HISTOIRE DES ROMAINS

 

PREMIÈRE PÉRIODE — ROME SOUS LES ROIS (755-510) – FORMATION DU PEUPLE ROMAIN

CHAPITRE II — CONSTITUTION DE ROME DURANT LA PÉRIODE ROYALE. ORGANISATION PRIMITIVE.

 

 

I - Sources de l’histoire romaine.

L’influence que la littérature grecque a exercée sur la littérature latine s’est étendue à l’histoire de Rome : on en a eu déjà la preuve et on en verra beaucoup d’autres. Cependant l’usage de l’écriture était moins rare qu’on ne l’a dit dans l’Italie ancienne. Si l’on rejette avec raison la découverte des livres de Numa,

toujours est-il que le traité avec Carthage en 509, dont Polybe lut l’original, le traité avec Gabies[1], celui de Spurius Cassius avec les Latins, que vit Cicéron[2], les lois royales rassemblées après le départ des Gaulois[3], prouvent que l’écriture était employée, durant la période royale, au moins pour les actes publics et pour conserver le souvenir des événements importants.

Tout autour de Rome, les peuples avaient aussi des monuments de leur vie nationale. Au temps de Varron, il existait encore des histoires étrusques écrites vers le milieu du quatrième siècle avant notre ère. Cumes avait eu ses historiens[4], et chaque cité ses annales gravées sur des lames de plomb, des tables d’airain, des planches de chêne ou écrites sur des pièces de lin, comme à Anagni et à Préneste. Nul doute que la nation des Volsques, si longtemps puissante, n’ait possédé, comme les Herniques et les Latins, des monuments écrits. Denys fait mention de leurs chants de guerre, Silius de ceux des Sabins, et Virgile, aussi savant que le docte Varron dans les choses de la vieille Italie, parle des chants nationaux des prisci Latini.

Des inscriptions sur bronze et sur pierre, des souvenirs, des noms attachés à des monuments, à des lieux, comme le Poteau de la Sœur, la voie Scélérate, et les traditions orales qui vivaient dans les familles pouvaient aider aux recherches sur l’histoire primitive. Mais les plus anciens des annalistes romains vivaient à l’époque où Rome, maîtresse de l’Italie, entrait en relations avec la Grèce ; ils furent éblouis par l’éclat de la littérature hellénique ; et, méconnaissant l’importance des documents indigènes dont l’aridité était extrême, ils se firent les élèves de ceux qu’ils venaient de soumettre. Il y eut alors comme une double conquête faite en sens opposés. Les Grecs devinrent sujets de Rome, les Romains des disciples de la Grèce, et l’éducation étrusque des jeunes patriciens fut remplacée par l’éducation grecque, le voyage à Cære par le voyage à Athènes[5]. Longtemps, même avant que les Romains songeassent à Athènes, l’influence de la Grèce s’était fait sentir, au centre de l’Italie, chez les Étrusques et jusque dans Rome. Les livres sibyllins étaient écrits en grec, et l’ambassadeur de Rome aux Tarentins leur parla dans cette langue.

Par une singulière bizarrerie, ce fut des Grecs que les Romains apprirent leur histoire : je veux dire celle que les Grecs leur firent. Le caractère épique, que l’influence d’Homère et d’Hésiode avait donné à la prose narrative des Hellènes, passa dans les écrits des annalistes de Rome. Deux de ses premiers historiens furent deux poètes épiques, Ennius et Nœvius ; et Denys disait de leurs ouvrages : Ils ressemblent à ceux des annalistes grecs ; et il joutait pour Caton, C. Sempronius, etc. : Ils ont suivi la fable grecque. Tacite, Strabon, leur faisaient le même reproche[6]. Ainsi les nations de l’Europe occidentale oubliaient au moyen âge leur véritable origine pour les pédantesques souvenirs de l’ancienne littérature : les Francs se disaient sortis d’un fils d’Hector ; les Bretons, de Brutus, et Reims avait été fondée par Remus.

Sur l’origine de Rome et de Romulus, le seul Plutarque ne rapporte pas moins de douze traditions différentes, qui, presque toutes, portent le cachet de l’imagination grecque, et celle à laquelle il s’arrêta comme étant la plus répandue n’était que le récit d’un Grec, Dioclès de Péparèthe, suivi par un soldat de la seconde guerre punique, Fabius Pictor, le plus ancien des annalistes romains et le premier ambassadeur de Rome dans la Grèce.

