HISTOIRE DU PASSAGE DES ALPES PAR ANNIBAL

 

LIVRE PREMIER.

CHAPITRE X.

 

 

Continuation de l'histoire de Polybe. - Attaque des Centrones. - Arrivée au sommet des Alpes. - Discours d'Annibal à son armée.

 

Ces guides marchèrent donc devant les Carthaginois pendant deux jours ; mais le peuple dont nous avons fait mention, ayant rassemblé toutes ses forces, se mît à la poursuite de l'armée, et l'attaqua pendant qu'elle passait à travers une vallée étroite, d'un accès difficile et bordée de rochers escarpés.

Chap. 53. Toute l’armée aurait péri dans cette occasion, si Annibal, redoutant de la part des Barbares quelque dessein perfide, n'avait pas fait marcher en avant la cavalerie et les bêtes qui portaient le bagage, et s'il n'avait pas composé l’arrière-garde de l'infanterie pesante, en sorte que, sous la protection de celles-ci, la perte ne fût pas aussi considérable qu'elle aurait pu l'être. Cette infanterie soutint l'attaque des Barbares ; mais cependant un grand nombre d’hommes, de bêtes de somme et de chevaux furent taillés en pièces.

Car les ennemis s'étant emparés des lieux élevés, et marchant du même pas que les Carthaginois qui suivaient le pied de la montagne, les premiers firent rouler des pierres sur eux, ou les lançaient avec la main, ce qui réduisit l’armée au dernier degré de l’effroi et du danger ; tellement qu'Annibal fut obligé, avec la moitié de ses forces, de passer la nuit dans le voisinage d'un certain rocher blanc, séparé de sa cavalerie et de ses bêtes de somme, les protégeant pendant qu’elles défilaient au travers du ravin, ce qui dura pendant toute la nuit.

Mais le jour suivant l'ennemi s'étant retiré, Annibal rejoignit sa cavalerie et ses bêtes de charge, et les conduisit au plus haut sommet des Alpes. Aucuns des Barbares n'osaient attaquer le gros de l'armée, mais ils la harcelaient par petits détachements, et dans les endroits avantageux ; car les uns se jetaient sur les derniers rangs, d'autres sur ceux qui étaient les plus avancés, et, de cette manière, ils enlevaient toujours quelque partie des provisions et du bagage. Dans cette circonstance les éléphants furent d'un très-grand service, car partout où ils paraissaient, l'ennemi n’osait approcher, étant frappé d'étonnement à la vue de ces animaux.

Annibal étant arrivé le neuvième jour au sommet, fit camper ses troupes pendant deux jours, pour donner du repos à ceux qui étaient arrivés sains et saufs, et pour attendre ceux qui étaient restés en arrière. Pendant ce temps-là, plusieurs chevaux qui avaient été jetés par terre, et les bêtes de charge qui s'étaient débarrassées de leur fardeau, suivirent les traces de l’armée, et, à sa grande surprise, arrivèrent droit au camp.

Chap. 54. Il, avait déjà beaucoup de neige sur les sommets des montagnes, car c'était le temps du coucher des Pléiades. Annibal remarquant que le plus grand nombre de ses soldats étaient plongés dans l'abattement, tant à cause des maux déjà soufferts qu'à cause de ceux qui les attendaient encore, les rassembla pour les haranguer, et profiter de la circonstance, car ils avaient maintenant l'Italie sous leurs yeux.

Ce pays en effet est situé au pied de ces montagnes, de manière que, regardant à l'entour, on peut dire que les Alpes sont la citadelle de toute l’Italie.

C’est pourquoi, leur montrant du doigt les plaines qui bordent le Pô, leur rappelant la bonne disposition des Gaulois qui habitaient ces contrées, et leur indiquant même l'endroit où Rome était située, il ranima jusqu’à un certain point leur courage.

Cette partie de l’histoire de Polybe nous présente plusieurs choses à examiner, et en particulier l’endroit où les Centrones attaquèrent l’armée ; le jour de son arrivée au sommet du Petit Saint-Bernard, et le sens qu'il faut donner au discours qu'Annibal adressa à ses soldats.