L'ÉGLISE ET L'ÉTAT EN FRANCE

TOME SECOND. — DEPUIS LE CONCORDAT JUSQU'A NOS JOURS (1801-1906)

 

CHARLES X ET L'ÉGLISE.

 

 

Les partis politiques sont un peu comme les voleurs : ils n'aiment pas qu'on leur demande leurs papiers, c'est-à-dire leurs programmes. Ils préfèrent se tenir dans le vague et dans le mystère ; ils promettent le bonheur universel ; ils laissent entendre à qui veut bien les croire qu'ils ont retrouvé le secret de l'Age d'or, mais ils se dérobent quand op les presse de questions indiscrètes à ce sujet.

Le parti aristocratique et le parti prêtre de la Restauration ne connurent pas ces habiletés. Ils voulurent combattre bannières déployées et indiquèrent d'avance, avec l'enthousiasme le plus chevaleresque et la précision la plus téméraire, les positions qu'ils se proposaient de conquérir.

Chateaubriand avait dressé le programme politique du parti légitimiste. Le voici, tel que le général Foy le lut à la tribune de la Chambre des députés, le 1er juin 1820 :

Une fois arrivés au gouvernement, les royalistes, au lieu de bâtir une démocratie, élèveraient une monarchie. Leur premier devoir, comme leur premier soin, serait de changer la loi des élections ; ils feraient en même temps retrancher de la loi sur le recrutement tout le titre VI (le titre de l'avancement) ; ils rétabliraient dans la loi sur la liberté de la presse le mot religion, qu'à leur honte éternelle de prétendus hommes d'État en ont banni ; ils aboliraient le système de centralisation, donneraient aux communes et à. la Garde nationale la constitution la plus monarchique, rendraient aux Conseils généraux une puissance salutaire, et, créant partout des agrégations d'intérêts, ils les substitueraient à ces individualités trop favorables à l'établissement de la tyrannie ; en un mot, ils recomposeraient l'aristocratie, troisième pouvoir qui manque à nos institutions, et, dans cette vue, ils solliciteraient les substitutions en faveur de la pairie et chercheraient à arrêter par tous les moyens légaux cette division des propriétés qui, dans trente ans, en réalisant la loi agraire, nous fera tomber en démocratie forcée ; enfin, ils demanderaient aux Chambres, tant dans l'intérêt dés acquéreurs que dans celui des anciens propriétaires, une juste indemnité pour les familles qui ont perdu leurs biens dans la Révolution.

Ce programme, très net et fort logique, fut accueilli du côté droit de la Chambre par les exclamations les plus louangeuses : Il a raison ! Ce serait très bien ! Ce serait très juste ! C'est ce que nous voulons. La gauche avait peine à contenir sa fureur : C'est l'ancien régime que vous voulez ! criaient les libéraux aux aristocrates.

Le programme du parti prêtre fut formulé, en 1823, par le Cardinal de Clermont-Tonnerre, archevêque de Toulouse, avec la même intransigeance que celle dont avait fait preuve Chateaubriand. Il réclama, dans une lettre pastorale, une pleine indépendance pour les ministres de la religion, la restitution à l'Église des actes de l'état civil, la libre convocation des synodes diocésains et des conciles provinciaux, la suppression des Articles organiques, le rétablissement des juridictions ecclésiastiques et des ordres religieux.

Le député royaliste de Bertier ajouta à ce programme l'octroi d'une dotation territoriale à l'Église pour la rendre indépendante de l'État.

Lamennais demanda énergiquement pour le clergé le monopole de l'enseignement ; Duplessis-Grenédan déniait à l'État le droit, le pouvoir et la science d'enseigner, et répétait que l'enseignement n'appartenait qu'à l'Église. Il dénonçait à la Chambre des députés les principes détestables de l'Université, son immoralité, son incurie, le désordre qui régnait dans tous ses services, et concluait à sa suppression immédiate et radicale : Il n'y a, disait-il, rien de bon à faire de cette institution ; tout est à détruire (Juillet 1828.) Placé ainsi au-dessus des lois, propriétaire incommutable et maitre de l'éducation de la jeunesse, le clergé serait redevenu rapidement le premier ordre de l'État et n'eût pas tardé, sans doute, à absorber l'État tout entier, si l'aristocratie restaurée l'eût laissé faire. C'est parce qu'il prévoyait une opposition possible de la part de l'aristocratie qu'il tenait tant à instruire les fils des grandes familles.

Les premiers actes de Charles X parurent lui présager un triomphe prochain et complet.

En janvier 1825, le ministre Peyronnet déposa un projet de loi destiné à punir les vols commis dans les églises et la profanation des vases sacrés et des hosties consacrées. Les peines portées contre ces crimes sacrilèges étaient la réclusion, les travaux forcés à perpétuité, la mort. Si la profanation de l'hostie consacrée était accomplie volontairement et par mépris de la religion, le condamné était puni du supplice des parricides. Il était conduit à l'échafaud pieds nus, la tète couverte d'un voile noir, et le bourreau lui abattait le poing avant de le décapiter.

