L'ÉGLISE ET L'ÉTAT EN FRANCE

TOME SECOND. — DEPUIS LE CONCORDAT JUSQU'A NOS JOURS (1801-1906)

 

LES SUITES DE LA LOI DU 9 DÉCEMBRE 1905.

 

 

On peut trouver une loi mauvaise et dure ; on peut même le dire, publiquement, car ainsi le veut la liberté républicaine ; mais il n'est pas permis de ne pas lui obéir, quand elle ne commande rien de contraire à la conscience et à l'honneur ; les ecclésiastiques ne sont pas moins soumis à la loi que les autres citoyens ; ils ont seulement le droit de demander, en matière religieuse, si la loi n'offense ni la foi ni la morale.

Les évêques de France pouvaient se poser cette question en face de la loi du 9 décembre 1905. S'ils avaient déclaré que la loi, si dure qu'elle Mt, n'avait rien de contraire à la foi ni aux mœurs, s'ils s'étaient réunis à Notre-Dame, le lendemain de la loi de séparation, s'ils avaient chanté un Te Deum pour leur indépendance recouvrée, constitué dans toutes les paroisses les associations cultuelles prévues par la loi, et demandé au pape sa bénédiction, ils se seraient certainement placés très haut dans l'estime publique, et, parmi leurs adversaires, beaucoup auraient applaudi à leur attitude résolue et patriotique. Mais leur éducation ultramontaine ne leur a pas permis de trancher eux-mêmes ce cas de conscience ; ils n'ont pensé qu'à le soumettre au pape et à attendre docilement sa décision.

Le pontife dont allaient dépendre, dans une si large mesure, les destinées de l'Église de France, est un homme infiniment respectable. On peut sans doute regretter que le veto de l'Autriche ait empêché un illustre prince de l'Église de continuer la large politique de Léon XIII ; on ne peut contester que le cardinal patriarche de Venise n'ait très parfaitement mérité, et par la pureté de sa foi, et par la dignité de sa vie, l'honneur de s'asseoir sur la chaire de Saint-Pierre. Quand on lui posa la question traditionnelle : Quomodo vis vocari ? et qu'il répondit : Pius, il traça d'un seul mot tout le programme de son gouvernement. Pie X est pape et rien que pape. Il se considère comme le gardien de la foi, et il pense qu'il est pour lui de devoir étroit et absolu de condamner tout ce qui est contraire à la foi. Du peuple, dont il sort, il a gardé l'âme simple et candide, le jugement droit, la méfiance des duplicités diplomatiques. Il a une égale horreur pour le faste et pour le mensonge. Il a introduit au Vatican, et jusque dans le culte, une simplicité oubliée depuis des siècles. Quand il a une question grave à résoudre, il écoute les avis, mais son conseiller le plus écouté est la prière ; il médite jusqu'à ce que la lumière se fasse dans son esprit, jusqu'à ce qu'il lui semble entendre clairement la volonté de Dieu, et cette volonté, sitôt qu'il a conscience de la connaître, il la formule et s'y tient irrévocablement attaché.

Si les décisions pontificales restaient dans le domaine de la pure théologie et de la mystique, elles ne pourraient guère, venant d'une telle conscience, rencontrer qu'adhésion chez les fidèles et respect même chez les dissidents ; mais les sentences du Saint-Siège touchent parfois à des questions humaines d'une étonnante complexité, qui ne demandent pas seulement, pour être bien jugées, un cœur pur et un esprit droit, mais qui réclament aussi une connaissance profonde des hommes et des milieux ; et, sans manquer en aucune manière aux égards dus au chef de l'Église, il est permis de se demander si le pape est réellement bien instruit des affaires de notre pays.

