ESSAI SUR LE CARACTÈRE ET LE RÔLE HISTORIQUE D’ALEXANDRE LE GRAND

 

A. DUMÉRIL

 

 

M. Renan dit quelque part[1] : Si je disposais de plusieurs vies, j’emploierais l’une à écrire une histoire d’Alexandre, une autre à écrire une histoire d’Athènes, une troisième à écrire, soit une histoire de la Révolution française, soit une histoire de l’ordre de Saint-François. Ce sont assurément des sujets variés. Aucun d’entre eux, du reste, ne conviendrait à ma faiblesse. Je ne me propose donc pas de faire une nouvelle histoire d’Alexandre. Je voudrais pourtant porter un jugement sur ce personnage tant admiré de notre temps même par des historiens distingués, tandis que d’autres ont porté sur lui un jugement plus sévère.

Un mot d’abord sur le fondement sur lequel repose notre manière de juger.

On a vu, de nos jours, un homme d’État de notre pays, faisant bon marché de l’égalité des créatures humaines, proclamée d’abord par le Christianisme et ensuite par la Révolution française, affirmer l’existence de races inférieures dont le devoir est de vivre dans la sujétion ou, pour mieux dire, dans la servitude des races privilégiées. Il serait aussi naturel, dans l’opinion de plusieurs écrivains de notre temps, que dans ces races privilégiées elles-mêmes le Jus abutendi appartint aux personnages placés à la tète des sociétés, quand ces personnages sont des hommes de génie. Et, dans les études récentes que j’ai faites sur Alexandre, j’ai vu, au moins trois ou quatre fois répétés par des historiens anglais, français ou allemands, comme une justification de certains de ses actes qui me révoltaient, les mots suivants d’Aristote : Si quelqu’un se signale par une habileté tellement supérieure que l’habileté et l’influence politiques des autres ne puissent se comparer aux siennes, ce serait commettre une injustice envers celui dont l’habileté et l’influence sont tellement inégales que le placer sur un pied d’égalité avec les autres. Un tel individu serait un Dieu entre les hommes. Il résulte de là que la législation ne s’applique qu’à ceux qui sont égaux en naissance et en force, mais pour les hommes supérieurs il n’y a pas de loi ; eux-mêmes sont la loi ; qui voudrait pour eux établir des lois deviendrait pour eux ridicule ; ils répondraient peut-être comme les lions dans Antisthène, lorsque les lièvres, dans l’assemblée des animaux, font un discours pour demander que tous reçoivent une part égale[2]. Donc il est naturel que les peuples soient en présence de ces hommes de génie comme les lièvres en présence des lions.

Vous leur fîtes, Seigneur,

En les croquant, beaucoup d’honneur.

Je n’ai jamais pu et ne puis partager cette manière de voir, et les Alexandre, les César, les Napoléon, dignes d’éloges peut-être peur certain actes particuliers, m’ont toujours paru mériter, pour l’ensemble de leurs actes, un jugement sévère. Mais le premier doit seul nous occuper aujourd’hui. Et, pour restreindre un peu mon sujet, tout en me laissant aller à mentionner et à discuter les jugements d’autres historiens sur certains actes du héros macédonien, je m’attacherai principalement, dans ce mémoire, à l’examen du chapitre de l’histoire de la Grèce qu’un de nos meilleurs historiens, M. Duruy, lui a consacré.

La dernière édition, en trois volumes, en a paru en 1887-1889. La première, en un seul volume, avait paru en 1851[3]. Quelques changements se sont accomplis depuis dans l’opinion de l’auteur sur Alexandre. M. Duruy a rabattu quelque chose de l’admiration presque sans mélange que lui inspirait le vainqueur d’Arbelles. Il en reste trop encore, suivant moi, dans l’édition de 1889, bien que nous puissions compter l’historien français parmi les modérés, en le comparant à certains autres écrivains modernes que j’aurai l’occasion de citer[4].

C’est que, dans l’intervalle, a paru l’histoire de Grote, dont la première édition anglaise a été terminée en 1856. Grote est un admirateur passionné d’Athènes, trop passionné, suivant moi. Il a accepté la tâche ingrate de réhabiliter Cléon, approuvé l’exil de Thucydide, plaidé tout au moins les circonstances atténuantes en faveur de ceux qui condamnèrent Socrate à boire la ciguë. Par contre, il fait d’Alexandre un portrait qui n’est nullement flatté. Le fils de Philippe et d’Olympias y est peint sous les couleurs les plus sombres. Les traits odieux sont en relief ; les autres apparaissent peu. Les qualités séduisantes par lesquelles le héros macédonien conquit tant de cœurs, la grandeur de ses projets que les historiens nous révèlent, cette curiosité ardente, cet esprit d’investigation universelle qui réunissait entre les mains d’un Aristote d’immenses collections, qui faisait explorer par Néarque une partie de l’Océan indien, envoyait d’autres navigateurs le long de l’Arabie et s’inquiétait de savoir si la met- Caspienne était une mer ouverte ou un simple lac, tout cela est ou négligé ou compté à peu près pour rien par l’honorable historien. Alexandre est, à ses yeux, un foudre de guerre, le plus grand génie militaire de l’antiquité : rien de moins, mais rien de plus. Ses colonies, dont on lui fait tant d’honneur, n’étaient que des postes militaires, destinés à tenir en bride des pays conquis. Ce sont ses successeurs seuls qui ont fait de ces colonies des centres de civilisation hellénique. La seule Alexandrie était placée dans une région accessible à l’émigration grecque. Encore aurait-elle végété si une dynastie grecque particulière ne s’était établie en Égypte. La royauté d’Alexandre n’aurait guère différé de celle de Cyrus ou de Darius. Car chaque jour les traditions persanes prenaient sur lui plus d’empire. Aussi étaient-elles les mieux appropriées à ce fond d’orgueil qui faisait le trait dominant de sa nature. Cet orgueil, qui d’abord l’avait rendu indifférent à tout sentiment national, le porta ensuite à prendre les rois de Perse pour modèles. L’administration des satrapes fut conservée. Elle devint même pire, car le prince était plus éloigné et, tandis qu’il visait seulement à promener dans tout l’Univers son irrésistible ambition, les provinces soumises à son empire étaient horriblement ravagées par ceux qu’il en avait constitués les gardiens ; quelques exemples, à l’orientale, donnés d’une manière capricieuse et sans que le châtiment atteignît toujours les plus coupables, ne suffisaient nullement pour remettre les choses en meilleure voie. Au contraire, la tyrannie des gouverneurs allait croissant et elle se serait augmentée de jour en jour s’il eût vécu plus longtemps.

Tel est, dans son ensemble, le jugement de l’historien anglais sur Alexandre[5].

Sur certains points, tout au moins, nous ne sommes pas disposés à juger le prince macédonien aussi sévèrement que Grote.

Parmi les faits qu’il cite il y en a que l’on peut juger diversement. Des punitions de satrapes dont il a conclu que l’Asie était devenue une proie pour les préfets royaux, ce qui peut avoir quelque fondement, d’autres en ont tiré cette conclusion qu’une justice plus sévère présidait à l’administration. Les peuples, dit Droysen, purent se convaincre que réellement le roi était leur protecteur et que sa volonté n’était pas qu’ils fussent traités comme des valets[6]. On pourra opposer, il est vrai, quelques exemples de ces malfaiteurs épargnés contre toute justice. Nous y reviendrons clans un autre moment. Il nous suffit d’avoir constaté ici que sur certains points il y a place pour des explications contraires. Sur d’autres, on peut se livrer à des conjectures diverses. Tenons-nous en à ce qui est incontestable. En laissant de côté les hypothèses, nous reconnaîtrons que Grote n’a pas tenu assez compte de certains plans d’Alexandre attestés par des historiens qui ne lui sont pas tous également favorables. Mais, en somme, il me parait s’être beaucoup moins écarté de la vérité que les apologistes de ce prince, tels que Droysen qui affirme que le conquérant macédonien avait développé la royauté clans un sens vraiment hellénistique, tel aussi que M. Duruy, même dans l’édition de 1889 où les éloges sont plus mitigés, sur ses tendances et sur les résultats qu’aurait eus pour l’Asie sa longue domination.

Il y avait, dans Alexandre, dès les premiers temps, un orgueil incompatible avec cette espèce de modération qui seule eût pu conserver aux Grecs quelques-uns des avantages de la liberté, tout en leur imposant une tutelle devenue nécessaire. Son père Philippe n’aurait peut-être pas manqué de cette modération. Mais Alexandre était le fils d’Olympias plutôt que de Philippe. Deux natures hautaines et violentes s’accordent mal ensemble, malgré leur similitude[7]. Alexandre, après avoir montré pour sa mère une préférence telle qu’on le soupçonna de n’avoir pas été étranger au meurtre de son père, la trouva trop exigeante et commença à ressentir pour elle de l’aversion. Il disait qu’elle lui faisait payer cher le loyer de l’hospitalité qu’elle lui avait donnée pendant neuf mois dans son sein. Il ne pouvait répudier sa mère et se dire fils d’une déesse. Mais, par vanité plus encore que par haine contre Philippe, il renia ce dernier. Il lui devait sa grandeur et néanmoins il affectait de le mépriser. Les vieux compagnons d’armes de cet habile monarque en furent transportés d’indignation. La mort de Parménion et celle de Clitus n’eurent probablement pas d’autre cause. Il lui importait peu de donner à croire que sa mère avait manqué de fidélité conjugale et qu’elle avait été répudiée justement, pourvu que l’auteur de sa naissance fût supposé un être supérieur à la race humaine. Se faire regarder au moins comme un demi-dieu, fils d’un dieu, par les Grecs aussi bien que par les Barbares, fut une de ses préoccupations constantes. Peut-être était-ce même à ses yeux un devoir royal[8]. De là résultait pour lui une disposition moins douteuse à adopter les idées politiques de l’Orient lorsqu’il en serait le maître. Pour égaler, sinon pour surpasser, les prétentions d’un Xerxès, il ne lui manquait que de régner sur un empire aussi vaste et de trouver chez ses sujets le même penchant à l’adulation. Il y avait entre ces deux princes une grande différence d’intelligence. Mais leur enivrement fut égal. Pour l’un comme pour l’autre la passion du moment était presque l’unique mobile.