Cette loi était à la fois barbare et absurde ; barbare, parce qu'elle étendait à un nouveau cas le seul vestige de l'antique torture qui fût demeuré dans nos codes ; absurde, parce que le crime qu'elle prétendait punir ne peut, par sa nature même, exister. Il n'y a crime que là où existe l'intention criminelle. Or le profanateur d'une hostie consacrée ne peut jamais, par définition, être autre chose qu'un incroyant, pour lequel l'hostie n'est qu'un fragment de pain azyme. Quel croyant aurait jamais l'idée de commettre un pareil crime de lèse-majesté divine ? On se trouvait donc en présence de ce dilemme : ou l'homme croit, et il ne profane pas ; ou il ne croit pas, et alors, s'il profane, il n'y a de sa part qu'un outrage au culte et non un sacrilège au sens vrai du mot.

Les débats furent longs et passionnés.

Les députés et les pairs cléricaux y firent preuve d'un fanatisme extraordinaire. De Bonald alla jusqu'à dire qu'après tout, en tuant le coupable, la société ne faisait que l'envoyer devant son juge naturel ; singulier raisonnement, qui, poussé à l'extrême, aboutirait logiquement à punir de mort tous les délits, par défiance de la justice humaine. Les pairs ecclésiastiques déclarèrent qu'ils ne croiraient pas avoir le droit d'appliquer la loi, mais qu'ils se croyaient en droit de la voter. A la Chambre, le député de Bertier déclara que la loi nouvelle contre le déicide lui semblait encore trop douce. Le député Duplessis-Grenédan protesta contre la tolérance, qui n'était à ses yeux qu'un athéisme déguisé, et déclara que le catholicisme, seule religion vraie, avait seul droit à la liberté.

On est heureux de rencontrer un orateur catholique qui se soit opposé à ces fureurs. Royer-Collard s'éleva contre un principe absurde, impie et sanguinaire, évoqué des ténèbres du Moyen Age, des monuments barbares de la persécution, faisant descendre la religion au rang des institutions humaines, armant l'ignorance et les passions du glaive terrible de l'autorité divine. Il rendit aux idées religieuses l'hommage le plus éclatant qu'elles aient jamais reçu à la tribune française : Ce sont les croyances religieuses, grandeur de l'homme, charme de la faiblesse et du malheur, recours invisible contre la tyrannie d'ici-bas, qui forment la plus noble partie de nous-mêmes. Reléguée à jamais aux choses de la terre, la loi humaine ne participe point aux croyances religieuses ; elle ne les connaît ni ne les comprend ; au delà des intérêts de cette vie, elle est frappée d'ignorance et d'impuissance. Comme la religion n'est pas de ce monde, la loi humaine n'est pas du monde invisible... Les gouvernants sont-ils les successeurs des apôtres ?... Ils n'ont pas reçu d'en haut la mission de déclarer ce qui est vrai en matière de religion et ce qui ne l'est pas... Si l'on met la religion dans la loi humaine, on nie toute religion... Si l'on met dans la religion la peine capitale, on nie la vie future. La loi proposée, qui fait l'un et l'autre, est donc à la fois athée et matérialiste. Elle ne croit pas à la vie future, cette loi qui anticipe l'enfer et qui remplit sur la terre l'office des démons !

La loi fut votée à grand'peine par les pairs, mais réunit à la Chambre une majorité de 115 voix. J'ai lu dans un cours d'histoire suivi dans les écoles ecclésiastiques que les temps n'étaient malheureusement plus assez chrétiens pour en avoir permis l'application.

La loi du sacrilège ne touchait qu'aux intérêts spirituels du clergé. Une loi sur les congrégations religieuses de femmes permit au roi de légaliser par simple ordonnance 1800 communautés rétablies par tout le royaume. Ces communautés soignaient 14.000 malades, donnaient l'instruction secondaire à 10.000 élèves et l'instruction primaire à 120.000 enfants. Ces services très réels rendaient la mesure vraiment légitime ; mais les libéraux craignaient que les communautés d'hommes ne s'autorisassent bientôt de l'exemple des communautés de femmes pour demander aussi leur reconnaissance par simple décret. L'opposition fit remarquer que le droit d'autoriser une corporation religieuse avait été considéré, de tout temps, comme un attribut du pouvoir législatif, et le droit d'autoriser les communautés religieuses par simple ordonnance royale fut restreint à celles qui existaient déjà au 1er janvier 1825. Pour celles qui viendraient à se former par la suite, elles ne pourraient obtenir la reconnaissance légale qu'en vertu d'une loi.

Nous touchons, ici, un des points les plus faibles de la législation française, qui n'a jamais su se placer franchement sur le terrain de la liberté.

La liberté nous paraît devoir rester, ici comme partout, le principe dominant et tutélaire. Des hommes ou des femmes, inspirés de sentiments pieux ou charitables, ont incontestablement le droit de se grouper, chacun de leur côté, en associations pour prier en commun, pour enseigner, pour soigner les malades, assister les pauvres et les infirmes.

Si on leur dénie ce droit d'association, ne sera-t-on pas bien mal venu à le reconnaître aux partis sociaux ou politiques, aux négociants, aux industriels, aux capitalistes ?

