Abrégé de l'origine de tous les cultes

 

Chapitre VII. — Explication des Dionysiaques, ou du poème de Nonnus sur le Soleil, adoré sous le nom de Bacchus.

 

 

Nous avons, dans notre explication des travaux d’Hercule, considéré le Soleil, principalement comme l’astre puissant, dépositaire de toute la force de la nature, qui engendre et mesure le temps par sa marche dans les cieux, et qui, partant du solstice d’été ou du point le plus élevé de sa route, parcourt la carrière des douze signes dans lesquels les corps célestes circulent, et avec eux les diverses périodes ou révolutions des astres. Sous son nom d’Osiris ou de Bacchus, nous envisagerons l’astre bienfaisant qui, par sa chaleur, appelle, au printemps, tous les êtres à la génération ; qui préside à la croissance des plantes et des arbres ; qui mûrit les fruits, et qui verse dans tous les germes cette sève active qui est l’âme de la végétation, car c’est là le véritable caractère de l’Osiris égyptien et du Bacchus grec. C’est surtout au printemps que cette humidité génératrice se développe, et circule dans toutes les productions naissantes ; et c’est le Soleil qui, par sa chaleur, lui imprime le mouvement et lui donne sa fécondité.

On distingue en effet deux points dans le ciel, qui limitent la durée de l’action créatrice du Soleil, et ces deux points sont ceux où la nuit et le jour sont d’égale longueur. Tout le grand ouvrage de la végétation, dans une grande partie des climats septentrionaux, semble compris entre ces deux limites, et sa marche progressive se trouve être en harmonie avec celle de la lumière et de la chaleur. À peine le Soleil, dans sa route annuelle, a-t-il atteint un de ces points, qu’une force active et féconde paraît émaner de ses rayons, et imprimer le mouvement et la vie à tous les corps sublunaires qu’il appelle à la lumière par une nouvelle organisation. C’est alors qu’a lieu la résurrection du grand dieu, et avec la sienne celle de la nature entière. Arrive-t-il au point opposé ? Cette vertu semble l’abandonner, et la nature se ressent de son épuisement. C’est Atys, dont Cybèle pleure la mutilation ; c’est Adonis, blessé dans sa partie sexuelle, et dont Vénus regrette la perte ; c’est Osiris précipité au tombeau par Typhon, et dont Isis éplorée ne retrouve plus les organes de la génération.

Quel tableau, en effet, plus propre à attrister l’homme, que celui de la terre, lorsque, par l’absence du Soleil, elle se trouve privée de sa parure, de sa verdure, de son feuillage, et qu’elle n’offre plus à nos regards que les débris de plantes desséchées ou tombées en putréfaction, de troncs dépouillés, de terres hispides et sans culture ou couvertes de neiges, de fleuves débordés dans les champs ou enchaînés dans leur lit par les glaces, ou de vents fougueux qui bouleversent la terre, les eaux et les airs, et qui portent le ravage dans toutes les parties du Monde sublunaire ! Qu’est devenue cette température heureuse dont la terre jouissait au printemps et pendant l’été ; cette harmonie des éléments, qui était en accord avec celle des cieux ; cette richesse, cette beauté de nos campagnes chargées de moissons et de fruits, ou émaillées de fleurs, dont l’odeur parfumait l’air, et dont les couleurs variées présentaient un spectacle si ravissant ? Tout a disparu, et le bonheur s’est éloigné de l’homme avec le dieu qui, par sa présence, embellissait nos climats : sa retraite a plongé la terre dans un deuil donc son retour seul pourra la tirer. Il était donc le créateur de tous ces biens, puisqu’ils nous échappent avec lui ; il était l’âme de la végétation, puisqu’elle languit et s’arrête aussitôt qu’il nous quitte. Quel sera le terme de sa fuite et de sa descente des cieux, dont il s’exile comme Apollon ? Va-t-il replonger la nature dans l’ombre éternelle du chaos, d’où sa présence l’avait tirée ? Telles étaient les inquiétudes de ces anciens peuples, qui, voyant le Soleil s’éloigner de leurs climats, craignaient qu’un jour il ne vînt à les abandonner tout à fait : de là ces fêtes de l’espérance, célébrées au solstice d’hiver, lorsque les hommes virent cet astre s’arrêter dans sa marche rétrograde, et rebrousser sa route pour revenir vers eux. Mais si l’on fut si sensible à l’espoir d’un prochain retour, quelle joie ne dut-on pas éprouver lorsque le Soleil, déjà remonté vers le milieu du ciel, eut chassé devant lui les ténèbres, qui avaient empiété sur le jour et usurpé une partie de son empire ! Alors l’équilibre du jour et de la nuit est rétabli, et avec lui l’ordre de la nature. Un nouvel ordre de choses aussi beau que le premier recommence, et la Terre, fécondée par la chaleur du Soleil, qui a repris la vigueur de la jeunesse, s’embellit sous les rayons de son époux. Ce n’est plus le Dieu du jour que les oiseaux chantent ; c’est celui de l’Amour, dont les feux brûlants s’allument dans les veines de tout ce qui respire l’air, devenu plus pur et plein des principes de vie. Déjà les mères prévoyantes ont choisi l’arbre ou le buisson où elles doivent suspendre le nid qui recevra le fruit de leurs amours, et que va ombrager le feuillage naissant ; car la nature a repris sa parure, les prairies leur verdure, les forêts leur chevelure nouvelle, et les jardins leurs fleurs. La terre a déjà une face riante qui lui fait oublier la tristesse et le deuil dont l’hiver l’avait couverte. C’est Vénus qui, retrouvant Adonis, brille de grâces nouvelles et sourit à son amant, vainqueur de l’hiver et des ombres de la nuit, et qui sort enfin du tombeau. Les vents bruyants ont fait place aux Zéphyrs, dont la douce haleine respecte le feuillage tendre qui s’abreuve encore de rosée, et qui joue légèrement sur le berceau des enfants du printemps ; les fleuves, rentrés dans leur lit, reprennent leur cours tranquille et majestueux. Le front ceint de roseaux et des fleurs des plantes aquatiques, la timide naïade sort des grottes que les glaces ne ferment plus, et, penchée sur son urne, elle fait couler l’onde argentée qui serpente dans la prairie, au milieu de la verdure et des fleurs qu’elle arrose et qu’elle nourrit. La Terre, consumée des feux de l’Amour, se pare de tous ses plus beaux ornements, pour recevoir l’époux radieux avec lequel elle consomme le grand acte de la génération de tous les êtres qui sortent de son sein. Il n’est aucun de ces tableaux que le génie des poètes anciens ne se soit exercé à peindre, aucun de ces phénomènes annuels qui n’ait été décrit par les chantres de la Nature.

C’est surtout dans les premiers chants du poème de Nonnus sur Bacchus ou sur le Soleil, que nous trouverons les tableaux contrastants qu’offre la terre en hiver, sous la tyrannie de Typhon, génie des ténèbres, et au printemps, lorsque le dieu de la Lumière reprend son empire, et développe cette force active et féconde qui se manifeste tous les ans au réveil de la nature, et qui, sous le nom de Bacchus, fait sortir de leurs germes et de leurs boutons les fruits délicieux que l’automne doit mûrir.

Avant de commencer l’analyse du poème, et d’en faire voir les rapports avec la marche du Soleil dans les signes, nous essaierons de détruire l’erreur de ceux qui seraient persuadés que Bacchus, fils de Sémélé, né à Thèbes, est un ancien héros que la gloire de ses conquêtes en Orient a fait placer ensuite au rang des dieux. Il ne nous sera pas difficile de prouver qu’il n’est, comme Hercule, également né à Thèbes, qu’un être physique, le plus puissant comme le plus beau des agents de la Nature, ou le Soleil, âme de la végétation universelle. Cette vérité, établie par une foule d’autorités anciennes, recevra ensuite un nouveau jour par l’explication du poème, dont tous les traits se lient à l’action bienfaisante de l’astre qui règle les saisons, et que Virgile invoque, sous le nom de Bacchus, au commencement de son poème sur l’agriculture. Nous attachons d’autant plus d’importance à prouver que Bacchus et Hercule ne sont que le dieu Soleil, adoré chez tous les peuples sous une foule de noms différents, qu’il en résultera une conséquence infiniment précieuse ; savoir : qu’on écrivit autrefois l’histoire de la Nature et de ses phénomènes, comme on écrivit depuis celle des hommes, et que le Soleil surtout fut le principal héros de ces romans merveilleux, sur lesquels la postérité ignorante à été grossièrement trompée. Si le lecteur reste bien convaincu de cette vérité, il admettra sans peine notre explication de la légende solaire, connue chez les Chrétiens sous le nom de vie de Christ, qui n’est qu’un des mille noms du dieu Soleil, quelle que soit l’opinion de ses adorateurs sur son existence comme homme ; car elle ne prouvera pas plus que celle des adorateurs de Bacchus, qui en faisaient un conquérant et un héros. Établissons donc d’abord comme un fait avoué, que le Bacchus des Grecs n’était qu’une copie de l’Osiris des Égyptiens, et qu’Osiris, époux d’Isis, adoré en Égypte, était le Soleil. L’explication que nous avons donnée des courses d’Isis, a suffisamment prouvé qu’elle était la Lune, et que l’époux qu’elle cherchait, était le Soleil. Le passage de Chérémon, que nous ne cesserons de rappeler au lecteur, parce qu’il fait la base de tout notre système d’explications, suppose que la fable d’Isis et Osiris est une fable luni-solaire. Les témoignages de Diodore de Sicile, de Jamblique, de Plutarque, de Diogène Laërce, de Suidas, de Macrobe, etc., s’accordent à prouver qu’il était généralement reconnu par tous les Anciens, que c’était le Soleil que les Égyptiens adoraient sous le nom d’Osiris, quoique, dans les poèmes et dans les légendes sacrées, on en fît un roi, un conquérant qui avait autrefois régné sur l’Égypte, avec la reine Isis son épouse. C’est également une vérité reconnue par tous les savants, que le Bacchus des Grecs était le même que l’Osiris égyptien, et conséquemment le même dieu que le Soleil. Aussi Antoine se faisait-il appeler Osiris et Bacchus, et voulait qu’on appelât Cléopâtre Isis ou la Lune. On trouvera dans notre grand ouvrage l’explication de la vie d’Osiris, dont nous avons fait le rapprochement avec la course du Soleil, de manière à ne laisser aucun doute sur la nature de cette prétendue histoire, que nous prouvons être toute entière astronomique et exprimer la marche opposée des deux grands principes, lumière et ténèbres, qui, sous le nom d’Osiris ou du Soleil, et sous celui de Typhon son ennemi, se combattent dans le Monde.

C’est cette histoire sacrée des Égyptiens, qui a passé dans la Grèce sous le nom d’aventures de Bacchus, où elle a reçu des changements qui cependant laissent clairement apercevoir les traces de sa filiation. Hérodote, père de l’histoire chez les Grecs, qui avait voyagé en Égypte, et qui avait recueilli avec soin les traditions sacrées de e pays, qu’il compare souvent avec celles des Grecs, nous assure que l’Osiris des Égyptiens est la même divinité que les Grecs adorent sous le nom de Bacchus, et cela de l’aveu des Égyptiens eux-mêmes, de qui les Grecs empruntèrent la plupart de leurs dieux. Hérodote développe assez au long cette filiation de culte, par le rapprochement du cérémonial des Phalléphores, ou des fêtes de la génération, qui se célébraient en Égypte en l’honneur d’Osiris, et en Grèce en l’honneur de Bacchus. Il répète plusieurs fois qu’Osiris et Bacchus sont le même dieu. Plutarque, dans son traité d’Isis, fait les mêmes rapprochements. Parmi la foule des noms que donnent au Soleil Martianus, Capella et Ausone, on y remarque ceux d’Osiris et de Bacchus.

Diodore de Sicile prétend que les Égyptiens traitaient d’imposteurs les Grecs qui avançaient que Bacchus, le même qu’Osiris, était né à Thèbes en

Béotie, des amours de Jupiter et de Sémélé.

C’était, suivant eux, un mensonge officieux d’Orphée, qui, ayant été initié aux mystères de ce dieu en Égypte, transporta ce culte en Béotie, et qui, pour flatter les thébains, fit croire que Bacchus ou Osiris était né chez eux autrefois. Le peuple, que partout l’on trompe aisément, jaloux d’ailleurs qu’on pensât que le nouveau dieu était grec, s’empressa de recevoir ses initiations.

Les mythologues et les poètes vinrent à l’appui de cette tradition, l’accréditèrent sur les théâtres, et finirent par tromper la postérité, au point qu’il ne lui a plus resté aucun doute sur la certitude de cette histoire controuvée. C’est ainsi que les Grecs, disent toujours les Égyptiens, se sont approprié les dieux que l’Égypte révérait bien des siècles avant eux. C’est ainsi qu’ils ont fait naître chez eux Hercule, quoique Hercule soit une divinité égyptienne, dont le culte était établi à Thèbes en Égypte bien des siècles avant l’époque où l’on fixe la naissance du prétendu fils d’Alcmène : ils se sont pareillement approprié Persée, dont le nom avait autrefois été fameux en Égypte.

Sans nous arrêter ici à examiner comment et à quelle époque le culte des divinités égyptiennes a passé en Grèce, nous nous bornerons à donner comme un fait avoué par tous les anciens, que le bienfaisant Osiris des Égyptiens est le même que le Bacchus des Grecs ; et à conclure qu’Osiris étant le Soleil, Bacchus est aussi le Soleil ; ce qui nous suffit pour le but que nous nous proposons ici. L’explication du poème des dionysiaques achèvera de prouver cette vérité.

Analyse du poème de Nonnus, considéré dans ses rapports avec la marche de la nature en général, et en particulier avec celle du Soleil.

 

Chant premier.

Le poète commence par invoquer la muse qui doit l’inspirer, et l’invite à chanter la foudre étincelante qui fit accoucher Sémélé au milieu des feux et des éclairs, qui remplirent d’une brillante lumière la couche de cette amant indiscrète, ainsi que la naissance de Bacchus, qui reçut deux fois le jour.

