L'ÉGLISE ET L'ÉTAT EN FRANCE

TOME PREMIER — DEPUIS L'ÉDIT DE NANTES JUSQU'AU CONCORDAT (1598-1801)

 

LES CAHIERS DU CLERGÉ EN 1789.

 

 

Le clergé était encore, en 1789, le premier ordre de l'Etat. Il comprenait environ 130.000 individus, dont 60.000 religieux ou religieuses et 60.000 curés ou vicaires. Ses domaines valaient, au bas mot, 3 milliards, et donnaient un revenu net de 80 à 90 millions. La dîme en produisait à peu près autant. Avec, le casuel et les dons de toutes sortes, on peut estimer à 9.00 millions de livres les revenus du clergé. Il disposait ainsi d'une rente annuelle égale aux deux cinquièmes du budget de l'Etat. Ne devant au roi que ses prières, il contribuait seulement aux charges publiques par un don gratuit, renouvelé tous les cinq ans, et représentant une moyenne annuelle de 3 millions. Des subsides extraordinaires, accordés par lui à la royauté dans ses urgentes affaires, l'avaient grevé d'une dette de 130 à 140 millions. Il était exempt des servitudes personnelles comme des charges financières, et formait dans l'Etat une véritable république autonome, une cité fédérée, alliée sans doute de l'Etat, mais distincte de lui.

Cette situation extrêmement privilégiée, l'Eglise l'avait méritée autrefois, alors qu'elle seule représentait la civilisation en face de la barbarie. Elle la méritait beaucoup moins à la fin du XVIIIe siècle, car elle n'avait pas beaucoup ajouté à sa science traditionnelle, elle s'acquittait de ses fonctions religieuses et sociales avec moins de zèle qu'aux siècles passés, et la nation avait cessé d'être une nation barbare pour devenir une des plus intelligentes, des plus actives et des plus policées de l'Europe.

Très absorbée dans la contemplation de ses propres perfections, très portée à voir des droits indiscutables dans ses prérogatives les plus contestées, très ennemie des nouveautés et de toute activité extérieure à la sienne, l'Eglise connaissait mal la société au milieu de laquelle elle vivait, et ne soupçonnait pas qu'un seul homme raisonnable et honnête pût lui marquer la moindre défiance, mettre la moindre restriction à ses respects et à ses soumissions infinies.

La grande consultation nationale qui a précédé la réunion des Etats généraux et qui nous a donné les Cahiers de 1789 nous permet de nous faire une idée de la mentalité spéciale du clergé.

Les cahiers du clergé ont été rédigés dans des assemblées générales de l'ordre tenues dans chaque bailliage, sous la présidence de l'évêque ou de son délégué.

L'ordre n'était pas exempt de divisions, et il est aisé d'en apercevoir la trace dans les cahiers, en dépit de la phraséologie officielle. Il n'y a pas toujours entente cordiale entre le haut et le bas clergé, entre séculiers et réguliers.

Certains évêques très autoritaires, comme Talleyrand, ont pris le parti de rédiger eux-mêmes le cahier de leur bailliage, et de le faire sanctionner par l'assemblée de leur clergé.

Presque partout, l'assemblée a tenu à délibérer elle-même et à fixer chaque point particulier de ses doléances.

Dans quelques bailliages, le cahier, approuvé par la majorité de l'assemblée, n'a pas rallié la minorité, qui a protesté d'avance contre certaines clauses et exposé ses vœux particuliers, à côté des vœux acceptés par le plus grand nombre.

On voit même, en Bigorre, un simple curé congruiste opposer son cahier à lui au cahier de l'ordre tout entier, et le mémoire de ce dissident, tant soit peu révolutionnaire, n'est pas le moins intéressant[1].

Les cahiers de l'ordre du clergé sont, en général, écrits dans la langue élégante et imprécise qui était la langue de la bonne société. Toujours modérés dans l'expression, alors même qu'ils se montrent le plus passionnés ; toujours dignes et solennels, quel que soit le sujet du discours, ils versent parfois dans la grandiloquence ou dans la sensiblerie. Ils révèlent, en somme, chez leurs auteurs une culture littéraire sérieuse, d'excellentes habitudes de méthode et de réflexion, un jugement très sain pour tout ce qui ne touche pas directement aux droits et privilèges de l'ordre, et des idées libérales qui sembleraient bien étranges aux ultramontains d'aujourd'hui.

L'ordre du clergé, à la presque unanimité, renonce à ses privilèges pécuniaires, et se dit heureux de contribuer comme les autres ordres à toutes les charges publiques.

Les Etats généraux lui apparaissent comme un rouage essentiel et trop longtemps oublié du gouvernement monarchique. Il demande leur périodicité et leur prochain retour.

Il déclare qu'aucun impôt ne saurait être légitimement perçu, s'il n'a été au préalable consenti par les représentants de la nation.

Il veut que la noblesse ne conserve plus que ses privilèges d'honneur et que tous les citoyens soient également admissibles aux emplois publics.

