Il me reste à exposer quel produit l’État retirait des propriétés comprises sous le nom générique d’agri publici, car les terrés dont le domaine entier était resté à la république payaient une autre redevance que les terres distribuées et assignées à des colons et celles qu’on avait rendues aux anciens possesseurs. Le produit tout entier ou le prix intégral du bail des
terres qui formaient le patrimoine de la république entrait dans le trésor ;
c’était le revenu le plus considérable de l’État, celui qui faisait face au
plus grand nombre des charges publiques, à peu près comme le domaine des rois
de France au commencement de la troisième race. Cicéron[1], s’adressant aux
Romains, le nomme : Fundum pulcherrimum populi
romani, caput vestræ pecuniæ, pacis ornamentum, subsidium belli, fundamentum
vectigalium, horreum legionum, solatium annonæ. Il ajoute que,
dans la guerre sociale, quand l’État avait perdu ses autres revenus, le seul
domaine public de Répandus dans toutes les provinces conquises, ces biens étaient ordinairement mis en régie, comme le sont en France les bois de l’État, et on les faisait valoir pour le compte de la république. Le produit des terres assignées à des colons, sous le nom d’agri vectigales, leur revenait en entier, mais à charge de payer au trésor une certaine redevance établie lors de la concession. Hygin, dont j’ai déjà traduit un passage fondamental sur cette matière, nous apprend que cet impôt n’était pas le même partout et pour toutes les colonies ; voici ce texte important : Agri vectigales multas habent constitutiones. In quibusdam provinciis, fructus partem constitutam præstant : alii quintas, alii septimas ; nunc multi pecuniam, et hoc per soli æstimationem. Certa enim pretia agris constituta sunt, ut in Pannonia arvi primi, arvi secundi, prati, silvæ glandiferæ, silvæ vulgaris, pascui. His omnibus agris vectigal ad modum ubertatis per singula jugera constitutum[2]. Les Antiates, comme nous l’apprend Denys d’Halicarnasse[3], auxquels les Romains avaient vendu leurs propriétés urbaines et rurales, payaient, non seulement pour celles-ci, mais pour les terres assignées aux colons romains, et qu’ils avaient prises à ferme, une part fixe des fruits établie d’avance dans le contrat. Il parait, d’après le passage formel d’Hygin, que le cinquième des produits était le maximum de l’impôt foncier. Appien[4] le porte, pour les terres concédées à des colonies, au dixième des grains, au cinquième des fruits : δεxάτη τών σπειρομένων πέμπτη δε τών φυτευομένων. Burmann[5] commet ici une erreur très grave en attribuant au mot γινομένων le sens de φυτευομένων, dans deux passages d’Élien et de Thucydide qu’il rapporte[6] ; car le premier de ces deux auteurs dit que les Lacédémoniens exigèrent des Messéniens la moitié τών γινομένων, c’est-à-dire de tous les produits quelconques. Thucydide rapporte que les Athéniens, sous Pisistrate, payaient είxοστήν τών γιγνομένων, le vingtième de leurs produits. Ce sens est prouvé par cent passages d’auteurs grecs ; je n’en citerai que deux empruntés à Plutarque (Solon). Dans le premier il dit qu’on louait et qu’on cultivait, à charge de payer le sixième des produits du sol έxτα τών γινομένων τελοΰντες ; il nous apprend dans l’autre que, dans toutes les productions de l’Attique, τών γινομένων, l’huile fut la seule dont Solon permit l’exportation. Il est bon de remarquer en passant que la condition des Athéniens, qui payaient le vingtième et plus tard le sixième du produit des biens fonds, était plus dure que celle des Romains, qui, depuis la guerre de Persée, étaient exempts d’impôts pour toutes les terres qu’ils possédaient en propre, jure dominii, et dont ils avaient hérité de leurs ancêtres. Quant au mot générique φυτευομένων, qui signifie tout ce qui est planté, et dont on prenait le cinquième, Juste Lipse[7] a tort de ne pas en étendre la signification jusqu’aux arbres de futaie et aux taillis, et de la restreindre aux vignes, aux figuiers, aux pommiers, aux noyers, en un mot aux arbres fruitiers proprement dits. Le texte d’Hygin a prouvé que les forêts de chênes et les taillis étaient imposés ; seulement l’impôt était moins fort que sur les oliviers et les vignes. Nous apprenons aussi de Cicéron[8] que les pins étaient pour l’État une source de revenus, à cause de la poix qu’ils fournissent ; les arbres de ce genre qui composaient la forêt Scantia, dont la propriété appartenait au domaine public, avaient été affermés à une compagnie par les censeurs P. Cornelius et L. Mummius. Cet impôt sur la poix est compté, dans le Digeste[9], au nombre des revenus publics ; il était assis sur les pins qui produisaient cette résine[10]. Dans notre cadastre actuel, les bois et les prés naturels sont plus fortement imposés que les terres arables, sous prétexte qu’ils coûtent moins de frais de culture et d’exploitation. Outre le revenu et les impôts que le domaine et les terres assignées aux colons fournissaient à la république, il y avait les contributions en nature et en argent que payaient les provinces conquises, les rois alliés, les villes libres ou fédérées. |
[1] Agrar. contr. Rullum, II, 29. Cf. orat. I, c. 7.
[2] Hyginus, de Limit. const. ap. Goes., p. 198.
[3] Liv. IX, ch. 60, p. 615, sq.
[4] Bell. civ., I, c. 7.
[5] Vectig. pop Rom., p. 13.
[6] Élien, Var. hist., VI, 1. Thucydide, VI, 54.
[7] De magnit. Rom., II, 1. Oper., t. III, p. 389, col. 2.
[8] Nam cum in silva Sila facta cædes esset notique homines interfecti insimulareturque familia, partim etiam liberi societatis ejus, quæ picarias de P. Cornelio L. Mummio censoribus redemisset (Dans la forêt de Sila un assassinat avait été commis, et les victimes étaient des gens connus : on incriminait les esclaves et même des hommes libres faisant partie de la société à laquelle les censeurs Publius Cornélius et Lucius Mummius avaient concédé l'extraction de la poix). Cicéron, Brutus, c. 22. Cf. Agrar. contr. Rullum, III, 4.
[9] L. XVI, 17 de verb. sign.
[10] Pline, XVI, 29. Salmas., Plin. exercit., t. I, p. 356.