L’impôt sur la vente et l’affranchissement des esclaves,
établi en 398 de Rome, existait encore en 543 et même en 693 ; mais il parait
évident qu’il fut supprimé dans l’intervalle de temps écoulé entre 693 et
760, quoique ce fait n’ait été signalé par aucun des nombreux érudits qui ont
écrit sur la vicesima[1]. En effet Dion (LV, 31) dit
positivement qu’Auguste, pressé d’argent pour les besoins de la guerre et
pour l’entretien des gardes de la ville, institua un impôt du cinquantième
sur la vente des esclaves, τό
τέλος τό τής
πεντηxοστής
έσήγαγε. Cette taxe subit de
nombreuses variations. Elle ne fut pas abolie par Caligula, comme on a voulu
le prouver au moyen d’une monnaie de petit bronze, existant autrefois dans le
musée du collège Louis le Grand, et qui porte sur la face la note s. c. avec le pileus,
symbole de la liberté ; au revers, dans le milieu, R. CC., c’est-à-dire remissa ducentesima, et autour C. CÆSAR... TR.
P. III COS. DES. III[2]. Deux autres
grands bronzes de Caligula, qui existent à Tacite nous fait connaître un exemple semblable de générosité apparente de la part de Néron, qui fit seulement semblant de remettre l’impôt du vingt-cinquième établi sur la vente des esclaves, car il le fit payer au vendeur[3], lequel s’en indemnisa sur l’acheteur, en sorte que ce dernier continua de payer l’impôt en réalité ; seulement, au lieu de le payer immédiatement au fisc, il l’acquittait par l’intermédiaire du vendeur. On voit néanmoins que la taxe avait doublé depuis Auguste, puisque du cinquantième elle s’était élevée au vingt-cinquième. Les monnaies de Galba, qui portent R. XXXX ou remissa quadragesima[4], ont, je crois, induit aussi en erreur les savants, qui ont cru y voir un retour vers la taxe du cinquantième établie par Auguste, et une diminution du vingt-cinquième perçu sous Néron sur le prix de la vente des esclaves. Il rire semble qu’il s’agit ici d’une autre taxe du quarantième, assise, non sur les esclaves, mais sur les procès et les jugements qui avaient lieu, dans tout l’empire, et je m’appuie de ce passage formel de Suétone (Caligula, 40), qui s’accorde, pour le chiffre, avec les médailles de Galba : Exigebatur, pro litibus atque judiciis ubicumque conceptis, quadragesima summæ de qua litigabatur ; nec sine pagina si quis composuisse vel donasse negotium convinceretur. C’était, comme on voit, le quarantième des sommes en litige dans les procès plaidés et jugés dans tout l’empire que Caligula avait exigé. Galba, qui était bien un peu avare, mais du reste honnête homme et prince éclairé, sentit probablement l’injustice de cette taxe énorme, inventée par le rapace Caligula, et il en fit la remise, qui a été consignée sur des médailles. C’est pourtant pour avoir confondu ces différentes sortes d’impôts indirects que les érudits ont voulu corriger les textes et les nombres, écrits en toutes lettres par Tacite, Suétone et Dion. Maintenant le chaos est facile à débrouiller ; revenons à la vente et à l’affranchissement des esclaves. L’impôt sur l’affranchissement était le prix de la liberté ; il était dû par l’esclave affranchi. Le maître l’acquittait quand il voulait ajouter une gratification au don de la liberté ; c’était alors le gratuita libertas de Suétone (Vespasien, 16). Quand un maître, dit Arrien[5], affranchit son esclave devant le préteur, qu’a-t-il fait ? Il l’a fait libre : rien de plus ? il doit payer pour lui le vingtième. Voilà le gratuita libertas ; mais le même auteur nous montre un peu plus loin l’esclave acquittant lui-même le prix que la loi avait mis à sa liberté en faveur du fisc. Pourquoi, dit-il[6], l’esclave désire-t-il surtout d’être affranchi ? Est-ce parce qu’il brûle de donner son argent pour acquitter le vingtième ? C’était là le cas ordinaire, celui du Gripus de Plaute[7], ce-lui des esclaves mentionnés par Pline dans le septième livre (c. 40) de son Histoire naturelle. Pedanius, dit Tacite[8], fut tué par un esclave, auquel il refusa la liberté dont le prix avait été convenu entre eux. Ce prix et le droit du vingtième étaient prélevés, dit Sénèque[9], sur le pécule de l’esclave : Peculium suum, quod comparaverunt ventre fraudato, pro capite numerant. Les esclaves qui, par la manumission, ne recevaient pas la liberté complète, en obtenant le droit de cité étaient exempts du vingtième, règlement conséquent, puisque alors leur maître pouvait les réduire de nouveau en servitude. Cette exemption est prouvée par un passage de Cicéron, un autre de Modestinus, un troisième de Celsus[10], où l’on voit un esclave, affranchi d’abord, retomber ensuite dans les liens de l’esclavage. On n’exigeait pas le droit du vingtième de l’esclave affranchi par un étranger, peregrinus. La raison en est évidente : c’est que le peregrinus ne pouvait conférer, par la manumission, ni le droit de cité, ni même le droit latin ; les individus affranchis par un étranger