HISTOIRE DE L'HELLÉNISME

TOME DEUXIÈME. — HISTOIRE DES SUCCESSEURS D'ALEXANDRE (DIADOQUES)

LIVRE TROISIÈME. — CHAPITRE PREMIER (316-311).

 

 

Coalition contre Antigone. - Négociations. - Préparatifs d'Antigone : ses forces maritimes. - Commencement de la lutte en Asie-Mineure. - Premiers mouvements des alliés. - Alexandre abandonne la cause d'Antigone. - Fin de la première année de la guerre. - Deuxième année de la guerre (314). - Antigone fait la conquête de Tyr. - Troisième année de la guerre (313). - Lysimaque contre Callatis. - Capitulation d'Asandros. - La lutte en Grèce. - La lutte pour l'Eubée. - Soulèvement de Cyrène et de Cypre. - Quatrième année de la guerre (312). - La lutte pour l'Épire. - Lutte dans le Péloponnèse. - Lutte en Syrie. - Bataille de Gaza. - Retraite de Démétrios. - Ptolémée occupe la Syrie. - Retour de Séleucos à Babylone. - Défaite de Nicanor. - Victoire de Démétrios à Myonte. - Ptolémée se retire de la Syrie. - Campagne contre les Nabatéens. - Expédition de Démétrios contre Babylone. - Paix de 311. - Résumé.

Séleucos était venu en Égypte auprès de Ptolémée à la fin de l'été de l'année 316 et y avait trouvé l'accueil le plus honorable. Il faut remarquer surtout l'exposé qu'il fit alors à l'Égyptien, si nous en croyons l'auteur le mieux informé. C'est un acte d'accusation plein d'amertume contre Antigone : il a, dit-il, manifestement l'intention d'expulser des satrapies tous les hommes de quelque importance, notamment les anciens compagnons d'armes d'Alexandre ; c'est ainsi qu'il a assassiné Pithon de Médie, qu'il a dépouillé de sa satrapie Peucestas de Perse, et qu'il a cherché querelle à Séleucos lui-même, dans l'espoir de trouver une raison quelconque de se débarrasser de lui. Aucun d'eux n'avait rien fait contre lui, bien au contraire ; ils l'avaient soutenu dans sa lutte contre Eumène par tous les moyens et avec une entière abnégation ; telle était maintenant leur récompense : sa puissante armée, les immenses trésors, fruit de ses pillages en Asie, ses étonnants succès l'avaient tellement gonflé d'orgueil, qu'il croyait pouvoir atteindre au pouvoir suprême et qu'il le voulait ; il était évident qu'il n'ambitionnait rien moins que la possession de tout l'empire : si on ne lui opposait pas à temps une sérieuse résistance, c'en était fait de la puissance des satrapes, dont la plupart en Orient étaient déjà dans sa dépendance. Séleucos réussit sans peine à persuader Ptolémée de l'imminence du dan ni, et à le décider à une guerre qui, étant données les circonstances, semblait inévitable. En même temps, Séleucos envoyait des hommes de confiance à Cassandre et à Lysimaque, pour appeler leur attention sur le développement exagéré de la puissance d'Antigone, sur le danger qui les menaçait eux aussi, et pour les décider à s'allier entre eux et avec l'Égypte : ce n'est que de cette façon qu'ils pouvaient espérer être en mesure de résister aux forces immenses de l'adversaire. Les négociation furent entamées avant le commencement de l'année 315, et l'alliance définitive fut préparée[1].

Vers le temps de ces négociations, Antigone avait marché de Babylone sur la Cilicie :et y avait pris ses quartiers d'hiver : il avait pu prévoir que Séleucos ferait tous ses efforts pour exciter contre lui les potentats de l'Occident ; il espérait sans dont. que si, dans la position décidément prépondérante qu'il avait prise, il se montrait prévenant à leur égard et s'il démentait les desseins ambitieux dont l'accusait Séleucos, il amènerait pour le moins les autres chefs à ne pas se coaliser et à lui laisser le temps d'exécuter d'autant plus sûrement ses plans contre chacun d'eux en particulier. Il envoya des ambassadeurs à Ptolémée, à Cassandre, à Lysimaque, pour leur rendre compte des succès qu'il avait obtenus en Asie contre l'ennemi- commun. et les inviter à conserver encore à l'avenir le lien d'amitié qui lui avait permis de faire valoir leurs intérêts communs.

A la fin de l'hiver, il quitta ses quartiers d'hiver et conduisit ses troupes vers la Haute-Syrie[2], afin, dans le cas où les négociations se rompraient, de se jeter sur Ptolémée, qu'il regardait avec raison comme le plus dangereux de ses adversaires, de s'emparer de la Syrie, notamment des côtes et des ports, et d'enlever à l'adversaire, avant quo ses alliés ne pussent accourir à son secours, tous les territoires dont l'annexion à l'Égypte avait étendu la puissance du Lagide bien au delà des bornes que lui traçaient les conventions de 321. Antigone pouvait-il s'attaquer à lui en vertu de ses droits de stratège ? il les avait reçus pour combattre les partisans de Perdiccas, et, après la défaite d'Eumène, sa mission n'avait plus d'objet : son titre légitime, c'était justement la puissance qu'il avait conquise par cette victoire et ses conséquences, et elle était assez grande pour obtenir par la force la reconnaissance de ses prérogatives. Peut-être le prudent Lagide appréhendait-il de tenter la fortune des armes contre celui devant lequel Eumène avait succombé.

C'est à ce moment que les ambassadeurs de Ptolémée et de ses alliés arrivèrent au quartier général du stratège. Conduits dans le Synédrion, ils déclarèrent que leurs maîtres désiraient beaucoup garder de bons rapports avec Antigone ; ils avaient fait avec lui la guerre contre Polysperchon et Eumène, il était donc juste qu'ils eussent part aux fruits de la victoire : ils demandaient que les trésors qui avaient été pris dans la Haute-Asie fussent partagés avec eux ; que toute la Syrie, y compris la Phénicie, fût annexée à l'Égypte ; que la Phrygie sur l'Hellespont fût remise à Lysimaque ; que la Lycie et la Cappadoce fussent réunies avec la Carie sous l'autorité d'Asandros ; que la Babylonie fût rendue à Séleucos ; que Cassandre fût reconnu légitime possesseur de ses pays européens et confirmé dans la situation qu'avait eue Polysperchon[3] ; eux, de leur côté, reconnaîtraient Antigone comme stratège des satrapies supérieures, seraient prêts à lui rendre service et prêter assistance en toute occasion légitime[4] : si Antigone refusait d'accepter ces conditions, les alliés, en unissant leurs forces, sauraient faire triompher leurs justes prétentions. Antigone répondit à ces propositions, avec une dureté qu'il ne chercha pas à déguiser, que tout était prêt pour la lutte contre Ptolémée. Les ambassadeurs quittèrent le camp, et bientôt après fut conclue l'alliance armée entre les généraux que nous avons nommés[5].

Antigone, en face de la coalition, avait l'avantage sur plus d'un point. Il avait ses forces réunies ; tandis que les alliés étaient obligés d'agir sur la périphérie, il avait en Cilicie une position centrale, et par là l'avantage d'opérations concentriques, pour la direction desquelles il fit établir plusieurs lignes de fanaux et de postes à travers toute l'Asie qui lui appartenait ; en sa qualité de stratège, possédant dans son armée toutes ses ressources, ou du moins les plus essentielles, il n'était pas gêné comme ses adversaires par les ménagements de toute sorte qu'il leur fallait avoir pour les pays soumis à leur autorité : il faut ajouter à tout cela qu'il avait à sa disposition une grande armée, parfaitement équipée, et d'immenses ressources pécuniaires. Pourtant la puissance des adversaires était loin d'être à mépriser ; Ptolémée surtout, le plus voisin et le plus important de ses ennemis, qui était le noyau de la coalition et qui en avait la direction dans les choses essentielles, avait sur mer une force disponible supérieure à la sienne, et il avait dans son armée navale la flotte phénicienne. Maître de lamer, il avait la possibilité de rester en relations constantes avec ses alliés, de maintenir la liberté de l'Hellespont, d'amener d'Europe en Asie-Mineure les armées des alliés, d'attaquer, avec celles-ci et les forces d'Asandros, son adversaire par le nord, tandis que l'armée égyptienne l'attaquerait au sud.

Il fallait qu'Antigone songeât avant tout à rendre d'avance un tel plan de campagne irréalisable ; il fallait qu'il occupât les puissances européennes de façon à ce qu'elles ne pussent prendre aucune part à la guerre en Asie, et qu'il isolât de la même façon son adversaire en Asie-Mineure, afin de pouvoir se tourner avec des forces supérieures contre Ptolémée et l'anéantir séparément. Pour cela, l'armée de terre ne suffisait pas ; il fallait attaquer du côté de la mer, et pour le moment Antigone n'avait pas un navire à sa disposition. Ce qu'il y avait à faire, c'était de s'emparer immédiatement de la côte de Phénicie et de Syrie, et ensuite, puisque Ptolémée avait retiré tous les navires qui s'y trouvaient, de construire avec toute la rapidité possible et à tout prix sur les chantiers phéniciens des navires neufs et de les mettre en état de prendre la mer. Comme la Phénicie n'était pas en état de résister à une attaque vigoureuse venant de la terre, il était possible d'arriver rapidement à un résultat de ce côté.

Antigone envoya en même temps Agésilas à Cypre, Idoménée et Moschion à Rhodes, pour attirer dans ses intérêts ces deux îles, qui étaient les stations navales les plus considérables et possédaient des navires en quantité, et faire construire sur leurs chantiers des navires neufs. Son neveu Ptolémée devait marcher sur l'Asie-Mineure avec un corps considérable, chasser rapidement de la Cappadoce les troupes d'Asandros, se mettre en communication avec le tyran d'Héraclée[6], se tourner ensuite vers l'Hellespont, afin d'y barrer le passage à des secours venant d'Europe et de menacer les flancs du satrape de Carie, enfin nouer des relations, si c'était possible, avec les villes grecques du Pont, qui étaient soumises à Lysimaque, et les insurger. Dans le Péloponnèse fut envoyé le fidèle Milésien Aristodémos avec 1.000 talents : il avait ordre de recruter le plus possible de troupes sur le Ténare, de nouer des négociations avec Polysperchon et son fils Alexandre, de nommer le premier, au nom d'Antigone, stratège du Péloponnèse et d'inviter le second à venir en Syrie pour s'entendre ultérieurement avec Antigone ; le plan consistait à faire attaquer Cassandre par des troupes venant du Péloponnèse et à le retenir à Athènes.

Au printemps de 315, Antigone envahit la Syrie, chassa les garnisons égyptiennes des villes[7] et se dirigea sur Tyr à marches forcées. Cette ville était, depuis Alexandre, le point le plus fort de la côte phénicienne ; elle était alors occupée par une garnison égyptienne considérable. Située sur une île, elle ne pouvait être attaquée et prise que par mer : l'exemple d'Alexandre avait montré les inconvénients de la construction d'une digue. Antigone était campé en face de l'île, dans la Ville-Vieille ; c'est là qu'il manda les princes des villes phéniciennes, et les hyparques des territoires syriens : il déclara aux princes qu'il avait de bonnes intentions à leur égard et qu'il ne les troublerait pas dans leurs possessions ; ce n'était pas leur faute si Ptolémée avait enlevé tous les navires de leur pays ; il avait besoin de vaisseaux, et il les priait de s'associer à lui pour en construire de neufs aussi vite que possible ; il chargea les hyparques de recueillir au plus vite le blé et les provisions nécessaires pour une année. On envoya alors 8.000 hommes abattre dans le Liban des bois de construction pour les navires ; on leur donna 4.000 bêtes de trait pour amener le bois aux chantiers : des milliers de charpentiers, de forgerons, de cordiers, d'ouvriers de toute espèce, travaillaient sur les trois chantiers de la Phénicie, à Sidon, à Byblos et à Tripolis : dans un quatrième chantier, en Cilicie, on travaillait avec les bois du Taurus : on expédia encore des bois de construction aux chantiers de Rhodes, et là aussi régnait l'activité la plus fiévreuse. Une flotte égyptienne de 100 voiles, complètement armée en guerre, croisait sous les ordres de Séleucos devant la côte phénicienne : elle semblait se railler des travaux exécutés sur les chantiers. Les villes étaient inquiètes et s'attendaient à voir les côtes attaquées par mer sans pouvoir se défendre. Antigone les rassurait en leur promettant qu'avant la fin de l'été elles le verraient conduire 500 voiles au devant de l'ennemi[8]. C'est vers ce temps qu'Agésilas revint de Cypre : parmi les princes de l'île, il n'avait réussi à rallier que ceux de Cition, d'Amathonte, de Marion, de Lapethos et de Cérynia ; les autres, notamment Nicocréon de Salamine, étaient du côté de Ptolémée. Cette circonstance empêchait, au moins pour le moment, de compter sur l'appoint de la flotte cypriote[9].

Après que les négociations avec les princes phéniciens furent terminées et pendant que la flotte se construisait, Antigone courut s'emparer du reste des côtes de la Syrie ; devant Tyr fut laissé un corps de siège de 3.000 hommes sous Andronicos. La première résistance qu'il trouva dans sa marche précipitée vers le sud fut à Joppé et à Gaza ; il prit les deux villes, les munit de fortes garnisons, afin, comme il est dit expressément, de maintenir les habitants dans l'obéissance leurs sympathies étaient pour la domination égyptienne. Après cela, Antigone revint à la Vieille-Tyr, pour diriger les opérations ultérieures du siège.

Vers ce temps, Alexandre, le fils de Polysperchon, venant du Péloponnèse, arriva au camp : c'était en vertu de l'invitation qu'Aristodémos lui avait transmise, à lui et à son père. Il rapporta qu'Aristodémos avait abordé en Laconie, qu'il avait obtenu des Spartiates l'autorisation de recruter des troupes, et qu'il avait déjà réuni 8.000 hommes. Alexandre avait pleins pouvoirs de son père pour arrêter avec le stratège toutes les conventions nécessaires. On convoqua une assemblée générale[10] : Antigone y parut comme accusateur contre Cassandre. Cassandre, dit-il, le fils d'Antipater, a assassiné la reine Olympias il s'est conduit de la manière la plus indigne à l'égard du jeune roi Alexandre et de sa mère Roxane, qu'il retient prisonniers ; il a forcé la princesse Thessalonice à l'épouser ; il est évident qu'il caresse le rêve criminel d'arracher l'empire à la maison de Philippe et d'Alexandre et de mettre la couronne sur sa propre tête ; en outre, il a établi les Olynthiens, les plus cruels ennemis de la. Macédoine, dans une ville nouvelle, à laquelle il a donné son nom ; il a rétabli Thèbes. détruite par les Macédoniens, comme s'il voulait faire oublier et anéantir tout ce qu'ont fait Philippe et Alexandre[11]. Cette accusation reçut de l'assemblée l'accueil qu'Antigone avait attendu : elle souleva de violentes et bruyantes protestations. Antigone proposa alors de considérer Cassandre comme ennemi de l'empire, s'il ne donnait pas la liberté au jeune roi Alexandre ainsi qu'à la veuve du roi, Roxane, et ne les rendait pas aux Macédoniens ; s'il n'obéissait pas en tout, comme c'était son devoir, au stratège légitime Antigone, qui avait pris l'administration de l'empire, et ne détruisait pas les deux villes restaurées[12]. Les villes grecques devaient, du reste, être libres, indépendantes, sans garnison. L'assemblée adopta ce décret, qui fut aussitôt expédié par des messagers dans toutes les directions.

On devine aisément quelles étaient les combinaisons politiques que renferme ce décret. Il était évident que Cassandre ne se soumettrait pas : Antigone pouvait être assuré qu'en proclamant la liberté en Grèce, il provoquerait une agitation très vive, et que, par l'autonomie et par l'expulsion des garnisons, tout le système oligarchique qui liait l'Hellade à Cassandre s'écroulerait. En se proclamant l'administrateur de l'empire. le représentant de la maison royale et de l'héritier d'Alexandre, il donnait à sa cause un caractère de légitimité qui lui gagnait les Macédoniens : la guerre de ses adversaires contre lui, contre lui qui venait de reconquérir la Haute-Asie pour le jeune roi et qui n'entreprenait la lutte nouvelle que pour le délivrer des mains sanglantes de Cassandre, paraîtrait dès lors une trahison contre le roi et l'empire. Antigone était en droit d'espérer que les satrapes de l'Orient, voyant qu'il n'aspirait pas lui-même à la royauté, mais qu'il la conservait à l'héritier légitime, ne lui en seraient que plus dévoués[13].

La situation des deux partis en lutte était redevenue à peu près la même qu'au temps de la première et de la deuxième guerre. Il y avait pourtant une différence notable. Dans la première, malgré ses desseins égoïstes, Perdiccas s'était appliqué à faire triompher l'autorité et l'unité de l'empire encore puissant contre les révoltes des satrapes : dans la seconde, Eumène travaillait à défendre contre les chefs la maison royale menacée et à maintenir ses droits ; tandis qu'Antigone, avec une puissance qu'il avait conquise en combattant la maison royale, employait contre ceux qui l'avaient aidé à la conquérir le nom de l'enfant royal comme un drapeau. Il savait bien pourtant combien le jeune prince était peu en sûreté entre les mains d'un homme qui le détestait à la fois comme le fils d'Alexandre, par antipathie pour le père, et comme le seul obstacle qui l'empêcha de s'emparer lui-même de la couronné de Macédoine.

Les premiers vaisseaux de Rhodes et des autres chantiers étaient arrivés : on commença le blocus en forme de la ville de Tyr, qui, bravant toute attaque par la force extraordinaire de ses défenses, obligeait Antigone à la prendre par la famine. Il resta donc devant Tyr, tandis que son neveu Ptolémée, nommé stratège des pays de l'Hellespont, marchait avec une armée considérable sur l'Asie-Mineure et y combattait avec succès. Il avait pris d'abord la direction de la Cappadoce, où Asclépiodore, général d'Asandros, assiégeait Amisos sur le Pont : il courut au secours de la ville, força Asclépiodore à une capitulation qui lui accordait la libre sortie, et prit possession de la satrapie au nom d'Antigone. Il contracta avec Denys d'Héraclée l'alliance désirée par Antigone : cette alliance fut durable et féconde pour leurs intérêts réciproques[14]. Il se tourna ensuite vers l'ouest, pour empêcher toute opération venant de l'Europe et, en s'assurant des villes grecques de la côte, fermer ces rivages aux forces navales qui faisaient la supériorité de ses adversaires. Dans sa marche à travers la Bithynie, il trouva le prince bithynien Zipœtès en lutte avec Astacos et Chalcédoine et assiégeant les deux villes : il le força à lever le siège ; il conclut une alliance avec les villes, qui furent par conséquent reconnues villes libres, et avec Zipœtès, qui lui fournit des otages, s'engageant à ne plus inquiéter désormais les villes[15]. C'est alors que le stratège reçut une lettre de son oncle, lui annonçant que la flotte ennemie s'était dirigée vers la côte ionienne et qu'il fallait faire les derniers. efforts pour la prévenir en occupant les villes de l'Ionie. Ptolémée quitta pour le moment l'Hellespont et courut à travers la Lydie vers la côte. Il apprit en route que Séleucos avec sa flotte était à l'ancre devant Érythræ et bloquait la ville ; il y courut à marches forcées : les troupes ennemies se retirèrent sur la flotte, qui prit position plus loin.

