Après avoir donné la notion la plus exacte qu’il nous a
été possible de l’état des Gaules au commencement du cinquième siècle, il
convient d’exposer quelles étaient les nations barbares qui habitaient sur la
frontière de l’empire du côté du nord ou du côté du levant, et qui par
conséquent se trouvaient le plus à portée de lui fournir des soldats quand
elles avaient la paix avec lui, comme de faire des invasions, ou du moins des
incursions dans son territoire en temps de guerre ou de troubles. De ces
nations, les unes avaient leur demeure dans Les principales de celles de nos nations qui habitaient
dans Heureusement mon objet ne demande point que je marque avec précision quelle contrée habitait chacune de ces nations, ni à quelle province de la géographie moderne, cette contrée répond. Il me serait impossible de l’exécuter. Les auteurs anciens font souvent mention du même peuple sous différents noms, et ils donnent quelquefois le même nom à différents peuples ; d’ailleurs ils ne se soucient pas de marquer exactement les limites de la contrée que chaque peuple habitait. Je crois même plus volontiers qu’il leur était impossible de le marquer avec précision, à moins que ces limites ne se trouvassent par hasard être des bornes naturelles, comme sont les fleuves et les montagnes. Tous les pays dont s’agit, encore à demi défrichés, n’étaient point semés de villes dont chacune eût un district certain. Comme il n’y avait point eu de démarcation faite entre ces peuples, les bornes arbitraires de leur domination se remuaient si souvent, qu’on ne saurait désigner les lieux qu’ils habitaient, que par le voisinage de la mer, des fleuves ou des montagnes. Il serait donc inutile de rechercher quelle était
l’ancienne patrie des nations germaniques, et de quelle contrée elles étaient
parties pour venir s’établir dans le pays qu’elles occupaient au commencement
du cinquième siècle, et même de vouloir marquer précisément quelles étaient
les bornes de la région que chacune d’elles possédait, ou plutôt occupait
alors. Nous venons d’en dire la raison. Ceux qui voudront s’instruire de ce
qu’il est possible de savoir concernant ces deux points-là, pourront
consulter le docte livre que Cluvier a écrit sur Les bourguignons occupaient au commencement du cinquième
siècle le pays qui est à la droite du Rhin, entre l’embouchure du Nécre et la
hauteur de la ville de Bâle. Ammien Marcellin dit que cette nation était très
nombreuse et composée d’hommes braves qui s’étaient rendus la terreur des
peuples voisins. Orose en parlant d’une expédition faite vers l’année trois
cent soixante et dix, et dans laquelle les bourguignons prirent part en qualité
d’alliés de l’empire, dit qu’ils se présentèrent sur les bords du Rhin au
nombre de quatre-vingt mille combattants. C’en est assez pour juger que notre
nation devait être très nombreuse. Voici encore ce qu’on lit dans Orose qui
écrivait vers l’année quatre cent vingt, concernant l’origine et l’état où se
trouvait de son temps la nation des bourguignons dont pour lors une partie
avait déjà passé le Rhin pour s’établir dans les Gaules. On dit que Drufus Nero et Tibère son frère après avoir
soumis l’intérieur de Il convient de suspendre ce que j’ai encore à dire concernant les bourguignons, pour faire une observation, dont je prie le lecteur de se souvenir, parce qu’on ne saurait l’avoir trop présente à l’esprit quand on lit une histoire qui traite des royaumes fondés par les barbares sur le territoire de l’empire romain. Cette observation sert à empêcher qu’on ne trouve de l’opposition dans des récits, qui d’abord semblent se contredire. La voici : ce que disent les historiens concernant le nombre d’une certaine nation barbare, ne conclut que pour le temps même dont parlent ces auteurs, et ne prouve point que dix ans auparavant, ou que dix ans après, ce nombre eût été, ou fût encore le même. La multitude des hommes de chaque nation dépendait de ses succès et de ses disgrâces. La nation florissante s’augmentait subitement, parce que d’autres barbares abjuraient leur propre nation pour se faire adopter dans celle-là, qui de son côté naturalisait, pour ainsi dire, volontiers les étrangers, parce que plus une nation était nombreuse, plus elle devenait puissante. Voici un exemple convainquant de cette sorte de transmigration des citoyens d’une nation dans une autre nation. Procope observe, en parlant de la guerre que l’empereur Léon fit vers l’année quatre cent soixante et seize aux vandales qui s’étaient rendus maîtres de l’Afrique, que cette nation s’était beaucoup multipliée depuis sa conquête. Les vandales, dit notre historien, lorsqu’ils passèrent en Afrique... Les barbares dont je viens de parler, et les alains s’appelaient aussi bien vandales que les vandales d’extraction. Procope ne dit point précisément dans cet endroit-là en quel nombre étaient alors les vandales d’Afrique ; mais il écrit dans un autre endroit de ses ouvrages, que lorsque Justinien conquit l’Afrique sur eux, environ soixante ans après la guerre entreprise par Léon : ces vandales étaient au nombre de cent soixante mille hommes portant les armes, c’est-à-dire, sans compter les femmes, les enfants et les esclaves. Quelle multiplication en si peu d’années ! Je reviens aux bourguignons. Avant que de s’établir dans les Gaules, ils avaient été longtemps, tantôt les confédérés, et tantôt les ennemis des romains. Ce qu’il y a de plus singulier à remarquer dans le portrait que l’histoire du moyen âge nous fait des bourguignons, c’est que la plupart de ces braves gens étaient forgerons ou charpentiers de profession. Avant que d’être établis dans les Gaules, ils y venaient apparemment gagner leur vie à la sueur de leur front, au lieu que le commun des barbares ne connaissait guère d’autres outils que leurs armes. Tous les autres barbares regardaient le travail qui se fait pour le service d’autrui, comme un des plus grands malheurs de l’esclavage. Agathias le scolastique qui a écrit dans le sixième siècle, dit aussi que la nation des bourguignons était également brave et laborieuse. Quant au gouvernement politique, cette nation était divisée tandis qu’elle habitait la Germanie, en plusieurs corps ou tribus, dont chacune avait son chef, de qui l’autorité, loin d’être héréditaire, n’était point même perpétuelle. Agathias qui vient d’être cité, dit qu’au rapport
d’Asinius Quadratus, auteur bien plus ancien que lui, et qui avait donné une
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