Peut-on soutenir qu'il sera loisible de se grouper et de s'associer en vue de la guerre des partis ou des classes, en vue de l'exploitation de telle ou telle source de richesse plus ou moins hypothétique, en vue de la défense d'intérêts matériels plus ou moins légitimes et recommandables, mais que l'association à fins de piété ou de bienfaisance constituera, au contraire, un délit ? Aucun esprit vraiment libéral n'admettra jamais une pareille conclusion.

L'expérience nous apprend, d'autre part, que la multiplication exagérée des couvents emporte avec elle les inconvénients les plus sérieux, et engendre les désordres les plus graves.

La liberté des associations religieuses est donc, comme toutes les libertés, susceptible de limitations et sujette au contrôle, et la loi, qui n'a point, à notre estime, le droit d'empêcher ces sortes d'associations de se fonder, de vivre et d'agir dans les limites de leur action légitime, est, au contraire, tout à fait dans son rôle, si elle se borne à prévenir et à combattre les abus auxquels cette action peut donner lieu.

La loi a, notamment, le droit de s'opposer à l'accaparement de la propriété foncière par les institutions monastiques. Elle pourrait peut-être aller jusqu'à la leur interdire absolument.

Elle a encore le droit et le devoir étroit de surveiller et contrôler leur vie morale et matérielle. Elle doit empêcher que les supérieurs retiennent au couvent le moine ou la religieuse qui désirent rentrer dans le siècle ; empêcher que la discipline dégénère en sévices et en tortures, soit contre les membres des congrégations, soit contre leurs élèves ; empêcher qu'on prêche à ceux-ci la haine de la société et de l'État ; empêcher que la routine paralyse dans les hôpitaux l'autorité du médecin. La liberté des congrégations ne peut s'étendre à l'emprisonnement arbitraire, au rétablissement de la torture, à la conspiration contre l'autorité publique, à la méconnaissance des lois de l'hygiène et de la médecine.

On n'a jamais su, en France, organiser sérieusement ce contrôle ni protéger efficacement la liberté d'association, et la thèse que nous soutenons ici est si peu populaire en ce pays que les libéraux de 1825 n'auraient pas admis la liberté d'association, s'ils avaient été les maîtres, et que les cléricaux n'auraient certainement pas reconnu à l'État le droit de surveillance, qu'il nous paraît indispensable de lui accorder.

Le 29 mai 1825 fut célébré, suivant l'antique rituel, en la splendide basilique de Reims, le sacre du dernier roi de France. Charles X était bien vieux et bien laid pour 'une cérémonie qui semblait requérir un beau jeune roi. Il y eut, comme dans toutes les pompes humaines, des à-coups fâcheux, des détails comiques, grotesques ; dans l'ensemble, ce fut une noble fête, où la France aurait pu se reconnaître si elle l'eût voulu. Au lieu de jurer d'exterminer les hérétiques ; Charles X avait juré de gouverner conformément aux lois du royaume et à la charte constitutionnelle. Il avait amnistié presque tous les condamnés politiques du dernier règne, donné le cordon bleu à six maréchaux de l'Empire, visité avec intérêt une exposition de l'industrie champenoise, et fait aux pauvres les abondantes charités dont il était coutumier.

Mais, si le roi avait été personnellement raisonnable et gracieux, beaucoup de ses amis se montraient fous et agressifs. Il semblait que le sacre fût le triomphe du parti prêtre plutôt que celui de la royauté. Les jésuites ne se donnaient plus la peine de se dissimuler sous un nom d'emprunt, ouvraient des collèges à Aix, Billom, Bordeaux, Dôle, Forcalquier, Montmorillon, Saint-Acheul, et Sainte-Anne-d'Auray (Debidour, p. 404). Leurs huit établissements avaient bientôt plus d'élèves que tous les collèges royaux des provinces. L'archevêque de Rouen invitait ses curés à afficher à la porte de leur église les noms des non-communiants et des concubinaires, c'est-à-dire des personnes qui ne seraient mariées qu'à la mairie. A chaque instant éclataient des affaires scandaleuses à propos des baptêmes, des mariages, des enterrements. Beaucoup de prêtres refusaient de bénir les mariages mixtes entre catholiques et protestants, ou exigeaient que les enfants à naître fussent baptisés à l'église et élevés dans la religion catholique. Les refus de sépulture ecclésiastique étaient fréquents et montraient chez le clergé une persistance fâcheuse des vieux fanatismes qu'il eût été sage d'oublier.

L'année 1825 avait été marquée à Rome par les cérémonies du jubilé. Le successeur de Pie VII, le maladif et doux Léon XII, avait voulu restaurer l'antique pèlerinage qui amenait jadis à Rome, tous les vingt-cinq ans, les pèlerins du monde entier. Malgré les timides observations des cardinaux, il avait ouvert, le 24 décembre 1824, la porte sainte de Saint-Pierre, restée close depuis 1775, et, pendant plusieurs mois, des milliers d'étrangers s'étaient pressés dans les rues étroites et dans les grandes basiliques de la ville pontificale[1]. Les ressources extraordinaires apportées au trésor du Saint-Siège avaient été suffisantes pour permettre au pape de remettre à ses sujets le tiers de l'impôt foncier.