Pendant que ces événements se passaient en Asie-Mineure, les adversaires n'avaient pas été inactifs ; Ptolémée d'Égypte, qui avait le plus à craindre mais qui avait de tous les alliés l'armée la plus puissante, était très occupé à prévenir l'ennemi sur tous les points ou à marcher au-devant de lui. Il avait, comme nous l'avons déjà dit, dès le début des hostilités, fait prendre la mer à une escadre de 100 voiles, dont l'objectif principal semblait être d'empêcher l'adversaire de réunir une flotte : il avait gagné à la cause commune les plus puissants des princes cypriotes, et leur avait envoyé 3.000 hommes pour les aider dans la lutte avec les princes alliés d'Antigone ; il avait adressé une proclamation aux villes grecques, dans laquelle, comme Antigone, il leur assurait la liberté[16] : cette mesure, quoique opposée aux intérêts de Cassandre, pouvait sembler nécessaire pour détruire l'impression qu'allait produire le décret d'Antigone. Ce qui est plus surprenant, c'est que Ptolémée se soit laissé arracher si tranquillement la Syrie et la Phénicie. Il avait sans doute calculé que la défense de ce pays lui eût coûté des sacrifices énormes en hommes et eu argent ; que, s'il ne marchait pas en avant, il forçait son adversaire à venir chercher aine bataille décisive dans le voisinage de l'Égypte, qui lui offrait tant d'avantages ; qu'une victoire remportée là lui rendait la Syrie, tandis qu'une défaite lui laisserait ouverte la retraite sur le Nil, où il serait protégé par les difficultés du terrain. Ce qui était plus grave, c'était le peu de succès des premiers mouvements de la flotte égyptienne : peut-être Ptolémée et Séleucos avaient-ils été surpris de voir Antigone créer une marine nouvelle avec une si étonnante rapidité ; peut-être leurs 100 voiles étaient-elles insuffisantes pour arrêter les travaux de l'ennemi, travaux si vite commencés et couverts par son armée de terre. Ptolémée devait se hâter de faire prendre la mer à une flotte beaucoup plus importante qu'il n'avait cru nécessaire. Aussi Séleucos revint-il à la fin de l'été d'Érythræ à Cypre, où se réunissait une deuxième flotte plus nombreuse que l'autre. Ptolémée y envoya cent nouveaux navires sous l'amiral Polyclitos, avec 10.000 hommes d'infanterie sous l'Athénien Myrmidon ; tous deux étaient placés sous le commandement de son frère Ménélaos, qui avait pour instructions de s'entendre avec Séleucos au sujet des mouvements qui seraient plus tard nécessaires. Lorsque les deux flottes eurent fait leur jonction, il fut résolu. que Polyclitos, avec 53 navires, ferait aussitôt voile vers le Péloponnèse pour opérer contre Polysperchon et Aristodémos, tandis que Myrmidon, avec une grande partie de l'armée, irait en Carie et porterait secours à Asandros, que menaçait justement le stratège Ptolémée. Séleucos et Ménélaos eux-mêmes restèrent pour le moment à Cypre ; unis à Nicocréon et aux autres princes alliés, ils attaquèrent les amis d'Antigone, prirent Lapethos et Cérynia, décidèrent le prince de Marion à passer de leur côté, prirent des otages du dynaste d'Amathonte, enfin, se tournèrent avec toutes leurs forces contre Cition, dont le prince refusait de se donner à la Ligue, et assiégèrent la ville. Ceci se passait en automne 315. S'ils réussissaient à prendre la ville, ils devenaient maîtres de toute position des plus importantes pour une guerre maritime[17].

Cependant une flotte considérable s'était rassemblée du côté de l'adversaire, qui assiégeait Tyr. Il y avait déjà plusieurs mois que le navarque Thémison avait amené de Rhodes et de l'Hellespont 40 vaisseaux ; bientôt après, Dioscoride[18] en amena 80 venant des mêmes lieux ; en outre, 120 vaisseaux avaient déjà été achevés sur les chantiers phéniciens, de sorte que la flotte d'Antigone se montait à 240 vaisseaux de guerre, parmi lesquels 90 à quatre rangs de rames, 10 à cinq, 3 à neuf, 10 à dix, et 30 non pontés[19]. Une partie de ces vaisseaux fut employée à continuer le siège de Tyr ; une autre fut envoyée sous Dioscoride pour croiser sur mer, protéger les alliés, occuper les îles ; enfin, 50 voiles devaient se rendre dans le Péloponnèse et soutenir les mouvements qui s'y faisaient.

La lutte était déjà très vive dans le Péloponnèse. Le décret libérateur d'Antigone n'avait pas provoqué l'enthousiasme général qu'on attendait : on se l'explique en présence du décret semblable de Ptolémée, et de la prédominance du parti de Cassandre appuyé par les garnisons macédoniennes. Athènes notamment, dirigée par Démétrios, semble avoir pris tout de suite et ouvertement parti pour Cassandre[20] ; ce n'est que dans le Péloponnèse, où Polysperchon et son fils Alexandre avaient pris pied solidement et où les troupes considérables réunies par Aristodémos et par Alexandre, revenu de Syrie avec 1.000 talents, donnaient la prépondérance à la cause d'Antigone, qu'il se fit quelques mouvements contre la Macédoine. Apollonide, lieutenant de Cassandre à Argos, étant parti en expédition contre Stymphalos en Arcadie et occupé à assiéger cette ville, le parti hostile s'insurgea, proclama la liberté, et fit inviter Alexandre à venir et à prendre possession de la ville ; mais, comme Alexandre ne se pressait pas, Apollonide réussit bientôt à reprendre Argos. Arrivé à la tète de ses troupes sur l'agora, il fit mettre le feu au Prytanée, où étaient réunis les 500 citoyens du parti contraire qui formaient le Conseil. Les 500 furent brûlés : parmi les autres citoyens, un grand nombre fut exécuté ; la plupart prirent la fuite.

Cependant, à la nouvelle des enrôlements d'Aristodémos dans le Péloponnèse et des forces considérables que les adversaires avaient réunies, Cassandre, après avoir tenté sans y réussir de détacher Polysperchon d'Antigone, avait levé une armée, s'était rendu à marches forcées en Béotie par la Thessalie, avait aidé les Thébains à achever leurs murailles et leurs tours, afin de posséder dans leur ville un point fortifié de plus, et s'était avancé ensuite vers l'Isthme. De là il prit Cenchrées, le port de Corinthe sur le golfe Saronique, traversa en le dévastant dans tous les sens le territoire de la ville, et força à capituler deux châteaux-forts occupés par des garnisons d'Alexandre ; quant à Corinthe elle-même, elle resta aux mains de l'ennemi. De là il courut en Arcadie contre Orchomène, où l'avait appelé une faction ; il laissa à ce parti le soin de punir les Partisans d'Alexandre, qui s'étaient réfugiés au temple d'Artémis ; ceux-ci furent arrachés du pied des autels et massacrés. Ensuite il envahit la Messénie, mais trouva la ville de Messène si fortement occupée par Polysperchon, qu'il renonça à donner l'assaut ; il revint en Arcadie, où il laissa Damis en qualité de stratège de la région, puis descendit vers Argos : après avoir célébré les jeux Néméens, il conduisit son armée en Macédoine[21]. Il n'avait pas remporté de succès définitifs ; mais, de leur côté, ses adversaires n'avaient pas osé le braver en pleine campagne.

Aussitôt qu'il fut parti, ils sortirent de leurs retraites, pénétrèrent dans les pays occupés par des troupes macédoniennes, chassèrent leurs adversaires de toutes les villes l'une après l'autre et proclamèrent partout la liberté ; bientôt la plus grande partie du Péloponnèse fut dans leurs mains. Cassandre renouvela auprès da fils de Polysperchon la tentative qui avait échoué auprès du père. Il l'invita par un message secret à abandonner la cause d'Antigone et à devenir son allié ; il lui promit pour cela la stratégie du Péloponnèse, le commandement d'une armée importante, et, en général, les honneurs qu'il méritait. Le fils n'agit pas comme le père : en effet, on lui offrait ce qu'il désirait et ce qu'il ne pourrait obtenir tant qu'il resterait du côté d'Antigone, à cause du voisinage d'Aristodémos et surtout de Polysperchon ; peu lui importait de devenir ainsi l'ennemi de son père. Il passa donc à l'ennemi, à ce qu'il parait, avec une grande partie des troupes enrôlées par lui et Aristodémos, et commença à se comporter comme stratège de Cassandre dans les régions septentrionales du Péloponnèse, notamment à Sicyone et à Corinthe.

Juste ace moment, Polyclitos abordait à Cenchrées avec les 50 vaisseaux que Séleucos lui avait confiés ; comme, après la défection d'Alexandre, il trouvait qu'il n'y avait plus grand'chose à faire, il revint aussitôt avec sa flotte dans les eaux orientales. Il aborda à la côte de Cilicie près d'Aphrodisias ; il apprit là que Théodotos, le navarque d'Antigone, longeait, avec des navires de Rhodes dont les équipages avaient été recrutés en Carie, la côte de la Lycie, et que Périlaos accompagnait l'escadre sur la côte avec une armée destinée à la couvrir. Il se hâta d'aller à la rencontre des deux généraux ; il débarqua ses troupes et les rangea sur un terrain favorable, que devait traverser la colonne ennemie, tandis que lui-même, avec toute sa flotte, était à l'ancre derrière un promontoire qui le cachait aux yeux de l'adversaire pendant que celui-ci s'approchait. Périlaos pénétra sans la moindre défiance dans la région ainsi occupée : le combat s'engagea ; Périlaos et un grand nombre de ses soldats furent faits prisonniers ; un plus grand nombre tomba sur le-champ de bataille. Les hommes de la flotte (le Théodotos débarquèrent pour aller au secours des leurs. En ce moment, Polyclitos sortit de l'embuscade avec sa flotte et surprit les vaisseaux, qui étaient pour la plupart sans défense. C'est en vain que Théodotos voulut lutter, avec le petit nombre d'hommes qu'il avait avec lui : mortellement blessé, il fut fait prisonnier ; tous ses navires furent pris. C'est avec ce butin que Polyclitos revint par Cypre en Égypte, où il aborda près de Péluse.

C'était, après la défection d'Alexandre et la perle de Cypre, le troisième coup terrible qui frappait Antigone. Son stratège Ptolémée n'osa pas attaquer la Carie, après les renforts considérables qu'Asandros avait reçus par Myrmidon ; lui-même assiégeait Tyr depuis huit mois déjà sans obtenir le moindre résultat. Les négociations au sujet du rachat de Périlaos et des autres prisonniers furent l'occasion d'un rapprochement entre Ptolémée et Antigone ; après ces premiers pourparlers, ils se rencontrèrent tous deux à la limite de la Syrie et de l'Égypte, près de l'émissaire du lac Sirbonide. Les prétentions de Ptolémée n'étaient pas de celles qu'Antigone pouvait accepter : ils se séparèrent sans que les négociations eussent eu d'autre résultat qu'une continuation plus acharnée de la guerre[22].

Tel était l'état des choses lorsque commença, au printemps 314, la deuxième année de la guerre. Pendant qu'Antigone lui-même poursuivait avec toute l'ardeur possible le siège de Tyr, son fidèle général Aristodémos déployait son activité dans le Péloponnèse, afin de réparer aussi bien que possible les pertes causées par la défection d'Alexandre. Il était allé en Étolie : dans une assemblée générale des Étoliens, il les invita à se déclarer pour Antigone contre Cassandre, l'ennemi commun, et à lui fournir un concours énergique contre ce dernier. Ils le promirent ; Aristodémos recruta des soldats parmi les Étoliens, et passa dans le Péloponnèse avec des forces considérablement accrues. Il débloqua Cyllène, qui était alors vigoureusement attaquée par Alexandre et les Éléens ses alliés ; il y laissa une garnison considérable et marcha sur l'Achaïe ; il chassa de Patræ la garnison de Cassandre, et la ville fut proclamée libre : Ægion fut prise aussi et devait être aussi déclarée libre, mais les mercenaires étoliens prévinrent cette décision en pillant et brûlant la ville, de sorte que le plus grand nombre des habitants périt. Les Dyméens répondirent à l'appel à la liberté en séparant par un mur leur ville de la garnison macédonienne de l'acropole et en s'apprêtant à faire le siège de la citadelle, mais Alexandre accourut, surprit la ville et s'en empara :.un grand nombre de Dyméens furent mis à mort ; beaucoup d'autres furent expulsés ou mis en arrestation ; ceux qui restèrent envoyèrent, aussitôt qu'Alexandre fut parti, des ambassadeurs à Ægion pour demander des secours à Aristodémos : à l'aide de ce renfort, ils attaquèrent de nouveau la garnison, la réduisirent, mirent à mort la plus grande partie des soldats avec les citoyens partisans d'Alexandre et proclamèrent la liberté. C'est ainsi que la guerre intestine se déchaînait dans les villes du Péloponnèse, et que le nom de la liberté servait de manteau à la discorde la plus sanglante.

Alexandre était de nouveau parti de Sicyone pour asservir les villes attachées à Antigone ; pendant sa marche, il fut assassiné par quelques Sicyoniens de son entourage, qui espéraient assurer la liberté de leur ville. Mais l'épouse d'Alexandre, la belle et hardie Cratésipolis, se hâta de s'assurer de son armée : elle pouvait se fier au dévouement des troupes, dont elle avait fait la conquête par sa bonté, par les soins prodigués aux malades, par ses aumônes aux veuves et aux orphelins ; elle était initiée aux affaires de son mari et avait été, à la mode de ce temps, exercée aux armes. Comme les Sicyoniens, à la nouvelle de l'assassinat d'Alexandre, avaient couru aux armes, décidés à défendre à tout prix leur liberté reconquise, elle se mit à la tête des troupes, marcha contre les citoyens, les vainquit, fit mettre en croix trente des meneurs et contraignit la ville à la reconnaître pour souveraine[23].

C'est vers ce temps que les Acarnaniens avaient entrepris une guerre contre leurs voisins les Étoliens : ils l'avaient fait, à ce qu'il parait, par l'impulsion de Cassandre ; il est certain du moins que ce dernier conclut aussitôt une alliance avec les Acarnaniens, qu'il accourut de la Macédoine avec une armée considérable et campa au nord du territoire étolien, sur le fleuve Campylos. Il invita les Acarnaniens à venir y tenir une assemblée générale ; il leur remontra que, de temps immémorial, ils menaient sans interruption avec les Étoliens cette guerre de frontières, et que le grand nombre de leurs petites places fortes isolées ne faisait que disperser leurs forces sans les protéger effectivement : il leur recommanda de se concentrer dans un petit nombre de villes importantes ; de cotte façon, ils ne seraient pas dans la suite réduits par leur dispersion à ne pouvoir se réunir pour résister à une attaque inopinée, et les ennemis seraient moins hardis à les surprendre quand ils seraient groupés dans quelques localités plus considérables. Les Acarnaniens suivirent ses avis : les uns allèrent occuper la ville forte de Stratos sur l'Achéloos ; d'autres Œniadæ, à l'embouchure du fleuve ; d'autres encore Souria et Agrinion, en face de Stratos[24]. Cassandre, après avoir chargé le stratège d'Épire, Lyciscos, de soutenir les Acarnaniens, marcha alors contre la ville de Leucade, qui se soumit spontanément. De là il courut au nord, en traversant le pays des Épirotes, surprit Apollonie et s'en empara ; puis il marcha contre Glaucias, le prince des Taulantins, sous la protection duquel s'était placé le fils du roi exilé des Épirotes, et, après un combat terminé à son avantage[25], le força à prendre l'engagement de ne rien faire pour la restauration de la royauté en Épire et de ne prêter aucune assistance aux adversaires de Cassandre. Il poursuivit sa marche du côté d'Épidamne ; arrivé à une heure de marche de la ville, il envoya quelques troupes faire une incursion dans les montagnes de l'Illyrie, pour y brûler les villages des hauteurs. Les habitants d'Épidamne, qui s'étaient attendus à une attaque de leur ville, retournèrent tranquillement à leurs champs, dans la pensée que tout danger était passé ; mais Cassandre démasqua les troupes qu'il avait gardées auprès de lui et surprit les citoyens : près de 2.000 furent faits prisonniers. Les portes de la ville étaient ouvertes ; Cassandre s'en empara et y laissa une garnison[26].

Cassandre retourna en Macédoine : il avait conquis les deux points les plus importants sur le littoral de la mer Ionienne ; il pouvait espérer que, de cette façon, il s'assurerait la possession de l'Épire et tiendrait en respect les peuples de l'Illyrie. Bien que, aussitôt après son départ, les Étoliens eussent forcé la ville forte d'Agrinion à capituler et, en dépit du traité conclu, mis à mort les Acarnaniens qui y étaient renfermés, sa cause avait pris en Europe une telle prépondérance pour le moment, qu'il put se préparer à aller au-devant de ses ennemis en Asie-Mineure ; il espérait de cette façon empêcher d'autant plus sûrement Antigone d'entreprendre quelque chose de sérieux en Europe.

Il ne paraît pas qu'il se soit passé des événements importants en Asie-Mineure depuis l'automne de 315, époque à laquelle le stratège Ptolémée avait envahi la Lydie et menaçait la Carie : du moins, les auteurs ne disent rien, si ce n'est, que Ptolémée menaçait les villes de la Carie. Il avait sans doute été arrêté par les forces supérieures d'Asandros, avec lequel Myrmidon, à la tête d'une armée considérable, avait fait sa jonction. Cassandre réussit à jeter en Asie une armée sous Prépélaos, qui se joignit à Asandros : en même temps il envoya à Démétrios à Athènes, et à Dionysios, le gouverneur de Munychie, l'ordre d'expédier sur-le-champ vingt navires à l'île de Lemnos[27], qui s'était déclarée pour Antigone. Aristote partit avec vingt navires athéniens et se joignit à la flotte de Séleucos, qui croisait alors dans ces eaux ; on jeta l'ancre à Lemnos. Comme la ville refusa de se rendre, on commença le siège en dévastant le pays plat et en faisant des travaux de circonvallation ; Aristote fut chargé de pousser les travaux, et Séleucos continua sa course dans la direction de l'île de Cos. A la nouvelle de son départ, Dioscoride se mit en route avec son escadre pour délivrer la ville fidèle, chassa les Athéniens de Pile, et captura les vingt navires avec tous les équipages[28].