L’invocation finie, le poète porte l’esprit du lecteur sur la partie du ciel, d’où part le Soleil au moment où il le chante en commençant son poème. Ce lieu est le point équinoxial du printemps, occupé par l’image du fameux taureau, qui figure dans la charmante fable des amours de Jupiter et d’Europe, sœur de Cadmus ou du serpentaire qui se lève le soir alors en aspect avec le taureau. Il le porte également sur le cocher céleste, qui tient la chèvre et les chevreaux, celui qui fournit au dieu Pan ses attributs, et qui alors précédait le matin le char du Soleil, et ouvrait la barrière au jour, comme le serpentaire l’ouvrait à la nuit, à l’époque à laquelle le Soleil ou Jupiter s’unissait au taureau d’Europe, et franchissait le fameux passage qui séparait l’empire du dieu de la lumière, de celui des ténèbres. Ainsi le poète fixe d’une manière précise le départ de son poème, en signalant les astres qui, dans le zodiaque et hors le zodiaque, déterminent l’époque du temps u’il va chanter. Voyons comment le génie du poète a su embellir le fonds simple que fournit l’astronomie. Nonnus entre en matière, en racontant avec toutes ses circonstances l’enlèvement d’Europe par Jupiter déguisé en taureau ; et les courses du serpentaire ou de Cadmus, à qui son père a donné ordre de chercher sa sœur à travers les mers. Toute cette aventure astronomique est poétiquement racontée : on voit Jupiter taureau sur le rivage de Tyr, la tête ornée de superbes cornes qu’il agite fièrement, tandis qu’il fait retentir l’air de ses mugissements amoureux. L’imprudente Europe lui présente des fleurs ; elle en pare sa tête ; elle ose s’asseoir sur le dos du dieu que l’amour lui subjugue, et qui l’emporte aussitôt au milieu des flots. Europe pâlit ; effrayée, elle lève les mains aux cieux ; sa robe néanmoins n’est pas mouillée par les eaux. On l’eût prise pour Thétis, pour Galathée, pour l’épouse de Neptune, et même pour Astarté ou Vénus portée sur le dos de quelque triton. Neptune est étonné de la vue du bœuf immortel qui nage dans son empire, et un des dieux marins, qui reconnaît Jupiter sous ce travestissement, prend sa conque et entonne les chants de l’hyménée. Cependant la nouvelle épouse du maître de ’Olympe, se tenant aux cornes du taureau divin, naviguait au sein des ondes écumantes, non pas sans crainte, quoique sous les auspices de l’Amour, qui lui servait de pilote, tandis que le souffle des vents enflait les pans de sa robe ondoyante. Arrivé en Crète, Jupiter taureau se dépouille de ses formes effrayantes, et prend la figure du dieu du printemps ou d’un beau jeune homme qui a toutes les grâces et la vigueur de cet âge. C’est sous cette forme qu’il prodigue ses caresses à son amante, confuse et éplorée ; qu’il cueille les prémices des fleurs, dont l’amour est jaloux, et qu’il la rend mère de deux enfants jumeaux.

Son amant la laisse entre les mains d’Astérion, et place parmi les astres le taureau dont il a pris la forme dans sa métamorphose. C’est lui, dit Nonnus, qui brille dans l’Olympe sous les pieds du Cocher, et qui sert de monture au Soleil du printemps.

Pendant ce temps-là Cadmus s’était mis en marche pour suivre le ravisseur de sa sœur, qui avait disparu avec elle au sein des flots. Effectivement, après le coucher du Soleil en conjonction avec le taureau céleste, ou avec le Taureau d’Europe, on voyait à l’Orient monter le Serpentaire Cadmus, qui pendant toute la nuit voyageait sur la voûte des cieux, et descendait le matin dans les mêmes mers où le soir s’était couché le Taureau avec le Soleil.

On suppose qu’après avoir longtemps voyagé, il était arrivé près de la sombre caverne où Jupiter avait déposé sa foudre lorsqu’il voulut donner le jour à Tantale. Ce dernier nom est celui sous lequel figure le même Serpentaire dans une autre fable, et son lever en automne, au moment où la foudre cesse de se faire entendre, donna l’idée aux poètes de feindre que Jupiter avait quitté sa foudre pour lui donner naissance. On peut voir dans notre grand ouvrage, à l’article Serpentaire, comment s’explique par lui la fable de Tantale.

Ce lieu était Ahrimé : c’est dans cet endroit que Typhée ou Typhon, fils de la terre ténébreuse, la découvrit, averti par la fumée qui s’élevait de l’antre où était la foudre encore mal éteinte. Il s’en saisit, et, fier d’être maître de l’arme puissante du roi de l’Olympe, il fait retentir tous les échos d’alentour du bruit terrible de sa voix. Aussitôt tous les dragons ses frères, sous les formes les plus affreuses, s’unissent à lui pour faire la guerre au dieu qui maintient l’harmonie du Monde, et qui nous distribue tous les biens et surtout la lumière.

Le Géant, de ses mille bras, secoue violemment le pôle et les Ourses qui se défendent ; il porte des coups terribles au Bouvier, gardien des Ourses. L’Étoile du matin, l’Aurore, les Heures, tout est attaqué : la clarté du jour est obscurcie par l’ombre épaisse que projette l’horrible chevelure des géants, formée de noirs serpents. La Lune pleine, comme dans la passion de Christ, se trouve poussée près du Soleil, et l’empire des deux astres se confond. Un des serpents s’entortille atour du pôle, et mêle ses nœuds à ceux du dragon céleste, qui garde les pommes hespérides. Le poète donne une grande étendue à ce tableau, où il nous peint le prince des ténèbres, qui livre divers assauts aux différents astres, au Soleil, à la Lune, comme le dragon de l’Apocalypse, qui entraîne une partie des étoiles du ciel avec sa queue. Tout ce morceau n’est que le développement poétique de la guerre d’Ahriman contre Ormuzd, des Titans contre Jupiter, des anges rebelles et de leur chef contre Dieu et ses anges. Le fond original de toutes ces fictions est dans la cosmogonie des Perses et dans le récit mythologique des combats de leur dieu, principe de bien et de lumière, contre le chef du mal et des ténèbres. Ces idées théologiques, comme nous l’avons déjà observé d’après Plutarque, se retrouvent chez tous les peuples, et sont consacrées dans leurs romans religieux et dans leurs mystères. Ainsi l’on voit dans la cosmogonie des Perses, le prince des ténèbres, sous le nom d’Ahriman, qui pénètre dans le ciel sous la forme du Dragon. Le Ciel lui-même, qui lui résiste, trouve dans les astres autant de soldats prêts à combattre avec lui contre l’ennemi du bien et de la lumière. On y voit aussi les dew, ou les mauvais génies, compagnons d’Ahriman, qui, comme font ici les monstres, frères de Typhon, attaquent les Étoiles fixes, les Éléments et la Terre, les Eaux et les Montagnes.

Après avoir combattu le ciel, Typhon descend sur la Terre et en ravage les productions ; il attaque aussi les montagnes, les mers et les fleuves ; il arrache des îles entières, et en pousse avec violence les débris contre le ciel. Nouveau Jupiter, il essaie de lancer aussi la foudre, qui reste sans effet et sans bruit dans ses impuissantes mains. Ses bras ne sont pas assez nerveux pour en soutenir le poids, et les feux du tonnerre s’éteignent aussitôt qu’ils ne sont plus soutenus de la force divine qui les lance.

À la suite de cette description que j’abrège, le poète nous peint Cadmus, qui arrive dans les lieux qu’habitait Typhon, et où Jupiter avait laissé surprendre sa foudre. Il y est rencontré par l’amant d’Europe, que Pan accompagnait. On se rappellera que Pan est ici le Cocher porte-chèvre, qui montait avec le Soleil du taureau le matin, à l’entrée du printemps, au moment où Jupiter allait de nouveau faire entendre son tonnerre, que l’hiver avait réduit au silence. Voilà le fond de la fiction.

Jupiter invite Cadmus à se prêter à un déguisement pour tromper Typhon et lui reprendre sa foudre ; c’est-à-dire, sans figure, que le Serpentaire Cadmus et le Cocher Pan vont s’unir par leur aspect au taureau équinoxial, pour annoncer le retour du printemps et la victoire périodique que remporte tous les ans à cette époque le dieu de la lumière et des longs jours, sur le chef des ténèbres et des longues nuits, ou Jupiter Ægiochus, autrement Jupiter porte-chèvre, sur le grand dragon que presse de ses mains aux cieux le Serpentaire, et qui tous les ans, en automne, ramenait les ténèbres et les hivers.

Jupiter propose à Cadmus de prendre les habits de Pan, sa flûte et ses chevreaux, et de se bâtir une cabane, dans laquelle il attirera Typhon par les sons harmonieux de sa flûte. Chante, lui dit-il, cher Cadmus, .... tu rendras aux cieux leur première sérénité. Typhon m'a ravi la foudre : il ne me reste plus que mon égide ; à mais de quel secours petit-elle être pour moi contre les feux puissants du tonnerre ? Sois berger pour un jour, et que ta flûte pastorale serve à rendre l'empire au pasteur éternel du monde. Tes services ne seront pas sans récompense : tu seras le réparateur de l'harmonie de l'Univers, et la belle Harmonie, fille de Mars et de la déesse du printemps, deviendra ton épouse. Ainsi parle Jupiter, et il s’avance vers les sommets du Taurus. Alors Cadmus, déguisé en berger, appuyé nonchalamment contre un chêne, fait retentir les forêts d’alentour des sons de sa flûte harmonieuse. Typhon se laisse charmer ; il approche du lieu où il entend ces sons séducteurs, et dépose dans l’antre la foudre où il l’avait trouvée, et l’y cache. Au moment où il s’avance plus près de la forêt, Cadmus feint d’avoir peur et veut fuir. Le Géant le rassure et l’invite à continuer, en lui faisant les plus pompeuses promesses. Cadmus continue à chanter, et fait espérer à Typhon des chants plus merveilleux encore s’il veut lui donner les nerfs de Jupiter, qui étaient tombés dans le combat de ce dieu contre Typhon, et que celui-ci avait gardés. Sa demande lui est accordée, et le berger les met en réserve, comme pour les adapter un jour à sa lyre, mais dans l’intention de les rendre à Jupiter après la défaite des Géants. Cadmus adoucit encore les sons de sa flûte enchanteresse, et charme les oreilles de Typhon, qui donne toute son attention, sans que rien puisse le distraire.

Chant II.

C’est dans ce moment où tous les sens du géant sont comme enchaînés par l’harmonie, que Jupiter s’approche doucement de l’antre où sa foudre est cachée, et qu’il s’en saisit à la faveur d’un nuage épais dont il couvre la grotte et Cadmus, pour dérober celui-ci à la vengeance du géant. Cadmus se tait et disparaît de la vue de Typhon, qui, craignant d’avoir été trompé, court vers son antre chercher la foudre qu’il ne retrouve plus. C’est alors qu’il s’aperçoit, mais un peu tard de l’artifice de Jupiter et de Cadmus. Il veut, dans sa rage, s’élancer vers l’Olympe. Les mouvements convulsifs de sa fureur font trembler tout l’Univers. Il ébranle les fondements des montagnes ; il agite, par de violentes secousses, les rivages ; il fait retentir d’un horrible fracas les échos des forêts et des cavernes, et il porte le ravage dans tous les pays voisins du lieu qu’il habite. Les Nymphes éplorées fuient au fond du lit de leurs fleuves desséchés, et se cachent dans les roseaux. Les bergers, glacés d’effroi, errent çà et là dans les champs, et jettent au loin leurs flûtes. Le laboureur abandonne ses bœufs au milieu des sillons ; les arbres déracinés couvrent de leurs débris les campagnes désolées.

Cependant Phaéton avait conduit son char fatigué aux rives du couchant, et la nuit étendait ses sombres voiles sur la terre et sur le ciel. Les dieux étaient alors errants sur les bords du Nil, tandis que Jupiter, sur les sommets du Taurus, attendait le retour de l’aurore. Il était nuit, et les sentinelles étaient posées aux portes de l’Olympe.

Le vieux Bootès, les yeux toujours ouverts, ayant près de lui le dragon céleste, surveillait les attaques nocturnes que pourrait tenter Typhon, père de ce dragon.

J’observerai ici que le poète a décrit exactement la position de la sphère à l’entrée de la nuit qui précède le jour du triomphe du Soleil au printemps. On voit, au couchant, Phaéton ou le cocher, dont le nom est aussi une des épithètes du Soleil ; et au levant, le bouvier et le dragon ; tout l’Univers présentait alors l’image d’un immense camp, dans lequel chaque partie de la nature personnifiée remplissait quelque fonction, et faisait quelques-unes des choses qui se pratiquent la nuit dans les camps. Les étoiles et les météores étaient les feux qui l’éclairaient.

Enfin la déesse de la Victoire, sous la forme de la mère du Soleil et de la Lune, vient au secours de Jupiter, et apporte des armes au père des immortels. Elle lui représente les dangers qui menacent toutes les parties de son empire, et l’exhorte à combattre son rival. La Nuit avait, en ce moment, suspendu les attaques de l’ennemi ; Typhon, succombant sous le poids du sommeil, avait couvert de son vaste corps une immense étendue de terrain. Jupiter seul, dans la nature, ne dormait pas. Mais bientôt l’Aurore ramène le jour et de nouveaux dangers. Au lever du Soleil, Typhon, ouvrant sa large bouche, pousse un cri affreux dont tous les échos retentissent. Il défie au combat le maître des dieux ; il éclate en menaces, et vomit des injures contre lui et contre les immortels. Dans ses projets insensés il médite d’élever sur les ruines du Monde un nouveau ciel infiniment plus beau que celui qu’habite Jupiter, et de faire forger des foudres plus redoutables que les siennes. Il peuplera, dit-il, l’Olympe d’une nouvelle race de dieux, et forcera la vierge de devenir mère.

