J’examinerai maintenant quel fut, dans le dernier siècle
de la république, sous le rapport de la population et des produits, l’état
des provinces soumises au gouvernement oppressif et arbitraire dont j’ai
présenté le tableau. Je ne prendrai pour exemple que La fertilité de La richesse de Syracuse était passée en proverbe chez les Grecs. Syracuse était enceinte d’un mur de 180 stades de tour[1] ; c’était, dit Tite-Live, à l’époque où elle fut prise par Marcellus, la plus belle ville connue, et elle était au moins aussi opulente que Carthage (XXV, 24-25) ; elle l’était encore en 670, pendant la questure de Cicéron. Agrigente, Lilybée, Messine, Catane, étaient aussi des villes très riches et très peuplées ; outre le témoignage de Strabon (p. 268, 272), la grandeur de leurs ruines et de leurs monuments l’atteste. Le sol des environs de l’Etna, labouré, divisé par les volcans, était extrêmement fertile et produisait des vins excellents. Cicéron, qui avait été questeur en Sicile en 670, qui y
retourna en 684 pour faire les enquêtes et se procurer les pièces nécessaires
à l’accusation de Verrès ; Cicéron, à qui la loi, comme il le dit lui-même[4], donna le pouvoir
de consulter et d’emporter tous les registres publics, tous les livres de
recette et de dépense des particuliers, relatifs aux produits, aux impôts ou
l’administration de cette île, Cicéron, dis-je, est l’auteur dont le
témoignage doit avoir la plus grande importance ; car il naquit en 646, il
mourut en 709 ; il était très instruit sur la statistique de Cicéron cite[5] le mot de Caton
le Censeur, qui appelait richesses que possédait Plus loin[8] il atteste que l’esprit d’ordre, de frugalité, d’économie, l’amour du
travail, la constance dans les entreprises, qualités qui formaient le
caractère des anciennes mœurs romaines, étaient des vertus généralement
répandues parmi les habitants de On petit juger des produits et de la richesse de Nous avons le moyen d’évaluer d’une manière précise le
produit annuel en blé de la portion de Maintenant la moyenne du poids du modius de blé étant de
13 ½ livres, et la consommation journalière en blé d’un individu étant fixée
à 1° La population entière de cette portion de file qui formait l’ancien royaume d’Hiéron ; 2° Le nombre des citoyens romains ou habitants de l’Italie
nourris par l’exportation du blé de Sicile, exportation qui était de 3. Un autre passage de Cicéron[11], de la même harangue, explique, très naturellement et d’une manière conforme aux vrais principes de l’agriculture, la cause de cette abondante production des céréales en Sicile. En effet, au lieu que les Romains faisaient valoir leurs
terres en Italie, soit par des régisseurs esclaves, ignorants, paresseux et
infidèles, soit par des colons partiaires qui ne fournissaient que leur
travail et ne recevaient que le cinquième, le sixième, quelquefois même le
neuvième de la récolte, Voici ce passage de Cicéron, qui n’a point été jusqu’ici examiné sous ce point de vue, et qui certainement est très remarquable : Il y a, dit-il[12], en Sicile, une classe nombreuse de fermiers riches, actifs et industrieux, renommés pour leur expérience et leur habileté dans la culture. Ces hommes sont dans l’usage ale prendre à loyer de grandes propriétés en terres labourables, d’y consacrer de grands capitaux et d’affecter un mobilier considérable à leur exploitation. On voit plus loin[13] que des chevaliers romains riches et éclairés appliquaient leurs capitaux à ce genre d’industrie, et l’on conçoit qu’il devait être très profitable ; car, depuis la conquête de l’île, comme nous le savons par Cicéron[14], toutes les propriétés ne payaient qu’un impôt fixe, ou la dîme en nature, telle qu’elle avait été établie par les lois d’Hiéron ; par conséquent toutes les, améliorations que le sol recevait de l’industrie, des engrais et des capitaux employés par les cultivateurs, fermiers ou propriétaires, tournaient pour un dixième au profit de la république, et pour les neuf dixièmes à celui du cultivateur. L’activité et l’industrie étaient évidemment beaucoup plus excitées parce système de grandes fermes, qui offrait pour résultat des gains considérables, que par la méthode des exploitations romaines, à part de fruits, qui donnait à peine au colon, pour prix de son travail, les moyens de vivre et d’élever sa famille. Cicéron, en accusant Verrès, avait, comme je l’ai dit, reçu de la loi le pouvoir de consulter ou de copier tous les registres publics ou particuliers delà Sicile, même les livres de recette et de dépense, et les inventaires constatant l’actif et le passif de Verrès et du père de ce préteur[15]. Il était donc à v même de connaître exactement les produits naturels et industriels, en un plot la richesse publique et particulière de cette île. J’en citerai quelques exemples : Même du temps de Verrès, les orfèvres, sculpteurs, ciseleurs et graveurs en métaux étaient très nombreux[17], magnam hominum multitudinem ; il les occupa pendant huit mois à travailler en vaisselle d’or seulement. Verrès avait à Rome et dans ses villas trente lits de table superbement garnis, avec tous les autres ornements précieux convenables à ces festins d’apparat. Les montures des lits, les candélabres, etc., étaient en airain sculpté ; les tapis, les étoffes de pourpre, les broderies, il les avait fait tous fabriquer pour rien en Sicile, et avait fait établir un atelier dans chaque maison riche[18]. Malte, qui était une annexe de Enfin il enleva de Syracuse une énorme quantité de tables
delphiques en marbre, de cratères d’airain superbes et de vases en airain de
Corinthe[20],
preuve évidente du luxe, des richesses et de l’industrie de cette capitale de
Cicéron affirme ensuite qu’il n’y a dans toute l’Asie,
dans toute Il ajoute[25] : Nos ancêtres ont laissé sans peine à nos alliés ces belles décorations ; ils ont voulu voir somptueux et florissants, sous leur empire, ceux mêmes qu’ils ont rendus corvéables ou tributaires ; ils leur ont laissé, comme un adoucissement et une consolation dans leur servitude, ces frivolités qui leur sont si agréables, et qui, pour leurs vainqueurs, avaient peu de prix. On a vu, par les passages que j’ai rapportés, la preuve
que |
[1] Strabon, p. 269, 270.
[2] 712 à 717 de Rome. (Strabon, p. 270.)
[3] XXXI, 39 ; XXXV, 51 ; XXXVI, 45.
[4] Verrines, IV, 63.
[5] Ibidem, II, 9.
[6] Verrines, IV ; de Signis. I, 2.
[7] Divinatio, 6.
[8] Verrines, II, 3.
[9] Verrès fut propréteur en Sicile de 679 à 682 ; Cicéron y avait été questeur en 670 ; il accusa Verrès en 685 : il avait alors trente-sept ans.
[10] Verrines, II, 75.
[11] Ibidem, III, 70.
[12] Ibid., III, 21.
[13] Ibid., III, 25.
[14] Ibid., 6.
[15] Ibid., I, 6 ; IV, 63.
[16] Ibid., IV, 21.
[17] Ibid., 24.
[18] Ibid., 26.
[19] Ibid., 46.
[20] Ibid., 59.
[21] Ibid., 55.
[22] Ibid., 57.
[23] Ibid., 56.
[24] Ibid., 59.
[25] Ibid., 60.