ÉCONOMIE POLITIQUE DES ROMAINS

 

LIVRE SECOND — POPULATION

CHAPITRE XI — Des faubourgs de Rome.

 

C’est de cette partie de la ville que je dois m’occuper à présent ; mais la grande extension que les auteurs romains donnaient aux mots suburbium, suburbanus, suburbanitas, suburbicarius, exige qu’on pose la question avec toute la précision possible. Je déclare donc que, dans ces recherches sur l’étendue et la population de Rome, je ne comprends, sous le nom de faubourgs, que les quartiers ou les bourgs contigus aux murailles de l’ancienne Rome, telles qu’elles existaient sous Néron. C’est ainsi que les lois définissent ce qu’on doit entendre par le mot Rome.

Suburbanitas, τό προαστεϊον, urbis vicinitas, telle est l’explication de Forcellini. Cependant, Cicéron (Verr., II, 3) étend cette acception jusqu’au point d’y comprendre la Sicile : Populo Romano jucunda suburbanitas est hujus provincæ ; il appuie cette idée par ces mots : tam prope ab domo, qui en sont comme le commentaire. Suburbanus, vicino, o sotto la città, sub urbe positus, urbi vicinus, dit Forcellini. Cependant Martial et Pline[1] donnent l’épithète de suburbana à la Méditerranée relativement à Rome : Plana suburbani qua cubat unda freti.

Tacite emploie le terme de peregrinatio suburbana en parlant des voyages de Tibère aux environs de Rome : loca urbi proxima, dit Forcellini, et ces environs sont la Campanie. Suburbicarius, idem ac suburbanus, dit encore Forcellini ; dans ce sens, aux mots suburbicariœ partes, il cite le Code Théodosien[2], et dans ce même Code (XI, XXVIII, 12) vous trouvez le mot suburbicaria appliqué à la Toscane et au Picenum : Picenum et Tuscia suburbicariæ regiones[3]. De nos jours, la juridiction suburbaine des papes s’étend jusqu’à Verceil. Suburbium enfin, que Forcellini traduit par προαστεϊν, sobborgo, frequentes extra urbem domus, instar vici urbani ædificatæ, n’a pas le sens restreint de notre mot faubourg, et signifie plutôt les villages de la banlieue, tels que sont pour nous Neuilly, le Bourg-la-Reine, Saint-Mandé et Vincennes, que nous n’appelons pas, au sens propre, des faubourgs de Paris. Suburbium semble synonyme de tuburbanum, car Cicéron’ emploie dans la mime phrase ces deux mots pour désigner le même lieu ; or, suburbanum, dans le sens absolu, désigne tout ce qui est près de la ville, champs, domaines, bien rural, ou maison de campagne. Telle est l’opinion de Gessner et de Forcellini, qui citent à l’appui de cette explication de nombreux exemples, et aux lexiques desquels je me contente de renvoyer ceux qui conserveraient encore là-dessus quelques doutes.

Mais les lois ont parfaitement déterminé ce qu’on doit entendre par le mot de Rome. Paulus, dans le Digeste[4], traitant de la signification des mots, dit positivement : La signification du mot ville est déterminée par les murs ; à Rome, par les édifices qui touchent aux murs. Urbis appellatio muris, Romæ autem continentibus ædificiis finitur, quod latius patet.

Alfénus reproduit la même définition[5], et dans la loi 147 du même titre, Terentius Clemens décide que ceux qui sont nés dans les parties contiguës à la ville sont censés être nés à Rome : Qui in continentibus urbis nati sunt, Romæ nati intelliguntur.

Ainsi, le titre d’habitant ou de natif de la ville de Rome avait une acception un peu plus étendue que celle que nous donnons au titre d’habitant de maris, puisque nous ne comprenons point sous cette dénomination les habitants de Passy, de Belleville et de la Chapelle, villages qui touchent immédiatement aux murs de la capitale.

Avant de chercher à démêler la vérité au milieu des exagérations de Pline, des rhéteurs et des poètes, je discuterai un passage de Denys d’Halicarnasse, qui avait passé vingt-deux ans à Rome sous Auguste, et dont l’exactitude nous est démontrée par le texte même que je vais traduire.

