LOUVAIN - LEFEVER FRÈRES ET SŒUR, ÉDITEURS - 1889.
AVANT-PROPOS.Au commencement du mois d'août de la présente année 1889, je reçus le prospectus d'un ouvrage intitulé : Recherches relatives à l'histoire ancienne de l'Orient, par Hugo Winckler (Untersuchungen zur Altorientalischen Geschichte, von Hugo Winckler, Leipzig, 1889). Cette annonce piqua vivement ma curiosité par les lignes suivantes : Le mémoire sur la Position des Chaldéens dans l'histoire renferme une esquisse du développement de la puissance de ce peuple, qui se pose en ennemi des Babyloniens, et qu'il faut en conséquence bien distinguer de ceux-ci, depuis le moment où nous pouvons constater son apparition, jusqu'à sa victoire définitive sous Nabopolassar et Nabuchodonosor. L'empire néo-babylonien de ces derniers n'est point babylonien par son caractère national, mais chaldéen. Je fus frappé à la lecture de ces lignes, parce qu'elles formulent une thèse que j'ai défendue moi-même en 1877, dans la Revue des questions historiques, et que j'ai publiée à part, sous le titre : Les Chaldéens jusqu'à la formation de l'empire de Nabuchodonosor. Et pour qu'on ne me soupçonne pas d'exagération, je cite l'énoncé de ma thèse, tel qu'il se trouve dans une notice lue à l'Académie des Inscriptions par le baron J. de Witte, le Il janvier 1878 : Le mémoire que je dépose sur le bureau est un plaidoyer ingénieux en faveur de cette thèse que les Chaldéens de Mérodachbaladan, précurseurs de ceux de Nabopolassar et de Nabuchodonosor, ne représentent pas à Babylone, la cause nationale dans leurs luttes avec les souverains de l'Assyrie ; ils étaient pour cette ville fameuse des conquérants et des étrangers aussi bien que les Assyriens à qui ils disputaient la suprématie[1]. Ma surprise fut encore plus grande, quand j'eus sous les yeux le livre de M. Winckler. Je vis que la section consacrée aux Chaldéens reproduisait tout mon travail, sans même en changer le plan. Les deux mémoires contiennent : 1° Un préambule renfermant les mêmes idées fondamentales sur les affinités ethniques des Babyloniens et des Chaldéens, et sur le caractère des premiers, faciles à accepter le joug étranger. 2° La série très longue, dans le même ordre, des données assyriennes relatives aux Chaldéens, données toujours interprétées dans le même sens, sauf, chez M. Winckler, l'emploi de sources mises au jour depuis 1877 ; — le développement de cette idée qu'à partir de Mardukbaladan, les Babyloniens oscillent entre les Assyriens et les Chaldéens, qui se disputent la possession de leur territoire ; — de là, l'attitude variable des rois de Ninive à l'égard des Babyloniens. 3° L'examen des données classiques sur le sujet, où l'on remarquera des deux côtés une note mettant en relief d'après la Bible, le caractère chaldéen de la dynastie de Nabopolassar ; — un contraste entre l'ardeur belliqueuse des Chaldéens et l'apathie des Babyloniens ; — l'application de Nabuchodonosor, chaldéen, à s'attacher le peuple annexé, les Babyloniens, par ses grands travaux pour l'embellissement et l'utilité de leur ville. 4° La fusion des deux peuples par suite de la servitude commune, à partir de la conquête persane. A ce fait, les deux mémoires rattachent des considérations sur le mot chaldéen devenu synonyme de devin. Je me suis permis çà et là l'introduction de données bibliques. Un seul de ces rapprochements se retrouve chez M. Winckler. Mais cette différence, obtenue par simple suppression, ne démontre pas l'originalité de la dissertation nouvelle. Elle tient au parti pris, chez M. Winckler, comme il le déclare lui-même, p. vu, d'éviter ces rapprochements. S'il n'a pas été fidèle jusqu'au bout à son principe, cela décèle encore l'influence de mon travail sur le sien, d'autant plus que le rapprochement qu'il établit se trouvait déjà chez moi. Il est d'une extrême importance de remarquer que l'ensemble des idées développées dans les deux mémoires n'a pas cours ailleurs ; qu'on n'en trouve nulle part le rapport et l'enchainement indiqués ; que M. Winckler aurait parfaitement raison de donner son travail pour très original, si je ne l'avais devancé de douze ans. Les deux dissertations présentent sous un jour tout nouveau l'histoire chaldéo-babylonienne durant les trois siècles qui précèdent Cyrus. Un regard sur les plus récentes histoires assyro-babyloniennes suffira pour s'en convaincre. La conclusion qui se dégagea pour moi de coïncidences si singulières, se trouva confirmée par la préface du nouvel ouvrage[2], où je remarquai ces mots : Ces recherches ont pour objet des questions qui ne me paraissent pas avoir été suffisamment élucidées ou assez complètement traitées. D'autres feront ressortir jusqu'à quel point j'ai apporté du neuf. Ici, M. Winckler met une note qui trahit une préoccupation diamétralement opposée à l'indifférence qu'il affecte : Ce n'est qu'au cours de l'impression que j'ai appris à connaître l'Asie occidentale dans les inscriptions assyriennes par Delattre, où l'identité de la presqu'île du Sinaï et du Milukhkha se trouve démontrée exactement de la même manière que chez moi p. 99. Il est impossible que M. Winckler ait ignoré si longtemps l'existence de cet autre travail, publié en 1885. Il l'a connu ne fût-ce que parce qu'il a été enregistré dans les listes bibliographiques du Literatur-Blatt für orientalische Philologie et de la Zeitschrift für Assyriologie. Du reste pour ignorer une publication assyriologique quelconque à Berlin, où tous les périodiques du monde sont du plus facile accès, M. Winckler a dû fermer les yeux, et nous verrons qu'il les ferme souvent avec de singuliers à-propos. Mais il n'en était pas réduit aux simples renseignements bibliographiques en ce qui concerne notre Asie occidentale. L'ouvrage a été cité par M. Bezold