Cour des poisons. — La marquise de Brinvilliers. — La Voisin. — Les prêtres Le Sage, Etienne Guibourg, et Gil es Davot. — Interrogatoire et torture. — Le marquis de Feuquière. — Madame de Vivonne. — Le duc de Luxembourg. — Les comtesses de Polignac, du Roure, de Soissons. — La duchesse de Bouillon. — Le comte de Saissac. — Mademoiselle de Lagrange, le curé de Launay. — Révocation de l'édit de Nantes. — Proscription des Protestants. — Bannissement. — Supplices. — Confiscations. — Emigrations, etc. Madame de Sévigné avait de l'esprit et de la gaîté de reste, pour faire du procès et du supplice de la marquise de Brinvilliers le sujet d'une plaisanterie. C'est en sortant de la Grève, où elle a vu l'exécution, le 17 juillet 1776, que madame de Sévigné, dont les lettres sont citées comme un modèle de sensibilité exquise, écrit : Enfin, c'en est fait, la Brinvilliers est en l'air ; son pauvre petit corps a été jeté, après l'exécution, dans un fort grand feu, et ses cendres au vent, de sorte que nous la respirerons ; et par la communication des petits esprits, il nous prendra quelques humeurs empoisonnantes dont nous serons tous étonnés. Elle fut jugée hier. Ce matin on
lui a lu son arrêt, et on l'a présentée à la question. Elle a dit
d'abord qu'il n'en était pas besoin, qu'elle dirait tout. En effet, jusqu'à
quatre heures, elle a conté sa vie plus épouvantable qu'on ne peut penser..... A six heures, on l'a menée, nue en en chemise et la corde
au cou, à Notre-Dame, faire amende honorable, et puis on l'a remise dans le
même tombereau, où je l'ai vue jetée à reculons sur de la paille, avec une
cornette basse, un docteur auprès d'elle, un bourreau de l'autre côté ; elle
est morte comme elle a vécu, c'est-à-dire avec fermeté. Elle a dit à son confesseur, en chemin, de faire mettre le bourreau devant, afin de ne pas voir ce coquin de Desgrais qui l'avait prise..... C'était à la Bastille que le chevalier de Sainte-Croix avait appris l'art de confectionner les poisons ; il avait eu, pour maître, Exili, autre prisonnier. La marquise de Brinvilliers a été initiée au crime par le chevalier de Sainte-Croix, son amant. Ce chevalier, bâtard d'un seigneur normand, avait été introduit dans la maison de la marquise par le mari de cette dame. Le lieutenant civil Danbrai, pour faire cesser le scandale, et mettre un terme aux relations coupables du chevalier, n'imagina rien de mieux que de le faire mettre à la Bastille -par lettre de cachet. L'adultère était flagrant, la conduite de Sainte-Croix n'était rien que régulière ; c'était un véritable chevalier d'industrie ; le père de madame de Brinvilliers pouvait le poursuivre ou le faire poursuivre pour des délits qui eussent été facilement et légalement prouvés ; les lois lui offraient le moyen de le faire bannir de la capitale ; il préféra la voie arbitraire des lettres de cachet. Il n'avait pas assez de crédit pour prolonger, indéfiniment l'emprisonnement de l'amant de sa fille ; et le prisonnier reprit bientôt après sa liberté et ses anciennes relations. Il s'était lié, pendant son court séjour à la Bastille, avec l'Italien Exili, fabricant et débitant de poison. Exili avait été arrêté avec un autre Italien qui mourut à la Bastille. Exili avait appris à Sainte-Croix ses funestes secrets ; il n'avait pu, dans leur prison que lui enseigner la théorie de son art. Sainte-Croix était venu s'établir à l'hôtel de Brinvilliers, aussitôt après sa sortie de la Bastille. Exili, puissamment protégé, obtint aussi sa liberté. Il fut admis dans le même hôtel, et sous les yeux du chevalier et de la marquise, il composa des poisons dont celle-ci faisait l'essai dans les hôpitaux qu'elle fréquentait. Assurée du succès, elle devint parricide ; son père, ses frères moururent empoisonnés par elle ou par ses complices. Sainte-Croix périt en préparant un poison très subtil. Lachaussée, son valet, était passé successivement au service de Danbray l'aîné et de l'abbé Danbray, frères de la marquise. Lachaussée avait péri sur la roue. Ses révélations avaient compromis son ancien maître, la marquise et le receveur-général du clergé, Penautier, que son or et la protection de l'archevêque de Paris et du haut clergé, sauvèrent d'une condamnation capitale et méritée. Exili et l'autre Italien n'avaient été signalés a l'autorité que par des révélations faites au grand pénitencier de Paris ; mais Exili, qui survécut à son complice décédé en prison, ne fut point livré à la justice ordinaire ; il fut soustrait à l'action des tribunaux, et cette infraction à la loi commune enhardit les autres artisans de poison. Les grands seigneurs, les grandes dames de la cour, dont ces scélérats n'avaient été que les instruments, ont trouvé grâce devant la chambre ardente, dont le lieutenant-général de police la Reynie était rapporteur. Cette chambre ne se montra sévère que contre d'obscurs accusés. Ce la Reynie, premier lieutenant-général de police, n'avait pas été investi de cette magistrature municipale, à l'occasion des empoisonnements, mais contre la presse et contre les auteurs et distributeurs des nouvelles à la main ; et sur quatorze procès, dont il fut en même temps l'accusateur et l'un des juges, un seul prévenu fut condamné à être banni de Paris pendant quelques années. Le gouvernement du grand roi s'était rendu complice des empoisonnements, en créant une juridiction exceptionnelle, qui ne devait juger que par ordre. Les grands coupables devaient être épargnés ; les autres seuls devaient porter la peine de leurs crimes communs. Si Exili et son complice ; si ces deux premiers artisans de poisons eussent été immédiatement livrés à la justice du parlement, leur châtiment eût pu arrêter le cours de tant d'autres assassinats. Si le chevalier de Sainte-Croix, la marquise de Brinvilliers et tant d'autres n'eussent pas été initiés dans cet art homicide, que de victimes n'eussent pas péri ! que de crimes eussent