Nous n'avons pas non plus de détails sur ce qui s'est passé en Carie ; il est vraisemblable que le stratège d'Antigone se retira du côté du sud devant les forces supérieures des adversaires, puisqu'il prit ses quartiers d'hiver dans ces régions, tandis que nous voyons bientôt après Asandros apparaître comme possesseur de la Lydie et qualifié de maître de l'Asie. Un fait qui semble confirmer cette hypothèse, c'est que Théodotos, le navarque d'Antigone, put enrôler des équipages en Carie pour ses vaisseaux rhodiens. Le stratège Ptolémée avait pris déjà ses quartiers d'hiver, et il était occupé des funérailles de son père, lorsque les adversaires envoyèrent 8.000 hommes sous Eupolémos vers la ville carienne de Caprima[29], pour essayer un coup de main sur les cantonnements de l'ennemi. Ptolémée fut instruit par des transfuges du dessein de l'ennemi ; il revint aussitôt auprès de ses troupes, fit sortir 8,300 fantassins et 600 cavaliers de leurs cantonnements, surprit inopinément dans le silence de la nuit les ennemis mal retranchés et- mal gardés, et les battit si complètement qu'Eupolémos fut fait prisonnier et les autres forcés de se rendre. Après ce brillant succès, il retourna dans ses quartiers d'hiver ; il avait obtenu. au moins ce résultat, d'avoir pu se maintenir en face des forces supérieures de ses ennemis, et les affaires en Syrie avaient pris une telle tournure qu'il pouvait espérer recevoir bientôt de là des renforts considérables.

Après un siège de quinze mois, Antigone avait enfin, dans le courant de l'été, forcé à capituler la ville insulaire de Tyr, où la disette avait atteint son comble. Après la sortie du petit nombre de troupes qui restaient de la garnison égyptienne, il y avait fait entrer des forces suffisantes[30]. Comment Ptolémée, avec ses forces navales, n'avait-il pas fait les derniers efforts pour conserver ce point si important ? Attachait-il plus d'importance à l'Archipel qu'à cette reine de la côte phénicienne ? ou croyait-il, en perdant cette ville, perdre moins qu'Antigone ne gagnait en s'en emparant ? Non seulement Antigone était devenu l'égal du grand Alexandre en imitant un de ses exploits les plus vantés, mais, après la prise de Tyr, il pouvait se regarder comme ayant achevé la conquête de la Syrie. Cette conquête avait d'autant plus d'importance pour lui que sa flotte, sans être inférieure en nombre à celle de ses adversaires, ne pouvait néanmoins se risquer encore à se mesurer avec elle : elle était à peine créée ; elle avait besoin de s'exercer, de faire de nouvelles recrues que les côtes phéniciennes mettaient tout particulièrement à sa portée.

Antigone évitait encore d'engager d'une manière décisive la guerre maritime ; en ce moment justement, la puissance d'Asandros en Asie-Mineure prenait un tel développement, ses forces étaient tellement accrues par Myrmidon et Prépélaos, que le valeureux stratège Ptolémée avait peine à se maintenir en face d'elles. Aussi Antigone se hâta-t-il, après la chute de Tyr, de marcher sur l'Asie-Mineure ; mais, dans le même temps, on avait à craindre une attaque contre la Syrie du côté de l'Égypte. C'est pourquoi on laissa pour surveiller le pays une armée considérable, composée de 2.000 Macédoniens, 10.000 mercenaires étrangers, 500 Lyciens et Pamphyliens, 400 frondeurs perses, 5.000 cavaliers, plus de 40 éléphants : le commandement supérieur fut donné par Antigone à son fils Démétrios, alors âgé de vingt-deux ans[31], qui s'était déjà montré un commandant capable. II mit à ses côtés un conseil, de guerre composé de quatre vieux généraux expérimentés : c'étaient Néarque, l'Olynthien Andronicos, Philippe et Pithon, fils d'Agénor, qu'on avait rappelé pour cela de sa satrapie de Babylone. Antigone se mit en marche avec le reste de l'armée à la fin de l'automne de 314, traversa au prix de mille difficultés la Cilicie par les passages du Taurus, déjà encombrés par les neiges, puis continua sa marche vers la Phrygie, où il prit ses quartiers d'hiver dans le pays de Célænæ. En même temps, la flotte occupée jusque-là près de Tyr avait pris la mer sous le commandement de Médios : elle avait capturé une escadre de 36 navires venant de Pydna et croisait maintenant dans les eaux de la mer Égée[32].

Nous sommes au commencement de l'année 313, la troisième de la guerre. Jusqu'alors Lysimaque, quoiqu'il fût l'un des coalisés, était resté sans prendre part à la guerre ; il semble que les événements que nous allons raconter, et qui se déroulent en partie dès l'année 314, l'empêchèrent d'entreprendre quoi que ce soit en Asie ; il est possible aussi que, pour lui faire obstacle, Antigone ait engagé les villes grecques de la rive occidentale du Pont à se souvenir qu'elles avaient été sous Philippe et Alexandre des villes libres de l'empire, et que, en vertu de ses fonctions de vicaire de l'empire, il ait promis de protéger leur autonomie. Quoi qu'il en soit, les citoyens de Callatis avaient chassé la garnison placée par Lysimaque dans leur citadelle et proclamé leur indépendance ; avec leur aide, les Istriens, les Odessiens et les autres villes helléniques de cette côte en avaient fait autant et s'étaient ligués entre eux pour défendre et conserver leur liberté : ils étaient entrés ensuite en relations avec leurs voisins de Thrace (Gètes) et de Scythie, et avaient ainsi constitué une puissance qui semblait dans tous les cas pouvoir opposer au satrape de Thrace une résistance suffisante. A cette nouvelle, Lysimaque accourut par le pays des Odryses, en franchissant l'Hémos, et se présenta à l'improviste devant Odessos ; la ville fut investie, assiégée et réduite en peu de temps. De là Lysimaque marcha contre Istros, et, après que cette ville eut été soumise, elle aussi, sans beaucoup de peine, il se mit en route pour Callatis. Il rencontra en route les Scythes et les Thraces, qui lui barrèrent le passage : il se jeta aussitôt sur eux ; les Thraces, effrayés par la violence de l'attaque, acceptèrent avec empressement une convention qu'il leur offrit et abandonnèrent la cause de leurs alliés. Les Scythes voulurent courir la chance d'une bataille ; il les vainquit en bataille rangée et les poursuivit jusqu'au delà de leurs frontières. Il revint ensuite à Callatis, campa sous ses murs, investit étroitement la ville, et menaça d'extermination la cité qui avait donné le signal du soulèvement général. Alors arriva la nouvelle qu'une armée de secours, envoyée par Antigone, était en route, qu'une flotte commandée par Lycon était dans le Pont, et que Pausanias, avec des troupes nombreuses, était arrivé au temple qui s'élève à l'embouchure du Bosphore. Aussitôt Lysimaque courut avec la plus grande partie de son armée pour arrêter l'ennemi qui s'approchait ; en arrivant aux passages de l'Hémos, il les trouva barrés par des troupes thraces ; c'était le prince des Odryses, Seuthès, qui, dans l'espérance de reconquérir son indépendance première, s'était déclaré pour Antigone et avait réuni une armée suffisante pour couper Lysimaque de sa satrapie. Il s'engagea une bataille acharnée, sanglante pour les deux parties ; le satrape s'ouvrit ainsi la route de l'Hémos. - Il courut au-devant de Pausanias, qui céda devant des forces supérieures et s'engagea sur un terrain difficile ; sa position fut bientôt prise d'assaut ; Pausanias fut tué, le plus grand nombre de ses soldats faits prisonniers ; les uns furent rendus à la liberté contre rançon, les autres incorporés à l'armée victorieuse. Lysimaque se hâta de retourner au siège de Callatis, qui, soutenue par la flotte d'Antigone et par le prince du Bosphore Cimmérien, résista longtemps[33].

Cette expédition de Pausanias, quoique non suivie de succès, suffit pour nous faire juger de la prépondérance que la puissance d'Antigone avait prise en Asie-Mineure. Nous ne savons pas comment et où la guerre y recommença ; il semble qu'Antigone coupa Asandros des armées de ses alliés, et qu'il fit reculer ces dernières au delà de la Lydie ; mais nous savons avec certitude qu'Asandros de Carie, pressé de toutes parts, finit par accepter une capitulation d'après laquelle il devait livrer tous ses soldats à Antigone, rendre leur liberté- aux villes grecques, accepter la Carie, dans les limites où il l'avait possédée autrefois, comme un don d'Antigone, être fidèle et dévoué à ce dernier, et enfin donner comme otage son frère Agathon. Peu de jours après, le satrape se repentit de s'être laissé aller à accepter de telles conditions : il réussit à mettre en sûreté son frère, qui se trouvait déjà au pouvoir d'Antigone, puis il envoya demander de nouveau des secours à Ptolémée, à Séleucos et à Cassandre. Antigone fut extrêmement irrité en apprenant ce manque de parole d'Asandros. Il envahit aussitôt la Carie de plusieurs côtés ; pour délivrer les villes grecques, il envoya le stratège Docimos[34] et le navarque Médios, qui firent leur jonction devant Milet, appelèrent la ville à la liberté, forcèrent la garnison de la citadelle à capituler et proclamèrent l'autonomie de la ville ; contre Iasos fut envoyé le stratège Ptolémée, qui força la ville à se déclarer pour Antigone ; Antigone lui-même arriva par la route de Tralles, s'empara de cette ville, descendit à travers la satrapie vers le sud, s'avança sur Caunos, où la flotte vint l'appuyer, et prit la ville, sauf la citadelle qui fut investie et assiégée[35]. L'histoire ne fait plus mention par la suite du satrape Asandros.

Pendant que ces événements se passent en Asie, la cause d'Antigone semble avoir subi de grandes vicissitudes dans le Péloponnèse ; il y envoya, sous le commandement de Télesphoros, une nouvelle expédition composée de 50 vaisseaux et de troupes nombreuses, avec mission de délivrer les villes grecques : il espérait, en renouvelant des efforts de cette nature, convaincre les Grecs de l'intérêt sincère qu'il portait à leur liberté. Télesphoros aborde dans le Péloponnèse ; quant à Aristodème et à son armée, il n'en est plus question. Polysperchon semble s'être ligué avec la veuve de son fils, pour se créer dans le Péloponnèse une souveraineté indépendante ; du moins voyons-nous Télesphoros lutter contre plusieurs villes occupées par les troupes d'Alexandre et les délivrer, en exceptant toutefois Sicyone et Corinthe, dans lesquelles Polysperchon se maintient avec des troupes nombreuses.

Vers le même temps, Cassandre avait envoyé contre les Étoliens une nouvelle armée sous les ordres de son frère Philippe ; celui-ci se joignit aux Acarnaniens et commença ses invasions dévastatrices au delà de l'Achéloos, dans le territoire des Étoliens. On reçut alors la nouvelle qu'Æacide, expulsé par les Épirotes trois ans auparavant, était rentré dans le pays et avait été accepté par ses anciens sujets, fatigués sans doute de la domination macédonienne ; ils demandèrent à Cassandre, maintenant que leur dissentiment avec le roi n'existait plus, de leur permettre de rétablir l'état de choses antérieur. Cette demande, naturellement, fut repoussée, et Philippe reçut l'ordre de partir immédiatement contre Æacide et de l'anéantir avant qu'il eût eu le temps de se mettre en rapport avec les Étoliens. Philippe s'empressa d'obéir. Quoiqu'il eût affaire à une armée nombreuse et bien disciplinée, il commença aussitôt la lutte : la fortune se décida pour lui ; beaucoup d'ennemis furent tués, beaucoup d'autres faits prisonniers, et dans le nombre, près de cinquante citoyens du parti qui avait fait revenir Æacide : ceux-ci furent chargés de fers et envoyés en Macédoine. Cependant le roi, avec les débris de l'armée épirote, s'était réfugié vers le sud, chez les Étoliens. Philippe l'y suivit : la bataille s'engagea dans le pays d'Œniadæ et Philippe fut vainqueur pour la seconde fois. Parmi les nombreux guerriers tués se trouva Æacide lui-même ; quant aux Étoliens, terrifiés par ces rapides et éclatants succès de Philippe, ils s'enfuirent avec femmes et enfants de leurs cités, qui étaient pour la plupart sans défense, et gagnèrent les hautes montagnes[36].

Telle était la situation de Cassandre vers la fin de l'été de 313. Il semblait facile de soumettre de nouveau l'Épire ; les Étoliens avaient le dessous ; Télesphoros était contenu dans le Péloponnèse par Polysperchon, l'Hellade soumise. Mais c'est avec raison qu'il s'inquiétait des succès d'Antigone en Asie-Mineure. Déjà l'énergique stratège n'y avait plus d'adversaires ; Lysimaque était occupé sur la côte du Pont ; la marine des alliés n'avait plus la haute main dans les eaux helléniques ; Antigone n'était pas loin de l'Hellespont ; on ne pouvait plus lui barrer le passage. Enfin, dans la Grèce même, les effets de la proclamation d'Antigone. se faisaient sentir : les Béotiens, au milieu desquels Thèbes, la ville détestée, était ressuscitée, avaient envoyé des ambassadeurs à Antigone, et il les avait reconnus hautement pour ses alliés ; les Étoliens aussi s'étaient adressés à lui et avaient renouvelé avec lui-même l'alliance conclue avec ses généraux ; dans l'Eubée, la plupart des villes étaient proclamées libres : seule Chalcis était encore occupée par une garnison macédonienne. D'Athènes même il était venu secrètement des pétitions adressées à Antigone, le sollicitant de restaurer la liberté de la ville. Il semblait que Cassandre eût à craindre les résultats les plus funestes si la guerre se continuait : les choses étaient encore dans un état tel qu'il pouvait conclure une paix séparée dans des conditions favorables. Il eut donc une entrevue avec Antigone dans l'Hellespont, et traita avec lui de la paix ; mais les conditions posées par Antigone  — il est probable que la liberté des États helléniques y figurait au premier rang — semblèrent inacceptables de toutes façons à Cassandre ; les deux adversaires se séparèrent sans avoir rien conclu.

Cassandre pouvait s'attendre à ce qu'Antigone envoyât son escadre en Grèce, pour l'attaquer là au point le plus faible ; il était sûr de la ville d'Athènes et de ses ports, mais il avait d'autant plus à craindre qu'Antigone n'abordât en Eubée et ne passât de là en Béotie. Aussi Cassandre s'empressa-t-il de faire une tentative pour occuper l'île. Avec 30 vaisseaux, il gagna Oréos, sur la côte septentrionale de l'île, au rivage d'Artémision, position d'où il était facile de barrer l'entrée du canal. Il venait de réussir à s'emparer du port d'Oréos, et il pressait la ville de la manière la plus vive, lorsque Télesphoros arriva du Péloponnèse avec 20 vaisseaux, et Médios.de l'Asie avec 100 autres, pour secourir les Oréens. Les vaisseaux de Cassandre étaient immobiles dans le port de la ville ; les adversaires réussirent à y mettre le feu : quatre vaisseaux furent complètement brûlés, et tous les autres étaient dans le plus grand danger. Cependant une flotte arriva d'Athènes, et, dans un moment où les ennemis oubliaient de se garder, Cassandre fit une sortie, coula un de leurs vaisseaux et en captura trois autres avec leurs équipages[37].

Antigone envoya alors en Europe une nouvelle flotte de 150 voiles avec 5.000 hommes d'infanterie et 500 cavaliers, sous les ordres de son neveu Ptolémée[38] ; elle avait pour mission d'achever la délivrance des États grecs : les Rhodiens, qui venaient de conclure avec lui une alliance offensive, prirent aussi part à cette expédition avec dix vaisseaux admirablement équipés. Ptolémée aborda près d'Aulis, dans ce qu'on appelait le port profond : c'est là qu'au nom de la Ligue béotienne 2.200 hommes d'infanterie et 800 cavaliers vinrent se joindre à lui ; on lit venir aussi les vaisseaux qui étaient encore devant Oréos. Il fortifia Salganeus, tout près de la côte, et fit. de cette place le centre de ses opérations. Entre Aulis et Salganeus, au delà du pont qui franchit l'Euripe, très étroit à cet endroit, était située Chalcis, la seule ville de l'Eubée qui fût encore entre les mains de Cassandre[39] : c'est elle que Ptolémée espérait prendre la première. Dès que Cassandre apprit ce dessein des ennemis, il abandonna le siège d'Oréos et accourut à Chalcis, pour défendre cette position, la plus importante de toutes. Pendant ce temps, Médios retourna au plus vite avec toute la flotte en Asie auprès d'Antigone, qui se mit aussitôt en route vers l'Hellespont avec ses troupes, escorté le long de la côte par la flotte : son dessein était de passer en Europe, ou bien pour attaquer, si Cassandre, restait à Chalcis, la Macédoine laissée sans défense, ou bien, si celui-ci retournait chez lui afin de sauver la Macédoine, pour anéantir sa puissance en Grèce. C'était pour la puissance macédonienne la plus pénible alternative : n'étant maîtresse ni sur mer ni dans la Grèce, elle était réduite à une défensive qui, en fin de compte, n'était possible qu'avec la possession de la mer ou de la Grèce. Avec Chalcis[40], Cassandre avait encore l'Attique, dans l'Attique, un gouvernement qui lui était absolument dévoué, et, par lui, le concours de la flotte athénienne avec les ports attiques, qui étaient des portes de sortie sur la mer des Cyclades ; tant que l'Attique lui restait, la Grèce et la mer n'étaient pas complètement perdues. Il remit à son frère Plistarchos le commandement dans Chalcis et passa en toute hâte avec son armée à Oropos, sur la frontière de l'Attique, prit cette ville de force, imposa à la Ligue béotienne un armistice, longea l'Asopos vers Thèbes, et, après avoir nommé Eupolémos son stratège dans l'Hellade, il retourna en Macédoine. Ces événements se passaient vers la fin de l'année 313. Cependant Antigone était arrivé sur la Propontide et avait envoyé à Byzance pour sommer cette ville de s'allier avec lui ; mais des envoyés de Lysimaque y étaient déjà qui exhortaient les Byzantins à ne pas entreprendre d'hostilités soit contre lui, soit contre Cassandre, mais à craindre le plus rapproché des belligérants. Les Byzantins, qui avaient intérêt à continuer, au milieu de la guerre générale, leur commerce lucratif, répondirent que, comme par le passé, ils resteraient neutres. Cette réponse, le retour de Cassandre, le voisinage de Lysimaque avec son armée, la rigueur de l'hiver, et plus encore les événements de Syrie, décidèrent Antigone à ajourner son passage en Europe ; il distribua ses troupes dans les villes la Petite-Phrygie pour y prendre leurs quartiers d'hiver[41].