dans un livre que tous les assyriologues consultent (Literatur, pp. 70, 74, 81) ; par M. Hommel (Geschichte, pp. 548, 557, 579, 584). Il en a été rendu compte dans l'Academy (20 mars 1885) ; dans la Berliner Philologische Wochenschrift (12 février 1 887) par M. Schrader, le maitre de M. Winckler ; dans le Literatur-Blatt für orient. Philologie (t. III, 1836, pp. 82*-83*) par M. Oppert. Le développement que M. Winckler reproduit, a été tout particulièrement signalé par l'Academy (20 mars 1886) ; par M. Sayce dans le Muséon (t. V, 1886, p. 502) ; par Amiaud, article Sirpourla, dans la Revue archéologique (juillet-août 1888), dans le tirage à part du même article, et dans les nouveaux Records of the Past (t. I, p. 53). Malgré tant d'indications, qui émanent de six assyriologues très en vue, M. Winckler, à l'en croire, n'a pas eu connaissance de notre Asie occidentale, et c'est le même M. Winckler qui nous a reproché (Berliner Phil. Wochenschrift, 4 mai 1889) de n'avoir pas fait usage pour un travail publié à Bruxelles le 20 janvier dernier, au milieu d'une livraison de 350 pages, dans la Revue des questions scientifiques, d'un mémoire qu'il avait publié à Berlin le 20 décembre précédent. Je lui reproche avec infiniment plus de raison d'avoir dérobé à mon Asie occidentale une démonstration à laquelle il attache justement la plus grande importance (voir son ouvrage, p. 99) pour l'étude des expéditions assyriennes en Égypte. M. Winckler a fort bien fait d'appeler mon attention sur une coïncidence qui s'ajoute à tant d'autres. Du reste, la reconnaissance de ma priorité en ce point cache un piège. M. Winckler se donne à peu de frais un brevet de probité littéraire, destiné à lui servir de bouclier, si je revendique la propriété de son chapitre sur les Chaldéens. Mais la tendance à supprimer les travaux d'autrui par une fiction qui a toujours été à l'usage des plagiaires, est trop évidente chez lui ; elle s'est manifestée dès ses premiers écrits. Ainsi son travail sur la Chronique Babylonienne, étudiée avant lui par M. Pinches, débute en ces termes : La chronique dont je vais publier ici la première édition est conservée au British Museum sous la notation 84, 2-11, 356. Th. G. Pinches en a traité le premier dans les Proceedings of soc. of Bibl. arch. et il y a donné un bref résumé du texte. Si on veut en rapprocher mon édition, qu'on le fasse. Quant à moi, qui n'attache aucune importance à ces minces travaux, je n'ai pas cru qu'il valût la peine de le consulter[3]. Sur quoi donc repose le jugement de M. Winckler, s'il n'a pas vu ? A dire le vrai pourtant, le résumé de M. Pinches, qui a été fait sur la tablette même lue sans le secours de personne[4], est loin de mériter le mépris dont on l'accable. On peut s'en assurer en le rapprochant de la copie du texte par le P. Strassmaier. A coup sûr, il a infiniment plus d'originalité que le travail (?) de M. Winckler sur les Chaldéens. Cette dissertation, qui coïncide si parfaitement avec là nôtre, antérieure de douze ans, figure dans l'ouvrage de M. Winckler à côté d'un mémoire ayant pour objet l'histoire médique et paleo-persique. Dans ce chapitre, l'auteur cite souvent notre travail sur Le peuple et l'empire des Mèdes[5], en l'amoindrissant le plus possible, mais de façon à montrer qu'il le conne d'un bout à l'autre. Or il se rencontre dans cet ouvrage un article distingué par ce titre particulier : Formation de l'empire chaldéen, parallèle au développement de l'empire mède. Le chapitre ne pouvait pas échapper à M. Winckler, qui se montre très préoccupé de ce parallélisme (pp. 63, 121) ; et c'est le résumé, à un point de vue spécial, d'une partie de notre travail sur les Chaldéens. Actuellement, on pourrait extraire les mêmes pages du livre de M. Winckler, à part certains détails qu'il n'a été possible de rectifier qu'au moyen de textes rendus accessibles depuis la publication de nos Mèdes. Je tiens à citer en entier ce passage, qui se lit pp. 489-191 : L'histoire des Chaldéens, qui contribuèrent beaucoup au renversement de Ninive, complète celle des Mèdes. La puissance chaldéenne fut le résultat d'un travail persévérant et dix fois interrompu, n'ayant aucune analogie avec la formation rapide des empires d'Attila, de Genghis-Khan et de Timour, auxquels on a assimilé sans ombre de raison les anciennes monarchies de l'Asie occidentale. Au commencement du règne de Sargon, Mérodachbaladan, roi de Chaldée, est solidement établi à Babylone. Il a enlevé aux Assyriens toutes les villes de Sumir et d'Akkad, Sargon subit pendant douze ans cette humiliation. Il réussit alors à déloger son compétiteur des villes babyloniennes, et à le forcer dans son dernier retranchement de Dour-Yakin. La forteresse est détruite, ses remparts sont abattus, et le pays qu'elle protégeait, ainsi que les villes du pays d'Élam alliées à Mérodachbaladan, sont livrées à des colons du pays de Kummukh sous la surveillance de préfets assyriens. Cependant cinq ou six années se sont à peine écoulées, et Mérodachbaladan porte de nouveau le sceptre à Babylone. Il est soutenu comme précédemment, par les tribus échelonnées sur la rive gauche du Tigre, depuis le pays de Ras jusqu'au golfe Persique. Une guerre s'engage entre lui et Sennachérib successeur de Sargon. Mérodachbaladan et ses alliées paraissent encore une fois anéantis : Sennachérib enlève aux tribus de Gambulu, Puqudu et autres, deux cent huit mille captifs. Mérodachbaladan reparaît deux ou trois années après simplement comme prince de Bit-Yakin au bord de la mer, une partie de la Chaldée reconnaissant alors l'autorité d'un certain Suzub. Les deux princes sont successivement battus, et si bien cette fois que, d'après Sennachérib, les gens de Bit-Yakin quittent le pays en masse et vont