ne pouvaient acquérir le droit de cité qu’en vertu d’un décret de l’empereur ; encore fallait-il que l’étranger fût mort et que la demande du droit de cité fut faite par le patron de l’affranchi. C’est une lettre de Pline le Jeune[11] à Trajan qui nous fait connaître ces détails. L’esclave affranchi par un citoyen romain ne jouissait même pas du droit quiritaire, si cette faveur ne lui était accordée, sur la demande de son patron, par le chef de l’État[12]. Quant au vingtième imposé sur les successions, j’ai déjà exposé ailleurs les motifs qui l’avaient fait établir l’an de Rome 759, et les manœuvres habiles employées par Auguste pour le faire accepter[13]. C’était le vingtième sur les héritages, les legs ou donations faites par les mourants[14]. Ce droit frappait sur les héritiers collatéraux et sur tous les citoyens romains, à moins qu’ils n’héritassent comme agnats, en vertu de la loi des Douze-Tables[15]. Les bons princes, tels que Nerva, Trajan[16], délivrèrent de cette charge un plus grand nombre de citoyens ; les étrangers, les provinciaux en étaient exempts, et c’est pour les soumettre à cette taxe énorme que Caracalla conféra le droit de cité romaine à tous ses sujets ; on défalquait néanmoins de la matière imposable les frais funéraires, les dettes et les pensions alimentaires[17], avant de prélever l’impôt. Les héritages dont la valeur était au-dessous de 100 aureus semblent avoir été exemptés, comme l’a avancé Gronovius d’après une loi de Justinien[18]. Cependant nous voyons par une autre loi insérée au Digeste (XLVII, II, 10) qu’il fallait posséder moins de 50 aureus pour pouvoir, aux yeux de la loi, être rangé dans la classe des pauvres. Les administrateurs chargés de percevoir le vingtième sur les successions et d’apprécier les motifs d’exemption allégués par les contribuables sont nommés dans les inscriptions[19] procuratores, promagistri XX (vicesimæ) hæreditatum. Trajan affranchit encore de l’impôt du vingtième les successions recueillies par les parents proches, que Pline le Jeune[20] nomme domesticos haredes, et les membres de la gens ou clan qui étaient unis par une communauté d’alliances, de culte et de sacrifices. L’exemption était juste, car l’héritier était chargé des frais de l’entretien du culte, qui était souvent fort coûteux[21]. Les étrangers, au contraire, qui recevaient l’héritage sine sacris, comme Plaute[22] l’appelle, c’est-à-dire libre de toutes les charges, payaient sans trop de peine cette taxe, un peu moins lourde que celle qui pèse actuellement en France sur les successions collatérales. Auguste avait fixé le terme de rigueur pour l’acquittement du vingtième à cinq jours après le décès[23], que devait suivre immédiatement l’ouverture du testament. Le Digeste[24] accorde en sus aux absents un délai d’un jour par vingt milles de distance. Zonare, au moins dans le passage cité par Burmann[25], ne nous semble pas annoncer qu’Antonin le Pieux ait aboli la taxe du vingtième sur les successions. Dans tous les cas, il n’est point probable que le généreux Marc-Aurèle qui, selon Capitolin (c. 23), fit remise de tant de contributions directes et indirectes, eût rétabli le vingtième sur les successions, si cet impôt eût été supprimé par son père adoptif. Or, son biographe rapporte (c. 11) qu’il fit de nouveaux règlements sur cette taxe, addidime leges de vicesima hœreditatam, et ce fut sans doute pour en adoucir la rigueur. Ce texte d’un écrivain médiocre, mais qui est un chroniqueur exact, prouve au moins que la taxe existait. Caracalla l’éleva au dixième ; Macrin la reporta au vingtième[26]. Ce taux subsista sous Héliogabale[27] et même sous Valens. Une inscription[28] qui date du règne de ce dernier prince nous fait connaître un certain L. Vocontius Vicasius procurateur du vingtième sur les successions. Deux jurisconsultes anciens avaient écrit sur la vicesima ; le premier était C. Aulus Ofilius, l’ami d’Auguste[29], qui semble avoir pris seulement la défense de l’innovation introduite par ce prince, car il ne reste rien de lui dans les Pandectes ; le deuxième était Æmilius Macer, jurisconsulte contemporain d’Alexandre-Sévère ; il écrivit deux livres sur le vingtième, είxοστών. Le produit de cet impôt fut, comme je l’ai dit ailleurs, déposé par Auguste dans la caisse de l’armée, et spécialement affecté à son entretien ; il reçut la même destination sous les empereurs suivants. Nous trouvons enfin dans les lois[30] l’indication de quelques ruses employées par les héritiers pour éluder le paiement de l’impôt du vingtième ; mais l’avide Caracalla, pour hâter le paiement du droit, le frappa d’un intérêt de 12 % qui prenait cours à partir de l’échéance[31]. |
[1] Juste-Lipse, ad Tacit. Annal., XIII, 31 ; De magnit. Rom., II, 4. Cujac., Obs., VI, 28. Burmann, Vectig., p. 69. Reimar., ad Dion. Cass., LV, 31. Vesme, De re tribut. in Gall., ms. 1836, p. 27.