Si l’on veut, dit cet historien (Antiq. rom., IV), mesurer le périmètre de Rome sur les murs, qui sont peu faciles à suivre à cause des maisons qui y tiennent de toutes parts, lesquelles néanmoins, en beaucoup d’endroits, laissent voir des restes des anciennes murailles ; si l’on veut ensuite comparer cette mesure avec celle de la circonférence de la ville d’Athènes, la circonférence de Rome ne paraîtra guère plus grande que celle d’Athènes. Le rapport des superficies de ces deux villes est comme 5 à 7, et l’irrégularité de la figure d’Athènes, avec les loup murs et les ports, comparée à celle de l’ancienne Rome avant Aurélien, laquelle est un trapèze d’une forme bien moins irrégulière, donne l’explication naturelle du rapprochement fait par Denys d’Halicarnasse. Il ajoute : Mais pour décrire la grandeur et la beauté de Rome telle qu’elle est de mon temps, un autre lieu sera plus convenable. Il est bien à regretter qu’il n’ait pas tenu cette promesse, car nul auteur ancien n’a rempli cette tâche.

Quant aux faubourgs de Rome, qu’on a jusqu’ici confondus avec les bourgs et lés villages des environs, voici le tableau qu’en présente le même historien (IV). Après avoir décrit l’enceinte des murs de Servius, qui ne fut point changée jusqu’à Aurélien, les dieux, dit-on, ne le permettant pas, il ajoute : Mais il y a beaucoup de lieux habités autour de Rome, de grands et nombreux villages, non enclos de murs, et exposés sans défense aux incursions d’un ennemi. Si l’on voulait, dit-il, rechercher quelle est la grandeur de Rome, en ayant égard à ces constructions, on serait inévitablement exposé à l’erreur ; car on n’aurait pas de démarcation sûre qui indiquât jusqu’où s’étend et où finit la ville. Voilà la description exacte et sans enflure des faubourgs de Rome, en général, et des villages environnants. Qu’on ne croie pas, dit Nardini[6], que Rome, au comble de sa gloire et de sa grandeur, eût partout, hors de l’enceinte de Servius, des faubourgs continus ; mais, dans quelques parties, la campagne commençait à partir des murs ; sur d’autres points, les bâtiments se continuaient jusqu’à un espace vide qui distinguait et séparait de la ville et entre eux les bourgs et les villages.

Il faut donc réduire à leur juste valeur les déclamations du rhéteur Aristide[7] qui dit que Rome s’étend jusqu’à la mer, et celle de Pline[8], lorsqu’il s’écrie que les édifices qui ont dépassé l’enceinte de Rome lui ont ajouté beaucoup de villes.

Vossius, Donatus, Juste Lipse citent avec complaisance ces autorités, et les figures de rhétorique entassées à ce sujet dans le sophiste Polémon, dans le déclamateur Sénèque, dans Lucain, le poète ampoulé, qui prétend que Rome pourrait contenir toute l’espèce humaine réunie :

. . . . . . Et generis, coeat si turbo, capacem

Humeni ; (Phars., I, 512)

et dans Aristide, d’après lequel[9], si on réduisait Rome à un étage et qu’on l’étendit sur le terrain, elle couvrirait toute l’Italie.

Quittons la région des fables et des chimères, et entrons dans le domaine des faits. Rome ne s’étendait pas jusqu’à la mer, puisque le bourg d’Alexandre, qui n’était qu’à 3 milles, comptés du Capitole, formait un village séparé. Le témoignage d’Ammien (XVII, IV,14) est positif : Vicum Alexandri tertio lapide ab orbe sejunctum. La propriété de Phaon, affranchi de Néron, dans laquelle ce prince se cacha et se tua, était située à 4 milles de Rome, entre les voies Salaria et Nomentana. Elle est représentée par Suétone[10] comme couverte de buissons, taillis et de roseaux. Sur ces deux grandes voies encore Rome n’avait pas de faubourgs étendus. A 4 milles de la ville, dit Festus (v. Nævia), était la forêt Nævia, repaire de brigands et de vauriens : Næviam silvam vocitatam, extra urbem ad milliare quartum. . . . . .  In ea morari adsuescunt perditi ac nequam homines[11].