La cruauté d’Alexandre dépassa même celle de Xerxès. Une foule d’actes sanglants signalèrent son règne. Le massacre d’Amyntas, son cousin, et celui des parents de la dernière épouse de Philippe, Cléopâtre, en furent le prélude avec la ruine de Thèbes. Depuis, sa cruauté alla s’augmentant. Tyr, qui lui avait offert une couronne d’or et s’était déclarée prête à lui prêter les mêmes hommages qu’aux grands rois, devint l’objet de sa colère parce qu’elle refusa de lui permettre d’entrer dans ses murs pour y sacrifier à Hercule[9]. Il l’assiégea et perdit devant ses murailles plusieurs mois, donnant ainsi à Darius un répit dont un prince moins indolent aurait pu profiter pour relever ses affaires. Irrité, il la noya dans le sang de ses habitants, lorsqu’elle fut prise[10]. A Gaza, pour punir l’eunuque Bétis, qui lui avait résisté avec autant d’habileté que de valeur, il lui fit percer les pieds, comme Achille l’avait fait, disait-on, à Hector, l’attacha par des courroies à un char et le traîna vivant autour des murailles de la ville[11]. Je passe sous silence l’incendie de Persépolis, excusé ou loué par Droysen (t. I, p. 361 de la trad. Bouché-Leclercq).

D’après Sainte-Croix[12] une partie du palais des rois de Perse aurait été seule brûlée. Plutarque nous dit d’ailleurs qu’Alexandre se repentit ensuite et ordonna d’éteindre le feu. Mais bientôt le droit des gens, les promesses solennelles elles-mêmes ne furent plus une garantie pour ceux que sa fureur ou son intérêt présumé lui désignait comme victimes. Les Indiens lui avaient causé quelques pertes par leurs attaques réitérées. Il les assiégea dans une forteresse où ils s’étaient réfugiés. Un accord fut conclu par lequel ils devaient la livrer et avoir la vie sauve. Mais lorsqu’ils se retirèrent il se jeta sur eux et les fit passer au fil de l’épée[13].

Le massacre des Branchides en Bactriane est plus horrible encore. Mais nous nous réservons d’en parler plus tard. — Ses compagnons d’armes les plus dévoués, ceux qui lui avaient rendu les plus grands services, couraient les plus grands risques s’ils avaient le malheur de lui déplaire. Qui ne connaît le sort malheureux de Philotas, de Parménion, de Clitus, de Callisthène ? Le meurtre de Clitus est le plus excusable parce qu’il l’accomplit dans l’ivresse et qu’il en manifesta des regrets. Pour les trois autres, pour celui de Parménion tout au moins, il est difficile de trouver aucune circonstance atténuante. Arrien lui-même, le grand apologiste du prince macédonien, l’avoue un moment, mais bientôt il cherche à l’excuser au moins jusqu’à un certain point : Peut-être, dit-il, ne parut-il pas vraisemblable à Alexandre que le général eût ignoré les projets de son fils ou regardait-il comme dangereux de le laisser vivre après lui[14]. Il répugnait si peu au prince macédonien de verser le sang qu’il remplit de ses mains l’office de bourreau. Un de ses courtisans, nommé Ménandre, qu’il avait nommé commandant d’une forteresse, n’ayant pas voulu y rester, il le condamna à mort et exécuta lui-même l’arrêt fatal[15].

Voici comment il procédait avec ses amis, alors qu’il ne leur retirait pas ses bonnes grâces. Dans un moment où il avait besoin d’argent, il demanda 300 talents à Eumène. Celui-ci en offrit 100, feignant de ne pas avoir à sa disposition une somme aussi forte. Alexandre refusa et ne montra aucun déplaisir. Mais il fit mettre le feu à la tente d’Eumène, afin de le convaincre de mensonge, lorsqu’il transporterait son argent. La tente fut brillée avant qu’on pût en rien retirer et Alexandre lui-même eut à regretter la destruction de papiers précieux dont il avait confié la garde à Eumène[16]. Le plus brutal, le plus forcené des despotes de l’Asie, un Cambyse, un Ochus, aurait-il agi autrement ?

Aussi inspirait-il à ceux qui avaient éprouvé son humeur fantasque ou ses soupçons des terreurs telles que le souvenir leur en demeura toujours. Un jour Cassandre, fils d’Antipater, ayant aperçu à Delphes une statue de ce terrible maître, en ressentit un tremblement tel qu’il resta quelque temps dans l’état d’un homme frappé de vertige[17]. Cassandre avait ses raisons pour cela, s’il est vrai, comme le rapporte Plutarque, que le roi de, Macédoine, irrité de ce qu’il s’était mis à rire, en présence des adorations prodiguées à ce prince par les barbares, l’avait pris à deux mains par les cheveux et lui avait frappé la tète contre la muraille voisine.

Il fallait remonter bien haut dans l’histoire de la Grèce pour trouver des exemples d’une nature aussi irritable, aussi étrangère à tout frein. Dans les temps héroïques seulement, il y en avait ou quelques spécimens affaiblis. Les Agamemnon, les Achille avaient appartenu à la même famille qu’Alexandre, s’ils avaient réellement existé. Alexandre, qui les regardait comme des personnages réels les prenait pour modèles. Il avait. une vénération singulière pour Achille, son ancêtre par sa mère Olympias, disait-on. Il visait, avant toute chose, à le reproduire dans des proportions gigantesques. De quelques remarquables qualités d’esprit qu’il fût doué, quelques notions qu’il eût puisées dans les entretiens de son maître Aristote sur une foule de choses parfaitement inconnues au temps d’Homère, son idéal resta fixé dans cette Grèce légendaire, et peut être eût-il cru servir la cause de l’Hellénisme, en rétablissant dans les cités grecques ces royautés subordonnées au roi des rois dont la guerre de Troie présentait le spectacle. Le temps lui manqua pour s’occuper de l’organisation de la Grèce. Je ne sais s’il n’y aurait pas établi des satrapies, comme il en existait dans l’Empire perse, et s’il ne l’aurait pas rendue au régime du temps d’Agamemnon avec quelques variantes dans un sens despotique. Mais ici nous revenons aux hypothèses. Contentons-nous d’avoir montré que la défiance qu’il inspirait à tant d’illustres Grecs était parfaitement fondée. Elle se justifiera mieux encore par l’examen de ses errements administratifs et religieux.

Alexandre a peu vécu. Il a passé comme un météore, laissant après lui des conquêtes faites avec une rapidité foudroyante, quelques colonies fondées aux extrémités de son Empire et un petit nombre de projets grandioses, tels que la tradition en attribuait aux plus illustres des despotes de l’Orient, à un Ninus, à une Sémiramis. à un Néchao, à un Darius, fils d’Hystape. Aucun de ces projets n’avait pour objet le perfectionnement de l’homme et, si je puis m’exprimer ainsi, la partie morale de la civilisation. Tous ceux dont l’histoire lui fait honneur avaient été exécutés dans des proportions à peu près équivalentes par les grands souverains de l’Assyrie, de l’Égypte et de la Perse. Ils avaient fait sortir de terre des cités immenses, tourmenté la pierre, creusé des canaux, construit des routes de commerce, fait entreprendre des voyages de circumnavigation. Mais ils avaient réduit les hommes au rôle de machines animées, éteint en eux toute énergie individuelle, dégradé en un mot la nature humaine. Le règne d’Alexandre prolongé eût-il eu pour résultat de relever les Asiatiques de cette espèce de déchéance morale ou de mettre la Grèce au niveau de l’Asie demeurant dans son état ancien’ ? L’examen du caractère d’Alexandre a été peu favorable à la première supposition. Ceux de ses actes dans lesquels on peut voir l’indice d’un système de gouvernement seront-ils plus satisfaisants ?

Comme son règne fut presque tout entier rempli par une longue campagne militaire dont l’Orient fut le théâtre, il n’eut avec la Macédoine et la Grèce que des communications assez raies et la trace s’en est presque entièrement perdue. La Macédoine et la Grèce se personnifièrent pour lui dans son armée, bientôt composée d’hommes des deux nations. Les Macédoniens n’avaient jamais connu la liberté politique au même degré que les Grecs. Mais l’aristocratie militaire, qui avait quelquefois annulé chez eux la royauté et qui, sous le règne de Philippe, était devenue son plus ferme appui, avait avec le souverain ses libres allures. Elle lui servait de conseil et elle était habituée, ce semble, à voir ses avis pris en sérieuse considération. Ce fut pour Alexandre un sujet de vive et perpétuelle irritation, d’autant plus qu’il n’osait rompre avec cette habitude si déplaisante pour lui d’une manière ouverte. Parménion, le plus expérimenté des généraux de Philippe, était probablement l’organe ordinaire des sentiments des autres généraux. De là la haine qu’il lui voua, haine qui eut un dénouement si terrible. Elle apparaît d’abord par quelques mots amers que l’histoire répète sans les comprendre. Puis elle éclate et donne lieu à un crime. A ces allures qui le blessent Alexandre veut substituer l’étiquette, le cérémonial, les formes d’adoration usités dans les cours orientales. Ceux qui ne se prêtent pas à ses volontés encourent sa colère[18], témoin Callisthène. Le discours qu’Arrien lui prête, lorsqu’il refuse de s’incliner devant Alexandre comme devant une divinité n’a rien d’outrageant pour ce prince. Il est ferme, mais respectueux. Callisthène fait d’Alexandre un homme, mais le premier des hommes, le plus grand des souverains, le plus illustre des capitaines : ce qui n’empêche pas Arrien de blâmer le philosophe de sa rudesse aussi intempestive qu’imprudente[19]. A l’en croire, Callisthène aurait par là presque mérité le sort funeste qui devait lui être infligé. Je n’insisterai point sur les fautes d’Alexandre, dit l’écrivain contemporain d’Adrien ; mais je ne puis applaudir à ce que la philosophie de Callisthène eut d’excessif. Il suffit dans ces circonstances de se renfermer clans la modération ; pour être utile à un prince il faut savoir le ménager. La haine d’Alexandre contre Callisthène paraît justifiée par la rudesse de la franchise et de la vanité qu’il déploya à contre temps. De là cette promptitude du prince à croire aux délateurs qui accusaient Callisthène d’avoir pris part à la conjuration formée contre lui par les adolescents attachés à son service. On allait jusqu’à accuser le philosophe de les avoir excités[20]. Je cite ce passage pour donner une idée de la partialité d’un écrivain qu’on se plaît à regarder aujourd’hui comme le seul auteur digne de foi quand il s’agit d’Alexandre et dont le silence est compté comme une preuve irrécusable en faveur du conquérant macédonien, alors même que les témoignages des autres historiens s’unissent pour l’accuser. S’il y a des fables dans Quinte-Curce, il y a dans Arrien beaucoup de réticences[21]. Plutarque, qui tient le milieu entre les deux, est peut-être en somme, celui dont l’autorité a le plus de poids, en l’absence de toute histoire complète et fidèle. Cet historien, que M. Jurien de la Gravière appelle le crédule Plutarque, a le mérite, au moins, de citer le pour et le contre.