Jupiter, accompagné de la Victoire, entend ses menaces et son défi audacieux, et sourit. On se prépare au combat, dont l’empire des cieux doit être le prix. Ici est une longue description de cette terrible bataille que se livrent entre eux les chefs de la Lumière et des Ténèbres, sous les noms de Jupiter et de Typhon. Au moment de la dernière crise, qui doit assurer le triomphe du premier sur le second, Typhon entasse des montagnes et arrache des arbres qu’il lance contre Jupiter. Une étincelle de la foudre du roi des dieux réduit tout en poudre. L’Univers est ébranlé par cette lutte terrible. La terreur et la crainte combattent à côté de Jupiter, et s’arment de l’éclair qui précède la foudre. Typhon perd une main dans le combat : elle tombe sans se dessaisir du quartier de rocher qu’elle se préparait à lancer. Le géant puise dans le creux de son autre main l’eau des fleuves, dans le dessein d’éteindre les feux du tonnerre, mais inutilement. Il oppose d’énormes rochers à Jupiter, qui les renverse de son souffle. Enfin Typhon, attaqué de toutes parts, et brûlé des feux de la foudre, succombe, et couvre la poussière de son immense corps, vomissant la flamme de son sein foudroyé. Jupiter insulte à sa défaite par un rire moqueur et par un discours rempli de sarcasmes amers. Les échos du Taurus annoncent la victoire. L’effet de ce triomphe fut de rendre la sérénité, l’ordre et la paix aux cieux, et de rétablir l’harmonie de la nature. Le maître du tonnerre retourne au ciel, porté sur son char ; la victoire guide ses coursiers ; les heures lui ouvrent les portes de l’Olympe ; et Thémis, pour effrayer la Terre qui a donné naissance à Typhon, suspend aux voûtes du ciel les armes du géant foudroyé. Tel est le précis des deux premiers chants du poème.

En voici le fond théologique et astronomique. Toute victoire suppose un combat, comme toute résurrection suppose une mort : de là vient que les anciens théologiens et les poètes, qui chantaient le passage du Soleil au point équinoxial, et le triomphe des longs jours sur les nuits d’hiver, soit sous le nom de triomphe de Jupiter et d’Ormuzd, soit sous celui de résurrection d’Osiris et d’Adonis, plaçaient toujours auparavant, ou un combat dont le dieu lumière sortait vainqueur, ou une mort et un tombeau auquel il échappait en reprenant une nouvelle vie. Les formes astronomiques que prenait le dieu Lumière et le chef des ténèbres, c’est-à-dire, le Taureau, et ensuite l’agneau d’un côté, et le serpent ou le dragon de l’autre, formaient les attributs des chefs opposés de ce combat. Les constellations placées hors du zodiaque, qui se liaient à cette position céleste, et qui déterminaient cette importante époque, étaient aussi personnifiées et mises en scène. Tels sont ici le Cocher ou Pan, qui accompagne aussi Osiris dans ses conquêtes, et Cadmus ou le Serpentaire. Les deux chants que nous venons d’analyser, ne contiennent donc rien autre chose qu’une description poétique de la lutte des deux principes, qui est censée précéder le moment où le Soleil, à l’équinoxe de printemps ou à pâques, sous les noms de Jupiter, d’Ormuzd, de Christ, etc. Triomphe du dieu des hivers et régénère toute la Nature. Le génie du poète a fait le reste : de là vient la variété des poèmes et des légendes, où ce fait physique est chanté.

Ici Nonnus suppose que pendant l’hiver le dieu de la lumière n’avait plus de foudres, qu’elles étaient entre les mains du chef des ténèbres, qui lui-même n’en pouvait pas faire usage. Mais durant le temps que Jupiter en est privé, son ennemi bouleverse et désorganise tout dans la nature, confond les éléments, répand sur la terre le deuil, les ténèbres et la mort, jusqu’au lever du matin du Cocher et de la Chèvre, et jusqu’au lever du soir du Serpentaire ; ce qui arrive au moment où le Soleil atteint le Taureau céleste dont Jupiter prit la forme pour tromper Europe, sœur de Cadmus. C’est alors que le Dieu du jour rentre dans tous ses droits, et rétablit l’harmonie de la Nature, que le génie des ténèbres avait détruite. C’est là l’idée qu’amène naturellement le triomphe de Jupiter, et que le poète nous présente en commençant le troisième chant de son poème sur les saisons ou des dionysiaques.

Chant III.

Première saison ou printemps.

Le combat, dit Nonnus, finit avec l’hiver ; le Taureau et Orion se lèvent et brillent sur un ciel pur ; le Massagète ne roule plus sa cabane ambulante sur les glaces du Danube ; déjà l’hirondelle, de retour chante l’arrivée du printemps, et interrompt, le matin, le sommeil du laboureur sous son toit hospitalier ; le calice des fleurs naissants s’ouvre aux sucs nourriciers de la rosée que répand l’heureuse saison des zéphyrs. Voilà en substance ce que contiennent les quinze premiers vers du chant qui suit immédiatement la défaite du chef des Ténèbres et de l’hiver.

Cependant Cadmus s’embarque et va au palais d’Électre, une des Pléiades ou des astres qui se lèvent devant le Soleil à l’entrée du printemps ; c’est là qu’était élevée la jeune harmonie, que Jupiter lui destinait pour épouse. Émathion ou le jour, fils d’Électre, jeune prince d’une charmante figure, venait de se rendre chez sa mère. La déesse de la persuasion, la première des femmes d’Harmonie, introduit Cadmus au palais d’Électre, sous les auspices de la déesse du printemps ou de Vénus. Électre accueille favorablement Cadmus, lui fait servir un magnifique repas, et l’interroge sur le sujet de son voyage. L’étranger satisfait à ses questions. Cependant Jupiter avait dépêché Mercure vers Électre, pour lui notifier ses volontés sur le mariage de Cadmus avec Harmonie, fille de Mars et de Vénus, dont l’éducation lui avait été confiée par les Heures et les Saisons.

Le salut que Mercure adresse à la mère du prince Jour ou d’Émathion, ressemble fort à celui que Gabriel, dans la fable solaire des Chrétiens, adresse à la mère du dieu de la Lumière.

Voici à quoi se réduit le fond astronomique sur lequel porte tout ce troisième chant. L’hiver finit, et le matin le Soleil se lève, porté sur le Taureau, précédé des Pléiades et suivi d’Orion. Au couchant le Serpentaire ou Cadmus descend au sein des flots, après avoir parcouru toute la nuit l’espace du ciel, qui sépare le bord oriental du bord occidental. Il se trouve alors en regard avec les Pléiades et avec Électre, qui montent à l’Orient avec le jour, désigné ici sous l’emblème d’un charmant jeune homme, élevé avec Harmonie, à l’époque de la révolution annuelle, où l’harmonie des saisons se rétablit dans nos climats. Tel est le fond de la fiction du poète.

Chant IV.

Mercure, après avoir rempli son message, remonte vers l’Olympe. Électre appelle près d’elle Harmonie, et lui fait part des volontés de Jupiter. La jeune princesse refuse d’abord de donner sa main à un étranger, qu’elle croit être un aventurier. Son refus est accompagné de larmes qui coulent de ses beaux yeux, et qui relèvent encore l’éclat de ses charmes. Mais Vénus sa mère, sous la forme de la persuasion, triomphe de sa résistance, et la détermine à suivre Cadmus partout où il voudra l’emmener. Harmonie obéit, et s’embarque sur le vaisseau de Cadmus qui l’attendait au rivage. Le vent printanier qui agite doucement les voiles, porte les deux amants sur les côtes de Grèce.

Le premier soin de Cadmus, en débarquant, est d’aller consulter l’oracle de Delphes : il apprend que le bœuf qui a enlevé sa sœur, n’est pas un animal terrestre, que c’est le Taureau de l’Olympe ; qu’inutilement il le chercherait plus longtemps sur la terre. Le dieu l’invite à renoncer à ses recherches, et à se fixer en Grèce, où il bâtira une ville qui portera le nom de la Thèbes d’Égypte sa patrie ; il ajoute que le lieu où il doit la fonder lui sera indiqué par une vache divine, qui s’y reposera. Cadmus à peine sorti du temple, aperçoit cet animal sacré qui devient son guide, et qui le conduit dans les lieux où Orion périt de la piqûre d’un scorpion ; c’est là que se couche la vache. On voit ici une allusion manifeste au coucher du signe céleste, où les uns peignent un taureau, et d’autres une vache, et sous lequel et avec lequel se couche Orion, au lever du scorpion céleste, signe qui lui est opposé. Voilà le phénomène céleste que le poète a chanté dans cette fable. Comme le Scorpion a aussi le Serpentaire placé au dessus de lui, et qui monte avec lui au coucher du taureau, la fable suppose que Cadmus se prépare à immoler ce dernier. Mais il manque d’eau pour son sacrifice ; il va pour en chercher à une fontaine qu’il trouve défendue par un énorme dragon, fils de Mars, ou du dieu qui préside au signe sur lequel est Cadmus. Ceci est une allusion manifeste au dragon du pôle, placé au dessus de Cadmus, qui monte avec lui, et qu’on appelle Dragon de Cadmus en astronomie ; c’est le dragon des Hespérides dans la fable, où le Serpentaire est pris pour Hercule ; c’est Python dans la fable d’Apollon ; c’est celui que tue Jason dans la fable de Jason, que nous expliquerons bientôt.

Le monstre dévore plusieurs des compagnons de Cadmus. Minerve vient au secours du héros ; elle lui ordonne de tuer le dragon, dont il sèmera les dents, comme fait aussi Jason. Cadmus tue le dragon, et des dents qu’il a semées il en naît des géants qui bientôt s’entretuent. On remarquera ici que, dans toutes les fictions solaires, destinées à peindre, sous une foule de noms différents, le triomphe du dieu du printemps sur le génie de l’hiver et des ténèbres, il y a toujours à cette époque une défaite du grand dragon, ennemi du héros qui triomphe, et que c’est toujours par le dragon du pôle ou par celui qui annonce tous les ans l’automne et l’hiver, que s’explique chacune de ces fables. Nous aurons occasion de rappeler cette observation dans notre explication de l’Apocalypse.

Chant V.

Après cette victoire, Cadmus fait son sacrifice, dans lequel il immole l’animal qui lui a servi de guide, comme Bacchus dans d’autres fables immole à Hammon le Bélier qui lui a servi également de guide, et qui est aux cieux à côté du taureau. Il jette ensuite les fondements d’une ville, qui retrace en petit l’harmonie universelle du Monde ; c’est la Thèbes de Béotie, du même nom que celle qu’Osiris avait fondée en Égypte, et où il avait élevé un temple à Jupiter Hammon ou au dieu de la lumière, adoré sous les formes du Bélier céleste, et qui fut père de Bacchus. Dans les fables sur Hercule ou sur le Soleil, on prétend que ce fut ce héros qui bâtit Thèbes après avoir défait un tyran qui, comme Orion, poursuivait les Pléiades. Je fais ces remarques afin de rapprocher entre elles ces anciennes fables solaires, et de faire voir leur liaison avec cette partie du ciel où se trouvent le Taureau, le Bélier, les Pléiades et Orion opposé au serpentaire, Hercule, Cadmus, etc. Qui par son lever du soir annonçait tous les ans le rétablissement de l’harmonie du Monde, désigné ici sous l’emblème d’une grande ville ; c’est la ville sainte de l’Apocalypse. Cadmus bâtit sa ville de forme circulaire, telle qu’est la sphère. Des rues la traversaient dans le sens de quatre points cardinaux du Monde, ou de l’Orient, de l’occident, du midi et du nord ; elle avait autant de portes qu’il y a de sphères planétaires. Chacune des portes était consacrée à une planète. La Jérusalem de l’Apocalypse, fiction du même genre, en avait douze, nombre égal à celui des signes, et fut bâtie après la défaite du grand Dragon.

Cette distribution de la nouvelle ville construite, non pas comme l’Apocalypse, sous les auspices de l’Agneau, mais sous les auspices du Taureau équinoxial qui précéda l’agneau au point du départ des sphères et du printemps, et qui représentait le Monde avec ses divisions principales et tout le système de l’harmonie universelle, donna lieu aux fictions qui supposent que Thèbes fut bâtie aux sons de la lyre d’Amphion et de Zethus, placés dans le signe qui se couche à la suite du Taureau. C’est dans cette ville que Cadmus célébra ses noces avec la belle Harmonie ; tous les dieux y assistèrent, et firent des présents aux nouveaux époux. Ces présents sont ceux dont le ciel enrichit la terre à cette importante époque de la renaissance du Monde et de la végétation périodique, fruit de l’harmonie rétablie par le dieu du printemps, dans toutes les parties de la nature. De cet hymen naquit Sémélé, mère du dieu bienfaisant, qui durant l’été va répandre ses dons précieux sur tout notre hémisphère, et qui nous donnera les fruits délicieux que mûrit l’automne ; enfin de ce Bacchus, père de la libre gaîté, des jeux et des plaisirs.

Chant VI.

Comme chaque révolution ramène un nouvel ordre de choses qui remplace l’ancien, le poète raconte dans ce chant les aventures malheureuses de l’ancien Bacchus, que les Titans et les Géants avaient mis en pièces, et dont Jupiter avait vengé la mort par la destruction de l’ancien Monde et par le déluge. Après avoir décrit fort au long cette grande catastrophe, fameuse dans toutes les légendes sacrées, et qui n’a existé que dans l’imagination des poètes et des prêtres, qui en ont tiré grand parti, Nonnus fait naître le dieu qui doit apprendre aux hommes à cultiver la vigne. Cette découverte est attribuée dans les fables juives à Noé, qui, comme Bacchus, en fit présent aux hommes après le déluge ; et dans les fables thessaliennes, au prince Montagnard ou Oreste, fils de Deucalion, dont le nom exprime une allusion aux coteaux sur lesquels naît cet arbuste précieux.

Ici va commencer le récit des amours de Jupiter avec la fille de Cadmus, mère du second Bacchus, qui lui-même donnera dans la suite naissance à un troisième, qu’il aura de la belle Aura ou du Zéphyr.

Chant VII.