On ne trouve dans aucun auteur que les bourgs s’étendissent le long de «la voie Flaminienne jusqu’à Otricoli. Saxa rubra, lieu situé sur cette voie, et où campa Antonius Primus en venant au secours du Capitole assiégé par Vitellius[12], était un endroit bien séparé de la ville. C’était une carrière de scories volcaniques rouges, exploitées pour les réparations de la grande route. C’est là qu’on a découvert le tombeau des Nasons[13]. Tout près de la porte Flaminienne se trouvait la villa d’Hortensius (Ad Att., VII, 3), et l’on voit dans Tacite et dans Ammien que Ponte-Molle (Pons Milvius) était un bourg séparé de Rome, situé près du pont d’où il tirait son nom, et par conséquent aux portes de la ville. Terentia, femme de Cicéron, et Atticus y possédaient de grandes pâtures (Ad Att., II, 15) ; c’est là aussi que se trouvait la maison de campagne d’Ovide[14] ; signe certain que les faubourgs ne s’étendaient pas bien loin au-delà du pont Milvius. Aussi M. de Tournon a-t-il grande raison de dire[15] : Les faubourgs de Rome ne passèrent pas le Tibre, si ce n’est entre les ponts Sublicius et Milvius ; car on ne trouve aucun vestige de pont au-dessus de ce dernier, ni au-dessous du premier ; et certainement, s’il avait existé un quartier ou faubourg sur la rive droite, on n’aurait pas manqué de le mettre en communication avec la ville.

Dans une foule d’auteurs nous voyons que la campagne s’avançait jusque sous les murs de Rome, et couvrait la plus grande partie des lieux compris aujourd’hui dans son enceinte. Les soldats de Vitellius campent sur les pentes malsaines du Vatican, infamibus locis[16]. Les jardins de Julius Martialis couvrent la colline du Janicule[17] ; ceux de Varius Torquatianus s’étendent entre les portes Prénestine et Gabienne[18]. C’est près de là qu’on vient de découvrir le curieux tombeau de Virgilius Eurisacès[19]. On sait que les lois et les règlements s’opposaient formellement à ce que les sépultures fussent placées parmi les habitations ; or, chaque jour on trouve des tombeaux, soit dans l’enceinte de Rome, soit au milieu des faubourgs actuels. La situation du tombeau de Cestius, près de la porte Saint-Paul, prouve que la porte Trigemina n’était pas anciennement aussi reculée[20]. Les magnifiques sépulcres découverts, en 1838, dans la vigne Volpi, en 1839 dans la vigne Argoli, entre les portes Nomentonia et Tiburtina, en 1838 encore dans la villa Pamfili Doria[21], sont autant de preuves que les quartiers habités de Rome ancienne ne s’étendaient pas jusqu’à ces trois points.

Vers la porte Aurelia, le tombeau d’Adrien était hors des murs de Rome ; Procope le dit positivement[22].

Sur la voie Salaria, du côté de la porte Colline, les faubourgs n’étaient pas continus ; ce passage de Tacite l’indique clairement : Cerialis fut détaché en avant, à la tête de mille chevaux, pour gagner Rome par les routes de traverse du pays des Sabins, et entrer dans la ville par la voie Salaria. Il fut reçu par les Vitelliens avec de l’infanterie mêlée parmi leur cavalerie. On se battit non loin de Rome, entre des maisons et des jardins coupés de chemins tortueux, connus des Vitelliens et inconnus aux autres. Pugnatum haud procul urbe, inter ædificia hortosque et anfractus viarum[23].

Ce fut sur le collis Hortulorum, le Pincio, où est maintenant la place d’Espagne et l’église de la Trinité du Mont que se livra ce combat. Il est évident, ce me semble, que, si les faubourg eussent formé alors, de ce côté de Rome, une masse continue de maisons, des généraux aussi expérimentés que Cerialis et Antonius n’eussent point attaqué la capitale avec de la cavalerie seule, privée de l’appui de l’infanterie. La plaine commençait à peu de distance de la ville ; aussi cette cavalerie put-elle se retirer en fuyant à Fidènes, qui était à 6 milles de Ronce.