été prévenus ! L'égalité devant la loi, est plus qu'un droit ; c'est un bienfait, c'est une garantie pour toutes les existences, pour toutes les propriétés. Le père de la Brinvilliers n'avait voulu que faire cesser un scandale domestique, en faisant emprisonner par une lettre de cachet le complice de sa fille adultère. Cette lettre de cachet lui coûta la vie : sa fille, épouse coupable, devint parricide. L'arbitraire, employé pour la répression d'une faute, a été la première et l'unique cause des crimes les plus révoltants. On ne doit attribuer qu'aux lettres de cachet lancées contre l'Italien Exili et le chevalier de Sainte-Croix, cette épouvantable série d'empoisonnements qui ont porté la mort et l'effroi jusque dans les familles royales de France et d'Espagne. Le parlement a jugé la marquise de Brinvilliers, et à fait bonne justice. Bastard et le Maître étaient détenus à la Bastille comme complices de la marquise de Brinvilliers ; le premier fut transféré à la Conciergerie et l'autre resta à la Bastille, où ils étaient tous deux depuis le 4 août 1676. Mais pourquoi, quelques années après, a-t-on soustrait à sa juridiction d'autres accusés du même crime ? C'est que la marquise de Brinvilliers n'était qu'une femme ordinaire, qui ne tenait pas à la cour, et que les autres étaient de grands seigneurs, de grandes dames, que le roi recevait chaque jour dans son palais de Versailles, qui avaient l'entrée des petits appartements. Il ne s'agissait pas de les faire condamner, mais de les sauver. Le roi établit- une commission spéciale à l'Arsenal, que l'on appela comme celles qui l'avaient précédée, Chambre Royale de l'Arsenal, que le public nomma Cour des Poisons. Plusieurs accusations d'empoisonnements furent jugées au parlement de Paris en 1676, 1677et 1678, et ces sortes de crimes se renouvelaient surtout à la cour avec une effrayante progression. La voix publique signalait plusieurs dames et seigneurs ; les interrogatoires subis par La Voisin, les prêtres Le Sage, Guibourg et Davot révélèrent de grands coupables. La Chambre Royale, établie par lettres patentes du 7 avril 1679, se composait de huit conseillers d'État, six maîtres des requêtes : Robert, procureur du roi au Châtelet, fut nommé procureur-général delà commission ; Perrey, avocat au parlement, substitut ; Sagot, greffier du Châtelet, fut appelé aux mêmes fonctions dans la commission ; Bezous et La Reynie, rapporteurs. Aucun membre du parlement n'en fit partie ; la commission ne se composait que de fonctionnaires dans la dépendance des ministres. Ainsi les hommes du gouvernement restaient seuls chargés de prononcer sur un crime capital, dont le parlement seul devait connaître, et dont seul il avait connu jusqu'alors. Les fabricateurs de poisons, gens obscurs et de la plèbe, La Voisin, La Vigoureux, les prêtres Le Sage, Guibourg et Davot furent condamnés à mort et exécutés. Restaient à juger ceux à la demande desquels ils avaient fabriqué ou livré les poisons, et les mêmes charges pesaient sur tous les accusés. Les coupables cependant continuaient de se montrer à la cour ; comment auraient-ils craint la sévérité des commissaires, le roi lui-même avait écrit à la comtesse de Soissons que si elle ne se sentait pas bien nette dans l'affaire des poisons, il lui conseillait en ami de pourvoir à sa sûreté, elle ne se le fit pas dire deux fois et partit immédiatement pour le Brabant avec la marquise d'Alluye. Toutes ces procédures criminelles s'instruisaient alors à huis clos, et les juges seuls connaissaient les déclarations des accusés et des témoins. Mais toutes les procédures instruites devant les nombreuses commissions qui ont siégé à l'Arsenal, avaient été déposées aux archives de la Bastille, et la plupart ont été alors livrées à la publicité ; d'autres ont été transférées dans les dépôts publics ou recueillies par des curieux. Les déclarations de La Voisin, de Le Page et des autres accusés, qui furent jugés les premiers, et qui seuls furent condamnés, ont jeté sur ces crimes, longtemps secrets, une affreuse lumière. La superstition mêlait des momeries aux horreurs de l'empoisonnement ; des profanations sacrilèges, le blasphème, d'obscènes impiétés, précédaient l'exécution du crime. Le prêtre Etienne Guibourg était aumônier du comte de Montgommery, il avait déclaré avoir remis à un sieur Dami du poison pour se défaire du ministre Colbert ; la première dose ayant manqué son effet, une plus forte lui avait été demandée. Une autre demande de poison lui avait été faite par Pinon Dumartray, conseiller au parlement, pour être donné au roi par un des officiers de la bouche ; Pinon Dumartray voulait venger par un crime l'emprisonnement de Fouquet, dont il était parent. L'abbé Guibourg avait ajouté qu'à la sollicitation de Le Roy, gouverneur des pages de la petite écurie, il avait dit des messes sur le ventre de plusieurs femmes, retroussées jusque au-dessus de la gorge. On le conduisait, les yeux bandés, au lieu où la messe devait être célébrée et on le ramenait de même après, au lieu où on l'avait été chercher. Ces messes étaient payées fort cher. Il avait reçu vingt pistoles (200 f.) pour une de ces messes célébrée dans une maison à Saint-Denis. Après la consécration, il devait prononcer la conjuration, conçue en ces termes : je vous conjure esprits ; dont vos noms sont dans ce papier écrit, d'accomplir la vérité et le dessein de la personne pour laquelle cette messe est célébrée. Le prêtre Guibourg était âgé de 71 ans ; un autre prêtre, Gilles Davot, révéla les mêmes horreurs et les mêmes profanations. Je transcris son interrogatoire ; les faits sont vrais, sont démontrés, et cependant hors de toute vraisemblance : on ne peut concevoir ces excès de scélératesse et de stupidité C'est à de pareils traits, que l'on peut appliquer ce mot profond de Mirabeau à son compatriote Béranger : Vous ne pourrez croire ce dont cependant vous