Le poète commence ce chant par nous présenter l’amour occupé à réparer les ruines du Monde. L’espèce humaine avait été jusques-là livrée aux soins rongeurs. Le vin, qui dissipe les noirs soucis, n’avait pas encore été donné aux hommes ; ce ne fut qu’après le déluge que naquit Bacchus ou le dieu père de la gaîté qu’inspire le vin. Prométhée n’avait ravi aux dieux que le feu ; c’était le nectar, qu’il aurait dû leur dérober ; il aurait adouci le sentiment des maux qu’avait répandus sur la terre la fatale boîte de Pandore. Ces réflexions sont présentées à Jupiter par le dieu du temps, qui, tenant en main les clés des siècles, va prier le maître des dieux de venir au secours des hommes. Jupiter l’écoute, et veut que ce soit son fils qui soit le réparateur des malheurs du Monde, le Bacchus sauveur. Il promet un libérateur à la terre, et déjà il annonce ses hautes destinées. L’Univers l’adorera, et chantera ses bienfaits. Après avoir apporté un soulagement aux malheurs de l’homme, malgré la résistance qu’il éprouvera de leur part, il montera ensuite au ciel pour s’asseoir à côté de son père.

Pour exécuter sa promesse, Jupiter prodigue ses faveurs à une jeune fille, à la belle Sémélé, qu’il trompe et qu’il rend mère du nouveau libérateur. Sémélé, fille de Cadmus, se baignait dans les eaux de l’Asopus. Jupiter, épris de ses belles formes, s’insinue chez elle, et donne naissance à Bacchus. Il se fait bientôt connaître à son amante, la console, et lui fait espérer qu’elle prendra place un jour elle-même aux cieux.

Chant VIII.

Jupiter remonte dans l’Olympe, et laisse la fille de Cadmus enceinte dans le palais de son père. Mais l’envie, sous la forme de Mars, irrite contre elle l’épouse de Jupiter. Junon jalouse ne cherche qu’à se venger de sa rivale : elle met dans ses intérêts la déesse de la fourberie, et la prie de la servir. Armée de la ceinture de Junon, celle-ci s’introduit dans l’appartement de Sémélé, déguisée sous la forme de l’ancienne nourrice de Cadmus. Elle feint de s’attendrir sur le sort de cette jeune princesse, dont la réputation est attaquée dans le public : elle lui demande s’il est vrai qu’on lui ait ravi l’honneur ; quel est le mortel ou le dieu qui a obtenu ses premières faveurs : elle lui insinue que si c’est sous la forme de Jupiter qu’on l’a trompée, elle ne peut mieux s’assurer si ce dieu est effectivement son amant, qu’en l’invitant à se rendre chez elle dans toute sa majesté et armé de sa foudre ; qu’à ces trait elle ne pourra pas le méconnaître ; la jeune Sémélé, trompée par ce discours perfide, et aveuglée par une ambition indiscrète, demande à son amant cette marque éclatante de sa tendresse pour elle. Je n’ai point, lui dit-elle, vu encore en vous l’appareil majestueux du dieu qui lance le tonnerre. Je veux, dans nos amours, plus de dignité et plus d’éclat. Jupiter s’afflige de cette demande, dont il connaît toutes les suites. Il lui fait quelques représentations sur les dangers auxquels il l’expose s’il condescend à ses désirs ; mais en vain, il est forcé de lui accorder sa demande. Tandis que l’infortunée Sémélé, ivre d’orgueil et de joie, veut toucher la foudre du maître des dieux, elle tombe consumée par les feux du tonnerre. Son fils est sauvé de l’incendie qui consume sa mère. Mercure prend soin de l’arracher aux flammes, et le remet à Jupiter, qui place aux cieux son amante malheureuse.

Chant IX.

Cependant le maître des dieux dépose dans sa cuisse le jeun Bacchus, jusqu’à ce que le fœtus soit arrivé à terme, et alors il l’en retire pour le mettre au jour. Au moment de sa naissance, les heures et les saisons se trouvent prêtes pour le recevoir, et lui mettent sur la tête une couronne de lierre. Mercure le porte à travers les airs, et le confie aux nymphes des eaux, sans doute aux Hyades placées sur le front du taureau équinoxial, et qu’on dit avoir été les nourrices de Bacchus. Mais Junon, constante dans sa haine contre les enfants de Jupiter, rend ces nymphes furieuses. Mercure est obligé de leur retirer l’enfant pour le confier à Ino, fille de Cadmus et sœur de Sémélé, qui l’élève avec Palémon son fils. La haine de Junon s’attache à cette nouvelle nourrice, et mercure reprend Bacchus pour le mettre sous la garde de l’amante d’Atys ou de Cybèle ; elle qui reste chargée de son éducation. La fable solaire sur le dieu des Chrétiens suppose également qu’il est poursuivi dès sa naissance.

Tout le reste de ce chant contient un morceau épisodique, dans lequel le poète raconte les terribles effets de la vengeance qu’exerça Junon contre la malheureuse Ino qui avait reçu Bacchus, et qui en fut victime elle et toute sa famille. Ce morceau épisodique s’étend sur une grande partie du chant suivant.

Chant X.

À la suite de ce long épisode, le poète nous ramène en Lydie, pour y être témoin de l’éducation que reçoit Bacchus. On le voit jouer avec les Satyres, et se baigner dans les eaux du Pactole, dont les rives sont bordées d’une verdure émaillée de fleurs. C’est là que, jouant sur les coteaux de Phrygie, il fait connaissance d’un jeune Satyre appelé Ampelus ou la Vigne. Le poète nous fait la peinture de cet enfant charmant et de ses grâces naissantes, qui inspire à Bacchus de l’intérêt pour lui. Il est inutile que j’avertisse le lecteur de l’allégorie qui règne dans ce morceau sur les amours du dieu des vendanges pour la vigne, personnifiée ici sous le nom du jeune Ampelus, qui jouait avec Bacchus sur les coteaux de Phrygie, fertiles en raisins. Bacchus l’aborde ; il lui dit les choses les plus flatteuses. Il le questionne sur sa naissance, et finit par dire qu’il le connaît, et qu’il sait qu’il est fils du Soleil et de la Lune, ou des deux astres qui règlent la végétation. Bacchus en devient amoureux. Il n’est content que lorsqu’il est avec lui, et il s’afflige de son absence. L’amour de la vigne lui tient lieu de tout ; il demande à Jupiter de l’attacher à son sort. Ici le poète nous fait la description de leurs jeux et de leurs divers amusements. Bacchus prend plaisir à se laisser vaincre dans ces divers exercices. Ampelus est toujours vainqueur, soit à la lutte, soit à la course. Dans ce dernier exercice, le jeune Pressoir, le jeune Lierre entrent en lice avec le jeune la Vigne, et celui-ci obtient sur eux la Victoire.

Nonnus a rendu ici, dans une allégorie poétique, ce que dit plus simplement Diodore, lorsqu’il raconte de Bacchus, qu’il découvrit au milieu des jeux de l’enfance, l’arbuste précieux qui porte le raisin et le délicieux fruit dont il exprima le premier le jus. Cette manière de traiter poétiquement une idée très simple en elle-même, et de lui donner un grand développement dans une suite d’allégories, tenait au génie des anciens prêtres et des poètes qui composaient les chants sacrés, dans lesquels tout était personnifié. Ce seul trait nous dévoile le caractère original de toute l’ancienne mythologie. Voilà son style.

Chant XI.

Le poète, dans ce onzième chant, continue la description des jeux et des différents exercices qui occupent le loisir du jeune Bacchus et de ses amis. Le troisième exercice est celui du nageur. Bacchus et son jeune favori se plongent dans les eaux du Pactole. La victoire reste à Ampelus ou à la Vigne. Encouragé par ces succès, le jeune vainqueur a l’imprudence de vouloir se mesurer avec les animaux des forêts. Bacchus l’avertit des dangers qu’il court, et l’engage à éviter surtout les cornes du taureau ; mais ses remontrances sont inutiles. La déesse de la malveillance, qui a conjuré sa perte, l’encourage à monter un taureau qui était venu des montagnes pour se désaltérer dans le fleuve ; le jeune imprudent tente de monter et de conduire cet animal, qu’un taon pique et rend furieux. Ampelus est bientôt renversé et meurt de sa chute. Tous les détails de cet événement malheureux sont racontés d’une manière intéressante par Nonnus. Bacchus, inconsolable, arrose de ses larmes le corps de son ami ; il le couvre de roses et de lys, et verse dans ses plaies les sucs de l’ambroisie qu’il tenait de Rhéa, et qui servit depuis, après la métamorphose d’Ampelus en vigne, à donner à son fruit un parfum délicieux. Quoique  mort, le jeune ami de Bacchus est encore d’une beauté ravissante. Bacchus ne put rassasier ses yeux, et exprime douloureusement ses regrets.

L’Amour, sous la forme de Silène, portant en main le thyrse, vient consoler le dieu des vendanges, et l’exhorte à former de nouveaux amours qui lui feront oublier l’ami qu’il a perdu. Il lui raconte, à cette occasion, une assez jolie fable, qui contient une allégorie physique sur le tuyau de blé et sur le fruit, qui y sont personnifiés sous les noms de Calamus et de Carpus. Mais rien ne peut calmer la douleur de Bacchus. Cependant les saisons, filles de l’année, se rendent au palais du Soleil, dont le poète fait une brillante description.

Chant XII.

Les saisons adressent leurs prières à Jupiter, et une d’elles, celle d’automne, lui demande de ne pas la laisser seule sans fonctions, et de la charger du soin de mûrir les nouveaux fruits que va produire la vigne. Le dieu lui donne des espérances, et lui montre du doigt les tablettes d’Harmonie, qui contiennent les destinées du Monde.

’est là qu’elle voit que les destins accordent à Bacchus la vigne et les raisins, comme ils avaient accordé les épis à Cérès, l’olivier à Minerve, et le laurier à Apollon.

Cependant la Parque, pour consoler Bacchus, vient lui annoncer que son cher Ampelus n’est pas mort tout entier ; qu’il ne passera pas le noir Achéron, et qu’il deviendra pour les mortels la source d’une liqueur délicieuse qui fera la consolation de l’espèce humaine, et qui sera sur la terre l’image du nectar dont s’abreuvent les dieux. Elle achevait de parler lorsqu’un prodige étonnant vient frapper les yeux de Bacchus. Le corps de son ami, par une subite métamorphose, se change en un arbuste flexible qui porte le raisin. Le nouvel arbrisseau, qu’il appelle du nom de son ami, se charge d’un fruit noir que Bacchus presse entre ses doigts, et dont il fait couler le jus dans une corne de bœuf qui lui sert de coupe. Pendant ce temps-là le jeune Cissus ou Lierre, métamorphosé aussi en un autre arbuste, s’attachait à son ami et embrassait de ses longs replis le cep de vigne dans lequel Ampelus était changé. Bacchus goûte la nouvelle liqueur, et s’applaudit de sa découverte ; il apostrophe les mânes de son ami, dont la mort a préparé le bonheur des hommes. Le vin, dit-il, va désormais être le remède le plus puissant contre tous les chagrins des mortels. Voilà l’origine allégorique que le poète donne à la vigne, qu’il nous présente comme le résultat de la métamorphose d’un jeune enfant aimé de Bacchus. J’imagine que personne ne sera tenté de prendre ce récit pour de l’histoire.

Après que Bacchus a découvert la vigne, il ne lui reste plus, pour soutenir le caractère de dieu bienfaisant que prend le Soleil sous les noms d’Osiris et de Bacchus, que d’aller porter dans tout l’Univers ce précieux présent. C’est donc ici que va commencer le récit des voyage de Bacchus, qui comme le Soleil dans son mouvement annuel, va diriger sa marche d’occident en Orient, ou contre l’ordre des signes, comme les saisons. Tout ce qui a précédé ne doit être regardé que comme une introduction au récit de cette grande action qui fait le sujet unique du poème. Jusqu’ici nous ne sommes pas encore sortis des limites de l’équinoxe du printemps, où Bacchus prend les formes du taureau ou celles du premier signe d’alors. C’est là qu’il était resté entouré des Pans et des Satyres, ou des génies qui empruntent leurs attributs de la chèvre placée sur le Taureau ; c’est à cette époque que pousse l’arbuste qui doit donner en automne les fruits d’Ampelus ou de la vigne, et la liqueur délicieuse dont Bacchus est le père.

Chant XIII.

Jupiter envoie Iris au palais de Cybèle, où était élevé Bacchus, pour lui intimer l’ordre de marcher contre les Indiens, et de combattre le prince Rixe ou Dériade leur roi, qui devait s’opposer aux progrès de sa puissance, et aux bienfaits qu’il allait répandre sur les hommes. Iris exécute les volontés du maître des dieux, et après avoir goûté elle-même de la liqueur nouvelle que Bacchus lui présente, elle remonte aux cieux. Aussitôt Cybèle envoie le chef de ses chœurs et de ses danses, rassembler l’armée qui doit marcher sous les ordres de Bacchus. On remarque parmi les chefs qui se réunissent sous les drapeaux du dieu des raisins, plusieurs héros qu’on retrouve dans le poème sur les argonautes, et on y distingue surtout le cortège ordinaire de Cybèle, qui ressemble beaucoup à celui des mystères de Bacchus. Émathion, ou le prince jour, lui amène de Samothrace ses guerriers. Le reste du chant comprend l’énumération des différents peuples de l’Asie Mineure, qui se rangent sous les drapeaux de Bacchus.

Chant XIV.

Dans le chant suivant, le poète continue à nous donner l’énumération des héros, des demi-dieux et des génies que Cybèle envoie avec le fils de Sémélé, tels que les Cabires, les Dactyles, les Corybantes, les Centaures, les Telchines, Silène, les Satyres, les fils des Hyades ses nourrices, etc., puis les Nymphes oréades, les Bacchantes.

Il nous décrit ensuite l’armure de Bacchus et ses vêtements, qui retracent l’image du ciel et de ses astres. Ce héros quitte le séjour de Cybèle, et s’achemine vers les lieux qu’occupaient les Indiens. Déjà le bruit de la foudre se fait entendre, et lui présage la victoire.

