LIVRE PREMIER — VUES GÉNÉRALE - SYSTÈME MÉTRIQUE - VALEUR ET RAPPORT DES MÉTAUX - CENS ET CADASTRE.
Le salaire des hommes libres, tels que les Thètes et les Métèques dans l’Attique, était assez élevé. On trouve dans Aristophane[1] le salaire journalier d’un portefaix et d’un manœuvre employé à porter de la boue fixé à 4 oboles (61 cent.) et à 3 oboles (45 cent.) ; c’est aussi le prix indiqué par Lucien[2], au temps de Timon, pour une journée de laboureur ou de jardinier dans une propriété éloignée de la ville. Lorsque Ptolémée envoya aux Rhodiens[3], pour réparer les
désastres causés par un tremblement de terre, cent ouvriers constructeurs
avec trois cent cinquante manœuvres, il leur donna pour leur opson 14 talents par an ou 3 oboles par jour et
par tête, ce qui n’était pourtant qu’une partie de leur salaire[4]. Ce que j’ai
rapporté plus haut de la masse des richesses métalliques importées dans Athénée[5] nous dit aussi que, dans leur jeunesse, les philosophes Ménédème et Asclépiade gagnaient 2 drachmes (1fr,84c) en travaillant la nuit dans un moulin. Dans le Nouveau Testament, le maître donne à ses journaliers un denarius ou 1fr,11c par jour[6]. L’extension de la domination romaine, dit M. Jacob[7], tendit peut-être à diminuer la production des métaux précieux, mais elle les attira puissamment dans Rome et dans l’Italie, et si les richesses métalliques ne s’étaient prodigieusement accrues, on n’aurait pas éprouvé cette élévation remarquable dans les prix qui est mentionnée par tous les écrivains. Tous ces textes prouvent évidemment que, depuis la guerre du Péloponnèse jusqu’aux siècles d’Auguste et des Antonins, le prix de la journée de travail de l’homme libre, manoeuvre, laboureur, jardinier, meunier, charpentier ou maçon, n’était guère que de 1/3 au-dessous du prix moyen actuel de cette même journée en France. Fabroni, l’un des savants italiens qui concoururent, avec
la commission de la classe des sciences physiques et mathématiques de
l’Institut de France, à l’établissement du système métrique, Fabroni, dont l’instruction
était solide et variée et dont la voix aurait dû être écoutée, avait posé en
fait (loc. cit.) que le prix de la
journée de travail chez les Grecs était à peu près le même que dans Cette assertion, au premier abord, m’avait semblé un paradoxe, mais quand j’ai approfondi le sujet, réuni, comparé les témoignages, pesé leur valeur effective, j’ai été contraint de me rendre à l’évidence des faits. Le prix de la journée du mineur, l’an 710 de Rome, peut être évalué, d’après le passage où Polybe[9], cité par Strabon, dit que 40 000 hommes employés aux mines d’argent de Carthagène, en Espagne, fournissaient à la république 25 mille drachmes par jour. Ce serait 48 centimes par jour, en supposant, avec M. Jacob, qu’alors le produit ne dépassait point la dépense. Cette exploitation, dit le savant Anglais[10], était alors très peu fructueuse et le produit net presque nul. Le salaire journalier de l’homme libre, employé comme manoeuvre, terrassier ou laboureur, se trouve rarement exprimé sous la république et le haut empire romain ; mais nous le connaissons pour l’Attique, ainsi que le prix et le produit moyen de l’esclave. Nous possédons ces derniers éléments pour l’Italie romaine ; nous pouvons, avec ces données, quoique les chiffres positifs nous manquent trop souvent, obtenir avec une certaine précision le prix moyen de la journée de l’operarius, du mercenarius, travailleurs libres qui, selon