serez convaincu. L'an mil six cent quatre-vingt-un, le neufvième de juillet, dix heures du matin, nous Claude Bazin, chevalier, seigneur de Bézons, conseiller d'état ordinaire, et Gabriel Nicolas de La Reynie, conseiller d'état ordinaire, commissaires députés pour l'exécution des lettres-patentes du 7 avril 1679, sommes transportés avec le greffier de la commission au chasteau de la Bastille, où estant, avons fait venir par devant nous, dans la chambre de la question, Gilles Davot, condamné à mort par arrêt de la chambre du 7 du premier mois, auquel Davot pour ce, fait mettre à genoux, avons fait prononcer par ledit greffier de la commission, ledit arrêt, par lequel il a esté déclaré duement atteint et convaincu des crimes de sacrilèges, profanationset impiétés, et d'avoir abusé de son titre de prestre. Pour réparation de quoy, et pour les autres cas mentionnés au procès, il a esté condamné à faire amende honorable au-devant de la principale porte de l'église de Notre-Dame, et estre pendu et estranglé à une potence en la place de Grève, son corps mort jeté au feu et ses cendres au vent ; le dit Davot, préalablement appliqué à la question, ordinaire et extraordinaire, pour apprendre par sa bouche la vérité d'aucuns cas résultant de son procès et avoir la révélation de ses complices. Après laquelle prononciaLion, ledit Davot a esté saisy par l'exécuteur de la haute justice, lié par les bras et mis sur le siège de la question, ensuite de quoy a esté procédé à son interrogatoire, ainsy qu'il suit : Interrogé de son nom, surnom, âge, qualité et demeure, après serment de dire vérité et avoir mis la main ad pectus, a dit qu'il s'appelle Gilles Davot, prestre, âgé de quarante ans. Sy lorsque luy respondant fit les bénédictions et aspersions d'eau bénite sur les bâtons de coudre chez La Voisin, et dont il a parlé au procès, le nommé Le Sage y estoit présent. A dit que non, et qu'il n'y avoit que La Voisin ; mais que lors il estoit revestu de son surplis et de son estolle. Sy lesdits bastons de coudre
n'estoient pas pour servir à brusler une hostie consacrée ? A dit qu'il ne scait point cela, et que La Voisin ne lui dit point quel usage elle en vouloit faire. A quel dessein il vouloit faire
passer soubs le calice, en disant la messe, les poudres et billets que La
Voisin lui donnoit ? A dit, qu'il n'en a jamais mis soubs le calice. Exhorté de reconnoistre la vérité, et à luy remonstre qu'il ne luy sert de rien de la desnyer ou de la desguiser, en l'estat qu'il est à présent, et condamné à mort. A dit qu'il a bien pris des
billets pout les passer soubs le calice ; mais qu'il n'a jamais pris de
poudre pour cela. Ce que lui respondant a fait chez
La Voisin, outre ce qu'il a recognu au procès ? A dit qu'il n'y a rien fait autre
chose que ce qu'il a déclaré, et qu'il n'a dit qu'une messe à Montmartre pour
une femme qui vouloit du mal à son mari, et que c'est La Voisin qui lui fit
dire laditte messe. Sy luy respondant, ne dit pas une
conjuration en disant la messe ! A dit que non, et que ce fut le
mari de laditte Voisin qui respondoit à la ditte messe. Ce que le respondant a fait pour
ledit Le Sage. A dit qu'il n'a rien fait pour lui, que de dire beaucoup d'évangiles qu'il luy faisoit dire, et qu'il en a dit même sur des os de mort qui estoient dans la manche d'une chemise, et ne scait pour quelle personne c'estoit, ni pour quel dessein. Sy cen'estoit pas pour faire
mourir quelqu'un que luy respondant, dit lesdittes évangilês sur l'os d'un
mort ? A dit, que ledit Le Sage ne le
luy dit point, et que ledit Le Sage se servoit aussi d'autres prestres, entre
autres du nommé Ollivier prestre. Ce qu'il scait, que ledit Ollivier a fait pour ledit Le Sage ? A dit qu'il n'en scait rien. S'il n'a point dit de messe, pour
ledit Le Sage, que celles qu'il a recognues au procès. A dit que non, si ce n'est une
messe qu'il dit pour la nommée Fanchon, que le nommé Baix entretenait, en ce
aux Petits-Pères. Ce que luy respondant, fut
d'extraordinaire à ladite messe ? A dit qu'il n'y fut rien
d'extrordinaire. Exhorté de rechef de reconnoître
la vérité, sur les sacrilèges, profanations et impiétés qu'il a faits, outre
ce qui est mentionné au procès ! A dit qu'il a tout déclaré ce
qu'il savoit au procès, que luy respondant n'a jamais eu de mauvaises
intentions, et que c'est sa foiblesse, et qu'il scait bien qu'il a manqué, et
dit de soi qu'il est vrày, que ledit Le Sage, lui a donné des conjurations
pour les réciter en disant la messe ; mais que luy respondant ne les a point
récitées, qu'il est vray qu'il les portoit sur luy en disant la messe, qu'il
est vray que ledit Le Sage a dit de les dire à l'endroit de la consécration ;
mais que luy respondant ne l'a pas dit, bien est vray qu'il leur disoit
après, qu'il les avoit récitées à la consécration aux messes, que le respondant
dit, scavoir une en Sorbonne, une autre aux Petits-Pères, pour laditte
Fanchon, et trois autres messes qu'il a dit aussy en différentes églises,
après le mariage par lui fait, du nommé Le Sage avec Margo, dont il est parlé
au procès. Sy lui respondant a dit de semblables messes pour faire mourir ? A dit qu'il se souvient bien, que
lorqu'il dit les évangiles dans le cabaret, pour la femme du rendez-vous de
l'église des Jacobins ; ledit Le Sage luy dit que laditte femme étoit la
servante d'une femme qui vouloit empoisonner son mary, et lui dit aussi,
ledit Le Sage, que le billet qu'il luy donna, et qui estoit plié, estoit pour
faire mourir, et le mettre soubs le calice, et s'en servir avec la
conjuration à laditte messe qu'il devoit dire ; mais que ledit Le Sage retira
dans le même instant, ledit billet disant qu'il falloit qu'il parlât
auparavant à la maîtresse de laditte servante, qu'il disoit être une femme de
qualité, sans la luy nommer, et estoit ladite servante une grande fille qui
avoit le teint bazané, autant qu'il peut s'en soubvenir, qu'il ne se.