Cependant l’organisation étant toute religieuse, et les prêtres intervenant à chaque instant dans les affaires publiques, les pontifes étaient intéressés à garder, le plus exactement qu’il était possible, le souvenir des événements. Aussi les Romains avaient-ils les Annales des Pontifes[7], ou Annales Maximi, les Fasti Magistratuum, les Fasti Triumphales, les listes des censeurs, etc. Mais ces annales étaient d’un laconisme qui ouvrait le champ aux interprétations et aux fables. D’ailleurs, faites au jour le jour, pour conserver le souvenir des traités, les noms des magistrats et des événements importants, elles ne remontaient qu’à l’époque où la société romaine, régulièrement constituée, sentit le besoin, mais celui-là seulement, de se rendre compte à elle-même de ses actes et de ses engagements avec ses voisins. Au delà, il n’y a que ténèbres mythologiques, et c’est la libre carrière où s’exerça l’imagination des Grecs. Ils se saisirent de cette période pour la remplir au gré de leurs intérêts. Or, dans leur propre histoire, ils n’avaient guère conservé des temps anciens qu’un grand souvenir, celui de la lutte contre Troie. A cet événement ils rattachèrent la première histoire de l’Italie. C’est vers l’Italie qu’ils conduisirent les chefs troyens échappés au sac de la ville, ou les héros grecs éloignés de leur État par la tempête, et chaque ville italienne de quelque importance eut un héros de l’une des deux races pour fondateur. Remarquons que les Grecs trouvaient également avantage dans cette double manière de rattacher l’Italie et Rome à leur histoire, par leurs propres colonies et par les établissements troyens, par Évandre et Énée, par Ulysse et Anténor. Remonter à Troie, c’était remonter, pour les Grecs, à une époque de gloire et de puissance, et d’ailleurs, tout en ennoblissant par ces légendes les commencements de Rome et des Latins, les Grecs se vengeaient indirectement, en montrant cette ville et ce peuple formés par des fugitifs échappés à l’épée victorieuse ces Hellènes. Pour Rome, accepter cette origine, ce n’était pas déroger. Troie était le plus grand nom de l’antiquité, celui du plus puissant État de l’ancien monde ; sa réputation était immense, et cependant elle ne pouvait blesser, car Troie était depuis longtemps détruite. C’était d’ailleurs aussi l’ennemie de la Grèce. Rome ne se serait pas aussi volontiers laissé dire qu’elle sortait de la Macédoine, de Sparte ou d’Athènes, renommées récentes. On n’est point jaloux des morts glorieux ; leur héritage est une illustration nouvelle.

Dès l’époque de la première guerre Punique, la croyance à la descendance troyenne des Romains était populaire ; on le voit par l’inscription de Duillius, où les Égestins, qu’on regardait comme une colonie troyenne, sont dits cognati populi Romani. Après Cynocéphales, un des premiers soins de Flamininus, qui tenait à ne point passer pour un barbare, fut de placer à Delphes une inscription qui nommait les Romains la race d’Énée. Quand la maison Julia eut saisi l’empire, cette croyance devint un article de foi politique, et, à l’exemple des Romains, les Italiens revendiquèrent à l’envi cette origine ; on acheta des généalogies troyennes, comme, au dernier siècle, nos pères achetaient des marquisats ; et, du temps de Denys[8], cinquante familles romaines, les Trojugenæ, prétendaient descendre des compagnons d’Énée. Au reste, lors même qu’Énée se serait véritablement établi dans le Latium, comme il n’y vint, suivant la plus ancienne tradition, qu’avec un seul vaisseau et un petit nombre de Troyens, ce fait n’aurait d’importance que pour la vanité de quelques familles, aucunes pour la civilisation du pays.

 

II. – Origine probable de Rome.

Tous les grands peuples ont entouré leur berceau de récits merveilleux. En Égypte, c’est le règne des dieux et des demi-dieux qui précède celui des hommes. En Perse, Dsehemschid ouvre avec une faucille d’or le sein de la terre et chasse au loin les Djinns. A Troie, Apollon et Neptune bâtissent de leurs mains les murs de la cité de Priam. Rome ne voulut pas avoir une moins noble origine ; son obscure naissance fut cachée sous de brillantes fictions, et un chef d’aventuriers devint le fils du dieu Mars, le petit-fils du roi d’Albe, le descendant d’Énée ! Si l’on réclame au nom de la vérité historique, Tite Live répond par le droit de la victoire. Telle est, dit-il avec une fierté de style majestueuse, telle est la gloire du peuple romain dans la guerre, que, lorsqu’il proclame de préférence le dieu Mars pour son père, pour le père de son fondateur, les nations doivent le souffrir avec la même résignation qu’elles souffrent notre empire[9]. De cette idée singulière des droits de l’historien, il est résulté que les événements ont été pour le grand annaliste de Rome, comme ces matières que le rhéteur développe en récits et en discours et qui viennent de l’école bien plus que du champ de bataille, ou du forum. C’est. ce voile chargé de broderies charmantes, qu’il faut soulever respectueusement pour trouver les débris de vérités qui se cachent derrière lui.

