ÉCONOMIE POLITIQUE DES ROMAINS

 

LIVRE PREMIER — VUES GÉNÉRALE - SYSTÈME MÉTRIQUE - VALEUR ET RAPPORT DES MÉTAUX - CENS ET CADASTRE.

CHAPITRE XII — Prix des denrées, d’après l’inscription de Stratonicée.

 

 

Nous possédons dans l’inscription de Stratonicée, publiée par MM. Cardinali[1], le colonel Leake[2], de Foscolombe[3], de Haubold[4] et Giraud[5] un prix moyen des denrées, tarifé par l’empereur lui-même et qu’on ne pouvait dépasser sans s’exposer à la peine capitale.

Le préambule de cet édit, du dix-huitième consulat de Dioclétien, porte : Le prix des denrées, négociées dans les marchés ou apportées journellement dans les villes, a tellement dépassé toutes les bornes, que le désir effréné du gain n’est modéré ni par l’abondance des récoltes, ni par l’affluence des denrées[6]. L’esprit de pillage accourt partout où le bien public exige que nos armes soient dirigées, non seulement vers les villages et les villes, mais sur toutes les routes, de sorte que les prix des subsistances parviennent non seulement au quadruple ou à l’octuple, mais à un taux hors de toute mesure. Même quelquefois, par l’accaparement d’une seule denrée, le soldat a été privé de sa paie et de nos dons. Mus par ces considérations, nous avons cru devoir fixer, pour tout notre empire, des prix modérés[7], qui, dans les années de cherté, puissent contenir l’avarice dans de justes bornes et dont le tableau est joint à cet édit[8]. L’empereur prescrit ensuite des peines sévères contre les contraventions à son ordonnance[9]. A ce préambule est joint, dans l’inscription, un tableau régulateur du prix des denrées qui remplit quinze pages in-8° dans l’édition de M. Leake.

Il s’agit, avant tout, de déterminer quelle est l’unité monétaire qu’exprime le sigle *, par lequel sont désignés tous les prix dans l’édit impérial. M. Leake remarque, avec raison, que cet astérisque, formé de trois lignes croisées, désigne ordinairement, dans les anciens manuscrits, la drachme ou le denarius. On voit cependant, au premier coup d’œil, que ce sigle ne peut représenter ni la drachme attique, valant 0fr92c, ni le denarius d’argent, dont le prix a oscillé, depuis Auguste jusqu’à Gordien, entre 1fr11c et 0fr99c. M. Giraud[10] adopte le denarius, et prétend, mais sans appuyer cette évaluation sur aucune preuve, que cette pièce d’argent valait 9 sous au temps de Dioclétien, assertion dont les pesées et les essais nombreux que j’ai faits au Cabinet du Roi démontrent l’inexactitude.

J’avais d’abord pensé, soit au follis d’argent qui valait, d’après J. Godefroy et le père Sirmond[11], environ 1 sou de notre monnaie, soit au follis de cuivre qui, selon Du Cange[12], était la 288e partie du solidus et qui équivalait par conséquent à 5 ¼ centimes. J’avais communiqué cette détermination à M. le comte Borghesi, correspondant de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, dont le nom fait autorité dans toutes les questions d’épigraphie et de numismatique romaines. La lettre par laquelle il a bien voulu répondre à ma communication, tout en modifiant mon sentiment sur la valeur du sigle *, éclaircit plusieurs autres points obscurs de l’inscription de Stratonicée. J’ai cru rendre service à la science en la publiant ici par extraits.

Les sigles à interpréter dans l’inscription étaient les suivants : M, KM, FM, ƒ, et *[13]. Voici l’explication proposée par M. le comte Borghesi sur chacun de ces signes.

Il ne peut y avoir de doute sur M, puisque Volusius Mæcianus, vers la fin de son petit traité, De assis distributione[14], a fait connaître les notœ mensurarum dans lesquelles il donne M avec la signification de modius.