s'établir en Élam. Sennachérib, qui avait juré leur ruine, dirige bientôt contre eux une troisième expédition. Son armée traverse le golfe Persique sur une flotte construite à cet effet, et montée par des marins phéniciens et grecs, ses prisonniers. à tombe sur les exilés de Bit-Yakin, les réduit en captivité, et ruine le pays où ils se sont réfugiés. Après cet exploit, il revient dans la vallée de l'Euphrate, où il s'empare de Suzub, qui était pour lors roi de Babylone. Une vaste insurrection ne tarde pas à rappeler Sennachérib aux mêmes lieux. Il y rencontre une armée immense formée des contingents de toutes les provinces méridionales de l'empire, ainsi que d'Illibi et de Parsuas. A la tète de cette armée se trouvent le roi d'Élam Ummanminanu, organisateur et chef de la ligue, le roi de Babylone Suzub, qui s'était sauvé d'Assyrie, et Nabusumiskun, fils de Mérodachbaladan, qui n'occupe plus qu'une position secondaire après les pertes que sa principauté a éprouvées. Sennachérib triomphe, et suivant sa relation, cent cinquante »mille hommes de l'armée rebelle couvrent le champ de bataille. Le prince de Bit-Yakin tombe aux mains du vainqueur. Mais qui le croirait ? Sous Asarhaddon, les Chaldéens et les gens du Pays de la Mer (Bit-Yakin) reparaissent. Deux princes chaldéens, dont l'un était fils de Mérodachbaladan, doivent être successivement réprimés. Asarhaddon permet à un autre fils de Merodachbaladan de rétablir la principauté de ses pères sur le golfe Persique, Sous Assurbanipal, un prince de la même maison ne cesse de créer des embarras à l'Assyrie. Il se ligue successivement avec quatre rois d'Élam ; il voit marcher sous ses drapeaux, avec des hommes du Pays de la Mer, des Assyriens révoltés, des soldats d'Akkad, de Gandunias ei de Chaldée. La ruine des Élamites causa néanmoins la sienne ; il périt misérablement. Les inscriptions de Ninive se taisent ensuite, et l'histoire de Chaldée s'obscurcit comme celle du pays d'Assur. Mais lorsque la Bible et les écrivains classiques ramènent la lumière sur ces régions, Babylone est devenue le siège d'un grand empire chaldéen , et la voix de l'antiquité associe les Chaldéens aux Mèdes dans l'œuvre de la destruction de Ninive[6]. En terminant cette esquisse, nous renvoyions à cette note : Voir notre travail intitulé : Les Chaldéens jusqu'à la formation de l'empire de Nabuchodonosor (Extrait de la Revue des questions historiques, 1877). Il y a plus. M. Winckler, à la page 431 de son livre, critique le premier passage souligné dans les lignes suivantes de mes Mèdes (pp. 101, 102), où je commente le panorama de l'empire de Sargon d'après l'inscription des Fastes : Les grandes lignes du panorama se découvrent d'elles-mêmes. Sargon trace d'abord à l'ouest de son empire une zone extrême déterminée par l'Égypte, Vile de Chypre et le pays des Moschiens. En deçà de cette ligne, il range, du sud au nord et au nord-est : la Phénicie, le pays de Khatti (Syrie), dans lequel Sargon comprend le pays de Kummuch, voisin de l'Arménie ; l'ensemble du pays de Guti, nom collectif sous lequel sont compris l'Arménie et les pays voisins, et assez loin à l'est, puisque Sargon passe immédiatement de là au pays de Bikni, qui est probablement la Rhagiane. Du Bikni, Sargon nous mène jusqu'en Illibi, par une zone qui embrasse la majeure partie de la Media Magna sans la comprendre nécessairement tout entière. Il mentionne ensuite le pays de Ras, en le marquant comme un point de repère à la frontière (occidentale) de l'Élam. Il descend la rive gauche du Tigre, et, parcourant une série de petits districts, arrive aux marécages de l'Uknu, sur le golfe Persique. Il rattache à cette ligne, se tournant vers l'est, les tribus du pays de Yatbur, situé aux frontières d'Élam, et plus à l'est quelques villes de l'Élam. Se plaçant alors à un point remarquable aux frontières de Syrie, il descend l'Euphrate, parcourant le Kardunias, les quatre districts de la Chaldée (distincte de la Babylonie), le pays de Bit-Yakin, pour achever par l'île de Dilmun dans le golfe Persique, le cercle immense commencé à Vile de Chypre dans la Méditerranée. M. Winckler qui a jugé qu'il valait la peine de discuter dans une longue note le contenu du premier passage souligné, ainsi que d'une note que j'y rattache, ne peut pas avoir borné sa lecture à cela. Il ne fera croire à personne qu'il n'a pas lu la seconde moitié de l'alinéa, oh les mots la Chaldée distincte de la Babylonie ont dû frapper un homme préoccupé de ce point. Or à cet endroit, je mets une note où j'insiste sur le sujet. Elle est ainsi conçue : Voici quelques lignes fort justes de M. Fried. Delitzsch sur cette distinction entre les Babyloniens et les Chaldéens. Je cite alors Delitzsch, Paradies, 1881, pp. 135, et je termine par cette remarque : Nous avons présenté les mêmes observations que M. Fried. Delitzsch, en 1877, dans notre travail intitulé Les Chaldéens (extrait de la Revue des Questions historiques). — M. Winckler a fermé les yeux à propos. Mes Chaldéens sont encore cités avec le titre complet, dans le même ouvrage sur les Mèdes, à la page 53. M. Winckler connaissait donc parfaitement mes Chaldéens, qu'il retrouvait en partie dans mon mémoire sur les Mèdes, publication qu'il aurait dû citer aussi à propos des Chaldéens. Ses dénégations ne mériteraient aucune créance à cause de son parti pris d'amoindrir les travaux d'autrui, et d'en dissimuler l'existence alors qu'elle est attestée par les voix qu'il conne le mieux. L'emprunt qu'il nous a fait, est du reste prouvé par tant de coïncidences dans le fond et la forme des deux mémoires, que les attribuer au hasard irait à saper les bases mêmes de la certitude morale. Si, par impossible, dans cent ans, la critique juge nos deux publications, la mienne