soubvient pas bien, sy ce fust ledit Le Sage ou laditte servante, qui mist le
billet entre les mains de luy respondant, et luy dit laditte servante,
qu'après que ledit Le Sage auroit parlé à sa maîtresse, elle reviendroit
trouver luy respondant avecq ledit Le Sage, et qu'il a dit la suite de cela
au procès, et dit de soy. Qu'il a desnyé au procès, qu'il eut dit au mariage,
par représentation, dont est parlé au procès, les parolles sacramentales ;
mais qu'il est vray qu'il lésa dit lors dudit mariage. Ce qu'il scait de Gérard prêtre ? A dit qu'il n'en scait que ce
qu'il a dit au procès. Exhorté de dire ce qu'il scait dudit Gérard, outre ce qu'il a recognu au procès ? A dit qu'il n'en scait autre
chose. Ce que luy répondant a fait pour
La Duval ? A dit qu'il n'en scait autre
chose que de dire une messe à Saint-Victor, que laditte Duval luy fist dire
pour une femme qui y fut présente, et n'a autre chose à dire sur cela que ce
qu'il a dit, et que luy respondant eut un escu de laditte femme pour laditte
messe, ou luy respondant ne fist rien d'extraordinaire. Sy laditte Duval ne luy dit point
l'intention pour laquelle elle lui fist dire laditte messe ? A dit que non. Ce que luy respondant a fait pour
La Delaporie et pour La Pelletier ? A dit qu'il n'a rien fait pour
lesdittes femmes, et ne connoîst pas même laditte Pelletier. Sy luy respondant n'a jamais dit
de messe chez La Voisin, ni fait d'autres impiétés ? A dit que non. Sy lorsqu'il fust à Clignancourt
avecq Le Sage, et qu'il y fust fait ce qui est dit au procès, ce n'étoit pas
à l'intention de faire mourir ? A dit qu'il ne scait point
l'intention pourquoy cela fust fait. Interpellé et exhorté de
recongnoîstre tout ce qu'il seait, sans rien réserver, ni rien dissimuler de
la vérité ? A dit qu'il n'a rien de plus à
dire, et qu'il scait bien qu'il est jugé et condamné, et qu'il fault qu'il meure. Lecture faite de ses
interrogatoires et responses ? A dit ses responses contenir vérité y a persisté et signé. Signé Bazin et de La Reynie. Ce fait, a esté le dit Davot
déshabillé et mis sur le siège de la question, a esté Hé par les bras et par
les pieds et attaché, luy a esté passé le petit tréteau, et exhorté ledit
Davot de déclarer la vérité de tout ce qu'il scait des sacrilèges et impiétés
qu'il a commis chez La Voisin et ailleurs, et a luy i emonstré qu'il ne peult
obtenir de Dieu sa miséricorde, qu'en déclarant la vérité qu'il ne veult
point recongnoistre, et les noms de ses complices ? A esté osté ledit tréteau et au
premier pot de, l'ordinaire, a dit : mon Dieu ayez pitié de moy, que
voulez-vous que je dise, j'ay, tout déclaré. Exhorté de dire la vérité et
adverti de ne rien dire, soit à charge, soit à décharge qui ne soit très
véritable ? A dit qu'il ne scait rien et que
s'il scavoit quelque chose, il le déclareroit, sans se laisser tourmenter. Au deuxième pot d'eau de
l'ordinaire, s'est écrié : je ne scais rien, qu'il est prest de mourir. Exhorté de dire ce qu'il a fait
de plus chez La Voisin ? A dit qu'il n'a rien fait
davantage, que ce qu'il a dit ; qu'on le déchire tant qu'on voudra et qu'on le
fasse mourir, il ne dira rien davantage, qu'il a dit la vérité. A quel usage l'on debvoit se
servir des basions, de coudre, qu'il a bénits chez La Voisin ? A dit qu'il n'en scait rien. Sy ce n'estoit pas pour s'en
servir à brusler quelques hosties consacrées ? A dit qu'il ne scait rien et
qu'il mourra comme cela, n'a jamais rien fait pour faire mourir que ce qu'il
a dit, et l'évangile qu'il a dit sur la teste de la servante dont il a parlé,
dans le cabaret, estoit pour le dessein particulier de laditte servante, et
le billet qu'elle luy donna estoit pour le dessein de sa maîtresse. Au troisième pot d'eau, n'a rien
dit. Au quatrième pot d'eau et dernier
de l'ordinaire, s'est escrié qu'il a dit la vérité, et qu'il n'en peult plus,
que l'on le soulage et qu'il dira la vérité. A esté soulagé, et luy a esté
passé le tréteau, a dit qu'il prie Dieu qu'il ne luy fasse point de
miséricorde s'il n'a dit la vérité. Lui a esté ôté ledit treteau. Au cinquième pot d'eau et dernier
de l'extraordinaire, s'est escrié : ah mon Dieu ! ah mon Dieu ! et n'a rien
dit. Au sixième pot d'eau et deuxième de l'extraordinaire, s'est escrié : je
me meurs, je n'en puis plus ! j'ai tout dit. Au septième pot d'eau, le
troisième de l'extraordinaire, n'a rien dit. Au huitième pot d'eau, le
dernier de l'extraordinaire, s'est escrié extraordinairement qu'il mourait et
n'a rien dit. Ce fait et attendu qu'il a
souffert la question ordinaire et extraordinaire, a esté soulagé et délié,
après que le sieur Morel, maistre chirurgien présent à laditte question, nous
a dit : que le dit Davot enfloit extraordinairement et qu'il y avoit péril à
le laisser un plus longtemps dans les tourments et a esté ledit Davot mis sur
le matelas, auprès du feu où lecture luy ayant esté faite de ses déclarations
à la question, et a dit icelles contenir vérité, y a persisté et signé la
minute, signé Bazin et de la Reynie. Ce fait et après que ledit Davot
a esté exposé un temps considérable sur ledit matelas. a esté procédé de
nouveau à son interrogatoire ainsy qu'il en suit. — Interrogé de son nom, prénom etc., il répond comme au
premier interrogatoire —. Sy ce que luy respondant a
dit pendant la question est véritable ? A dit qu'oui et qu'il y persiste. Sy luy respondant a dit tout ce
qu'il scavoit des choses dont il a esté enquis pendant la question et entre