Seconde saison ou l’été

Le poète nous transporte au solstice d’été et au lieu le plus élevé de la course du Soleil, qui répond au signe du lion, et dont le lever est précédé de celui du cancer, qu’il traverse avant d’atteindre le lion, lieu de son domicile, et où est le siège de sa plus grande puissance. Le nom du cancer est Astacos ; le poète en fait un fleuve d’Asie, l’Astacus, qui coule effectivement en Bithynie. Comme le solstice est le lieu où l’astre du jour remporte son plus beau triomphe, il suppose qu’il y fait la conquête d’une jeune nymphe, appelée Victoire, qui avait un lion à ses pieds ; et parce que le solstice est le terme du mouvement ascendant du Soleil, le poète suppose que des amours de Bacchus avec la nymphe Victoire, il en naît un enfant appelé Terme ou Fin. Mais le passage du cancer ou de l’Astacus lui est disputé par le peuple indien, ou par celui qui est placé sous le tropique. Il faut livrer combat contre le chef de ce peuple appelé Astraïs, dont le nom contient une allusion aux astres. C’est après l’avoir défait, que Bacchus trouve enfin la nymphe Victoire, à laquelle il s’unit. L’allégorie perce de toutes parts dans ce morceau. Reprenons : Nonnus nous peint l’audacieux indien qui range ses troupes sur les rives de l’Astacus, et de l’autre côté la contenance fière des guerriers que conduit Bacchus. Celui-ci franchit enfin le fleuve, dont les eaux sont changées en vin. Une partie de l’armée indienne est détruite ou mise en fuite : l’autre, étonnée de sa déroute, boit des eaux du fleuve, qu’elle prend pour du nectar.

Chant XV.

Le chant quinzième nous offre d’abord le spectacle de la troupe des Indiens, qui se précipitent vers les bords du fleuve, et s’enivrent de ses eaux. Le poète nous décrit assez au long tous les effets de cette ivresse, du délire et du sommeil qui en sont la suite, ainsi que l’avantage qu’en tire Bacchus, qui surprend un grand nombre d’entre eux et les charge de fers. Tous les chants suivants, jusqu’au quarantième, dans lequel le prince Rixe ou Dériade est tué, renferment les détails des différents combats livrés dans cette guerre, qui seule occupe vingt-cinq chants du poème, dont elle est le principal nœud ; car Dériade est le principe de résistance qui s’oppose à l’action bienfaisante de Bacchus ; c’est le chef du peuple noir qui exerce une lutte terrible contre le dieu, source de bien et de lumière.

Bacchus, après avoir battu les Indiens sur les bords de l’Astacus et traversé ce fleuve, ou, sans figure, ce signe s’approche de la forêt voisine qu’habitait une jeune nymphe appelée Nicé ou Victoire. C’était une jeune chasseuse, qui comme Diane voulait conserver sa virginité. Elle demeurait sur un rocher fort escarpé, ayant à ses pieds un lion redoutable qui baissait respectueusement devant elle son horrible crinière. Près de là demeurait aussi un jeune bouvier nommé Hymnus, qui était devenu amoureux d’elle. Nicé, toujours rebelle à ses vœux, repousse ses prières, et lui décochant un trait, elle tue ce malheureux amant. Les Nymphes le pleurent, et l’Amour jure de le venger en soumettant à Bacchus cette beauté farouche : toute la Nature s’attriste sur la mort de l’infortuné Hymnus. On reconnaît encore ici un personnage allégorique. Le nom d’Hymnus ou de chant, amant de la Victoire, indique assez les chants qui accompagnaient autrefois le triomphe du Soleil, et son arrivée au point du solstice d’été.

Chant XVI.

La mort du jeune Hymnus ne resta pas impunie. L’amour lance un trait contre Bacchus, qui aperçoit la jeune Nicé au bain, et qui en devient amoureux. Il s’attache à ses pas, et la herche au milieu des forêts, à l’aide de son chien fidèle que lui avait donné Pan et à qui il promet une place aux cieux auprès de Sirius ou du chien céleste placé sous le Lion, et qui annonce le solstice d’été ou l’époque de la victoire du Soleil sur le Lion. La jeune nymphe, fatiguée de la course, brûlée des ardeurs du Soleil, et altérée, va vers le fleuve pour y apaiser sa soif. Elle ignorait le changement arrivé aux eaux. Elle en boit, s’enivre et s’endort. L’amour en avertit Bacchus, qui profite de ce moment heureux pour commettre un larcin dont Pan lui-même est jaloux. La nymphe se réveille, et se répand en reproches contre Bacchus et contre Vénus. Elle pleure la perte de sa virginité ; elle cherche le ravisseur pour le percer de ses traits. Elle veut se tuer elle-même. Elle est enfin forcée de se bannir de ses anciennes forêts, dans la crainte de rencontrer Diane et d’en essuyer les reproches. Elle met au Monde une fille appelée Télété, et Bacchus bâtit en ce lieu la ville de Nicée ou de la Victoire.

Chant XVII.

Bacchus continue sa marche contre les Indiens, et poursuit ses victoires en Orient avec l’appareil un chef de fêtes et de jeux, plutôt qu’avec celui d’un guerrier. Il arrive sur les rives tranquilles de l’Eudis, où il est reçu par le berge Bronchus ou Gosier, à qui il laisse un plant de vigne à cultiver. Il marche ensuite contre Oronte, général indien, à qui Astraïs avait déjà fait part de la ruse employée par Bacchus contre les Indiens, qui défendaient les bords de l’Astacus. Oronte était le beau-père du belliqueux Dériade. Oronte anime ses guerriers par son exemple. Il se mesure avec Bacchus lui-même, qui le repousse avec vigueur. L’indien désespéré se perce de son épée, et tombe dans le fleuve auquel il donne son nom. Les Nymphes pleurent ce fils infortuné de l’Hydaspe. Bacchus fait un horrible carnage des Indiens. Pan chante sa victoire, et Blemys, chef d’Indiens, se présente avec le rameau d’olivier pour demander la paix. Le Soleil approche de la fin de l’été et de la saison qui mûrit les raisins. Le poète en conséquence, va nous rappeler cette grande opération de la nature, par l’arrivée de Bacchus à la cour du roi Raisin, qui régnait en Assyrie. Tous les noms employés dans ce récit poétique, nous indiqueront clairement une allégorie qui a pour objet les vendanges.

Chant XVIII.

Déjà la renommée avait répandu dans toute l’Assyrie le bruit des exploits de Bacchus. Le roi Staphylus ou raisin régnait sur ces contrées. Il avait pour fils le prince la Grappe ; pour femme, la reine Methé ou Ivresse ; et pour officier de sa maison, Pithos ou tonneau. Nonnus, dans ce chant, nous présente le roi et son fils, qui, montés sur un char, vont au devant de Bacchus, et l’invitent à loger chez eux. Bacchus accepte l’offre. Ici le poète nous peint la magnifique réception faite à Bacchus par le roi d’Assyrie, qui étale toutes ses richesses sous ses yeux, et lui sert un repas somptueux dans son palais, dont on trouve ici une superbe description. Bacchus lui fait part de sa nouvelle liqueur ; la reine Methé s’enivre dès la première fois qu’elle en boit, ainsi que son époux Raisin, son fils la Grappe, et Tonneau leur vieux domestique. Tous se mettent à danser.

Ici le poème prend un caractère comique qui s’accorde mal avec la noblesse des premiers chants, qui avaient pour base l’astronomie et le système des deux principes. Ce n’est plus le Soleil ou le chef de la lumière dans son triomphe équinoxial que l’on nous peint. Le poète ici est descendu des cieux, pour suivre sur la terre les progrès de la végétation que le Soleil entretient de ses feux puissants.

On se couche : Bacchus a un songe qui interrompt brusquement son sommeil ; il s’arme ; il appelle à son secours les satyres. Le roi Raisin, le prince la Grappe, et leur fidèle Tonneau se réveillent à ce bruit ; mais la reine Methé ou ivresse continue à dormir. Staphylus ou le roi Raisin accompagne Bacchus, lui fait présent d’une coupe, et l’exhorte à poursuivre le cours de ses victoires, en lui rappelant celle de Jupiter sur les Géants, et celle de Persée sur le monstre auquel avait été exposée Andromède.

Bacchus envoie un héraut au chef des Indiens, pour lui proposer d’accepter ses présents ou le combat. Ici meurt le roi Raisin, regretté de toute la cour d’Assyrie, que Bacchus à son retour trouve plongée dans le deuil. Il s’informe de la cause de leur douleur, qu’il semble pressentir déjà.

Chant XIX.

Le chant dix-neuvième nous offre le spectacle de la reine Methé ou ivresse, désolée de la mort du roi Raisin son époux, et qui raconte à Bacchus le sujet de sa tristesse. Elle demande à ce dieu, pour se consoler, sa délicieuse liqueur. Elle consent à ne plus pleurer son époux, pourvu qu’elle ait une coupe pleine. Elle s’offre d’attacher désormais son sort à celui de Bacchus, à qui elle recommande son fils ou le prince la Grappe, et son vieux serviteur Pithos ou Tonneau. Bacchus la rassure, en lui promettant de les associer tous à ses fêtes. Il métamorphose Staphylus en raisin, et son fils Botrys en grappe.

Le reste du chant contient la description des jeux que fait célébrer Bacchus près du tombeau du roi Raisin. Œagrus de Thrace dispute à Érecthée d’Athènes le prix du chant ; la Victoire reste au premier. À cet exercice succède celui de la pantomime ; Silène et Maron dansent ; le second est déclaré vainqueur.

Chant XX.

Ces jeux finis, Bacchus, au commencement de ce chant, paraît occupé à consoler Methé et toute la maison du roi Staphylus. La nuit arrive et l’on va se coucher. Le lit de Bacchus est préparé par Eupétale ou Bellefeuille, nourrice de Bacchus. Pendant son sommeil, la discorde, sous la forme de Cybèle, vient reprocher à Bacchus son oisiveté, et l’exhorte à aller combattre Dériade. Bacchus se réveille, et se dispose à marcher. Le prince la Grappe et Tonneau se joignent à la troupe des satyres et des bacchantes, pour une expédition qu’il serait bien difficile de ranger au nombre des événements historiques, quoiqu’on ait cru jusqu’ici à la réalité des conquêtes de Bacchus.

Ce dieu prend sa route par Tyr et par Byblos, le long des rives du fleuve Adonis et des fertiles coteaux de Nise en Arabie. Dans ces lieux régnait Lycurgue, descendant de Mars ; c’était un prince féroce, qui attachait aux portes de son palais les têtes des malheureuses victimes qu’il égorgeait : il avait pour père Dryas ou le Chêne, roi d’Arabie. Junon dépêche Iris vers ce prince, pour l’armer contre Bacchus. La messagère perfide prend la forme de Mars, et adresse à Lycurgue un discours dans lequel elle lui promet la victoire. Elle se rend ensuite près de Bacchus, sous la forme de Mercure, et elle l’engage à traiter le roi d’Arabie avec amitié, et à se présenter à lui sans armes. Bacchus, séduit par ces insinuations astucieuses, arrive désarmé au palais de ce prince féroce, qui le reçoit avec un sourire moqueur. Puis il le menace, poursuit les Hyades ses nourrices, et le force lui-même, pour se sauver, de se précipiter dans la mer, où il est reçu par Thétis, et consolé par le vieux Nérée. Ici le poète met un discours insolent et menaçant dans la boche du tyran, qui gourmande la Mer de ce qu’elle a reçu Bacchus dans son sein.

Troisième saison.

Nous sommes arrivés à l’époque où le Soleil franchit le passage vers les signes inférieurs, à l’équinoxe d’automne, près duquel est le Loup céleste, animal consacré à Mars et hôte des forêts. C’est lui qui est ici désigné sous le nom d’un prince féroce, fils des chênes, descendant de Mars, et dont le nom est composé du mot lycos ou loup. C’est alors que le Taureau céleste, opposé au Loup, et accompagné des Hyades ses nourrices, descend le matin au sein des flots, au lever du Loup. C’est ce taureau qui donne ses attributs au Soleil du printemps, ou ses cornes à Bacchus. Voilà le phénomène qui se renouvelle tous les ans à la fin des vendanges, et que le poète a chanté dans l’allégorie de la guerre de Lycurgue contre Bacchus, qui se précipite au fond des eaux, et contre ses nourrices que le tyran attaque.

Chant XXI.

Le chant vingt et unième nous présente la suite de cette aventure et le combat d’Ambroisie, une des Hyades, contre Lycurgue, qui la fait prisonnière ; mais la Terre vient à son secours, et la métamorphose en vigne. Sous cette nouvelle forme, elle enchaîne son vainqueur dans ses replis tortueux. Il fait de vains efforts pour se débarrasser. Neptune soulève les mers, déchaîne les tempêtes et ébranle la terre ; mais rien n’intimide le roi féroce, qui brave les efforts des bacchantes et le pouvoir des dieux protecteurs de Bacchus. Il ordonne que l’on coupe toutes les vignes, et menace et Nérée et Bacchus. Jupiter frappe d’aveuglement le tyran, qui déjà ne peut plus reconnaître sa route.

Cependant les Néréides et les Nymphes de la mer Rouge prodiguaient leurs soins à Bacchus et s’empressaient de le fêter, tandis que les Pans et les Satyres le pleuraient et le cherchaient sur la Terre. Cette circonstance est à remarquer ; car dans la fable d’Osiris ou du Bacchus égyptien, on suppose qu’il fut jeté dans le Nil par Typhon, génie des ténèbres et de l’hiver, et que les Pans et les Satyres le pleurèrent et le cherchèrent. Mais bientôt un de leurs compagnons, Scelmus ou le Sec, vient les consoler et leur annoncer le retour de leur chef. Déjà ils e livrent à la joie que leur inspire cette heureuse nouvelle. Bacchus revient, se met à la tête de son armée et marche contre le général indien, qui avait renvoyé avec mépris son héraut.

Chant XXII.

