dû l’être aussi du Latium. On ne parle de leur influence à Rome que pour les arts et les croyances qu’ils y portèrent : il est vraisemblable que ce fut par une conquête dont l’orgueil romain n’a pas voulu garder souvenir et par une domination prolongée que cette influence s’exerça. Assez forts et assez nombreux pour imposer leur autorité et quelques-unes de leurs coutumes, ils ne le furent pas assez pour changer la langue, les institutions civiles et la population, qui resta latino-sabine. L’histoire de la grandeur et de la chute du dernier des Tarquins, celle des guerres entreprises par les Étrusques pour le rétablir, conduisent en effet à l’idée que la révolution de l’année 510 fut le résultat d’un mouvement national, provoqué par quelque insultant défi, tel que l’attentat contre Lucrèce. La fortune des Rasenas baissait alors partout. Ils avaient déjà perdu les plaines du Pô et ils perdaient en ce moment, ou ils allaient perdre, celles de la Campanie. La réaction des races indigènes gagna le Latium et la ville qui en était la plus florissante cité. Par l’exil de Tarquin, il faut donc entendre la fin de la grande lucumonie tibérine et la renaissance du vieux peuple romain.

 

 

 

 



[1] Orose, II, 4 ; Florus, I, 3, dit aussi : hic omnem militarem disciplinam artemque bellandi condidit (Il fonda toute la discipline militaire et l'art de la guerre).

[2] Cicéron, pro Balbo, 24.

[3] Denys, III, 52.

[4] L’histoire légendaire explique toutes ces importations étruques par la conquête Tarquin l’Ancien aurait faite de l’Étrurie. Otf. Müller renverse cette proposition et fait conquérir par les Étrusques Rome et le Latium ; mais ce qui n’est point contesté, c’est que l’époque des Tarquins a été marquée par l’influence prépondérante à Rome de la civilisation étrusque, à ce point que la plupart des historiens de la Grèce, dit Denys d’Halicarnasse (1, 29), regardaient Rome comme une ville tyrrhénienne, Τυρρηνίδα πόλιν είναι όπέλαβον.

[5] A une époque où la foi était bien ébranlée, Tiberius Gracchus lisant, au fond de l’Espagne, les livres qui traitaient des choses sacrées, reconnut que, comme président des comices consulaires, il avait omis un des rites. Il se hâta de signaler cette faute au collège des augures, qui en informa aussitôt le sénat, et les deux consuls furent contraints d’abdiquer. (Valère Max., I, 1, 5 ; Plutarque, Marc., 5.)

[6] Auguriis sacerdotioque augurum tantus honos accessit, ut nihil belli domique postea nisi auspicato gereretur (Ce qu'il y a de certain, c'est que, dès ce moment, les augures acquirent tant de crédit, et leur sacerdoce tant de considération) (Tite Live, I, 36). Les augures avaient le droit, en déclarant les auspices contraires, ... comitiatus et concilia, vel instituts, dimittere, vel habita rescindera.... decernere ut magistratu se abdicent consules.... (quelle prérogative plus éminente que de pouvoir dissoudre les comices et les assemblées convoqués par les plus hauts magistrats revêtus du commandement, ou annuler leurs délibérations... Et ce privilège d'accorder ou de refuser le droit de convoquer le peuple, la plèbe, est-il rien de plus auguste) (Cicéron, de Leg., II, 12). Les magistrats devaient les consulter pour toutes leurs entreprises, et quique non paruerit, capital esto (la désobéissance sera crime capital) (Id., de Leg., II, 8). Mais les prodiges n’étaient déférés aux augures que sur l’ordre du sénat.... si senatus jussit, deferunto (ibid., II, 9). La science augurale, dit ailleurs Cicéron, a été conservée par raison d’État : Jus augurum etsi divinationis opinion principio constitutum sit, tamen postea rei publicœ causa conservatum ac retentum (je crois que le droit augural s'est constitué à l'origine parce qu'on avait foi dans la divination et qu'il s'est maintenu, conservé ensuite par raison d'État) (de Divin., II, 35). Dans de Republica (II, 10 et 9), il dit de Romulus : Quum hæc egregia duo firmamenta rei publicœ peperisset, auspicia et senatum (Après avoir régné trente-sept ans et élevé ces deux solides colonnes de la république, les auspices et le sénat).... id quod retinemus hodie magna cura salute rei publicœ (il se montra religieux observateur des auspices, que nous maintenons aujourd'hui encore au grand profit de la république)... — On trouvera les renseignements nécessaires sur les augures au Dict. des Antiq. gr. et rom., p. 550-560, et sur les auspices, ibid., p. 580-583.