A la demande de l'archevêque de Paris, la France obtint, comme l'Espagne, l'autorisation de célébrer un jubilé particulier. La bulle recommandait surtout au clergé de combattre avec une ardeur nouvelle pour faire disparaître du milieu des fidèles les livres qui pervertissaient les mœurs et sapaient les fondements de la foi. Mgr de Quélen, archevêque de Paris, en prit occasion pour tonner dans un mandement contre les doctrines pestilentielles, contre le poison des écrits pernicieux qui circulait dans toutes les veines du corps social, de manière à infecter plusieurs générations. L'évêque de Strasbourg, Mgr Tharin, dénonça au public ces écrivains infâmes et pervers, ces journaux pleins de fiel et d'imposture, philosophes du mensonge, artisans de troubles et de révolutions, hypocrites effrontés, sacrilèges, pleins d'emportement, de violence et de rage, qui parlent quelquefois avec respect de la religion, qui même en avouaient la nécessité, mais chez lesquels on doit, à moins d'être stupide, reconnaître l'emploi des mêmes moyens que la Terreur (sic) pour arriver au même but, c'est-à-dire à la chute des trônes et à la mort des rois, à l'extinction de la noblesse et à la mort des nobles, à l'abolition du sacerdoce et à la mort des prêtres. Ce langage furieux valut au prélat l'honneur d'être choisi par le roi comme précepteur du jeune duc de Bordeaux. (Sept. 1826.)

Lamennais publiait, à la même époque, son traité de la Religion considérée dans ses rapports avec l'ordre politique et social et y exposait en traits de flamme une politique si ultramontaine qu'elle devait effrayer les prélats de France, les cardinaux romains et le pape lui-même. Il ne voyait dans le gouvernement de Charles X qu'une république démocratique fondée sur l'athéisme, et, avec sa logique passionnée, il demandait que l'on choisit entre Satan et Dieu, qu'on abolit franchement le christianisme ou que l'État redevint enfin chrétien.

Les missions prêchées dans tous les départements y portèrent au comble l'enthousiasme fanatique des uns et la colère des hommes restés attachés à la Révolution. Les missions eurent en beaucoup d'endroits un très vif succès officiel ; ailleurs, elles suscitèrent des polémiques très violentes. A Rouen, il y eut des troubles, et la cavalerie dut charger la foule. Le jubilé ressembla à une croisade contre l'esprit libéral, à une mobilisation générale du parti prêtre. La France eut le sentiment très net qu'on cherchait à lui imposer une croyance et a restreindre ses libertés. L'armée, écrivait alors le général Sébastiani, est tourmentée par la délation et l'espionnage. Les aumôniers y exercent une influence turbulente et tracassière. Le soldat, asservi à toutes les pratiques religieuses, à des cérémonies trop nombreuses pour ne pas lui devenir importunes, murmure des nouveaux devoirs qu'on lui prescrit, et ne voit pas sans mécontentement prostituer les récompenses qui lui sont dues aux vains dehors d'une fausse piété.

A Paris, la dévotion du roi fit du jubilé une série de manifestations cléricales, comme on n'en avait peut-être pas vu depuis la Ligue. Il n'y eut pas moins de quatre processions solennelles, auxquelles assista le roi, en grand uniforme de lieutenant général. La quatrième fut la plus magnifique et prit le caractère d'une cérémonie expiatoire ; on la fit coïncider avec la pose de la première pierre du monument de Louis XVI sur la place Louis XV.

La procession partit de Notre-Dame et se rendit à la place Louis XV, avec repos à Saint-Germain-l'Auxerrois et à l'Assomption. Six mille hommes de troupes faisaient la haie sur le parcours. Le parvis Notre-Dame était entièrement tendis de draperies bleues fleurdelisées, toutes les rues étaient tendues et sablées. Un détachement de gendarmerie ouvrait la marche. Derrière les gendarmes s'avançaient les élèves des séminaires en surplis, le clergé de toutes les églises de Paris en chape, le chapitre de Notre-Dame, la châsse des reliques de saint Pierre et saint Paul, l'archevêque de Paris, accompagné de ses grands vicaires, les princesses de la famille royale et leurs dames d'honneur, le duc d'Angoulême et les officiers de sa maison, le roi et ses grands-officiers, encadrés par la compagnie des Cent-Suisses et par les gardes du corps. Après le roi venaient les maréchaux, i50 officiers généraux, les pairs, les députés, la Cour de cassation et la Cour des comptes, le Conseil royal de l'Université, la Cour royale, les grandes administrations de l'État, de la ville de Paris et du département de la Seine. Sur la place Louis-XV avait été érigé un autel, abrité d'un dais de velours violet. Une première salve d'artillerie, dit le Moniteur, annonça l'arrivée de la procession ; son développement offrait alors le plus imposant tableau que l'on pet contempler. Cette vieille nation française, l'héritier de ses soixante rois en tête, marchait précédée des présents que Charlemagne fit à l'église de Paris et des conquêtes religieuses que saint Louis rapporta des lieux saints. Les pontifes et les prêtres montent à l'autel. Trois fois de suite, ils élèvent vers le ciel le cri de pardon et de miséricorde. Tous les spectateurs tombent à genoux. Un silence profond, absolu, règne autour de l'autel et dans toute la place ; la même douleur accable le peuple et les grands ; les yeux du roi sont pleins de larmes.