Pie X ne parle pas notre langue, et ce n'est pas s'aventurer que de dire qu'il ne connaît pas la France. Il ne s'est jamais mis en peine de la connaître, tant qu'il n'a été qu'un simple prélat italien, et, depuis qu'il est enfermé au Vatican, il ne la connaît que dans la mesure et de la manière qu'on a voulu la lui faire connaître. Derrière ces hauts murs, la vérité ne passe que si les gardes de la porte lui permettent de passer. Pie X a donné sa confiance à un jeune cardinal espagnol, Mgr Merry del Val, qui ne lui aura certainement appris ni à comprendre ni à aimer la France moderne. Pie X reçoit la visite de touristes français, qui viennent le voir, un peu comme une des curiosités de la Ville éternelle, et dont la légèreté l'a, plus d'une fois, scandalisé. Pie X accorde des audiences à des Français, généralement d'opinion très conservatrice et mal faits pour le bien renseigner sur la situation morale de notre pays. Pie X écoute parfois nos évêques, et plus d'an parmi eux a pu lui faire entendre de sages avis ; mais, ne sachant pas le français, il ne peut converser avec eux qu'en latin, et le latin est un véritable voile jeté sur les idées : il émousse leurs angles ; il éteint leur couleur ; il leur ôte leur spontanéité, leur vivacité, leur tour moderne et précis. Puis, dans la question de la séparation, les évêques français sont juges et parties, et, si clairvoyants qu'on les suppose, ils ne considèrent et ne peuvent considérer la question que du point de vue ecclésiastique. Les prélats italiens envoyés à Paris ne semblent pas s'être beaucoup souciés d'étudier la France ; ils sont peu sortis de leur monde et n'ont pas augmenté notablement la réputation diplomatique de la cour de Rome. Le pape est, en somme, très incomplètement et très partialement renseigné sur la France. M. Alfred Loisy nous dit qu'il l'est à la fois mal et bien, mais qu'il a pris les renseignements inexacts pour les vrais[1], et on ne peut s'en étonner, quand on connaît le milieu dans lequel vit le souverain pontife. Ce milieu est exclusivement italien, gardien très jaloux des traditions, et non seulement des traditions ecclésiastiques, mais des traditions curiales, aristocratiques, mondaines, suivies depuis des siècles au Vatican. La France républicaine, irréligieuse, révolutionnaire, allant — en paroles — à toutes les outrances, est pour ce monde de prélats romains un chaos indéchiffrable, une pierre de scandale, et ils ne peuvent aider le pontife à comprendre ce qu'ils ne comprennent pas eux-mêmes. Le pape ne peut donc connaître la France, parce qu'il est étranger, parce qu'il est prêtre, parce qu'il est conseillé par des étrangers, ou par des Français, presque toujours étrangers eux-mêmes à l'esprit et aux aspirations de leur pays.

Quand parut la loi du 9 décembre 1905, le premier mot de Pie X fut un mot de répudiation. Par l'encyclique Vehementer nos, il condamna expressément la loi nouvelle : Toutes les institutions de l'Église, disait-il, sont fondées sur la loi divine, et, contrairement à ce principe, l'administration et la tutelle du culte vont être attribuées, non pas au corps hiérarchique, divinement institué, mais à des assemblées de personnes laïques, qui, elles-mêmes, seront soumises à la juridiction de l'État. L'autorité ecclésiastique n'aura donc plus sur elles aucun pouvoir. La loi était offensante pour la liberté de l'Église ; la loi entravait l'action de l'Église ; la loi laissait un champ trop large à l'arbitraire des fonctionnaires ; la loi portait atteinte au droit de propriété de l'Église.

Les politiques français ne s'inquiétèrent pas, outre mesure, de la réprobation pontificale ; ils ne s'étaient pas attendus à recevoir les félicitations du Saint-Siège ; mais ils ne remarquèrent peut-être pas assez combien la condamnation de principe, prononcée par le pape, devait peser lourdement sur les décisions de l'épiscopat.

L'ère des difficultés commençait, et elles s'annonçaient très épineuses.

Dès la fin de janvier 1906, on procéda à l'inventaire du mobilier des églises, et sur un très grand nombre de points éclatèrent des manifestations violentes, très inopportunes, très regrettables, qui mirent le comble à l'exaspération des partis.

La formalité de l'inventaire était une mesure conservatoire, qui avait paru indispensable au moment où le mobilier des églises allait passer des fabriques aux associations cultuelles. Les fabriques devaient obtenir décharge du dépôt qui leur était confié ; les associations cultuelles devaient connaître très exactement la nature du dépôt qui allait leur être remis. Cette formalité rentrait dans les traditions administratives, et n'avait en elle-même aucun caractère extraordinaire ou vexatoire. Mais un grand nombre de fidèles n'entendaient rien aux traditions administratives. L'inventaire leur parut être fait sans droit, et leur sembla le prélude de la confiscation. La question des inventaires se rattacha dans leur esprit à la question de propriété des églises, et devint pour eux, et même pour beaucoup de prêtres, une question de conscience. Les prêtres refusèrent d'assister aux inventaires, protestèrent contre cette mesure légale, mais illégitime à leurs yeux. Les impatients, les brouillons, les fous, s'en mêlèrent. Il y eut beaucoup de bruit... tant de bruit que le gouvernement suspendit, un moment, les opérations.

Le clergé de Paris avait, en majorité, désapprouvé ces excès ; bon nombre d'ecclésiastiques sages et prudents s'étaient mis sans esclandre en règle avec la loi. Mgr Lacroix, évêque de Tarentaise, adressa à ses diocésains une lettre pastorale, qui est un modèle de correction et de libéralisme : Au lieu de vous répandre, disait-il, en vaines doléances et en récriminations stériles, veuillez considérer que les lois défectueuses, mauvaises, injustes même, peuvent être corrigées, amendées ou abrogées, et que vous avez le droit, je ne dis pas assez, que vous avez le devoir de vous y employer de toutes vos forces. Mais par quels moyens ? Par la libre discussion, par la parole, par la plume, par ce que les Anglais appellent une agitation légale, c'est-à-dire par un appel actif et incessant à la conscience publique. Après tout, vous êtes citoyens, membres d'une démocratie, en possession, par conséquent, d'une part de la souveraineté nationale. Ce que des législateurs ont fait en votre nom, d'autres peuvent le défaire, si vous leur en donnez le mandat. Certes, vous avez pour vous la raison et le droit. La cause de la liberté finira par triompher, si vous savez en être les serviteurs dévoués.

