ÉCONOMIE POLITIQUE DES ROMAINS

 

LIVRE PREMIER — VUES GÉNÉRALE - SYSTÈME MÉTRIQUE - VALEUR ET RAPPORT DES MÉTAUX - CENS ET CADASTRE.

CHAPITRE IV — De l’ensemble du système métrique romain

 

 

Une des conséquences les plus remarquables à déduire de l’exposition que nous venons de faire des diverses parties du système métrique des Romains, c’est que ce système forme un ensemble régulier et parfaitement coordonné dans toutes ses parties, de sorte que les diverses espèces de mesures se rattachent les unes aux autres par des rapports simples et faciles à déduire, et que la connaissance d’une unité quelconque du système suffit, avec des textes précis, pour le reconstruire tout entier.

Nous voyons en effet que le pied était la base des mesures de longueur, de superficie et de capacité, puisque, l’unité agraire se composant d’un nombre exact de pieds carrés, rien n’empêche de considérer le pied carré comme l’unité fondamentale de superficie, et que d’ailleurs Festus nous apprend que l’amphore n’était autre chose que le cube du pied romain.

L’unité pondérale dépendait à son tourde l’unité linéaire, puisqu’elle était la 80e partie du poids de l’eau contenue dans le pied cube, à peu près comme, dans notre système métrique, le gramme est le poids d’un centimètre cube d’eau distillée.

Enfin l’unité monétaire se rattachait elle-même à l’unité linéaire par l’intermédiaire de l’unité pondérale, puisque, dans les premiers temps, l’as, qui était la base de tout le système des monnaies, n’était autre chose que la livre, et que plus tard, lorsque l’argent et l’or devinrent les régulateurs des prix, le monétaire devait, dans une livre d’or ou d’argent, fournir un nombre rond de deniers ou d’aureus.

Cette coordonnance admirable du système métrique des Romains, sur laquelle, le premier, nous avons attiré l’attention de l’Académie des Inscriptions, est une preuve frappante de l’esprit d’ordre et de la rectitude de jugement du peuple romain, qui nous en donnera d’autres encore dans ses lois sur le dénombrement, le cadastre et la statistique générale de l’empire.

C’est ici le lieu de combattre une opinion hasardée de l’un de nos plus savants érudits. Après avoir reconnu dans les ternes les plus formels[1] la coordonnance des diverses parties du système métrique des Romains, M. Letronne ne craint pas de la regarder comme un pur effet du hasard et de déclarer[2] qu’il lui paraît impossible d’admettre que le système métrique romain soit un système formé de toutes pièces, dans lequel on aurait eu pour objet de régler, soit la contenance de l’amphore d’après une livre déterminée, soit le poids de la livre d’après cette mesure déjà établie. Quand on songe, dit-il, que les mesures de capacité des Romains sont essentiellement les mêmes que celles des Grecs, puisque le médimne, l’hecte et l’hémihecte ne sont que le double de l’amphore, le modius et le sémodius, et que les poids des uns rentrent par les rapports les plus simples dans ceux des autres, puisque le talent attique est juste le poids de 80 livres romaines ; il en résulte la preuve que les mesures romaines dérivent de celles des Grecs. Or, comme les mesures (de capacité) de ceux-ci ne sont point en rapport avec la cubature de leurs unités linéaires, cette coïncidence entre la contenance de l’amphore et la cubature du pied romain serait un pur effet du hasard.

Telle est l’objection de M. Letronne ; nous l’avons rapportée dans son entier, pour qu’elle ne perdît rien de sa force. Mais l’auteur a-t-il bien réfléchi à la difficulté d’accorder sa conséquence avec ses prémisses, et au concours prodigieux de hasards qu’il faudrait admettre pour légitimer ses conclusions ?

1° L’unité de longueur sera exactement le côté du cube équivalent à l’amphore.

2° L’amphore pleine d’eau de pluie contiendra un nombre rond de livres romaines, et ce nombre sera précisément le nombre 80, divisible par 4, 10 et 40, que nous voyons jouer un rôle très remarquable dans les autres parties du système. Nous faisons ici appel à toutes les personnes qui ont quelque idée du calcul des probabilités, et nous leur demandons combien de milliers de chances contraires pouvaient se présenter.

Quant à l’identité des mesures de capacité grecques et romaines, nous remarquerons d’abord que cette identité n’est point parfaite, puisque plusieurs mesures usitées chez les Grecs ne se retrouvent pas chez les Romains, et réciproquement. Remarquons en outre que l’as, l’amphore et le jugère étaient en usage dès les premiers temps de la république, et même sous les rois, à une époque où Rome ne s’était point encore mise en communication directe et immédiate avec la Grèce.

Que s’il fallait absolument expliquer cette singularité de mesures de capacité communes aux deux peuples, tandis qu’il en était tout autrement des autres mesures, qui, chez les Romains seulement, se liaient par des rapports simples avec les mesures de capacité, ne pourrions-nous y voir une indication de la marche suivie par les constructeurs du système romain, qui auront procédé à peu près de la manière suivante:

Ils auront pris l’amphore pour point de départ ; la 80e partie du poids de l’eau contenue dans l’amphore leur aura donné la livre, et le côté du cube équivalent à l’amphore, la longueur du pied. Quant à l’amphore, ils ont pu la trouver établie, ainsi que ses subdivisions, dans la Grande-Grèce, ou dans les contrées de l’ancienne Italie qui avaient reçu de la Grande-Grèce leur civilisation.

 

 

 

 



[1] Bulletin de Férussac, année 1827, t. VII, p. 397-406.

[2] Ibid., p. 401.