Le roi posa la première pierre du monument, et aux détonations de l'artillerie, au chant des hymnes, la procession reprit lentement le chemin de Notre-Dame.

Un curieux détail permet de voir combien le peuple de Paris était loin de vibrer à l'unisson des fonctionnaires et de la cour. Charles X avait revêtu pour la cérémonie un habit violet, couleur de deuil pour les rois. Le peuple, qui avait oublié ce détail d'étiquette, se laissa persuader que le roi s'était fait évêque, avait mérité ce nouveau grade par son dévouement à la Congrégation et disait, chaque matin, la messe dans son oratoire.

Loin d'édifier la France, ces manifestations répétées l'indisposèrent. En s'affirmant si absolue, si turbulente, si tracassière, si maussade, la domination du clergé choqua jusqu'aux royalistes raisonnables et réveilla chez eux le vieil esprit d'indépendance de l'Église gallicane.

Ce fut à partir de ce moment que l'opposition commença de grandir et que l'esprit révolutionnaire se réveilla.

Ce fut un noble, très féru d'absolutisme, le comte de Montlosier, qui prit l'initiative du mouvement.

Après avoir publié, en août 1825, deux lettres retentissantes contre les jésuites dans le journal Le Drapeau blanc, il fit paraître, au mois de février 1826, un ouvrage intitulé : Mémoire à consulter sur un système religieux et politique tendant à renverser la religion, la société et le trône. Il y attaquait ouvertement le parti prêtre au nom de l'autorité royale, des libertés publiques, des mœurs et de la religion.

L'ouvrage de Montlosier est très loin d'être un chef-d'œuvre de méthode et de style. Il est très lourdement écrit et très pesamment charpenté. L'auteur n'a pas pris le temps de se documenter comme il aurait certainement pu le faire. Il lui échappe plus d'une erreur et d'une contradiction. Cependant le livre est véhément, intelligible et suggestif. Il se lit avec un intérêt soutenu ; il porte la marque d'un esprit vigoureux et honnête ; il fait penser.

L'introduction pose le problème avec franchise et esprit : En même temps que la conspiration que j'ai à dénoncer est effrayante par ses progrès, elle est toute nouvelle par son caractère... elle est ourdie par des hommes saints, au milieu des choses saintes... C'est la vertu que je vais accuser de crime ; c'est la piété que je vais montrer nous menant à l'irréligion ; c'est la fidélité que j'accuserai de nous conduire à la révolte... Ceux qui nous ont donné les congrégations, les jésuites, l'ultramontanisme et la domination des prêtres ont imaginé, comme une chose merveilleuse, de commander pour ces inventions le même respect que pour la religion. Cette ineptie, exploitée avec beaucoup de talent, a obtenu ses fins : il en est résulté que, pour une grande partie de la France religieuse, la religion et les congrégations, la religion et les jésuites, la religion et l'ultramontanisme, la religion et les refus de sépulture ont été une seule et même chose ; dès lors, ce qui restait d'impiété en France a conçu des espérances...

Dans une première partie, intitulée Faits, Montlosier étudie la Congrégation, dont il connaît assez mat l'organisation, mais dont il ne laisse pas de bien concevoir l'esprit général. Il cite un mot curieux de Louis XVIII, qui voyait surtout une arme dans la Congrégation : Les corporations de cette espèce sont excellentes pour abattre, incapables de créer.

A côté de la Congrégation, il place les jésuites, pour lesquels il a toute l'antipathie d'un monarchien du dix-huitième siècle.

L'ultramontanisme est la troisième plaie de l'Église. Son introduction en France date du Concordat de 1801. Par l'article VI de cette transaction, le pape délie les évêques du serment de fidélité ; par l'article VII, il en délie pareillement les ecclésiastiques du second ordre ; par l'article VIII, il en affranchit tous les Français. Montlosier aperçoit parfaitement l'importance toute nouvelle que le Concordat reconnaît au pape dans l'Église de France. Il note également les débuts de la politique ultramontaine après la chute de Bonaparte et ses rapides progrès grâce à la complicité de l'épiscopat.

La superbe du pape a gagné les évêques, qui se mettent au-dessus des lois, et par les évêques les simples prêtres, qui réclament aussi l'indépendance absolue du pouvoir civil. Mgr Frayssinous reconnaît l'existence du sacerdoce et de l'empire et y voit deux pouvoirs parallèles, chargés l'un et l'autre de gouverner les hommes, l'un par les peines et les récompenses temporelles, l'autre par les peines et les récompenses spirituelles. On devine aisément lequel des deux pouvoirs lui parait mériter la suprématie.

Dans la seconde partie de son livre, Montlosier traite des dangers résultant des faits qui viennent d'être exposés. Il voit très bien quels sont les points faibles de la monarchie : Une Chambre des pairs nouvellement et assez singulièrement composée ; des corps judiciaires tout nouveaux, incertains partout de leur sphère et de leurs attributions ; une noblesse qui voudrait avoir un corps et qui n'est qu'une ombre ; une classe moyenne qui voit le monde entier dans le développement industriel ; des institutions départementales et municipales sans organisation et, par conséquent, sans consistance. Il montre quelle peut être, dans une société si nouvelle et encore si fragile, la puissance d'une association ambitieuse, religieuse dans son principe, et d'autant plus à redouter que son dessein parait plus louable et plus conforme aux intérêts de la société, de la monarchie et de la religion.