Alexandre ne réussit pas à donner à son armée l’esprit qu’il souhaitait. Il songea alors à la remplacer par des troupes persanes. De jeunes asiatiques, levés et disciplinés par ses ordres, instruits dans l’art militaire des Grecs, vinrent le joindre, au nombre de trente mille, dans sa marche de Suse à Babylone. Ce fut l’origine d’une émeute des soldats grecs et macédoniens. Elle fut apaisée. Une partie considérable de ces soldats obtinrent leur congé avec des gratifications considérables. Des instruments dociles devaient ainsi succéder à ces forces militaires moins maniables avec lesquelles il avait remporté tant de victoires. Qu’en fût-il résulté pour la Grèce ? Mais c’était, dira-t-on, élever les vaincus au niveau des vainqueurs. Telle est l’opinion de M. Duruy et, par cette considération, Alexandre lui paraît parfaitement justifiable d’avoir introduit les procédés de l’Orient parmi les Grecs. Pour que je l’admisse il faudrait qu’on me montrât qu’avec une éducation militaire on eût donné à, ces jeunes Persans quelques-unes des idées libérales qui prévalaient en Grèce. Rien ne le prouve et tout fait supposer le contraire, car les doctrines orientales étaient hautement préconisées par ceux qu’Alexandre honorait d’une faveur spéciale. Anaxarque d’Abdère avait obtenu ses bonnes grâces, en lui disant un jour : Pourquoi as-tu remporté tant de victoires ? Est-ce pour commander, pour régner en maître ou pour te laisser maîtriser par une vaine opinion ? La justice et Thémis sont assises a côté de Jupiter, disent les sages. Donc la volonté des Dieux est toujours juste et la volonté des rois ressemble à celle des Dieux[22]. C’était bien là la manière de voir que l’habitude d’obéir à des gouvernements despotiques avait inculquée aux Orientaux. Et les juges de Perse, auxquels Cambyse demanda, un jour, s’il pouvait épouser sa sœur, s’étaient fondés, pour l’y autoriser, sur le principe même qu’alléguait Anaxarque. Il y a chez les Perses, disaient-ils, une loi qui défend de tels mariages ; mais il y en a une autre qui permet au prince de faire tout ce qui lui plaira. Les lois sont faites pour régir les peuples. Les rois sont faits pour donner des lois aux autres sans être assujettis à aucune. Avec de tels principes un souverain cherchera-t-il à faire de ses sujets autre chose que des esclaves ?

Les Grecs ne pourraient pas être cités comme des exemples d’humanité. Ils faisaient trop bon marché de la vie de leurs semblables. Mais ces supplices raffinés dans lesquels se complaisaient les Orientaux, les mutilations d’hommes libres, les questions judiciaires paraissent leur avoir été inconnus pendant la période brillante de leur histoire. Le triste honneur de les avoir mis ou remis en honneur parmi eux appartient, je crois, à Alexandre. Quand, après sa mort, l’infanterie eut proclamé roi son frère Arrhidée, Perdiccas, irrité, se fit livrer les chefs de ceux qui avaient fait cette proclamation et les fit périr d’un supplice tout oriental. Des éléphants les écrasèrent sous leurs pieds[23]. Alexandre, au lieu de corriger la législation asiatique par les coutumes plus douces des Grecs, avait appliqué cette législation aux Grecs aussi bien qu’aux Barbares. Les raffinements de supplice ne lui déplaisaient pas. On coupa, par son ordre, le nez et les oreilles à Bessus avant de l’écarteler[24]. Arrien lui-même se croit obligé de manifester sa désapprobation par quelques mots : Je suis loin, dit-il, d’approuver cette vengeance horrible, cette mutilation atroce, à laquelle Alexandre ne se fût jamais porté s’il n’y eût été entraîné par l’exemple des souverains mèdes, perses ou autres barbares. Cette réflexion est remarquable. Elle nous apprend d’où sont venues ces mutilations dont les Empereurs byzantins se sont montrés plus tard si prodigues. Le médecin d’Héphestion, qui n’avait pu le guérir, fut mis en croix. C’était encore un supplice oriental. Et combien il avait été peu mérité[25] ! Pour faire avouer à Philotas la conspiration dont on le soupçonnait ou dont on feignait de le soupçonner, on le mit à la torture. Au milieu des tourments, il s’avoua coupable et même il dénonça son père Parménion. Ce succès encouragea Alexandre à employer fréquemment le même mode de procédure. Hermolaüs, ses complices et Callisthène furent traités comme l’avait été Philotas. Suivant Justin, qui n’est pas, il est vrai, une grande autorité, Alexandre, avant de faire mourir Callisthène, aurait ordonné qu’on lui coupât le nez et les oreilles, puis qu’on l’enfermât dans une cage de fer avec un chien. Il ajouta que Lysimaque, ami du philosophe, aurait été exposé à un lion furieux. Mais ce lion aurait été étouffé par Lysimaque[26]. Au retour de son expédition dans les Indes, Alexandre apprit que le tombeau de Cyrus avait été pillé. Il suspecta les Mages chargés de le garder de n’avoir pas été étrangers au vol. Aussitôt, sans autre indice, il les fit mettre à la torture. Il n’en obtint néanmoins aucune révélation et ces malheureux furent immédiatement remis en liberté.

L’appareil des tortures, transporté de l’Orient dans le camp d’Alexandre, devait bientôt passer de ce camp dans la Grèce. Plusieurs Athéniens, nous dit Plutarque (Vie de Phocion, 35), demandèrent qu’on torturât Phocion avant de le faire mourir, soit pour ajouter à son châtiment, soit pour lui arracher des aveux (le texte de Plutarque à ce sujet n’est pas bien clair). Déjà, ajoute l’écrivain, ils commandaient d’apporter la roue et de faire venir les exécuteurs, lorsque le principal accusateur, Agonidès, s’opposa vivement à l’insertion de cette motion clans le décret. Phocion en fut quitte pour la mort simple, more majorum. Il but la ciguë à la manière de Socrate.

Un des usages barbares de l’Orient c’était (le faire payer par les enfants la faute des pères. Chez les Juifs eux-mêmes, Dieu punit les enfants jusqu’à la troisième et à la quatrième génération. Au contraire Platon, dans son livre des Lois, proclame que les fautes sont purement personnelles, et en cela il était d’accord avec la coutume des Grecs. La trahison de Pausanias n’empêcha pas son fils Plistoanax de monter sur le trône de, Sparte. La famille de Socrate demeura paisiblement à Athènes après que le grand philosophe eût été condamné à mort comme impie et sacrilège. Mais Alexandre partageait les idées de l’Orient[27]. Les crimes des ancêtres devaient retomber sur les descendants. C’était un acte juste que de poursuivre, même après plusieurs siècles, la vengeance des Dieux sur une famille une fois coupable. Ici se place un drame épouvantable auquel nous avons déjà fait allusion. Arrien n’en parle pas ; mais Quinte-Curce, Plutarque (De sera numinis vindicta), Strabon (liv. XI) en font mention et la table de matières du livre XVII de Diodore de Sicile, aujourd’hui perdu, montre qu’il le racontait aussi.

Les Branchides, autrefois gardiens du temple d’Apollon près de Milet, avaient livré à Xerxès les trésors de ce temple à l’époque des guerres médiques. La haine publique que cet acte de lâcheté, qualifié de sacrilège, leur suscita, les obligea plus tard à s’exiler. Xerxès leur assigna pour séjour un canton de la Sogdiane. Leurs arrière-petits-fils l’occupaient encore au temps d’Alexandre, parlant la langue grecque, ayant conservé un souvenir mêlé d’affection pour leur ancienne patrie. Quand ils apprirent l’arrivée du prince macédonien, ils vinrent au-devant de lui avec joie ; ils lui offrirent ce qu’ils possédaient. Alexandre, apprenant qui ils étaient, remit d’abord leur sort entre les mains des Milésiens de son armée. Ceux-ci ne voulurent point prononcer une sentence cruelle contre les descendants d’anciens concitoyens, parfaitement innocents des fautes de leurs pères. Alexandre s’en chargea pour eux. En conséquence, il fit environner les Branchides d’un cordon de troupes et donna l’ordre d’un massacre général. Hommes, femmes, enfants, tout fut égorgé. Les murailles de la petite cité furent rasées, les bois sacrés coupés, toute la campagne aux alentours offrit l’aspect d’un désert. Ici ce n’était ni l’orgueil, ni la passion, ni la politique qui dictaient au vainqueur de Darius un ordre révoltant. Il croyait accomplir un grand acte de justice. Le massacre des Branchides n’en est que plus remarquable. Nous y voyons une preuve significative de l’affinité des tendances d’Alexandre et des despotes de l’Orient dans les choses même où sa personnalité habituelle n’exerçait sur son esprit que très peu d’influence[28].