L’explication de KM peut se tirer d’un passage de la Veterinaria de Pelagonius, publiée par Lioni à Florence, en 1826. Dans cet ouvrage, on trouve le remède suivant prescrit contre la maigreur des chevaux : Triticum torrefactum, mixtum aquæ mulsæ, diurnum MODIUM CASTRENSEM præbebis diebus ultra viginti (c. II, p. 20). Or, dans les inscriptions du temps de la décadence de l’empire, le mot castra se montre souvent écrit par un K, et l’on a même des exemples de la lettre K employée seule pour le mot entier kastra[15]. Il ne paraît pas douteux que, dans l’inscription de Stratonicée, on n’ait voulu, par les lettres KM, désigner le modius kastrensis. Cette opinion a été adoptée par le P. Secchi, lequel, dans la Bibliothèque Italienne[16], journal littéraire qui s’imprime à Milan , a recueilli sur ce fait d’autres preuves, et a montré que le modius, aussi bien que les autres mensurœ castrenses, étaient le double des mesures italiques ou communes. Il cite, entre autres autorités, le passage suivant de saint Jérôme, qui est péremptoire. Hin duos χόας Atticos facit, quos nos appellare possumus duos sextarios Italicos ; ita ut Hin mensura sit Judaïci sextarii, nostrique castrensis, cujus sexta pars facit tertiam partem sextarii Italici[17].

Pour retrouver la signification du sigle FM, il faut recourir au fac-simile de Bankes, dans lequel on voit ΓΛLIF FM, et encore ΓΛLIF à la ligne suivante. Il est hors de doute que, dans les deux endroits, il faut lire SALIS, et de là on est autorisé à induire que trois fois le graveur s’est trompé en ajoutant à la lettre Γ un jambage de trop. La véritable leçon est donc ΓΛLIF ΓM, et dès lors ce sigle nous sera expliqué par le même Volusius Mæcianus, qui donne les lettres MS comme expression du demi-modius (semimodii). Mais comme cette détermination serait loin de cadrer avec le prix de la denrée, on peut interpréter le sigle ΓM là par sesquimodius, un modius et demi, d’autant que dans Volusius Mæcianus l’S est après l’M, tandis que dans notre inscription elle est placée auparavant.

La lettre ƒ signifie bien certainement sextarius. Volusius Mæcianus donne, il est vrai, un signe différent pour les mesures des liquides. On trouve cependant, dans la loi du collegium d’Esculape et d’Hygie, rapportée par Spon[18], VINUM MENSURAS QQ ƒ VIIII (quinquennali sextariorum novem). Quant aux mots sextarius Italicus, Italicum pondo, le P. Secchi a prouvé par des monuments nouveaux et par des passages formels d’Hesychius, de Gallien, d’Héron, du scoliaste de Nicandre et de saint Épiphane, que les mots Italicum et Romanum sont synonymes ; seulement le premier de ces deux mots est plus fréquemment employé par les Grecs.

La détermination des prix offre de plus grandes difficultés, personne n’ayant encore traité de la réforme monétaire que les monuments prouvent avoir été faite par Dioclétien, vers l’an 298, autant qu’on peut le conjecturer, et, par conséquent, peu de temps avant la publication de l’édit. D’abord le * était trop universellement employé à désigner le denier pour qu’on puisse croire que, dans le tarif joint à l’édit, ce sigle eût changé de valeur. Les marbres prouvent qu’il était encore généralement usité dans les années 249 et 251[19]. Sur un des marbres publiés par Muratori (p. 896, n° 4), on lit : * FOL. SESCENTOS, et ces abréviations sont expliquées par une autre inscription de la même collection, où en lit en toutes lettres : DENARIOR. FOLEX SEXCENTOS. Les deux inscriptions sont ou du temps de Constantin, ou postérieures à ce prince ; ajoutez à cela que ce signe se trouve fréquemment sur les médailles d’Aurélien, de Probus, de Dioclétien et de ses collègues, ainsi que sur celles de Constantin et de ses successeurs, tantôt sous la même forme que dans notre édit *, tantôt sous une des deux formes suivantes : **, mais toujours avec la signification invariable de denier[20].

