Origine de la Bastille. — Sa première destination. — Son changement immédiat en prison d'Etat. — Son fondateur et son premier prisonnier. — Hugues Aubriot. On appelait dans l'origine Bastille les fortifications temporaires que l'on élevait autour des villes assiégées. C'est ainsi que Froissard appelle les redoutes que les Anglais élevèrent lors du siège d'Orléans, sous Charles VII (1428). Au commencement du règne du roi Jean, l'entrée de Paris par le quartier Saint-Antoine, consistait en une porte, protégée par deux tours, qu'on nommait le Bastion Saint-Antoine. C'est là que fut assassiné, par Maillard, le prévôt Marcel en 1358. La France était déchirée par deux factions puissantes : les Armagnacs ou Orléanistes et les Bourguignons ; cette dernière dominait à Paris. Hugues Aubriot, plébéien, né à Dijon, et dont le duc de Bourgogne et son conseil avaient su apprécier les talents et le zèle, avait été chargé de l'administration des finances, et bientôt après élu prévôt des marchands. Il fallait un homme de capacité et de courage pour protéger les existences et les propriétés contre deux partis en présence, et également exaspérés. Les privilèges de l'université étaient le plus grand obstacle à l'ordre public. L'université avait comme les grandes corporations, ses immunités, son gouvernement, ses tribunaux. Les écoliers n'étaient justiciables que de sa juridiction, ils faisaient en masse des incursions dans les autres parties de la ville ; Hugues Aubriot avait fait fortifier le Châtelet pour s'opposer à leurs brigandages, l'expression n'est pas trop forte-pour qualifier les excès des écoliers. Ce magistrat avait constamment opposé aux absurdes et illégales prétentions de l'université, la plus courageuse résistance. Il n'entre point dans la spécialité de mon plan, de rappeler les établissements utiles que la capitale doit au patriotisme éclairé, infatigable, de Hugues Aubriot. Le désastre de la journée de Poitiers, la captivité du roi Jean, l'occupation de nos plus belles provinces par les étrangers, menaçaient la capitale d'une prochaine invasion. Hugues Aubriot jeta les fondements de la Bastille en 1569, suivant quelques historiens ; en 1571, suivant Delamarre, il s'était d'abord borné à faire creuser des fossés autour de l'enceinte de la ville et à élever quelques murailles. Les nouvelles fortifications de la porte Saint-Antoine ne purent s'exécuter que pendant la paix. Deux tours furent ajoutées à celles qui existaient déjà ; toutes les quatre furent jointes par d'épaisses murailles. Le travail ne fut achevé qu'en 1381. Deux ans après, Charles VI fit construire les autres tours qu'il réunit également par un mur, et les fit environner par un fossé de vingt-cinq pieds de profondeur. Les anciennes et les nouvelles constructions reçurent le nom de Château royal de la Bastille ; d'autres ouvrages, appropriés à sa nouvelle destination comme prison d'Etat, commencés en 1555, ont été terminés en 1559. Ainsi la Bastille était restée près de deux siècles telle qu'Aubriot l'avait faite ; à peine en avait-il fait achever les travaux, qu'il avait été dénoncé au tribunal de l'évêque comme impie, hérétique et débauché : il avait été condamné à un emprisonnement perpétuel, renfermé au fort l'Evêque et ensuite à la Bastille. En 1582, le peuple parisien, irrité par l'augmentation d'un impôt dont l'entière suppression avait été solennellement promise, après la mort de Charles V, se souleva, envahit la Bastille, délivra Hugues Aubriot, et l'invita à se mettre à sa tête. Mais, dès la nuit suivante, Aubriot sortit de Paris, et se réfugia en Bourgogne, où il passa tranquillement le reste de ses jours. Tel fut le fondateur et le premier prisonnier de la Bastille. Dans les guerres civiles du siècle suivant, la population parisienne, entraînée par Hector de Saveuse, Jean de Luxembourg et d'autres capitaines bourguignons, assaillit la Bastille et s'en empara, et le gouvernement en fut donné à Robert de Canni, ennemi personnel du duc d'Orléans, qui avait séduit et déshonoré son épouse. Quelle cour ! quelles mœurs ! Tous les vices et tous les crimes se montraient dans toute leur hideuse nudité. Charles VII était reconnu dans quelques provinces ; mais les Anglais, à qui Isabeau de Bavière avait vendu et livré la France, étaient encore maîtres de Paris. Un Français, resté fidèle à sa patrie, était prisonnier à la Bastille ; il paya sa rançon et obtint sa liberté. Revenu à la Bastille pour y voir ses compagnons d'infortune, il avait aperçu le guichetier dormant sur un banc ; il se saisit des, clefs, et, réuni à ses amis qu'il a délivrés il tue le guichetier. Une partie de la garde subit le même sort. Les autres donnèrent fa- larme : les prisonniers insurgés furent bientôt enveloppés et mis à mort. Leur projet était non-seulement de s'évader, mais de s'emparer de ce château-fort, et de faciliter la rentrée de Charles VII à Paris. Charles VII avait de nombreux partisans dans la ville : les Parisiens ne pouvaient supporter la domination étrangère. Le comte de Richemont se présenta, le 3 avril 1456, à la porte Saint-Jacques avec des troupes ; elles forcent la garde ; des échelles furent dressées par les bourgeois ; Lile-Adam y monta le premier, et arbora sur la porte la bannière de France. Les Parisiens s'arment et se réunissent dans tous les quartiers ; ils marchent contre les Anglais commandes par l'évêque de Théroane, le prévôt de Paris, Larcher. Partout les Parisiens combattent et triomphent ; la Bastille est bloquée, et les Anglais, qui l'occupaient, n'obtinrent la vie sauve qu'en capitulant et en payant une forte rançon. Henri IV se rendit maître de la Bastille le 27 mars 1594 ; mais, sans coup férir, Brissac, gouverneur de Paris pour la Ligue, avait livré l'entrée de la ville à Henri. A cette nouvelle, Dubourg-Lespinasse, qui commandait à la Bastille, témoigna la plus vive indignation contre la trahison de Brissac, et, déterminé à défendre la Bastille, il envoya des soldats pour enlever toutes les farines qui se trouvaient dans les maisons voisines et dans les moulins à vent des remparts. Il fit tirer quelques coups de canon ; plusieurs habitans du quartier Saint-Antoine furent blessés. Informé qu'Henri IV se disposait à faire le siège du château, il demanda et obtint d'envoyer prendre les ordres du duc de Mayenne, de qui il tenait le commandement. Le chef de la Ligue était à Soissons ; il répondit à Dubourg-Lespinasse qu'il ne pouvait le secourir. Dubourg consentit à remettre la place, refusa l'argent qui lui était offert de la part d'Henri, et sortit du château, portant encore l'écharpe noire de ligueur et avec les soldats de la garnison, et se retira auprès du duc de Mayenne. Il jura qu'il se vengerait de la lâcheté de Brissac, et se battrait à outrance avec lui, dès qu'il pourrait le rejoindre. Ce château-fort, devenu depuis cette époque prison d'Etat, n'a, pendant longtemps, reçu que des prisonniers d'un rang élevé ; mais le gouvernement, devenu depuis plus absolu, plus ombrageux, plus intolérant, y a fait renfermer des malheureux de tout âge et de toute condition. Des changements intérieurs sont devenus nécessaires pour remplir sa nouvelle destination. J'ai cru devoir réunir, dans une seule notice détaillée, la description de chaque localité, et placer cette notice en regard du plan dressé sur les lieux avant la démolition de la Bastille. |