Son administration fut celle des anciens rois de l’Asie. Ici les anciens satrapes furent maintenus ; ailleurs, ses officiers furent érigés en satrapes. Ils purent gouverner arbitrairement et ils ne furent responsables qu’envers lui[29]. J’ai déjà parlé de leurs violences et de leurs rapines. J’ai dit aussi les punitions cruelles qu’il infligea à certains d’entre eux et les conclusions favorables à sa gloire qu’en tirent ses admirateurs. J’accepterais ces conclusions, si l’on ne pouvait prouver par sa conduite en telle ou telle occasion que le tort de lui déplaire était, à ses yeux, infiniment plus grand que celui de tyranniser les peules. Parmi tous ces satrapes, Cléomène, gouverneur de l’Égypte, était peut-être celui qui avait le plus tourmenté sa province. Sainte-Croix[30] cite à ce sujet les faits suivants empruntés par lui aux Économiques d’Aristote. Un de ses esclaves ayant été dévoré par un crocodile, il fit venir les prêtres égyptiens et leur ordonna de détruire tous les animaux de cette espèce. Ils ne purent faire supprimer cet ordre absurde qu’en donnant tout l’argent qu’ils possédaient. Une autre fois, il leur signifia que son dessein était de diminuer le nombre des temples et celui des personnes qui en étaient les ministres. Pour éviter une pareille réduction, ces mêmes prêtres furent obligés de faire le sacrifice de leurs propres biens et de tous les trésors sacrés. La cupidité de Cléomène ne se borna pas à ce genre de vexations. La famine se faisant sentir en Égypte, il n’y permit l’importation des blés qu’à prix d’argent, les accapara lui-même, obligea les marchands de les lui rendre 10 drachmes la mesure et les vendit ensuite 32 drachmes aux malheureux Égyptiens. Il amassa pour lui-même un trésor de 8.000 talents que Ptolémée confisqua[31]. Ptolémée employa cette somme à améliorer la situation du pays[32]. Alexandre était instruit de tout cela et pourtant il le maintenait.

Arrien cite une lettre curieuse écrite par ce prince au satrape après la mort d’Héphestion. Il lui commandait d’ériger deux temples au favori, l’un dans Alexandrie, l’autre dans l’île de Pharos, et il ajoutait : Si je trouve, à mon arrivée, ces temples élevés dans l’Égypte, non seulement je te pardonnerai tous les méfaits passés, mais encore tu pourras commettre à ton aise tous ceux qu’il te plaira (VII, 23, 8). L’apologiste grec d’Alexandre est, encore cette fois, obliger de prononcer quelques paroles sévères, tout en faisant la part des entraînements auxquels donne lieu l’amitié[33]. Il avoue d’ailleurs, dans un autre endroit (VII, 4, 3), que les rigueurs dont certains gouverneurs furent l’objet n’étaient pas plus méritées que cette indulgence à l’égard d’un serviteur infidèle, oppresseur des Égyptiens. Alexandre, dit-il, trop empressé à recueillir les délations, punit du dernier supplice les fautes les plus légères des satrapes sur la pensée que les coupables avaient projeté d’en commettre de plus grandes. Ce n’est pas ainsi qu’on réforme les abus d’une administration vicieuse, et l’Asie n’avait guère gagné à ne plus avoir les grands rois pour maîtres.

Il est vrai qu’une extrême prodigalité succéda à l’avarice des monarques persans. Parmi les principaux titres d’Alexandre à une gloire durable, M. Duruy fait valoir l’industrie vivement sollicitée par ces immenses trésors, autrefois stériles, maintenant jetés dans la circulation par la main prodigue du conquérant[34]. Très prodigue, en effet, comme on va le voir. Un bon emploi de ces trésors eût été certainement louable. Mais est-ce celui qu’en fit Alexandre ?

Un jour, il annonça aux soldats qu’il paierait les dettes de tous ceux d’entre eux qui en avaient. Ils crurent que cette promesse cachait un piège, qu’il voulait seulement savoir quels étaient ceux qui avaient dépensé au-delà de leurs ressources. Tout le monde resta muet. Il en fut très mortifié et, voulant montrer qu’il était sincère, il fit dresser des tables chargées d’or. On invita, en son nom, les créanciers des soldats à s’y présenter avec les obligations que ceux-ci avaient souscrites. On les acquitterait immédiatement, sans même lire le nom des souscripteurs. Il y eut, cette fois, affluence et 20.000 talents furent comptés à la foule des réclamants. Combien il dut y avoir de fraudes[35] et quel stimulant à la débauche dans ces largesses imprudentes[36] !

En Carmanie, si nous en croyons Plutarque, l’armée d’Alexandre donna, pendant sept jours, l’exemple d’une bacchanale continuelle. Porté sur une estrade de forme carrée qu’on avait placée sur un chariot fort élevé, traîné par huit chevaux, Alexandre passait le jour et la nuit en festins. Une foule de chariots s’avançaient à la suite les uns des autres, couverts de tapis de pourpre ou d’étoffes de diverses couleurs ou ombragés de rameaux verts qu’on renouvelait à tous les moments et qui portaient le reste de ses amis et de ses capitaines couronnés de fleurs et passant leur temps à boire. Vous n’eussiez vu dans ce cortège ni bouclier, ni casque, ni lance. Le chemin était couvert de soldats armés de flacons, de tasses et de coupes, puisant sans cesse du vin dans des cratères ou dans des coupes et se portant les santés les uns des autres, soit en continuant leur route, soit assis à des tables dressées le long du chemin. Tout retentissait du son des pipeaux et des flûtes, du bruit des chansons, des accords de la lyre, des danses frénétiques menées par des femmes. Toute la licence des Bacchanales éclatait dans ces jeux ; on eût dit que Bacchus présidait en personne cette orgie[37]. Il s’agissait, en effet, d’imiter Bacchus. Mais n’aurait-il pas, à tout prendre, mieux valu laisser dormir à Babylone ou à Persépolis, dans les coffres royaux, les trésors des monarques persans que de les consacrer à de pareilles saturnales ?

M. Duruy loue aussi Alexandre d’avoir mêlé, confondu les peuples, les idées, les religions dans une unité grandiose d’où une nouvelle civilisation devait sortir[38]. Ici encore nous ne pouvons nous accorder avec l’éminent historien.

La fusion est désirable, mais non toute fusion. Mêler ce qui est impur avec ce qui est pur, c’est mériter le blâme et non pas l’éloge. Les rois de Macédoine avaient pratiqué quelquefois la polygamie. Alexandre donna à cette triste coutume de ses ancêtres une nouvelle consécration. Il avait déjà épousé Roxane dont il eut un fils posthume ; il prit aussi solennellement pour épouses Statira, fille de Darius, et Parysatis, fille d’Ochus, afin de réunir dans sa lignée les maisons royales des Achéménides et du vaincu d’Arbelles. M. Duruy voit dans ces mariages un effort pour avancer l’union des Perses et de leurs ennemis. Malgré son exemple et ses efforts dit-il (p. 309), l’union des deux peuples (les sujets de l’Empire persan étaient-ils un seul peuple ?) n’avançait pas. Il avait déjà pris pour épouse Roxane, il épousa encore Barsine, fille aînée de Darius. Ce serait donc encore un sacrifice dont il faudrait tenir compte à cet homme plein d’abnégation, ou tout au moins ce serait un acte dicté par une saine politique. Nous ne l’admettons pas.

La polygamie des princes, là où elle règne, n’a guère servi qu’à allumer des guerres civiles à moins que le fratricide n’empêche le désordre. Pyrrhus, qui eut plusieurs femmes, le comprenait probablement ainsi lorsqu’il déclara qu’il laisserait son trône à celui de ses enfants dont le fer serait le mieux aiguisé, parole qui, dit Plutarque[39], ne diffère pas de l’imprécation dramatique : Que le fer aiguisé décide entre les deux frères de la possession de l’héritage.

Le jour où Alexandre épousa Statira, quatre-vingts de ses officiers furent mariés à des femmes asiatiques, avec les cérémonies usitées parmi les Perses et dix mille Macédoniens ou Grecs contractèrent ensuite, à son instigation. de semblables mariages. Plusieurs avaient certainement déjà des épouses grecques[40]. Justin[41] dit qu’Alexandre, en encourageant ces mariages, voulait se donner des complices afin que son propre crime parût moindre (ut commini facto crimen regis levaretur). Par ce mot crimen il désigne sans doute la polygamie de ce prince déjà marié à Roxane. Napoléon, lui, eût trouvé la chose toute naturelle, la polygamie, suivant lui, étant défendue en Occident et naturelle en Orient[42]. Disons d’ailleurs que les fêtes nuptiales furent célébrées par le prince macédonien et ses courtisans au milieu d’une pompe infinie. Elles émerveillent l’auteur de la Fortune d’Alexandre. Pour les célébrer l’honnête écrivain prend un ton presque lyrique[43]. Pour moi, je l’avoue, je crains fort que ces mariages n’aient été le commencement d’une nouvelle et fâcheuse époque clans l’histoire des institutions domestiques de la Grèce. La polygamie orientale y prit pied au moins chez les princes. I1 est vrai qu’elle disparut ensuite de nouveau de cette contrée et même de l’Asie mineure. Ne se serait-elle pas plutôt étendue si la domination romaine n’était bientôt venue détruire l’œuvre d’Alexandre ?