Il demande avec instances la réforme de la justice criminelle, la refonte des lois civiles, la suppression des tribunaux d'exception, la simplification de la procédure.

Il proteste contre l'abus des monitoires et demande qu'ils soient réservés pour les grands crimes. Il fait observer avec raison que les tribunaux sont constamment occupés à renfermer les pouvoirs de l'Eglise dans l'ordre de la spiritualité, tandis que les lois permettent au plus petit juge banneret d'user à volonté de ce pouvoir dans les choses temporelles (Armagnac, II, 4).

Il réclame l'abolition des impôts vexatoires, comme la gabelle, les aides, les droits de trop bu et de gros manquant[2] (Beauvais). Le cahier du Bourbonnais demande l'abolition du droit odieux qui donnait à certains évêques le lit de chaque curé décédé.

Beaucoup de cahiers proposent l'abolition de la corvée et même celle de la milice (Toul).

D'autres condamnent énergiquement les lettres de cachet et demandent l'élargissement des citoyens détenus arbitrairement en vertu de ces odieuses lettres (Belfort, Besançon).

Certains cahiers condamnent la traite des noirs (Avesnes). L'abbé Doléac, curé de Beaudon en Bigorre, veut noter d'infamie tout Français qui aura fait le commerce des esclaves.

D'autres demandent la révision des lois sur la chasse et la limitation des droits de chasse et de colombier.

Beaucoup attirent l'attention du gouvernement sur le mauvais état des routes, sur l'extension inquiétante de la mendicité et les moyens de la faire disparaître, sur les hospices à créer dans toutes les provinces du royaume pour les femmes enceintes, les enfants trouvés, les insensés et les incurables (Artois).

L'antagonisme des évêques et des curés apparaît très nettement dans certains cahiers qui semblent respirer l'esprit de rébellion.

Le cahier du Boulonnais énumère fièrement les prérogatives épiscopales : Les évêques sont les seuls juges de la foi, les administrateurs-nés dans leurs diocèses, les principaux juges de leurs besoins, de ce qui peut leur être utile, des abus qui y règnent, des moyens d'y remédier. Eux seuls embrassent l'ensemble, et rien de ce qui peut concerner l'état de leurs diocèses, les titres, les biens, la discipline, ne leur est étranger. En eux réside la juridiction ecclésiastique et rien ne peut se faire sans leur influence. Si le corps des évêques n'est pas suffisamment représenté aux Etats généraux, les évêques pourront se refuser à toutes les opérations qui demanderont le concours de leur autorité et dont le plan aura été arrêté sans eux. (Cf. Paris, Cahier du Chapitre.)

En face de l'évêque, qui prétend à l'omnipotence, le curé n'a aucun droit et n'est pas même sûr de sa liberté individuelle.

Une déclaration royale du 15 décembre 1698 permet aux évêques de faire détenir pendant trois mois dans leurs séminaires tout curé, vicaire ou autre, contre lequel il y aurait des plaintes. Les curés s'élèvent, bien entendu, contre cette injuste et odieuse faculté (curé de Beaudon) et s'ingénient à trouver les moyens d'échapper à l'arbitraire épiscopal.

Le Concile de Trente avait décidé que les cures seraient mises au concours et données aux plus dignes ; les évêques se montraient très peu jaloux de se conformer sur ce point aux prescriptions du Concile ; les curés, au contraire, en réclament l'application dans tout le royaume (Artois).

Beaucoup de cahiers demandent que les curés constituent dans chaque diocèse un corps spécial, avec droit d'élire un syndic pour la défense de ses droits (Armagnac, Bazas). L'évêque de Lectoure répond que cette proposition est contraire aux lois du royaume et aux décisions particulières du gouvernement ; mais cette fin de non-recevoir, basée sur des textes qu'il se garde bien de montrer, ne convainc personne, et les curés tendent presque partout à secouer le joug, bien moins dur cependant à cette époque qu'il ne l'est devenu aujourd'hui.

Les curés de 1789 sentent cruellement la distance sociale qui les sépare, eux fils de paysans, du grand seigneur mitré qui les commande ; ils expriment parfois leurs rancunes avec une amertume singulière : Nous sommes, dit l'un d'eux, chargés communément des plus fortes paroisses, telle que la mienne, qui a jusqu'à deux lieues dans les bois des hameaux qui en feraient une autre ; nous dont le sort fait crier jusqu'aux pierres et aux chevrons de nos misérables presbytères, nous subissons des prélats qui feraient encore quelquefois faire par leurs gardes un procès à un pauvre curé qui couperait dans leurs bois un bâton, son seul soutien dans ses longues courses par tous chemins. A leur passage, le pauvre homme est obligé de se jeter à tâtons le long d'un talus pour se garantir des pieds et des éclaboussures de leurs chevaux, comme aussi des rênes et peut-être aussi du fouet d'un cocher insolent, puis tout crotté, son chétif bâton d'une main, et son chapeau, tel quel, de l'autre, de saluer humblement et rapidement, à travers la portière du char clos et doré, le hiérarque postiche ronflant sur la laine du troupeau, que le pauvre curé va paissant et dont il ne lui laisse que la crotte et le suint[3].

