LES PRISONS DU MONT SAINT-MICHEL

 

CHAPITRE XII. — L'INCARCÉRATION DE BARBÈS (17 juillet 1839). PREMIERS MOIS DE DÉTENTION.

 

 

Un sous-préfet bien agité ; la prison d'Avranches. Quatre passagers d'importance. L'écrou provisoire de Barbès, de Martin Bernard, de Delsade et d'Austen. — D'Avranches au Mont Saint-Michel. — Barbès et ses compagnons dans leurs chambres. La disposition du Petit Exil. — Où furent logés les condamnés ? Description de la tour Perrine le prétendu cachot de Barbès, la classe de l'abbé Le Vatois. — L'âge mythique, d'après Martin Bernard. — Portrait de M. Theurier, directeur de la maison centrale. La charge de M. Gustave Geffroy d'après l'esquisse de M. Fulgence Girard. — Une administration bienveillante. Comment étaient traités les politiques. Barbès et son banquier de Granville. — Barbès d'après ses notices individuelles rédigées par le directeur du Mont, le sous-préfet d'Avranches et le préfet de la Manche. — Un détenu emporté : les récriminations de Martin Bernard. — Arrivée de Blanqui : l'agitation commence. L'abbé Lecourt et M. F. Girard. — Un prétendu monstre en soutane. Les colères de Martin Noël. Une scène douloureuse. Dans les cachots. Le ferrement des condamnés en rébellion.

 

Le 16 juillet 1839, M. Gaudin de Saint-Brice, sous-préfet d'Avranches, arpentait fiévreusement la vaste cour qui s'étendait entre les anciens bâtiments du Petit-Évêché et le vieux manoir épiscopal illustré, au dix-septième siècle, par le savant Daniel Huet. Il s'entretenait avec un officier de gendarmerie et un homme vêtu d'une longue redingote, cravaté de blanc, au visage glabre ; c'était le procureur du roi, M. Abraham-Dubois.

On entendait ce petit groupe parler de barricades, de Lamartine et de Hugo, de Sa Majesté Louis-Philippe, de clémence auguste et de responsabilité pénitentiaire !

L'horloge de la mairie d'Avranches tintait le quart avant deux heures, quand une voiture cellulaire, escortée de quatre gendarmes à cheval, vint se ranger auprès du mur de la prison qui formait un des côtés de la cour dans laquelle se trouvaient les fonctionnaires six gendarmes à pied accoururent sur un signe de leur officier de la caserne voisine et barrèrent les extrémités de la rue qui conduisait à la maison d'arrêt[1]. Un agent du service pénitentiaire sauta de la voilure cellulaire, ainsi que son camarade qui se trouvait sur le siège et tous deux firent descendre quatre individus, menottes aux mains, qu'encadrèrent les gendarmes de l'escorte. Ils n'eurent pas vingt mètres à faire pour atteindre la porte de la prison. Ils y entrèrent précipitamment, suivis du sous-préfet, du procureur et du lieutenant de gendarmerie.

La chose n'avait fait aucun bruit, nul curieux n'était venu seul, un homme d'affaires, avoué ou avocat, portant sous le bras une serviette bourrée de dossiers et qui se rendait au Tribunal, attenant presque à la prison, s'était arrêté un instant, intrigué sans doute par ce petit déploiement de force publique.

Les quatre individus, vêtus assez correctement d'habits d'une couleur sombre, étaient Armand Barbès, Martin Bernard, Joseph Delsade et Rodolphe Austen.

On sait que, dans l'après-midi du 12 mai 1839, Barbes à la tête d'une bande de révolutionnaires, avait réussi à s'emparer du poste du Palais de Justice de Paris, commandé par le lieutenant Drouineau. Revenu à la barricade de la rue Greneta, Barbès y fut blessé et arrêté presque aussitôt alors qu'il sortait d'un magasin où il venait de se faire panser. La Chambre de Paris l'avait condamné, le 12 juillet, à la peine capitale mais Lamartine et Hugo étaient intervenus. Un quatrain de l'auteur des Orientales toucha Louis-Philippe et le sous-préfet d'Avranches, qui l'avait lu la veille dans le Moniteur, le récitait à ses compagnons :

Par votre ange envolée ainsi qu'une colombe,

Par ce royal enfant, doux et frêle roseau,

Grâce, encore une fois, grâce au nom d'une tombe.

Grâce, au nom d'un berceau !

 

Sur les quinze condamnés à la suite de l'insurrection, onze avaient été envoyés à Doullens et quatre au Mont Saint-Michel. Ces derniers étaient partis de Paris, en voiture cellulaire, le 15 juillet à 3 heures du matin ils arrivèrent à Avranches à 2 heures de l'après-midi, le lendemain. Ils avaient donc mis 35 heures à faire un parcours d'environ 380 kilomètres c'était presque un record pour l'époque ; aussi les prisonniers, très secoués dans le panier à salade, étaient-ils fourbus et affamés. Le geôlier de la prison d'Avranches, gros homme à la face rubiconde et aux allures avenantes, nous improvisa, écrit Martin Bernard[2], moyennant finances, une espèce de dîner, dont nous avions d'autant plus besoin que, pendant les trente-six heures qui venaient de s'écouler, on ne nous avait accordé que le pain et l'eau.