Ptolémée d'Égypte avait été empêché durant toute cette année de prêter une assistance immédiate à ses alliés. On peut bien attribuer en partie aux excitations d'Antigone le soulèvement de Cyrène contre Ptolémée, et la défection simultanée des princes cypriotes récemment réduits à l'obéissance. Les Cyrénéens, à ce qu'il paraît, avaient proclamé leur liberté : ils se tournèrent contre la citadelle de la ville et l'assiégèrent ; des ambassadeurs étant venus d'Alexandrie pour exiger d'eux la cessation des hostilités, ils les mirent à mort et n'en continuèrent le siège qu'avec plus d'ardeur. Alors Ptolémée envoya une armée de terre considérable, sous la conduite d'Agis, et une flotte sous le commandement du navarque Épænétos. Agis attaqua aussitôt énergiquement les rebelles, les battit, s'empara de la ville et envoya les meneurs pieds et poings liés à Alexandrie ; quant aux bourgeois de la ville, il leur enjoignit de livrer leurs armes : puis il réorganisa le gouvernement de la cité selon les ordres de son maître, rendit la stratégie de la ville à Ophélas et retourna à Alexandrie[42]. Alors Ptolémée se tourna avec toutes ses forces contre l'île de Cypre. Pygmalion de Cition fut destitué pour s'être engagé dans des pourparlers avec Antigone ; Praxippos de Lapethos, Stasiœcos de Marion et le dynaste de Cérynia, également convaincus de défection, furent mis en arrestation et. dépouillés de leur souveraineté : cette dernière fut donnée à Nicocréon, prince de Salamine, qui reçut en même temps la stratégie de l'île entière. Après cela, Ptolémée fit voile pour la Syrie, apparut subitement devant Posidion, au sud de l'embouchure de l'Oronte, prit la place d'assaut et la pilla[43]. De là il partit pour la Cilicie, prit Mallos, vendit comme esclaves les prisonniers qu'il y fit, dévasta tout le pays d'alentour, et revint à Cypre avec un riche butin.

A la nouvelle de ces incursions de Ptolémée, Antigone avait envoyé de Phrygie à son fils Démétrios, qui se tenait toujours en Cœlé-Syrie prêt à repousser les attaques venant d'Égypte, l'ordre de courir avec toute la célérité possible vers les pays en danger, pour leur porter secours et les empêcher d'être occupés formellement par Ptolémée. Démétrios était parti aussitôt avec sa cavalerie et l'infanterie légère, laissant en arrière les éléphants et les troupes pesamment armées sous les ordres de Pithon, et s'était avancé à marches forcées vers la Cilicie[44]. Il arriva trop tard. Il s'en retourna aussi vite qu'il était venu, parce qu'il craignait, pendant son absence, une attaque du côté de l'Égypte : les efforts surhumains que nécessitèrent ces mouvements mirent la plupart des chevaux hors d'usage ; beaucoup d'hommes aussi périrent. Il dispersa ses troupes en quartiers d'hiver dans le sud di la Syrie. C'est ainsi que se termina l'année 313.

La position respective des puissances en lutte avait pris un caractère définitif, et le problème simplifié ne comportait plus qu'une grande alternative ; on allait savoir qui aurait le dessus en Grèce, qui en Syrie. La nouvelle année, la quatrième de la guerre, devait amener la solution. Tout de suite après le départ de Cassandre, le stratège Ptolémée s'était jeté sur Chalcis, avait chassé la garnison, déclaré la ville libre, et, malgré son importance stratégique, avait décidé qu'elle ne recevrait pas de garnison à l'avenir. Ensuite il attaqua Oropos, s'empara de la garnison qui l'occupait et rendit la ville aux Béotiens. Après s'être emparé encore d'Érétrie[45] et de Carystos en Eubée, il marcha contre le territoire de l'Attique. Là un parti anti-macédonien avait déjà noué secrètement des relations avec Antigone[46] ; à l'approche de Ptolémée, ce parti contraignit le directeur de la ville, Démétrios, à conclure avec lui un armistice et à envoyer Antigone pour traiter d'une alliance formelle. Sans s'arrêter plus longtemps dans la région, le stratège se dirigea vers la Béotie, prit la Cadmée, chassa la garnison de Cassandre et délivra Thèbes. Il remonta ensuite vers la Phocide, chassant toutes les garnisons des acropoles et rendant aux villes leur liberté ; il alla jusqu'en Locride, investit étroitement la ville d'Oponte, qui restait fidèle à Cassandre, et l'attaqua de la manière la plus vive.

Pendant que la cause d'Antigone, favorisée par l'appel à la liberté et par le mouvement populaire toujours croissant, faisait ces heureux progrès dans la Grèce centrale, les ennemis de la Macédoine avaient également lutté avec succès dans l'Ouest. L'État des Corcyréens, qui pouvait se croire lui-même mis en danger par les empiètements de Cassandre, lequel venait de prendre possession de Leucade, et par ses succès réitérés sur les Épirotes, avait prêté son assistance aux Apolloniates et aux Épidamniens en révolte contre Cassandre, chassé la garnison des deux villes, proclamé la liberté d'Apollonie, abandonné Épidamne à Glaucias, prince des Taulantins, dans le but, sans doute, de pousser ce prince à une levée de boucliers, malgré son traité avec Cassandre. En Épire, d'autre part, après ta mort du roi Æacide, son frère aîné Alcétas avait été appelé au gouvernement : son père avait exclu du trône et exilé ce prince connu pour son caractère violent et farouche ; maintenant la haine générale contre Cassandre, haine qu'il partageait, le fit accepter d'autant plus volontiers que ses droits au trône étaient hors de contestation, et. que Pyrrhos, le fils d'Æacide, était encore un enfant. Le stratège d'Acarnanie, Lyciscos, le même ri avait géré la stratégie d'Épire, s'avança d'Acarnanie en Épire, dans l'espérance de renverser aisément le nouveau régime, qui ne devait pas être encore suffisamment consolidé. Il se dirigea vers le nord et campa dans les environs de Cassopia. Pendant ce temps, Alcétas avait envoyé ses fils Alexandre et Teucros dans les villes, avec ordre d'appeler sous les armes autant d'hommes que possible ; lui-même, avec les troupes qu'il avait déjà, était allé au-devant de l'ennemi et avait établi son camp en face de lui, attendant l'arrivée de ses fils. Lyciscos avait la supériorité du nombre ; il pressa tellement Alcétas que les Épirotes désespérèrent de vaincre et se rendirent. Alcétas s'enfuit dans la ville épirote d'Euryménæ[47]. Lyciscos l'y suivit et l'assiégea ; en ce moment, Alexandre, le fils du roi, s'approcha avec une armée considérable, attaqua les Macédoniens et les battit dans un combat sanglant. Mais Lyciscos reçut des renforts, et, dans un deuxième combat, les Épirotes succombèrent. Alexandre et Teucros se réfugièrent avec leur mère dans une place forte ; Euryménæ fut prise d'assaut, pillée et rasée.

Cassandre, aussitôt qu'il eut appris le premier combat près d'Euryménæ, s'était mis en route pour l'Épire ; il trouva la lutte heureusement terminée. Comme il tenait avant tout à la possession d'Apollonie, et que Glaucias, l'allié des Corcyréens et des Apolloniates, pouvait être considéré en même temps comme l'adversaire d'Alcétas, dont le neveu Pyrrhos était auprès de lui, il fit la paix avec Alcétas et lui céda l'Épire. Il marcha ensuite contre Apollonie : les citoyens s'étaient préparés à cette attaque et avaient fait venir des troupes de chez leurs alliés ; ils attendirent l'ennemi, prêts au combat, sous les murailles de leur ville, et, comme ils avaient la supériorité du nombre, ils battirent les Macédoniens. Après avoir subi des pertes considérables, comme, de plus, l'hiver approchait[48], Cassandre battit en retraite. Les Leucadiens, encouragés par sa défaite et par sa retraite, se révoltèrent avec l'appui des Corcyréens, chassèrent la garnison macédonienne et proclamèrent la liberté.

Il n'est pas possible de déterminer dans quelle mesure tous ces mouvements contre les Macédoniens ont été secondés par le stratège Ptolémée : sans aucun doute, s'il avait eu les mains libres, il leur aurait donné son appui assez énergiquement pour contraindre les forces macédoniennes à évacuer entièrement la Grèce. Aussi, dans cette attente, Antigone lui avait-il donné de pleins pouvoirs et le commandement général en Grèce ; mais c'est justement cette précaution qui fut un obstacle aux mouvements en avant du stratège. Le navarque Télesphoros, qui stationnait près de Corinthe, crut voir dans cette mission un passe-droit à son égard ; il se démit de ses fonctions de commandant de la flotte et offrit à ses mercenaires le choix de s'en aller où ils voudraient, après avoir quitté le service d'Antigone, ou bien d'entrer à son service à lui. Il avait le dessein de faire la guerre dans le Péloponnèse pour son propre compte et à son propre bénéfice. C'est dans ces sentiments qu'il marcha contre la ville d'Élis, qui était fidèle à la cause d'Antigone, occupa l'acropole, soumit la ville, pilla le sanctuaire d'Olympie, ramassa près de 50 talents d'argent, et se mit à enrôler des mercenaires tant qu'il put. Le Péloponnèse risquait d'être entièrement perdu pour Antigone. Aussi Ptolémée se hâta-t-il de lever le siège d'Oponte et de marcher vers le Péloponnèse : il arriva à Élis, s'empara en peu de temps de l'acropole, rendit aux Éléens la liberté et au temple ses trésors ; bientôt après, il vint à bout de forcer Télesphoros à rendre Cyllène, où il tenait encore : cette localité fut aussi remise aux Éléens[49].

Pendant ces événements, la lutte en Orient s'était dénouée d'une manière tout à fait inattendue. L'année précédente, après ses succès à Cyrène et à Cypre, Ptolémée s'était contenté d'une diversion rapide contre les côtes de Cilicie et de Syrie, diversion qui avait suffi pour tenir Démétrios en haleine et protéger la frontière d'Égypte. Mais maintenant, au commencement de l'année 312, la puissance d'Antigone était devenue si prépondérante en Asie-Mineure, si menaçante dans la mer Hellénique et dans l'Hellade, qu'il semblait être grand temps d'entreprendre quelque chose de décisif contre la Syrie, en partant de l'Égypte. C'était surtout Séleucos qui conseillait au satrape d'Égypte une expédition qui pouvait non seulement abattre Démétrios, mais faire reprendre la Syrie et menacer l'Asie-Mineure par le sud. Au printemps 312, les grands préparatifs et les enrôlements de Ptolémée étaient terminés. Ptolémée partit d'Alexandrie avec 18.000 hommes d'infanterie et 4.000 cavaliers, tant macédoniens que mercenaires ; il avait en outre une multitude d'Égyptiens, qui étaient en partie armés à la macédonienne, en parti ? occupés aux attelages et aux machines de guerre comme soldats du train et valets d'équipages : il passa par Péluse, traversa le désert qui sépare l'Égypte de la Syrie, et vint camper près de Gaza[50].

A la nouvelle des armements de Ptolémée, Démétrios avait aussi rappelé ses troupes des quartiers d'hiver et marché avec elles sur Gaza ; le jeune général (il avait l'âge d'Alexandre lorsqu'il commença sa grande campagne d'Orient) brûlait du désir de se mesurer avec l'ennemi, qu'il avait cherché en vain en Cilicie, attendu en vain sur les frontières de la Syrie. Les vieux généraux déconseillaient sérieusement une lutte contre une armée de beaucoup supérieure en nombre et commandée par un chef aussi éprouvé : il valait mieux, disaient-ils, se tenir sur la défensive que de hâter une solution qui, selon toute vraisemblance, serait en faveur de l'adversaire. Malgré tout, Démétrios persista dans sa volonté : il savait qu'il s'exposait grandement en engageant sans son père cette action décisive, mais, malgré sa jeunesse, il voulait la risquer ; il espérait que le succès lui donnerait raison. Il convoqua l'armée en assemblée. Les soldats se réunirent tout en armes : comme il avait pris place sur une éminence au milieu d'eux et qu'il restait un instant silencieux et embarrassé, les soldats lui crièrent de se remettre de son émotion et de parler ! Avant même que le héraut eût commandé le calme, un silence profond régna tout autour de lui. Alors Démétrios parla à la foule avec la chaleur et la témérité qui lui étaient propres, avec le charme entraînant de la jeunesse qui croit, au premier grand succès, avoir gagné le droit de tout espérer de l'avenir : il ne dissimula pas qu'il se hasardait beaucoup, mais il se fiait à eux pour lui conquérir ses premiers trophées ; plus la force de l'ennemi était grande, plus grande aussi serait la gloire du triomphe ; plus les généraux de l'armée ennemie, tous deux lieutenants éprouvés d'Alexandre, étaient célèbres, plus il serait glorieux pour lui, jeune homme, de les battre. Il ne demandait que la gloire et abandonnait le butin aux troupes pour le rendre digne de leur bravoure, il voulait le grossir par de riches présents. Les troupes répondirent au discours de leur jeune général par des cris de joie ; elles étaient enthousiasmées pour leur héros, dans lequel elles croyaient revoir la figure d'Alexandre, la hardiesse et la grandeur d'Alexandre ; il était leur favori ; personne n'avait à se plaindre de lui ; on rejetait tout le mal sur son père, on attendait tout le bien de lui. Antigone était un vieillard ; chacun savait qu'il ambitionnait le diadème : dans ce cas, Démétrios était l'héritier :du trône, et la fortune à venir dépendait de sa faveur ; et pour quel :autre aurait-on plus volontiers fait des vœux ? Achille pour la beauté, dans toute la fleur de la jeunesse, de haute : stature, couvert d'une armure royale, affable et encourageant avec tous, le visage rayonnant d'intrépidité et d'espérance, les regards tournés hardiment vers l'ennemi, tel il s'avança à la tète de ses troupes vers le champ de bataille.

Là il rangea son armée d'après un plan inspiré par une idée aussi simple que hardie. Il s'agissait, par une initiative rapide et inopinée, de paralyser la supériorité d'un ennemi beaucoup phis nombreux, qui devait compter prendre lui-même l'offensive ; il s'agissait de le forcer au combat sur le terrain que l'Égyptien désirait le moins ; il s'agissait de frapper le coup de manière à ce que le succès eût pour conséquence la destruction certaine de l'ennemi. Démétrios avait son flanc droit appuyé à la mer ; il désigna son aile gauche pour le coup offensif, qui devait, s'il réussissait, jeter l'ennemi dans la mer. Il plaça à son aile gauche 200 cavaliers, un corps d'élite, composé par les « amis », parmi eux le stratège Pithon ; à gauche devant eux trois escadrons, soit 150 cavaliers ; un nombre égal, destiné à couvrir le flanc, • formait l'extrémité de l'aile, en dehors de laquelle 100 Tarentins marchaient partagés en trois escadrons, de sorte qu'il y avait en tout 600 cavaliers autour de la personne de Démétrios. Après ceux-ci, à droite, venaient les hétœres, soit 800 cavaliers ; après eux, d'autres cavaliers, au nombre de 1,500. Devant cette aile on fit marcher 30 éléphants : dans les intervalles était distribuée l'infanterie légère dont on avait besoin, 1,500 hommes, parmi lesquels 500 frondeurs perses. Le centre de la ligne de bataille était formé par 11.000 hommes pesamment armés, parmi lesquels 2.000 Macédoniens, 1.000 Lyciens et Pamphyliens, 8.000 mercenaires ; 13 éléphants, avec l'infanterie légère en nombre voulu dans les intervalles, précédaient la ligne des phalanges. L'aile droite se composait de 1.500 cavaliers sous le commandement de l'Olynthien Andronicos ; il avait pour consigne de suivre les phalanges en direction oblique, d'éviter tout combat sérieux et d'attendre l'attaque décisive par l'aile gauche.

Pendant ce temps, l'armée ennemie s'était avancée, elle aussi : Ptolémée et. Séleucos avaient concentré leur force principale à l'aile gauche, s'attendant à ce que Démétrios attaquât celle-ci d'abord, d'après l'usage ordinaire de la guerre. Lorsqu'ils reconnurent l'ordre de la ligne ennemie, ils changèrent rapidement leurs dispositions : ils placèrent à l'aile droite, où ils voulaient combattre en personne Démétrios, 3.000 cavaliers d'élite ; pour se défendre contre l'irruption des éléphants, ils firent marcher en avant quelques pelotons porteurs de poutres munies de pointes en fer et reliées entre elles avec dès chaînes ; derrière ces épieux, de l'infanterie légère, qui devait accabler les animaux à coups de flèches et de frondes, au moment où ils arriveraient au trot, et faire tomber, si c'était possible, les cornacs et les autres hommes montés dessus. A l'aile droite ainsi disposée se reliait la phalange, à celle-ci l'aile gauche, composée de 1.000 cavaliers : celle-ci n'était inférieure que d'un tiers à l'aile ennemie placée en face d'elle.