De ces traditions, la moins invraisemblable est l’enlèvement des Sabines, action fort commune aux âges héroïques. Cette violence concorde bien avec l’histoire de l’asile : les réfugiés du Palatin ravissant des femmes, les unions étaient assorties. L’enlèvement a d’ailleurs été la forme primitive du mariage, et le souvenir s’en est conservé jusqu’aux derniers jours de Rome païenne dans les cérémonies nuptiales[10]. Mais le fait de l’enlèvement des Sabines ne peut se concilier avec la légende que Rome soit une colonie d’Albe, car, à ce titre, elle aurait eu le connubium ou droit de mariage avec sa métropole, et personne n’aurait osé rejeter l’alliance de cet homme de race royale. On a d’ailleurs exagéré le caractère violent de l’ancienne Rome, en faisant d’elle une sorte de camp retranché d’où ne cessaient de sortir le pillage et la guerre. C’était une conséquence de l’idée que cette ville avait été fondée par une troupe de bandits ; la sévérité des premières institutions romaines, le patriciat, les privilèges politiques et religieux des grands, s’accordent mal avec ce souvenir d’une troupe rassemblée au hasard et longtemps livrée à tous les désordres.

Ce n’est pas que nous voulions rejeter l’existence de Romulus ; seulement les hymnes chantés encore du temps d’Auguste, et qui conservaient la poétique histoire du premier roi de Rome, ne seront pour nous qu’une légende comme en ont eu tous les vieux peuples, et dont il serait aisé de retrouver la ressemblance dans d’autres traditions nationales. Ainsi, comme Romulus, Sémiramis est fille d’une déesse ; comme lui, comme Cyrus exposé dans une forêt et allaité par une chienne[11], elle est abandonnée dans le désert, nourrie par des colombes et recueillie par un pâtre du roi. Son histoire aussi est sanglante : si Romulus tue son frère, Sémiramis fait périr son époux, et, après un long règne, elle disparaît ; mais quelques-uns l’on vue monter au ciel, et son peuple lui rend les honneurs divins. Plus près de Rome, dans le Latium même, Cæculus, fils de Vulcain et fondateur de Préneste, est abandonné après sa naissance et élevé par des bêtes fauves. Pour peupler sa ville qui restait déserte, il convoqua les peuples voisins à des jeux solennels ; et, quand de toutes parts on eut accouru, des flammes entourèrent l’assemblée.... Dans la Sabine, Medius Fidius ou Sancus, qui devint le dieu national des Sabins, était né aussi d’une vierge surprise par Mars Enyalius dans un temple de Reate, et, comme Romulus, il avait fondé une ville, Cures, qui dans la tradition est la seconde métropole de Rome. Ces légendes qu’on retrouve jusque sur les rives du Gange, dans l’histoire de Chandragupta, étaient, avec bien d’autres, le patrimoine commun des peuples de race aryenne.

Pour nous, Romulus, que l’on rattachera, si l’on veut, à la maison royale d’Albe[12], sera un de ces chefs de guerre comme en ont eu l’ancienne et la nouvelle Italie, et gui devint le roi d’un peuple auquel la position de Rome[13], d’heureuses circonstances et l’habileté de son aristocratie donnèrent l’empire du monde.

De nombreux témoignages[14] attestent que, bien longtemps avant que Romulus traçât un sillon autour du Palatin, cette colline était habitée. II y avait donc là une vieille cité latine, la ville du Tibre, Ruma, ayant les mœurs et les lois du Latium et de la Sabine, le patriciat, l’autorité paternelle, le patronage, la clientèle, un sénat et peut-être un roi ; en un mot, une organisation politique et religieuse déjà ancienne, que Romulus, Latin lui-même, n’aura fait qu’adopter. Il sera venu s’y établir victorieusement avec sa troupe[15], les celsi Ramnenses, en donnant à l’ancienne ville une face nouvelle et des mœurs plus guerrières. A ce titre, il aura pu passer pour son fondateur, et ses compagnons, pour les chefs des maisons patriciennes. La noblesse d’Angleterre, si puissante et si fière, ne descend-elle pas des aventuriers qui avaient suivi Guillaume de Normandie ?

Malgré les dédains de Niebuhr, quelquefois si durement exprimés, pour ceux qui cherchent dans ces antiques légendes des faits historiques, on peut admettre l’enlèvement, par les celsi Ramnemes, de quelques femmes sabines[16] et l’occupation, à la suite d’une transaction, du Capitolin et du Quirinal par les Sabins de Cures[17]. Les deux villes restèrent séparées, mais on se réunissait dans la plaine qui s’étendait entre les trois collines. Des circonstances que la légende explique comme il lui convient, amenèrent la réunion sous un seul chef des deux bourgades établies sur le Palatin et le Capitole. De quelque manière que cette alliance se soit produite, l’histoire doit accorder aux Sabins une part considérable et probablement prépondérante dans la formation du peuple romain.

Mais, si nous ne pouvons percer ce voile de poésie qui cache les faits réels, étudions les institutions que les circonstances et les mœurs anciennes ont produites ; cela nous est possible, car ces coutumes ont duré jusque dans l’âge historique, et, comme Cuvier reconstruisait avec quelques os brisés les êtres disparus, nous reconstruirons avec des débris antiques la société dont les légendes ne nous donnent que l’intéressante mais trompeuse image.

 

III – Patriciens et Clients.