Les curés espèrent voir bientôt la fin de leurs maux, ils saluent avec joie l'époque nouvelle qui s'annonce et, républicains sans le savoir, ils proposent pour le gouvernement de l'Église un régime tout semblable à celui que le Tiers-Etat va proposer pour la nation. Ils veulent que chaque diocèse ait son assemblée synodale tous les ans, qu'un concile provincial se réunisse tous les cinq ans, que l'Eglise de France s'assemble en concile national tous les vingt ou vingt-cinq ans. Le clergé séculier et le clergé régulier éliront librement leurs députés à ces grands conseils ecclésiastiques, où la voix des petits pourra enfin se faire entendre (Angoumois, Annonay, Armagnac, Auch, Auxois, bailliage d'Aval, etc.). Les distinctions fondées sur la naissance seront abolies et, suivant les lois de la primitive Église, tous les ecclésiastiques seront admissibles à tous les emplois et à toutes les dignités. (Anjou, III, 4.) Des bourses dans les séminaires faciliteront aux écoliers pauvres l'entrée dans les ordres. Dans les cathédrales, un certain nombre de canonicats seront réservés aux prêtres de carrière, qui auront exercé le ministère au moins pendant six ans. Des maisons de retraite assureront la subsistance des prêtres vieux et infirmes (Angoumois, Troyes).

Même sous le régime aristocratique, qui était le sien en 1789, l'Eglise de France n'était pas ultramontaine. La plupart des cahiers du clergé semblent ignorer le Pape et le Saint-Siège. On dirait, à les lire, que l'Eglise de France constitue, à elle seule, toute la catholicité et vit en pleine et souveraine indépendance. Le clergé sent qu'il approche d'une crise. Les uns la redoutent, les autres la désirent, tous la voient imminente ; on ne sait ce que deviendront dans l'orage qui monte les ordres religieux, les biens ecclésiastiques, l'organisation intérieure de l'Eglise, et pas un cahier ne songe à invoquer d'avance l'autorité pontificale. Les évêques disent bien que rien ne peut se faire sans eux, pas un ne s'avise de dire que rien ne peut se faire sans le pape.

Bien plus, si quelques cahiers s'occupent de Rome, c'est dans un sens ultra-gallican.

Le Puy voudrait que la réforme de l'Eglise gallicane fût l'œuvre d'un concile national. Il trouve qu'il n'est rien de plus juste que de soumettre les bulles ou brefs émanant de la Cour romaine à une sorte d'examen, pour que l'autorité séculière s'unisse à l'autorité administrative, afin d'arrêter toute entreprise qui tendrait à détruire ou à compromettre les libertés de l'Eglise de France.

Montargis se demande si, sans blesser le respect dû au Souverain Pontife, auquel le clergé de France sera toujours sincèrement et fidèlement attaché, le concile national ne pourrait pas fixer les degrés de parenté emportant nécessité d'une dispense pour les mariages, diminuer ou supprimer les frais de ces dispenses, restreindre le nombre des fêtes, supprimer les communautés religieuses inutiles et statuer sur l'emploi de leurs biens. Montargis demande, en somme, la pleine autonomie de l'Eglise française.

Loudun regarde comme nuisible à la nation le passage sans retour de notre numéraire chez l'étranger et surtout à Rome, d'où nous ne recevons en échange que des bulles, des brefs et des dispenses. Sans rompre le lien sacré qui nous unit au chef de l'Eglise universelle, ne pourrait-on trouver le moyen de lui rendre l'hommage de notre respect filial d'une manière moins préjudiciable à nos finances ?

Poitiers, Sens, Soissons demandent l'abolition des préventions en Cour de Rome.

Dôle, la suppression des annates.

Toul, Bouzonville, Saumur, Pamiers, Villers-Cotterêts demandent le retour pur et simple à la Pragmatique sanction de Charles VII.

Qui peut dire ce que serait devenue l'Eglise de France, réorganisée sur les bases démocratiques qu'elle indiquait elle-même ? N'y avait-il pas chez elle tous les éléments d'une Église vraiment nationale, sachant concilier le respect dû à l'autorité dogmatique du Saint-Siège avec le souci de sa légitime indépendance ? Etait-il impossible d'en favoriser la formation ?

L'Assemblée Constituante l'essaya et n'y put réussir ; mais elle y procéda avec trop peu de ménagement et ne prit pas le temps de s'attacher solidement la masse démocratique du clergé paroissial. Elle l'effraya par ses témérités, et le haut clergé, peu curieux de réformes et de progrès social, l'entraîna avec lui, à la défense de ses privilèges.

