L’eau était imposée à Rome comme elle l’est aujourd’hui à Paris, mais seulement l’eau pure et salubre des aqueducs ; on l’achetait, soit pour la boisson, soit pour l’irrigation des cultures et des jardins situés le long de leur développement, dans un terrain brûlant qui est pendant six mois de l’année sans recevoir d’eau de pluie. Si l’on en croit Frontin[1], le premier aqueduc de Rome fut exécuté en 44, par C. Appius, qui construisit la grande route appelée, du nom de ce censeur, voie Appienne. Jusqu’alors, dit Frontin, les Romains s’étaient contentés de l’eau du Tibre, des puits ou des fontaines. Lorsque des aqueducs publics eurent été construits à Rome, il fut défendu aux particuliers de détourner aucune portion de l’eau destinée à l’usage commun ; ils ne pouvaient jouir que du trop-plein du réservoir, encore cette eau n’était-elle concédée que pour les bains et les ateliers des foulons, et payait-elle à l’État une redevance fixe[2]. Peu à peu les censeurs et les édiles concédèrent aux particuliers, moyennant un prix déterminé, le droit de dériver de l’artère principale et publique les veines d’eau nécessaires, hors de Rome, à l’irrigation des propriétés, dans la ville, aux usages des maisons privées. Horace et, plus tard, Martial[3] indiquent cette concession que les empereurs, â l’exemple de Domitien, se réservèrent le droit d’accorder comme une faveur spéciale[4], moyennant une certaine redevance qui se nommait ou vectigal ex aquæductibus[5] ou vectigal formæ[6]. Ce dernier nom venait des enduits ou tuyaux qui amenaient l’eau du réservoir public dans les propriétés privées, et qui sont nommés formæ ductuum par Frontin, ou simplement formæ dans les anciennes inscriptions[7]. C’est la taxe imposée sur les prises d’eau que Polybe indique, je crois, au nombre des revenus du peuple romain, sous le nom d’impôt des jardins : τέλος τών xηπίων[8], car il l’englobe avec les impôts sur les terres, les fleuves, les ports, les mines, et en attribue l’administration aux censeurs. Pline, en parlant des fontaines Virgo et Marcia, indique aussi les délits et les fraudes commis par les particuliers qui détournaient les eaux des aqueducs et en privaient le public pour les appliquer au luxe de leurs villas et de leurs maisons des faubourgs[9]. Aussi les lois[10] prescrivaient-elles des peines contre ceux qui se rendaient coupables de ces délits : Qui furtivis aquæ meatibus ad hortorum delicias utebantur. La taxe sur les prises d’eau existait dans les municipes et formait une partie du revenu de la commune ; Cicéron la payait à Tusculum[11]. Les censeurs et les édiles, comme je l’ai dit, affermaient le revenu et l’entretien des aqueducs. Agrippa, qui dota Rome de beaucoup d’aqueducs et de fontaines nouvelles, voulut se charger lui-même d’entretenir ses ouvrages et de perpétuer ses bienfaits[12] ; il reçut cette noble mission. Puis Auguste en fit une magistrature honorable, créée par un sénatus-consulte ; l’officier qui en était revêtu se nommait curator aquarum[13]. Le premier titulaire de cette charge fut le célèbre Messala Corvinus, qui eut pour adjoints Posthumius Sulpitiuset L. Comitius Pedanius. Ce petit fait nous est transmis par Frontin[14], qui donne la liste de tous les curatores aquarum depuis Agrippa jusqu’à lui. Cette charge, à partir du règne des Antonins, perdit de son importance ; on trouve ensuite sous le Bas-Empire un consularis aquarum[15] chargé de veiller sur les aqueducs, puis, dans la notice des. dignités de l’empire d’Occident[16], un