Cette lettre fut, dit-on, très mal vue à Rome. M. Alfred Loisy nous dit qu'on s'y faisait de grandes illusions sur le mouvement des inventaires. (Le Temps, 17 février 1908.)

Les élections législatives d'avril 1906 consacrèrent la victoire de l'anticléricalisme. Si le clergé s'était flatté de faire rapporter la loi de séparation, il dut perdre alors tout espoir.

Le 30 mai, près de six mois après le vote de la loi, les évêques français se réunirent enfin à l'archevêché de Paris, non pour organiser le nouveau régime, confirmé cependant par le verdict national, mais pour se prononcer sur l'opportunité de la résistance ou de la soumission à la loi.

Le secret ayant été gardé sur les délibérations de l'assemblée. on sait mal ce qui s'y passa. On dit que trois partis s'y dessinèrent : les uns, comme les archevêques de Rouen, de Sens, d'Albi, de Bordeaux, d'Auch et de Besançon, tenaient pouf l'accommodement ; d'autres, comme les archevêques de Lyon et de Cambrai, les évêques de Nancy et de Montpellier, tenaient pour la résistance ; quelques-uns, parmi lesquels on a cité l'archevêque d'Aix, l'évêque d'Orléans, se montraient perplexes et hésitants. Quand on en vint au scrutin, 2 évêques seulement trouvèrent la loi acceptable ; quand il s'agit de savoir si l'on appliquerait cependant cette loi déclarée mauvaise, la discussion se fit âpre et houleuse ; les partisans de la résistance groupèrent autour d'eux à peu près le tiers de l'Assemblée : 26 prélats se prononcèrent pour le rejet pur et simple de la loi ; 48 demandèrent l'essai loyal du nouveau régime ; mais tous affirmèrent leur intention d'attendre la décision du souverain pontife ; aucun de ces 74 prélats français ne se crut autorisé à accepter une loi française sans en avoir référé au pape.

Pie X ne rompit le silence que le 10 août. L'encyclique Gravissimo interdit aux évêques de créer des associations cultuelles dans leurs diocèses, et, ces associations étant la partie vitale de la loi du 9 décembre 1905, cette loi s'est écroulée tout entière, entraînant dans sa ruine les derniers débris du patrimoine ecclésiastique et les dernières garanties laissées au catholicisme.

L'encyclique présente un détail actuellement presque inintelligible. Le pape déclare qu'il lui parut bon de prendre l'avis de l'épiscopat et de fixer les points qui devraient être mis en délibération. Nous savons que l'épiscopat français consulté a rejeté la loi à la presque unanimité, mais s'est prononcé à une très grande majorité pour l'application de cette loi. Or Pie X déclare pleinement confirmer, de son autorité apostolique, la délibération presque unanime de l'assemblée, et interdit néanmoins toute constitution d'association cultuelle ou analogue aux associations cultuelles prévues par la loi. Il confirme donc l'opinion des évêques français en ce qu'elle a de conforme à son sentiment, et la rejette en ce qu'elle a de contraire à ses idées. On ne voit point, dès lors, à quoi a pu servir la consultation.

Le pape condamne les associations cultuelles comme contraires aux droits sacrés qui tiennent à la vie même de l'Église.

Il les déclare inacceptables aussi longtemps qu'il ne sera pas établi, d'une façon certaine et légale, que la divine constitution de l'Église, les droits immuables du pontife romain et des évêques, comme leur autorité sur les biens nécessaires à l'Église, particulièrement sur les édifices sacrés, seront irrévocablement en sûreté dans lesdites associations.

Il déclare qu'il n'est mû par aucune pensée étrangère à la religion, et qu'il ne refuse pas à la France ce que le Saint-Siège aurait, accordé à d'autres nations : Si un État quelconque s'est séparé de l'Église en laissant à celle-ci la ressource de la liberté commune à tous et la libre disposition de ses biens, il a sans doute et à plus d'un titre agi injustement ; mais on ne saurait pourtant dire qu'il ait fait à l'Église une situation entièrement intolérable.

Les raisons alléguées par le pape sont assurément très sérieuses, et tout ce qu'il dit est très vrai ; mais ce qui est vrai aussi, c'est que la loi ne dit pas un mot de la constitution de l'Église et ne peut, par conséquent, être considérée comme lui étant contraire ; c'est que, si la propriété de la plupart des églises est déniée aux catholiques, l'usage gratuit et indéfini leur en est laissé ; c'est que, si les associations cultuelles peuvent, dans certains cas, tomber sous la juridiction séculière du Conseil d'État, elles n'en sont pas moins obligées, par l'article 4 de la loi, de se conformer aux règles d'organisation générale du culte dont elles se proposent d'assurer l'exercice, et, par conséquent, les tentatives schismatiques sont peu à redouter ; dans l'immense majorité des cas, les associations cultuelles, présidées par le curé et approuvées par l'évêque, auraient assuré l'exercice du culte catholique, préservé dans le présent tout ce qui pouvait l'être et ménagé l'avenir. Ce qui est vrai, c'est qu'il n'y a présentement aucune espérance d'améliorer la loi de 1905, et que toute tentative de résistance ne peut qu'aggraver la situation. Ce qui est vrai, enfin, c'est qu'il est fâcheux et très fâcheux que l'on puisse dire à la France : La loi française n'existe pour les catholiques que si le pape leur permet de l'accepter.