datée de 1877, celle de M. Winckler datée de 1889, elle n'hésitera pas à déclarer la seconde dérivée de la première. M. Winckler nous a bien exploité. Le 14 août 1886, il a défendu, pour l'obtention du doctorat, une thèse sur Mardukbaladan usurpateur à Babylone, dont il n'a pu trouver la démonstration que chez nous ; le 15 novembre 1887, il a exposé comme siennes nos idées sur les Chaldéens, à l'Akademisch-orientalischer Verein de Berlin ; enfin en 1889, il les livre au même titre à la circulation. Je dis qu'il nous a exploité, car il est inadmissible que, préoccupé de ce point d'histoire durant des années, à partir au moins de la. préparation de ses thèses doctorales, il n'ait pas remarqué, en lisant nos Mèdes l'extrait d'une dissertation dont le titre, cité en entier, révélait un contenu si intéressant pour lui ; il est inadmissible que M. Winckler n'ait pas remarqué que je renvoie à ce travail dans un alinéa de vingt-deux lignes, dont lui-même, dans son livre, critique le texte ainsi qu'une des notes qui s'y rattachent. Et peu importe au point de vue de la question brûlante que je traite ici, que mes Chaldéens aient passé en général assez inaperçus, si M. Winckler lui-même en a eu nécessairement connaissance. Au contraire, les bons ouvrages peu connus sont les plus exposés à la contrefaçon. Sans doute l'Allemagne savante, qui abonde en productions originales, dont nous avons profité nous-mêmes plus que bien d'autres, regrettera de se voir enrichie d'une dépouille dont elle pouvait si bien se passer. M. Winckler s'attache à mettre en relief l'importance de sa (!) thèse ; il estime justement que l'histoire de Babylonie au Ville et au Vile siècle, restera un chaos inextricable aussi longtemps qu'on n'aura pas démêlé nettement le rôle des Chaldéens. Ce motif, et le désir très légitime de recouvrer notre bien, nous ont décidé à donner une nouvelle édition de notre travail. Nous le complétons au moyen de sources découvertes depuis 1877, et nous y supprimons les considérations secondaires. Nous corrigeons aussi les erreurs de l'édition subreptice. Pour faciliter le jugement à porter sur cette dernière, nous conservons en général notre texte primitif, et nous mettons entre crochets [ ] les parties ajoutées ou simplement modifiées. Louvain, le 1er septembre 1889. LES CHALDÉENSJUSQU'A LA FORMATION DE L'EMPIRE DE NABUCHODONOSOR. Notre but dans ce travail n'est pas de rechercher les affinités ethniques et les premières migrations des Chaldéens, mais d'étudier l'origine et le développement de leur empire. Nous faisons surtout usage des données positives des documents originaux, et nous prenons en conséquence notre point de départ dans la grande inscription d'Assurnazirpal, roi d'Assyrie au IXe siècle avant notre ère, le plus ancien des textes cunéiformes où nous rencontrions le nom des Chaldéens[7]. Il règne une grande confusion dans la manière dont on traite ordinairement ce sujet, parce que l'on tranche, sans y regarder d'assez près, une question préalable dont la solution est d'une importance capitale. Il faut savoir avant tout, si, dans le principe, les Babyloniens et les Chaldéens sont un seul et même peuple, ou si ce sont deux peuples distincts. Au point de vue ethnographique, nous l'accordons volontiers, il n'y a pas entre eux de différence radicale, pas plus qu'entre les Assyriens et les Babyloniens[8] ; mais au point de vue géographique et politique, le langage clair et précis des inscriptions nous oblige à les séparer complètement. Le pays de Gandunias et le pays d'Akkad qui forment ce que nous appellerons Babylonie dans le cours de ce travail, sont tout à fait distincts du pays de Kaldu (Chaldée). C'est seulement à partir de Nabopolassar et de Nabuchodonosor qu'il est permis de regarder la Babylonie comme une partie de la Chaldée. Jusque-là, les Chaldéens habitent, au sud-est de la Babylonie, la plaine de l'Euphrate et la rive méridionale du Shat-el-Arab jusqu'au golfe Persique. Le rôle politique des Babyloniens et des Chaldéens nous apparaît aussi tout différent dans les inscriptions de Ninive. Les Babyloniens acceptent la plupart du temps avec docilité le joug des monarques assyriens ; les Chaldéens, au contraire, leur opposent une vigoureuse résistance. Dans la dernière' moitié du huitième siècle, l'ambition des princes chaldéens s'éveille, et nous les voyons entrer en lutte avec les Babyloniens, sur le territoire desquels ils empiètent sans cesse. Ils réussissent même à s'établir à Babylone. Les rois d'Assyrie sont obligés de les refouler périodiquement dans leurs limites. Ceux-ci posent alors en libérateurs de Babylone et des villes voisines. Les affaires, il est vrai, prennent à certains moments une autre tournure ; les Babyloniens se lassent à leur tour de la domination assyrienne et font cause commune avec leurs belliqueux voisins. Après Assurbanipal, les inscriptions cunéiformes ne jettent plus aucune lumière sur notre sujet. Le dernier roi d'Assyrie, Assuredilili, fils d'Assurbanipal, n'a laissé que quelques lignes insignifiantes, et les inscriptions babyloniennes de Nabuchodonosor et de ses successeurs découvertes jusqu'aujourd'hui, ont presque toutes un caractère exclusivement religieux. Mais puisque les écrivains grecs, aussi bien que les écrivains hébreux, affirment l'existence d'un grand empire Chaldéen à Babylone après la chute de Ninive, il est naturel d'en conclure que les princes chaldéens, persévérant jusqu'au bout dans leurs efforts ambitieux, se sont enfin établis d'une manière définitive dans cette capitale, et que leurs compatriotes, mêlés à l'ancienne population, en forment désormais l'élément prépondérant. Du reste, les écrivains grecs donnent des renseignements plus véridiques qu'on ne se l'imagine sur la révolution qui