M. Gaudin de Saint-Brice n'interrogea pas les condamnés ; il se contenta de viser une lettre du préfet de Police au gardien-chef d'Avranches et de donner une signature sur l'ordre de conduite que lui présenta le chef d'escorte de gendarmerie. A ce moment encore le sous-préfet ignorait l'endroit où devaient être dirigés Barbès, Martin, Delsade et Austen ; il s'en doutait bien un peu, à vrai dire. Il rentra, aussitôt, à la Sous-préfecture et écrivit au préfet de la Manche pour l'aviser de l'arrivée des condamnés. L'incarcération à la maison d'arrêt d'Avranches l'inquiétait vivement : Il paraît, écrit-il dans son rapport[3], que ces individus sont destinés au Mont Saint-Michel ; mais il semble résulter de la lettre de M. le Préfet de Police que des instructions seront ultérieurement données. Je les attends avec une vive impatience, la présence de tels hommes dans une maison peu sûres et sans grands moyens de surveillance laissant toujours craindre des évasions[4].

Il avisait également par le télégraphe le ministre de l'Intérieur de l'arrivée des condamnés. L'inquiétude de M. le sous-préfet ne devait pas être de longue durée. Dès le soir à 7 heures et demie, il recevait de Paris l'ordre de faire transférer immédiatement au Mont Saint-Michel les quatre condamnés du 12 juillet.

Il aurait bien voulu qu'ils partissent le soir même mais il était vraiment trop tard pour qu'on organisât le transfèrement. La voiture cellulaire était repartie et le chef de l'escorte, s'appuyant sur son ordre de conduite limité à Avranches, refusait net de prendre, au delà, charge des prisonniers. M. Gaudin dut-se préoccuper de trouver une voiture pour véhiculer ceux-ci au Mont Saint-Michel. Ce n'était pas chose facile ; il fallut réquisitionner M. Letessier, maître de poste à Avranches. Il demanda un prix relativement élevé pour prêter deux cabriolets ; un particulier eût payé dix francs par voiture ; l'Etat déboursa 77 fr. 50 ; de tous temps, il fit bien les choses.

M. Gaudin de Saint-Brice aurait désiré télégraphier au directeur de la maison du Mont Saint-Michel l'arrivée des quatre condamnés ; mais il était trop tard ; la nuit était venue ou, du moins, le crépuscule était si brumeux sur la grève que les. signaux de Chappe ne pouvaient être échangés utilement entre les deux stations d'Avranches et. du Mont Saint-Michel, postes de la ligne Paris-Brest, qui correspondaient directement entre eux, à onze kilomètres de distance. Le sous-préfet prévoyait bien, d'ailleurs, que des instructions avaient été directement données à la maison du Mont Saint-Michel.

Le lendemain, — 17 juillet, — au petit jour, à 3 heures 45, les portes de la maison d'arrêt d'Avranches s'ouvraient pour donner passage à Barbès, à Martin Bernard, à Delsade et à Austen. Les condamnés avaient encore les yeux gros de sommeil. L'air frais du matin toujours très vif à Avranches en raison de l'altitude de la ville dominant de plus de cent mètres la baie du Mont, leur fouetta agréablement le visage ; Barbès et Austen furent invités à monter dans le premier cabriolet, Martin Bernard et Delsade dans le second C'étaient deux bonnes voitures, larges,. bien suspendues, avec capote de cuir mobile. Les capotes étaient relevées ; les condamnés prirent place dans le fond ; sur le devant, le cocher était assis à droite, un gendarme à gauche. De chaque côté, un gendarme à cheval flanquait le cabriolet. Les deux voitures se suivaient à trente mètres. La petite ville d'Avranches était encore endormie seuls quelques chiens erraient le long de la rue de la Constitution, une rue droite et large, bordée de maisons bien bâties. C'était l'ancienne route de Bretagne qui était devenue une rue, depuis que la vieille ville avait débordé en faubourgs, hors des murailles construites par saint Louis et consolidées au moment de l'occupation anglaise. Les Avranchais l'avaient longtemps appelée le Grand-Chemin, puis rue Esmangart du nom de l'intendant qui l'avait fait ouvrir ; mais ces bons Normands, fatigués de voir leur plus belle rue changer de nom à chaque forme de gouvernement, sinon à chaque ministère, résolurent de la désigner de telle façon qu'à moins d'une monarchie absolue, le pouvoir, république, empire ou royauté, en respecterait l'appellation générale et prudente. Le nom de Constitution lui fut donné ; seules, certaines familles nobles protestèrent et conservèrent pour leur adresse la désignation primitive route de Bretagne.

Les voituriers avaient reçu l'ordre de prendre, non pas la route de Pontorson, mais celle de Céaux et de Courtils qui depuis le Pontaubault suit à peu près le rivage. A deux kilomètres d'Avranches, au 'moment où la route abandonnant le plateau, descend par un quadruple jambage le versant sud de la colline, au premier tournant de la côte de l'M, le Mont Saint-Michel apparut, à deux lieues et demie de distance, aux yeux des quatre condamnés.

Cette vision brusque, inattendue, est une des plus belles que l'on ressente dans ce pays où, cependant, les panoramas merveilleux se déroulent avec une diversité charmante. Elle a fait naître dans l'esprit de Victor Hugo des vers qui, malgré leur poésie, ont une précision presque topographique. Il n'est pas jusqu'au pont sur le Sélune qui n'ait frappé l'œil du poète

Un pont fait par César, quand il vint dans les Gaules,

Montrait à l'horizon son vieux profil romain.

Ce pont, Barbès et ses compagnons le franchirent le cœur serré, les yeux fixés sur cette grande pyramide qui sortait triomphante des brumes du matin, mais qui, si glorieuse fût-elle dans son histoire, n'allait être après tout pour eux qu'une dure prison.