Il signale les dangers du rétablissement de la Société de Jésus. Il rend hommage a la sagesse et aux vertus privées de ses membres ; mais il observe qu'ils sont dans toute l'ardeur de leur résurrection, et qu'après tout ils sont des jésuites, qui reproduisent l'ancien ordre, dont on connaît l'ancienne histoire et les anciennes traditions.

Il signale les dangers de l'ultramontanisme en termes extrêmement forts, qui sentent la rude franchise du montagnard :

L'ultramontanisme révolte une grande partie de la France ? Elle s'y fera. Un bon nombre de royalistes, bien dévoués, bien ardents, bien bêtes, soutenus par un autre bon nombre de royalistes pleins d'esprit, de vertus et d'absurdités, réunis sur beaucoup de points, se partagent sur un seul : savoir s'il convient d'ôter pleinement la couronne du roi de France pour la donner au pape, ou s'il ne faut pas les faire monter l'un et l'autre sur le trône et les faire régner ensemble.

Il signale avec la même verve les dangers résultant de l'esprit d'envahissement des prêtres : Pour l'homme du monde emporté vers les choses terrestres, le grand écueil, ce sont les faiblesses de la chair ; pour le prêtre, qui a dompté la chair, la grande tentation, c'est l'orgueil. D'après le comte de Maistre, la rage de la domination est innée dans le cœur de l'homme. C'est là le principe des deux sentiments de vaine et de respect qu'on porte diversement au prêtre, selon qu'on aperçoit en lui ce zèle débonnaire et divin, suggestion de l'esprit de Dieu et qui compose en lui un beau fanatisme d'amour, ou cet autre sentiment, suggestion de Satan, qui constitue en lui l'horrible fanatisme d'orgueil... Partout où le prêtre se présente avec l'esprit de charité qui compose son premier caractère, il trouve accueil et accès ; l'amour attire l'amour. Partout où il se présente avec l'épée de Constantin ou avec le glaive de Pierre, il est repoussé.

Montlosier montre l'orgueil sacerdotal s'imposant par la force ou s'insinuant par l'habileté, gagnant le mari par la femme, les parents par les enfants, le citoyen par le magistrat, le monarque par le courtisan.

Il précise le but caché de toutes ces saintes entreprises : Employer la religion comme moyen politique et la politique comme moyen religieux ; faire obéir au roi par l'ordre de Dieu ; faire obéir à Dieu par. l'ordre du roi ; avec l'autorité du roi étendre l'autorité des prêtres ; avec l'autorité des prêtres étendre l'autorité du roi. Ce système... a paru sublime. Je ne crois pas qu'il .y ait, pour tous les hommes, et surtout pour le peuple français, rien de plus révoltant. Une obéissance spirituelle imposée par une autorité laïque ; une combinaison d'autorité spirituelle et temporelle pour arrivera une fin spirituelle, cet amalgame est, pour tous les hommes, antipathique ; ce n'est que par la terreur qu'on peut faire exécuter ce système politico-sacerdotal.

Montlosier dénonce, en patriote avisé, les dangers très réels, très sérieux, que peut faire courir l'ultramontanisme à l'indépendance nationale.

On connaît l'existence frêle et viagère des princes et des ministres... Comment pense-t-on qu'ils pourront lutter avec une puissance qui ne naît ni ne meurt... qui s'accroît sans cesse, qui dans ses relations embrasse le monde tout entier, qui, comme peuple particulier, a sa milice particulière, et avec cette milice un général et un souverain éloigné, avec lequel elle décide quand et comment elle doit obéir au souverain qui est auprès d'elle ? C'est une folie.

La troisième partie de l'ouvrage présente le plan de défense du système et sa réfutation.

L'auteur se demande si la société française peut s'accommoder des institutions religieuses, telles que le système les entend. Il reconnaît que la France est un État centralisé, et il voit dans cette centralisation un fléau et une nécessité. Centralisée, la France devient apoplectique et ingouvernable. Dieu le Père pourrait, sans doute, la gouverner encore ; mais, s'il n'avait qu'un ange à nous envoyer, cet ange pourrait se dispenser de quitter la demeure céleste : il ne ferait rien de nous. La France s'est aperçue, un jour, que les jésuites, dont elle avait oublié l'existence, étaient partout les maîtres chez elle, et se demande avec inquiétude si des moines sont bien qualifiés pour lui enseigner à faire la guerre, à cultiver les sciences et les arts, à fomenter son commerce et son industrie.

Le système congréganiste tend à altérer la religion au lieu de l'affermir ; Montlosier le prouve en critiquant vigoureusement le système des missions, auxquelles des arrière-pensées politiques donnent un air de tartuferie, et qui, par leur zèle indiscret, semblent menacer la liberté de conscience. Il proteste avec grande raison contre la morale sacerdotale, qui croit avoir tout fait quand elle a fait respecter les pratiques de la vie dévote, comme si l'assistance aux offices, les prières, les processions, l'abstinence et le jeûne pouvaient valoir la moindre vertu.