Il faut donc admettre avec MM. Leake et Giraud que le sigle * désigne bien réellement un denier. Mais qui pourrait admettre que ce denier fût l’ancien denier d’argent du temps de Néron, de 96 à la livre, denier qui ne devait plus avoir cours à l’époque du tarif, et dont l’adoption pour les prix de ce tarif porterait un œuf à la valeur d’un demi-franc ? Ce denier est donc indubitablement le denarius œreus, dont la plus ancienne mention nous est fournie par Vopiscus. Cet auteur dit[21] que l’empereur Valérien fit donner à Aurélien : Aureos Antonianos diurnos binos, argenteos Philippeos minutulos quinquagenos, œris denarius centum. Ce denier de cuivre existait effectivement encore à la fin du IVe siècle, et il était employé dans un jeu, qui aujourd’hui est encore en usage parmi les enfants ; le fait est prouvé par le passage suivant de Macrobe[22] : ES ita fuisse signatum hodieque intelligitur in aleæ lusu ; nam pueri, DENARIOS in sublime jactantes, capita aut navia, lusu teste vetustatis, exclamant. Ce denier, dans l’opinion de M. le comte Borghesi, n’est autre chose que la médaille commune, dite de second module, que Dioclétien frappa le premier sous une nouvelle forme, qui est souvent revêtue d’une légère couche d’étain et dont les revers les plus ordinaires sont le genium populi Romani et la sacra moneta. En effet, ces pièces portent fréquemment, tantôt dans l’exergue, tantôt dans le champ, le sigle du denier sous une des trois formes que nous avons indiquées. La seule collection de M. le comte Borghesi renferme dix-huit de ces pièces, frappées par Dioclétien et ses collègues, toutes avec un des sigles du denier ; trois d’entre elles portent exactement le même que l’inscription de Stratonicée.

Ces observations suffisent pour faire reconnaître d’une manière certaine la monnaie désignée par le sigle * dans l’édit de Dioclétien ; quelques observations de M. le comte Borghesi vont maintenant nous faire trouver la valeur de cette monnaie. Il a remarqué : 1° que les nouvelles pièces d’argent frappées par Dioclétien, étaient égales en poids aux ceration de Constantin ; 2° que généralement deux des pièces d’argent de Dioclétien pèsent 5,43 grammes, poids du millaresion de 60 à la livre. De là on peut induire que Constantin conserva la taille établie par Dioclétien pour la monnaie d’argent, et ne fit que doubler l’unité en créant le millaresion, qui valait deux ceration.

Mais s’il y a une relation évidente entre les monnaies d’argent des deux règnes, on n’en trouve plus aucune pour les monnaies de cuivre. Les pesées montrent que les deniers en cuivre de Dioclétien sont à la taille de 3 à l’once, tandis qu’au contraire ceux de Maxence, de Licinius et des premières années de Constantin, ne sont que de 4 à l’once. M. le comte Borghesi pense que cette proportion fut conservée par Constantin dans sa réforme monétaire de l’an 325 ; car un passage de Suidas prouve que le follis se divisait non par trois mais par quatre. Ce follis d’une once fut certainement une monnaie fictive, comme le prouve d’ailleurs son nom[23]. On ne trouve en effet, ni de Constantin, ni de ses successeurs, aucune monnaie de cuivre, à l’exception des médailles, qui excède ½ d’once. Il faut donc croire qu’au moins dans le principe 4 deniers formaient le follis, et dans ce cas l’expression FOLLES DENARIORUM, de l’inscription de Muratori, sera parfaitement juste ; c’est la libra denariorum du moyen-âge.