Il était un peu plus de cinq heures et den0e, quand le convoi arriva à la Rive, un petit village situé comme son nom l'indique, sur le bord de la baie, à l'extrémité des marais d'Ardevon. Le temps était superbe le soleil déjà haut à l'horizon éclairait puissamment tout le côté est et sud de la gigantesque abbaye-forteresse. Sur la tour romane, que la foudre avait décapitée si fréquemment, les bras du télégraphe Chappe s'agitaient en tous sens. Je suis sûr que l'on parle de nous ! dit Barbès avec un mélancolique sourire. Martin Bernard examinait, en littérateur et en artiste, les monuments qui se profilaient devant lui le pignon de la Merveille, d'où fusait la tour des Corbins, l'abside de l'Église gothique dont les arcs-boutants se croisaient sur le ciel, les bâtiments, abbatiaux, percés de fenêtres étroites, la tour Perrine, dont ils allaient bientôt faire la connaissance enfin les remparts crénelés, bosselés de tours rondes ou triangulaires, hérissés d'échauguettes aux toits pointus. Pour moi, dit Martin Bernard, quelles que fussent mes préoccupations, oubliant même que j'étais enchaîné et qu'un avenir inconnu de tortures et de misères allait commencer pour. nous derrière ces aériennes murailles, je ne fus accessible qu'à un seul sentiment, celui de l'admiration.

Les deux cabriolets s'engagèrent alors sur la grève, précédés d'un guide envoyé par le directeur de la maison, averti la veille, par le préfet de police, de l'arrivée des quatre condamnés. La demi-lieue de tangues fut facile et prompte à franchir. On était en morte-eau, à un moment où la mer enlace à peine le Mont les sables mouvants n'étaient donc pas à redouter et c'est à peine si les chevaux des voitures et ceux des gendarmes eurent à patauger, en traversant quelques ruisseaux qui dégorgeaient à travers les herbus de la côte.

On pouvait alors accéder à l'abbaye de deux façons, tout en entrant par la même porte, celle de la Bavole il y avait le chemin de ronde, s'amorçant par plusieurs paliers, derrière la tour Gabriel du Puys et contournant les bâtiments abbatiaux, et la rue de la petite ville qui longe les murs du sud et de l'est et qui, bordée de boutiques, d'auberges et de vieilles maisons, grimpe, par des escaliers aux coudes brusques, appelés Degrés, jusqu'à la porte du Châtelet. On fit prendre au convoi le premier de ces chemins, sans doute pour ne pas éveiller la curiosité des braves Montois, habitués pourtant à ce genre de spectacle.

Barbès, Martin Bernard, Delsade et Austen n'échappèrent pas à l'impression que tous ressentent en montant cet escalier de granit si farouchement beau, si profond, sur les marches duquel flotte une lueur indécise, filtrant entre le Châtelet et Belle-Chaise et que le peuple appelle si justement le Gouffre.

Elles avaient disparu de leurs niches trilobées, ces statues de saint Benoît, de saint Maur et de saint Aubert, qui annonçaient l'abbaye, c'est-à-dire un lieu de paix et de prières, une île de quiétude au sein de la mer tempestueuse du monde, selon la charmante expression d'un bon annaliste michelien. La Révolution, qui avait chassé les religieux en invoquant les grands principes de liberté, avait fait du sanctuaire de l'archange une geôle formidable ce n'était plus le mot Pax des Bénédictins que l'on pouvait lire au seuil de cet incomparable monument il évoquait plutôt une pensée de douleur et de désespoir et l'œil cherchait sur l'arcature de la voûte ce vers terrible du Dante :

Laissez tout espoir vous qui entrez là.

Les condamnés furent immédiatement conduits au greffe de la maison où l'on transcrivit quelques pièces administratives Barbès et Martin Bernard firent entendre deux ou trois mots de protestation. Le directeur, M. Theurier, leur répondit que s'ils avaient des observations à formuler, ils étaient autorisés, par les règlements, à correspondre, sous enveloppe fermée, avec le ministre de l'Intérieur, mais qu'en aucun cas l'administration pénitentiaire de Mont n'avait à se préoccuper des causes de la détention. Il donna l'ordre aux gardiens de conduire ces Messieurs dans les logements qui leur avaient été préparés.

Tout cela fut dit et fut fait d'une manière très correcte. Martin Bernard le reconnaît lui-même : Le directeur, écrit-il, nous reçut avec une extrême politesse et une expression de cordialité qui nous sembla de bon augure pour nos relations à venir quant au médecin, les paroles qu'il échangea aussi avec nous ne nous parurent pas non plus révéler une nature malveillante[5].

La relation fantaisiste et déclamatoire que Martin Bernard nous a donnée de sa détention au Mont Saint-Michel, ne nous apprend pas grand'chose de l'endroit où ses compagnons et lui furent tout d'abord incarcérés mais nous sommes fixés sur ce point par le rapport adressé au préfet de la Manche, le 20 juillet 1838, par le directeur, M. Theurier.

Barbès, Martin Bernard, Delsade et Austen, sont arrivés ici, le 17 de ce présent mois, à six heures du matin. Après avoir été écroués, ils ont été déposés dans des chambres séparées qui se trouvent situées au midi, dans la partie appelée le Petit Exil. La chambre de Barbes, isolée des trois autres, a de doubles grilles et est la plus sûre de la maison[6]. Un gardien dans lequel j'ai la plus grande  confiance, Mibaud, ainé, est spécialement chargé de la garde et du service de ces quatre détenus ; il couche dans une chambre qui se trouve vis-à-vis celle de Barbès et à un mètre de distance. Les trois autres occupent un pavillon qui a six étages ; le gardien se trouve au troisième. Martin Bernard au quatrième, Delsade au cinquième, enfin, Austen au sixième.