Une autre manière d’opérer la fusion de races, où l’on reconnaît mieux encore le despote oriental, devait tare la translation d’une partie des Grecs en Asie et des Asiatiques en Grèce. Philippe avait usé, une fois au moins, dans son royaume, de ce procédé tyrannique. De même que les bergers font passer leurs troupeaux de leurs pâturages d’hiver dans leurs pâturages d’été, dit Justin (VIII, 5), de même ce prince, au gré de son caprice, remplissait d’habitants ou convertissait en déserts, les divers lieux de son royaume. C’était un déplorable spectacle, semblable à celui que donne une ville prise. On n’avait pas d’ennemi à craindre. Des bandes armées ne parcouraient point la ville condamnée au dépeuplement. On n’entendait pas le bruit des armes. Il n’y avait point de pillage et de massacre. Ce qui dominait c’était une tristesse et un deuil silencieux. On craignait que les larmes ne fussent regardées comme une protestation. L’effort que chacun faisait pour dissimuler sa douleur l’augmentait et moins on osait la faire éclater, plus elle était profonde. Les malheureux exilés jetaient un regard, tantôt sur les tombeaux de leurs pères, tantôt sur la maison où ils étaient nés et où étaient leurs enfants. Ils se lamentaient d’avoir vécu jusqu’alors et ils plaignaient leurs fils de n’être pas nés plus tard. C’était là peu de chose en comparaison du projet qu’avait formé Alexandre.

On trouva, à sa mort, s’il faut en croire Diodore (XVIII, 4), un plan pour la transportation en masse d’habitants de l’Europe sur le sol asiatique, tandis qu’ils auraient été, remplacés par des colons venus de l’Asie dans leurs anciennes demeures. Il est évident qu’une telle émigration n’aurait pas été volontaire. Cratère, qui devait l’accomplir, aurait dei employer la force. Ne nous étonnons donc pas de l’espèce de soulagement qu’éprouva la Grèce lorsqu’elle apprit la mort de son prétendu généralissime. Combien de ces citoyens, obligés d’aller vivre sur les bords de l’Iaxarte ou de l’Indus, sous prétexte d’y devenir les civilisateurs de l’Orient, auraient eu à maudire cet esprit cosmopolite qui vaut à Alexandre le suffrage de tant d’historiens modernes[44] !

Quant aux religions, il est possible qu’Alexandre, peut-être sans système arrêté, tendît à les faire entrer dans un panthéon plus vaste que celui de la Grèce. Il a été sous ce rapport le prédécesseur des Romains. La superstition, l’orgueil et la politique concoururent également, à ce qu’il semble, à le faire entrer dans cette voie[45]. Sa mère Olympias avait toujours uni à des passions désordonnées, une dévotion crédule, ardente, emportée comme elle-même. Alexandre avait sucé cette, dévotion avec son lait et le scepticisme de son précepteur Aristote n’avait pas pénétré dans son âme. Lorsqu’il eut débarqué sur la cote d’Asie, un de ses premiers actes fut d’offrir des sacrifices aux mânes de Priam, parce que, d’après la légende, le vieux roi troyen avait péri égorgé, près de l’autel, son refuge, par Pyrrhus dont il se croyait le descendant. Plutarque nous raconte plusieurs traits de sa superstition. Arrien nous apprend qu’une devineresse, nommée Syra, avait ses entrées libres, jour et nuit, sous la tente de ce prince et qu’elle y demeurait même pendant son sommeil. Elle lui aurait sauvé la vie, à l’époque de la conspiration d’Hermolaüs, en le décidant à rester à table lorsque les conjurés l’attendaient, pour l’égorger, à la porte de sa chambre[46].

Mais si Alexandre adorait les Dieux, il s’adorait lui-même et lui-même surtout. Il proportionna, à ce qu’il semble, sa vénération pour eux à l’estime qu’ils paraissaient avoir pour lui. Quand ils l’adoptaient, il les adoptait à son tour. L’utilité de ce pacte d’alliance pour lui attirer le respect ou même l’affection de ses nouveaux sujets ne lui échappait pas non plus. C’était un nouveau stimulant pour le porter à se mettre d’accord avec les divinités des peuples vaincus.

Nous trouvons dans les historiens anciens, particulièrement dans Plutarque, une série d’anecdotes, plus ou moins authentiques, qui se rapportent aux relations d’Alexandre avec les Dieux, leurs oracles, leurs interprètes, etc., etc. Bien qu’une partie d’entre elles aient peut-être été forgées après coup, il ne faut pas les mépriser. Elles nous présentent Alexandre tel qu’il était réellement, car elles nous le montrent toutes sous le même jour. Ce jour est conforme à ce que nous disions tout à l’heure sur les motifs prédominants de sa manière d’être à l’égard des diverses religions.

En Grec fervent, il ne manque pas d’abord de consulter l’oracle de Delphes sur le succès de l’expédition qu’il va entreprendre en Asie. Mais il se trouve qu’on était alors dans un de ces jours néfastes où il n’était pas permis à la Pythie de rendre des oracles. Alexandre la prie néanmoins de venir au temple. Elle refuse ; il la saisit et la traîne de force vers le sanctuaire. Tu es invincible, mon fils, s’écrie-t-elle. Il accepte le mot comme une réponse de l’oracle et va terminer ses préparatifs[47]. — Lorsqu’il assiégeait Tyr, il se persuada que Melkarth, l’Hercule tyrien, qu’il confondait avec l’Hercule grec, promettait de lui livrer la ville. Plutarque joint à ce fait très vraisemblable le récit d’un songe où le prince macédonien aurait vu un Satyre qui, après avoir cherché à s’échapper, serait tombé entre ses mains. Il aurait consulté à ce sujet les devins qui, partageant en deux le mot Satyre σά τύρος, lui auraient annoncé que Tyr allait succomber bientôt par la volonté des Dieux. Tyr est à toi, lui auraient-ils dit[48]. — Le même Plutarque cite deux traditions qui avaient cours de son temps sur la déclaration que l’oracle d’ Ammon lui avait faite de son origine divine. D’après l’une, il aurait demandé à l’oracle s’il avait puni tous les meurtriers de son père Philippe et celui-ci lui aurait répondu qu’il devait le jour non à Philippe, mais à Jupiter. Suivant l’autre, la transformation d’Alexandre en héros, fils d’un Dieu, aurait eu lieu d’une manière beaucoup plus plaisante. Le grand prêtre, peu familier avec la langue grecque, voulant lui adresser le salut d’amitié, ώ παιδίον, ô mon enfant, se serait trompé sur la lettre finale. Au lieu du ν il aurait mis un ς et prononcé nos παΐ Διός, fils de Jupiter. Alexandre aurait affecté de prendre ce barbarisme comme une révélation de l’oracle[49]. Ce voyage au temple d’ Ammon fit certainement époque dans sa vie. Ses flatteurs eurent soin d’en orner le récit de détails merveilleux. Ptolémée parlait de deux dragons qui avaient guidé les Macédoniens à travers le désert. Aristobule remplaçait les dragons par deux corbeaux[50]. Callisthène joignit aux corbeaux des pluies miraculeuses et les deux corbeaux devinrent une troupe considérable de ces oiseaux sous la plume de ces historiens postérieurs qu’a suivis Plutarque. Ammon fut dès lors pour le prince macédonien le premier des oracles et le Dieu qu’on y adorait le premier des Dieux. La prédilection qu’il témoignait pour lui semble même avoir choqué vivement les Macédoniens et les grecs. Quand, peu avant son retour à Babylone, ses vieux compagnons d’armes, irrités du licenciement de quelques-uns d’entre eux, voulurent l’abandonner, leur cri général fut celui-ci : Nous voulons tous être congédiés. Que le Dieu dont il descend, que son Jupiter Ammon, combatte pour lui[51].

La faveur qu’il accorda au grand pontife israélite Jaddus, si l’on en croit Josèphe dans un passage, regardé d’ailleurs par plusieurs critiques comme une pure fable (Antiquités juives, liv. XI, ch. VIII), aurait été probablement déterminée par des raisons analogues à celles qui lui rendirent Ammon si cher. L’historien rapporte que, s’approchant de Jérusalem avec l’intention de faire un exemple terrible des Juifs, demeurés trop fidèles à la domination persane, il changea complètement de résolution, lorsqu’il eut vu le pontife, revêtu de ses ornements, qui venait lui rendre hommage, au milieu d’un nombreux cortège. Il aurait même alors donné au vieux prêtre les plus grandes marques de respect. Parménion se serait étonné et Alexandre lui aurait dit : Lorsque j’étais en Macédoine, un Dieu m’est apparu sous le costume que porte ce pontife et m’a prédit que je deviendrai maître de l’Asie. Josèphe ajoute que Jaddus montra au roi les livres de Daniel, où ses victoires sur les Perses étaient clairement prédites. Il y a dans ce récit tout au moins une partie légendaire. Ce qui en ressort avec clarté, c’est qu’Alexandre aurait cru trouver dans le Dieu des Juifs ou dans ses ministres les dispositions favorables à la grandeur qu’il réclamait des Dieux et des hommes. Ce n’était pas la politique seule qui pouvait le déterminer à épargner un petit peuple, perdu dans un coin de la Syrie, haï de ses voisins. Son amour-propre flatté et ce penchant à la dévotion qui lui était naturel durent avoir, dans ce cas, sur lui plus d’influence.