Ce sentiment-là est un sentiment très profond dans l'âme française, très répandu, très fort. On le retrouve chez les hommes les plus instruits, les plus modérés, les moins sectaires. Un de nos amis, un érudit des plus distingués, d'une parfaite éducation, d'un indifférentisme absolu, nous écrivait à ce sujet la très catégorique déclaration que voici : Qu'il y ait, dans un avenir prochain, bien des misères touchantes parmi ceux que l'État ne salariera plus, je m'en doute et le déplore ; mais vais-je verser des larmes sur l'immense sottise d'un parti politique qui attend les ordres d'un prêtre étranger ?

L'argument n'est pas sans réplique. On dira que personne ne peut contester à un Français le droit d'être catholique ; qu'un catholique est un membre d'une religion qui reconnaît le pape comme chef suprême, comme docteur infaillible en tout ce qui touche à la foi et aux mœurs, et que, cela étant, quand les députés français font une loi concernant les catholiques, ils la doivent faire de telle façon que les catholiques puissent lui obéir en toute sécurité de conscience.

Mais le gouvernement français répondra, à son tour, que la loi qu'il est chargé d'appliquer ne touche ni à la foi ni aux mœurs, échappe par conséquent au magistère infaillible du chef de l'Église, et qu'il lui est impossible d'admettre l'intervention d'un tiers entre une partie des citoyens et lui. La loi oblige tous les citoyens sans distinction.

On se trouve, en somme, en présence d'une des conséquences de l'infaillibilité pontificale. Cette infaillibilité ne s'étend, d'après le concile du Vatican lui-même, qu'à la foi et aux mœurs, mais voilà que, par extension, une simple prétérition est considérée par le pontife romain comme un attentat à la foi ; voilà que la discipline rentre, à son tour, dans le ressort de la juridiction infaillible ; voilà que, non content de condamner des doctrines erronées, ou de blâmer des lois contraires aux intérêts ecclésiastiques, le pape ordonne à des citoyens français de tenir pour non avenue une loi d'État ; voilà que, chaque jour, ses prétentions s'affirment d'une manière plus hardie et plus inquiétante ; qu'il défend à des clercs français de parler, et même d'écrire, qu'il frappe d'interdit des journaux français — la Justice sociale, la Vie catholique —, qu'il défend, sous peine d'excommunication, de lire, de discuter et même de détenir les livres qu'il a condamnés. Si bien qu'à chaque instant s'affirme, sous nos yeux, le conflit entre le dogmatisme romain et la libre pensée française.

Le gouvernement français fut très surpris de la décision du pape. Nous nous attendions à tout, dit un politique[2], excepté à ce qui est arrivé. Les anticléricaux farouches se réjouirent, en pensant qu'ils allaient pouvoir porter de nouveaux coups à leurs ennemis ; les gens sages s'affligèrent sincèrement ; les hommes au pouvoir se promirent, tout en profitant des avantages que le refus du pape leur assurait, de ne pas pousser les choses à l'extrême et de tout faire pour le maintien de la paix publique. Notre souci, dit M. Clemenceau, doit être de ne pas intervenir dans l'exercice du culte, et de ne l'empêcher en aucune façon. (Interview avec un rédacteur du New-York Herald, 18 août 1906.)

Le 4 septembre 1906, les évêques se réunirent de nouveau à Paris, et, avant toute délibération, adressèrent un acte de soumission inconditionnelle au Saint-Siège. Ils s'occupèrent ensuite des moyens les plus propres à sauvegarder les intérêts catholiques, mais paraissent n'avoir su tracer aucun plan d'ensemble. Les associations cultuelles, dont quelques évêques, notamment l'évêque de Soissons, avaient commencé l'organisation, furent rejetées et avec elles toutes les associations analogues qu'on avait proposé d'appeler canoniques ou paroissiales. Le ministre des cultes avait déclaré que toute association, créée en vue d'assurer le service du culte, serait considérée par l'Etat comme une association cultuelle.

Le 7 septembre, les évêques publièrent une lettre générale, dans laquelle ils exprimèrent avec une grande précision l'idée dominante du pape, dont ils faisaient leur idée propre. L'Église était une société gouvernée par des pasteurs, dont le pape est le chef, et à qui seul appartient le droit de régler tout ce gui touche à l'exercice de la religion. Les associations cultuelles, étrangères à la hiérarchie ecclésiastique, ne pouvaient être acceptées par elle. Si l'on voulait, à tout prix, séparer l'Église de l'État, qu'on la laissât du moins jouir des biens qui lui appartenaient et des libertés de droit commun, comme en d'autres pays vraiment libres.