Rome n’eut point de législateur comme les cités grecques ; sa constitution fut l’œuvre du temps, des circonstances et des hommes. De là des incertitudes sans nombre. Les plus anciennes traditions montrent le peuple divisé en trois TRIBUS, les Ramnenses[18] ou compagnons de Romulus, les Titienses ou Sabins de Tatius, et les Luceres dont on rapporte l’origine à un chef étrusque, Lucumon[19], qui serait venu avec une troupe nombreuse aider Romulus à bâtir sa ville et à gagner ses premières victoires. Mais l’infériorité politique de cette dernière tribu, qui n’eut d’abord ni sénateurs ni vestales, ferait penser à une population vaincue ; peut-être les anciens habitants de la ville seraient restés jusqu’à Tarquin sous le coup de la conquête.

La tribu se partageait en dix CURIES, chaque curie en dix DÉCURIES ; et ces divisions, qui étaient aussi des divisions territoriales et militaires[20], avaient leurs chefs : des tribuns, des curions et des décurions.

Dans chaque tribu étaient renfermées un certain nombre de familles politiques ou GENTES, lesquelles n’étaient pas composées seulement d’hommes du même sang, mais aussi d’hommes liés entre eux par de mutuelles obligations, par le culte d’un héros vénéré comme aïeul commun (sacra gentilitia), et par le droit d’hériter les uns des autres, en l’absence d’un testament ou d’héritiers naturels[21] : droit qui rappelle qu’à l’origine la propriété avait été commune. Aussi avait-on pu réduire le nombre de ces familles politiques à un chiffre peu élevé, 200 d’abord, 300 plus tard, et ne donner que 3000 citoyens à la cité de Romulus ; mais il faut admettre que ces chiffres, comme en Angleterre les mots hundred, tithing, n’étaient pas une expression arithmétique rigoureusement exacte. En outre, par ces 3000 citoyens de la Rome primitive, on n’entend que les seuls patriciens. Or, à ces chefs de gentes se rattachaient de nombreux clients : dans la tradition, la seule gens Appia en compte 5000, la gens Fabia 4000, et Coriolan pourra former des siens une armée. Acceptons le chiffre de 500 maisons patriciennes, pour chaque maison le terme moyen de 100 clients, et nous aurons une population de plus de 50.000 hommes.

Du reste, ces chiffres seraient de pure fantaisie que la gens n’en resterait pas moins le fond de l’organisation primitive de Rome, comme elle l’a été chez beaucoup de peuples. Aussi loin qu’on remonte dans l’histoire, on trouve la famille naturelle ou fictive comme l’élément primordial de la société. Les γένη grecs, le clan écossais, le sept irlandais, répondent aux gentes romaines, et l’on rencontre la même organisation dans la Frise, chez les Ditmarses, les Albanais, les Slaves, etc. Dans notre Algérie le douar arabe et la dechera kabyle ressemblent à la gens romaine, le cheick et l’amine au pater familias, et les chefs des douars et des decheras, comme les patres à la curie, discutent dans la djemmâa les intérêts des familles qu’ils représentent. L’histoire mieux étudiée montre que des coutumes longtemps regardées comme particulières à certains peuples et à certaines époques ont été des institutions générales et représentent une des étapes de l’humanité.

Ainsi la gens enveloppait tous les membres d’un lien de parenté réelle ou fictive. La curie était cette même famille agrandie, et la tribu en était une autre plus complète. Chaque curie avait ses jours de fêtes et de sacrifices, ses prêtres et son dieu protecteur. La religion rapprochait encore ceux que le sang et la condition sociale unissaient. Tout l’État romain reposait sur cette base de la famille et en eut la forte discipline.

Les membres d’une gens, disions-nous, se divisaient en deux classes : ceux qui y appartenaient par le droit du sang, ceux qui y étaient associés par de certains engagements.

Les premiers, patrons ou PATRICIENS[22], étaient le peuple souverain, à qui tout appartenait et qui eut les deux grands signes extérieurs de la noblesse du moyen âge, les noms de famille et les armoiries ; je veux dire le jus imaginum, armes parlantes bien autrement imposantes et fières que toutes les devises féodales ; puisqu’il semblait que les ancêtres eux-mêmes, revêtus des insignes de leurs charges, gardassent l’entrée de la maison patricienne. Dans les cérémonies funèbres, des individus rappelant par leurs traits et leur taille les personnages qu’on voulait représenter, revêtaient le costume et les honneurs que ceux-ci avaient portés, de manière à entourer le mort patricien du cortége vivant de ses aïeux. Ils eurent plus tard une autre forme d’armes parlantes, la représentation sur leurs médailles des objets que leur nom rappelait. Ainsi Aquilins Florus, une fleur ; Quinctius Mus, un rat ; Voconius Vitulus, un veau ; Pomponius Musa, les neuf Muses sur neuf médailles différentes, etc. Coutume infiniment plus modeste qui finit par n’être qu’un jeu d’esprit, mais qui avait d’abord servi à rappeler des actes héroïques, comme le collier des Manlius et sans doute le marteau des Poblicius et la hache des Valerius.