En Égypte, il rétablit dans son intégrité l’ancien culte, auquel Ochus avait porté de fortes atteintes. La caste sacerdotale y avait été constamment l’ennemie de la domination persane. Les grands rois avaient fini par se persuader que l’Égypte ne cesserait de se rebeller que lorsqu’elle aurait été forcée d’abandonner sa religion nationale. De là les insultes qu’ils prodiguèrent à celle-ci. Les temples des Dieux égyptiens furent profanés. Ochus imita Cambyse et même il fit plus. Il mangea le bœuf Apis, après l’avoir fait tuer. La restauration du culte égyptien fut de la part d’Alexandre un acte de bonne politique. Mais les Égyptiens reçurent plus tard l’ordre d’élever des temples à Éphestion. Un tel ordre s’accordait peu assurément avec le respect de leurs susceptibilités patriotiques et religieuses[52]. Le culte d’Éphestion était la préface du culte d’Alexandre., qu’il aurait imposé vraisemblablement, avec autant de violence que les Perses en avaient déployé contre la religion des Pharaons.

Alexandre donna ordre de rétablir le temple de Baal et les autres temples détruits par Xerxès à Babylone[53]. Il parait, d’après un passage assez obscur d’Arrien, qu’il destinait les Chaldéens à faire les frais des nouvelles constructions. Ceux-ci, très zélés sans doute pour Baal, mais plus zélés encore pour leurs intérêts, ne s’empressèrent nullement à relever le vieil édifice dont Babylone avait été si fière. Quand ils firent connaître au roi que des messages sinistres lui interdisaient de rentrer dans la ville, il soupçonna que leur peu de célérité à exécuter ses ordres pouvait bien être pour quelque chose dans les inquiétudes qu’ils manifestaient à son sujet et il ne les écouta pas. Cependant, il ajouta foi à leurs observations lorsqu’un malheureux matelot, qui lui avait rapporté son diadème, tombé au milieu des roseaux, fut mis à mort pour l’avoir placé sur sa tête, afin de ne pas le mouiller[54]. La réconciliation du prince et de la caste sacerdotale babylonienne se fit, suivant la tradition la plus accréditée, aux dépens d’une innocente victime[55].

Dans la plupart de ces faits la tolérance a sa part, mais une part restreinte. La politique joue un rôle plus grand. Mais elle-même est dominée par ce mélange de superstition et d’orgueil que nous signalions, il n’y a qu’un instant. Au contraire de ces incrédules qui ont pour tous les cultes un égal dédain, il avait facilement pour les Dieux de toutes les nations la ferveur d’un prosélyte. Cette ferveur n’eût pas résisté pourtant au dépit d’être mis par un de ces Dieux, n’importe lequel, au rang d’un simple mortel. La violence dont il usa à l’égard de la Pythie, sa rivalité avec Bacchus dont il aimait à s’entendre appeler le supérieur, les tortures infligées aux mages et les temples élevés à Éphestion, nonobstant une déclaration du Dieu d’Ammon, qui peut-être fut cause de la licence absolue qu’il donna à Cléomène d’opprimer les Égyptiens, tout cela montre assez qu’il y avait pour Alexandre un Dieu auquel il eût au besoin sacrifié tous les autres, comme il lui sacrifiait l’humanité. Ce Dieu, c’était Alexandre lui-même.

Qu’aurait-il fait si ses soldats n’avaient refusé de marcher en avant dans les Indes ou si la mort ne l’avait arrêté à Babylone, au milieu de nouveaux projets de conquêtes ? Aurait-il fondé un empire où l’hellénisme aurait pactisé avec les civilisations orientales, ou un gouvernement régulier aurait-il succédé au despotisme vermoulu des grands rois ? Je me permets d’en douter et je souscris complètement à ce que dit le professeur Mahaffy (Alexander’s Empire, p. 35) : Des projets étranges (wild schemes) de conquérir le monde habitable et même de pénétrer au-delà des régions connues sont attribués à Alexandre dans les récits romanesques accrédités qui existent. On lui prête le désir d’atteindre les portes de l’Orient (the eastern portals of the sun), la source d’où naît la vie (the fountain of life) et le lieu où se cache la nuit. Toutes ces exagérations ne sont pas de pures fictions, mai, marquent le sentiment où l’on était qu’il y avait en lui un chevalier errant, qu’il aimait les aventures pour elles-mêmes et qu’il sacrifiait beaucoup trop le devoir d’organiser ses vastes domaines au désir d’acquérir une nouvelle et étonnante gloire, des territoires si vastes qu’aucun être humain, pas même un Alexandre, ne pût les gouverner. Son organisation jusque-là avait été une organisation purement militaire, avec l’adjonction d’un officier civil pour lever les taxes. Sa capitale était son camp, où il avait introduit toutes les cérémonies pompeuses, toute l’étiquette compliquée, auxquelles ses ennemis l’avait initié... La démangeaison de la conquête était allée chez lui s’accroissant et elle était devenue une passion qui ne pouvait plus être contenue[56].

Résumons-nous. Ce qui distingue Alexandre, c’est, avant tout, le désir d’être un être à part, distinct des autres mortels. Il me semble qu’il se, peint tout entier dans la courte lettre citée par Aulu-Gelle (liv. XX, V) qu’il écrivit à Aristote, son ancien maître, pour lui reprocher d’avoir publié ses leçons acroatiques, celles où le philosophe étudiait les plus hautes questions de la métaphysique et de la dialectique. C’était, suivant lui, un tort qu’Aristote lui faisait, à lui Alexandre, que de divulguer les mystères de la nature dont il eût voulu avoir la connaissance réservée à lui seul. Leur correspondance à ce sujet est courte, mais à coup sûr très curieuse, et c’est par elle que nous terminerons cette étude.

Alexandre à Aristote, salut.

Tu n’as pas bien fait de publier tes leçons acroatiques. En quoi l’emporterai-je sur les autres hommes si les leçons qui ont fait mon éducation sont communiquées à tout le monde ? Je voudrais établir ma supériorité sur la science la plus élevée plutôt que sur la puissance. Adieu.

Aristote répond.

Aristote au roi Alexandre, salut.

Tu m’as écrit au sujet des leçons acroatiques, tu penses que je devais les tenir sous le secret. Sache qu’elles sont publiées et non publiées[57]. Elles ne sont intelligibles qu’à ceux qui nous ont entendu. Adieu.

Peut-on donc soutenir que cet homme, dont je ne conteste pas d’ailleurs le prodigieux génie, se soit préoccupé d’assurer le bonheur et le perfectionnement de l’humanité ? Je ne le crois pas. Être loué par les Athéniens, ces distributeurs de la gloire, c’était là son principal désir. Des actions éclatantes seules pouvait lui faire atteindre ce but, que lui importait, après cela, ce qui adviendrait, quand il ne serait plus sur cette terre ? La chute de l’empire qu’il aurait fondé ne pourrait-elle pas servir elle-même à relever sa gloire ? A lui surtout me parait se rapporter ce que Miot de Melito dit de celui qui a été dans notre siècle son grand imitateur : Que vraisemblablement il se complaisait plus dans l’idée de la grandeur qu’imprimeraient à sa mémoire les ruines et les maux qui suivraient sa mort que dans celle du bonheur qu’il eût assuré à ses sujets par la modération et par la déférence aux opinions libérales ; qu’il était plus jaloux d’être admiré par la postérité comme un homme extraordinaire, qui seul pouvait concevoir et maintenir un si grand ouvrage, que d’être béni pour en avoir fondé un moins brillant, mais plus durable[58].

 

Annales de la Facultés des Lettres de Bordeaux — 1893

 

 

 



[1] Les Apôtres, Introduction.

[2] ARISTOTE, Politique, III, 8, 2. — Droysen, à la citation qu’il fait de ce passage, ajoute, pour que nul n’ignore qu’il pouvait très bien s’appliquer à Alexandre, bien que le philosophe de Stagvre ne l’ait pas eu en vue, les mots suivants de Polybe sur le même Alexandre (XII, 213) : Tout le monde s’accorde à dire que l’esprit de ce roi dépassait la mesure humaine.

[3] Dans l’intervalle, avait paru une édition en deux volumes. L’ouvrage dont je m’occupe a été intitulé successivement : Histoire grecque, Histoire de la Grèce ancienne et Histoire des Grecs. Nous passons naturellement sous silence les abrégés à l’usage des classes.

[4] Voyez les changements que M. Duruy y a introduits, en 1889, dans cette partie de son histoire où l’éloge d’Alexandre se trouve atténué et les bienfaits dont l’orient lui a été redevable présentés comme un peu plus douteux. Les contradictions ne manquent pas non plus dans Droysen. Sainte-Croix et Freeman, distinguent, eux, deux époques dans la vie du prince macédonien.

[5] M. Thiers (Hist. du Consulat et de l’Empire, liv. LXII) est peut-être plus sévère encore à l’égard d’Alexandre que Grote. Ce profond capitaine, ce sage législateur, cet administrateur consommé, dit-il en parlant de Napoléon, fut le politique nous dirions le plus fou, si Alexandre n’avait pas existé. T. XX, éd. 1862, p. 719. Un peu plus loin (p 779), il résume, en une trentaine de lignes, la carrière du conquérant macédonien : Il n’y a pas, écrit-il, une vie plus inutilement bruyante que la sienne.

[6] Hist. de l’Hellénisme, trad. Bouché-Leclercq, t. I, p. 631.

[7] On lisait dans Duris de Samos, historien alexandrin, que Cicéron, dans une épître à Atticus, qualifie de homo in historia diligens, le récit d’un combat singulier qui aurait eu lieu entre Olympias et Eurydice, nièce d’Alexandre, armées toutes deux à la macédonienne et semblables à des Bacchantes. Athénée, XIII, 10.

[8] Napoléon l’approuvait et l’eût volontiers imité. Henri IV, disait-il un jour, manquait de gravité. C’est une affectation qu’un souverain doit éviter que celle de la bonhomie. Que veut-il ? rappeler à tout ce qui l’entoure qu’il est un homme comme un autre ? Quel contresens ! Dès qu’un homme est roi, il est à part de tous et j’ai toujours trouvé l’instinct de la vraie politique dans l’idée qu’eut Alexandre de se faire descendre d’un Dieu. Madame de RÉMUSAT, Mémoires, I, p. 322.