 

C'est donc bien dans la tour Perrine que furent enfermés les condamnés de Juillet. Nous avons donné au chapitre relatif aux prisonniers écossais la description de cette tour ; on voudra bien s'y reporter le cachot que l'on montre aux touristes crédules et où l'insurgé aurait été détenu plusieurs années est tout simplement le réduit de pénitence, où le fougueux méridional[7] calma ses nerfs, à la suite d'un attentat commis sur ses gardiens ; la chambre basse où il vécut ses jours de captivité n'a rien d'effrayant c'est une pièce saine, bien éclairée et bien aérée, dont les fenêtres, aspectées au sud, sont munies d'une double grille en fer forgé. Dans cette salle, un père de l'ordre de Pontigny, M. Levatois enseigna de 1876 à 1880, le latin aux élèves de la classe apostolique de Saint-Michel ceux-ci ne se sont jamais plaints de la sombre horreur du réduit ténébreux sur lequel se sont apitoyés les beaux parleurs et les chauds partisans du grand martyr de la liberté. Encore une légende qui disparaît.

Cependant, la vie s'écoulait sans incident pour Barbes et ses trois compagnons : ils désignèrent plus tard cette période sous le nom d'âge mythique, pour rappeler, dit Martin Bernard, dans une note peu compréhensible, le mystérieux des âges reculés du monde et le mystérieux des premiers temps de leur captivité.

Le directeur se montrait envers eux plein de sollicitude. C'était un brave homme, un peu timide et qui ne méritait nullement les reproches accumulés sur lui. M. Gustave Geffroy, s'emparant presque mot pour mot d'une appréciation de M. Fulgence Girard, nous représente Theurier comme un gros bourgeois orléaniste, allié des Montalivet ; comme un homme gras, discret, mielleux, prenant un air d'intérêt aux réclamations de son troupeau de captifs, mais en réalité imposteur, méfiant, taquin, exigeant, récréant le séjour ennuyeux qu'il avait accepté par des sournoiseries d'homme correct, en quête de distractions, par de subites cruautés de tortionnaire[8].

Si, quelques mois plus tard, notamment après l'arrivée de Blanqui, M. Theurier prit des mesures relativement sévères, c'est qu'il y fut contraint par l'attitude provocatrice des condamnés et par les projets d'évasion que ceux-ci élaboraient habilement, avec des complicités extérieures. D'ailleurs, les détenus ne se plaignaient pas de leur situation et leur conduite était très satisfaisante, comme le faisait connaître au préfet de la Manche, M. Gaudin de Saint-Brice, dans un rapport daté du 31 juillet. L'administration laissait fléchir en leur faveur plusieurs articles des règlements. C'est ainsi qu'outre les livres de la bibliothèque particulière de M. Theurier, Barbès et ses compagnons étaient autorisés à recevoir les livres et les effets que leur adressaient leurs familles et leurs amis. Ils pouvaient aussi correspondre librement, par écrit, sous la seule réserve que leurs lettres fussent préalablement lues par le directeur, conformément à la circulaire du 1er septembre 1836.

Le ministre de l'Intérieur recommandait seulement d'éloigner des condamnés toute cause d'excitation politique il dut être saisi par eux d'une demande aux fins d'être autorisés à se réunir dans leurs cellules et à prendre leurs repas en commun, car on lit, dans un rapport qu'il ne peut être question de permettre aux politiques de s'assembler ni pour la promenade, ni pour les repas, ni pour aucun autre motif.

Ils n'étaient pas non plus astreints au travail manuel : Toutefois, disait le ministre[9], si l'administration n'exige pas que Barbès, Martin, Delsade et Austen se livrent au travail, elle doit leur conseiller d'éviter un état d'oisiveté qui finirait par détruire leur santé et qui pourrait même affecter leur moral. Le directeur devra faire en sorte de leur procurer les moyens de travailler dans leurs chambres s'ils en témoignent le désir. Il ne paraît pas que les détenus aient suivi les sages conseils de l'administration ils se contentaient de lire et d'écrire ils amélioraient aussi l'ordinaire de la maison, en se faisant servir, de la cantine, des plats supplémentaires. Ils recevaient, en effet, certaines sommes de l'extérieur c'est ainsi que, le 22 août 1839, M. Gallien-Toupet, banquier à Granville, sollicitait l'autorisation de verser entre les mains du directeur de la maison centrale, une somme de deux cents francs, au compte de Barbès, de la part de M. Carles, beau-père de la sœur du condamné.

Barbès, homme du Midi, s'était plaint de la température un peu basse de sa chambre. Aussitôt, le 18 novembre, le ministre donna des ordres pour que les cellules des détenus politiques fussent chauffées il fut alloué un stère de bois par mois, à chaque prisonnier, du 1er novembre au 1er mai.

Barbès ne se plaint nullement de sa situation. Il écrit à un de ses amis, à la date du 20 février 1840 : Les craintes que vous concevez sur ma santé ne se réaliseront pas, soyez en sûr. Je me sens de la vie pour longtemps encore et en état d'endurer bien des années d'emprisonnement[10].

Theurier proclame à qui veut l'entendre qu'Armand Barbès est un bon détenu ; non seulement il le dit, mais il l'écrit. Voici les notes qu'il donne au révolutionnaire.

BARBÈS, Armand.

Conduite dans la maison : Excellente, très résigné ; n’ayant jamais donné lieu à aucune plainte ; s’occupe de lectures et d’écrits, ne correspond qu’avec sa sœur, son beau-frère et son frère.

Observations du Directeur : Persiste opiniâtrement dans son opinion ; verrait avec regret qu’on s’occupe d’obtenir sa grâce et ne l’accepterait qu’en cas d’amnistie générale[11].