Les principes de 1789 n'étaient cependant que des principes chrétiens, comme le pape devait, quelques années plus tard, le reconnaitre lui-même. Le christianisme d'un grand nombre de nos prêtres était tout prêt à s'en accommoder. Mais ces principes étaient subversifs de l'ordre régnant, touchaient aux intérêts de caste, aux opulents revenus de la haute Eglise, à sa domination séculaire sur le bas clergé. La religion conduisait d'elle-même les curés à la Révolution. La hiérarchie les enchaînait à l'ancien régime. Dans ce duel funeste, ce fut la hiérarchie qui finit par l'emporter, pour le malheur de la France.

C'est à l'esprit hiérarchique, à l'esprit de corps, tout à fait distinct et éloigné de l'esprit religieux, que les cahiers du clergé doivent toutes leurs dispositions réactionnaires, tout ce qui nous permet de dire que le clergé de 1789 n'était déjà plus de son pays ni de son temps.

Pour un grand nombre de cahiers, il est de l'essence de la a monarchie d'être composée de trois ordres invariablement distincts et séparés. Si la plénitude des pouvoirs résidait également dans le monarque et dans la nation, sans autre distinction d'ordres, il s'établirait nécessairement une lutte d'autorité qui ne pourrait se terminer que par l'affaiblissement d'une des deux parties constituantes de la monarchie, et le résultat nécessaire serait la démocratie ou le despotisme, deux formes de gouvernement également funestes au bonheur du peuple. (Beaujolais, et dans le même sens Angoumois, Arles, Artois, Auxerre, Bar-sur-Seine, Châlons-sur-Marne, Clermont en Beauvoisis, Quercy, Riom, Senlis, etc.)

Pour Condom, les privilèges du clergé constituent une vraie propriété, qui doit être sacrée et inviolable aux yeux des rois et des nations, et il est interdit au clergé, qui n'en est que dépositaire, de les sacrifier et même de consentir à leur affaiblissement.

L'ordre du clergé doit donc rester à jamais tel qu'il est, éternellement distinct des deux autres, et regardé par eux comme le premier ordre de l'Etat.

Bien peu nombreux sont les cahiers qui acceptent le principe du vote par tète (Belfort, Forez, Gien). Un seul, celui de Lyon, demande la délibération des trois ordres en commun.

De même qu'il entend maintenir tous ses privilèges, le clergé affirme ne rien vouloir abandonner de ses biens.

Il consent à prendre sa part des charges communes à toute la nation ; mais il demande, à la presque unanimité, que sa dette soit ajoutée à celle de l'Etat. Beauvais déclare qu'on blesserait la justice, si on voulait l'obliger de payer en même temps les impositions et les rentes dues pour ses dettes, ou l'obliger à une aliénation pour les acquitter.

Il considère sa propriété comme si particulièrement respectable, qu'il demande à être privé du droit d'en aliéner la moindre partie (Châlons-sur-Marne).

Il proteste avec énergie contre toutes les entraves administratives qui le gênent dans la gérance de ses biens. Il demande à l'unanimité la suppression des économats, la restriction des pouvoirs des chambres ecclésiastiques, la suppression des formalités requises pour les échanges de biens-fonds.

Il voudrait mettre à la charge de la nation les frais de reconstruction des presbytères et des églises.

Il parle de la dîme comme d'un impôt placé au-dessus de toute discussion : L'établissement de ce droit, dit le cahier de Meaux, remonte jusqu'aux Capitulaires de nos rois. Ces lois, qui portent la double sanction du souverain et de la nation, au milieu de laquelle elles ont été proclamées, auraient dû préserver de toute entreprise une propriété aussi ancienne et appuyée sur une possession aussi recommandable.

Bar-sur-Seine voit dans la dîme le tribut de la reconnaissance publique et de la piété des fidèles.

Arles y voit une véritable propriété et non un impôt.

Beauvais, le plus précieux des biens temporels de l'Eglise.

Il ne vient pas à la pensée d'un seul clerc que cet impôt — car c'en était un — puisse être supprimé, ni même modifié ou modéré. Beaucoup de cahiers dénoncent, au contraire, avec indignation, les atténuations que le temps avait apportées au principe de la dîme.

Certaines cultures nouvelles, telles que le tabac et la pomme de terre, prétendaient à l'immunité ; un arrêt du Parlement les avait soumises aux dîmes, et le clergé demandait que cette mesure fût généralisée et tenue pour un principe de droit public : Mutata superficie soli, non mutatur jus decimandi (Melun).

Beaucoup de cahiers protestent contre l'abus qui donnait les dîmes à des pasteurs sans charge d'âmes, appelés curés primitifs des paroisses, ou même, à des laïques. Mais d'autres cahiers s'apitoyaient sur le sort de ces gros décimateurs, dont les uns avaient acquis les dîmes à prix d'argent, ou les avaient trouvées dans les héritages de leurs pères, ou les possédaient comme la dotation de leurs bénéfices spiritualisés et à la charge d'un service divin. Toucher à ces objets serait attaquer la propriété et anéantir de pieuses institutions qui réclamaient la protection de la religion et de l'Etat (Bigorre).