L’armée de Bacchus arrive sur les bords de l’Hydaspe, encouragée par la présence du héros qui la commande, et que les dieux lui ont rendu. Tandis que ses soldats se livrent aux plaisirs et fêtent son retour, les Indiens se disposent à les attaquer. Mais une Hamadryade découvre leur dessein aux troupes de Bacchus, qui prennent secrètement les armes. Les Indiens sortent de leur retraite et les chargent. L’armée de Bacchus prend exprès la fuite, afin de les attirer dans la plaine, où l’on fait d’eux un horrible carnage. Les eaux de l’Hydaspe sont rougies de leur sang. Nous n’entrerons point dans de plus grands détails sur ce combat, dont tous les traits sont tirés de l’imagination du poète, et composent un tableau semblable à celui de toutes les batailles.

Chant XXIII.

Dans le chant vingt-troisième, le poète continue le récit du combat livré sur les bords de l’Hydaspe, dans les eaux duquel la plupart des Indiens sont précipités. Junon, toujours ennemie de Bacchus, invite l’Hydaspe à déclarer la guerre au vainqueur, qui se prépare à le traverser. À peine Bacchus s’est-il avancé dans le fleuve, que l’Hydaspe engage Éole à soulever ses flots et à déchaîner les tempêtes. Ici est une description assez étendue du désordre que cet événement met dans l’armée de Bacchus. Ce dieu menace le fleuve, qui n’en devient que plus furieux. Bacchus le brûle dans son lit. L’Océan s’en irrite, et menace et Bacchus et le Ciel.

Chant XXIV.

Jupiter calme les fureurs de l’Océan, et l’Hydaspe demande grâce à Bacchus, qui se laisse fléchir. Bientôt, dit le poète, le vent de l’Ourse et de l’hiver ramène les pluies, qui rendent aux fleuves leurs eaux.

Dériade arme ses Indiens contre Bacchus. Jupiter, accompagné des autres dieux de l’Olympe, vient au secours de son fils et de ses compagnons. Apollon pend soin d’Aristée ; Mercure, de Pan ; Vulcain, de ses Cabires. Bacchus marche à la tête de ses troupes, et Jupiter, sous la orme de l’aigle, leur sert de guide. Cependant Thureus, échappé au carnage, vient apprendre Dériade la défaite de ses Indiens sur l’Hydaspe. Cette nouvelle jette le deuil et la consternation dans son camp, et répand la joie dans l’armée de Bacchus. Les vainqueurs chantent leurs succès, et après s’être livrés aux plaisirs de la table, ils s’abandonnent au repos.

Chant XXV.

Le poète commence son vingt-cinquième chant ou la seconde moitié de son poème par une invocation à la muse, qu’il invite à chanter le sujet de la guerre de l’Inde, qui doit durer sept ans. Après une invocation assez longue, Nonnus, entrant en matière, nous dépeint les alarmes des habitants du Gange et le désespoir de Dériade, qui apprend que les eaux de l’Hydaspe ont été changées en vin, comme celles de l’Astacus ; que l’odeur de cette délicieuse liqueur s’est fait sentir aux Indiens, et présage déjà la victoire de Bacchus. Celui-ci rougissait du repos où il languissait, et s’indignait des obstacles que Junon mettait à ses triomphes. Atys, amant de Cybèle, vient de la part de cette déesse consoler Bacchus, et lui apporte une armure fabriquée par Vulcain. Ici le poète nous fait la description du superbe bouclier qu’il reçoit. Tout le système céleste et les sujets les plus intéressants de la mythologie y étaient gravés. Cependant la nuit arrive, et étendant ses voiles sombres sur la terre, elle ramène le sommeil aux mortels.

Chant XXVI.

Minerve, sous la forme d’Oronte, apparaît en songe à Dériade, et l’engage artificieusement à aller combattre le puissant fils de Jupiter. Tu dors, Dériade, lui dit-elle ? Un roi chargé de veiller à la défense de peuples nombreux, doit-il dormir quand l’ennemi est aux portes ? Les meurtriers d’Oronte ton gendre vivent encore, et il n’est pas vengé ! Vois cette poitrine qui porte encore la large blessure qu’y a faite le thyrse de ton ennemi. Que le redoutable fils de Mars, Lycurgue, n’est-il ici ! Tu verrais bientôt Bacchus se sauver au fond des eaux. Était-il alors un dieu, ce Bacchus qu’un mortel a fait fuir ! Après avoir achevé ces mots, Minerve retourne au ciel, où elle reprend ses formes divines. Aussitôt Dériade assemble ses guerriers, qu’il appelle de toutes les parties de l’Orient. Ici est une longue énumération des peuples et des princes différents qui viennent de toutes les contrées de l’Inde se ranger sous ses enseignes. Ce chant renferme des détails curieux sur les mœurs, sur les usages et sur l’histoire naturelle de tous ces pays.

Chant XXVII.

Déjà l’aurore, dit le poète, avait ouvert les portes dorées de l’Orient ; déjà la lumière naissante du Soleil, dont le Gange réfléchit les rayons, avait banni les ombres de dessus la terre, lorsqu’une pluie de sang vient présager aux Indiens leur défaite certaine. Néanmoins Dériade, plein d’une orgueilleuse confiance, disposait déjà ses bataillons contre le fils de Sémélé, dont le front est armé de cornes, et adressait à ses soldats un discours plein de mépris pour son ennemi. Ici est une description de l’armée des Indiens, de leur position, de leur habillement et de leur armure. On voit aussi Bacchus qui partage la sienne en quatre corps, disposés dans le sens des quatre points cardinaux du Monde, et qui harangue ses guerriers.

Cependant Jupiter convoque l’assemblée des immortels, et invite plusieurs divinités à s’intéresser au sort de son fils. Les dieux se partagent ; Pallas, Apollon, Vulcain, Minerve secondent les vœux de Jupiter : Junon au contraire réunit contre lui Mars, l’Hydaspe et la jalouse Cérès, qui doivent traverser ce héros dans ses entreprises.

Chant XXVIII.

Nonnus nous présente, en commençant le chant suivant, le spectacle des deux armées qui s’avancent en bon ordre, prêtes à se choquer. On distingue parmi les héros de la suite de Bacchus, Faune, Aristée, Œachus, qui marchent les premiers contre les Indiens.

Phalenus se mesure avec Dériade, et tombe mort. Corymbasus, un des plus vaillants capitaines de l’armée des Indiens, se signale par le nombre des victimes qu’il immole, et périt à son tour percé de mille traits. On remarque surtout un trait de bravoure d’un Athénien, qui, perdant successivement ses bras, se montre encore redoutable à l’ennemi, et finit par être tué.

À la suite des combats de l’infanterie, le poète nous décrit ceux des divers corps de cavalerie : Argilippus s’arme de torches enflammées, tue plusieurs Indiens, et blesse d’un coup de pierre Dériade lui-même. Le reste du chant se passe en divers combats, où se distinguent les Corybates et les Cyclopes.

Chant XXIX.

Junon, instruite de la fuite de plusieurs bataillons Indiens, vient ranimer le courage et la fureur de Dériade leur chef, qui rallie ses troupes et recommence l’attaque avec une nouvelle ardeur. Morrheus rompt la ligne des Satyres. Hyménée, favori de Bacchus, soutient un puissant choc, animé par les exhortations de ce dieu ; mais il est blessé à la cuisse. Bientôt guéri par Bacchus, il blesse à son tour son ennemi. Ici est la description des combats que livrent Aristée et les Cabires, ainsi que les Bacchantes. Calycé ou la Coupe est aux côtés de Bacchus ; le combat se ranime. Bacchus provoque Dériade la nuit, qui survient, sépare les combattants. Mars s’endort, et pendant son sommeil il est agité par un songe. Il se lève dès la pointe du jour : la terreur et la crainte attèlent son char. Il vole à Paphos et à Lemnos, et de là il retourne au Ciel.

Chant XXX.

Bacchus profite de l’absence de Mars pour attaquer les Indiens, et pour faire la guerre au peuple noir. Aristée combat à l’aile gauche. Morrheus blesse Eurymédon, au secours duquel vole Alcon son frère. Eurymédon invoque Vulcain leur père, qui enveloppe Morrheus de ses feux. Mais l’Hydaspe, père de Dériade, les éteint. Vulcain guérit son fils : Morrheus tue Phlogius, et insulte à sa défaite. Le fameux Tectaphus, que sa fille avait nourri de son lait dans sa prison, porte le désordre dans l’armée des satyres, et périt sous les coups d’Eurmédon. Ici le poète décrit la douleur de sa fille Méroé, et compte les autres victimes qu’immole Morrheus. Junon soutient Dériade, et elle le rend formidable aux yeux de Bacchus, qui prend la fuite. Minerve le rappelle bientôt au combat, en lui reprochant sa lâcheté. Bacchus reprend courage, revient à la charge, et massacre une foule d’Indiens. Il blesse surtout Mélanion ou le Noir, qui, caché derrière un arbre, lui avait tué beaucoup de monde.

Chant XXXI.

Junon cherche de nouveaux moyens de nuire au fils de sa rivale : elle descend aux enfers pour y trouver Proserpine, qu’elle veut intéresser à sa vengeance, et pour soulever les Furies contre Bacchus. Proserpine acquiesce à sa demande, et lui accorde Mégère. Junon part avec elle, fait trois pas, et au quatrième elle arrive sur les bords du Gange. Là elle montre à Mégère des monceaux de morts, malheureux débris de l’armée des Indiens. La Furie se retire dans un antre, où elle se dépouille de sa figure hideuse et de ses serpents, et se change en oiseau de nuit, en attendant que Junon lui fasse annoncer le sommeil de Jupiter. Iris va trouver Morphée, et engage ce dieu à verser ses pavots sur les yeux du maître du tonnerre, afin de servir la colère de Junon. Le dieu du sommeil obéit, et Iris va dans l’Olympe rendre compte à Junon de son message. Celle-ci prépare déjà d’autres artifices pour s’assurer de Jupiter et le séduire : elle va trouver Vénus sur le Liban, et lui expose le sujet de ses chagrins ? Elle la prie de lui prêter son secours pour qu’elle puisse réveiller l’amour de Jupiter pour elle, et pendant son sommeil aider les Indiens.

Chant XXXII.

Vénus se prête aux désirs de Junon, qui aussitôt prend son essor vers l’Olympe, où elle va faire sa toilette. Elle approche ensuite de Jupiter qui en devient amoureux. Tandis qu’ils se livrent aux plaisirs de la plus délicieuse jouissance, et qu’ils s’abandonnent ensuite au sommeil, la Furie, qui en est instruite, s’arme contre Bacchus, et sous la forme d’un lion furieux, elle se précipite sur lui, et lui communique sa rage. En vain Diane veut le guérir ; Junon s’y oppose. Ici est la description des terribles effets de cette rage, qui fait fuir les amis de Bacchus. Dériade profite de cet instant de désordre pour attaquer les bacchantes. Mars, sous la figure de Morrheus, échauffe le carnage et combat pour les Indiens. Ici est le catalogue des morts. Un grand nombre de compagnons de Bacchus prennent la fuite, et se sauvent dans les forêts et les cavernes. Les Naïades se cachent à la source de leurs fontaines, et les Hamadryades dans les arbres de leurs forêts.

Chant XXXIII.

Tandis que le fils de Sémélé, tel qu’un taureau furieux, se laissait emporter par les accès de sa rage, la Grâce, fille de Bacchus et de Vénus, intéresse sa mère au sort de son malheureux père. Vénus fait venir Cupidon, et lui fait part de ses volontés et de ses alarmes sur Bacchus : elle l’engage à inspirer à Morrheus, chef des Indiens, un violent amour pour la belle Calchomédie, une des Bacchantes qui servaient dans l’armée de Bacchus. L’Amour, docile aux ordres de sa mère, décoche un trait brûlant contre le héros indien, qui devient éperdument amoureux de la belle Bacchante ; Morrheus ne pense plus aux combats. Subjugué par l’amour, il consentirait volontiers à porter les fers de Bacchus. Il poursuit la Nymphe qui se dérobe à ses recherches, et qui veut se précipiter dans la mer plutôt que de l’épouser. Thétis, sous la forme d’une Bacchante, la détourne de ce projet : elle lui conseille de tromper le fier indien par une condescendance apparente ; elle dit que c’est le seul moyen de sauver l’armée des bacchantes.

Chant XXXIV.

Thétis retourne au séjour humide de Nérée, tandis que Morrheus est agité des inquiétudes les plus vives sur le sort de ses amours. Il fait son esclave confident de sa flamme, et lui demande un remède à sa passion, qui lui ôte tout son courage, et lui fait tomber les armes des mains à la vue de son amante. Il rentre dans son appartement et s’y endort. Un songe trompeur lui présente à ses côtés celle qu’il aime, qui ne refuse rien à ses désirs. Mais le retour de l’Aurore fait évanouir son bonheur.

Cependant Mars arme les bataillons des Indiens. Les Bacchantes sont plongées dans le deuil, et toute l’armé de Bacchus reste sans courage. Morrheus fait plusieurs Bacchantes prisonnières, et les donne à Dériade son beau-père, qui les fait servir à son triomphe, et expirer dans divers supplices. Morrheus continuait de poursuivre l’armée de Bacchus, lorsque Calchomédie paraît richement parée : elle feint d’avoir de l’amour pour le chef indien, qui se montre moins en guerrier et en ennemi, qu’en amant, et qui soupire pour elle plutôt qu’il n’ose la combattre.

Chant XXXV.

Tandis que plusieurs Bacchantes sont, ou tuées, ou blessées dans la ville, Calchomédie, sur le rempart, attend Morrheus, qui de son côté vole vers elle aussitôt qu’il l’aperçoit.

Elle lui promet ses faveurs pourvu qu’il consente à venir la voir désarmé, et après s’être lavé dans le fleuve. Morrheus consent à tout. Vénus sourit à son triomphe, et plaisante Mars, protecteur des Indiens.