On peut tirer une grande lumière des pièces d’argent de Dioclétien, qui portent, soit dans le champ, soit à l’exergue, le chiffre XCVI, indiquant que chacune de ces pièces en valait 96 de la moindre valeur. Les plus petites monnaies de Dioclétien sont celles que Janini appelle de quatrième module et Mionnet module de quinaire. Quatre de ces monnaies, auxquelles M. le comte Borghesi donne le nom de assarion, correspondent pour le poids au denier de cuivre, et ce rapport est excellent à noter, parce que ce denier, lorsqu’il fut crée par Valérien et Galien, fut évalué, bien qu’il n’en eût pas la valeur intrinsèque, à un sesterce, qui se composait précisément de 4 as. Il résulte de là que, si la pièce d’argent de Dioclétien valait 96 assarion, elle était égale à 24 deniers, proportion conservée par Constantin qui, lui aussi, divisa son millaresion en 24 follis de cuivre. Ainsi la pièce d’argent de Dioclétien aura cogité 8 onces de cuivre, valeur moyenne entre le ceration de Constantin, qui en valait 19, et l’antique denier d’argent, évalué à 4 sesterces, dont chacun, même du temps de Caracalla et de Macrin, pesait encore une once.

En calculant d’après ces bases les prix des denrées donnés par l’inscription de Stratonicée, on voit que Lactance[24] a eu raison d’affirmer que le tarif de Dioclétien était trop bas. Il arriva de là que personne ne voulut plus vendre, ce qui occasionna une grande disette. Aussi, après avoir puni de la peine capitale beaucoup de contrevenants, fut-on obligé de laisser tomber le tarif en désuétude.

Ici s’arrêtent les observations de M. le comte Borghesi. Pour plus de commodité, nous allons traduire en monnaies usuelles de France les deniers de cuivre de Dioclétien. Ce denier valait la 24e partie de la pièce d’argent fin du poids de 2,71 grammes, ou, ce qui revient au même, 113 milligrammes. Aujourd’hui le kilogramme d’argent pur vaut 222fr,22c, le gramme vaut 0,22 centimes, et le milligramme vaut la millième partie de cette somme. Le denier de cuivre, égal à 113 milligrammes, vaut donc (22/1000) x 113 = 2 ½ centimes.

Les chiffres indiquant le prix du modius de froment, d’orge et de seigle, sont malheureusement effacés dans l’inscription ; mais on y trouve celui du millet en grain ou en farine, du sorgho en grain, de l’épeautre ou far, triticum spelta, mondé ou non, de l’avoine, des fèves de marais, des lentilles, des pois, du cicer, du lupin, des haricots secs, etc.[25] Or l’épeautre vanné est taxé à 100 deniers, ou 2fr,50c ; l’épeautre en grain à 30 deniers, ou 75 centimes. Ces prix sont moindres que ceux que j’ai donnés, d’après Pline, pour l’époque de Néron à Vespasien ; mais il ne faut pas oublier que la production des métaux avait diminué par l’épuisement des mines, les guerres civiles et étrangères, que la quantité du métal monnayé en circulation avait aussi diminué par le frai, les naufrages, et enfin que le tarif de Dioclétien était beaucoup trop bas, et que ce fut pour ce motif que, malgré les peines les plus sévères, il tomba plus promptement en désuétude.

Le prix moyen du blé, sous les règnes de Constantin, de Constance, de Julien et de Valentinien, est fixé à 1 sou d’or les 10 modius par les trois empereurs ; ce prix était une moyenne calculée sur un bon nombre d’années. J. Godefroy l’atteste[26] : Eaque stata ferme et ordinaria hoc tempore estimatio erat inter vilitatent et annonæ caritatem. A Ainsi Julien dit dans le Misopogon[27] que, lorsqu’à Antioche le grain valait au marché 1 aureus, ou 1 solidus les 10 modius, lui-même vendait pour 1 sou d’or 15 modius du blé appartenant au fisc impérial. C’était de sa part une largesse ; 15fr,11c les 135 livres de blé était le prix moyen. Ce prix s’était un peu élevé sous Valentinien, comme on peut le déduire d’un passage d’Ammien Marcellin, qui dit d’Hymetius, proconsul d’Afrique : Denis modiis singulis solidis indigentibus venumdatis emerat ipse tricenos[28].