Enfin, dans la seconde attaque, Antonins persuade à ses légions de camper près du pont Milvius et de n’entrer dans Rome que le lendemain : Ut, castris juxta pontem Milvium positis, postera die urbem ingrederentur[24]. Les Flaviens marchaient en trois corps, l’un par la voie Flaminienne, un autre le long du Tibre ; le troisième s’avançait par la voie Salaria vers la porte Colline. Il se livra dans la ville plusieurs combats où les Flaviens eurent l’avantage ; il n’y eut de maltraités que ceux qui avaient attaqué à la gauche de Rome, vers les jardins de Salluste[25], par des chemins étroits et glissants ; car les Vitelliens, montés sur les clôtures en pierre sèche des jardins, les accablaient de pierres et de javelots. Enfin, les Vitelliens furent enveloppés par la cavalerie qui avait pénétré par la porte Colline. Il y eut aussi dans le Champ-de-Mars une sorte de bataille rangée.

Tous ces détails, donnés par un historien exact et fidèle, ne présentent pas l’image de cette continuité de faubourgs, que les déclamations de Pline et des rhéteurs prolongent jusqu’à la mer d’un côté, et de l’autre jusqu’à Otricoli et à Tibur.

Cependant l’espace habitable de Rome ayant été diminué, depuis l’incendie arrivé sous Néron, soit par l’élargissement des rues, des places et des cours (areœ) intérieures ou extérieures, soit par le vaste emplacement réservé au palais de Néron, soit enfin par la réduction de la hauteur des édifices et de l’étendue des massifs de maisons, la population, qui manqua de place dans la ville, dut refluer dans les faubourgs, et ces annexes de Rome furent sans doute plus peuplées sous Vespasien qu’elles ne l’étaient sous Auguste.

Strabon[26] circonscrit bien positivement l’étendue des faubourgs de Rome lorsqu’il dit que Collatia, Antemnæ, Fidènes, Cæninum, et autres lieux, qui formaient autrefois de petites cités, sont, au temps où il écrit, de simples bourgs possédés par des particuliers, et sont tous situés à 30 ou 40 stades de Rome[27].

Ce passage de Strabon est appuyé par un autre de Tacite, relatif à l’incendie de Néron, qui me fait présumer que la partie de Rome qui fut réunie plus tard sous Aurélien et qui renferme la plus forte population de Rome moderne, formait, sous Néron et Vespasien, les faubourgs ou les villages les plus habités des environs de la ville. Tacite s’exprime ainsi (Ann., XV, 39) : Après l’incendie affreux qui, sur quatorze quartiers de la ville, en consuma dix, Néron, pour soulager le peuple errant et sans asile, fit ouvrir le Champ-de-Mars, les monuments d’Agrippa et jusqu’à ses propres jardins. On construisit à la hâte des hangars pour recevoir la classe indigente ; on fit venir des meubles d’Ostie et des villes voisines, et le prix du blé fut réduit jusqu’à 3 sesterces (74 centimes) le modius, un peu plus de 5 centimes la livre.

On voit, après l’accident qui priva de tout asile les trois septièmes de la population de Rome, tous les habitants se réfugier dans les jardins de Néron, dans le Champ-de-Mars, dans les monuments d’Agrippa, et y vivre en plein air ou sous des huttes. Si les faubourgs de Rome, du côté du sud et de l’est, eussent été aussi étendus qu’on le suppose, les Romains y auraient sans doute cherché un abri, et s’il y avait eu sous Néron des bourgs dont la population eût approché de celle de Rome, s’eût été là, et non à Ostie et dans les villes municipales voisines, qu’on serait allé chercher le mobilier de toute espèce, indispensable pour subvenir aux nécessités des victimes de l’incendie.

De plus, il fallait un décret des pontifes ou un ordre de l’empereur pour rendre purs, puri, c’est-à-dire pour restituer à l’usage privé, les lieux consacrés, religiosi ; le Digeste est positif sur ce point[28]. Les tombeaux des esclaves mêmes jouissaient de ce privilège[29]. Il est probable qu’on n’eût pas violé momentanément cette loi des tombeaux, commune même à ceux des esclaves, si en eût trouvé des ressources ailleurs.

Le cirque de Caracalla, placé à l’extrémité de la ville habitée alors, comme l’avait été le grand cirque construit par Tarquin, indique les limites des faubourgs de Rome de ce côté. Le mons Testaceus, colline artificielle formée de décombres, prouve que, dans cette partie, les faubourgs ne s’étendaient pas loin ; car ce n’est pas au milieu des habitations qu’on entasse un pareil amas de débris.