autres sur le fait de la dame de qualité et de sa servante, pour l'affaire
desquelles, luy respondant se trouva avecq ledit Le Sage et laditte servante
au rendez-vous des Jacobins ? A dit qu'oui et que l'évangile
que luy repondant, dit sur la teste de laditte servante, dans le caba et ils
déjeunèrent estoit pour le compte particulier et pour les desseins de ladite
servante, qui ne le luy dit point néanmoins et que le billet que laditte
servante ou ledit Le Sage, ne peult bien dire lequel des deux luy donna, et
que ledit Le Sage reprit après, comme luy respondant l'a déclaré, estoit pour
le dessein de la dame de qualité sa maîtresse, et pour le dessein, dont luy
respondant, a parlé et persisté en tout ce qu'il a dit sur ce sujet comme
véritable. S'il n'a rien autre chose à dire
pour descharge de sa conscience. A dit que non, et qu'il nous prie de luy donner un confesseur pour se préparer à la mort. Lecture a luy faite, de ses
interrogatoires et responses contenir vérité y a persisté et signe la minute.
Signé Bazin et de La Reynie, et plus bas Pagot. L'instruction contre le prêtre Guibourg qui pour les mêmes griefs fut condamné a mort et exécuté, constate ces mêmes tortures ; ses interrogatoires révèlent des circonstances horribles. Ce prêtre âgé de 71 ans ne se bornait pas à dire des messes pour le succès des empoisonnements, il fabriquait et vendait lui-même des poisons : il avoua qu'il avait dit des messes sur -le ventre de plusieurs femmes ; ajoutant, qu'elles n'étaient pas déshabillées, mais seulement retroussées jusque au-dessus de la gorge. Le papier, dont il s'agit dans l'interrogatoire du prêtre Davot, était placé sous le calice. Tous les empoisonneurs jugés par le parlement et la chambre ardente qui fut établie à l'Arsenal, étaient prêtres ; et ce fut un prêtre qui donna les premiers renseignemens, eu révélant le secret de la confession. Tous les autres accusés, ceux pour lesquels les fabricants et distributeurs de poisons avaient opéré, appartenaient aux premières familles de la cour. Les poisons s'expédiaient de Paris à l'étranger. S'il faut en croire le marquis Dangeau et les autres annalistes du temps, le poison dont mourut madame Henriette d'Angleterre, duchesse d'Orléans, tante de Louis XIV, avait été envoyé par le chevalier de Lorraine son amant, alors en Italie. Ce fut aussi de loin, que fut expédié le poison qui fit périr la princesse Marie Louise, fille, de madame Henriette, mariée en 1679 au.roi d'Espagne ; elle mourut dix ans après sa mère en 1689, on attribua ce crime au conseil autrichien, qui redoutait que l'influence de la jeune reine sur son époux, ne déterminât le prince à refuser de se joindre aux puissances liguées contre, la France. On découvrit cet affreux complot et un contrepoison fut envoyé de Versailles ; mais le courrier arriva trop tard, et Dangeau raconte que le roi dit au souper : la reine d'Espagne est morte empoisonnée, dans une tourte d'anguille, la comtesse de Pernits, les caméristes Zapata et Nina qui en ont mangé après elle, sont mortes du même poison. Voilà ce que apporte, en propres termes, Dangeau qui avait vécu pendant quarante ans et sans interruption, dans l'intimité de Louis XIV. Les jésuites étaient alors tout-puissants. La cour était encore plongée dans l'abrutissement superstitieux du moyen âge ; tandis que la nation, éclairée par la propagande, repoussait de tous ses vœux et de tous ses efforts les doctrines ultramontaines et les absurdes prétentions du pouvoir absolu. Les troubles de la Fronde n'avaient été que la manifestation de l'opinion publique, pour une réforme dans toutes les branches de l'administration ; et c'est à cette époque, à la fin du dix-septième siècle, qu'avaient été promulguées ces fameuses ordonnances de Louis XIV, qui érigeaient en principe de procédure criminelle, la question et les tortures, même après la condamnation de l'accusé. Le procès-verbal que je viens de transcrire constate l'application de l'ordonnance criminelle de 1670 : application modérée, car l'ordonnance prescrivait six pots d'eau pour la question ordinaire, et autant pour la question extraordinaire. Le corps du condamné était placé sur un tréteau, de manière à recevoir la plus grande extension possible. Davot, après le quatrième pot, allait expirer, si, sur l'avis du médecin, le juge rapporteur n'eût interrompu le supplice. C'était au mois de juillet, et le malheureux patient extraordinairement enflé, avait été étendu sur un matelas devant un grand feu. Cette précaution avait été nécessaire pour prolonger de quelques instants son agonie. L'échafaud l'attendait. Alors l'instruction du procès était secrète : le dernier supplice seul était public. La marquise de Brinvilliers n'avait point subi la question : elle y avait été seulement présentée. C'était une femme titrée. Davot n'était qu'un pauvre prêtre obscur ; elle était coupable, il n'était que soupçonné. Les faits rappelés dans son interrogatoire avaient déjà été déclarés par Le Sage, La Voisin et les autres empoisonneurs, dont le prêtre Davot ignorait les- révélations. Beaucoup d'autres faits qui accusaient un grand nombre de seigneurs et de dames de haut parage se trouvaient consignés dans l'interrogatoire subi par Le Sage. Suivant lui, M. Pas, marquis de Feuquière, colonel d'infanterie, âgé de trente-huit ans, lui avait offert deux mille livres de rente pour se défaire du parent d'une jeune personne qu'il voulait épouser, et dont ce parent lui refusait la main. Madame Le Ferou, veuve du président de ce nom, et