[7] Duplicavit illum pristinum patrunt numerum (il doubla d'abord le nombre des sénateurs).... (de Rep., II, 20). Cf. Tite. Live, I, 36 ; Valère Maxime, III, IV, 2.

[8] Tite Live, I, 56, ad finem. — Civitas romana in sex erat distributa partes, in pirmos secundosque Titienses, Ramnenses et Luceres (Festus, s. v. Sex suffragia). De là six vestales : Ut populus pro sua quaque parte haberet et ministram sacrorum (afin que le peuple eût, pour chacune de ses parties, une prêtresse chargée de s'acquitter des fonctions saintes). (Fest., s. v. Sex Vestœ sacerdotes) ; ce nombre ne changea plus. Cf. Cicéron, de Div., I, 17 ; Denys, III, 71.

[9] Ce discours de Claude, dont Tacite a donné la substance, est gravé sur deux tables de bronze trouvées à Lyon, en 1524, par un paysan qui défonçait sa vigne.

[10] En 1857, dans la même chambre funéraire de Vulci où était représenté Achille immolant des captifs troyens. Le lucumon qui y avait été déposé avait sans doute, lui aussi, quelque frère d’armes, car les deux peintures expriment une même idée, le dévouement d’un guerrier envers l’ami qui le suivait dans les comtats ; Achille venge Patrocle, et Mastarna délivre Cæles. Ces associations de guerre devaient être une coutume étrusque. (N. des Vergers, Revue archéol., 4863, p. 462.)

[11] Tite Live, I, 42.

[12] On disait que Romulus avait établi à Rome les habitants de Cœnina, Antemnæ, Crustumerium (Denys, II, 35) ; Tullus, les Albains (Tite Live, I, 29) ; Ancus, les Latins de Politorium, Ficana, Tellenæ, Medullia, etc. (Tite Live, I, 33).

[13] Tite-Live, I, 43.

[14] Ιδιώτας διxαστάς (Denys, IV, 25). Ces juges formèrent sans dote le tribunal des centumvirs, comme les curateurs des tribus, le collège des tribuns du trésor.

[15] Varron, de Ling. Lat., VI, 36.

[16] Le cens donna (Tite-Live, I, 41) 80.000 citoyens en état de porter les armes, ou, suivant Denys (IV, 22), 85.300.

[17] Tite-Live, I, 44 ; Denys, IV, 15. Des critiques pensent que l’évaluation du bétail, des esclaves et de l’argent comptant ne fut exigée pour te cens qu’après la censure d’Appius, en 312. L’ancienne déclaration aurait été dans ce cas plus favorable à l’aristocratie, puisque, pour la répartition dans les classes, on n’aurait tenu compte que de la propriété foncière.

[18] Cet usage existait à Corinthe (Cicéron, de Rep., II, 20). Orba signifiait à la fois veuve et femme non mariée.

[19] Denys, IV, 16-19. Cf. Tite Live, I, 43 ; Cicéron, de Rep., II, 22 ; Gaius, IV, 27. Denys donne pour le cens de la première classe 100 mines. Pline (XXXIII, 3) lui assigne 110.000 as ; Aulu-Gelle (VII, 15), 125.000 ; Festus, 120.000 ; Tite-Live (I, 43), 100.000. Ces chiffres sont d’une date postérieure au sixième siècle de Rome. Du temps de Servius, l’æs grave ou l’as libral était une livre pesant d’airain, et il ne se trouvait alors personne à Rome dont les biens pussent représenter 100.000 livres pesant d’airain, soit la valeur de 1000 bœufs ou de 100 chevaux de guerre, ou de 10.000 moutons (Festus, s. v. Peculatus). La base du cens fut sans doute le jugerum (25 ares 29 centiares) ou ce qu’une paire de bœufs mis sous le joué pouvait labourer en un jour. Le jugerum fut estimé plus tard 5.000 as, ce qui suppose 20 jugera pour la première classe, 15, 10, 5 et 2 ou 2 ½ pour les autres. Quant à l’as libral de 12 onces, il fut successivement réduit, vers 268, à 4 onces ; vers 241, à 2 ; en 217, par la loi Flaminia à 1 ; en 89, par la loi Plautia Papiria à ½.