La seconde classe des membres de la gens comprenait des étrangers domiciliés dans la ville, des vaincus transportés à Rome, d’anciens habitants du territoire, des pauvres, des affranchis, tous ceux enfin qui avaient préféré, à l’isolement et à une liberté sans garantie, la dépendance vis-à-vis des grands et des forts, mais aussi leur protection ; c’étaient les CLIENTS, nous pourrions dire les vassaux.

Le patricien ou PATRON, ces mots sont alors synonymes, donnait une petite ferme à son client ou, à défaut de terre, une sportula, c’est-à-dire des aliments[23] ; il devait veiller à tous ses intérêt,, suivre ses procès, l’assister en justice, faire, en un mot, pour lui, ce que le père fait pour ses enfants, le patron pour ses affranchis. La loi n’assurait au client aucun recours contre son patron ; mais la religion dévouait le patron aux dieux, s’il faisait tort à celui dont il était le protecteur nécessaire[24]. Le client, de son côté, prenait le non de famille de son patron, nomen gentilicium, et en mourant recevait asile dans son tombeau[25] ; il l’aidait à payer sa rançon, ses amendes, ses frais de procès, la dot de sa fille et jusqu’aux dépenses nécessaires pour remplir ses fonctions et soutenir la dignité de son rang. Il leur était réciproquement défendu de se citer en justice, de témoigner, de voter l’un contre l’autre, et c’eût été un crime, de la part du client, de soutenir un parti contraire à son patron. La clientèle était donc une diminution considérable de la liberté du client, et pour lui, une demi servitude. Telle fut, en effet, aux anciens temps, la force de ce lien, que, si le patron était exilé ou s’il quittait sa patrie, ses clients le suivaient sur la terre étrangère. Mais, en 390, Camille partit seul ; le lien s’était relâché ; quelques années plus tard, il était bien près de se rompre, quand Manlius crut que sa parole serait écoutée, s’il proposait aux clients de s’armer contre leurs patrons[26]. A cette époque, quelques-uns se trouvaient déjà sur la route de la fortune ; un siècle plus tard, ils seront sur celle du pouvoir : les Marcellus, par exemple, qui avaient été dans la clientèle de la gens Claudia. La gens perdra donc son caractère social et religieux, mais il en subsistera jusqu’à Constantin des restes considérables. Avec les conquêtes de la république le patronage s’étendra à des villes, à des peuples entiers ; de sorte que, dans les guerres civiles, la force des chefs en sera doublée. Sous l’empire, il sera un lien précieux entre les sénateurs de Rome et les cités provinciales, entre le riche et le pauvre ; et il dispensera cette société d’avoir les institutions de charité que le christianisme devra multiplier, quand la clientèle aura disparu.

 

IV. – Sénat et roi ; Plébéiens.

Les membres des gentes, de condition absolument libre (ingenui), ou les compagnons d’armes, comites, c’est-à-dire les patriciens, se réunissaient au Comitium[27], divisés en trente curies, ASSEMBLÉE CURIATE, et là, à la majorité des suffrages, mais sans discussion, ils faisaient les lois, décidaient de la paix et de la guerre, recevaient les appels et nommaient aux charges publiques ou religieuses. Là encore ils approuvaient ou rejetaient les testaments qui modifiaient la propriété des citoyens et les adoptions qui changeaient leur état civil.

Les chefs de ces gentes ou les anciens — seniores, d’où SÉNATEURS —, au nombre de cent d’abord, de deux cents après la réunion avec les Sabins, de trois cents après l’admission des gentes minores sous Tarquin, étaient les gardiens des coutumes nationales[28]. En refusant l’autorisation de présenter une rogation à l’assemblée des curies, ils rendaient celle-ci impuissante et, conseil du magistrat suprême, ils l’éclairaient de leurs avis pour ses actes de gouvernement, comme pour les propositions qu’il faisait au peuple.

Élu à vie par l’assemblée curiate, le ROI remplissait les triples fonctions de généralissime, de grand-prêtre et de juge suprême. Tous les neuf jours, selon la coutume étrusque, il rendait la justice ou établissait des juges pour la rendre en son nom. Durant la guerre et hors des murs, son autorité était absolue, pour la discipline comme pour le partage du butin et des terres conquises, dont il gardait lui-même une part ; de sorte qu’il possédait, à titre de biens de l’État, des domaines considérables. Les étrangers, c’est-à-dire, les plébéiens, lui étaient soumis en tout temps et en tous lieux. Il convoquait le sénat et l’assemblée souveraine, nommait les sénateurs, veillait au maintien des mœurs et des lois, et faisait le cens ou dénombrement. Six siècles plus tard, on retrouvera ces droits dans les prérogatives des empereurs. Mais on pouvait en appeler au peuple, c’est-à-dire à l’assemblée curiate ou patricienne, des jugements du roi, et l’on ne le pourra pas des sentences de l’empereur : différence qui suffit à marquer le pouvoir limité de l’un et l’autorité absolue de l’autre[29]. Autre frein tout-puissant et qui ne le sera plus sous l’empire : les augures, les prêtres, étant nommés à vie, n’avaient rien à craindre du roi, et ils pouvaient arrêter ses résolutions en faisant intervenir les dieux.