Le pape et les évêques s'accordaient donc à considérer comme une intolérable injure le silence gardé par la loi sur tout ce qui-concerne la hiérarchie ecclésiastique. M. Brunetière précisa encore ce point particulier dans une lettre du 14 septembre 1906, où il conseillait aux catholiques de se soumettre au Saint-Siège, et aux pouvoirs publics de négocier avec Rome : La papauté, disait-il, est un fait, un fait historique, un fait actuellement subsistant, un fait international, et rien ne peut faire que ce fait ne soit pas.

Le pape et les évêques avaient fait allusion à la législation libérale de plusieurs pays où l'Église vit séparée de l'État. En Allemagne, les églises, les presbytères, les maisons des sacristains, les hôpitaux fondés par des catholiques appartiennent aux paroisses. La paroisse ou ensemble des fidèles d'une même localité est différente de la commune civile et vit en dehors de sa tutelle. Elle est gouvernée par le curé, assisté d'un conseil d'église — Kirchenvorstand — élu par tous les paroissiens. Les décisions du conseil d'église sont susceptibles d'appel auprès du tribunal épiscopal. Le gouvernement exerce un droit de surveillance et de contrôle sur les biens d'Église, mais ne prétend pas en avoir la propriété. Certaines églises monumentales sont placées sons un régime spécial, analogue à celui qui est appliqué en France aux monuments historiques. Les cathédrales appartiennent au chapitre diocésain, ou à la province ecclésiastique, en quelques cas très rares à l'État ; mais, d'une manière générale, la loi allemande respecte l'autonomie de la paroisse et la propriété ecclésiastique, et reconnaît la hiérarchie catholique. Elle n'affecte pas de ne point savoir ce que c'est qu'un curé, un chanoine ou un évêque. Le prêtre de paroisse est chez lui dans son église paroissiale. La paroisse peut avoir ses services particuliers et ses hôpitaux ; la paroisse peut s'enrichir. La juridiction épiscopale est reconnue.

Aux États-Unis et en Angleterre, l'Église catholique vit sous le régime de la liberté complète. Un haut dignitaire de l'Église d'Angleterre l'a dit franchement à un journaliste français qui était venu lui demander son sentiment sur la loi française : La loi de 1905 une loi de séparation ! Non, Monsieur ; allez trouver n'importe quel sujet anglais, n'importe quel habitant des États du Nord de l'Amérique, montrez-lui seulement le titre de la loi qui a trait à la police du culte, et demandez-lui si c'est là une loi de séparation. Qu'il soit catholique, protestant ou juif, il vous dira que non. Ici, nous vivons, nous, prêtres catholiques, sous le régime de la séparation ; nous avons nos églises à nous, où nous faisons ce que nous voulons, sans avoir à rendre compte de nos actes à personne. La séparation, c'est la liberté. Nous l'avons ici ; mais la loi de 1903 ne la donne pas aux catholiques français. (Le Matin, 11 décembre 1906.)

Les évêques revendiquaient le droit commun, c'est-à-dire le droit d'association et de réunion ; mais ces droits sont si étroitement mesurés aux citoyens français, qu'ils ne peuvent suffire à l'Église catholique, et que l'enfermer dans le droit commun, c'est la condamner à périr.

Le droit commun, c'est pour les édifices du culte la pleine propriété et le droit de disposition dévolus à l'État et aux communes ; c'est, pour les revenus des églises, le transfert aux établissements d'association ou de bienfaisance ; c'est, pour le droit d'association, la loi de 1901, et l'impossibilité d'acquérir sans une reconnaissance d'utilité publique ; c'est, pour le droit de réunion, la loi de 1881, et l'assimilation du moindre office à une réunion publique avec déclaration obligatoire, constitution d'un bureau, intervention de la police, et dissolution toujours possible de la réunion.

Le droit commun est tellement inapplicable en l'espèce, que le gouvernement n'a pas voulu l'appliquer. Une circulaire du ministre des cultes, en date du fer décembre 1906, déclara que le culte privé est libre, et ne soumit le culte public qu'à la formalité d'une déclaration, valable une fois faite pour toutes les manifestations cultuelles prévues dans la déclaration, et pour un laps de temps indéterminé. Il ne serait point nécessaire de constituer un bureau ou d'élire un président pour une réunion cultuelle ; la police n'aurait le droit de dissolution qu'en cas de conflit violent ; il serait permis de célébrer les réunions cultuelles, même après onze heures du soir, lorsque les usages liturgiques l'exigeraient. Les églises, propriété de l'État et des communes, ne pourraient être désaffectées que par une loi ou un décret. Mais le ministre faisait suivre ces déclarations libérales d'une phrase qui faisait du curé dans l'église un occupant sans titre juridique et, par une application légale, mais dure, de la loi de 1905, rendait aux communes la disposition des presbytères, et annonçait la fermeture imminente des grands séminaires, si des associations cultuelles ne se formaient pas à bref délai.