La misère des curés congruistes était trop manifeste pour que les cahiers .n'en aient point parlé. En dépit de l'égoïsme des prélats, les plaintes des malheureux pasteurs de campagne s'élèvent de toutes parts, et force est bien aux opulents seigneurs de laisser les humbles chanter leur lai et leur plainte.

Le curé de Beaudon exhale la sienne avec une sainte colère, qui va presque à l'invective : L'Eglise de France, dit-il, est suffisamment dotée pour arracher les curés à leur pénible et honteuse indigence et à l'humiliante dépendance d'un vil casuel. Qu'elle le fasse, et ces bons et utiles pasteurs auront bientôt repris tout l'ascendant qu'ils doivent avoir pour rétablir, sous l'autorité des évêques, la religion et les vertus dans toutes leurs prérogatives... La raison veut que le luxe et la décoration paraissent dans le dernier rang dans l'église d'un Dieu qui s'est anéanti ; l'utilité est dans le sanctuaire la considération première et toutes les dignités stériles le dernier de tous les titres.

Moins acrimonieux, le clergé de Bailleul est tout aussi affirmatif : Le patrimoine de l'Eglise est suffisant pour l'entretien de tous ses ministres, mais il est inégalement réparti, d'où il résulte que les curés et vicaires, qui en sont la classe la plus utile, n'ont point une dotation suffisante. Ils prêchent contre les richesses ; ils ne doivent point les désirer, mais ils ont besoin d'une subsistance honnête : leur dotation doit même aller au delà de leurs besoins personnels. En prêchant la charité, ils donnent le droit qu'on la leur demande, et tous les pauvres honteux de leur paroisse sont principalement à leur charge.

Tout le monde est d'accord pour trouver insuffisante la portion congrue portée tout récemment par le roi à 700 livres. On propose de la porter à 1.200, 1.500 et même à 1.800 livres (Bordeaux). Beauvais voudrait qu'elle fût même susceptible d'augmentation tous les vingt ans.

On est unanime à déclarer que le casuel constitue un véritable abus, une charge odieuse aux populations et qui risque de déconsidérer le clergé.

Mais on ne s'entend plus, quand il s'agit de savoir à l'aide de quelles ressources seront payées ces congrues de 1.500 livres et comment sera comblé dans le budget du prêtre le trou laissé béant par la suppression du casuel.

Le cahier d'Auxois propose d'appliquer à ce double objet les biens des congrégations inutiles, que l'on pourra supprimer ; mais cette opinion malsonnante ne trouve presque aucun écho dans l'ordre entier.

Annonay voudrait réunir aux cures les bénéfices sans charge d'âmes les plus voisins ; mais ce n'est là qu'une faible ressource, qui n'est pas applicable partout, qui toucherait à des droits acquis, et qui parait bien révolutionnaire à la plupart des hommes d'Eglise.

Angoulême propose de payer les portions congrues aux dépens des gros décimateurs ; mais le cahier de Bigorre fait remarquer qu'il y a dés paroisses où la dîme atteint à peine les 700 livres de la congrue actuelle, et qu'une augmentation nouvelle entrainerait la ruine des décimateurs. On sait déjà que l'Eglise n'ose pas toucher à leur situation.

Le clergé voit donc la profonde misère des prêtres de campagne, fait des vœux pour leur soulagement et ne sait pas trouver, avec un budget de 200 millions, le moyen d'assurer aux curés une dotation annuelle de 1.500 livres, soit 90 millions pour 60.000 prêtres et desservants.

Comme les privilèges et les biens du corps, tous les ordres religieux doivent être conservés (Chartres, Nemours, Nîmes, Anjou, Arles, Auxerre). Ce sont de précieux établissements, que le roi est supplié de conserver et de protéger, et qui offrent aux familles une ressource honnête pour l'établissement de leurs enfants.

Cependant le clergé n'est pas assez aveugle pour ne pas savoir que l'institution monastique est en décadence ; il sait qu'un grand nombre de monastères sont vides, que beaucoup d'établissements religieux ne répondent plus au but pour lequel ils ont été créés, et se trouvent même hors d'état d'observer la règle, faute de ressources et faute de personnel ; mais il attribue la décadence des ordres à l'esprit d'impiété qui souffle sur le siècle et aux édits de 1768,1773 et 1779, qui ont reculé à 21 ans l'âge légal pour prononcer les vœux. A cet âge, les jeunes gens ont déjà entrevu le monde et ne viennent plus au cloître ; c'est à seize ans, dix-huit ans, au plus tard, qu'il faut ramener l'âge des vœux ; ce simple changement, de législation rendra aux couvents toute leur ancienne prospérité.

Quelques cahiers semblent formuler une critique indirecte en parlent de rendre les ordres religieux utiles à l'Etat (Nemours). Quelques autres semblent admettre la suppression des couvents qui ne réuniraient pas au moins douze religieux.