mort empoisonné, avait sollicité La Voisin de s'employer pour madame de Dreux, et cette empoisonneuse l'avait débarrassée de deux parents dont l'un était conseiller ; ce magistrat avait sauvé la vie à La Voisin : mais celle-ci avait sacrifié son libérateur aux exigences de madame de Dreux, qui, pour prix de ce double assassinat, lui avait fait présent d'une croix de diamants, qui valait plus de cinq cents écus. Le Sage avait ajouté que madame de Vivonne, fort inquiète d'un billet signé d'elle, des duchesses de Vitry et d'Angoulême, et de la princesse de Tingry, qu'elle avait confié à La Filastre, autre empoisonneuse. Ce billet regardait le roi et contenait des choses épouvantables. Madame de Vivonne avait supplié Le Sage, les larmes aux yeux et avec la plus vive instance, de retirer ce fatal billet, dont la découverte pouvait perdre elle et ses nobles amies. La Filastre avait reçu de ces dames de très fortes sommes. Le Sage avait promis merveilles, et il s'était tiré d'affaire par une jonglerie dont madame de Vivonne avait été dupe. Il terminait ses révélations en déclarant que les relations de ceux qui faisaient ce commerce des poisons s'étendaient aux principales villes de France, en Allemagne, en Suède et autres Etats, et pays étrangers. Voyez les articles biographiques Luxembourg (duc de) ; Bonnard, son intendant ; les comtesses de Polignac, du Roure, de Soissons ; Mancini, duchesse de Bouillon ; Clermont, comte de Saissac ; Guibourg, Davot, etc., etc. ; Grange (la demoiselle de la) ; Nail, curé de Launay, etc., etc. Si tous ces procès eussent été portés au parlement, les ministres de Louis XIV n'eussent pu les diriger au gré du maître, qui voulait sauver les nobles coupables. La commission de l'arsenal ne condamna que les fabricants et débitants de poisons, et les seigneurs et nobles dames, qui les avaient employés, furent tous déclarés innocents. Le duc de Luxembourg fut le seul qui subit une forme de procédure ; on se borna, pour tous les autres, à un interrogatoire très sommaire, et on se hâta de les proclamer innocents, sans autres formalités. Les ministres avaient pensé sans doute qu'il suffisait de débarrasser la société des fabricants de poisons. Cette condescendance pour les volontés du prince pouvait avoir et eut en effet les plus funestes conséquences. Les moyens de détruire n'ont jamais manqué aux criminels qui ont voulu les employer, et la honteuse partialité des commissaires de l'arsenal laissa la société, sans garantie contre de nouveaux attentats. Si le ministres de Louis XIV eussent respecté les lois rédigées tout récemment et sous leurs auspices ; s'ils n'eussent pas craint de violer l'ordre de juridiction qu'ils avaient eux-mêmes établi, la société n'eût rien gagné à leur respect pour la légalité, tous les coupables eussent été jugés par les tribunaux compétents et suivant le droit commun ; mais les nobles condamnés eussent obtenu leur grâce, et la miséricorde royale les eût rendus à la société ; ils eussent repris leur rang, leur privilège ; on voulait leur épargner la tache d'une condamnation ; il ne s'agissait que de crimes privés. Proscription et embastillement des Protestants.Comment qualifier l'attentat dont le gouvernement se rendit coupable par la violation du droit le plus sacré, la liberté de conscience ? Ce droit avait été solennellement reconnu par l'édit de Nantes de 1598. C'était une des conditions de l'avènement de la branche des Bourbons au trône des Valois ; c'était pour s'en assurer la jouissance, que plusieurs générations avaient versé leur sang, sur le champ de bataille, cet Henri IV n'était que leur chef. Il leur devait la couronne de France ; il avait combattu à leur tête et pour la même cause, depuis sa première abjuration dans la chapelle du Louvre, le 24 août 1572. Cette abjuration fut l'effet de la violence. Henri avait été moins courageux que son cousin le prince de Condé, qui, comme lui, menacé de la mort, n'en persista pas moins dans sa croyance religieuse, et ne perdit point la vie. Parvenu au trône, et devenu catholique, Henri devait des garanties aux Français de la religion réformée. Des places de sûreté leur avaient été données ; c'était justice et prudence ; il leur fallait des garanties légales, et l'édit de Nantes ne leur accorda qu'une partie de celles auxquelles ils avaient un droit incontestable. L'édit lui-même était une grave faute. Il fallait éviter toute différence entre les Français à raison de leur culte, maintenir pour tous l'égalité devant la loi commune. Le temps eut effacé progressivement les antipathies politiques et religieuses. Vainement-Henri avait déclaré l'édit irrévocable. Né dans un pays libre et gouverné par ses États, dont le roi n'était que le chef de l'administration, Henri avait oublié l'exemple et les leçons de sa mère, de Coligny, les leçons plus puissantes de l'infortune et de l'expérience. Les rois ne se sont jamais crus liés par leurs propres actes, encore moins par ceux de leurs prédécesseurs. Henri lui-même, pendant les douze années qu'il régna depuis la promulgation de son édit, s'est montré souvent infidèle à ses principales dispositions. Et cependant le trésor public, d'immenses propriétés, les onéreuses contributions appelées dîmes, fournissaient largement aux dépenses du clergé catholique, tandis que les frais du culte réformé, la construction, l'entretien des temples, des écoles, des séminaires, des pauvres, des malades, étaient à la charge des familles protestantes. Des assemblées