Les évêques ne jugèrent pas tous impraticable le nouveau régime qui leur était imposé. Le cardinal Coullié défendit à ses prêtres de faire la déclaration demandée par le ministre ; le cardinal Lecot la permit.

Mais le pape ordonna, par dépêche, de continuer le culte dans les églises et de s'abstenir de toute déclaration (7 décembre 1906).

Le ministre ordonna alors de poursuivre les prêtres qui continueraient le culte dans les églises, en s'abstenant de toute déclaration, et un délit nouveau, le délit de messe, fit son apparition devant nos tribunaux.

Le 11 décembre, le gouvernement fit expulser de la nonciature le chargé d'affaires resté à Paris depuis la rupture avec Rome, et mit la main sur ses papiers.

Le ministre des cultes prépara une loi nouvelle, qui fut promulguée le 9. janvier 1907. Considérant que, sans motifs d'ordre religieux, el sur injonction venue de l'extérieur, l'Église se révoltait contre la loi, le pouvoir politique prononça la reprise immédiate des archevêchés, évêchés, presbytères et séminaires, l'attribution immédiate des biens des établissements ecclésiastiques aux œuvres communales d'assistance et de bienfaisance, toutes les fois que ces biens ne seraient pas grevés d'affectations spéciales — service du culte, fondations. L'exercice public du culte fut placé sous le régime de la loi de 1901 sur les associations, la nécessité de la déclaration préalable fut maintenue, les églises furent laissées, jusqu'à leur désaffectation régulière, à la disposition des fidèles et des ministres du culte. Les municipalités eurent même le droit d'en concéder l'usage gratuit ; les contrats de jouissance passés entre les maires et les ministres du culte purent être cessibles à un tiers, pour permettre à un nouveau curé d'entrer en jouissance de l'église sans nouveau contrat ; on permit même au ministre contractant d'écrire dans l'acte qu'il agissait en vertu d'une autorisation de ses supérieurs. Mais tout contrat d'une durée supérieure à dix-huit ans dut être homologué par le préfet, et les frais d'assurance et de réparation des bâtiments furent laissés à la charge des ministres du culte, qui, faute de se soumettre aux prescriptions de la loi, perdaient tout droit aux allocations prévues par la loi du 9 décembre 1905.

Le pape condamna la nouvelle loi, comme il avait fait de la circulaire du ministre et de la loi de 1905, et, dans un article publié le 13 janvier 1907 par la Nouvelle Presse libre de Vienne, M. Emile Combes lui donna raison, déclarant que son intransigeance était dogmatique et forcée. M. Combes proposait de laisser les catholiques maîtres d'organiser les réunions sans déclaration préalable, supprimait les allocations au clergé, et restituait aux communes la libre disposition des édifices religieux.

Le 30 janvier, la Chambre des députés votait une troisième loi, qui rendait la déclaration facultative, mais supprimait toute allocation pour les prêtres qui se refuseraient à faire la déclaration légale.

Une nouvelle loi, dite de dévolution, menaçait de séculariser les biens provenant de fondations pieuses et attribuait aux bureaux de bienfaisance laïques les sommes données ou léguées aux fabriques pour la célébration de messes et d'offices commémoratifs. Une pétition, émanant des ministres les plus distingués de l'Église protestante, fut adressée au Sénat pour lui demander de ne pas voter une loi qui frapperait si douloureusement la conscience des catholiques : Le gouvernement, disaient les pétitionnaires, ne s'est pas avisé qu'il ressuscitait certaines pratiques de l'ancien régime. Quand Louis XIV rendait les ordonnances des 15 janvier 1683 et 21 août 1684, par lesquelles il confisquait au profit des hôpitaux les biens des consistoires supprimés, il prétendait légitimer cette spoliation en affirmant hautement que ces biens ne pouvaient mieux être employés qu'en soulageant les pauvres. L'histoire impartiale a jugé, comme ils le méritaient, ces misérables prétextes. Descendants de ceux qui ont été spoliés, persécutés et proscrits pour cause de religion, nous gardons une invincible horreur pour tout ce qui porte atteinte à la liberté du culte et à la propriété individuelle. Aussi, sans vouloir servir aucun parti politique, sans faire acte d'opposition, nous venons, au nom de la justice et du droit, demander respectueusement au Sénat de placer tous les citoyens, à quelque religion qu'ils appartiennent, sous la garantie et la sauvegarde du droit commun.

Ce noble appel fut entendu. La loi du 13 avril 1908 abandonna les biens provenant des fondations pieuses aux sociétés de secours mutuels pour les prêtres âgés et infirmes ; mais le pape, un moment ébranlé par les instances de l'archevêque de Rouen, a interdit la constitution de ces sociétés de secours mutuels, comme il avait interdit la formation des associations cultuelles.