Au moment où Morrheus veut obtenir le prix de sa déférence, un dragon, gardien fidèle de la pudeur de la bacchante, s’élance de son sein, et s’oppose à ses jouissances. L’indien en est effrayé, et pendant ce temps-là les Bacchantes, sous la conduite de Mercure qui prend la forme de Bacchus, s’échappent de la ville et des mains de Dériade qui se met à leur poursuite.

Cependant Jupiter, revenu de son sommeil et touché du désordre de l’armée de Bacchus et de la maladie de son fils, gourmande Junon, qu’il force de donner à Bacchus de son lait, afin qu’il puisse recouvrer la raison et la santé. Bacchus est guéri, et déjà reparaît à la tête de son armée, à qui sa présence présage la victoire. Il plaint le sort des guerriers qui ont été tués pendant son absence, et il se dispose à les venger.

Chant XXXVI.

Les dieux se partagent entre Dériade et Bacchus. Mars combat contre Minerve ; Diane contre Junon, qui la blesse et qui insulte à sa défaite. Apollon l’enlève de la mêlée et se mesure lui-même contre Neptune. Mercure réconcilie les dieux et rétablit la paix dans l’olympe. Dériade se prépare de nouveau au combat, et ranimant ses soldats, il les détermine à livrer une bataille décisive. Bacchus se prépare de son côté à une nouvelle action, et les Bacchantes font déjà siffler leurs serpents. Le Tartare ouvre ses portes pour recevoir les morts. Ici est la description de la mêlée et du carnage.

Bacchus se mesure contre Dériade, et pour le combattre il prend diverses formes comme Protée : il est blessé sous celle de Panthère. Il se métamorphose, comme l’âme du Monde, en feu, en eau, en plante, en arbre, en lion, etc. Dériade combat en vain le fantôme qui lui échappe, et il dont les branches entrelacent les roues du char de Dériade, et l’entortillent lui-même ; il est forcé d’implorer la clémence de Bacchus, qui le débarrasse de ses liens. Mais le fier Indien n’en reste pas plus soumis, et cherche toujours à faire de ce dieu son esclave.

Bacchus ne pouvant réussir à vaincre les Indiens par terre, fait construire des vaisseaux par les Rhadamanes. Il se rappelle la prédiction de Rhéa, qui lui avait annoncé que la guerre ne finirait que lorsqu’il armerait des vaisseaux contre ses ennemis. Il y avait déjà six ans que cette guerre durait, lorsque Dériade fit assembler ses noirs sujets. Morrheus les harangue et leur rappelle ses anciens exploits. Il leur apprend que les Rhadamanes construisent des vaisseaux pour Bacchus, et il les rassure sur les suites de ce nouveau genre d’attaque. En attendant, on fait une trêve de trois mois pour enterrer les morts.

Chant XXXVII.

Cette trêve occupe tout le livre suivant, qui contient la description des diverses pompes funèbres. On coupe, dans les forêts, les arbres qui doivent servir à dresser les bûchers auxquels on va mettre le feu. Bacchus fait célébrer des jeux à l’occasion de ces funérailles et propose divers prix.

La course des chars, la course à pied, la lutte, le combat du ceste, le disque, et différents autres exercices forment cet intéressant spectacle.

Chant XXXVIII.

La trêve expire, et la septième année de la guerre commence. Divers phénomènes en présagent l’issue. On remarque entre autres une éclipse de Soleil, dont un astrologue fait l’application aux événements présents, d’une manière toute favorable à Bacchus. Mercure vient lui-même confirmer le sens qu’il lui donne et les pronostics heureux qu’il en tire : il compare l’obscurité momentanée de l’éclipse et le retour de la lumière du Soleil, qui finit par en triompher, à ce qui doit arriver à Bacchus dans son combat contre le chef du peuple noir. Mercure est conduit au récit épisodique de l’histoire merveilleuse de la chute de Phaéton, à qui le Soleil avait autrefois confié les rênes de son char. Le récit fini, Mercure retourne au Ciel.

Chant XXXIX.

Le commencement du chant suivant nous offre le spectacle de la flotte conduite par les Rhadamanes et par Lycus. Dériade, à cette vue, devient furieux, et prononce un discours où éclate partout son insolent orgueil.

Bacchus, de son côté, encourage ses soldats, et avec sa flotte il enveloppe les Indiens. Il se fait de part et d’autre un affreux carnage ; les rivages de la mer sont couverts de morts. Morrheus, blessé par Bacchus, est guéri par les Bacchantes. Enfin Jupiter fait pencher la balance en faveur de Bacchus. La flotte des Indiens est brûlée ; Dériade se sauve à terre.

Chant XL.

Minerve, sous la forme de Morrheus, paraît au commencement du livre suivant, et fait à Dériade les plus vifs reproches sur sa lâche fuite. Il retourne au combat et provoque de nouveau Bacchus, qui enfin le tue. Son cadavre est roulé dans les flots de l’Hydaspe. Les Bacchantes applaudissent à la victoire de leur chef, et les dieux, témoins d’une défaite qui termine la guerre de Bacchus contre les Indiens, retournent aux cieux avec Jupiter. Le reste du chant est employé décrire les suites de ce grand événement, la douleur de toute la famille de Dériade et les funérailles des morts. Le poète y joint aussi un tableau de la joie des Bacchantes : elles célèbrent par leurs chants et leurs danses la victoire de Bacchus sur le chef du peuple noir, qui avait apporté tant de résistance aux conquêtes du dieu bienfaisant qui parcourait le Monde pour l’enrichir de ses dons. Ici Dériade joue, dans le poème de Bacchus, un rôle d’opposition que Typhon joue dans les fables sacrées sur Osiris. Ce principe de résistance du chef des noirs étant vaincu par le dieu chef de lumière et source de tous les biens, il ne reste plus à Bacchus qu’à continuer sa route et à regagner le point d’où il était parti. Ce point est l’équinoxe de printemps, ou le signe du Taureau où il va revenir quand il aura dissipé la tristesse que l’hiver a répandue sur le Monde, et qui, sous le nom de Penthée ou du Deuil, ne peut plus tenir devant le dieu qui nous rapporte la lumière et la joie par son retour vers nos climats. La guerre a fini à la septième année ou au septième signe.

Quatrième saison.

En conséquence Nonnus suppose que Bacchus quitte l’Asie pour retourner en Grèce ou vers le nord du Monde. Il lui fait prendre sa route par l’Arabie et la Phénicie ; ce qui lui fournit plusieurs chants épisodiques qui ont trait aux pays à travers lesquels il le fait passer. Il fixe principalement ses regards sur Tyr et sur Béryte, dont il raconte l’origine ; ce qui comprend la fin de ce chant et les trois chants suivants, qu’on peut regarder comme absolument épisodiques.

Chant XLI.

On voit ici Bacchus parcourant la Phénicie et tous les lieux voisins du Liban, où il plante la vigne sur les coteaux fameux par les amours de Vénus et d’Adonis. Là était la superbe ville de Béryte dont le poète fait l’éloge, et dont il nous donne une pompeuse description.

Elle est la ville la plus ancienne qui ait existé. C’est cette première terre où aborda Vénus au sortir des eaux de la mer, au moment de sa naissance. Bacchus et Neptune se disputent la main de la Nymphe qui doit lui donner son nom.

Chant XLII.

Ce chant contient un tableau des effets qu’a produits sur le cœur de Bacchus la vue de la jeune nymphe dont il brigue la main. Il lui découvre sa flamme et cherche à la dégoûter du dieu des eaux ; mais la nymphe ferme l’oreille à ses discours séducteurs. Neptune paraît à son tour sur la scène, et n’est pas accueilli plus favorablement. Vénus déclare que le sort d’un combat décidera qui des deux rivaux aura la préférence.

Chant XLIII.

Le poète nous décrit l’armure des deux concurrents, ainsi que la disposition de leurs troupes. Parmi les chefs de l’armée de Bacchus, on distingue le Vineux, le Buveur de vin, la Grappe et autres personnages allégoriques. Ce dieu encourage ses guerriers, et propose un défi plein de mépris aux soldats de Neptune, qui pareillement anime son armée par un discours dans lequel Bacchus n’est pas ménagé davantage. Un Triton sonne la charge d’un côté, et Pan de l’autre. On voit paraître le fameux Protée, suivi du vieux Nérée et de la foule des divinités marines. L’armée des Bacchantes marche à leur rencontre en bon ordre. L’action s’engage ; Silène combat contre Palémon, Pan contre Nérée : les éléphants sont opposés aux veaux marins. La Nymphe Psammaté, placée sur le sable du rivage, prie Jupiter en faveur de Neptune, à qui le maître des dieux finit par accorder la Nymphe Béroé. L’amour console Bacchus en lui promettant la main de la belle Ariane.

Chant XLIV.

Le long épisode qui a pour objet la fondation de Tyr et de Béryte étant terminé, le poète nous présente Bacchus qui repasse en Grèce. Son arrivée st marquée par des fêtes de joie ; toute la nature applaudit à son retour. Penthée ou le Deuil personnifié est le seul qui s’en afflige.

Pour comprendre le sens de l’allégorie qui règne dans ce chant du poème, il faut se rappeler que nous sommes ici au solstice d’hiver, époque à laquelle le Soleil, qui s’était éloigné de nous, reprend sa route vers nos climats et nous rapporte la lumière qui avait semblé nous abandonner. C’était à cette même époque que les anciens Égyptiens célébraient des fêtes de joie qui avaient pour objet ce retour, et qui annonçaient qu’ils n’avaient plus à redouter le deuil dont était menacée la Nature par l’absence du Soleil, qu’ils avaient craint de voir fuir loin d’eux pour toujours. Ainsi, le deuil va cesser aux premiers rayons d’espérance que les hommes de nos climats auront de voir le Soleil revenir vers eux, et leur rendre, avec la lumière et la chaleur, tous les biens dont l’astre du jour est la source féconde.

Le Deuil ou Penthée, effrayé de ce retour, arme contre Bacchus ses soldats, et lui ferme l’entrée de la ville de Cadmus. Mais d’affreux prodiges présagent déjà son sort et les désastres de toute sa maison. Il persiste néanmoins à vouloir perdre Bacchus.

Ce dieu invoque la Lune, qui lui promet son appui. Elle lui donne pour garant de ses succès futurs les victoires qu’il a déjà remportées ; et entre autres la défaite des pirates toscans qui avaient voulu l’enchaîner. Cette dernière aventure troue naturellement ici sa place ; car c’est celle du solstice d’hiver. Nous en donnons une explication détaillée dans notre grand ouvrage.

Cependant les Furies soulevées par Proserpine, mère du premier Bacchus, se préparaient à porter le désordre dans le palais de Penthée et à répandre leurs noirs poisons dans la maison d’Agave. Bacchus, sous la forme du taureau, adresse un discours à Autonoë, femme d’Aristée, et lui annonce que son fils Actéon n’est pas mort, et qu’il chasse avec Diane et Bacchus.

Chant XLV.

Trompée par ce faux avis, la malheureuse Autonoë court aussitôt dans les forêts, suivie d’Agave, mère de Penthée, qui déjà était remplie de toute la fureur des Bacchantes.

Tirésias fait un sacrifice pour Penthée, qu’il engage à ne pas tenter contre Bacchus n combat dont le sort ne serait pas égal. Mais rien n’intimide Penthée ; il fait chercher Bacchus dans les forêts, et veut le faire charger de fers. Les Bacchantes sont emprisonnées, et bientôt elles sortent de la prison en opérant des prodiges. Bacchus met le feu au palais de Penthée, qui inutilement s’efforce de l’éteindre. On remarque, parmi les différents miracles de Bacchus et de ses Bacchantes, des prodiges assez semblables à ceux qu’on attribue à Moïse et à Christ : tel est celui des sources d’eau que le premier fait jaillir du sein des rochers, et celui des langues de feu qui, dit-on, remplirent l’appartement où les disciples de Christ se trouvaient rassemblés.

Chant XLVI.

Le chant quarante-sixième commence par un discours de Penthée contre Bacchus, à qui il conteste son origine divine. Bacchus le réfute, et l’invite ensuite à se déguiser en femme pour être témoin par lui-même de ce qui se passe dans ses orgies. Penthée se laisse persuader, et sous ce déguisement il s’approche des bacchantes, dont il imite le délire et les mouvements. Il paraît aux yeux de sa mère, sous la forme d’un lion furieux qui voulait attaquer Bacchus ; elle s’unit aux bacchantes pour le tuer ; et près d’expirer il tâche de dissiper l’erreur de sa mère, en disant que celui qu’elle croit un lion, est son fils. Mais rien ne peut détromper Agave et ses compagnes ; elles mettent en pièces le malheureux Penthée ou le prince Deuil. La mère infortunée fait couper la tête de son fils et veut la faire attacher au palais de Cadmus, toujours persuadée que c’est un lion qu’elles ont tué.

Cadmus la tire de son erreur et lui reproche les cruels effets d son délire. Alors elle reconnaît son crime ; elle tombe évanouie, et, revenue à elle-même, elle se répand en imprécations contre Bacchus. Ce dieu assoupit sa douleur par un breuvage et la console.

Chant XLVII.

Pour bien entendre les chants suivants, il faut se souvenir qu’il reste encore trois mois au Soleil pour arriver au point d’où il est primitivement parti. À ces trois mois répondent une suite de constellations, qui montent successivement le soir sur l’horizon, et qui se développent chaque mois au levant, au commencement de la nuit, à mesure que le Soleil gagne les signes du Verseau, des Poissons et du Bélier, auxquels ces constellations sont opposées. Parmi les plus remarquables, on distingue le Bouvier et la Vierge céleste, suivis de la couronne d’Ariane et du Dragon du pôle, qui fournit ses attributs aux Géants. Le Bouvier est connu sous le nom d’Icare, cultivateur de l’Attique, qui avait pour fille Érigone, nom de la Vierge céleste. Ce sont là les aspects céleste qui traçaient la marche du temps et la succession des mois, depuis le solstice d’hiver où Bacchus tue le Deuil ou Penthée, jusqu’à son retour au premier des signes. Ce sera aussi la base des fictions du poème dans les chants suivants.