Les renseignements qui nous sont parvenus ne nous mettent pas en état de savoir si Démétrios ne put et pourquoi il ne put profiter du moment de faiblesse dans lequel dut se trouver la ligne de bataille ennemie au moment de ce changement de dispositions en pleine marche, ou si l'émotion que lui causait cette première grande bataille lui fit négliger cet instant précieux. Ce n'est que lorsque l'ennemi fut en ligne que le combat commença : les escadrons de Démétrios, qui étaient en première ligne, l'ouvrirent avec une grande fougue et avec le plus grand bonheur : ils culbutèrent quelques corps ennemis et les poursuivirent. Pendant ce temps, les escadrons de l'extrémité de la ligne égyptienne, qui dépassaient l'aile ennemie, tombèrent sur ses flancs[51] : la lance au poing, ils fondirent sur l'adversaire comme un ouragan ; les armes volèrent en éclats ; des deux côtés les blessés tombaient en grand nombre ; mais les escadrons de Démétrios ne reculèrent pas. Les adversaires se rallièrent pour le deuxième choc et s'élancèrent l'épée nue ; il s'engagea un combat terrible, d'homme à homme : aucun ne céda ; les généraux des deux armées étaient au milieu de la mêlée ; leurs paroles et leur exemple produisaient des miracles de bravoure. Pour donner sans doute une tournure décisive à ce combat de cavalerie qui s'agitait incertain, ordre fut donné de faire avancer les éléphants : là Démétrios avait la supériorité sur son adversaire. C'était un spectacle effrayant de voir ces animaux gigantesques arriver au trot en faisant trembler le sol. Ils s'approchèrent de la palissade : une grêle de flèches, de javelots, de pierres de fronde les couvrit en sifflant, eux, leurs cornacs, leurs soldats montés ; les animaux ne coururent qu'avec plus de violence ; tout à coup ils s'arrêtèrent l'un après l'autre en hurlant de douleur et de rage ; c'étaient les pointes de fer des palissades qui pénétraient dans les parties molles de leurs pieds ; de nouvelles décharges de flèches et de pierres firent tomber plusieurs des cornacs : privés de leurs guides, les animaux blessés couraient çà et là, augmentant la confusion de la manière la plus désastreuse. Bientôt la redoutable ligne d'attaque des éléphants fut en pleine débandade ; la plupart des animaux furent pris par les adversaires et le gros de la ligne de cavalerie ouverte à l'attaque des Égyptiens victorieux. Déjà plusieurs des escadrons tournaient bride pour fuir ; c'est en vain que Démétrios, avec ceux qui tenaient encore autour de lui, tenta de rétablir la bataille. On ne nous dit pas ce que fit la phalange de l'infanterie dans ce moment critique, quels ordres elle reçut, ni si elle tenta de couvrir la retraite à laquelle Démétrios se vit forcé. Tout en reculant, il rallia les cavaliers, et c'est dans le meilleur ordre, en rangs serrés, que les escadrons se retirèrent par la plaine jusqu'à Gaza ; ils virent se joindre à eux les hoplites, tous ceux du moins qui avaient mieux aimé jeter leurs armes que de se rendre. Le champ de bataille, les morts et les blessés furent abandonnés à l'adversaire ; au coucher du soleil, les débris de l'armée vaincue remontèrent vers Gaza et longèrent les remparts de la ville, qu'il n'était plus possible de garder. Un corps de cavaliers entra en toute hâte dans la ville pour sauver les bagages de l'armée pendant cette retraite générale ; la quantité de bétail et de voitures, de valets d'équipages et d'esclaves qui se pressaient vers la porte avec bruit et désordre, permit à l'ennemi, avant que la porte fût fermée ou la route barrée, de pénétrer tout à coup dans la ville, dont il s'empara ainsi que de presque tous les bagages.

Démétrios avait fui plus loin sans s'arrêter ; vers minuit, il fit halte à Azotos, à près de sept milles du champ de bataille[52]. Ses pertes étaient énormes et son armée complètement anéantie : près de 8.000 hommes, plus des deux tiers de son infanterie, s'étaient rendus prisonniers ; les autres avaient jeté leurs armes et perdu leurs bagages ; près de 5.000 hommes étaient tombés, et parmi eux notamment le noyau de la cavalerie, la plupart des « amis », et le stratège Pithon. D'Azotos Démétrios envoya demander aux vainqueurs un armistice pour ensevelir ses morts. Ptolémée lui fit répondre qu'il pouvait les enterrer, et lui renvoya ses amis prisonniers, ses serviteurs, sa cour et ses bagages : il ajouta que ce n' était pas pour ce prix qu'il combattait contre Antigone, mais parce que ce dernier n'avait pas partagé, selon les traités, avec ses alliés ce qui avait été conquis pendant la guerre faite en commun contre Perdiccas et contre Eumène, et qu'ensuite, en dépit du renouvellement de leur traité, il avait dépouillé Séleucos de Babylone de sa souveraineté ; pour lui, en faisant la guerre, il n'avait pas eu d'autre but que d'appuyer par la force des armes toutes ces justes exigences, dont Antigone n'avait pas daigné tenir compte ; il félicitait du reste le jeune général de la bravoure avec laquelle il s'était battu, et il éprouvait une satisfaction particulière de ce que l'issue de la journée l'avait mis en état de donner à son adversaire une prouve de son estime, en lui renvoyant ce qui lui appartenait et ceux qu'il aimait le plus parmi les prisonniers. Démétrios accueillit ce message, qui était tout à fait conforme à la courtoisie militaire de l'époque, en répondant dans le même sens : qu'il espérait ne pas rester longtemps le débiteur du noble Lagide et priait les dieux de lui donner bientôt une occasion de lui rendre la pareille[53].

Dès qu'il eut enseveli ses morts, Démétrios se hâta de quitter les régions méridionales de la Syrie, dans lesquelles il ne lui était pas possible de se maintenir avec ce qui lui restait de soldats en état de combattre ; il envoya des courriers à son père pour lui annoncer la défaite de Gaza et lui demander de nouvelles troupes. Il se retira lui-même le long de la côte phénicienne, envoya l'Olynthien Andronicos à Tyr, avec ordre de tenir la ville à tout prix ; puis il courut lui-même à Tripolis, y fit venir des places fortes de Cilicie et de la Syrie supérieure toutes les troupes qui n'y étaient pas indispensables, enrôla le plus grand nombre possible de mercenaires, se procura des armes et des provisions et exerça les nouvelles troupes avec le plus grand soin. Sa première défaite ne l'avait rien moins que découragé ; il semblait qu'elle n'eût été pour lui qu'une leçon, et qu'elle l'eût fait passer subitement de la folle témérité de la jeunesse à la sage réflexion et à l'énergie de la virilité.

Ptolémée, de son côté, après la bataille de Gaza, avait envoyé les prisonniers de guerre en Égypte, avec ordre de les répartir dans les nomarchies du pays[54]. La Syrie lui était ouverte ; la retraite de l'adversaire lui livrait la Palestine et la plus grande partie de la Phénicie. Il avança sans retard avec son armée victorieuse : la plupart des villes lui ouvrirent volontairement leurs portes ; il en força d'autres à capituler. Sidon se rendit aussi ; seule la forte ville insulaire de Tyr était encore aux mains de l'ennemi. Ptolémée établit son camp en face de la ville ; il fit sommer de se rendre le commandant, Andronicos d'Olynthe, en lui promettant une riche récompense et les plus grands honneurs s'il entrait à son service. Andronicos répondit qu'à aucun prix il ne trahirait la cause d'Antigone et de Démétrios ; c'était un procédé indigne, disait-il, que de lui faire cette proposition ; il n'y avait qu'un homme comme Ptolémée, un homme ayant lui-même honteusement manqué à la bonne foi, qui pût attendre des autres une conduite semblable. Mais la nouvelle de la défaite de Gaza, de la complète dissolution de l'armée et des progrès de Ptolémée en Syrie et en Phénicie, avait découragé la garnison de Tyr : lorsque le bruit se répandit que la ville ne serait rendue en aucun cas, il éclata une émeute formelle ; c'est à grand'peine qu'Andronicos put échapper et gagner le rivage, où les avant-postes égyptiens s'emparèrent de lui et le conduisirent devant Ptolémée. Le prisonnier s'attendait, après avoir refusé la reddition en termes si offensants, à être aussitôt puni de mort ; mais Ptolémée eut assez de grandeur d'aine ou d'esprit politique pour ne pas faire la moindre allusion à ce qui s'était passé : il lui dit qu'il se réjouissait de ce que sa bonne fortune lui avait amené un général si renommé, et qu'il s'efforcerait de lui faire oublier, par des honneurs et des distinctions, le malheur qui l'avait arraché à des intérêts défendus par lui avec tant de fidélité et d'intelligence[55]. Il sut avec une douceur égale gagner la population du pays syrien ; les enfants d'Israël notamment s'attachèrent à lui, et beaucoup d'entre eux émigrèrent en Égypte ; il se fit un partisan fidèle du grand prêtre Hézékias, personnage d'une grande expérience et vénéré de tous[56].

Après la chute de Tyr, Ptolémée, selon toute apparence, continua de remonter la côte de Phénicie, tandis que Démétrios se retirait vers la Syrie supérieure et même jusqu'en Cilicie[57] : l'intérieur du pays ne pouvait opposer aucune résistance aux Égyptiens ; la route de Babylone était libre. Séleucos savait combien les Babyloniens lui étaient dévoués, et combien ils, étaient hostiles à la cause d'Antigone. Le satrape établi par Antigone avait péri à la bataille de Gaza ; le pays était occupé par des troupes peu nombreuses ; il n'y avait personne dans le voisinage qui_ pût les assister, vu que dans les provinces supérieures l'opinion était mal disposée pour Antigone. Le résultat normal de la grande victoire semblait devoir être le retour de Séleucos dans sa satrapie ; il était en droit d'espérer, lors même qu'il arriverait avec une faible escorte, que la province se soulèverait en sa faveur : il pria Ptolémée de lui donner un petit corps de troupes, afin que la révolution pût s'accomplir plus vite et plus sûrement. Ptolémée lui donna 800 hommes d'infanterie et environ 200 cavaliers ; il ne pouvait lui en donner davantage sans s'affaiblir, au moment où il s'attendait à être attaqué par Antigone : si l'opinion à Babylone était telle que Séleucos l'espérait, ce corps de troupes suffisait amplement ; s'il échouait, la perte ne serait pas trop sensible[58].

Séleucos, avec sa petite troupe, traversa la Syrie, franchit l'Euphrate et s'avança vers la Mésopotamie ; à mesure qu'on approchait du moment décisif, ses fidèles commençaient à s'inquiéter ; leur nombre était si petit, ils avaient si peu d'argent et de provisions de guerre, tandis que, du côté de ceux contre qui ils allaient lutter, il y avait une telle supériorité de combattants, d'armes, de magasins, tant d'alliés au près et au loin. Séleucos les encourageait, et, à plus d'un point de vue, elles sont caractéristiques les paroles qu'on lui prête d'après une tradition qui remonte à Hiéronyme. Il ne convient pas, disait-il, à de vieux soldats, à des vétérans d'Alexandre, que le grand roi a distingués par ses louanges et ses honneurs, de ne se confier qu'au nombre des soldats et aux moyens financiers ; l'expérience et l'intelligence ont une bien plus grande valeur. Alexandre n'est-il pas lui-même la preuve qu'avec de petits moyens on peut faire de grandes choses ? quant à lui, il était plein d'espoir ; il ne se fiait pas seulement à la justice de sa cause et à ses forces, quoique petites par le nombre, mais la volonté des dieux lui avait plus d'une fois fait pressentir ce que la destinée lui réservait. L'Apollon de Milet l'avait salué du nom de roi ; Alexandre s'était approché de lui en songe et lui avait prédit sa puissance future : n'était-ce pas du reste un présage significatif que d'avoir ramassé à la nage le diadème du roi, enlevé de sa tète par un coup de vent dans le lac des Tombes royales, et d'en avoir ceint sa propre tête ? Sans doute, il y aurait bien des fatigues, bien des dangers à surmonter, mais les grandes choses ne se font jamais sans peine ; il était aussi certain du succès quo du dévouement de ses fidèles. Mais ce qui faisait encore plus d'effet que ces discours, c'était la sérénité et l'affabilité de Séleucos ; il s'entendait à gagner d'une façon absolue l'amour et le respect de ses hommes, et tous ses compagnons étaient prêts à vaincre ou à mourir avec lui[59].

A Carre déjà, à quelques journées de marche après l'Euphrate, il réussit à gagner la garnison macédonienne qui l'occupait ; il força par les armes d'autres postes à se soumettre et à le suivre. Aussitôt qu'il fut entré sur le territoire babylonien, beaucoup des plus riches habitants vinrent au-devant de lui et s'attachèrent à lui, en lui offrant tous les services qu'il pourrait leur demander ; chaque jour voyait s'augmenter le nombre de ceux qui accouraient à lui ; le peuple l'acclamait comme un libérateur, et il reçut de tous côtés des preuves de l'attachement le plus passionné et des secours de toute nature ; parmi les fonctionnaires de la province, Polyarchos passa de son côté avec plus de mille mercenaires. Les partisans qu'Antigone avait dans la ville ne pouvaient déjà eus arrêter le mouvement général ; ils se réfugièrent dans la citadelle, où commandait Diphilos. Séleucos la prit d'assaut, délivra ses amis, ainsi que les enfants des notables qu'Antigone y avait transportés comme des otages devant lui assurer la fidélité du pays ; il les rendit à leurs parents. La prise de la citadelle était l'anéantissement du parti d'Antigone. Séleucos se hâta de recruter des troupes, d'acheter des chevaux et de les distribuer dans les différents services : les Babyloniens l'aidèrent avec ardeur ; c'était comme s'il s'agissait de protéger les droits et les prétentions d'un souverain légitime universellement adoré[60].

Cependant Nicanor, le stratège des satrapies supérieures[61], à la nouvelle de l'invasion de Séleucos, avait réuni une armée de plus de 10.000 hommes d'infanterie et 7.000 cavaliers de la Médie, de la Perse et des autres pays voisins ; il franchit avec elle les montagnes au plus vite, afin de sauver Babylone pour le parti d'Antigone. Séleucos n'avait pas plus de 3.000 fantassins et 400 cavaliers ; il n'en marcha pas moins au-devant de l'ennemi en franchissant le Tigre : lorsqu'il apprit que Nicanor n'était éloigné que de quelques jours de marche, il cacha ses troupes dans les marais du bord du fleuve, dans l'espoir qu'il pourrait de là surprendre son adversaire à l'improviste. Nicanor s'approcha du Tigre et campa dans le voisinage d'un château royal, et, comme il ne trouva pas trace d'ennemis, quoiqu'il eût été averti qu'ils avaient passé le fleuve, il fut convaincu que ceux-ci s'étaient retirés devant ses forces supérieures. Dans la nuit, Séleucos sortit tout à coup de son embuscade : il trouva le camp des ennemis mal gardé el le surprit. Les troupes de Nicanor combattirent dans la plus grande confusion ; le satrape Évagros de Perse et d'autres chefs tombèrent[62] ; en peu d'instants, l'armée de Nicanor fut dispersée, et ses soldats passèrent par troupes nombreuses du côté de Séleucos : détesté de tous, craignant toujours d'être livré, Nicanor, accompagné d'un petit nombre de fidèles, chercha son salut dans la fuite. Les provinces supérieures étaient ouvertes au vainqueur : la haine contre l'oppression d'Antigone et de ses partisans, que la Médie, la Perse et la Susiane avaient supportée pendant quatre ans, lui facilita ses succès ultérieurs ; ce fut avec joie que les satrapes s'attachèrent à un maître dont la bonté et la justice étaient célébrées au loin[63]. Ils sentaient, et Séleucos avec eux, que, pour être vraiment roi, il ne lui manquait plus que le titre[64].

Pendant ces événements d'Orient, qui ont dû occuper à peu près l'hiver de 312/1, la guerre avait recommencé dans les pays de la Syrie. A la suite de la bataille de Gaza, Démétrios s'était retiré de la Syrie ;' il avait mis tout son zèle à reconstituer à nouveau son armée : sitôt qu'il se crut assez fort, il partit pour attaquer la Syrie supérieure. A la nouvelle de son approche, Ptolémée envoya vers l'Oronte une armée considérable, sous le Macédonien Cillès, un des amis ; il espérait que ce mouvement suffirait pour obliger son adversaire, encore sous le coup de sa récente défaite, à se retirer de la Syrie, ou bien, s'il n'évacuait pas aussitôt le pays, pour l'isoler de façon à ce qu'il pût être pour la seconde fois complètement détruit. Cillès était en marche, et déjà à peu de distance de Démétrios ; ce dernier apprit par des espions que l'armée égyptienne se reposait près de Myonte[65], qu'elle gardait mal son camp, et qu'une attaque imprévue devait être d'un effet décisif. Aussitôt Démétrios, laissant derrière lui les bagages et les hommes trop pesamment armés, partit à la tète de ses autres troupes. Après une marche forcée de toute une nuit, il se trouva à l'aurore dans le voisinage du camp ; le petit nombre de sentinelles fut facilement massacré, le camp forcé et occupé avant que les ennemis fussent réveillés, et Cillès, sans avoir combattu davantage, fut contraint de se rendre prisonnier avec toute son armée : 7.000 hommes et un très riche butin tombèrent ainsi entre les mains de Démétrios ; ce n'était pas beaucoup moins que ce qu'il avait perdu lui-même à Gaza. Il avait donc honorablement réparé son échec devant cette ville. Les pertes de l'ennemi et la gloire de cette entreprise si hardie, couronnée d'un si grand succès, lui causèrent moins de satisfaction que l'occasion qu'il y trouva de prendre sa revanche du message et de l'envoi du Lagide après la bataille de Gaza. Avec l'assentiment de son père, qui l'avait laissé entièrement libre de faire de ses prises ce que bon lui semblerait, Démétrios renvoya à Ptolémée Cillès et les autres amis qui étaient parmi les prisonniers, avec de riches présents et une lettre où il le priait d'accepter tout cela comme un témoignage de sa reconnaissance et de son estime. Comme il craignait que Ptolémée ne marchât immédiatement contre lui avec toute son armée, il concentra la sienne dans une position qui était couverte par des marais et des étangs : il envoya des exprès à son père pour lui annoncer sa victoire et le prier d'envoyer le plus vite possible une armée en Syrie ; le mieux serait qu'il pût venir lui-même avec toutes ses forces ; il était possible maintenant de regagner tout ce qu'on avait perdu en Syrie[66].

Antigone était en Phrygie avec son armée : c'est sans doute à cause de la guerre de Syrie qu'il avait renoncé au projet de passer en Europe, comme il y avait songé l'hiver précédent ; du moins, à la nouvelle de la bataille de Gaza, il eut pour un instant le dessein de marcher vers la Syrie, afin de montrer au satrape d'Égypte qu'autre chose était de vaincre des enfants, autre chose de lutter avec des hommes ; les prières de son fils, qui le supplia de lui laisser le commandement, l'avaient décidé jusqu'alors à rester. Il était à Célænæ quand il reçut la nouvelle de la victoire de son fils : sa joie fut extraordinaire ; l'enfant est digne d'un royaume, dit-il aux amis. Il eut bien vite concentré son armée, et, en peu de jours, elle était en marche pour franchir le Taurus ; bientôt le père fut dans le camp de son fils et les deux armées réunies en une seule, ce qui constituait une force extrêmement importante.

Informé-de ces événements, Ptolémée convoqua en conseil de guerre les commandants et les amis ; il leur annonça que l'ennemi avait pénétré en Syrie avec-des forces supérieures ; la question était de savoir s'il valait mieux l'attendre et assurer en Syrie même la possession de cette province par une bataille décisive, ou s'il fallait retourner en Égypte et attendre l'ennemi sur le Nil, comme du temps de Perdiccas. L'avis général fut que c'était trop tenter le hasard que de combattre, dans un pays nouvellement conquis, une armée supérieure en nombre, commandée par Antigone, un général constamment heureux, et qu'il valait mieux se retirer en Égypte, où, favorisé par les lieux, par les provisions réunies en grande quantité dans le pays, par l'inondation du Nil qui commençait, on pourrait attendre de pied ferme l'attaque des ennemis. L'évacuation de la Syrie fut résolue : on rappela les garnisons ; on rasa les forteresses les plus importantes, notamment Ake, Joppé, Gaza ; on ramassa le plus possible de contributions en or et en nature, et, dès l'automne, la Syrie fut évacuée par les troupes égyptiennes[67].