Quand tous ces faits apparaîtront, grâce au recul du temps, dans leurs véritables proportions, l'histoire dira, peut-être, que certains hommes politiques ont péché par esprit de parti en refusant de reconnaître officiellement l'existence de l'Église, en lui refusant la propriété de ses temples et de ses biens ; elle dira que le pontife romain a méconnu certaines fatalités historiques, mal compris la situation et n'a pas toujours rendu à César ce qui appartient à César ; elle dira que les évêques français se sont montrés trop exclusivement ultramontains, et pas assez français. Elle dira surtout que toute cette triste histoire fut un malheur public, une source de scandale pour une foule de très honnêtes gens, de misère et d'affliction pour des milliers de prêtres irréprochables, d'enrichissement pour des hommes infiniment moins estimables, et de joie pour beaucoup de gens sans vergogne et sans aucune valeur morale.

La situation actuelle de l'Église de France est vraiment des plus précaires. L'édifice concordataire, qui l'abrita pendant un siècle, a été démoli ; l'asile que lui offraient les associations cultuelles, son chef lui a défendu de l'accepter ; dépouillée de ses derniers biens, elle est, en fait, sans feu ni lieu, en pleine rue, abandonnée à la merci du plus capricieux des souverains : le suffrage universel.

Dans cette situation désespérée, elle donne au monde le spectacle extraordinaire d'une discipline sans défaillance et d'une constance à toute épreuve.

Nous ne pensons ici ni au pape ni même aux évêques ; nous pensons à ces milliers de prêtres qui n'ont plus pour vivre que leurs ressources personnelles, souvent des plus minces, et les dons des fidèles, souvent plus médiocres encore. Non seulement ils n'ont proféré aucune plainte contre les chefs qui les ont condamnés à la ruine, non seulement ils ont obéi à tous les ordres qui leur ont été donnés ; mais une sorte d'enthousiasme mystique a saisi leur cœur à la pensée que nul ne pourrait plus désormais les considérer comme des fonctionnaires indociles, comme des salariés séditieux. Les évêques ont dit à l'État : Gardez l'argent ! Pecunia nostra tecum sit, et les prêtres, dont cet argent était parfois le pain quotidien, ont accepté le sacrifice sans murmures et se montrent fiers d'avoir recouvré leur indépendance. Combien seraient-ils dans la société actuelle ceux qui salueraient ainsi leur ruine matérielle ?

Un prêtre nous le disait récemment : Les calomnies sans cesse répétées avaient fini par séduire bon nombre d'esprits simples. Beaucoup de nos prêtres se sentaient estimés comme hommes et méprisés comme prêtres. Maintenant, on ne peut plus leur reprocher d'être entrés dans les ordres pour ne rien faire et vivre grassement. Ils ont reconquis la liberté, et ils en sont fiers et heureux. Il était temps que cette chaîne se rompit : elle devenait intolérable.

Déjà se fait jour l'idée vivifiante que le prêtre peut, sans déchoir, donner l'exemple du travail, vivre du travail de ses mains. On dit que plus de 1000 prêtres ont déjà pris la bêche ou l'outil. Ils sont dans la vraie voie ; peu doit leur importer qu'on les critique ou qu'on les blâme : ils ont raison, cent fois raison ; ils sont l'honneur et l'espoir de l'Église.

Les conditions nouvelles de la vie ecclésiastique restreindront certainement le nombre des candidats à la prêtrise. Il fallait hier beaucoup de renoncement pour se vouer à une pareille tâche ; il faut maintenant de la fermeté et de la vaillance ; mais les difficultés même de la route surexcitent les énergies, et si les novices se présentent moins nombreux, ils paraissent aussi plus solides et plus résolus.

Le clergé est à peine sorti de la prison concordataire ; il est aux prises avec les angoisses de l'adaptation à sa vie nouvelle, et déjà il semble se réveiller à la vie et à l'action ; son langage est plus fier et plus pondéré ; son attitude, plus nette et plus hardie.

Mais que d'hostilités et de pièges autour de lui !

Les ennemis déclarés, ceux qui ont juré sa perte et son anéantissement.

Les indifférents, qui vont à leurs affaires, sans s'arrêter à rien d'autre, et pour lesquels l'Idée, sous quelque forme qu'elle se présente, n'est qu'un vain mot.

Les politiques, pour lesquels l'Église est toujours l'antique alliée de la réaction, la conspiratrice incorrigible, la congrégation sournoise et redoutable, qui vous embrasse pour vous étouffer.