transporta des bords du Tigre à ceux de l'Euphrate, le siège du grand empire mésopotamien, et sur le développement de la puissance chaldéenne à cette époque. La question que nous traitons a été dans ces dernières années [avant 1817] l'objet des recherches de plusieurs assyriologues. Parmi les solutions proposées, celle de M. Schrader est la plus éloignée de la nôtre ; car pour ce savant, dès le me siècle avant Jésus-Christ, la Chaldée est un ensemble qui embrasse la Babylonie. Nous aurons à discuter le sens des textes assyriens dans lesquels cette opinion croit trouver un appui solide. M. Fr. Lenormant a émis sur le même sujet des idées qui se rapprochent beaucoup plus des nôtres, dans un ouvrage également important pour l'étude de la philologie et de l'histoire[9], mais nous nous séparons de lui en deux points essentiels. M. Fr. Lenormant considère l'union des Chaldéens, et des Babyloniens [Akkadiens-Ganduniens]. comme faite dès le vue siècle ; pour nous, au contraire, elle ne s'opère qu'un siècle plus tard. La distance qui nous sépare en cette matière .est si grande, que le prince chaldéen Mardukbaladan [plus exactement Mardukbaliddin], dans lequel nous voyons un tyran de Babylone et un usurpateur étranger, est pour M. Fr. Lenormant un patriote babylonien au VIIIe siècle avant Jésus-Christ[10]. Le même auteur fait des Chaldéens une tribu des Akkads ; nous, nous faisons des Chaldéens et des Akkads deux peuples congénères, ou tout au moins nous reconnaissons en eux deux peuples de même civilisation, de même religion et de même langue, à l'époque où nous commençons à suivre les Chaldéens, mais malgré cela deux peuples différents ; et cette différence nous la trouverons encore nettement marquée dans un texte d'Assurbanipal, l'avant-dernier des Sargonides. Comme nous l'avons dit, c'est dans la grande inscription d'Assurnazirpal qui régnait en Assyrie au ixe siècle avant notre ère, que nous rencontrons la première mention des Chaldéens. Ce monarque termine le récit d'une expédition sur les bords de l'Euphrate par ces mots : La crainte de ma puissance s'étendit jusqu'au pays de Gandunias, le progrès de mes armes terrifia la Chaldée[11]. Ici, déjà, le pays de Gandunias, dans lequel tous les assyriologues s'accordent à reconnaître la Babylonie, et le pays de Kaldu nous apparaissent comme tout à fait distincts ; car il ne peut être question de parallélisme dans une inscription historique du genre le plus simple. Salmanasar II, fils et successeur d'Assurnazirpal, parle aussi des Chaldéens. L'extrait que nous allons citer du document le plus complet que nous possédions de ce prince, jette beaucoup de lumière sur, notre sujet. Nous y voyons en effet que la Chaldée est géographiquement et politiquement différente du pays de Gandunias (Babylonie), que le pays de Gandunias est le même que le pays des Akkads, ou tout au moins que ces deux pays étaient inséparablement unis ; et enfin que la Chaldée s'étend jusqu'à la mer. Ce dernier point, à la vérité, n'est qu'insinué, mais d'autres textes le mettent hors de doute : Dans ma huitième année, dit Salmanasar, Mardukbelusate se révolta contre son frère Marduknadinsumu, roi de Gandunias. J'allai au secours de Marduknadinsumu et je pris la ville de Mie-Turnat. Dans ma neuvième campagne, je marchai pour la seconde fois vers le pays des Akkads, j'assiégeai la ville de Gananate. La crainte de la puissance d'Assur et de Marduk terrifia Mardukbelusate ; pour sauver sa vie, il s'enfuit dans les montagnes ; je l'y suivis. Je fis périr par les armes Mardukbelusate et ses complices, je me rendis aux grandes villes, je fis des sacrifices à Babylone, à Borsippa, à Cutha[12]. Les affaires de la Babylonie ainsi terminées, Salmanasar marche contre un autre pays, soumis à des princes différents, et ce pays c'est la Chaldée. Il ajoute : Je marchai sur le pays de Kaldu, j'en pris les villes, je reçus les tributs des rois de Kaldu, et le progrès de mes armes porta la terreur jusqu'à la mer[13]. [Un récit du même roi nous apprend que les Chaldéens possédaient des territoires sur les deux rives de l'Euphrate : Je quittai Babylone. Je me rendis au pays de Raidi. J'approchai de Baqàni, forteresse d'Adini, fils de Dakuri. J'assiégeai la ville et la pris. Salmanasar raconte alors le pillage et la destruction de la ville, et continue ainsi : Je quittai Baqàni. Je traversai l'Euphrate derrière lui (Adini), et j'approchai d'Inzudi, la ville royale d'Adini, fils de Dakuri. Adini se soumet au tribut. Le roi d'Assyrie continue sa marche jusqu'au golfe Persique et y reçoit le tribut de Yakin, roi du Pays de la Mer, dont le royaume distinguera dans la suite parmi toutes les principautés chaldéennes[14].] La distinction entre les Chaldéens et les habitants du pays d'Akkad, ou Babylonie, se maintient dans les annales de Samsiraman, roi d'Assyrie à la fin du ine siècle. Ce prince eut à réprimer un soulèvement des Akkads, et il énumère les gens du pays de Kaldu parmi les auxiliaires étrangers de Mardukbalassuikbi, chef des insurgés[15]. Les inscriptions de Ramannirar fils et successeur de Samsiraman, ne nous offrent qu'un passage mutilé dont il est impossible de tirer aucun parti[16]. De Rammannirar, nous descendons jusqu'à Tuklatpalasar III, prince que l'on connaissait par le second livre des Rois, avant la découverte des monuments assyriens. Ce monarque, si nous nous en tenons à la chronologie assyrienne, régna depuis 745 jusqu'à 726 avant Jésus-Christ ; il fut contemporain des rois de Juda, Osias, Joatham, Achaz, et des rois d'Israël, Menahem, Phacéias, Phacée et Osée. Les inscriptions de Tuklatpalasar abondent en renseignements sur le sujet qui nous occupe. On ne saurait, par exemple, exprimer plus nettement qu'il ne le fait l'opposition qui existait