Il avait, dit-on, pour sa garde trois cents CHEVALIERS ou célères. Mais ces cavaliers, choisis parmi les plus riches citoyens, n’étaient vraisemblablement qu’une division militaire des tribus ; en temps de guerre, ils formaient la cavalerie des légions[30]. Leur chef, le tribun des célères, était, après le roi, le premier magistrat de la cité ; de même, sous la république, le magister equitum, lieutenant du dictateur, sera le second personnage de l’État. Lorsque le roi quittait Rome, un sénateur qu’il avait choisi parmi les dix premiers de l’assemblée gouvernait la ville sous le nom de gardien[31]. En cas de vacance du pouvoir royal, le sénat nommait tous les cinq jours un interroi. Enfin des questeurs, chargés de l’instruction des causes criminelles, veillaient en outre à la répartition des charges publiques, munia, et à la levée de certains impôts ou redevances[32] ; et des duumviri perduellionis jugeaient les cas de haute trahison que le roi ne s’était pas réservés.

A côté de ce peuple des maisons patriciennes[33] qui, seul, forme l’État, fait les lois, fournit des membres au sénat, des rois et des prêtres à la république ; qui a tout : la religion, les auspices par lesquels il est en communication avec les dieux, les droits politiques et privés, les terres, et dans la foule de ses clients une armée dévouée ; au-dessous, enfin, de cette bourgeoisie souveraine, se trouvent des hommes qui ne sont ni clients, ni serviteurs, ni membres des gentes ; qui ne peuvent entrer par mariage légal dans les maisons patriciennes ; qui n’ont ni la puissance paternelle[34], ni le droit de tester, ni celui d’adopter ; qui n’interviennent dans aucune affaire d’intérêt public et restent en dehors de la cité politique, comme ils habitent en dehors de la cité matérielle, au delà du pomerium, sur les collines qui entourent le Palatin. Ces hommes, ce sont les PLÉBÉIENS. Anciens habitants des sept collines ou vaincus transportés à Rome, étrangers attirés par l’asile, clients ayant perdu leurs patrons, ils sont, comme un Appius le leur dira plus tard, sans auspices, sans familles[35], sans aïeux.  Mais ils sont libres ; ils ont des biens[36], exercent des métiers et honorent déjà Mercure, le dieu plébéien du commerce qui, avec le temps, enrichira quelques-uns d’entre eux[37] ; ils règlent, par des juges choisis dans leur sein, leurs contestations, ne reçoivent d’ordre que du roi et combattent dans les rangs de l’armée romaine, pour défendre les champs qu’ils cultivent et la cité à l’abri de laquelle ils ont bâti leurs cabanes. Nous les retrouverons bientôt, devenus, par les lois de Servius, citoyens de Rome.

Dans l’antiquité, de même qu’au moyen âge, la victoire livrait au vainqueur la personne et les terres du vaincu. Romulus, maître, d’une manière ou d’une autre, par la conquête ou par une cession volontaire, de l’Ager romanus, aura donc pu le diviser également entre les familles conquérantes. Ce partage primitif, attesté par tous les écrivains, établit entre les citoyens une égalité de fortune à laquelle on chercha plusieurs fois à revenir par les lois agraires. Chaque gens reçut peut-être un lot de vingt jugera, à la condition de fournir à l’armée dix combattants ou un cavalier ; la légion se composa donc de trois mille hommes de pied et de trois cents cavaliers. Je crains que cette explication ne paraisse un souvenir de l’organisation des armées féodales, comme la clientèle nous avait rappelé le vasselage. Cependant le même système se retrouve en Grèce. Sparte avait aussi trois tribus (φυλαί) et trente curies (ώβαί) à chacune desquelles étaient attribuées trois cents lots de terres, et dont les membres formaient l’armée et le peuple souverain. À Rome même, la possession du sol entraînait, comme celle d’un fief, l’obligation du service militaire ; et le citoyen sans terres, ærarius, n’était pas plus admis dans les légions que le Franc sans domaine, ou le Lombard sans cheval de guerre[38], ne l’était dans l’ost du roi. Sous des dehors différents, bien des âges du monde se ressemblent. Dans la nature, un petit nombre d’éléments essentiels produit la variété infinie des êtres ; de même, dans le monde politique, les formes sociales les plus diverses cachent souvent des principes semblables. Il n’en faudrait pourtant pas conclure que l’humanité oscille comme les vagues de l’Océan, par un flux et un reflux perpétuels ; dans cette éternelle évolution des êtres et des empires, les principes ne restent pas immuables, ils se modifient et se développent. Le monde semble rouler dans le même cercle, mais ce cercle est une spirale qui parfois retourne sur elle-même et finit toujours par monter plus haut.