[20] Dans les cas graves, ils étaient armés aux frais de l’État :

Proletarius publicitus scutisque feroque

Ornatur ferro... (Ennius, dans Aulu-Gelle, XVI, 10.)

Cf. Festus, s. v. Accensi.

[21] Il est impossible d’admettre que les centuries d’ouvriers de musiciens, ajoutées aux et premières classes, votassent avec celles-ci. Mais la constitution de Servius étant d’abord une organisation militaire, il n’y a point à s’étonner de la présence des ouvriers à la suite des hoplites.

[22] Dans la mancipatio, il y avait cinq témoins représentant les cinq classes du peuple romain.

[23] Minimœ fiduciœ (Tite Live, VIII, 8).

[24] Le texte de Cicéron (de Rep., II, 22), malheureusement mutilé en cet endroit, comme tant d’autres de la République, ne peut servir à faire accorder les chiffres de Tite Live avec ceux de Denys.

[25] Denys (IV, 120) dit aussi : πάσης τής πολιτείας xύριοι (οί πλούσιοι). Tite-Live (1, 43) : vis omnis Panes primores civitatis. Cf. Denys, X, 17.

[26] Cette prépondérance de l’âge se retrouvait au sénat ou les jeunes ne parlaient qu’après les anciens.

[27] Les patriciens pouvaient accepter cette réforme à titre de règlement militaire ; ils étaient trop forts pour se la laisser imposer comme constitution politique. Il ne fallait pas moins qu’une révolution qui leur rendit le secours des plébéiens nécessaire, pour qu’ils le payassent de cette concession. (Tite-Live, I, 47.)

[28] Tite-Live, VIII, 8.

[29] Denys (IV, 26) dit qu’il a vu le décret contenant les clauses de l’alliance gravé sur une colonne d’airain en anciens caractères grecs.

[30] Festus, s. v. Servorum dies.

[31] Les Romains n’eurent à l’origine, comme moyen d’échange que l’œs rude, lingots de métal en bronze ou en cuivre brut, sans empreinte et sans poids déterminé. L’acheteur en mettait dans la balance autant de morceaux qu’il en fallait pour faire le poids de métal équivalent au prix de la marchandise livrée. C’était le troc, moyen d’échange qui annonce une société encore bien brossière. L’œs signalum paraît avoir été coulé sous Servius : c’était une tuile de bronze avec l’image d’un bœuf, d’un mouton, d’un porc, ou, comme celui que nous donnons, avec l’empreinte d’un trépied. Plus tard on coula des pièces plus portatives de forme lenticulaire sur lesquelles la valeur était marquée par un signe indicatif.

[32] Denys, IV, 43.

[33] C’est le cens de l’année 496, mais ce chiffre est très probablement exagéré. Le cens de 509 n’avait donné que 130.000 hommes, et celui de 491 en donna seulement 110.000. (Cf. Denys, V, 20, 75 ; VI, 65, 96). Ces nombres, s’ils étaient exacts, supposeraient toujours une population d’au moins 600.000 âmes.

[34] Il se peut que celles qu’on voit encore ne datent que de la guerre du Samnium.

[35] Vitruve, IV, 7.

[36] Cette plaine forma les quartiers du Velabrum, de la Subura, du Forum Romanum, et du Circus maximus ; ce cirque qui eut 3 stades et demi de long sur 1 de large, put contenir 150.000 ou, selon d’autres, 380.000 spectateurs.

[37] La voûte est formée de trois arcs concentriques, et le diamètre en est de 20 pieds. Il est à remarquer que les Grecs ne construisirent de voûtes cintrées qu’au temps d’Alexandre, cependant M. Heuzey en a vu de beaucoup plus anciennes en Épire et dans l’Acarnanie.

[38] III, 22. L’authenticité de ce traité serait au besoin confirmée par le récit de Tite-Live, qui représente Tarquin comme le chef reconnu de la ligue des quarante-sept villes latines. Voyez Tite-Live, I, 52 ; Denys, IV, 48-49.