Aucun cahier ne propose, comme le curé de Beaudon, la réunion générale des ordres religieux au clergé séculier : Celui-ci ne devra faire aucune difficulté de les recevoir dans son sein, le dépôt de la religion lui ayant été spécialement confié, et étant, par conséquent, l'ordre religieux par excellence. Et, de leur côté, les corps appelés réguliers ne se trouveront que mieux établis dans la religion par cette loi, puisque la cléricature a été toujours pour eux la récompense de la perfection monastique.

Le clergé ne donne pas dans ces hardiesses et, sauf la suppression de la mendicité monacale, il ne voit presque rien à changer au régime des Ordres.

Il nous apparaît, en tout cela, comme une puissance éminemment conservatrice, très jalouse de ses droits et n'imaginant pas qu'aucun sacrifice puisse lui être légitimement demandé. Mais, si impolitique qu'elle soit par certains côtés, cette attitude peut s'expliquer, dans une certaine mesure, par l'intérêt général du corps, par le droit acquis, par le sentiment de la propriété.

Nous touchons, maintenant, à un point plus important et plus délicat, où va nous apparaître nettement un des plus graves défauts de l'esprit sacerdotal.

Non content de maintenir ses prérogatives et de défendre ses intérêts pécuniaires, le clergé ne veut tolérer aucune société religieuse autour de lui. Tous ses cahiers demandent impérieusement que la religion catholique soit reconnue comme religion d'Etat et qu'il n'en soit pas souffert d'autre dans le royaume (Angoumois, Anjou, Arles, Auxois). Le cahier du bailliage d'Aval, en Franche-Comté, rappelle même que la capitulation de la province, du 14 février 1668, interdit dans le pays toute liberté de conscience.

Ce n'est pas précisément au nom de la foi et de la vérité théologique que le clergé réclame ce tyrannique monopole ; il s'appuie de préférence sur des considérations politiques, sur l'utilité sociale du catholicisme. Il rabaisse ainsi lui-même le caractère de sa doctrine, il lui enlève ce qu'elle a de plus élevé, il la ravale au rôle d'Une institution de garantie, organisée en faveur des puissances de la terre.

La religion, dit le cahier du Nivernais, est montée avec nos premiers souverains sur le trône... le pouvoir monarchique tire une grande force de l'unité de la religion... la stabilité des empires est liée à celle de la religion.

Ministres d'une religion sainte, dit le cahier de Caen, que nous devons soutenir dans tous nos rapports avec la société, le moment est venu où il est nécessaire de demander au roi qu'il la protège efficacement dans ses Etats contre les ennemis qui l'attaquent. Bienfaisante envers les Empires par sa morale sublime, admirée des païens, redoutable aux opinions du siècle, la religion réunit ce double avantage d'élever l'esprit et de nourrir le cœur. Elle est le principe de la tranquillité publique, le bonheur des cités et des campagnes.

Sans la religion, dit le cahier de Bailleul, point de mœurs, point de félicité publique. Les plus beaux plans d'administration, s'ils ne sont point fondés sur cette base, seront défectueux. Bientôt on oubliera que le roi est l'image de Dieu sur la terre et on se livrera à un esprit de système et de philosophie qui plongera l'Etat dans le désordre. Plus les peuples sont religieux et plus ils sont fidèles aux lois.

Le cahier de Mende ajoute que le clergé a été de tous les temps le plus bel ornement et le plus ferme appui du royaume.

Et tous demandent que l'Eglise catholique soit reconnue comme religion d'Etat, à l'exclusion de toute autre ; qu'elle seule ait des temples, des ministres, un culte public, un enseignement public.

Une ordonnance royale du mois de novembre 1787 avait reconnu légalement l'existence du protestantisme, en accordant aux protestants un état civil judiciaire, en place de l'état civil religieux que leurs convictions les empêchaient d'accepter.

Les cahiers du clergé s'élèvent en grand nombre contre l'édit du roi et demandent qu'en aucun cas, il ne puisse être interprété comme une autorisation donnée aux protestants de pratiquer publiquement leur culte.

On est heureux de constater que l'esprit haineux des anciens jours s'est grandement atténué.

Le clergé du diocèse de Saintes, animé d'une charité vraiment sacerdotale, regarde et regardera toujours les protestants comme des frères qu'il faut chérir, comme des brebis égarées après lesquelles il faut courir avec une tendre sollicitude ; il ne cessera de demander l'abolition des lois pénales portées contre des hommes que le malheur de leur naissance a plongés dans les ténèbres de l'hérésie.

Les clercs d'Evreux ne pensent pas qu'on doive refuser à nos frères errants le rang qu'ils réclament dans la société au nom de la nature ; beaucoup d'entre eux le méritent par leurs vertus morales et civiles, et cet acte d'humanité et de justice ne peut servir qu'à les ramener avec le temps dans le sein de l'Eglise.

Le clergé de Beauvais est loin de méconnaître les droits imprescriptibles de la nature dans la personne de nos frères errants. Il ne lui vient rias en pensée d'élever la voix contre les formes nécessaires dans toute institution sociale pour assurer l'état des familles.