 

Martin Bernard, lui, était un détenu tout autre. Sa vie se passait en protestations véhémentes et en déclamations grotesques. Le jour même de son incarcération, il eut maille à partir avec son gardien. Celui-ci était venu le chercher pour le conduire, en promenade, sur la plate-forme occidentale du Mont, dite Aire de Plomb. Accoudé sur le parapet de cette plate-forme, Martin Bernard admirait le superbe panorama qui se déroulait à ses yeux depuis la pointe de Carolles jusqu'au grouin de Cancale toute la baie s'ouvrait devant lui, barrée, au nord, par l'archipel de Chausey.

Tout à coup, dit Martin, l'instrument passif des combinaisons de nos ennemis, s'approche de moi :

Monsieur, me dit-il, il faut rentrer, votre heure est passée.

Comment ! quelle heure voulez-vous dire ? lui répliquai-je, bien que je devinasse quelle allait être sa réponse.

Ma consigne, me répondit-il, est de vous mener à la promenade, chaque jour, pendant une heure seulement.

Il m'était démontré que nous étions au régime du Spielberg[12].

Bien qu'il fût défendu aux quatre condamnés de se réunir et même d'échanger entre eux quelques mots quand ils se rencontraient, les gardiens n'appliquaient pas strictement cette règle ; Martin Bernard fut bientôt cause de la cessation de cette tolérance. Il réussit à engager des conversations assez suivies avec Barbès. En phrases ridicules, on tombait, à bras raccourcis, sur ce pauvre Louis-Philippe. Les couloirs résonnaient des imprécations contre un régime osant restaurer la Bastille en face de la France de Juillet !

Le directeur, comme s'était son devoir, en référa à l'autorité supérieure qui ordonna la stricte application des règlements. En apprenant cette nouvelle, Martin Bernard entra dans une violente colère. Il menaça le directeur et prononça un discours emphatique qu'il a eu soin de reproduire dans son ouvrage. Barbès maudit, dans son for intérieur, l'imprudent bavard, dont la sottise avait eu pour résultat de rendre sinon plus dure, du moins plus étroite, une captivité qui, auparavant, était vraiment tolérable ; aussi l'insurgé professionnel qui avait du bon sens et auquel les livres saints n'étaient pas inconnus, dut-il murmurer, avec saint Paul : Seigneur, préservez-moi de mes amis ; de mes ennemis, je saurai bien me défendre !

Il songeait à son évasion. L'arrivée de Blanqui allait modifier la situation plutôt paisible de la maison, dont le calme était relatif avec Barbès, Martin, Delsade et Austen, mais qui commençait à s'agiter depuis l'incarcération, en décembre 1839, de Martin Noël, de Roudil, de Guilmain, de Bézenec, d'Elie, d'Herbulet de Fomberteaux, de Vuillecoq et de Joigneaux.

Ce fut la présence de la femme de l'un d'eux qui amena les troubles et les représailles. Mme Guilmain, ayant obtenu du gouvernement l'autorisation de séjourner dans la ville du Mont Saint-Michel, où elle avait loué une chambre, juste au-dessous des Exils, réussit à s'aboucher avec d'autres détenus que son mari et à servir d'intermédiaire entre tous les condamnés de Juillet et un avocat d'Avranches, M. Fulgence Girard, dont le libéralisme passait pour révolutionnaire dans la petite ville où il exerçait très honorablement sa profession[13].

M. Fulgence Girard fit même tous ses efforts pour voir personnellement les détenus politiques. Secrétaire de la Société d'archéologie d'Avranches, et rédacteur d'un journal de cette localité, il apprit que l'aumônier, M. l'abbé Lecourt, venait de restaurer un des piliers de l'église, de ce splendide vaisseau roman, construit par Hildebert au douzième siècle et dans lequel l'incendie de 1834 avait exercé d'affreux ravages.

M. F. Girard parla avec éloge dans son Journal d'Avranches de la science archéologique et monumentale de M. Lecourt il crut que l'envoi du numéro publicateur lui ouvrirait toutes grandes les portes de la prison d'État. Il en fut pour ses frais.

L'abbé accueillit, dit-il[14], mes ouvertures par  les assurances sympathiques les plus propres à gagner ma confiance seulement il me déclara qu'il ne lui était pas possible de me conduire auprès des condamnés qu'il ne pouvait, lui-même, y pénétrer à toute heure, mais que je pouvais être certain que les offres dont je le chargerais leur seraient religieusement transmises. Au reste, ajouta-t-il vers la fin de notre entretien, soyez certain que rien ne leur manquera dans la maison le ministère a prescrit d'avoir pour eux les plus grands égards et M. le directeur est tout disposé à se conformer à ces ordres.

M. Girard qui voulait se ménager des entretiens susceptibles de mener à bonne fin une évasion, eut conscience que son truc était éventé. Toutefois il ne se tint pas pour battu et revint au Mont quelques jours après. L'aumônier lui mit alors les points sur les i :

Vous avez tort, lui dit en substance l'abbé Lecourt, de multiplier vos visites au Mont. On vous a vu, lors de votre dernier voyage, fixer au moyen de votre binocle, les fenêtres des cellules des condamnés. Le directeur est informé de tout cela. Vos démarches ne peuvent avoir d'autre résultat que de resserrer la captivité de vos amis.

A partir de ce moment, le savant archéologue le très distingué historien qu'était l'abbé Lecourt, se transforma aux yeux de M. Girard et des détenus politiques en un vulgaire argousin, en un monstre en soutane.

L'aumônier fut avec Theurier la bête noire des condamnés de Juillet !