étaient indispensables pour régler le régime intérieur ; et les attributions des synodes, des consistoires furent presque détruites par l'édit Richelieu de 1629. Ce n'était point assez pour un gouvernement qui avait pour devise et pour règle, une foi, un roi. L'article 12 de la déclaration de 1669 avait restreint, mais non pas aboli la faculté qu'avaient les consistoires de recevoir des legs et des donations. Richelieu s'était contenté d'ôter à ces assemblées tout caractère politique ; ses successeurs ont été plus loin, ils enlevaient, par cette déclaration de 166g, aux protestants, les seuls moyens qui leur restaient pour fournir aux besoins de leur culte. Au grand étonnement des ministres de Louis XIV, les protestants continuèrent de se soutenir, sans autres ressources que les sacrifices et les privations que s'imposèrent les fidèles et leurs pasteurs ; ils jouissaient du moins des revenus, des legs et des donations antérieurs à 1669 ; ces propriétés, qui devaient être sacrées, leur furent enlevées par une nouvelle déclaration du 15 janvier 1685. Le roi les déclara confisqués à son profit ; les églises catholiques eurent leur part du butin. Quelques débris furent donnés aux hôpitaux, pour l'entretien des malades protestants. Un arrêt du conseil du 4 septembre 1684, défendit à tous particuliers, de quelque qualité et condition qu'ils soient, de retirer, dans leurs maisons, aucun malade de la religion protestante, sous prétexte de charité. Cet arrêt inhumain reçut immédiatement son exécution, tous les malades furent enlevés des maisons de leurs bienfaiteurs, ou des bras de leurs parents, et transportés sur des brancards à l'Hôtel-Dieu. Cet enlèvement, exécuté en même temps, dans tous les quartiers de Paris, excita l'indignation générale ; des catholiques même, manifestèrent hautement leur étonnement et leur douleur. Les ministres avaient voulu que la capitale offrît l'exemple de la soumission à l'arrêt du grand conseil. Le but du gouvernement était évident, il voulait isoler les protestants, séparer les membres de chaque famille, livrer sans défense au zèle, des convertisseurs, les vieillards, les malades et les enfants ; et faciliter ainsi les abjurations. Cependant les liens civils et religieux des familles n'étaient point rompus ; les pasteurs, les chefs des consistoires restaient en possession des actes civils ; ils constataient les naissances, les mariages, les décès. L'ilotisme des protestants n'était pas consommé ; un gouvernement dominé par les jésuites et les maîtresses du prince, ne pouvait tarder à briser le dernier lien qui unissait encore les Français protestants. Un arrêt de 1685, enleva aux ministres de la religion réformée les registres de l'état civil, pour les remettre aux prêtres catholiques. Aucun mariage ne put être célébré qu'à la condition d'une attestation de catholicisme et d'un serment. Ainsi les familles protestantes ne purent s'unir sans un parjure. Toutes les infractions au droit commun, à la foi des contrats, à la liberté politique et religieuse, stipulée par les traités les plus solennels, dont la justice, la raison, l'honneur et la religion même consacraient l'inviolabilité, étaient abolis par de simples arrêts du conseil. De l'édit eussent été soumis à l'enregistrement parlementaire, et les ministres avaient voulu s'affranchir de cette formalité. La fameuse assemblée du clergé de 1682, n'avait consenti à proclamer sa déclaration, sur les libertés de l'église gallicane qu'à la condition de l'entière extirpation de l'hérésie ; car c'est de cette époque que date ce redoublement effréné de proscriptions contre les protestants. On voulait les pousser à la guerre civile, on espérait en avoir bon marché ; on oubliait quelle résistance, avaient opposée aux meilleures troupes et aux meilleurs généraux, les protestants des Cévennes. Dans toutes les parties de la France, les protestants avaient perdu leurs temples, partout ils étaient traqués comme des bêtes fauves : mort ou messe, tel était le mot d'ordre donné aux gouverneurs, aux intendants des provinces. Le ministre de la guerre Louvois s'était fait théologien ; il dirigeait les missions et les dragonnades. Il écrivait au duc de Noailles ; que sa majesté voulait qu'on fît sentir les dernières rigueurs, à ceux qui ne voudraient pas se faire de sa religion (Hist. de l'éd. de Nant. I. 5 l. 23. p. 868 et suivantes) ; que ceux qui auraient la fausse gloire de vouloir demeurer les derniers, devaient être poussés jusqu'à la dernière extrémité ; S. M. désirant que l'on s'explique durement contre ceux qui voudraient persister à professer une religion qui lui déplait. Un déclaration royale portait : que si les malades, qui auraient refusé le viatique, recouvraient la santé, leur procès leur serait fait, et qu'ils seraient condamnés, les hommes à faire amende honorable et aux galères perpétuelles ; les femmes aussi à l'amende honorable et à être enfermées ; que quant à ceux qui mourraient après le refus, le procès serait fait à leur mémoire, leur succession confisquée, et leurs cadavres traînés sur la claie et jetés à la voirie. Les protestants restaient sous les coups de leurs persécuteurs. L'article 10 de l'édit leur défendait de sortir de France, ni d'en transporter leurs biens et effets. La France n'était plus pour eux qu'une vaste prison. Les étrangers, jusqu'alors tributaires de notre industrie, profitèrent habilement des circonstances. Des agences s'établirent en France et à Paris même : les directeurs