comes formarum, avec les mêmes attributions. Deux corporations, familiæ, furent, en outre, instituées pour la garde et l’entretien des aqueducs, l’une par Agrippa, sous le nom de publica, l’autre par Claude ; celle-ci se nomma Cœsarea. Ces corporations, composées d’esclaves publics, ressemblaient aux corps des greffiers, des scribes, qui tenaient les registres et copiaient les procès-verbaux des séances du sénat. Frontin[17] les désigne sous le nom générique d’aquarii[18] ; il énumère ensuite leurs différents grades : c’était le villicus ou intendant, le castellarius[19] ou fontainier du château d’eau ; puis l’inspecteur, circitor ou custos[20] ; le maçon, silicarius ; le stucateur, tector, etc. Je pense que ces familiæ, comme les esclaves publics de Vénus Erycine et d’Apollon Delphien, jouissaient de droits plus élevés que les esclaves ordinaires ; par exemple, ils pouvaient cumuler les fonctions, de scribe et de garde des eaux, témoin cette inscription ancienne citée par Juste Lipse[21] : CAPITONI SCRIBÆ EDILICIO, CURATORI AQUARUM. Ils étaient attachés à l’aqueduc, comme d’autres l’étaient aux mines, comme les serfs du Brutium, 300 ans avant J.-C., étaient attachés à la glèbe. Ils prélevaient, dit toujours Frontin, leur solde et leurs émoluments sur le produit de la taxe des eaux : Accipiebant stipendia et commoda sua ex vectigalibus quæ ad jus aquarum pertinebant. Les esclaves privés ne touchaient pas de salaire. |
[1] De aquœd., art. V, p. 1, éd. Polen.
[2] Frontin, art. IV, p. 166.
[3] Horace, Epist. I, x, 20. Martial, Epigr., IX, 19.
[4] Voyez les lois spéciales sur la matière, dans le Code Théodosien, XV, II, t. V, p. 327.
[5] Digeste, XIX, I, 41, de Act. empt. Frontin, l. c.
[6] Digeste, XXX, I, 39, § 5, De Legat., I.
[7] Restituta forma,...... per formam cursu factam. Gruter, 177, 1, 180, 2.
[8] Polybe, VI, XVII, 2. Schweighœuser me semble avoir mal saisi ce passage. Les mots vectigal hortorum désignent la taxe établie sur l’eau dérivée pour l’irrigation des jardins et des villas. Pline (XIX, 19, 1) dit que, dans la loi des Douze-Tables, hortus est pris pour villa, et Frontin (de Aquœduct., art. CXVIII, p. 203) nous apprend que le revenu des aqueducs était établi sur les Horti : aguœductuum vectigalia constare ex hortis.
[9] Quanitum Virgo tactu, tantum prœstat Marcia haustu. Quamquam utriusque jam pridem urbi perlit voluptas, ambitione avaritiaque in villas ac suburbana detorquentibus publicam salutem. Pline, XXXI, 25.
[10] Frontin, de Aquœduct., art. CXXIX.
[11] Ego Tusculanis pro aqua Crabra vectigal pendam, quia a municipio fundum accepi. Si a Sulla mihi datus esset, Rulli legs non penderem (Je payerai une redevance dans ma terre de Tusculum, pour l'eau de Crabra qui l'arrose, parce que j'ai reçu la terre avec cette servitude; si elle m'avait été donnée par Sylla, je ne payerais rien, en vertu de la loi de Rullus). Cicéron, Agr. contr. Rull., III, 2.
[12] Suétone, Auguste, c. 42.
[13] Id., ibid., c. 37.
[14] De Aquœd., art. XCVIII, sqq.
[15] Cod. Théodosien, XV, II, 1, De Aquœduct. Cod. Justinien, XI, XLII, 1, idem.
[16] C. VII ; ubi vid. Pancir.
[17] De Aquœd., art. LXXI et CXVI, sqq.
[18] Ce titre se trouve dans une inscription donnée par Orelli, Select. inscr., n° 3203, et dans une autre publiée par Bianchini, Sepulcr. serv. dom. Augusti, p. 90.
[19] Juste-Lipse (ad Tacit. Annal., XV, 43) rapporte une inscription où se trouve mentionné un semus castellarius aquœ Claudiæ.
[20] Cf. Tacite, l. c.
[21] Ad Tacit., l. c.