La novelle de Valentinien III, de l’an 446, de tributis fiscalibus, titre XXIII[29], qui établit un maximum en Mauritanie et fixe à 1 solidus, pour les soldats en marche et en guerre, le prix de 40 modius de far, ou de triticum (épeautre ou froment), de 270 livres de viande et de 200 sextarius de vin, cette novelle, dis-je, dont le texte est horriblement mutilé, ne peut servir de base pour l’échelle du prix des denrées. Ces provinces étaient alors ravagées par les Vandales ; l’empereur leur remet les 7/8 des tributs, corrige les abus de la perception, et il veut en retour, pour satisfaire ses soldats, pour leur donner du goût à la guerre et ménager leur bourse, que les Africains leur vendent à un taux très bas les denrées de première nécessité. Garnier et M. Letronne[30] n’ont pas, à coup sûr, lu la novelle entière, dont le sens est positif ; sans cela ils n’auraient pas établi la proportion de l’or au blé et le prix moyen du blé dans l’empire romain d’après cette loi, qui ne s’applique qu’à deux provinces épuisées par les dévastations des Barbares, provincialibus publica clade vexatis, et qui entend fixer un maximum exceptionnel pour le prix du blé, de la viande et du vin.

Comparons maintenant le rapport de l’or au blé sous l’empire romain au rapport des mêmes valeurs dans les temps modernes. De 1815 à 1830 le prix moyen de l’hectolitre de blé pesant 75 kilogrammes, ou 153 livres, poids de marc, a été de 21fr,10c[31], qui représentent en or un poids de 119 grains.

A Rome, de Constantin à Valentinien, les 10 modius de blé, pesant 140 livres, se vendaient 1 solidus, qui était 1/72e de la livre d’or et pesait par conséquent 85 grains. A ce compte, pour 19 grains d’or on aurait eu, à cette époque, 189 livres de blé, tandis que pour le même poids en or, dans les temps modernes, on a seulement 153 livres de la même denrée.

Ainsi le rapport du blé à l’or dans cette période de l’empire romain est au même rapport tel qu’il existe de nos jours 182/153e, ou comme 6/5e, c’est-à-dire que la valeur de l’or par rapport au blé, depuis Constantin jusqu’à Valentinien, n’excédait guère que de 1/6e cette même valeur en France de 1815 à 1830, ou, ce qui revient au même, le blé, par rapport à l’or, n’a augmenté que de 1/6e.

Les prix de quelques autres denrées de première nécessité, comparés dans le Code Théodosien et dans l’inscription de Stratonicée, seront, comme on va le voir, tout à fait d’accord avec le prix moyen du blé. L’an 367 Valentinien et Valens établissent[32] qu’en Lucanie et dans le Bruttium on pourra échanger à un prix modéré, speciem moderatam, le tribut d’une amphore de vin (26 litres) contre 70 livres de chair de porc et de mouton. Or, dans la loi précédente[33] la livre de cochon a été estimée à 6 follis ou 30 centimes[34]. L’amphore de vin valait donc 420 follis, c’est-à-dire 21 francs, ce qui revient à 80 centimes le litre. Le vin commun était plus cher au IVe siècle qu’actuellement en France.