de son temps entre la Chaldée et la Babylonie. Pour lui, Babylone et les villes groupées alentour sont la perle de l'empire assyrien ; la Chaldée, au contraire, est un pays voué à l'extermination. Nous trouverons les successeurs de Tuklatpalasar dans les 'Mmes disposition§ ; les monarques assyriens semblent prévoir que de terribles ennemis surgiront sur les bords du golfe Persique et que la ruine leur viendra de ce côté. Tuklatpalasar s'exprime ainsi[17] : Dans Sippar, Babylone, Barsipa, Kuta, Kis, Dilbat, Arku, les villes incomparables, j'ai immolé des victimes parfaites à Bel, Zirbanit, Nebo, Tasmite, Nirgal, Las, les grands dieux mes maîtres, et ils ont [agréé mon culte], j'ai dominé sur le vaste pays de Gandunias tout entier et j'y ai mené la royauté. J'ai balayé comme des feuilles (?) les gens de Pukudu, j'ai tué leurs guerriers, je leur ai enlevé de riches dépouilles. Ces hommes de Pukudu.......... la ville de Pillutu du pays d'Élam, je les ai annexés au pays d'Assur, je les ai confiés à mon lieutenant, gouverneur du territoire de la ville d'Arrapkha. J'ai enlevé toute la population du pays de Haldudu, je l'ai établie au pays d'Assur. J'ai bouleversé tout le pays de Kaldu (la Chaldée). Lorsque Tuklatpalasar parle de la Chaldée, il a déjà perdu de vue la Babylonie ; car il mentionne d'abord des localités appartenant au pays d'Élam, qui ne saurait être confondu ni avec la Babylonie, ni avec la Chaldée. [Parmi les princes qu'il vainquit, Tuklatpalasar nomme Khinziru, chef du Bit-Amukkani, district que Sargon rattache à la Chaldée. D'ailleurs la Chronique Babylonienne nous apprend que ce Chaldéen, qui ne peut être que le Khinziros du canon de Ptolémée, régna trois ans à Babylone[18].] Dans le même récit, se présente à nous, pour la première fois, un nom qui reviendra désormais souvent dans les inscriptions des rois d'Assyrie. Nous voulons parler de Mardukbaladan. Ce prince descendait de Yakin, qui avait fondé sur le golfe Persique la forteresse de Dour-Yakin, premier centre d'une puissance destinée à s'étendre un jour jusqu'à la Méditerranée et jusqu'au Nil. Quant à Mardukbaladan, fils de Yakin, roi de la Mer, qui du temps des rois mes pères ne s'était présenté à aucun d'entre eux, et qui n'avait point baisé leurs pieds, la crainte de la puissance d'Assur mon maître le terrifia ; il se présenta devant moi dans la ville de Sapia et me baisa les pieds. Je reçus de lui en tribut de l'or, poussière de son pays[19]... [Tuklatpalasar est dans le faux quand il affirme que Mardukbaladan, qui résume ici toute sa dynastie, ne s'était jamais présenté aux rois d'Assur pour leur faire sa soumission. Salmanasar II, à moins qu'il ne se vante lui-même à tort, reçut le tribut de Yakin, le fondateur probable de la ville de Bit-Yakin. Ces sortes de mensonges ne sont pas rares dans les inscriptions assyriennes. Nous en avons donné d'autres exemples dans notre Asie occidentale, p. 144. La principauté de Bit-Yakin, autrement dite mat Tandim = Pays de la Mer, sur laquelle règnent Mardukbaladan et ses descendants, est parfois distinguée de l'ensemble de la Chaldée, à cause de son importance relative ou de sa situation géographique toute spéciale, bien qu'elle en fasse réellement partie. Ainsi Sargon a tenu en son pouvoir, Bit-Amukkani, Bit-Dakkuri, Bit-Silani, Bit-Salla, (c'est-à-dire), l'ensemble du pays de Kaldi aussi grand qu'il est ; Bit-Yakin qui est au bord du Marrati, ou golfe Persique. Pour lui cependant, Mardukbaladan est essentiellement roi du pays de Kaldi. Sennachérib de son côté nomme gens de Kaldi, peuple de Kaldi, les habitants de Bit-Yakin réfugiés en Élam[20].] Salmanasar IV, successeur de Tuklatpalasar, ne nous a pas laissé les annales de son règne ; au moins ne possédons-nous rien de lui. Nous passons donc aux inscriptions de Sargon et des Sargonides. Les documents de ces princes, surtout ceux qui émanent de Sargon, sont précieux pour nous. Ils nous révèlent tout d'abord une grande révolution accomplie en Babylonie depuis les évènements que Tuklatpalasar nous a retracés. Pendant que Sargon s'asseyait sur le trône à Ninive, Mardukbaladan prenait le sceptre à Babylone oh il devait régner une première fois pendant douze ans, en dépit de son rival. Mais par quelle suite d'événements Mardukbaladan, ce petit roi, que nous avons laissé sur les bords de la mer, humblement soumis au tribut que lui imposait Tuklatpalasar, est-il parvenu à une si haute fortune ? Bien que les monuments originaux ne nous disent rien de positif à cet égard, la question peut se résoudre avec une probabilité suffisante. Le pays de Kaldu, en effet, avait été mis à feu et à sang par le conquérant assyrien ; seul, le fils de Yakin avait prévenu le malheur par une prudente soumission. N'ayant rien perdu de ses forces, il se rendit sans doute aisément maître de la Chaldée affaiblie et ruinée. D'ailleurs, les habitants du pays d'Akkad [Babylonie], Sargon nous l'apprendra bientôt, n'avaient plus en ce temps-là ni énergie, ni vigueur ; enfin, il paraît assez probable que Sargon lui-même ne parvint au pouvoir en Assyrie qu'à la suite d'une révolution. Dans ces conjonctures , les empiétements d'un prince ambitieux, actif, et chef d'une nation vaillante, n'ont rien qui doive surprendre. Quoi qu'il en soit, Mardukbaladan s'était rendu maitre de la Babylonie, le fait est là, et il faut l'accepter tel qu'il est. [Mardukbaladan se trouve même assez fort pour aller, dès sa seconde année, au secours du roi d'Élam, et infliger une défaite sanglante aux Assyriens. Telle est du moins la version babylonienne, qui n'a pas été inspirée par Mardukbaladan. Le témoignage de Sargon est singulièrement suspect, quand, sans même parler de Mardukbaladan, il affirme avoir vaincu le roi d'Élam en cette