[2] Vid. Brottier, ad Tacit., t. IV, p. 280.
[3] Vectigal quoque quintæ et vicesimæ venalium mancipsorum remissum, specie magis quam re ; quia cum venditor pendere juberetur, in partem pretil emptoribus aderescebat (Le vingt-cinquième dû sur les achats d'esclaves fut supprimé, suppression plus apparente que réelle ; car le vendeur, obligé de payer cet impôt, élevait d'autant le prix de la vente). Tacite, Annales, XIII, 31.
[4] Voyez Brottier, l.
c. Eckel, Doctr. num., t. V, p. 296, col. 1, et à
[5] Dissert. in Epict., II, c. 1. Cf. Festus, Manumitti.
[6] Ibid., III, 26.
[7] Rudens, V, III, 32.
[8] Annales, XIV, 42.
[9] Lettres, 80. Vid. Brisson, Formul., VI, p. 559. Ravard., de Divers. reg. jur., 19. Loon, de Manum. serv., IV, 5, 8.
[10] Cicéron, ad
Attic., VII,
[11] Rogo des intraliptæ meo civitatem Romanam. Est enim peregrinæ conditionis, manumissus a peregrina. Vocatur ipse Harpocras ; patronam habuit Thermuthin Theonis, qua jampridem defuncta est (Je vous supplie donc de lui accorder le droit de cité: car, ayant été affranchi par une étrangère, il est lui-même étranger. Il s'appelle Harpocras. Celle qui lui a donné la liberté s'appelait Thermutis, femme de Théon, morte il y a longtemps). Pline le Jeune, Lettres, X, 4, éd. Schæffer.
[12] Rogo des jus Quiritium libertis Antoniæ Maximillæ, ornatissimæ feminæ, Hediæ et Antoniæ Harmeridi; quod a te petente patrona peto (Je vous supplie encore d'accorder le même droit, au premier degré, à Hélia et à Antonia Harméridés, affranchies d'Antonia Maximilla, femme d'un mérite distingué. Je ne vous adresse cette prière qu'à la sollicitation de leur maîtresse). Pline, ibid. Cf. Manut., Miscell., t. I, p. 197. Hugo, Hist. du droit rom., tr. fr., t. I, p. 343, not. 3.
[13] Voyez, livre II, mon chapitre sur l’extension du droit de cité depuis César et Auguste.
[14] Dion, LV, 25 ; LVI, 28.
[15] Paulus, Sentent., IV, 6. Heinnecius, Antiq. Rom. jurisprud. app., I, I, 19, p. 241, éd. Haubold, 1822.
[16] Pline, Panégyrique, c. 37, 38.
[17] Pline, loc. cit., Digeste, XXXV, II, 68, ad leg. Falcidiam. Burmann, Vectig., p. 162.
[18] Cod. Justinien, VI, XXIII, 23, de Testamentis.
[19] Gruter, p. 437, n° 7, 426, n° 5, 454, n° 8.
[20] Vicesima reperta est, tributum tolerabile et facile heredibus dumtaxat extraneis, domesticis graue. Itaque illis irrogatum est, his remissum: uidelicet, quod manifestum erat, quanto cum dolore laturi, seu potius non laturi homines essent, destringi aliquid et abradi bonis, quae sanguine, gentilitate, sacrorum denique societate, meruissent, quaeque nunquam ut aliena et speranda, sed ut sua semperque possessa, ac deinceps proximo cuique transmittenda cepissent (De ce nombre est le droit du vingtième, tribut léger et tolérable pour les héritiers étrangers, mais pesant pour ceux de la famille. On l'a donc exigé des premiers, remis aux seconds. On a senti que les hommes souffriraient avec une peine extrême, ou plutôt ne pourraient souffrir, qu'on entamât et qu'on réduisît des biens que leur garantissent le sang, la naissance, la communauté du culte domestique; des biens qu'ils ne regardèrent jamais comme une propriété étrangère et en espérance, mais comme une possession qu'ils avaient toujours eue, et qu'ils devaient transmettre un jour à leur parent le plus proche). Pline, Panégyrique, 37.
[21] Servius, ad Æneid., III, 104. Tite-Live, I, 20. Cicéron, Verrines, IV, 3.
[22] Captiv., IV, I, 8.
[23] Paulus, Sentent., IV, 6.
[24] L, XVI, 154, de Verb. signif. ; II, XI, 11, si quis caut. in judic. sist.
[25] Lib. XII, init.
[26] Dion, LXXVII, 9 ; LXXVIII, 18. Burmann, Vectig., p. 180.
[27] Lampride, Héliogabale, c. 12.
[28] Gruter, p. 286, n° 4.
[29] Digeste, I, II, 2, § 44, de Origin. jur.
[30] Digeste, XXX, I, 114, § 14, de Legat. Cujac., Obs. V, 16.
[31] Cod. Justinien, VII, LIV, 1, De usur. rei judic.