[9] Il est vrai que Quinte-Curce prétend que les Tyriens égorgèrent les hérauts macédoniens envoyés par Alexandre pour leur offrir la paix. Mais ce fait ne se trouve dans aucun autre historien. On sait que Quinte-Curce écrivait : J’en écris plus que je n’en crois, ne pouvant me résoudre à affirmer ce dont je doute, ni à supprimer ce que j’ai entendu dire.

[10] Freeman (Historical Essays, t. II, p 2t8 et suiv.) essaie de justifier en cette occasion la conduite d’Alexandre. Mais il oublie de dire que les Tyriens avaient offert au prince macédonien la même soumission qu’ils avaient prêtée aux Perses. Peut-être, du reste, en cette occasion, Alexandre était-il mû par la pensée de venger les Grecs dont les Phéniciens avaient été les ennemis acharnés, au temps es guerres médiques. — M. Duruy (ouvrage cité, p. 263) avoue que l’acte d’Alexandre fut une agression injuste.

[11] Fait omis par Arrien. Il est mentionné par Quinte-Curce et par Denys d’Halicarnasse (De comp.  verb.). Ce dernier l’avait emprunté à Hegésias de Magnésie. — Freeman (Historical Essays, II, p. 220), croit pouvoir le mettre en doute. M. Dosson (Étude sur Quinte-Curce, p. 131) pense au contraire que Quinte-Curce l’avait emprunté à Aristobule, contemporain d’Alexandre.

[12] Examen critique des historiens d’Alexandre, p. 311 et suiv.

[13] PLUTARQUE, Vie d’Alexandre, 59.

[14] III, 26, 4. Droysen va plus loin encore qu’Arrien. Le meurtre de Parménion a été, suivant lui, une nécessité politique (Hist. de l’Hellénisme, t. I, p. 427 de la trad. Bouché-Leclercq). Quant au meurtre de Clitus, s’il ne l’excuse pas entièrement, il insiste sur ce fait qu Alexandre en eut du regret : Les moralistes qui condamnent Alexandre, dit-il avec un certain mépris, négligent de nous dire ce qu’il aurait pu raire de plus. Id., Ibid., p. 471. Droysen n’était donc pas un moraliste et s’en applaudissait.

[15] PLUTARQUE, Vie d’Alexandre, 57.

[16] PLUTARQUE, Vie d’Eumène, 3. Il ajoute que l’or et l’argent fondus par le feu se montaient à plus de 1.000 talents.

[17] PLUTARQUE, Vie d’Alexandre, 74.

[18] Voir, le jugement que M. Duruy porte sur l’introduction des procédés des despotes de l’Orient parmi les Grecs, à l’occasion de Callisthène.

[19] N’oublions pas qu’Arrien vivait au temps de l’Empire romain où, suivant M. Dosson (ouv. cit., p. 72), les hommes qui furent à la tête de l’Empire eurent, à quelques exceptions pris, constamment en vue l’image d’Alexandre et où, par une conséquence naturelle, leurs courtisans et leurs sujets s’intéressaient à la personnalité de cet homme- Arrien avait obtenu la faveur de l’Empereur Adrien, auquel il dédia son Périple du Pont-Euxin. Or Adrien était grand admirateur d’Alexandre. Il fit sur lui un poème désigné sous le nom d’Alexandriade et l’on sait qu’il prit pour exemple sa conduite à l’égard d’Héphestion, lorsqu’il fit faire l’apothéose d’Antinoüs. D’après une tradition il aurait composé a ce sujet un livre où il aurait réuni les oracles concernant la divinité du prince macédonien. — La servilité d’Arrien se montre quelquefois d’une manière assez naïve. On sait qu’il a emprunté les matériaux de son histoire à Aristobule et à Ptolémée, laissant de côté les autres historiens dont la véracité lui était, disait-il, suspecte. Tous deux avaient été les apologistes du prince macédonien. Niais Ptolémée avait, à ses yeux, un mérite de plus. Aristobule, dit-il, ne quitta point le prince durant ses expéditions. Ptolémée fut son compagnon d’armes : de Plus ce fut un roi et un roi ne s’avilit pus par le mensonge. Il est assez curieux que M. Jurien de la Gravière qui, dans un article de la Revue des Deux-Mondes intitulé L’héritage de Darius (1882, t. XLIX, p. 634) ne parait pas désapprouver cette manière de raisonner et fonde sur les mêmes autorités son opinion sur Alexandre, ait, deux pages auparavant, manifesté une certaine défiance relativement aux généraux écrivant sur les campagnes auxquelles ils ont participé. Marmont, dit-il, ne nous a laissé qu’un plaidoyer et Bernadotte, le Ptolémée que couronna la Suède, s’il eût pris la plume, à son tour, aurait-il abjuré les rancunes d’Auerstaedt ? La jalousie est la plaie des armées et c’est presque toujours aux dépens de l’objet aimé qu’elle s’exerce. Cela ne veut-il pas dire que Ptolémée ayant été moins louangeur qu’Aristobule, c’est à ce dernier qu’il faut donner la préférence lorsqu’ils ne sont pas d’accord absolument dans leurs Jugements sur le héros macédonien et ses actes ? Sa conclusion est celle-ci. Est-ce dans Alexandre le capitaine que vous désirez connaître ? Consultez Ptolémée. Est-ce l’homme ? Fiez-vous plutôt au sens d’Aristobule. La justice du ciel devait susciter ce tardif vengeur à la mémoire calomniée d’Alexandra — Freeman (ouvrage cité, t. II, p. 190) donne des raisons assez plausibles qui doivent nous faire croire à la véracité de Ptolémée.

[20] ARRIEN, Exp. d’Alex., IV, 15.

[21] C’est ainsi qu’il passe sous silence le meurtre par ce prince d’une partie de ses proches avant la guerre de Perse, et cependant il y faisait allusion dans son ouvrage intitulé : τάμ ετ' Άλεξάνόρου, si nous nous en rapportons à l’analyse que nous en a donnée Photius.

[22] PLUTARQUE, Vie d’Alexandre, 52 ; ARRIEN, IV, 10. 6.

[23] Mahaffy (Alexander’s Empire, p. 44) voit, avec raison, dans ce fait, une horrible preuve de la barbarie orientale qui, relativement aux châtiments, avait infecté les Macédoniens et qui demeure une tache dans l’âge hellénique. Cette barbarie date du temps de Philippe.

[24] ARRIEN, IV, 7, 3.

[25] Plutarque nous dit qu’Héphestion était mort précisément pour avoir contrevenu aux ordonnances du médecin pendant son absence. Il avait alors mangé un coq rôti et bu une grande coupe de vin rafraîchi. D’après le même Plutarque, Alexandre aurait ensuite passe au fil de l’épée tous les Cosséens, femmes et enfants compris, pour faire un sacrifice aux mânes de son ami. Vie d’Alexandre, 73.

[26] Quinte-Curce cite aussi ce fait ; mais il n’y croit pas, et il donne une explication que Freeman (Historical Essays, t. II, p. 188) considère comme vraisemblable. Lysimaque aurait combattu un lion dans une chasse avec Alexandre.

[27] Ces idées avaient pu être celles d’une partie des Grecs, mais à une époque éloignée de celle où Alexandre vivait, et je ne crois pas que M. Duruy ait eu raison d’écrire : Cette idée, juive de punir les pères dans les enfants était aussi une idée grecque. Les réclamations des Spartiates à Athènes contre les Alcméonides et la Pythie attribuant la chute de Crésus à la vengeance des Dieux, punissant un crime des ancêtres du roi, commis cinq générations auparavant, me semblent des faits peu concluants.

[28] M. Duruy lui-même appelle ce massacre un acte abominable, Hist. des Grecs, t. III, p. 287. — Il faut lui en savoir d’autant plus de gré qu’il excuse volontiers chez Alexandre les plus grandes cruautés, eu en rejetant la responsabilité sur des usages anciens. — Exemple au sujet de Philotas et de Parménion : En laissant de côté les aveux arrachés par la torture, il reste la non révélation du crime de haute trahison que nos anciennes lois punissaient de mort, comme ce fut le cas pour De Thou. Les articles 103 et 107 du Code pénal de 1810 punissaient encore de réclusion ou d’emprisonnement la non révélation des crimes qui compromettaient la sûreté de l’État. Ce n’est que la loi du 28 avril 1842 qui a abrogé ces articles. — C’était aussi une coutume des Macédoniens, comme de beaucoup de peuples barbares, que les parents d’un proscrit fussent proscrits avec lui peut-être, mais ce n’était plus une coutume des Grecs. Hist. des Grecs, t. III, p. 284, note 2. Quant aux tortures, il essaie de les justifier en disant que ce n’étaient que des représailles. En était-il ainsi de celles qu’Alexandre fit infliger à Philotas et à d’autres victimes ?

[29] C’étaient des espèces de rois semblables à ceux que Napoléon voulait établir lorsqu’il serait le dominateur de l’Europe, alors qu’il disait à son frère Joseph, en 1804 : Il n’y aura de repos en Europe que sous un seul chef, sous un Empereur qui aurait pour officiers des rois, qui distribuerait des royaumes à ses lieutenants, qui ferait l’un roi d’Italie, l’autre de la Bavière, celui-ci landamman de Suisse, celui-là stathouder de Hollande, tous ayant des charges dans la maison impériale... — On dira que ce plan n’est qu’une imitation de celui sur lequel l’Empire d’Allemagne a été établi et que ces idées ne sont pas neuves ; mais il n’y a rien d’absolument nouveau. Les institutions politiques ne font que rouler dans un cercle et souvent il faut revenir à ce qui a été fait. MIOT DE MELITO, Mém., II, p. 214.

[30] Examen critique des historiens d’Alexandre, p. 295.