Varron[11], étaient employés, de préférence aux esclaves, dans les cantons malsains et pour les gros ouvrages des labours, des semailles, des fenaisons et de la moisson[12]. Galiani et Fabroni[13] avaient deviné, en quelque sorte, et avaient avancé, sans l’établir sur des preuves suffisantes, qu’en prenant une moyenne de vingt ans de leur temps et au siècle d’Auguste, on trouverait que le prix des denrées représente un poids en métal à peu près égal à celui qui est établi aujourd’hui comme terme moyen. Je crois avoir prouvé, par les nombreux exemples rapportés dans ce chapitre, que le fait est vrai si l’on compare avec les prix actuels les prix des denrées dans les six premiers siècles de l’empire romain. Nous avons vu qu’à Athènes le prix moyen du blé n’était au plus que 1/3 au-dessous des prix actuels en France, que la journée de travail d’un portefaix, d’un manœuvre, d’un jardinier, d’un laboureur, oscilla entre 3 oboles (45 centimes) et 4 oboles (61 centimes) pour l’époque comprise entre le siècle de Périclès et celui d’Alexandre. Nous avons vu que ce salaire se maintint sous les
Ptolémées, et qu’en Judée, du temps d’Auguste et de Tibère, il n’était que de
1/3 ou de ¼ au-dessous
du prix actuel, qui est, en prenant la moyenne de toute Cette conclusion se trouve confirmée par la curieuse inscription de Stratonicée, dont les prix (il ne faut jamais perdre de vue ce point important) étaient réglés à un taux beaucoup trop bas. En voici quelques fragments[14] :
L’instruction primaire était un peu plus chère à Rome que dans nos villages de France, car l’édit assigne au pédagogue, par chaque enfant et par mois 1fr,25c.
Le vin, qui était à si bas prix en Grèce et même en Italie du temps de Caton, était, comme on le voit, plus cher sous Dioclétien qu’il ne l’est aujourd’hui en France dans les pays de vignobles ; car le vin commun ne s’y vend pas ordinairement 40 centimes le litre, pas plus que le vin vieux ordinaire n’y coûte 24 sous la bouteille. La culture des vignes avait dû souffrir, plus que toute autre, de la dévastation des Barbares et du fléau des guerres civiles. |
[1] Cité par Pollux, VII, 29, sect. 133 et Eccl., 310.
[2] Timon, VI.
[3] Polybe, V, 89.
[4] M. Bœckh dit positivement : Cette somme ne pouvait être qu’une partie du salaire pour des hommes libres, puisqu’il y a encore d’autres besoins.
[5] IV, 65, éd. Schweig.
[6] Fabroni, Provedim. Annon., p. 116. Vid. Evang. sec. Math., c. XX, v. 2, sqq.
[7] T. I, p. 24, 25.
[8] Dans le Val de Nievole, la journée d’homme est de 66 cent., celle de femme de 33 centimes sans nourriture. Op. cit., p. 116.
[9] Fragm. XXXIV, c. 9, cité par Strabon, lib. III, p. 147.
[10] T. I, p. 99, 100.
[11] De re rust., I, XVII, 2.
[12] Cicéron (Pro Q. Roscio, 10) fixe à 12 as (environ 80 centimes) la journée d’un travailleur libre.
[13] Proved. Annon., p. 145-146.
[14] An edict. of Diocletian, p. 19, sqq.
[15] Fabro intestino. Cf. Pline, XVI, 81.
[16] Cette mention du burdonarius dans l’édit de Dioclétien prouve que ce métis, produit du cheval et de l’ânesse, assez rare en France aujourd’hui, était très commun dans l’empire romain, puisqu’il donna son nom à une profession spéciale que, sous peine d’être inintelligible, on ne pourrait nommer bardeaunier, tandis que le mot burdonarius était dans la langue, comme chez nous celui d’ânier.
[17] Ce prix plus élevé ferait croire que le bardeau était plus fort que l’âne, tandis qu’aujourd’hui l’âne et le métis sont à peu près de même taille.