Strabon[30] nous peint le quartier du Champ-de-Mars, qui était alors un des faubourgs de Rome, comme renfermant beaucoup de terrains vides, et ce géographe exact écrivait sous Tibère. Il décrit la grandeur étonnante de ce champ, où des milliers d’hommes peuvent tous ensemble, dit-il, se livrer. aux courses de chars ou de chevaux, aux exercices de la paume, du disque et de la palestre. Il mentionne la couronne de collines semi-circulaire dont les deux extrémités s’appuient à la rive du Tibre ; tout auprès, un second champ avec beaucoup de portiques à l’entour, des bois sacrés, trois théâtres, un amphithéâtre et des temples superbes, presque contigus les uns aux autres ; les monuments funéraires des plus illustres personnages des deux sexes, principalement le mausolée d’Auguste, couronné d’arbres toujours verts ; derrière, un bois sacré formant des promenades charmantes ; en avant, la place du bûcher, plantée de peupliers et défendue par une double enceinte, l’une de marbre blanc, l’autre de fer. Ce quartier était donc peu habité, car il était défendu de bâtir près des sépulcres et des monuments ; la distance était fixée par la loi[31]. On laissait toujours autour des mausolées un espace vide ; un passage de Frontin[32] est formel à cet égard : Habent enim et mausolea sui juris hortorum modos circumjacentes, aut præscriptum agri finem. Un passage de Juvénal nous apprend que les environs de la porte Capène et de la fontaine Égérie étaient couverts de grands bois, où venaient s’abriter les Juifs mendiants[33]. Près de là aussi se trouvaient les jardins de Torquatus[34], et le terrain, aux environs de la même porte, était presque uniquement occupé par des tombeaux : I sepolcri fuora della porta Capena furono infiniti, dit Nardini[35]. Cicéron (Tuscul., I, 7) cite entre autres ceux de Calatinus, des Scipions, des Servilius, des Metellus ; celui de Cæcilia Metella, fille de Metellus Creticus et femme de Crassus, y est encore debout.

La solitude de ces lieux y avait attiré une bande de malfaiteurs qui s’y livraient en toute sécurité à leurs brigandages. Via Appia, dit Asconius[36], est, prope urbem, monumentum Basilii, qui locus latrociniis fuit perquam infamis. Un ami de Cicéron, L. Quincius, qui lui apportait des lettres d’Atticus, fut assailli près de ce tombeau de Basilius, dévalisé et couvert de blessures. Il est évident que les faubourgs de Rome ne s’étendaient point sur la voie Appia, et cependant c’était la grande communication de cette capitale avec la Campanie et l’Italie inférieure, celle par conséquent qui semblait surtout devoir appeler sur ses bords les agglomérations de maisons et d’habitants.

Le Vatican, sur lequel on a bâti le palais des papes et la célèbre église de Saint-Pierre, n’était pas très habité du temps de Vitellius, l’an de Rome 822 ; car son armée, victorieuse et maîtresse de Rome depuis plusieurs mois, fut obligée de camper sous des tentes dans ce lieu insalubre : Infamibus Vaticani locis magna pars tetendit. Ces lieux sont toujours désignés sous le nom de champs, campi Vaticani. Le projet, conçu par César, de détourner le Tibre au pont Milvius et de le faire passer le long des collines du Vatican semble annoncer que l’espace compris entre ces deux limites était vide d’habitations[37]. Là se trouvaient en effet de vastes jardins, disposés pour la promenade, et qu’on nommait horti transtiberini[38]. Près de la porte Navale, sous l’Aventin, étaient les prés Vaticans de Quintius[39].

L’église de Saint-Laurent, près de la porte de ce nom, fut construite par Constantin sur une plaine nue, le long de la voie Tiburtine, via Tiburtina, in agro Verano[40]. Suivant le témoignage de Festus (v. Retrices), des jardins remplissaient l’espace compris entre les voies Ardeatina, Asinaria et Latina. Enfin, un passage de Pline le Jeune (Ep. II, 17, 3), passage décisif dans la question que je traite, prouve que les routes même d’Ostie et de Laurentum, dans un espace de 11 à 14 milles à partir des portes de Rome, étaient peu habitées et n’offraient, de chaque côté, que de grandes forêts et de vastes prairies : Varia hinc atque inde facies ; nam modo occurrentibus silvis via coaretatur, modo latissimis pratis diffunditur et patescit; multi greges ovium, multa ibi equorum boum armenta, quæ montibus hieme depulsa herbis et tepore verno nitescunt[41]. Ce témoignage, rapproché des passages de Tacite, que j’ai rapportés plus haut, sur les meubles tirés d’Ostie lors de l’incendie de Rome et sur l’insalubrité du mont Vatican, prouve, je crois, que je suis resté dans le vrai en réduisant l’extension et la population exagérée qu’on donnait aux faubourgs de Rome. Il est même établi qu’au temps de Vespasien, des champs et des jardins occupaient plusieurs emplacements renfermés aujourd’hui dans l’enceinte de la ville.