[31] DIODORE, XVIII, 14.

[32] Au temps d’Hérodote, le tribut annuel que payaient aux rois de perse l’Egypte, les Libyens voisins de l’Égypte, Cyrène et Barcé réunis était de 700 talents en argent, 700 talents en blé et le produit de la pêche du lac Mœris (HEROD., III, 91). On voit par là combien durent être grandes les exactions de Cléomène.

[33] Droysen veut que son héros ait conservé Cléomène surtout parce que c’était un administrateur capable et un financier distingué et qu’étant né en Égypte, il connaissait le pays mieux que personne : ouvrage cité, p. 731.

[34] Hist. grecque, chap. XXI.

[35] ARRIEN, VII, 5. — Plutarque (Vie d’Alexandre, 70) cite un certain Antigène, qui feignit ainsi d’avoir emprunté de l’argent et amena un prétendu créancier pour recevoir la somme qu’il disait lui être due. Alexandre l’aurait appris ; mais il aurait pardonné au délinquant et lui aurait permis de conserver ce qu’il aurait pris indûment.

[36] M. Duruy parait pourtant les louer. S’il en parle d’ailleurs, c’est seulement pour condamner l’ingratitude des soldats qui, peu après, se mutinèrent. Oubliant les bienfaits d’Alexandre qui venait de payer leurs dettes avec la délicatesse d’un ami, dit-il, ils se mutinèrent et demandèrent à partir (ouv. cité, t. III, p. 310). N’avaient-ils pas bien mérité par là qu’un certain nombre d’entre eux fussent punis du dernier supplice !

[37] PLUTARQUE, Vie d’Alexandre, 67.

[38] T. III, p. 314.

[39] Vie de Pyrrhus. C’est aussi en gaude partie à la polygamie des princes qu’il faut attribuer ce que l’auteur des Vies des hommes illustres, dit sur les familles royales des successeurs d’Alexandre, presque toutes souillées par des meurtres de fils, de mères et de femmes. Quant aux meurtres de frères, ajoute-t-il, ils étaient regardés comme chose ordinaire ; car, de même que les géomètres exigent qu’on leur passe certaines propositions, de même on concédait à ces rois, comme garantie de sûreté, l’extermination de leurs frères. Il considère comme un fait extraordinaire que seul des descendants d’Antigone Philippe ait fait mourir un de ses enfants.

[40] Quand dix mille vétérans furent renvoyés par Alexandre dans leurs foyers (en 324), Alexandre, dit Droysen, ouv. cit., p. 660, leur demanda qu’ils voulussent bien laisser près de lui les enfants qu’ils avaient vus de femmes orientales, afin qu’ils ne fussent pas un sujet de mécontentement pour les femmes et les enfants qu’ils avaient laissés au pays.

[41] Liv. XII, c. 10.

[42] Voyez à ce sujet le Mémorial de Sainte-Hélène. Il aurait aussi voulu, si j’en crois O’Meara, qu’il fût permis à tout habitant des colonies de prendre une femme de chaque couleur ; c’était d’après lui, un bon moyeu d’arriver à réconcilier les noirs et les blancs.

[43] Ô barbare Xerxès, écervellé qui te travaillas beaucoup en vain pour dresser un pont dessus le détroit de l’Hellespont, s’écrie-t-il, c’est ainsi que les sages rois doivent conjoindre l’Europe avec l’Asie, non par des vaisseaux de buis, ni par des radeaux, ni avec des liens qui n’ont pas d’âme et ne sont pas capables de mutuelles affections, trais par amour légitime et mariages honnestes, conjoignant les deux nations par communautés d’enfants (I, 7, trad. d’Amyot).

[44] Du reste l’exemple d’Alexandre fut imité. Antipater, à son tour, déporta une grande partie des citoyens d’Athènes, après la guerre lamiaque. Il eût voulu aussi exiler dans la haute Asie toute la population de l’Etolie et il fit pour cela la guerre aux Etoliens. Ceux-ci se défendirent avec énergie et les démêlés des généraux d’Alexandre entre eux vinrent à propos pour les arracher à la menace de ce sort déplorable.

[45] Telle est aussi l’opinion de Freeman (ouv. cité, t. II, p. 208) : We believe, dit-il, that policy, passion and genuine superstition were all joined together in the demand which Alexander made for divine, or at least, for unusual honours.

[46] IV, 13, 6.

[47] PLUTARQUE, Vie d’Alexandre, 14.

[48] PLUTARQUE, Vie d’Alexandre, 24.

[49] PLUTARQUE, Vie d’Alexandre, 27.

[50] ARRIEN, III, 3, 6.

[51] ARRIEN, VII, 8, 3 — M. Duruy croit pouvoir expliquer de la manière suivante comment Alexandre put renier son père et se proclamer fils de Jupiter Ammon (Hist. des Grecs, t. III, p. 271) : L’humain et le divin sont si peu séparés dans le polythéisme et la philosophie avait déjà montré tant de fois, dans les divinités locales, un mime Dieu honoré sous des noms et avec des rites différents, que l’élève d’Aristo te était réparé à mêler toutes les religions (ce n’est pas de cela seulement qu’il s’agit dans cette affaire), comme il allait confondre toutes les provinces dans un seul empire. Les Pharaons et, après eux, les rois de Perse, maîtres de l’Égypte, avaient porté le titre de fils d’Ammon (?) il prit ce nom comme un butin de victoire pour ne pas déchoir aux yeux de ses nouveaux sujets des bords du Nil et de l’Euphrate. Exalté par d’étonnants succès, il parut même en certains moments croire à sa divinité (à la bonne heure), comme le jour où il renia celui qui lui avait donné la vie, un royaume et les moyens de soumettre le plus vaste empire du monde. Pour moi, je ne vous aurais jamais abandonné cette illustre cité, mais gardez-la, puisque vous l’avez reçue de celui qui était alors le maître et qu’on appelait mon père (332). Même alors, il y avait probablement dans ses paroles moins de sincérité que de moquerie secrète pour le peuple flatteur par excellence (??). D’ailleurs tout se concilie si l’on se souvient de ce mot qu’on rapporte de lui : Zeus est le père de tous les hommes ; mais il n’adopte pour ses fils que les meilleurs. Alexandre avait droit à ce dernier titre au sens libre où les anciens l’entendaient ; ce qui l’autorisait à prendre le premier Aristote n’a-t-il pas écrit : Le prince doué d’un génie supérieur est un Dieu parmi les hommes ?

[52] L’observation aurait encore plus de portée si, comme Arrien le rapporte, d’après certaines autorités, Alexandre avait d’abord envoyé vers l’oracle d’Ammon pour lui demander l’autorisation de rendre à Éphestion les honneurs divins et que celui-ci eût refusé (VII, 14, 7). Mais Diodore (VII, 115) ne s’accorde pas ici avec Arrien. Il dit qu’un certain Philippe, envoyé vers l’oracle d’Ammon rapporta de Libye l’ordre de sacrifier au Dieu Éphestion. — Plutarque (Vie d’Alexandre, 72) s’accorde avec Diodore.

[53] ARRIEN, III, 16 ; VII, 17. — Le nom du destructeur me parait indiquer pourquoi Alexandre se montrait si empressé il rétablir ces temples.

[54] ARRIEN, VII, 17. Diodore suppose que les Chaldéens et les philosophes grecs qui accompagnèrent Alexandre, parmi lesquels il cite Anasarque, avaient donné des conseils opposés au roi, lorsqu’il s’était agi de savoir s’il entrerait oui ou non à Babylone. L’avis des philosophes avait d’abord prévalu. Niais Alexandre avait fini par reconnaître que la science des Chaldéens l’emportait de beaucoup sur la leur. Il en voulait aux philosophes qui lui avaient conseillé d’entrer dans Babylone, dit-il (XVII, 116). L’art des Chaldéens et l’habileté de ces astrologues le remplissaient d’étonnement. Enfin, il maudissait tous ces philosophes qui, par leurs sophismes, voulaient combattre la puissance de la fatalité.

[55] D’après certaines traditions, le matelot aurait été pourtant épargné. ARRIEN, VII, 22, 4-5.

[56] Droysen est d’un avis tout différent de Mahaffy, au moins eu ce qui concerne l’Inde. Il semble avoir été persuadé, dès le principe, dit l’historien (t. I, p 562), que, les populations des pays de l’Indus étaient en possession d’une civilisation trop particulière pour tout ce qui concerne la vie, l’Etat et la religion et qu’elles étaient trop avancées dans la civilisation pour pouvoir entrer tout de suite dans un royaume de forme hellénique..... S’il fit commencer, aussitôt après la bataille sur l’Hydaspe, la construction d’une flotte sur laquelle son armée devait descendre l’Indus jusqu’à la mer persique, c’est une preuve indubitable que son intention était de prendre pour son retour la voie de l’indus et non celle du Gange et que, par conséquent, son expédition dans les contrées du Gange ne devait être qu’une incursion et une cavalcade. Etrange cavalcade ! pourra-t-on dire. Du reste notre auteur se contredit ailleurs d’une manière curieuse. Après avoir dit que, dans l’opinion générale qu’il parait lui même partager, si Alexandre avait eu le temps de réaliser ses nouveaux projets, on allait achever et associer sur une base inébranlable l’édifice hardi d’un Empire universel, il s’exprime ainsi, quelques lignes plus bas : Le roi étant mort sans laisser aucune instruction relativement à ce qu’il fallait faire après lui, l’armée, l’Empire, le sort de la moitié du monde se trouvaient en face d’un abîme. D’un moment à l’autre, tout pouvait s’effondrer, n’être qu’un immense chaos. D’où il résulte que le soleil de la Grèce n’était, en somme, qu’une étoile filante.

[57] Aulu-Gelle, XX, 5.

[58] MIOT DE MELITO, Mémoires, t. II, p. 317 et suiv.