Ce que nous venons de rappeler était, dans la tradition, l’œuvre du premier roi, c’est-à-dire des temps anciens ; car l’imagination populaire, qui ne voit que des dieux dans les phénomènes de la nature, ne voit que des hommes dans les grandes phases de l’histoire, et elle attribue au héros qu’elle invente ou dont elle a recueilli le nom, le travail de dix générations. Pour les Romains, c’était donc Romulus qui avait divisé le peuple en tribus et en curies, qui avait créé les chevaliers et le sénat, établi le patronage, la puissance paternelle et conjugale, et défendu les sacrifices nocturnes, le meurtre des prisonniers, l’exposition des enfants, à moins qu’ils lie fussent nés difformes[39]. C’était lui encore qui, en ouvrant l’asile et en donnant le grand exemple d’appeler les vaincus dans la cité, avait empêché que Rome ne restât, comme Sparte et Athènes, une ville n’ayant qu’un petit nombre de citoyens, ou, pour prendre l’expression de Machiavel, un arbre immense, mais sans racines, et prêt à tomber au plus petit vent[40].

 

 

 

 



[1] Denys, IV, 58.

[2] Pro C. Balbo, 25. Cf. Denys, IV, 26.

[3] Tite Live, VI, 1.

[4] Festus, s. v. Romam.

[5] Tite Live, IX, 36 : Habeo auctores vulgo tum (au cinquième siècle de Rome) Romanos pueros, sicut nunc Græcis, ita Etruscis litteris erudiri solitos (J'ai vu, dans des auteurs, qu'à cette époque il était aussi commun d'instruire les jeunes Romains dans les lettres étrusques, qu'il l'est aujourd'hui de les instruire dans les lettres grecques).

[6] Strabon, III, IV, 19. Denys, I, 11.

[7] Cicéron, de Orat., II, 12, et Festus, s. v. Maximus, et Servius, ad Æn., I, 373.

[8] Ant. Rom., I, 85.

[9] In proœmio. Cicéron (de Rep., II, 2) dit aussi : Concedamus fumæ hominum .. Et plus loin : ut a fabulis ad facta veniamus. Nous ne devons pas, dit-il, blâmer ceux qui, reconnaissant un génie divin dans les bienfaiteurs des peuples, ont voulu leur attribuer une naissance divine. Voilà de singulières règles de critique. Ajoutons, pour montrer les difficultés qui rendent si pénible le travail des modernes, que nous avons perdu les plus anciens historiens de Rome : Dioclès de Péparèthe, Fabius Pictor, les Annales d’Ennius, les Origines de Caton, l’histoire de Cassius Hemina, et que Tite Live, Denys d’Halicarnasse et Plutarque, qui ont pu lire ces ouvrages, sont rarement d’accord.

[10] La mariée était comme enlevée de force de la maison paternelle, et on la soulevait pour lui faire franchir le seuil de la demeure conjugale. Ce dernier usage existe encore dans quelques villages d’Angleterre où il a pu être apporté par les Romains ; mais il est habituel en Chine (Denys, The Folk-Lore of China) et chez les Esquimaux, ce qui affaiblit la preuve qu’on en pourrait tirer en faveur de la légende des Sabines.

[11] Pâris le fut par une ourse, Télèphe par une biche, etc. Ces sortes de légendes étaient fort répandues dans l’antiquité et ont revécu au moyen âge : Geneviève de Brabant, etc.

[12] Dans la tradition, il est le petit-fils et l’unique héritier de Numitor. Cependant il ne lui succède pas, et la famille de Sylvius est remplacée sur le trône d’Albe par une famille nouvelle, par Cluilius, roi ou dictateur. Rome est dite colonie d’Albe, et cependant il n’y a entre les deux villes aucune alliance, et la métropole ne défend pas sa colonie contre les Sabins, etc., etc.

[13] Placez Rome sur un autre point de l’Italie, dit Cicéron (de Rep., II, 5), et sa domination devient à peu prés impossible.

[14] Roma ante Romulum fuit et ab ea sibi Romulum nomen adquisivisse Marianus, Lupercaliorum pœta, ostendit (Philargyr., ad Virg. Ecl., I, 20). Il n’y a que les villes fondées de toutes pièces et à un jour précis par une colonie qui aient une date certaine. Les autres ont d’abord été un hameau, un village, un bourg. A Paris, à Londres, quand le hameau a-t-il commencé ?

[15] Festus (s. v. Ver sacrum et Mamertini) attribue l’origine de Rome à un printemps sacré. C’est toujours l’idée d’une occupation du Palatin par une troupe armée.

[16] Dans le plus ancien des historiens de Rome, Fabius, le nombre des Sabines enlevées n’est que de trente ; Valerius Antias en compte déjà cinq cent vingt-sept, et Juba six cent trois.

[17] La lance (quir) était l’arme nationale des Sabins et le symbole de leur principale divinité ; de là les noms de Cures, de Quirites, de Quirinal, de Quirinus, et peut-être de Curie. Les deux peuples réunis furent dits Populus Romanus Quirites, en omettant, suivant l’usage de la vieille langue latine, la conjonction et on en fit plus tard Populus Romanus Quiritium.

[18] Celsi Ramnenses (pour Romaneses), ou, comme dit Denys (IX, 44), xαθxρωτάτη φυλή.