Mais tous trouvent scandaleux que les protestants tiennent des assemblées et aient des ministres qui enseignent leur religion à leurs enfants. Le cahier du clergé de Caux dénonce aux Etats un prétendu ministre qui s'est permis tout récemment de marier un protestant avec une fille catholique, et les protestants qui se sont arrogé l'exercice le plus entier de leur religion, tel que l'administration d'un baptême souvent défectueux et l'érection de temples on ils se rassemblent au son des cloches qui appellent les catholiques à l'église.

La paroisse de Champs redoute l'hérésie si insinuante et qui se présente toujours avec un charme si séduisant. Elle déplore le mélange des hérétiques avec les catholiques, leurs rapports d'intérêt et d'affection, trop propres, surtout dans le siècle de la fausse philosophie, à altérer peu à peu les principes de la foi et de la vraie religion. Elle croit à la sagesse des lois anciennes concernant les non-catholiques. Elle pense qu'une innovation à ces principes sacrés serait toujours un grand écueil et un vrai malheur pour toute la nation. Et, en vertu de ces principes sacrés, Béziers interdit les mariages mixtes : défense à une catholique d'aimer un huguenot. Un grand nombre de cahiers refusent au seigneur protestant l'honneur et les avantages attachés au titre de patron de paroisse. Chartres veut que les protestants soient exclus de l'enseignement. Le clergé de Saint-Paul de Paris admet qu'on leur donne le droit de vote, mais refuse de leur reconnaître l'éligibilité.

Les juifs, bien moins nombreux et bien plus séparés du reste de la nation, ne paraissent pas avoir beaucoup attiré sur eux l'attention du clergé. Il est cependant une province, l'Alsace, où l'Eglise s'est préoccupée de leurs progrès. Le clergé de Colmar nous apprend que les juifs, par leurs vexations, leurs rapines, la duplicité cupide dont ils offrent journellement de si pernicieux exemples, sont la principale et première cause de la misère du peuple. Leur étonnante pullulation les a fait passer, en un siècle, de 3.000 à 20.000 dans la province, et, pour l'arrêter dans son principe, le clergé demande qu'il ne puisse plus être permis de contracter mariage qu'au fils aîné de chaque famille juive.

Il est un autre ennemi contre lequel le clergé montre beaucoup plus d'antipathie : ce sont les philosophes, les rois du jour, qui lui ont mené si rude guerre depuis quatre-vingts ans.

Encore modéré lorsqu'il s'agit des huguenots, le langage des cahiers devient furieux dès qu'il s'agit des philosophes.

Le cahier de Dax fulmine contre la secte impie et audacieuse qui décore sa fausse sagesse du nom de philosophie. En voulant renverser les autels, elle a tenté d'ébranler le trône. La corruption de ses principes entraîne la corruption des mœurs et précipitera la nation dans l'anarchie et l'indépendance, si le gouvernement ne s'empresse d'opposer au torrent dévastateur les digues les plus fortes.

Le cahier d'Angoumois représente à S. M. les funestes effets de l'incrédulité, la France inondée, en moins d'un siècle, de livres obscènes, impies et scandaleux, et qui deviennent au préjudice de la religion le seul code d'instruction d'une jeunesse insensée. Le cahier d'Armagnac demande des mesures efficaces pour combattre cette multitude scandaleuse d'ouvrages où règne l'esprit de libertinage, d'incrédulité et d'indépendance, où l'on attaque avec tant de témérité et d'impunité la foi, la pudeur, le trône et l'autel.

Tous les cahiers s'accordent à signaler les dangers de la liberté de la presse et à réclamer une répression énergique de ses écarts. La loi interdira toute publication anonyme, tout écrit contraire à la foi, aux bonnes mœurs et au gouvernement (Angoumois). Les auteurs, les imprimeurs et tous ceux qui répandront de pareils écrits seront poursuivis comme fléaux de la tranquillité publique (Anjou) et feront l'objet d'un châtiment exemplaire (Caux). Ils ne pourront jamais, pour expresses et publiques qu'aient été leurs rétractations, prétendre à faire partie d'aucune Académie, ni à obtenir aucun poste dans les collèges et les Universités (Dax). Enfin, les évêques seront seuls juges en matière de foi et de morale (Auch).

Comme les écrits scandaleux, seront interdites les œuvres d'art licencieuses, les tableaux, les gravures, les statues susceptibles de blesser la décence et la pudeur (Caux).

Protégée ainsi contre ses ennemis protestants, juifs, philosophes et libertins, l'Eglise demande que l'Etat remette en vigueur les anciennes lois relatives à la sanctification du dimanche, à l'observation des fêtes chômées, au respect des jeûnes et abstinences prescrits par la loi ecclésiastique.

Le clergé du pays de Caux demande la suppression des foires et marchés fixés au dimanche, la fermeture des cabarets et des jeux publics, sources de scandales et de désordres.

Châtillon-sur-Seine voudrait qu'on ne pût jamais travailler le dimanche ou un jour de fête sans la permission écrite du curé.