Aussi voyons-nous, sous Aurélien, Rome s’étendre au nord et à l’est, et se porter du côté où les groupes de maisons étaient le plus agglomérés pour les renfermer dans son enceinte.

C’est, du reste, la marche constante de toutes les villes, et c’est ainsi que Paris s’est étendu de siècle en siècle jusqu’aux limites qui le bornent aujourd’hui.

Si l’on a fait attention à la nouvelle forme que, selon Tacite et Suétone, la ville de Rome revêtit sous Néron, à la largeur des rues, des places, des ares ou cours extérieures, des portiques destinés à protéger les maisons et les insulœ, à la réduction de la hauteur des édifices, enfin, à l’augmentation des espaces vides et à la diminution de la surface habitable, résultat de cette mesure, on sent que la population fut forcée de s’étendre ; et cependant il se passa plus de deux siècles avant que les faubourgs fussent assez peuplés pour qu’on jugeât convenable de les renfermer dans une nouvelle enceinte. Aurélien acheva ce grand ouvrage. Si les faubourgs s’étaient portés vers le sud, du côté d’Ostie (et j’ai prouvé le contraire d’après les témoignages historiques), ce prince eût, à coup sûr, renfermé dans ses nouveaux murs une population aussi importante.

Il serait sans doute absurde de prétendre qu’entre. Rome et Ostie, le port d’une grande capitale, sur la route principale du passage des vivres et des marchandises qui arrivaient à Rome, il n’y eut ni habitations, ni bourgs ni villages ; mais l’inspection des cartes anciennes les plus exactes nous montre qu’ils étaient en petit nombre.

Les inondations du Tibre sur cette route, l’insalubrité de cette partie du Latium, en sont la cause évidente. Les Romains riches y avaient des maisons de plaisance, pour l’hiver et le printemps seulement ; et tandis que, dans la saison chaude, ils allaient respirer l’air pur et frais des vallées de l’Apennin, les pauvres colons venaient se réfugier à Rome, comme ils le font encore aujourd’hui, pour éviter les funestes effets de l’air vicié de cette contrée pendant l’été et l’automne[42]. On peut conclure de là que, dans cette partie, le nombre des habitants fixes ne devait pas répondre au nombre des édifices. Enfin Nardini[43], ce savant distingué, qui a fait de Rome l’étude de toute sa vie, dit positivement : Rome, même au comble de sa grandeur, n’avait pas, hors des murs de Servius, des agglomérations d’édifices continus, comme le prouvent les villas, les champs, les terres et les villages voisins alors de ses murs.

Je ne m’arrêterai pas à discuter un fait établi par les plus habiles topographes de Rome, savoir que l’enceinte d’Aurélien et celle de Rome moderne sont identiques, moins la portion transtibérine ajoutée par les papes. M. Nibby[44], qui a donné il y a 20 ans une édition de Nardini, et qui a profité des fouilles et des découvertes faites depuis la première publication de l’ouvrage de celui-ci, a confirmé le résultat des savantes recherches de cet antiquaire et de d’Anville sur les enceintes de Servius Tullius et d’Aurélien[45].

J’ai réservé pour la fin de ces recherches, et je dois maintenant discuter la fameuse description de Rome par Publius Victor, cette description qui a été la source de toutes les exagérations absurdes répétées depuis deux siècles sur l’étendue et la population de la capitale de l’Italie. On verra que le mot latin insula, employé d’abord métaphoriquement, et modifié ensuite dans son acception par l’usage et le laps du temps, a causé, pour avoir été mal entendu, cette longue série d’erreurs.

 

 

 



[1] Martial, Epigr., V, I, 4. Pline, IX, 31.

[2] Impp. Valentin. et Valens, XI, I, 9.