C'était, pourtant, un bien bon prêtre que l'abbé Lecourt, un enfant du pays qu'une vocation tardive il est vrai, mais sincère, avait attiré vers les ordres et dirigé du côté de ses ingrates fonctions d'aumônier d'une maison pénitentiaire.

Né, à la fin du dix-huitième siècle, à Saint-Loup près Avranches, d'une excellente famille d'agriculteurs aisés, il s'était marié tout jeune ; resté veuf avec un fils, il avait résolu, après mûres réflexions, de se consacrer à Dieu et, très courageusement, il avait fait ses études au petit séminaire de l'Abbaye Blanche de Mortain, puis au grand séminaire de Coutances. Ordonné prêtre, il avait préféré au vicariat avantageux et tranquille que lui avait offert son évêque le poste dangereux d'aumônier des détenus au Mont Saint-Michel, en remplacement de l'abbé Turpin. Il prit possession de cette charge, lourde et ingrate, en 1833.

Dès son arrivée, son zèle, son expérience des affaires et son habileté dans les travaux manuels, — C'est le prêtre le plus adroit de ses mains que je connaisse, disait le doyen de Pontorson —, lui permirent de rendre les plus grands services à l'administration de la maison centrale. Le sang-froid, l'habileté, l'intrépidité qu'il montra, lors de l'incendie du 22 novembre 1834, qui faillit dévorer toute l'abbaye du Mont, lui valurent la croix de la Légion d'Honneur. La plupart des détenus ayant été, à la suite de cet événement, transférés à Doullens, l'abbé Lecourt les suivit mais revint bientôt au Mont Saint-Michel, qu'il ne devait plus quitter qu'en 1862, époque à laquelle il prit sa retraite[15].

Voilà l'homme que les détenus politiques ont transformé en monstre en soutane, dans leurs écrits ampoulés et pleins de mensonges on tenait au malheureux aumônier des discours de ce genre, alors qu'il cherchait à apaiser un condamné fou furieux : Si vous étiez entré ici, avec les sentiments d'un vrai ministre de la religion, si vous étiez venu m'apporter à moi qui suis si jeune encore, des paroles de consolation et de patience, je vous aurais certainement écouté, sinon avec une entière déférence, du moins avec toute la convenance possible ; mais, lorsqu'en oubliant les devoirs de votre ministère, vous venez ici, la menace à la bouche, lorsque vous vous faites l'interprète de mes bourreaux, je vous réponds : Sicaire de l'Inquisition, respectez un soldat de la cause du Peuple ; sortez d'ici, disciple de Loyola. Vous déshonoreriez le Christ, si la religion du Christ pouvait être responsable de vos cruautés et de vos astucieux mensonges ![16]

Ce phraseur devait être le héros d'une aventure ou plutôt d'un incident qui se produisit dans les premiers jours de janvier 1840 et qui fut grossi à plaisir par les journaux de l'opposition.

On sait que les détenus ne pouvaient avoir sur eux aucune somme d'argent ; c'est une prohibition absolue dans toutes les prisons. Les condamnés politiques du Mont Saint-Michel ne faisaient pas exception à cette règle aussi, lorsqu'ils recevaient de l'argent, les mandats étaient touchés par le directeur qui portait à l'actif de leur compte le montant de la somme encaissée.

Martin Noël, écroué depuis quelques jours, voulut se payer quelques douceurs ; n'ayant pas d'argent, il pria Barbès de lui prêter vingt francs ; avec le consentement de celui-ci, le directeur fit sortir cette somme du compte de Barbès et, jusqu'à due concurrence, autorisa les menues dépenses de Martin Noël puis, conformément au règlement, il demanda à ce dernier de reconnaître que les sommes dépensées avaient été effectivement employées, selon le désir du condamné.

Quand le gardien présenta cette pièce à Martin Noël, celui-ci entra dans une violente colère : Je suis l'obligé de Barbès, s'écria-t-il, et non de M. Theurier. Je ne donnerai jamais un reçu libellé dans une forme aussi avilissante. Au surplus, voilà le cas que je fais de votre papier.

Et Martin Noël déchira la pièce.

On le conduisit devant le directeur. Il maintint ses prétentions d'une façon pleine d'arrogance. Le directeur déclara qu'il regrettait qu'une telle obstination l'obligeât à astreindre le condamné politique à la nourriture des condamnés de droit commun, pendant quinze jours, et Martin Noël fut réintégré dans sa cellule.

Son exaspération était telle que le directeur jugea prudent de le faire surveiller ; à la seconde ou à la troisième ronde de nuit, Martin Noël, prétendant qu'on le réveillait pour l'assassiner, se leva de son lit, s'empara d'une bûche et se précipita sur les gardiens. Ceux-ci durent battre en retraite et le condamné réussit à se barricader dans sa chambre. Ses vociférations ameutant tous les détenus, le directeur prit le sage parti d'attendre le jour. Au matin, il parlementa avec Noël qui ouvrit la porte de la cellule.

Les admirateurs des condamnés de Juillet affirment que le directeur avait promis qu'aucune peine ne serait infligée à Noël, que la sanction devait se borner à un seul changement de chambre. En présence d'un fait aussi grave, il parait bien extraordinaire que M. Theurier ait pris un semblable engagement. Le règlement prescrivait le cachot ; c'est là que fut conduit le perturbateur. Fit-il un simulacre de résistance ? ses amis affirment que non et, d'après eux, une scène atroce se passa.