Bacchus quitte Thèbes et s’avance vers Athènes, où son arrivée répand la joie. Il va loger chez Icare, qui l’accueille avec transport, ainsi qu’Érigone sa fille, qui lui prodigue tous ses soins. Bacchus, en reconnaissance de ce service, leur fait présent d’une coupe pleine de vin, liqueur jusqu’alors inconnue. Icare en boit et finit par s’enivrer. On remarquera que le Bouvier ou Icare est l’astre des vendanges, ainsi que la Vierge, dont une des étoiles porte le nom de vendangeuse. Elle a au dessous d’elle la coupe céleste, qu’on nomme en astronomie Coupe de Bacchus et d’Icare. Voilà tout le fondement de cette allégorie.

Bacchus enseigne à Icare l’art de cultiver l’arbuste qui donne ce jus délicieux. Celui-ci communique à d’autres cette découverte. Bientôt tous les paysans du voisinage sont enivrés. Dans leur délire, ils tournent leurs mains contre celui qui leur a donné ce breuvage si étonnant dans ses effets. Ils le tuent, et ils enterrent son corps dans un lieu écarté. Son ombre apparaît en songe à Érigone, et lui demande vengeance. Celle-ci toute effrayée court sur les montagnes et dans les forêts pour chercher le cadavre de son père. Elle le trouve, et son chien fidèle expire de douleur sur le tombeau de son maître. Érigone elle-même finit par se pendre de désespoir. Jupiter, touché de leurs malheurs, les place dans les cieux. Icare devient le Bouvier céleste ; Érigone la Vierge des signes, et leur chien devient le Chien céleste, qui se lève devant eux. À la suite de cet événement, Bacchus passe dans l’île de Naxe, où il aperçoit Ariane que Thésée venait d’abandonner pendant son sommeil. Bacchus la trouve encore endormie ; il admire ses carmes et en devient amoureux.

L’infortunée princesse se réveille, et reconnaît qu’elle est délaissée. Elle prononce en pleurant le nom de Thésée, et regrette les illusions du sommeil, qui li avait fait voir son amant en songe. Elle fit retentir l’île de ses plaintes et de ses douloureux regrets. Bacchus l’écoute avec intérêt ; il reconnaît bientôt l’amante de Thésée. Il s’approche d’elle et cherche à la consoler. Il lui offre sa foi et lui promet de la placer aux cieux avec une superbe couronne d’étoiles, qui perpétuera le souvenir de ses amours avec Bacchus. On remarquera que cette constellation se lève le matin avec le Soleil, au temps des vendanges, et que c’est là ce qui a donné lieu d’en faire une des amantes de Bacchus.

Ce discours et les promesses du dieu calment la douleur d’Ariane et lui font oublier son lâche ravisseur. Toutes les Nymphes s’empressent de célébrer son union avec le dieu des raisins.

Bacchus quitte cette île pour se rendre à Argos. Les argiens se disposaient à repousser les deux époux loin d’une terre consacrée à Junon, ennemie de Bacchus. Mais les femmes argiennes, pressées des fureurs de Bacchus, se mettent à tuer leurs propres enfants. Le motif de leurs refus était qu’ayant déjà Persée pour dieu, ils n’avaient pas besoin de Bacchus. On remarquer ici que c’est à cette époque où le Soleil est prêt d’atteindre les signes du printemps, que Persée paraît le matin avec le Soleil. C’est ce qui donne ici lieu à un combat entre Persée et Bacchus, qui finit par une réconciliation entre ces deux héros. Ce chant finit par la description des fêtes que célèbrent les argiens, en honneur du nouveau dieu.

Chant XLVIII et dernier.

Bacchus quitte Argos et s’avance vers la Thrace. Là Junon, toujours implacable, suscite contre lui les Géants que nous avons vu emprunter leurs formes du Serpent ou du Dragon céleste, qui se lève à la suite de la couronne d’Ariane. Ici le poète décrit les diverse armes dont les montres se saisissent pour combattre Bacchus, qui finit par les terrasser. Ce sont ces mêmes serpents qui ont fourni à Typhon ses attributs, et qui formaient son cortège dans le premier chant du poème. Ceci prouve évidemment que la révolution annuelle est achevée, puisque les mêmes aspects célestes se reproduisent. Voilà donc une nouvelle confirmation de notre théorie, et une preuve que la course de Bacchus est circulaire, comme celle du Soleil, puisqu’en suivant la marche de cet astre aux cieux et en la comparant à celle du héros du poème, nous sommes ramenés au point équinoxial d’où nous étions partis.

C’est alors que souffle le zéphyr ou le vent doux qui annonce le retour du printemps. Le poète le personnifie ici sous le nom de la nymphe Aura, dont Bacchus devient amoureux ; ce qui lui fournit une charmante allégorie, par laquelle finit son poème.

Il suppose que Bacchus trouve dans les montagnes de Phrygie, où il avait été élevé, une jeune chasseuse appelée Aura, petite fille de l’océan. Elle était aussi légère à la course que le vent.

Fatiguée, elle s’était endormie vers le milieu du jour, et elle avait eu un songe qui lui présageait qu’elle serait aimée de Bacchus. Elle crut voir l’amour chasser, et présenter à sa mère les animaux qu’il avait tués. Aura elle-même paraissait soulever son carquois. L’amour plaisante son goût pour la virginité. Elle se réveille et elle s’irrite contre l’amour et contre le sommeil. Elle s’enorgueillit de sa virginité, et prétend qu’elle ne le cède en rien à Diane. La déesse l’entend, et, irritée de cette comparaison, elle s’en plaint à Némésis, qui lui promet de punir la nymphe orgueilleuse par la perte de sa virginité. Aussitôt elle arme contre elle l’amour, qui inspire à Bacchus de la passion pour elle. Ce dieu soupire longtemps et sans espoir. Il n’ose avouer sa flamme à cette Nymphe farouche. Ici est un discours plein de passion, que tient cet amant infortuné, qui se plaint des rigueurs de celle qu’il aime. Tandis que Bacchus, au milieu des prairies émaillées de fleurs, exprimait ses regrets amoureux, une nymphe Hamadryade lui conseille de surprendre Aura, et de lui dérober le dépôt qu’elle garde si soigneusement.

Bacchus se rappelle la ruse dont il a usé pour jouir des faveurs de Nicé, près des bords de l’Astacus. Le hasard conduit aussi dans ces lieux Aura, qui, dévorée par la soif, cherchait une fontaine pour s’y désaltérer. Le dieu saisit cette occasion, et frappant de son thyrse un rocher, il en fait jaillir une source de vin qui coule au milieu des fleurs que font naître les saisons. Les Zéphyrs planent mollement au dessus et agitent l’air, que le rossignol et les autres oiseaux font retentir de leurs concerts harmonieux.

C’est dans ces lieux charmants qu’arrive la jeune Nymphe pour se désaltérer. Elle boit, sans s’en douter, la liqueur délicieuse que Bacchus fait couler pour elle. Sa douceur la charme, et bientôt elle en ressent les étonnants effets. Elle s’aperçoit que ses yeux s’appesantissent, que sa tête tourne, que ses pas chancellent. Elle se couche et s’endort. L’Amour la voit, avertit Bacchus, et revole aussitôt dans l’Olympe, après avoir écrit sur les feuilles du printemps : Amant, couronne ton ouvrage tandis qu’elle dort. Point de bruit, de peur qu’elle ne s’éveille.

Bacchus, fidèle à cet avis, s’approche très doucement du lit de gazon où la Nymphe dormait. Il lui ôte son carquois sans qu’elle le sente, et le cache dans la grotte voisine. Il l’enchaîne, et cueille la premier fleur de sa virginité. Il laisse un doux baiser sur ses lèvres vermeilles ; il la dégage de ses liens, et rapporte près d’elle son carquois. À peine le dieu s’est éloigné, que la Nymphe sort des bras du sommeil, qui avait si bien servi son amant ; elle s’étonne du désordre dans lequel elle se trouve, et dont le poète nous fait une délicieuse peinture. Elle s’aperçoit qu’un larcin amoureux lui a ravi son plus précieux trésor. Elle entre en fureur ; elle s’en prend à tout ce qu’elle rencontre. Elle frappe les statues de Vénus et de Cupidon. Elle ignore quel est le ravisseur audacieux qui a profité de son sommeil. Mais bientôt elle s’aperçoit qu’elle est mère ; et dans son désespoir elle veut détruire le fruit qu’elle porte dans son sein, et se détruire elle-même.

C’est alors que Diane insulte à son orgueil humilié, en lui rappelant les circonstances d’une aventure dont les signes non équivoques trahissent déjà le mystère. Elle lui fait plusieurs questions malignes, et finit par lui découvrir que Bacchus est l’auteur du larcin.

Après avoir goûté le plaisir de la vengeance, Diane se retire, et laisse la malheureuse Aura errante sur les rochers et dans la solitude, qui retentit de ses douloureux gémissements. Enfin, elle accouche et devient mère de deux enfants qu’elle expose sur un rocher, afin qu’ils deviennent la proie des animaux féroces. Une panthère survient qui les allaite. La mère, furieuse de ce qu’ils peuvent être conservés, en tue un. Diane soustrait l’autre à sa rage, et le remet à Minerve, qui le fait élever à Athènes. C’est le nouveau Bacchus ou l’enfant des mystères.

Après avoir achevé ses travaux et fourni sa carrière mortelle, Bacchus est reçu dans l’Olympe, et va s’asseoir près du fils de Maïa ou de la Pléiade, qui ouvre la nouvelle révolution. On voit que Nonnus, en finissant son poème, ramène son héros au point équinoxial du printemps, d’où il l’avait fait partir, c’est-à-dire, que le poème finit avec la révolution annuelle. Le poète a mis en allégorie les tableaux divers que présente le ciel, et personnifié les êtres physiques qui, dans les éléments et sur la terre, se lient à la marche périodique du temps et à la force céleste qui entretient la végétation.

Les quarante-huit chants du poème comprennent le cercle entier de l’année, et celui des effets qu’elle produit sur la terre. C’est un chant sur la nature et sur la force bienfaisante du Soleil.

L’Héracléide et les Dionysiaques ont donc pour objet le même héros. Ces deux poèmes supposent la même position dans les équinoxes et les solstices, ou se rapportent aux mêmes siècles. Dans l’un, ou dans le poème sur Hercule, le Soleil est censé partir du solstice d’été ; et dans l’autre, de l’équinoxe du printemps. Dans l’un, c’est la force ; dans l’autre, la bienfaisance de cet astre qui est chantée ; dans tous les deux, c’est le bon principe qui triomphe, en dernier résultat, de tous les obstacles que ses ennemis lui opposent. Nous verrons également, dans la fable sacrée des Chrétiens, le dieu Soleil aux formes d’Agneau, et peint avec les attributs du signe qui remplaça le Taureau à l’équinoxe du printemps, triompher à Pâques, de l’opposition que ses ennemis mettent à l’exercice de sa bienfaisance, et aller, à l’Ascension, reprendre sa place aux cieux comme Bacchus.

Il serait difficile de se persuader que le héros des Dionysiaques fût un mortel que ses conquêtes et la reconnaissance des hommes aient élevé au rang des immortels, quoique beaucoup de personnes l’aient prétendu : les traits de l’allégorie percent de toutes parts dans ce poème. Sa marche correspond exactement à celle du Soleil dans le ciel et à celle des saisons, de manière qu’il est évident pour tout homme qui veut faire la plus légère attention, que Bacchus n’est que l’astre du jour, et que cette force solaire qui, suivant Eusèbe, se développe dans la végétation des fruits que nous offre l’automne. Tous ces caractères ont été conservés dans les divers hymnes qu’Orphée adresse à Bacchus.

Il y est peint, tantôt comme un dieu qui habite l’obscur tartare, tantôt comme une divinité qui règne dans l’Olympe, et qui de là préside à la maturité des fruits que la terre fait éclore de son sein. Il prend toutes sortes de formes ; il alimente tout ; il fait croître la verdure, comme fait le taureau sacré que les Perses invoquent dans leurs hymnes.

Il voit tour à tour s’allumer et s’éteindre son flambeau dans le cercle périodique des saisons. C’est lui qui fait croître les fruits. Il n’est aucun de ces traits qui ne convienne au Soleil, et l’analyse que nous avons faite du poème dont il est le héros, prouve, par une comparaison suivie avec la marche de l’année, comme nous l’avons déjà dit, que Bacchus n’et que l’astre bienfaisant qui vivifie tout sur la terre à chaque révolution annuelle.

Voilà donc encore un héros fameux dans toute l’antiquité, par ses voyages et ses conquêtes en Orient, qui se trouve n’avoir jamais existé comme homme, quoi qu’en ait dit Cicéron, et qui n’existe que dans le Soleil, comme Hercule et Osiris. Son histoire se réduit à un poème allégorique sur l’année, sur la végétation et sur l’astre qui en est l’âme, et dont l’action féconde commence à se développer à l’équinoxe du printemps. Le roi Raisin, la reine Ivresse, le prince la Grappe, le vieux Pithos ou Tonneau, ne sont que des êtres secondaires, personnifiés dans une allégorie qui a pour objet le dieu des vendanges. Il en est de même du jeune Ampelus ou vigne, ami de Bacchus ; de la Nymphe Vent doux ou Aura, dont il est amoureux, et de tous les autres êtres physiques ou moraux qui figurent dans ce poème, dont le fond comme les accessoires appartiennent à l’allégorie, et où rien n’est du domaine de l’histoire. Mais si l’histoire y perd un héros, l’antiquité poétique y gagne de son côté, et recouvre un des plus beaux monuments de son génie. Ce nouveau poème nous apprend à juger de son caractère original, et nous donne la mesure des élans de la poésie. On voit encore ici comment, sur un canevas aussi simple qu’un calendrier, on a su broder les fictions les plus ingénieuses, dans lesquelles tout est personnifié, et où tout prend de l’âme, de la vie et du sentiment. C’es aux poètes de nos jours à voir, par ces exemples, de quelle hauteur ils sont tombés, et à nous à juger de la certitude des anciennes histoires, surtout de celles dont les personnages figurent dans les siècles héroïques et dans les légendes religieuses.