Antigone s'avança derrière elles et reprit sans peine les contrées récemment perdues. Il avait certainement l'intention d'aller attaquer Ptolémée en Égypte ; mais l'exemple de Perdiccas pouvait lui enseigner avec quelle prudence il fallait opérer contre ce pays si merveilleusement protégé par la nature : le chemin à travers le désert qui sépare la Syrie de l'Égypte offre déjà des difficultés innombrables et ne peut être traversé qu'avec des préparatifs exceptionnels, notamment à cause du manque d'eau potable[68] ; à supposer qu'une armée eût franchi heureusement ces obstacles, les opérations militaires rencontreraient de nouvelles et plus grandes difficultés sur un terrain coupé de mille façons et facile à inonder. Il 'semble qu'Antigone ait eu le dessein ou bien de trouver pour attaquer l'Égypte un chemin tout nouveau, qui lui permit d'éviter, si c'était possible, les difficultés du Delta, ou bien de s'assurer au moins, pour traverser le désert, tous les avantages que pouvait lui procurer la soumission des tribus arabes du voisinage.

Ces tribus arabes, que les anciens désignent sous le nom de Nabatéens, habitaient les pays entièrement incultes qui s'étendent entre la nier Rouge et le golfe Arabique ; ils vivaient à l'état nomade, sans domicile fixe, les uns en faisant paître leurs troupeaux, les autres en pillant les routes ou les frontières de la Syrie, d'autres encore en transportant à dos de chameau sur les marchés de la Syrie, de l'Arabie et de l'Égypte, de l'encens, des épices, des marchandises de l'Inde et de l'asphalte qu'ils recueillaient sur la mer Morte. Leur pays est presque entièrement dépourvu d'eau ; ils n'avaient pour eux et leur bétail que celle des citernes : ils étaient riches du produit de leur commerce et de leurs rapines, braves, libres, et menaient une vie Patriarcale, comme aujourd'hui encore les fils du désert. Antigone résolut d'essayer une attaque contre eux : lors même qu'elle n'aurait pas d'autres résultats, elle servirait au moins à protéger pour l'avenir les frontières de la Syrie reconquise, qu'ils avaient si souvent désolée ; une attaque bien conduite promettait aussi un butin considérable ; en cas de plus grands succès, on attrait peut-être l'occasion de prendre possession du pays jusqu'à la pointe de la mer Rouge et de gagner les antiques et célèbres ports d'Ezéon-Geber et d'Allant, les entrepôts du commerce du Sud avec la Syrie ; dans l'éventualité la plus favorable, ces contrées ouvriraient peut-être une voie plus commode pour attaquer l'Égypte ou permettraient tout au moins d'échelonner de l'eau et des provisions sur la route ordinaire. Dans tous les cas, en attaquant ces tribus de Bédouins, on ne ferait pas une chose inutile et on ne s'exposerait pas à une perte de temps, puisqu'en cette saison, celle de l'inondation du Nil, on ne pouvait rien entreprendre contre l'Égypte. Aussi Antigone décida-t-il qu'Athénæos, un des amis, se mettrait en route contre les Nabatéens avec 4.000 hommes d'infanterie légère et 600 cavaliers. C'était juste au moment d'une grande fête des Arabes, fête à laquelle affluaient de loin et de près les tribus pour apporter et chercher des marchandises, comme à une grande foire ; aussi la plupart des Nabatéens — toute la tribu ne comptait que 10.000 hommes — étaient-ils venus là, laissant leurs biens, leurs vieillards, les femmes et les enfants dans la contrée montagneuse de Pétra, que la nature et l'éloignement semblaient rendre un asile sûr, sans autres fortifications : elle était à deux journées de marche des dernières agglomérations de leurs voisins sédentaires ; c'est dans cette contrée montagneuse, dans cette Pétra, que s'éleva plus tard la ville de ce nom, la métropole de l'Arabie Pétrée[69]. Athénæos marcha en toute hâte dans cette direction : partant de l'Idumée, il y arriva en trois jours et trois nuits[70], au milieu de la nuit, s'empara de cette région rocheuse, fit prisonniers une partie des gens qu'il y trouva, massacra les autres ou les laissa blessés sur le sol, prit des monceaux d'encens et de myrrhe et près de 500 talents d'argent ; peu d'heures après, pour ne pas attendre le retour des Arabes, il se hâta de revenir et établit son camp à cinq milles plus loin.

Cependant les Nabatéens absents avaient appris cette incursion, et, quittant aussitôt le marché, ils étaient retournés dans leurs montagnes. Ayant appris des blessés ce qui s'était passé, ils s'étaient mis en toute hâte à la poursuite d'Athénæos ; ils virent bientôt venir à eux quelques-uns des leurs qui, faits prisonniers, s'étaient enfuis du camp ; ils rapportèrent que tous étaient plongés dans un profond sommeil et que,. se croyant en sûreté, ils avaient presque entièrement négligé de garder le camp. A la troisième veille, les Nabatéens, forts d'environ 8.000.hommes, atteignirent le camp, y pénétrèrent sans peine, égorgèrent beaucoup de soldats dans les tentes, réduisirent en peu de temps les autres qui, s'armant à la hâte, avaient essayé de résister ; les Arabes massacraient avec l'acharnement de la vengeance, et l'on dit qu'il n'échappa que 50 cavaliers, la plupart blessés. Les Nabatéens rentrèrent chez eux avec leurs biens, ceux des leurs qui avaient été pris et un riche butin. De là ils envoyèrent un message à Antigone, dans lequel ils lui écrivaient qu'ils n'étaient pas responsables de l'événement ; qu'attaqués par un corps de troupes, ils avaient été dépouillés de leurs biens ; qu'ils n'avaient fait que reconquérir ce qui était à eux, et que la mort de leurs pères, de leurs frères et de leurs enfants, les avait forcés à remplir le devoir de la vengeance. Antigone leur répondit qu'ils n'avaient fait qu'user de leur droit ; qu'Athénæos avait entrepris son acte de brigandage de son propre mouvement et sans qu'il y eût part lui-même ; qu'il désirait voir rétablir et se maintenir la bonne entente qui avait régné entre eux et lui. Il espérait, par ces assurances, rassurer les Arabes de manière à pouvoir les vaincre plus facilement ; mais eux, de leur côté, défiants et circonspects comme le sont ces tribus, tout en feignant la confiance, ils ne négligèrent aucune mesure de prudence afin d'être prêts à répondre à une nouvelle attaque[71].

Antigone laissa s'écouler un certain temps, jusqu'au moment où il put croire que les Nabatéens étaient tout à fait rassurés ; il choisit alors dans son armée 4.000 hommes d'infanterie légère, exercés à une marche rapide, et un peu plus de 4.000 cavaliers ; il leur ordonna de.se munir pour plusieurs jours de vivres qu'on pouvait apprêter sans l'aide du feu et confia le commandement de l'expédition à son fils Démétrios, avec la mission de punir les Arabes de toutes les manières possibles. Démétrios traversa le désert trois jours durant, espérant que les Barbares ignoraient son approche ; mais les Arabes avaient placé sur les parties élevées du désert des sentinelles qui, dès qu'elles s'aperçurent de l'arrivée des ennemis, informèrent les tribus par des feux. Les Nabatéens, persuadés que l'ennemi allait paraître avec des forces supérieures, se hâtèrent d'aller déposer leurs biens à Pétra, où une certaine place, assise sur un rocher entouré d'obstacles invincibles et accessible d'un seul côté, par une montée artificielle que défendait une garnison suffisante, leur semblait être tout à fait sûre ; les autres se dispersèrent de différents côtés dans le désert, avec les hommes, les chevaux et le butin qu'ils avaient pris en dernier lieu et partagé entre eux. Démétrios arriva à Pétra ; il tenta aussitôt une attaque contre le rocher, mais les Arabes le défendirent avec une bravoure héroïque : les pentes abruptes ne purent être escaladées, malgré plusieurs tentatives qui se renouvelèrent jusqu'au soir. Lorsque l'attaque fut reprise, le lendemain, les défenseurs du rocher ouvrirent des négociations ; ils ne demandaient qu'à vivre libres et en sécurité dans le désert, et étaient prêts à faire à l'ennemi de riches cadeaux, s'il voulait arrêter les hostilités. Là-dessus Démétrios se retira en effet de Pétra, avec quelques-uns des anciens de la tribu, afin de délibérer ; il accepta environ 700 chameaux, qui pouvaient être considérés comme une sorte de tribut, et leur accorda la paix[72], à condition qu'ils lui céderaient à l'avenir l'exploitation de l'asphalte de la mer Morte, que les Égyptiens ne pouvaient se procurer que par cette voie pour l'embaumement de leurs momies ; après cela, il reçut leurs otages, conduisit ses soldats en une seule marche de presque huit milles jusqu'à la mer Morte, et de là rejoignit le gros de l'armée.

Antigone ne fut pas satisfait de la paix conclue par son fils : selon lui, les Barbares, voyant qu'ils s'en étaient tirés à si bon compte, n'en deviendraient que plus audacieux, et ils regarderaient comme une faiblesse l'indulgence du vainqueur. Il approuva pourtant sans réserve la stipulation concernant l'exploitation de la mer Morte et remercia son fils d'avoir ainsi procuré à l'empire des ressources nouvelles : il décida aussi qu'Hiéronyme de Cardia dirigerait la récolte de l'asphalte et prendrait les mesures nécessaires pour l'exploitation du lac. L'affaire n'eut cependant pas de suites heureuses ; dès que les premières barques parurent sur le lac pour la pêche de l'asphalte, les Bédouins, forts de près de 6.000 hommes, accoururent et massacrèrent les pêcheurs. Antigone aurait bien voulu châtier cette violation de la paix, mais des affaires nouvelles et plus graves absorbèrent toute son attention. Le véritable but de la campagne contre les Nabatéens était manqué[73].

On pouvait être vers la fin de l'année 312 lorsqu'arriva de la Haute-Asie un message du stratège Nicanor, annonçant que Séleucos était arrivé à Babylone avec quelques troupes ; que la population de la ville et du pays s'était déclarée pour lui ; qu'il avait chassé sans grand'peine les fonctionnaires et les garnisons laissés dans le pays par Antigone ; que ses progrès étaient rapides ; que, même dans les pays de l'Asie supérieure, l'opinion était hostile à Antigone et que sa puissance en Orient était en danger : il ajoutait que lui-même avait déjà réuni une armée, qu'il s'apprêtait à la conduire sur le Tigre, et que, s'il était possible de menacer Séleucos du côté de l'ouest, il ne doutait pas que Babylone ne pût être reconquise au plus tôt. Le danger était grand en effet ; depuis quatre ans, Antigone luttait contre les potentats d'Occident sans avoir obtenu de grands succès ; maintenant surgissait sur ses derrières un ennemi actif, qui devait être plus dangereux pour lui que Cassandre, Lysimaque et Ptolémée ensemble, s'il ne réussissait pas à l'écraser complètement et à ramener les affaires de l'Orient dans leur état normal. Antigone donna l'ordre à son fils Démétrios de partir sans retard pour Babylone avec 5.000 Macédoniens, 10.000 mercenaires et 4.000 cavaliers ; de ramener au plus tôt à l'obéissance le pays et la ville, pendant que Nicanor occuperait Séleucos du côté de l'Orient ; de prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer une possession aussi importante ; enfin de revenir à la côte dans un délai déterminé. Démétrios se mit aussitôt en route, en partant de Damas.

Cependant, comme il a été dit, Séleucos avait déjà attaqué et complètement battu Nicanor ; après avoir donné à Patroclès le commandement dans Babylone, il s'était mis en marche, avec son armée toujours grandissante, vers les provinces supérieures ; il avait pris possession de la Susiane, de la Médie et de la Perse ; il se préparait à marcher contre les satrapies encore plus éloignées et à les soumettre. Tout cela ne fit que hâter la marche de Démétrios, et il se croyait d'autant plus sûr d'un rapide succès lorsqu'il franchit l'Euphrate. Quand Patroclès fut informé de son approche, sachant que ces forces n'étaient pas suffisantes pour résister à une telle attaque, il ordonna à tous les partisans de Séleucos de quitter la ville et de se réfugier ou bien au delà de l'Euphrate, dans les déserts de l'Arabie, ou bien de l'autre côté du Tigre, dans la Susiane, ou sur la mer Persique ; lui-même resta avec les troupes dont il disposait, s'établit fortement dans le centre de la satrapie, contrée sillonnée par des fossés, des canaux et des bras des fleuves, espérant par des surprises arrêter l'élan de l'ennemi et attendre du secours de Séleucos, vers lequel il avait aussitôt envoyé des émissaires en Médie. Démétrios, en arrivant, trouva la ville de Babylone abandonnée et les deux citadelles occupées seules par les troupes de Séleucos. Il réussit à prendre d'assaut l'une d'elles, qu'il abandonna à ses troupes pour la piller ; l'autre résista à ses assauts répétés. Comme le temps pressait, il laissa à Archélaos, l'un des amis, 5.000 hommes d'infanterie et 1.000 cavaliers, pour occuper la citadelle conquise et pour continuer le siège de l'autre : quant à lui, il parcourut le pays avec le restant de ses forces, le pillant et le. dévastant ; puis il revint à marches forcées en Syrie[74].

Sur les événements qui vont suivre, les renseignements dont nous disposons offrent de grandes lacunes. Diodore seul nous donne quelques détails très insuffisants. Il dit : L'année suivante (311), Cassandre, Ptolémée et Lysimaque firent la paix avec Antigone ; le traité portait que Cassandre serait stratège en Europe jusqu'à la majorité du fils de Roxane ; que Lysimaque serait maître de la Thrace ; que Ptolémée posséderait l'Égypte avec les villes voisines de la Libye et de l'Arabie ; qu'Antigone règnerait sur toute l'Asie ; enfin que les États grecs seraient autonomes[75]. Ces quelques mots sont tout ce qui nous a été transmis sur la fin de complications si grandes et si importantes : quant à la manière dont le résultat a été obtenu, dont tel ou tel détail a été réglé à la satisfaction de tous, quant à l'état réciproque de force ou d'épuisement des belligérants à la fin de la lutte, toutes ces questions et d'autres encore restent sans réponse ; c'est à peine si par voie d'hypothèse on peut résoudre quelques-unes des difficultés.

On est en peine de savoir d'abord qui avait demandé cette paix et qui l'avait accordée. Aussi bien Antigone que les alliés avaient plus perdu que gagné dans cette guerre de quatre années. Ptolémée avait perdu la Syrie ; Cassandre, la plus grande part de son influence en Grèce, toute l'Épire, tout le Péloponnèse et toutes les villes de la mer Ionienne ; Lysimaque, paraît-il, n'était pas rentré en possession des côtes du Pont-Euxin, et Séleucos, qui avait remporté à Babylone de si rapides succès, se voyait, par l'invasion hardie de Démétrios, repoussé de son pays à peine reconquis vers les satrapies de l'Extrême-Orient. Encore plus grandes étaient les pertes d'Antigone : quand il avait commencé la guerre, il était maître de tout l'Orient, avec les forces duquel il avait espéré s'annexer toutes les possessions de l'immense empire d'Alexandre en Occident ; et maintenant, après une lutte de quatre années, après avoir mis en œuvre des ressources immenses et fait des efforts surhumains, qu'avait-il gagné ? Il n'avait pas même conservé avec ses limites primitives l'Asie-Mineure, et cela au prix de combats répétés ; en Grèce, il ne lui restait guère plus qu'une influence douteuse ; il possédait encore la Syrie et une flotte qui n'était pas encore supérieure à la flotte égyptienne, mais l'Orient était perdu, ou du moins ne pouvait être reconquis que par une nouvelle guerre. Si Antigone, comme il semble, devait désirer la paix en Occident, afin de pouvoir de Babylone reconquise soumettre de nouveau les satrapies lointaines des régions de la Haute-Asie, comment ses adversaires, particulièrement Ptolémée, pouvaient-ils accepter une paix avec des conditions rien moins que favorables, dans un moment où la situation de l'Orient semblait aussi favorable que possible à la continuation de la guerre ? La puissance de l'Égypte était encore presque intacte ; Séleucos, que la défaite de Nicanor avait rendu maître des provinces supérieures, pouvait accourir sur le Tigre avec des forces importantes ; il lui était facile alors de culbuter la garnison laissée par Démétrios, d'autant plus facile, que Démétrios, par ses dévastations en Babylonie, n'avait fait qu'exalter la haine générale dont son père et lui étaient l'objet, car il avait donné pour ainsi dire la preuve qu'il ne s'agissait pour lui que d'abandonner le pays à l'ennemi en le mettant dans l'état le plus misérable possible[76]. Dans le cas où Antigone eût été alors attaqué à la fois du côté de l'Égypte et de l'Euphrate, ou que ces mouvements eussent été le moins du monde appuyés par la flotte égyptienne, par Cassandre en Grèce et par Lysimaque sur l'Hellespont, selon toute vraisemblance, le succès se serait décidé enfin pour les coalisés, et ils auraient au moins obtenu une paix leur apportant plus de gain que de perte. Si maintenant nous voyons un résultat tout opposé, si les potentats d'Occident se hâtent de conclure une paix qui les force à renoncer à de grands avantages et à, des prétentions encore plus grandes, s'ils abandonnent par-dessus le marché Séleucos, leur audacieux allié, quand on songe à l'obstination de Cassandre, à l'esprit de calcul et à l'intelligence de Ptolémée, il est impossible qu'il ne faille pas chercher la clef de l'énigme dans quelque circonstance impérieuse, dans quelque événement inattendu.