Frappé par vingt bras, écrit M. Fulgence Girard, Martin Noël est terrassé dans un instant ; un coup de sabre lui ouvre les reins son sang coule mais sans s'inquiéter de la gravité d'une blessure qui pouvait être mortelle, ces misérables le saisissent par les cheveux et le traînent, ainsi, jusqu'à la porte latérale de l'église qui conduit aux souterrains mais Martin Noël se défend encore, lutte toujours. Ses bourreaux triomphent de cette résistance, ils saisissent le malheureux par les pieds pour le traîner aux cachots. L'escalier noir, ouvert devant eux, conduit aux galeries de Montgommery dont les voûtes ténébreuses aboutissent à une ancienne crypte funèbre ; de là il plonge dans une immense cave dont les voûtes romanes reposent en lourds pendentifs, sur des colonnes monolithiques pesantes et ramassées. Au fond se trouvent les degrés qui descendent à l'entrée des antiques oubliettes, les cachots actuels[17]. Ce fut le long de tous ces escaliers et de ces caves que fut traîné par les pieds ce malheureux enfant ; sa pauvre tête sanglante, brisée, rebondit sur tous ces granits.

M. Girard écrit encore quatre ou cinq pages sur ce ton ; puis, il arrive, enfin, à la scène du ferrement : Le serrurier, dit-il, procéda au ferrement de ce corps d'où semblait avoir fui la vie. L'entrave qui fut écrouée aux pieds de ce malheureux se composait de deux larges anneaux en forme de fer à cheval, percés de trous aux extrémités. Lorsque ces anneaux eurent été adaptés aux jambes, une barre de fer ou boulon fut introduite et chassée à coups de marteau dans les quatre trous. Les anneaux se trouvant, par calcul, d'une plus faible dimension que les jambes, la barre de fer se fraya un sanglant passage en comprimant, écrasant et broyant les chairs. Les souffrances de cette opération furent si atroces qu'elles rappelèrent le patient à la connaissance, c'est-à-dire aux angoisses du supplice. Ainsi ferré, brisé, meurtri, perdant le sang par ses reins ouverts, ce corps, où tout ce qui n'était pas contusion était plaie, fut laissé par les bourreaux étendu et râlant sur la pierre boueuse du cachot... Combien se prolongea cette agonie dans ce réduit ténébreux où une nuit constante ne lui permettait pas de mesurer le temps par la succession des jours ? Il l'ignorait, lorsque, sur le rapport du geôlier, le médecin d'abord, puis le serrurier descendirent successivement dans son cul de basse-fosse. On procéda à son déferrement qui fut un nouveau supplice ; le serrurier passa près d'une heure à travailler, avec ses grossiers instruments dans ces chairs purulentes et meurtries, pour en arracher l'engin inquisitorial. La haine n'étant pas encore assouvie, Martin Noël fut, de nouveau, laissé pantelant et dévoré de fièvre sur le roc nu de cet antre de vengeance. Bien des jours s'écoulèrent ainsi ; la vivace énergie de la jeunesse et la force de sa constitution s'épuisaient avec la progression la plus rapide ; la blessure, dont le coup de sabre lui avait percé les reins, s'envenimait profondément et lui causait des douleurs horribles le médecin vint de nouveau le visiter ; il jugea l'état du prisonnier si inquiétant qu'il ordonna son extraction des cachots. Des rudiments de gangrène avaient éclaté dans sa blessure. Où fut transporté ce malheureux jeune homme ? A l'infirmerie ? Non, les détenus politiques n'ont pas au Mont Saint-Michel ce que les forçats ont au bagne, une infirmerie. Dans sa cellule ? Non, sa faute n'était pas suffisamment expiée. Il fut renfermé malade, pour cinq semaines, dans une des loges de correction.

En lisant le récit de cette scène affreuse, on fait tout aussitôt la part de l'exagération. Pour un homme qui eut les reins ouverts et percés et dont les membres furent atteints par la gangrène, Martin Noël se remit assez vite de ses blessures. Mais cet incident fut très habilement exploité. L'autorité supérieure à laquelle le fait avait été dénoncé ordonna une enquête. Elle démontra que le gardien avait usé du droit de légitime défense et que si le directeur avait appliqué les règlements avec une certaine sévérité, le condamné n'avait qu'à s'en prendre à lui-même, en raison des violences qu'il avait exercées sans aucun motif sur des gardiens qui appliquaient un règlement.

Plusieurs autres détenus qui avaient pris part au vacarme et qui avaient excité Martin Noël dans sa rébellion furent punis également. Roudil qui avait injurié les gardiens et qui avait ameuté contre eux les détenus politiques et même les condamnés de droit commun, fut mis au cachot pendant quinze jours, dont cinq de fers.

La presse de l'opposition exploita avec habileté ces scènes regrettables, et les politiques hurlaient à tous les échos les mauvais traitements dont ils prétendaient être les victimes, mais ils les subissaient avec bonheur, en apôtres du droit et en martyrs de la liberté !

 

 

 



[1] On lit dans le Journal d'Avranches, du 21 juillet 1839 : Mardi, sur les deux heures, une voiture cellulaire à huit places, arrivant par la route de Saint-James traversa Avranches et vint s'arrêter en face du portail de l'ancien Palais épiscopal, dont la cour communique avec la geôle. Quatre des jeunes gens condamnés par la cour de Paris descendirent successivement : Barbès, M. Bernard, Delsade et Austen. Leurs gardiens avaient reçu des instructions très rigoureuses. Puis la voiture reprit le chemin de Bretagne pour conduire Mialon à Brest. Le Journal d'Avranches est des plus intéressants à consulter, en raison de la collaboration que lui prêtait M. F. Girard. Je remercie vivement M. Marie, directeur de l'Avranchin (ancien Journal d'Avranches) qui a bien voulu mettre à ma disposition les collections de cette feuille.