circonstance[21].] On s'expliquerait malaisément la position de Mardukbaladan à Babylone, si l'on n'admet pas qu'il y était soutenu par un parti. Toutefois, une chose plus certaine encore, c'est qu'un parti considérable lui faisait opposition et appelait de ses vœux le triomphe de Sargon. En tête de presque toutes ses inscriptions, Sargon se vante d'avoir délivré les villes babyloniennes d'une tyrannie sous laquelle elles gémissaient : Sargon auquel Assur, Marduk ont accordé une royauté sans pareille et dont ils ont prédestiné le nom à l'empire ; qui a réalisé l'espoir (?) de Sippar, de Nipur, de Babylone ; le protecteur de leur faiblesse, le vengeur de leurs injures[22]. Moi (Sargon) dont les dieux ont prédestiné le nom à l'empire, le [pourvoyeur] de Sippar, de Nipur, de Babylone : qui ai vengé les injures des hommes qui m'étaient soumis[23]. Les Chaldéens, au contraire, sont des hommes ennemis et rebelles[24]. Le roi des Chaldéens, Mardukbaladan, est un usurpateur qui a régné douze ans à Babylone malgré la volonté des dieux[25]. Aussi ce n'est pas sur les Babyloniens que compte Mardukbaladan, [lors de la seconde attaque de Sargon. Ne se sentant plus aussi fort que jadis], il s'enfuit précipitamment et va se retrancher dans son castel héréditaire de Dour-Yakin, non loin du golfe Persique. Il est forcé par Sargon dans ce refuge, et c'est à grand'peine qu'il échappe aux mains du vainqueur. Après la prise de Dour-Yakin, personnes et biens, tout devient la proie de Sargon, et la ville est complètement détruite. Sargon trouve dans Dour-Yakin des citoyens de Babylone, de Sippar, de Nippur, de Borsippa, mais ce sont des captifs de Mardukbaladan, dont il fait aussitôt tomber les chaînes. Quant aux hommes de Sippar, de Nipur, de Babylone et de Barsip qui se trouvaient là, sans qu'il y eût de leur faute, je fis cesser leur détention, je leur donnai du courage, il prirent leurs champs incultes qui depuis des jours reculés avaient été annexés au territoire des Suti et ils les remirent en leur propre possession. Quant aux Suti, hommes méchants, je les fis tomber sous mes armes, et je leur assignai leurs anciennes limites qu'ils avaient supprimées durant les troubles du pays[26]. Voilà des textes décisifs, et qui donnent une idée nette de la position des Babyloniens entre Sargon d'un côté et Mardukbaladan de l'autre. [Les villes de Dur-ilu, Uru, Uruk, Iridu, Larsam, également distinguées de la Chaldée dans les inscriptions de Sargon, se trouvent dans une situation analogue, entre les deux puissances rivales[27].] Mardukbaladan avait réuni dans les murs de Dour-Yakin les contingents des tribus obscures de Gambul, de Rua, de Pukudu et de Tamun ; il avait aussi pour alliés les Suti du désert, peuplades qui, depuis des jours reculés, créait des difficultés aux Babyloniens. C'est sans doute cet élément nouveau qui est destiné à raviver un jour l'énergie des Babyloniens, affaiblis par un long usage de la servitude. La nation chaldéenne était douée d'une vitalité remarquable : sans cesse abattue, elle se relevait toujours. Les princes qui la gouvernaient se montraient ardents.et opiniâtres dans la poursuite de leurs projets. Nous ne savons par quelles intrigues Mardukbaladan parvint à ressaisir le pouvoir à Babylone mais il n'en est pas moins vrai qu'au commencement de son règne, Sennachérib, fils et successeur de Sargon, fut obligé de venir l'en déloger encore une fois. Nous ne savons, disons-nous, par quelles intrigues Mardukbaladan s'était remis dans son ancienne position ; car nous ne pouvons croire que, soit la première, soit la seconde fois, il ait imposé sa domination aux Babyloniens de vive force, puisque ni Sargon. ni Sennachérib ne relèvent dans leurs inscriptions officielles une circonstance si favorable à leur cause, et si propre à leur concilier la faveur des Babyloniens. Bérose, de son côté, ne parle point non plus d'une conquête de Babylone par les Chaldéens, [mais il est vrai, comme on le verra, qu'il pouvait avoir ses raisons d'être discret en ce point]. Mardukbaladan était d'ailleurs un politique habile. Il savait se ménager des alliances puissantes, comme celles du roi d'Élam. Le bruit de la guérison miraculeuse d'Ézéchias, roi de Juda, étant arrivé à ses oreilles, il ne négligea pas une si belle occasion de se concilier l'amitié d'un prince voisin, et il envoya ses ambassadeurs féliciter le monarque juif. Les menées de Mardukbaladan ne pouvaient échapper aux regards jaloux de Sennachérib ; le monarque assyrien sentit le péril qui le menaçait du côté de l'Euphrate, et il n'eut rien de plus pressé que de tourner ses armes de ce côté. Le récit de la première campagne de Sennachérib nous révèle bien des choses. Il nous fait assister à une nouvelle défaite de Mardukbaladan, mais atteste aussi les efforts persistants et les progrès des Chaldéens en Babylonie. Mardukbaladan a des partisans dans les villes de Babylone, de Sippar, de Nipur, etc., et Sennachérib en est réduit à employer envers elles les mesures extrêmes[28]. Les populations du bas Euphrate et de la région maritime manifestent une forte tendance à l'unité et un besoin irrésistible d'autonomie ; une seule fois les Babyloniens retomberont dans leur apathie, c'est sous Assarhaddon. Sennachérib ne prend point, comme ses prédécesseurs Sargon et Tuklatpalasar, le titre de roi des Soumirs et des Akkads, il se contente de la suzeraineté. Il est évident que les princes de la maison de Yakin veulent se mettre à la tête du mouvement révolutionnaire et l'exploiter au profit de leur ambition. Cependant les habitants de la Babylonie sont toujours distingués des Chaldéens. Après avoir été défait par Sennachérib, Mardukbaladan se maintint encore en Chaldée. Sennachérib n'en finit avec lui que plusieurs années