L’huile et le lard étaient au même prix l’un que l’autre en 389. Une loi des empereurs Valentinien, Théodose et Arcadius taxe, pour les soldats[35], dans toute la préfecture d’Illyrie, 80 livres de lard, 80 livres d’huile et 12 modius de sel, au prix fixé, certa taxatione, d’un solidus = 15fr,11c, ce qui donne environ 19g centimes pour la livre d’huile et de lard et 16 centimes pour le litre de sel. Ici c’est un maximum imposé aux marchands en faveur des militaires, et d’un tiers environ au-dessous du prix vénal de 367, qui était, pour la viande de porc et de mouton, de 30 centimes. Dans l’inscription de Stratonicée, en 301, le modius et demi (ou 13 litres) de sel est évalué à 100 deniers = 2fr,50c ; la livre de chair de porc à 12 deniers = 30 centimes ; celle de viande de boeuf à 8 deniers = 20 centimes ; de chèvre et de mouton à 8 deniers ; de lard excellent à 16 deniers = 40 centimes ; de jambon, première qualité, à 20 deniers = 50 centimes ; d’agneau et de chevreau à 12 deniers = 30 centimes ; de cochon de lait à 16 deniers = 40 centimes ; de graisse à 6 deniers = 15 centimes ; de beurre à 16 deniers = 40 centimes[36]. Le sextarius, qui contenait, litre, valait, pour l’huile à manger, 19 deniers = 30 centimes ; pour l’huile superfine 40 deniers = 1 franc[37] ; pour les olives 4 deniers = 10 centimes ; pour les vins d’Italie, depuis 8 deniers = 20 centimes, jusqu’à 30 deniers = 75 centimes ; et enfin pour la bière, de 2 deniers = 5 centimes, à 4 deniers, ou 10 centimes.

Ces prix, nous le répétons, furent trouvés tellement bas que les marchands cessèrent de vendre, au péril même de leur vie. Mais on aura beau les augmenter, pourvu qu’on ne sorte pas des bornes de la vraisemblance, on n’arrivera pas à des évaluations plus grandes que les prix actuels des denrées en France. Ils confirment donc cette proposition, que j’avais avancée au début de ce chapitre et qui aurait pu sembler un Paradoxe, c’est que la valeur potentielle de l’or et de l’argent au IVe siècle de l’ère chrétienne n’était guère moins glande qu’elle ne l’est aujourd’hui en France. Le signe avait déjà diminué en quantité par l’épuisement, l’abandon ou la mauvaise exploitation des mines, et représentait alors plus de salaire et de denrées qu’au temps de Claude et de Vespasien.

Tite-Live (I, 43) dit que Romulus donna aux chevaliers 10000 as pour fournir un cheval, 2000 pour l’entretenir[38]. S’il a entendu parler d’as d’une livre, et c’était alors le poids de cette monnaie, le prix est exagéré au-delà de toute imagination ; s’il a traduit l’évaluation des annalistes en as de ½ once, le prix d’un cheval de guerre ne serait plus que 5000 onces = 416 2/3 livres romaines de cuivre, qui, d’après le rapport de 1 à 56 établi alors entre le cuivre et l’argent, valaient 7 ¾ livres à d’argent environ, ou 507 francs de notre monnaie.

Dans le Code Théodosien[39], en 401, Arcadius et Honorius taxent à 18 sous d’or (271fr,98c) un bon cheval de la Proconsulaire et de la Numidie, cheval dont le prix auparavant était de 20 sous  (300 fr.), et à 15 sous (295 fr.) les chevaux de la Byzacène et de la Tripolitaine. Cette loi nous apprend que cette dernière race était un peu moins estimée que celle de l’Afrique proprement dite et de la Numidie, puisque, dans les recrues pour la cavalerie, elle était taxée au-dessous de l’autre. Ces prix sont des prix de réquisition payés aux contribuables, ou bien il s’agit de petits chevaux propres à la cavalerie légère et très abondants dans toute l’Afrique. Je me borne à ces citations, qu’il serait facile de quintupler, et je passe à l’estimation des salaires et de la solde sous la république et sous l’empire.

 

 

 

 



[1] Actes de la Société archéol. de Rome, t. II, p. 681-732, avec fac-simile de l’inscr.

[2] An edict of Diocietian fixing a maximum of prices throughout the roman empire. A. D. 303. Lond., 1826, in-8°.

[3] Mémoire sur le préambule d’un édit de l’empereur Dioclétien, relatif au prix des denrées. Paris, 1829, in-8°. M. de Foscolombe fixe la date de cet édit aux derniers mois de l’an 301.

[4] Antiquitatis Romanœ monumenta legalia ; appendix. Berlin, 1830.

[5] Recherches sur le droit de propriété chez la Romains. Aix, 1838, in-8°. Pièce justificative, p. 32.