[2] MARTIN BERNARD, Dix ans de prison au Mont Saint-Michel et la citadelle de Doullens. Londres, Jeffs, 1854, p. 18.

[3] ARCHIVES DE LA MANCHE, Dossier de Barbès. Rapport du sous-préfet d'Avranches au préfet de la Manche, 16 juillet 1889. Cité par V. HUNGER, Barbès au Mont Saint-Michel, p. 2. Paris, Champion, imp. 1909.

[4] De l'ancienne prison d'Avranches, plusieurs détenus, s'étaient évadés, pendant la Révolution ; la nouvelle prison, plus voisine que l'ancienne du Palais de Justice, n'était pas non plus très sûre pour les gardiens.

[5] MARTIN BERNARD, loc. cit. Du Journal d'Avranches, 21 juillet 1889. Le caractère honorable des administrateurs, sous l'autorité desquels les détenus sont placés, nous donnent l'assurance que ces fonctionnaires sauront unir envers eux à l'accomplissement de, leur devoir les égards que réclame et prescrit l'humanité ; les détenus appartenant à la cause démocratique ne sont pas les seuls que renferme l'abbaye. Trois condamnés légitimistes y ont été récemment déposés. Nous chercherons à savoir qui ?

[6] La possibilité d'une évasion des détenus hantait l'esprit du directeur. Le jour même où Theurier apprenait que Barbès et ses compagnons allaient être incarcérés au Mont Saint-Michel, il demandait que l'effectif de la garnison du Mont, se composant de 126 hommes, fût augmenté. Le 3 août 1839, le ministre de la Guerre ordonna de porter ce nombre à 140. Il ne faut pas trop s'étonner de l'appréhension de ce directeur. Dès qu'une affaire touche un peu à la politique, le fonctionnaire s'inquiète. Il y a quelques années, j'ai été témoin de l'affolement d'un magistrat, amovible il est vrai, mais que sa situation de fortune aurait dû rendre plus indépendant et moins pusillanime. Ayant reçu l'ordre d'exercer la contrainte par corps contre une vieille religieuse, condamnée pour fausse sécularisation, il se figurait qu'une évasion serait possible dans les locaux aménagés pour les détenus de cette catégorie. En fait, il n'aurait encouru aucune responsabilité, puisque les services pénitentiaires étaient rattachés au ministère de l'Intérieur. Il arriva, Dieu merci, que la bonne sœur paya les 25 francs d'amende et les frais. Le pauvre magistrat ne dormit encore que d'un œil. Il redoutait toujours la publication d'un cantique à la Sainte-Vierge, qu'il avait composé, alors qu'il faisait ses études au petit séminaire de X... L'ami auquel il avait jadis confié cette pièce ne lui a point joué le mauvais tour de la faire paraître.

[7] Dix ans de captivité, p. 69, en note.

[8] Fulgence Girard écrivait ceci en 1849 : C'était un homme aux formes les plus polies, sa voix lente et carressante (sic) s'épuisait sans cesse en protestations et en professions d'humanité. Son visage, toujours souriant, ses yeux roulant sentimentalement ou toujours baissés, son obésité podagre, tout son extérieur enfin, semblait au premier abord, en harmonie parfaite avec ses paroles... Mais, bientôt, le masque tombait ; ses lèvres minces au sourire amer révélaient un caractère dissimulé et une nature implacable.

[9] Rapport du directeur Theurier, 30 novembre 1839.

[10] JEANJEAN, Armand Barbès, 1809-1870. Sa vie, son action politique, sa correspondance. Paris, 1909, t. II, p. 93.

[11] Archives Manche. Dossier Barbès.

[12] MARTIN BERNARD, Dix ans de prison, pp. 37 et 38.

[13] M. Fulgence Girard, né à Granville, le 21 septembre 1807, décéda, le 10 avril 1873, à Bacilly, dans sa propriété de la Broise.

[14] FULGENCE GIRARD, Mont Saint-Michel, p. 126. Le 2 mai 1839, M. F. Girard avait appelé l'attention de la Société d'archéologie d'Avranches sur les travaux de restauration que le gouvernement se proposait de faire, enfin, exécuter au Mont Saint-Michel. Le 20 juin 1839, l'Association Normande visitait le Mont sous la conduite de l'abbé Lecourt, aumônier et architecte. Les membres de cette société purent remarquer qu'on avait ébranlé les fondations de la Merveille, pour faire passer, au pied, un chemin de ronde une lézarde s'était produite entre la salle des Chevaliers et la salle des Hôtes. M. Doisnard, architecte de la Manche, écrivait le 30 juin 1839 au Journal d'Avranches : Un vandale officiel veut guillotiner le monument. Dans le courant de juin 1837, le ministre de l'Intérieur a cependant été informé que la grosse tour de l'église menaçait ruine. A cette époque l'état des bâtiments, quoique déjà inquiétant, ne présentait pas le danger imminent qui s'est manifesté depuis.

[15] L'abbé Lecourt est mort au Mont Saint-Michel, il y a une trentaine d'années.

[16] Le discours de Noël Martin est textuel, dit Martin Bernard qui s'extasie sur la naïveté et l'originalité d'esprit caractérisant le brave enfant de Paris (!).

[17] Cette description est tellement inexacte qu'il est impossible de dire dans quel cachot fut enfermé Martin Noël. Il est probable que ce fut dans le cachot du Diable. En 1877, il y avait encore quatre cachots, un dans le mur oriental du couloir des voûtes les Deux Jumeaux au sud et tout auprès un quatrième dit le Corps de garde. On voyait nettement, à cette époque, la trace de deux escaliers qui servaient à monter au Plomb du Four.