Le système congréganiste tend à altérer et à dégrader le sacerdoce, en lui inspirant le désir de se mêler aux choses du monde. Le prêtre est l'homme de Dieu ; il doit être doux et humble de cœur ; il ne doit penser qu'au royaume du ciel, et à prêcher la Bonne Nouvelle ; s'il veut se mêler aux choses de la terre, il s'avilit. Vous voulez inspirer au peuple de France du respect pour les prêtres. Au nom de Dieu, ne les mettez ni dans le monde ni dans les affaires !

Le système congréganiste tend à altérer et à pervertir la morale. Il semble croire que, pour ordonner un pays, il n'y a qu'à y parler d'enfer et d'échafauds, de gendarmes et de prêtres. Les prêtres se croient faits pour réformer les mœurs, et ils ont peu d'aptitude pour cette délicate besogne, qui exige du monde et des hommes une connaissance qu'ils n'ont point. Le sacerdoce est un ministère et ne doit pas se présenter comme une puissance ; la religion est un secours, et ne doit pas parler sur le ton de la menace. Elle ne doit pas vouloir occuper tout l'espace de la vie civile par ses rites, ses cérémonies et ses pratiques ; si elle condamne les arts et les lettres, elle se fera prendre en dédain et en haine.

Enfin le système congréganiste tend à renverser le trône et l'autorité royale en les rendant suspects à la nation. La France a beau voir le roi seul sur le trône, elle suppose toujours la coulisse pleine de prêtres tout prêts à lui dicter ses volontés. Si le roi voulait rétablir le gouvernement féodal, il n'est pas dur que les Parisiens ne s'amusent pas beaucoup aux tournois, et que les dames n'adoptent pas les modes antiques, — si elles leur allaient bien, — mais jamais la France ne se pliera au gouvernement sacerdotal.

Et le danger qui pourrait se révéler, si on essayait de l'établir, paraît à Montlosier si grave et si pressant, qu'il étudie dans une quatrième partie les moyens qui existent dans nos lois anciennes et dans nos lois nouvelles pour combattre le système et le réprimer.

Le Mémoire de Montlosier répondait si bien aux préoccupations de tous, qu'on peut dire, sans exagération, qu'il fut comme le cri de l'opinion publique.

Lamennais lui répondit, tout aussitôt, par la seconde partie de sa Religion considérée dans ses rapports avec l'ordre politique et civil, où il pressait la papauté de condamner définitivement les quatre articles de 1682, principe et fondement des libertés gallicanes.

Le pape n'osa pas condamner les articles. Lamennais fut condamné par les tribunaux à une légère amende, et le ministère supprima à M. de Montlosier la pension dont il jouissait en récompense de ses services.

Mais, sentant l'opinion avec lui, Montlosier redoubla d'audace. Il adressa à la Cour royale de Paris une dénonciation en forme contre les jésuites, et demanda, comme citoyen intéressé à l'exécution des lois, que la loi leur fût appliquée comme à tous les autres Français. Quarante avocats du barreau parisien souscrivirent à ses conclusions.

La Cour royale se déclara incompétente, mais reconnut, en audience solennelle, toutes chambres réunies, que l'état actuel de la législation française s'opposait formellement au rétablissement de la Société dite de Jésus, sous quelque dénomination qu'elle se présentât, que les arrêts et édits — qui condamnaient la Société — étaient principalement fondés sur l'incompatibilité reconnue entre les principes professés par cette Société et l'indépendance de tous les gouvernements, principes bien plus incompatibles encore avec la charte constitutionnelle qui faisait le droit public des Français.

Repoussé par la Cour de Paris, Montlosier s'adressa à la Chambre des pairs, et obtint d'elle, à la majorité de 113 voix sur 186, que sa pétition serait transmise au roi.

Charles X n'en fit aucun état ; mais la question des jésuites était posée devant la France et devenait la pierre de touche des partis.

C'est, désormais, la question dominante, le problème symbolique qui résume toutes les politiques.

Il s'agit de savoir si l'autorité nationale se reconnaîtra vassale de la puissance romaine, ou demeurera pleinement souveraine. Il s'agit de savoir si les dogmes catholiques s'imposeront à toute la législation française, ou si cette législation continuera à vivre de sa vie indépendante. Il s'agit de savoir si un Français aura le droit d'être protestant, israélite ou libre penseur, ou s'il devra forcément être catholique ; — le droit de se marier devant le ministre, le rabbin ou le maire, ou s'il devra nécessairement se marier devant le curé ; — le droit de faire instruire ses enfants dans des écoles libérales, ou s'il sera contraint de les faire élever dans des écoles ecclésiastiques ; — le droit de lire le journal qui lui plaira le mieux, ou s'il sera obligé de lire les seuls journaux agréés par la Congrégation ; — le droit de parler et d'écrire suivant ses idées et ses principes, ou seulement suivant les idées et les principes admis par les autorités catholiques ; — le droit, enfin, de reposer après sa mort autre part que dans le terrain maudit réservé aux suicidés et aux suppliciés, s'il n'a point appelé à son chevet un prêtre catholique.