[6] Leake, p. 10. Foscol., § V.

[7] Une loi d’Anastase, de 494 (Cod. Just. X, XXVII, 2), spécifié que les denrées seront payées au prix ordinaire des marchés, justis pretiis quœ in civitate obtinent species vendant. — Une autre loi, de 384 (Cod. Tbéod., XI, XV, 2), prouve que les réquisitions de vivres étaient payées au prix courant, pretio forensi, et les denrées vendues de gré à gré, species petitas libens prœstet.

[8] Placet igitur pretia quæ subliti brevii scriptura designat, totius orbis nostri observantia contineri. Voyez Leake, p. 12 ; Giraud, Pièce just., p. 38.

[9] Ut si quis contra formam statuti hujus fuerit audentis, capitali periculo subigetur. Ibid.

[10] Droit de Propriété, Pièce just., p. 58.

[11] Comment. in Cod. Theod., XIV, IV, 3 ; t. V, p. 172, col. 2 ; p. 173, col. 1, et p. 264, col. 1 et 2. Sirmond, Not. in Serm. Augustini, Serm. 40, alias, 389.

[12] De infer. œvi numism., c. 88.

[13] [Ne disposant des polices de caractères adéquates, voici l'image des caractères dans l'inscription : ]

[14] Apud Gronov, de Pec. veter.

[15] Fabretti, p. 388, n° XXXXIII.

[16] Cahier de septembre 1838, p. 433.

[17] Comment. in Ézéchiel, I, 4.

[18] Miscell., p. 52. Cf. Orelli, n° 2147.

[19] Marini, Fr. arv., p. 630. Murat., p. 158, n° 1.

[20] Voyez notamment l’inscription de Vénus Gabinienne, rapportée par Orelli, n° 1368, et illustrée par Visconti.

[21] In Aurélien, c. 9.

[22] Saturnales, I, 7- p. 217, éd. ver. Cf. Godefroy, in Comment. Cod. Theod., XII, 1, 107.

[23] Follis signifie sac ;ce mot correspond à la bourse des Turcs.

[24] De Mort. Persec., c. 7.

[25] Leake, p. 27. Pline (XVIII, 34) donne le prix de la livre de navets de Nursie, dont quelques-uns pesaient 40 livres ; c’est un et deux sesterces (20 et 40 centimes), suivant les sondes : In libras sestertii singuli, et in penuria bini. C’est à peu près le prix actuel.

[26] Cod. Theod., t. II, p. 41, col. 1, 2, lib. VI, IV, 7, de Prœtoribus.

[27] Misopog., p. 369, éd. Spaubem. Leps., 1696, in-fol.

[28] Ammien Marcellin, XXVIII,1, 18. Comme le froment avait été livré à la consommation locale sur le pied d'un écu d'or les dix boisseaux...

[29] Inter Theodos., t. VI. Append., p. 11 et 12.

[30] Garnier, Hist de la Monn., t. II, p. 340. Letronne, Monn. gr. et rom., p. 123.

[31] Bullet. de la Société fr. de Statist., t. I, part. II, p. 61.

[32] Cod. Theod., XIV, IV, 4, de suariis, pecuariis et susceptoribus.

[33] L. 3, ibid. Sens folles par singulas libras.

[34] 24 follis = en argent 5,43 grammes, d’où on tire la valeur du follis de cuivre égale à 4 centimes 95/100e, en nombre rond 5 cent. : cette détermination diffère un peu de celle de Du Cange.

[35] Cod. Theod., VIII, IV, 17. Certa taxatione pro octoginta libris laridæ carnis, pro octogenis etiam libris olei, et pro duodenis modius salis. On fournissait auparavant les vivres en nature aux soldats ; on leur paya alors en or leur nourriture, et on fixa un maximum en leur faveur.

[36] Leake, p. 13, ss.

[37] Leake, p. 13.

[38] Voyez Niebuhr, Hist. Rom., t. II, p. 214.

[39] Cod. Théod., XI, r, 29. De annona et tributis.