[3] XI, XXVIII, 12, et XI, XVI, 12.

[4] L, tit. XVI, 2. Vid. Ulpien, ibid. 139, ad leg. Juliam et Papiam.

[5] Ibid. leg 87, ex Marcello.

[6] Tom. I, p. 62, éd. di Nibby, 1818.

[7] Ap. Lips., tom. III, p. 417, De magnit. Rom.

[8] III, 9 ; t. I, p. 156, l. 17.

[9] Ap. Lips., l. c.

[10] Néron, c. XLVIII. L’emplacement de cette ancienne villa est occupé aujourd’hui par une ferme nomade la Serpontara.

[11] On appelait ainsi un bois situé hors de Rome, à la distance de la quatrième pierre milliaire, ...... Les anciens jetaient le nom de ce bois comme une injure à la face de certaines gens, parce que les hommes perdus et pervers se retiraient d'habitude dans ce bois. Festus.

[12] Tacite, Hist., III, 79.

[13] Ficoroni, Rom. antiq., I, XXVIII, p. 45, n° 2.

[14] Nardini, Rom. Ant., t. I, p. 48.

[15] Étude statistique sur Rome, t. I, p. 233.

[16] Tacite, Hist., II, 93.

[17] Martial, Epigr. IV, 64.

[18] Ann. de l’Instit. archéol., t. X, p. 208, sq.

[19] Ibid., p. 209.

[20] Nardini, ouvr. cit., p. 48.

[21] Bullet. de l’Instit. archéol., an. 1838, p. 49 ; an. 1839, p. 1, 2, 38, 85.

[22] Bell. Goth., I, XXII. Sur la voie Appia, l’ustrinum, c’est-à-dire l’emplacement où l’on brûlait les morts, indique un point vide et éloigné de toute habitation ; les lois sont positives à ce sujet. (Digest., XI, VII, De religiosis et sumptibus funerum.)

[23] Le combat eut lieu près de Rome, entre des maisons et des jardins, dans des routes sinueuses... Tacite, Hist., III, 79. Ce fut par la porte Salaria qu’Alaric entra dans Rome. Près de cette porte était le palais de Salluste l’historien. La plus grande partie, dit Procope, subsiste encore à présent, quoique à demi brûlée. Bell. Vandal., I, 2.

[24] [Antonius] tacha de les [les légions] amener par la douceur à camper auprès du pont Milvius, et à n'entrer que le lendemain dans Rome. Tacite, Hist., III, 82.

[25] Aujourd’hui la villa Belloni et la villa Verospi.

[26] Page 230, lib. V, t. II, p. 187, tr. fr.

[27] V. Cluver, It. ant., p. 650 et 665. Holsten, adnot. in It. ant., p. 103.

[28] Digest., XI, VII, 2, 4, 6, 8.

[29] Locum in quo servus sepultus est religiosum esse. (Ap. Ulpien, Digest., XI, VII, 2.)

[30] V, 236, t. II, p. 211, tr. fr.

[31] Digest., X, I, 13.

[32] De limit. agror., ap. Goesium, p. 43.

[33] Satyr., III. v. 10 sq.

[34] Nardini, t. I, p. 167.

[35] Ibid., p. 170.

[36] In Orat. pro Milone, c. VII.

[37] Cicéron, ad Att., XIII, 33, t. II, p. 415.

[38] Paul. Manut., Comm. in litt. ad Att., t. II, p. 143, éd. Amsterdam, 1684.

[39] Nardini, t, I, p. 95.

[40] Anastase, cité par Nardini, t. I, p. 74.

[41] On y arrive [à Laurentin] par plus d'une route, car la voie Laurentine et celle d'Ostie y conduisent; mais on doit quitter la première au quatorzième milliaire, et la seconde au onzième. De chacune d'elles se détache un chemin en partie sablonneux, où les attelages roulent avec assez de peine et de lenteur, mais court et souple pour un cavalier. De tous côtés ce ne sont que paysages variés. Pline le Jeune.

[42] Je prouverai ce fait dans mon chapitre sur l’insalubrité de l’Italie et des environs de Rome, 3e livre, c. 2.

[43] Roma antica, tom. I, p. 62, éd. Nibby.

[44] Rom., 1818, 4 vol. in-8°.

[45] Discors. prelim., XXVI, XXXIV.