La question, comme on le voit, était capitale, et il n'est pas étonnant que la France se soit passionnée dans cette lutte. Le maintien ou l'expulsion des jésuites n'était qu'un petit côté du problème ; mais le mot avait toute la valeur symbolique d'un cri de guerre. Quiconque était pour les jésuites était ultramontain, et partisan de la domination des prêtres. Quiconque était contre les jésuites était pour la liberté.

Le parti prêtre avait pour lui le roi, presque tout le clergé, une grande partie de l'aristocratie et du peuple des campagnes... peut-être la majorité de la nation, mais la moins agissante, la moins pratique, la moins résolue.

Les libéraux avaient pour eux les clercs et les nobles gallicans, la bourgeoisie et le peuple des villes ; tout ce qu'il y avait de plus actif, de plus vivant, de plus politique dans la France.

La lutte dura quatre ans, sans que le roi ait jamais compris qu'il jouait sa couronne, sans que le parti prêtre ait jamais senti qu'il réclamait une suprématie injuste et inacceptable.

Charles X présenta aux Chambres, en 1827, un projet de loi sur la presse, tellement réactionnaire et draconien, qu'il dut le retirer devant l'opposition de la Chambre des pairs.

Le roi, très froissé, différa quelques mois sa vengeance, puis, au mois de novembre 1827, nomma d'un seul coup soixante-seize nouveaux pairs et prononça la dissolution de la Chambre des députés.

Les électeurs envoyèrent au Palais-Bourbon une Chambre beaucoup plus libérale que la précédente ; et Charles X, la mort dans l'âme, dut se séparer de M. de Villèle.

Le ministère Martignac (4 janvier 1828-8 août 1829) put inspirer quelque espoir aux libéraux très naïfs ; mais le roi ne s'était séparé de M. de Villèle que malgré lui, et continua, pendant plusieurs mois, à correspondre avec son ancien ministre. Quelques mesures légales ayant été prises contre les jésuites, soixante-treize évêques signèrent une protestation contre les ordonnances royales et déclarèrent ne pouvoir leur obéir. Une Association pour la défense de la religion catholique fut fondée pour donner une nouvelle impulsion à la politique ultramontaine. Le nouveau pape, Pie VIII, lança une encyclique contre la tolérance, la liberté des cultes, le mariage civil et l'enseignement laïque.

Enfin, le roi appela aux affaires un des hommes les plus bornés de sa cour et les plus inféodés au parti dévot, le prince Jules de Polignac.

L'avènement du cabinet Polignac fut salué par les cléricaux avec des applaudissements enthousiastes, qui mirent tout de suite en défiance le parti opposé.

La Chambre, convoquée le 2 mars 1830, déclara, quinze jours plus tard, à Charles X, par la mémorable adresse des 221, que le concours nécessaire entre les vues du gouvernement et les vœux de la nation n'existait plus. Le roi se plaignit qu'on eût méconnu ses respectables intentions, prorogea la Chambre et en prononça bientôt la dissolution.

La France officielle, le pays légal, si restreint qu'il fût, réélut les 221 députés libéraux, et Charles X eut l'imprudence de briser, sans l'avoir même convoquée, la Chambre réélue par la France. Il prétendit supprimer la liberté de la presse, changer de sa propre autorité le système électoral. On comprit que la charte était violée, que l'absolutisme ressuscitait. Derrière l'absolutisme, on vit se dresser la tyrannie ultramontaine, et Paris se souleva. Après trois jours de combat (27-29 juillet), Marmont, vaincu et désespéré, abandonnait Paris. Le 31 juillet, le duc Louis-Philippe d'Orléans arrivait à Paris et embrassait La Fayette sur le balcon de l'hôtel de ville.

Le 9 août, il était proclamé roi des Français.

Le 16, Charles X s'embarquait à Cherbourg avec sa famille, et, en arrivant en Angleterre, disait aux officiers anglais qui venaient le saluer : Voici, Messieurs, la récompense de mes efforts pour rendre la France heureuse. Poussé à bout par les factions, j'avais tenté un dernier moyen de rétablir dans le royaume l'ordre et la tranquillité ; les passions ont été plus fortes : il m'a fallu renoncer à.la couronne en attendant de meilleurs jours pour mon petit-fils. (Mémoires de Dumont d'Urville.)

Le roi tombait, en réalité, victime d'une surprise et dépopularisé par sa politique religieuse. C'était le drapeau blanc, c'était la théocratie, que la France combattait et évinçait en sa personne.

La révolution de 1830 a été saluée par les contemporains avec un enthousiasme qui nous parait, aujourd'hui, très exagéré. La

France a été rejetée par elle dans la voie des révolutions et des violences. Peu s'en est fallu que le changement de dynastie nous ait valu une guerre européenne, au moment où la nation, reconstituée par quinze ans de paix, remontait au rang de puissance de premier ordre.

Charles X et ses ministres ont eu tort de préparer cette révolution. Nous croyons fermement que la France a eu tort de la faire, C'est Chateaubriand qui avait raison en préférant Henri V à Louis-Philippe et en voyant, en lui, une nécessité de meilleur aloi.

 

 

 



[1] Geoffroy de Grandmaison, Le Jubilé de 1825, Paris 1902, in-12.