Pourtant, il n'est pas fait mention d'un événement de ce genre, et l'on n'ose hasarder des conjectures qui n'ont d'autre garantie que la vraisemblance. Il y a dans nos sources une indication qui donne peut-être plus qu'elle ne promet au premier abord : Démétrios, partant pour Babylone, avait reçu l'ordre de se hâter de soumettre cette ville et de revenir aussitôt sur la côte[77] ; et, en effet, il revint dans le délai fixé avec la plus grande partie de son armée. Pourquoi Antigone ne laissa-t-il pas son fils avec une armée aussi forte que possible à Babylone, d'où pourtant on pouvait le plus facilement briser d'abord le pouvoir renaissant de Séleucos, et reconquérir ensuite tout l'Orient ? S'il fit revenir son armée, ce n'était ni pour épuiser les troupes par des marches inutiles, ni pour abandonner Babylone. Antigone ne peut pas avoir eu d'autre dessein que d'obtenir, par une puissante démonstration contre l'Égypte, une paix séparée qui lui permettrait de reprendre avec une nouvelle vigueur sa guerre contre l'Orient. Nos sources ne nous disent pas de quelle nature fut cette démonstration, si Antigone menaça de se jeter sur l'Égypte avec toute son armée, ni s'il s'approcha des frontières ennemies et à quelle distance. Un renseignement, donné il est vrai en passant, nous apprend que, cette année, le gouverneur Ophélas de Cyrène, poussé peut-être par Antigone, se détacha de la domination égyptienne ; les années qui suivent montreront qu'avec la Cyrénaïque il possédait assez de forces pour faire des entreprises considérables[78]. Si Ptolémée continuait la guerre, il allait être en même temps menacé du côté de Cyrène ; d'après les derniers renseignements reçus de Babylone, il devait croire que Séleucos était complètement anéanti et que Babylone avec tout l'Orient était rentrée au pouvoir d'Antigone ; la Syrie semblait irrévocablement perdue : on devait donc s'attendre à voir Antigone attaquer l'Égypte avec des forces supérieures ; une attaque simultanée du côté de Cyrène était à peu près certaine ; ses deux alliés en Europe lui ayant été jusqu'ici de peu d'utilité, il pouvait croire à l'impossibilité de continuer à supporter seul tout le fardeau de la guerre. C'est pour cela qu'il conclut cette paix par laquelle il sacrifiait la Syrie[79], si importante pour lui, abandonnait son allié, qu'il croyait anéanti, et reconnaissait le jeune roi au nom duquel Antigone avait prétendu agir dès le début ; quant à lui, if ne gagnait rien, sinon de maintenir sa situation à côté de la puissance supérieure et redoutée d'Antigone et de frustrer son adversaire des résultats qui avaient été le véritable but de cette guerre, commencée par lui avec des espérances si ambitieuses. Il est douteux au plus haut point qu'Ophélas de Cyrène ait été reconnu ; il est vraisemblable que la Pentapole fut appelée à la liberté avec tous les États helléniques et abandonnée à elle-même. Lysimaque et Cassandre adhérèrent naturellement sans plus de difficulté à la paix, attendu qu'ils ne pouvaient se promettre à l'avenir aucun avantage d'une guerre qui leur avait déjà coûté des pertes si considérables.

C'est ainsi que fut conclue une paix qui ne fit qu'augmenter l'antagonisme des intérêts en présence, et qui ne rendit que plus sensible à tous les yeux ce qu'il y avait de fictif dans l'état légal restauré au sein d'un empire profondément ébranlé.

Antigone avait gagné sa puissante situation au nom de la coalition qui s'était formée contre le gouverneur général Perdiccas et au prix des luttes les plus pénibles contre Eumène, qui, au nom et par l'ordre même de la maison royale, représentait l'unité de l'empire et le souvenir du glorieux fondateur. Avant que la dernière guerre n'eût éclaté, il était maître de l'Orient ; la stratégie était dans sa main une véritable souveraineté sur les satrapies, qu'il distribuait à ses partisans partout où s'étendait sa puissance immédiate ; c'est avec le poids d'une si grande puissance qu'il entreprend de courber sous son autorité le petit nombre de chefs qui avaient conservé à côté de lui leur indépendance, et de reconstituer effectivement la monarchie d'Alexandre, qui n'existait que de nom. Le nom de l'enfant royal lui donna le prétexte, la cession de Polysperchon établi comme administrateur de l'empire lui donna le droit légal d'agir, au nom de l'empire unifié, contre ceux qui songeaient à fonder leur puissance personnelle sur son démembrement. En inaugurant sa lutte contre eux par le jugement de Cassandre, en faisant prononcer par les Macédoniens de son armée la condamnation du bourreau de la maison royale, il fit comprendre au monde entier qu'il voulait être reconnu comme le représentant de l'empire. Mais cette guerre ne le conduisit pas à son but : dans la paix qu'il conclut avec eux, il reconnaissait l'indépendance territoriale des chefs de l'Égypte, de la Thrace, de la Macédoine, qu'il avait voulu réduire à l'obéissance, et il abandonnait la stratégie de l'Europe à celui qu'un jugement solennel de l'armée impériale avait mis hors la loi : le fait d'avoir laissé l'enfant royal entre ses mains ensanglantées disait le reste. On pourra discuter les motifs qui semblent l'avoir décidé et forcé à la conclusion de la paix, mais une concession importante lui était faite dans ces stipulations : avec la reconnaissance renouvelée du jeune Alexandre en qualité de roi, il avait sauvé le principe de l'unité de l'empire et gardé un droit considérable, celui de s'opposer aux progrès de l'indépendance territoriale, non pas en vertu de sa satrapie de l'Asie, mais en vertu de la cession de Polysperchon, qui avait fait passer entre ses mains les droits du gouverneur général de l'empire ; et ces droits lui restaient, même sans une stipulation formelle du traité de paix (nous n'en connaissons pas de cette nature), aussi longtemps que le principe de l'unité de l'empire subsistait par la reconnaissance du droit de l'enfant royal.

Les trois chefs qui avaient conclu la paix avec lui n'en étaient pas moins dans une situation que nous appellerons paradoxale, si l'on nous passe cette expression. Ils avaient lutté de toutes leurs forces pour se défendre contre le principe dont Antigone se prévalait et contre les droits qu'il s'arrogeait d'après lui, mais ils n'avaient pu briser sa puissance ; par cette paix, qui avait été à l'origine, semble-t-il, une paix séparée de Ptolémée avec l'ennemi commun, ils avaient aliéné le meilleur de leur force, la garantie mutuelle qui résultait de leur coalition, en abandonnant Séleucos à sa destinée. De plus, Ptolémée, en sacrifiant la côte de Syrie, avait perdu la plus grande partie de sa puissance maritime ; Cassandre, en accordant la liberté des États helléniques, avait perdu une possession qui n'était pas sans dangers, sans doute, mais pour trouver à la place un voisinage encore plus dangereux ; et Lysimaque n'avait pas pu prendre paisiblement possession des districts du Nord, à qui la guerre commençante avait donné le signal de la défection. Tous les trois, alors qu'ils avaient pu se croire tout près de s'assurer la complète indépendance de leurs possessions, étaient forcés de reconnaître à nouveau la royauté, et Antigone, puissant comme il l'était, trouverait dans le devoir de faire pleinement respecter l'autorité royale un excellent prétexte pour susciter de nouvelles luttes. Il était évident que cette paix renfermait les germes de nouvelles guerres. Bien plus, la paix elle-même avait été faite, au moins d'un côté, en vue d'une guerre nouvelle : il suffisait qu'elle éclatât sur un point pour devenir bientôt aussi générale que celle qui venait de se terminer. Cette paix semblait remettre tout en question.

Mais, en dehors de ces aliments fournis à un mouvement qui allait se poursuivre, cette paix aboutissait néanmoins à un résultat qui semblait avoir un caractère durable. Les belligérants avaient appris à se connaitre comme autant de puissances indépendantes ; les différences naturelles des différents pays devinrent visibles par des effets décisifs ; c'était une première ébauche du développement de ces grands empires dans lesquels devait se transformer la conquête d'Alexandre ; ce fractionnement, qui se rattachait encore à des personnalités éminentes, commençait déjà à prendre le caractère de divisions ethnologiques et géographiques, d'après lesquelles leur politique commençait à se régler.

Le premier empire qui se dessine nettement est un empire égyptien, dont la puissance dépend de la possession de la Syrie, de Cypre et de Cyrène, et qui a déjà un centre rayonnant au loin dans cette Alexandrie devenue si merveilleusement florissante. La Macédoine semble revenir à son rôle naturel de puissance dominante en Europe : elle se détourne de l'Orient, où s'esquissent déjà les contours fort nets d'une monarchie de l'Asie antérieure. Entre les deux, une puissance intermédiaire sur l'Hellespont, dont le centre passera plus tard de la Thrace à Pergame. A côté, les États helléniques sur les deux rivages de l'Archipel, pour la première fois appelés tous ensemble à la liberté ; c'est le malheureux territoire neutre sur lequel se porteront de tous côtés les mouvements les plus violents, le véritable champ de bataille où les différentes puissances se rencontreront et recruteront leurs armées.

Ce n'est qu'en Orient que les masses ethnologiques forment encore un écheveau inextricable : il se passera bien du temps avant qu'il s'y établisse des divisions déterminées et durables ; là il s'agit même encore de savoir à quelle personnalité se rattachera le développement de nouvelles situations historiques.

 

 

 



[1] DIODORE, XIX, 56. On dut envoyer également vers Asandros, bien qu'il ne soit nommé ni par Diodore, ni par Pausanias (I, 6, 5), car il en est question dans les conditions que plus tard les coalisés posent à Antigone. La date résulte du récit de Diodore, qui parle de cette ligue immédiatement avant les quartiers d'hiver d'Antigone. Il est vrai qu'il place le fait sous l'archontat de Praxiboulos, qui ne commence qu'en été 315, par conséquent sept mois après l'entrée des troupes dans les quartiers d'hiver ; mais l'enchaînement des faits indique la chronologie exacte.

[2] Ce que dit Diodore (XIX, 57) ne veut pas dire qu'il fût déjà entré dans la Haute-Syrie lorsque les ambassadeurs le rejoignirent, car c'eût été ouvrir déjà les hostilités contre Ptolémée, qui occupait la Syrie. Appien de même (Syr., 53) ne parle de l'expulsion des garnisons égyptiennes en Syrie qu'après l'échec des négociations.

[3] Diodore (XIX, 57, 1) assure que l'on demanda pour Cassandre la Lycie et la Cappadoce, et DINDORF néglige de corriger ici comme plus loin (XIX, 57, 4 et 60, 2) en Άσάνδρου, ainsi qu'il le faut absolument, puisqu'on ne pouvait pas demander ces provinces pour Cassandre. Quant à Cassandre, Diodore le laisse tout à fait de côté en cette occasion : il est permis de supposer, d'après ce qui se passa plus tard, que l'on réclama pour lui le poste de stratège en Europe. Quelle étendue de l'Asie-Mineure voulait-on assigner à Asandros ? c'est ce qui n'apparaît pas clairement. Il eut en tout cas la Lycie ; y joignit-on la Phrygie, où se trouvait l'épouse d'Antigone ? je l'ignore. Pour la Pisidie aussi, la question reste indécise ; mais il est à remarquer qu'Antigone ne peut pas plus tirer de vaisseaux de Pisidie (Pamphylie) que de Lycie.

[4] Ceci n'est pas dit non plus par Diodore, mais se comprend pour ainsi dire de soi-même. Appien (Syr., 53) dit qu'on exigea le partage des pays et trésors conquis entre les alliés et les autres Macédoniens qui avaient été dépouillés de leurs satrapies : peut-être, outre Séleucos, ceci s'applique-t-il aussi à Peucestas.

[5] DIODORE, XIX, 57. APPIAN., Syr., 53. JUSTIN., XV, 1.

[6] MEMNON ap. PHOT., p. 229, 6, 1 (IV, 7). Fr. Hist. Græc., III, p. 530.

[7] On voit par Appien (Syr., 53) qu'à proprement parler la Syrie entière était d'abord au pouvoir de Ptolémée, mais qu'Antigone, sans doute au moment où il rétrograda sur la Cilicie, s'était emparé d'une partie de la région.

[8] DIODORE, XIX, 58, 6. On trouve quelques renseignements sur la construction de cette flotte dans Pline (XIII, 11).

[9] Ces faits et ces noms ont besoin d'un commentaire. A cette époque comme au temps des Perses (DIODORE, XVI, 42, 2), les neuf grandes villes de l'ile, dont le territoire englobait les petites, avaient chacune leur roi. Les cinq qui se rallient à Antigone sont évidemment les moins puissantes. Ce sont : 1° Lapethos, sous Praxippos (DIODORE, XIX, 79, 4). 2° Cition, probablement sous Pygmalion (DIODORE, ibid.), à moins que ce ne soit le Πύματος ό Κιτιεύς qui, suivant Douris (fr., 13), acheta la couronne au viveur paresseux Pasicypros ; nous ne saurions dire si ce Pygmalion ou Pasicypros, ou tous deux, appartenaient à la famille de Méléciathon, roi de Cition et d'Idalion, connu par les monnaies et inscriptions cypriotes (BRANDIS, Monatsber. der Berl. Akad., 1873, p. 653). 3° La ville de Cérynia, dont Diodore (XIX, 79) cite le dynaste sans donner le nom de ce personnage. 4° Amathonte, à qui Diodore (XIX, 62, 6) assigne également un dynaste, tandis que, dans Arrien (II, 22, 2), Androclès en est évidemment le prince légitime. 5° Enfin Marion, sous Stasiœcos, ό τών Μαριέων (DIODORE, XIX, 79) : il importe peu que les mss. donnent τόν τοΰ Μαλιέως ; pourtant, d'après les monnaies publiées par WADDINGTON (Mélanges, p. 56) et qui portent ΜΑΡΑ ou ΜΑΡΛΟ, le nom véritable de la ville a été grécisé (cf. BRANDIS, Münzwesen, p. 502). — Viennent ensuite les villes rangées du côté de Ptolémée. Ce sont : 6° Soli, qui était gouvernée en 331 par Pasicrate, ό Σόλιος, comme l'appelle Plutarque (Alex., 29) : Arrien (Ind., 18) nomme parmi les triérarques de la flotte de l'Indus Νικοκλέης Πασικράτεος Σόλιος ; le satrape de Drangiane et d'Arie, Στασάνωρ ό Σόλιος, pouvait être son frère. Comme Athénée (XIII, p. 576) rapporte que Ptolémée donna sa fille Irène à Eunostos, on peut admettre que cet Eunostos régnait alors et était un fils de Pasicrate. 7° Salamine, qui depuis Évagoras Ier offre tant d'intérêt au point de vue numismatique. Au moment où Alexandre assiégeait Tyr, c'est Pnytagoras qui était roi de Salamine : il parait n'avoir pas vécu longtemps après ; du moins, dès l'année suivante, on cite déjà comme roi de Salamine Nicocréon (PLUT., Alex., 29. DIOG. LAËRT., IX, 58, et l'épigramme de la statue que lui ont élevée les Argiens, en sa qualité d'Argien et d'Æacide, dans LE BAS, Voyage archéol., II, 122), qui était certainement son fils. Un autre fils de Pnytagoras accompagna Alexandre dans l'Inde : Νιθάφων (?) Πνυταγόρεω Σαλαμίνιος figure parmi les triérarques de la flotte de l'Indus. VON SALLET (Numism. Zeitschr., II, p. 130 sqq.) a démontré qu'il faut restituer à ce Nicocréon les monnaies qu'on attribue ordinairement à Nicoclès de Salamine. 8° Paphos doit être rangée sans hésitation dans cette série, bien qu'on manque pour cela de preuves. D'après un renseignement tout à fait isolé qui se trouve dans Ps.-Plutarque (De fort. Alex., II, 8), Alexandre a détrôné à Paphos la dynastie dégénérée des Cinyrades et l'a remplacée par un parent d'une ligne collatérale, Άλύνομος. C'est une variante de l'histoire d'Abdolonyme de Sidon. Une monnaie d'argent que reproduit MIONNET (Suppl., VII, p. 310) et que IMHOOF a vue aussi aux Uffizj de Florence, avec la légende ΒΑ et ΝΙΚΟΚΛΕΟΥΣ ΠΑΦΙΩΝ, se rattache par son poids (21 gr 09) au système babylonien, aussi bien que celles de Pnytagoras (de 7 gr 01 à 6 gr 50, avec pièces divisionnaires) : le Timarchus Nicoclis filius Paphii que Pline (XI, 37, § 167) cite pour sa double rangée de dents peut bien être le fils de ce roi, car le renseignement analogue donné par Pollux (II, 95) d'après Aristote (fr. 484) est moins précis, et le lexicographe le défigure en y mêlant Isocrate. Le Nicoclès ό Παφίων βασιλεύς dont Diodore (XX, 21) raconte la fin, est bien certainement celui des médailles. 9° Chytri est mentionnée au neuvième rang par ENGEL (Kypros, I, p. 363). D'après Étienne de Byzance (s. y. Χύτροι, d'après Alexandre Polyhistor, fr., 94), elle a eu pour roi Gordias. Il faut dire qu'il y a dans le texte τήν Γορδίαν, et que toute indication chronologique fait défaut. Peut-être pourrait-on donner cette neuvième place à Courion, car Arrien (II, 22, 2), à propos du siège de Tyr en 332, cite à côté du roi Pnytagoras de Salamine celui d'Amathonte, Androclès, et Πασικράτης ό Θουριεύς, qu'il faut corriger en Κουριεύς. Le fait que ce même nom de roi se rencontre en même temps à Courion et à Soli n'a pas grande importance.

[10] L'expression de Diodore (XIX, 61, 1) : τών τε στρατιωτών καί τών παρεπιδημούτων semble désigner les fonctionnaires présents au camp et les personnages considérables de l'empire, Macédoniens, Grecs, peut-être aussi Asiatiques. C'est par conséquent une sorte de réunion des grands du royaume.

[11] Il n'est nullement question dans ce réquisitoire (DIODORE, XIX, 65) de ses relations avec Polysperchon ; le fait est étonnant, à moins qu'il ne soit da à une simple omission dans l'abrégé de Diodore.

[12] DIODORE, XIX, 61. Le παρειληφότι amène à cette conclusion, que Polysperchon, légalement revêtu de la dignité d'έπιμέλητής αύτοκράτωρ, la conféra par traité à Antigone, comme Antipater la lui avait conférée à lui-même. Comme le décret est dirigé contre Cassandre, les villes grecques dont il parle doivent être uniquement celles en dedans des Thermopyles, et non pas les villes helléniques situées n'importe où.

[13] L'expression est assez singulière ; mais elle est en toutes lettres dans Diodore (XIX, 81).

[14] C'est sans doute à cette époque qu'eut lieu le mariage de Ptolémée avec une fille que Denys avait eue d'un premier lit (MEMNON ap. PHOT., p. 224, c. 4. 7). Denys avait hérité de son père Cléarchos l'importante principauté d'Héraclée ; lorsque les exilés héracléotes supplièrent le roi Alexandre de restaurer la démocratie, il sut se maintenir par l'intercession de Cléopâtre, qui plus tard résida à Sardes. Les exilés renouvelèrent les mêmes instances auprès de Perdiccas ; alors Denys se joignit aux ennemis de Perdiccas, et, comme il était veuf, Cratère lui donna en mariage sa première femme Amastris. Le tyran fit là une excellente affaire, qui lui valut notamment beaucoup d'argent, si bien qu'il put acheter tout l'appareil princier de Denys de Syracuse (?).

[15] Zipœtès était, dans la dynastie de Bithynie, le successeur de Bas ; la guerre de Zipœtès avec Chalcédoine, dont parle Plutarque dans ses Questions grecques, doit avoir eu lieu plus tard.