[19] Cicéron, de Rep., II, 8. Fest., s. v. Lucerenses, de Lucerus, roi d’Ardée ; suivant d’autres, de lucus, le bois de l’asile. Dans ce cas, les Lucères seraient ceux qui s’étaient réfugiés dans l’asile.

[20] Varron (de Ling. Lat., V, 55) parie d’une division du territoire en trois parties pour les trois tribus ; Denys (II, 7), d’une division en trente lots pour les trente curies.

[21] Au lieu de gens, on trouve quelquefois genus, qui explique clairement le mot gens. Ainsi, Cilnium genus (Tite Live, X, 3-5). Cf. Aulu-Gelle, XV, 27 ; Pollux, VIII, 9 ; Harpocration, s. v. Γεννήται. Paul Diacre (p. 84) dit aussi : Gentilis dicitur et ex eodem genere ortus et is qui simili nomine appellatur.

[22] Patricios Cincius ait, in libro de Comitiis, cos appellari solitos qui nunc ingenui vocentur (Cincius, dans son traité des Comices, dit que l'on avait coutume de donner ce nom à ceux qu'on appelle maintenant ingenui), Fest., s. v. Patricii.

[23] Agrorum partes attribuebant tenuioribus (Festus, s. v. Patres), probablement aux mêmes conditions que l’État imposa aux fermiers du domaine. Voyez Appien, Bell. civ., I, 7. — Denys, II, 10 : έξηγεϊσθαι τα δέxαια.... C’est là que se trouve le passage principal sur la clientèle. La nomination à une magistrature curule rompit plus tard les liens de la clientèle.

[24] Serv., ad Æn., VI, 609.

[25] Jus sepulcri (Cicéron, de Leg, II, 22).

[26] Tite Live, VI, 18.

[27] Le Comitium était la partie du Forum la plus rapprochée du Capitole. L’abord distinct du Forum, ou place publique, il fut confondu avec lui quand les deux peuples n’en firent plus qu’un seul. Le comitium était dominé par une plate-forme sur laquelle était un autel consacré à Vulcain, le Vulcanal ; les rois, plus tard les consuls et le préteur, y rendaient la justice.

[28] Habituellement ils siégeaient dans la curie Hostilia, bâtie en face du Comitium au pied du Capitole (Tite-Live, I, 30) ; plus tard, ils se réunirent dans un des temples de la ville, et toujours en un lieu consacré par les auspices. Ils délibéraient les portes ouvertes. Cette demi publicité des séances fut mieux assurée quand les tribuns du peuple eurent été admis à s’asseoir sur des bancs aux portes de la curie.

[29] Denys, II, 14.

[30] L’école de Niebuhr renferme tous les patriciens dans les trois centuries de chevaliers, sans songer qu’en Italie, à Rome surtout, toutes les forces militaires consistaient en infanterie, et que les cavaliers n’étaient jamais, dans une armée romaine, qu’en très petit nombre, comme le voulait la nature du pays.

[31] Custos urbis. La dénomination de præfectus urbi est plus moderne. Voyez Jean. Lyd., de Magist., I, 34, 38 ; Tacite, Annales, VI, 11.

[32] Tacite (Annales, XI, 22) fait remonter aux rois l’institution de questure financière, mais on n’en parle qu’après 509.

[33] Les trois tribus, τάς τρεϊς φυλάς τάς γενιxάς (Denys, IV, 14).

[34] La puissance paternelle dérive du mariage patricien par confarreatio, et les plébéiens ne peuvent en contracter de tels ; les testaments et les adoptions, pour être valables, doivent être acceptés par les curies, et ils n’y entrent pas.

[35] C’est-à-dire qu’ils ne forment pas des gentes, qu’ils n’ont pas le jus imaginum.

[36] Soit ceux qu’ils avaient conservés sur le territoire des villes conquises, soit les assignations des rois. Deux mots exprimaient cette séparation des deux peuples : les plébéiens n’avaient avec les patriciens ni connubium ou droit de mariage, ni commercium ou droit d’acheter et de vendre.

[37] Du moins Tite Live dit (II, 27) qu’un peu avant l’établissement du tribunat, on fit, à Rome, la dédicace d’un temple à Mercure et que l’on institua sous le patronage du dieu un collège de marchands.

[38] Luitpr., Leg., V, cap. 29.

[39] Denys, II, 15.

[40] Sparte et Athènes étaient extrêmement guerrières. Elles avaient les meilleures lois jamais cependant elles ne s’agrandirent autant que Rome, qui semblait moins policée et gouvernée par de moins bonnes lois. Cette différence ne peut venir que des raisons expliquées ci-dessus (l’introduction dans Rome des populations vaincues, ou la concession du droit de cité). Rome, attentive à augmenter sa population, pouvait mettre 280.000 hommes sous les armes ; Sparte et Athènes n’ont jamais pu dépasser le nombre de 20 000 chacune. Tous nos établissements imitent la nature ; et il n’est ni possible ni naturel qu’un tronc faible et léger soutienne des branches considérables.... L’arbre chargé de branches plus fortes que le tronc se fatiguera, les soutenir, et se brise au plus petit vent. (Machiavel.)