Presque tous les cahiers réclament au moins la fermeture des cabarets pendant les offices.

La vicomté de Paris tonne aussi contre la licence des théâtres. L'abus des théâtres, dit-elle, est monté à son comble, soit qu'on considère la nature des pièces qu'on y représente, dans lesquelles la religion, les mœurs, le gouvernement et tous les ordres de l'Etat sont également outragés, soit qu'on fasse attention à la multitude qu'on en a laissé établir, notamment dans la capitale, d'où des troupes d'acteurs et autres histrions se répandent dans les campagnes et y portent la corruption, et à l'excès auquel on s'est porté en apprenant à des enfants, dès l'âge le plus tendre, à exercer une profession que les lois civiles elles-mêmes flétrissent.

Le luxe effréné des femmes n'est pas moins dommageable à la morale que les excès du théâtre ou de la presse. La vanité a fait peut-être plus de mal que les mauvais livres, et certains cahiers semblent pousser à la remise en vigueur des lois somptuaires :

Tant de femmes mondaines, dit le cahier du Boulonnais, oubliant que la pudeur et la modestie sont le plus bel ornement de leur sexe, mettent leur gloire dans le vain étalage de leur parure, dont l'affectation superbe montre la petitesse de leur esprit, qui se repaît follement d'un état étranger à leur âme et à leur corps et tiré en grande partie de la dépouille de vils animaux.

C'est fort bien fait de prêcher la morale et de combattre la dissipation, le théâtre, le jeu, le luxe, tout ce qui peut prêter au vice plus d'attrait et plus de puissance ; mais il importe surtout de songer aux jeunes générations qu'il faut préserver de l'erreur et reconquérir à la foi et aux bonnes mœurs.

Le clergé aborde résolument le grand problème de l'éducation, reconnaît qu'elle est partout en décadence, rend en passant un légitime hommage à une société célèbre qui a laissé des regrets et un vide qui n'a pu encore être rempli (Bar-sur-Seine, Castelnaudary, Lyon, Péronne), et pose les principes dont le législateur devra s'inspirer dans la réforme de l'enseignement national.

Les grades universitaires ne seront plus donnés par complaisance, mais seront conférés à la suite d'épreuves sérieuses et sévères (Bigorre).

Les chaires des Universités et des collèges seront réservées à des hommes uniquement consacrés à cette fonction, aussi recommandables par leurs bonnes mœurs et leur piété que distingués par la science (Caux).

Et, pour trouver ces hommes, la plupart des cahiers proposent de s'adresser aux ordres religieux, tout prêts, disent-ils, à assumer cette tâche, persuadés qu'ils trouveront dans son accomplissement un renouveau de vie et de popularité (Angoumois, Artois, Auxois, Nivernais).

Les évêques seront les inspecteurs-nés des collèges dirigés par les réguliers ou les séculiers (Angoumois, Caux). Les maisons d'éducation qui se sont fondées en dehors du contrôle épiscopal disparaîtront.

L'enseignement primaire sera développé. Chaque paroisse sera invitée à entretenir une école ; mais c'est au curé qu'appartiendront la nomination du maître, la surveillance de son enseignement et le droit de le révoquer, lorsque le bien des paroissiens paraîtra l'exiger (Bar-sur-Seine).

Le maître d'école, dit énergiquement le cahier de Mantes, sera toujours le clerc du curé.

Tel est, dans ses grandes lignes, le plan de réformes proposé par le clergé de France en 1789. Assez éclairé pour comprendre qu'une réforme politique s'imposait, assez libéral pour la vouloir sérieuse et efficace, le clergé se laisse aveugler par l'amour-propre et l'esprit de corps, toutes les fois qu'il s'agit de sa propre cause. Il prétend former un pouvoir politique dans l'Etat et en être le premier ordre. Il entend conserver sa hiérarchie, ses prérogatives honorifiques et utiles, ses biens-fonds, ses dîmes et le droit d'administration le plus étendu sur son personnel et sur son patrimoine. Il se prononce pour la conservation des ordres religieux. Il réclame pour le catholicisme le monopole du culte public et désigne aux rigueurs du gouvernement ses adversaires protestants, juifs et philosophes. Il se croit en droit d'imposer à tous le respect de ses rites et de ses règles. Il sollicite l'assistance du bras séculier contre les licences de la presse, du théâtre et des mœurs. Il prétend se réserver le monopole de l'enseignement, comme celui du culte. Dans le domaine religieux, intellectuel et moral, rien n'échappera à sa surveillance, rien ne pourra germer ni grandir sans sa permission. Le régime qu'il rêve pour la France est donc une véritable théocratie, et vouloir imposer un pareil système à la France de 1789, c'était indubitablement ne la pas connaître.

 

 

 



[1] Cf. Mavidal et Laurent, Archives parlementaires (1re série, tomes II à VI).

[2] Droits sur les boissons particuliers au Beauvoisis.

[3] Chassin, Les Cahiers des curés.