Les conservateurs attardés dans le culte sans espoir de leurs opinions mortes. Ceux-là comptent parmi les ennemis les plus dangereux de l'Église nouvelle. Ce sont les anciens amis, les compagnons des anciennes luttes, les alliés d'hier, qu'il faut avoir le courage de repousser aujourd'hui, qu'il faut se résigner à combattre demain. Les hommes, et surtout les femmes de ces vieux partis tiennent encore par mille fibres secrètes à l'âme de l'Église. Les femmes sont pieuses et charitables ; elles donnent leurs fils aux écoles de l'Église ; elles retiennent leurs maris dans la fidélité à la vieille religion. Les hommes, incomparablement moins chrétiens et moins généreux, ont du moins les mêmes antipathies que l'Église. Quoique les fortunes se soient très amoindries et bien déplacées depuis un siècle, les familles conservatrices, nobles ou bourgeoises, détiennent encore une part importante de richesse, et c'est souvent du château que l'Église peut attendre les subsides les plus abondants. Tomber dans la mouvance du château serait, pour elle, un malheur pire encore que la séparation. Si elle veut vivre, il faut qu'elle se libère de toute alliance compromettante ; il faut qu'elle garde, même à l'égard de ceux qui la soutiennent, l'indépendance politique la plus entière. Ils crieront à la trahison ; ils crient déjà, parait-il ; il faut les laisser crier, et suivre le droit chemin de la liberté.

Mais, dans cette voie nouvelle, où le jeune clergé de France semble prêt à marcher, voilà qu'un nouvel adversaire se présente, et terrible celui-là : le pape !

Pie X est traditionaliste en politique comme en religion ; la démocratie l'inquiète et le trouble ; il n'aime point tout ce fracas et tout ce mouvement. Le clerc qui va vers le peuple, ce peuple fét-il mécréant et révolutionnaire, le clerc républicain, homme de son temps, citoyen de son pays, ami de la liberté, ayant foi au progrès et à la justice, ce clerc-là, le pape ne le comprend pas, parce qu'il n'a pas encore de modèles dans le passé, et le pape le condamne et le bâillonne et l'enchaîne. Situation terrible, en vérité !

Autrefois, les distances étaient si longues, les nouvelles passaient si difficilement d'un pays à l'autre, que l'on pouvait se croire libre, sitôt qu'on vivait à cent lieues de Rome. Aujourd'hui, le télégraphe et la presse ont bien vite fait d'informer la Curie de tout ce qui se dit, de tout ce qui s'écrit, de tout ce qui se passe. Qu'un prêtre médise de l'encyclique Pascendi, il est aussitôt signalé à l'animadversion du pontife, dépouillé de ses titres romains et recommandé à la sévérité de son évêque. Qu'un archevêque[3] envoie un représentant à l'inhumation d'un prêtre irréprochable, coupable d'avoir été désigné par M. Combes pour un évêché, et voilà l'archevêque au milieu d'un nid de serpents ! On dit que le pape et son conseiller espagnol suivent de près et avec un grand intérêt la conduite du clergé français. Nous le croyons sans peine, mais intérêt n'est pas le mot propre, c'est inquiétude, c'est malveillance qu'il faut dire. Notre Église française n'a rien de commun avec l'Église italienne, endormie dans sa dévote routine, ni avec l'Église espagnole, fanatique, persécutrice, insultant par son faste et son despotisme à la misère et à la servitude de la nation. Notre Église de France est composée de Français, et bon sang ne peut mentir. Ces Français-là, on ne peut faire qu'ils ne vivent dans un pays assurément troublé, mais singulièrement vivace et remuant, dans un pays où tout se discute et où le respect des hommes ne va plus ni à l'habit ni à la fonction, mais seulement à la valeur personnelle. On ne peut faire que la loi de séparation, si contestable qu'elle soit par certains côtés, n'ait au moins apporté avec elle un germe de liberté et d'indépendance. Tôt ou tard, ce germe lèvera.

Le pape veut, dit-on, morceler la France comme un pays conquis, la dépecer en quatre grandes provinces, empêcher les assemblées générales de l'épiscopat français, créer des Églises de Neustrie, d'Austrasie, de Provence et d'Aquitaine, et supprimer l'Église de France. Il veut courber les 60.000 prêtres de France sous le joug d'évêques nommés par lui, et révocables ad nutum. L'Église française est menacée par Rome d'asservissement et d'anéantissement.

Ne craignons rien : elle ne sera ni anéantie ni asservie ; car rien ne prévaut contre la vie et contre la liberté.

D'où viendra le salut, quand et comment s'opérera-t-il ? Nous n'en savons rien ; mais nous savons déjà que bon nombre d'écrivains et de penseurs catholiques français sont résolus à parler et à écrire librement, sans tenir compte d'aucune censure ni d'aucune menace.

Et pour ceux qui, engagés dans les ordres, ne peuvent marcher de l'avant si délibérément, l'un d'eux nous disait : Instruisons-nous, réfléchissons, attendons. La victoire ne peut être que pour la science et pour la liberté. Et nous avons compris, ce jour-là, que l'Église de France avait encore un avenir devant elle.

 

 

 



[1] Le Temps, 17 février 1908.

[2] Clémenceau, président du Conseil et ministre de l'Intérieur.

[3] Allusion à Mgr. Fuzet, archevêque de Rouen, qui avait envoyé un de ses prêtres pour le représenter aux obsèques de M. l'abbé Mazeran, curé de Saint-Antoine à Compiègne (Oise) et jadis candidat de M. Combes pour un évêché.