avaient à leur disposition des passeports pour la Prusse, la Hollande, l'Angleterre, et des fonds. Des relais, établis jusqu'aux frontières, facilitaient l'émigration des proscrits. Le commerce était entre les mains des protestants, et, grâce au zèle maladroit des convertisseurs, d'immenses capitaux, et les plus habiles manufacturiers, les ouvriers les plus instruits passèrent à l'étranger, malgré l'excessive surveillance des gouverneurs, des intendants et les primes accordées aux agents de cette police si active, si brutale et qui observaient toutes les localités. Toutes les prisons d'Etat étaient encombrées de protestants : on les torturait dans le silence des cachots pour leur extorquer une abjuration. Les enfants étaient arrachés à leurs parents et remis à des moines et à des religieuses Supplices, menaces, séductions, tout était employé, et les geôliers devenaient les auxiliaires des missionnaires. On obtint ainsi beaucoup d'abjurations ; mais les nouveaux convertis, ne se croyant pas liés par un acte arraché par la violence, reprenaient, avec la liberté l'exercice du culte de leurs pères. On crut prévenir ce retour, en les retenant en prison, après leur avoir promis la liberté pour prix de leur abjuration. Les protestants occupent une grande place dans les registres de la Bastille et des autres prisons d'Etat : honte et malheur aux jeunes filles, aux jeunes épouses que le fanatisme livrait aux geôliers. Les officiers, les aumôniers même, maîtres de leur existence, les plongeaient dans des cachots infects ; les privaient d'air et d'aliments, jusqu'à ce qu'ils eussent assouvi sur leurs victimes leur brutale lubricité : souvent même ils employaient la violence. Les preuves de ces scènes d'horreur ne manquent pas, et elles rendent le doute impossible. J'appelle l'attention sur la jeune épouse Odricot, sur son époux plus malheureux encore ; je pourrais en citer beaucoup d'autres : ils sont tous rappelés dans la partie biographique : des familles entières, renfermées dans les mêmes prisons, ignoraient le sort de-leur père, de leur mère, de leurs enfants, dont ils n'étaient séparés que par un mur ou un plancher. Ces persécutions commencées sous Louis XIV ont continué sous les règnes de ses successeurs, et ne se ralentirent qu'à la fin du dix-huitième siècle ; l'opinion publique était devenue une puissance ; mais les protestants n'en étaient pas moins exclus de toutes les fonctions publiques ; ils étaient encore soumis à la même législation, aux mêmes édits, aux mêmes prohibitions : seulement la persécution n'avait pas la. même intensité ; mais c'était encore une classe de Paria, sans droits, sans patrie, sans garantie pour le présent et pour l'avenir. Doit-on s'étonner qu'ils aient salué de leurs acclamations la révolution de 178g, qui leur rendait les droits des citoyens. Alors seulement ils furent Français. On ne les a point vus abuser de la victoire commune, ni provoquer des représailles contre la secte catholique qui les avait proscrits, décimés par le fer et les supplices pendant près de deux siècles. On ne les vit point se réunir en armes pour se défendre contre les nouveaux dangers, dont les menaçaient les ennemis de la grande révolution. Les lois les protégeaient ; mais des magistrats, trahissant leurs devoirs et leurs serments, les livrèrent sans défense aux bandes fanatiques du midi. Le sang coula à Montauban, à Toulouse, dans l'Albigeois et les Cévennes. La paix fut rendue à ces malheureuses contrées quand l'autorité fut confiée à des magistrats choisis par les citoyens ; ces guerres déplorables paraissaient pour jamais éteintes quand le retour des Bourbons ramena les mêmes crimes et les mêmes calamités. Les massacres des protestants du midi, pendant les premières années de la restauration, sont encore présents à tous les souvenirs. La liberté de conscience, admise sans restriction, sans arrière-pensée, peut seule nous garantir du fléau des guerres de religion : on n'aura fait qu'en suspendre l'explosion, tant qu'il existera dans nos lois, dans nos mœurs, une ligne de démarcation-entre les différents cultes ; on sait combien on a abusé des mots religion de l'Etat, religion de la majorité. N'avons-nous pas vu la fureur des conversions se renouveler il y a peu d'années ? les traditions de l'ancien régime n'étaient pas perdues. Nous n'avons plus de Bastille ; mais-nous avons encore des couvents, dont les dotations et l'indépendance sont consacrées par des lois. J'ai cru devoir réunir dans un seul cadre, l'aperçu rapide, mais fidèle, de la proscription des protestants, avant et depuis la révolution de 1789. Plusieurs familles dont les ancêtres avaient été forcés d'abandonner la France y sont rentrés depuis cette dernière époque, et ont éprouvé à leur tour les mêmes persécutions et subi les mêmes calamités. L'histoire des proscrits de deux époques aussi éloignées présentent souvent les mêmes noms. En présence d'évènements aussi graves, et qui embrassent l'existence politique et religieuse de plusieurs générations, et qui ont eu une si grande influence dans la civilisation européenne, le problème historique de l'Homme au Masque de fer, n'est plus qu'un événement ordinaire. Combien d'autres ont été comme ce prisonnier mystérieux, détenus, transférés de prisons en prisons sous un nom supposé, et tenus au secret le plus rigoureux jusqu'à leur mort. Leurs familles, compulseraient vainement les registres mortuaires ; ils n'y trouveraient point les noms qu'ils chercheraient. |