[16] Diodore (XIX, 62) dit que Ptolémée, après le décret d'Antigone, en avait rendu un semblable : pour faire connaître aux Grecs qu'il n'était pas moins jaloux qu'Antigone de leur indépendance. On peut conclure de là que ce décret égyptien ne concernait non plus que les villes grecques en dedans des Thermopyles. Naturellement, c'était de la part du satrape d'Égypte une pure usurpation de pouvoir que de lancer un décret semblable, que l'empire et son vicaire avaient seuls qualité pour rendre.

[17] DIODORE, XIX, 62.

[18] Dioscoride est le cousin germain d'Antigone, si le mot άδελφιδούν dans Diodore (loc. cit.) est exact. WESSELING rappelle qu'il y avait un Thémison roi de Cypre, à qui était adressé le Προτρεπτικός d'Aristote (d'après Télés ap. STOB., Serm. XCIV, p. 516) ; roi, je ne sais trop de quelle ville de Cypre. On rencontre plus tard, à la cour d'Antiochos II, un Cypriote de marque portant ce nom (ÆLIAN., Var. Hist., II, 41. ATHEN., VII, p. 289. X. p. 438). Le Thémison mentionné dans le texte est certainement le Samien dont parle Diodore (XX, 50).

[19] Les autres vaisseaux sont naturellement des trirèmes. Il est probable que Néarque, qui tenait pour Antigone, dirigeait la construction des navires.

[20] Dans le décret rendu en l'honneur de Phædros (C. I. ATTIC., II, n° 331), voir ce que l'on dit de son père Thymocharès. On peut se demander si cette expédition a eu lieu encore dans l'été de 315 ou au printemps de 314. Glaucétès ne doit pas avoir été un simple pirate, mais un partisan au service d'Antigone ; s'il a coulé des navires athéniens, c'est qu'Antigone considérait les Athéniens comme des ennemis.

[21] DIODORE, XIX, 61, 1. Suivant UNGER (Philologus, 1878, p. 543), ces Néméennes auraient été célébrées dans l'été de 315. Je crois avoir démontré (Hermes, XIV, p. 16) qu'il n'est plus possible, avec les matériaux dont nous disposons, d'établir des règles en ce qui concerne les années et les saisons des Néméennes, de sorte qu'on ne peut pas utiliser la mention d'une fête néméenne pour fixer la date d'un fait avec lequel on la met en rapport. La fête dont il est question ci-dessus parait, d'après l'enchaînement des faits, avoir été célébrée dans l'automne de 315.

[22] DIODORE, XIX, 64.

[23] DIODORE, XIX, 67.

[24] La position géographique d'Agrinion résulte de la marche décrite par Polybe (V, 7) : la ville est sur la rive droite de l'Achéloos, comme Stratos sur la rive gauche, au dessus des lacs d'eau douce et des marécages.

[25] Diodore dit : après qu'il eut franchi l'Hébros. A vrai dire, nous ne connaissons aucun fleuve d'Illyrie portant ce nom ; cependant, je ne voudrais pas corriger le texte de l'auteur et lire Apsos avec WESSELING, ou Drinos avec PALMIER, attendu que l'Hébros pouvait bien être un des petits affluents de l'Apsos.

[26] JUSTIN., XV, 2. POLYÆN., IV, 11, 4.

[27] Ainsi donc, Athènes a encore comme autrefois sa flotte, et avec sa flotte les arsenaux de Munychie et du Pirée. Ces instructions envoyées au gouverneur d'Athènes semblent prouver que Ille, une commune de clérouques athéniens, était restée athénienne, même après la guerre Lamiaque et les succès de Cassandre en 318. Suivant Strabon (IX, p. 437), il parait bien que le roi Philippe avait déjà enlevé aux Athéniens Imbros, et probablement aussi Scyros. Ce n'est point l'avis de KÖHLER (Miltheilungen, I, p. 261).

[28] C'est à cet événement que parait se rapporter l'inscription (C. I. ATTIC., II, n° 234) datant de la fin de février 313, archontat de Nicodoros, dans laquelle le peuple d'Athènes exprime sa reconnaissance pour Asandros, fils d'Agathon (c'est-à-dire du frère du satrape de Carie), parce que cet Agathon s'est montré charitable. Asandros doit être venu à Athènes avec des vaisseaux et des troupes dans l'automne de 314, peut-être pour protéger la ville, après les pertes en navires qu'elle avait faites à Lemnos, contre une attaque possible de Dioscoride. On ne voit pas si Lemnos fut reprise à cette époque : comme, en 307, Démétrios, fils d'Antigone, promet aux Athéniens de leur rendre Imbros et ne parle pas de Lemnos, on pourrait croire qu'ils étaient déjà rentrés en possession de Lemnos.

[29] DIODORE, XIX, 68. Caprima est inconnue d'ailleurs ; peut-être le nom est-il corrompu.

[30] DIODORE, XIX, 61.

[31] DIODORE, XIX, 69. Plutarque (Démétrios, 5) et Appien (Syr., 54) donnent le même renseignement pris à la même source : par conséquent, Démétrios était né vers 337.

[32] DIODORE, XIX, 69.

[33] DIODORE, XIX, 73. XX, 25.

[34] Ce Docimos (DIODORE, XIX, 75) parait être le partisan de Perdiccas qui lutta si longtemps contre Antigone ; depuis l'an 315, Antigone défend la cause qu'il combattait si énergiquement auparavant.

[35] DIODORE, XIX, 75.

[36] DIODORE, XIX, 74. PAUSANIAS, I, 11.

[37] DIODORE, XIX, 75. C'est l'envoi dont il question dans l'inscription du C. I. ATTIC., II, n° 331.

[38] DIODORE, XIX, 77, 2, avec la correction de DINDORF.

[39] Naturellement la possession de Chalcis mettait aux mains de Cassandre le pont et la saillie du continent (Canétho) qui, comme tête de pont, était certainement fortifiée. Diodore néglige ce détail.

[40] DIODORE, XIX, 78, 2. Le présent έστι indique que Diodore reproduit littéralement son auteur ; c'est au temps d'Hiéronyme, et non au temps de Diodore, que Chalcis avait cette importance.

[41] Diodore (XIX, 77) rapporte ces faits après le renouvellement de l'année, qui ne serait à sa place qu'au chapitre 81. Il résulte de la succession des événements que ce n'est pas Asandros, comme le pensent WESSELING (ad Diodor. XIX, 75) et BÖCKH (C. I. GRÆC., n° 105), mais Cassandre qui s'était jeté dans Oréos.

[42] Pausanias (I, 6) dit qu'Antigone est resté έν παρασκευή πολέμου jusqu'au moment où il apprit que Ptolémée marchait sur la Libye pour punir la défection des Cyrénéens ; qu'alors il lit aussitôt son attaque sur la Phénicie et la Syrie, fit marcher Démétrios vers l'Hellespont, etc. Ou bien, Pausanias puise à une source de mauvais aloi, ou sa concision lui fait confondre les événements et les dates.

[43] Diodore (XIX, 79) dit : Ποσίδειον καί Ποταμούς Καρών ; cette localité, à ce qu'il me semble, n'est mentionnée nulle part ailleurs.

[44] Diodore (XIX, 80) dit à propos de ces marches : διέτεινε έξ ήμέρκις άπό Μαλλοΰ σταθμούς εϊκοσι καί τέτταρας. Naturellement, ce n'est pas de Mallos, mais pour Mallos qu'il partit. Quand même on n'estimerait le σταθμός qu'à 2 milles, il faudrait que l'armée eût marché six jours de suite, à raison de 8 milles par jour, ce qui est presque impossible. La distance de Mallos fait supposer que les cantonnements d'où partit Démétrios se trouvaient dans la Cœlé-Syrie proprement dite, dans les environs d'Émèse et de Laodicée.

[45] Peut-être est-ce à cette entrée de Ptolémée dans Érétrie que fait allusion Diogène Laërte (II, § 140) et l'inscription du C. I GRÆC. (I, 2144).

[46] DIODORE, XIX, 78. On peut regarder comme certain que Dennocharès en particulier était de ce parti.

[47] DIODORE, XIX, 88. WESSELING distingue cette localité de l'Eurymène de Thessalie ; on n'a pas d'autres renseignements sur elle.

[48] DIODORE, XIX, 69, 3.

[49] DIODORE, XIX, 87. De là l'ex-voto des Éléens (PAUSANIAS, VI, 16, 3).

[50] DIODORE, XIX, 80. C'est avec raison que B. STARK (Gaza, p. 252) fait remarquer que cette Gaza est bien la ville qu'Alexandre a prise, détruite comme cité et peuplée à nouveau ; que la Nouvelle-Gaza, située à ½ mille de l'ancienne, n'a été fondée que par Pompée. Si Diodore fait marcher maintenant les Égyptiens είς τήν παλαιάν Γάζαν, c'est que, contre son habitude, il a ajouté de son propre fonds quelque chose qu'il n'a pas pu trouver dans son guide. Du texte de Diodore, le terme de Παλαίγαζαν a passé dans les Phronographes (PORPHYRE, fr. 4, 4 ap. C. Müller. SYNCELL., p. 286. EUSEB. ARMEN.).

[51] DIODORE, XIX, 83, 4, c'est-à-dire par escadrons en colonnes, comme traduisent KÖCHLY et RÜSTOW.

[52] La date de la bataille n'est pas indiquée d'une façon plus précise. Nous savons qu'à la suite de cette bataille, Séleucos courut à Babylone et recouvra sa satrapie, et l'ère dite des Séleucides date du fer octobre 312 (IDELER, Handbuch der Chronologie, I, p. 451). Mais on ne dit pas que le jour initial de l'ère soit le jour de la bataille de Gaza. Dans la première édition, j'ai cherché à utiliser, pour déterminer la date de la bataille, ce que dit Diodore (XIX, 85, 1), à savoir, que Démétrios, fuyant περί ήλίου δύσιν, se trouva le jour même sous les murs de Gaza, et, continuant sa marche, atteignit περί μέσας νύτας Astod, qui se trouve à 270 stades de Gaza suivant Diodore, à 28 milles suivant l'Itinéraire d'Antonin (p. 150). La longueur du chemin pourrait amener à conclure que la bataille s'est livrée au moment des plus longues nuits ; d'après un renseignement qu'a bien voulu me donner M. AUWERS, la différence entre les nuits les plus longues et les plus courtes est, pour la latitude de Gaza, de 4 h. 9 min. (14 h. 13 min. contre 10 h. 4 min.). Mais ceci ne nous donne pas un point de repère assuré pour résoudre le problème. On ne peut guère tirer un meilleur parti de la remarque d'un contemporain — c'est, il est vrai, Hécatée d'Abdère (fr. 22 ap. JOSEPH., Ct. Apion, I, 22) — à savoir que la bataille s'est livrée ένδεκάτω έτει τής Άλεξάνδρου τελευτής. La onzième année après la mort d'Alexandre finit au commencement de juin 312, un peu avant la fin de Ol. CXVI, 4. Castor (ap. JOSEPH., loc. cit.) place la bataille dans la CXVIIe olympiade ; mais c'est qu'il compte d'après le système des chronographes des basses époques, ou qu'il conclut de la date initiale de l'ère des Séleucides à celle de la bataille.

[53] DIODORE, XIX, 86. PLUTARQUE, Démétrios, 4. Justin (XV, 1) appelle le lieu du combat Gamala ; bien qu'il y ait en Palestine des localités portant ce nom, il y a évidemment une faute à cet endroit.

[54] Le texte de Diodore (XIX, 85, 4) : έπί τάς ναυαρχίας, a été corrigé avec raison par WESSELING en νομαρχίας. On a dû faire de ces prisonniers des κάτοικοι ξένοι.

[55] DIODORE, XIX, 86.

[56] HECAT. ABDER., fr. 14.

[57] Ceci résulte du fait que plus tard Démétrios part de la Cilicie pour marcher sur la Haute-Syrie. L'assertion d'Appien (Syr., 54), à savoir que Démétrios est allé rejoindre son père après la bataille de Gaza, ne peut s'entendre, si elle est exacte, que d'une simple visite ; mais, vu le récit de Plutarque (Démétrios, 6), elle ne parait pas vraisemblable.

[58] Appien (loc. cit.) dit que Séleucos s'en est allé à Babylone avec 1.000 fantassins et 300 cavaliers ; ceci peut se concilier avec le reste, si l'on admet que les domestiques et l'entourage de Séleucos se montaient à environ 300 hommes.

[59] DIODORE, XIX, 91. Appien (Syr., 56) cite d'autres présages, notamment le songe de l'anneau avec l'ancre. On sait que l'ancre fut le sceau de Séleucos et qu'elle se rencontre fréquemment sur les monnaies de ses successeurs. Le type dominant, dans les monnaies des Séleucides, est l'Apollon assis.

[60] L'ère dite des Séleucides commence au 1er octobre 312 (IDELER, Handbuch, I, p. 445 sqq.). On sait — et la chose est démontrée surtout pour l'Égypte (ROSELLINI, Mon. I. Mon. stor., t. II, p. 293, 510 ; t. IV, p. 259) — qu'à partir de la mort d'Alexandre, on compta dans toute l'étendue de son empire, les villes autonomes exceptées, par les années du roi Philippe, puis par celles d'Alexandre. Comme la guerre qu'on faisait à Antigone visait en lui le remplaçant du roi, il était naturel que Séleucos considérât son retour à Babylone comme marquant la fin de cette royauté, et imposât un nouveau comput des années pour les dates journellement employées. Cette explication parait plus simple que la raison chronologique à laquelle A. MOMMSEN (Erster Beitrag zur Zeitrechnung, p. 16) essaie de ramener l'ère en question. Il est plausible d'admettre que le nouveau style a commencé avec l'année macédonienne dont le premier jour était le plus rapproché, c'est-à-dire, comme l'Ère de Philippe en Égypte, avec le premier jour de l'an le plus immédiatement antérieur à l'inauguration du système de Séleucos, de sorte que celui-ci a dû arriver à Babylone après le 1er octobre. Si l'on trouve plus tard à Babylone une ère des Chaldéens employée concurremment avec celle-ci, ère qui commençait à l'automne de 311 (on ne sait si c'est au 1er Dios ou au 1er Hyperbérétæos : cf. IDELER, Handbuch, I, p. 224), c'est que les Chaldéens, après avoir appliqué leur système jusqu'à novembre 331, l'ont continué, c'est-à-dire qu'ils adjugeaient l'année où un roi mourait au règne de son successeur : or, le petit Alexandre a été mis à mort dans l'automne de 311 (Ol. CXVII, 2). Naturellement, tout ceci n'a pas la prétention d'être autre chose qu'une conjecture.

[61] Nicanor, l'ancien satrape de Cappadoce, s'appelle dans Diodore (XIX, 92, 1) ό περί Μηδίαν στρατηγός, et plus loin (XIX, 100, 3), τοΰ στρατηγοΰ τής τε Μηδίας καί τών άλλων σατραπείων.

[62] Le satrape de Perse, nommé par Antigone en 316, était Asclépiodore ; comment avait-il fini, et depuis quand Évagros était-il à sa place, c'est ce qu'on ne dit pas.

[63] DIODORE, XIX, 92, 5.

[64] Diodore (loc. cit.) a un mot caractéristique. Il dit que Séleucos avait écrit à Ptolémée et aux autres amis au sujet de ses ordonnances. Hiéronyme doit avoir vu des documents de cette nature et en avoir tiré son allusion à la royauté : du reste, la fondation d'une ère nouvelle montre que c'était bien le but poursuivi par Séleucos.

[65] DIODORE, XIX, 93. On n'a aucun autre renseignement pour reconnaître la situation de la Myonte de Syrie, si toutefois le nom est exact. Plutarque (Démétrios, 6) parle de l'expédition, mais non de la ville.

[66] Cette surprise prend un tout autre aspect dans Pausanias (I, 6, 5). Malheureusement, Justin passe ce combat sous silence : sans cela, on s'apercevrait peut-être que Pausanias a suivi ici Douris, dont l'antipathie contre les Antigonides éclate partout.

[67] DIODORE, XIX, 93. PAUSANIAS, I, 6, 5.

[68] Cf. HÉRODOTE, III, 4 sqq., passage où l'historien raconte les négociations de Cambyse avec ces tribus à l'occasion de sa campagne d'Égypte.

[69] Sur ces questions, voyez RITTER, Beiträge zur Geschichte der peträischen Araber (Abhandl. der Berl. Akad., 1824) et SEEMANN, De rebus gestis Arabum ante Christum nutum, Berolin, 1835.

[70] Diodore ajoute : en parcourant 2.200 stades. Il parait bien invraisemblable que l'Idumée se soit étendue si loin au nord de Pétra le temps, du reste, n'aurait pas suffi pour une marche aussi longue.

[71] DIODORE, XIX, 96.

[72] Il semble que Plutarque (Démétrios, 7) n'assigne pas à cette affaire une issue aussi pacifique : il parle d'un grand butin que Démétrios aurait fait.

[73] DIODORE, XIX, 100. On renonça aussitôt après à exploiter la mer Morte.

[74] PLUTARQUE, Démétrios, 7. DIODORE, XIX, 100, 7. C'est le dernier événement de cette année de guerre (Ol. CXVII, 1) que rapporte Diodore. La marche de Damas à Babylone doit avoir pris au moins deux mois, et le retour autant ; si l'on considère que la bataille de Gaza s'est livrée au printemps de 312, que l'armée a été ensuite réorganisée en Cilicie et qu'elle s'était avancée en livrant de nouveaux combats de l'Oronte à Pétra, il n'est pas douteux que Démétrios n'a pu revenir en Syrie que dans le printemps de 311, au plus tôt.

[75] DIODORE, XIX, 105.

[76] PLUTARQUE, Démétrios, 7.

[77] DIODORE, XIX, 10. Cf. PLUTARQUE, Démétrios, 7.

[78] PAUSANIAS, I, 6, 8. Le fait eut lieu en 308. C'est à ces conjonctures que doit se rapporter le décret hiéroglyphique des prêtres de Pe et de Tep, sur lequel on aura tout à l'heure occasion de revenir. Il est daté de la septième année, au mois de Thoth, c'est-à-dire de novembre 311. On y félicite le satrape Ptolémée de la victoire de Gaza et de ce qu'il a fait ensuite, lorsqu'il était parti pour le pays des Mer-mer-ti (Marmarique) ; on raconte qu'il battit également ces ennemis à plate couture. Il est probable que les peuplades entre l'Égypte et la Cyrénaïque firent aussi défection et que ces dernières tout au moins furent soumises.

[79] DIODORE, XIX, 105, 1. Il résulte de ce texte, pris à la lettre, que Ptolémée a reculé la frontière de l'est jusqu'à Ostracine.