après, dans une expédition au cours de laquelle il porta ses armes jusqu'au golfe Persique. Dour-Yakin, à peine relevé de ses ruines, étant tombé une seconde fois au pouvoir des Assyriens, Mardukbaladan alla chercher un refuge dans la Susiane et nous perdons désormais sa trace[29]. Une partie de ses sujets prirent le même chemin et allèrent fonder une colonie au pays d'Élam, ils se retrouvèrent bientôt en présence de Sennachérib. Le monarque les enleva à leurs nouvelles demeures et les emmena captifs en Assyrie[30]. Nous les voyons dans la suite employés, comme ouvriers dans les grands travaux de construction qui renouvelèrent à' cette époque la face de Ninive[31]. Sennachérib créa d'abord roi de Babylone un certain Belibni[32], [qu'il dut renverser lui-même au bout de trois ans[33]]. Il mit à sa place son propre fils Assurnadinsum, mais ne put l'y maintenir longtemps. [Après six ans de règne, Assurnadinsum fut réduit en captivité par Khallusu roi d'Élam, qui lui donna pour successeur Nergalusisib. Celui-ci se maintint seize mois, et tomba ensuite au pouvoir des Assyriens. Le chaldéen Musisibmarduk qui lui succéda, eut le même sort après avoir exercé le pouvoir durant quatre ans. Le 15e jour de Nisan de sa dernière année, il s'était mesuré avec Sennachérib et avait été vaincu, si on en croit Sennachérib, mais vainqueur, si on s'en rapporte à la Chronique Babylonienne expliquée pour la première fois par M. Pinches.] A son appel on avait vu accourir toutes les tribus rangées jadis sous les drapeaux de Mardukbaladan[34]. Le fils de ce prince, Nabusumiskun amena, lui aussi son contingent, et se montra l'allié fidèle de Suzub, [comme la relation assyrienne appelle Musisibmardukl, jusqu'au jour où il tomba lui-même aux mains de Sennachérib[35]. Pendant le règne d'Assarhaddon, les Babyloniens, fatigués de la lutte, reviennent à leurs anciennes habitudes de soumissi6n. Le monarque assyrien vante leur obéissance ; Babylone est la ville soumise[36] ; il réside souvent dans cette ville et il en restaure les monuments. Mais les Chaldéens se révoltent toujours, et ils vivent en mauvaise intelligence avec leurs voisins dont Assarhaddon protège contre eux la faiblesse. C'est ainsi qu'un petit prince chaldéen ayant empiété sur le territoire de Babylone et de Borsippa, s'attira la colère du roi d'Assyrie. J'ai ravagé, dit Assarhaddon, le pays de Bit-Dakkuri, situé dans la Chaldée et ennemi de Babylone. J'ai brûlé Samsiibni, son roi..... qui s'était emparé de terres appartenant aux Babyloniens et aux Borsippiens. Je repris ces champs et je les rendis aux gens de Babylone et de Borsippa. Je mis sur son trône (de Samsiibni) Nabussallim, fils de Balasu, qui garda l'obéissance[37]. [Le Bit-Dakkuri, d'après cela, se rapprochait du district de Babylone-Borsippa, si même il n'y touchait point. Un texte Salmanasar II nous a appris qu'il se développait sur les deux rives de l'Euphrate. D'un autre côté les villes d'Uruk, Larsam et Uru, situées à proximité du fleuve, les deux premières sur la rive gauche, la troisième sur la rive droite, non loin de l'axe nord-sud de la presqu'île babylonienne, sont toujours distinguées de la Chaldée à l'époque que nous étudions. Par conséquent, la Chaldée, en remontant le cours de l'Euphrate, s'écartait du fleuve et contournait le territoire d'Uni ; elle se relevait ensuite vers le nord, pour entamer la rive gauche à l'ouest d'Uruk et de Larsam, à une distance plus ou moins grande de ces villes. Nous supposons que le Bit-Dakkuri avait maintenu, sinon élargi, le territoire qui le constituait sous Salmanasar II. L'hypothèse est justifiée par ce que rapporte Asarhaddon à l'endroit cité]. Avant ses démêles avec le Bit-Dakkuri, Asarhaddon avait eu à réprimer le soulèvement de Nabunapastuïsir, fils de Mardukbaladan J'ai vaincu Nabunapastuïsir, fils de Mardukbaladan, qui avait mis sa confiance dans le roi d'Élam, mais qui ne put sauver sa vie. Nahidmarduk, son frère, s'échappa d'Élam pour me faire sa soumission. Il vint à Ninive, ma capitale, et me baisa les pieds. Je lui assignai comme domaine toute la contrée maritime, qui avait appartenu à son frère[38]. Les descendants de Yakin ne pouvaient supporter longtemps cette suzeraineté, et nous allons les voir aussitôt relever la tête. Sous Assurbanipal, l'esprit de rébellion souffle plus fort que jamais dans les régions de l'Euphrate. Samassumukin que son frère Assurbanipal, [ou son père Asarhaddon], avait créé roi de Babylone, excite partout la révolte et cherche à se rendre indépendant. Comme nous devions nous y attendre, les Chaldéens vinrent à son secours. Mais Samassumukin fut vaincu et tomba dans les mains de son frère, qui le fit brûler dans la fournaise. Un grand nombre de Babyloniens périrent en même temps que lui dans de cruels supplices[39]. Samassumukin avait compté les Chaldéens parmi ses alliés, et pendant que ce prince soutenait une lutte inégale en Babylonie, Nabubelzikri, petit-fils de Mardukbaladan, créait des embarras à Assurbanipal dans les parages du golfe Persique. Ce prince fut, comme son aïeul, l'adversaire constant du roi de Ninive ; il fit successivement alliance avec quatre rois d'Élam pour tenir le despote en échec. Les plus grands revers ne parvinrent pas à l'abattre. Abandonné de tous, il trouva encore en lui-même assez d'énergie pour tenter un dernier effort. [On le voit rassembler des archers au pays d' Élam, et puis remuer les habitants du Pays de la Mer[40]]. Assurbanipal fait savoir à ceux-ci qu'il surveille ses démarches, et les engage à la soumission. Le ton insinuant de cette proclamation, que nous possédons mais dans un état de mutilation regrettable, est un indice des grandes difficultés dans lesquelles se trouvait alors engagé cet orgueilleux monarque[41]. Malgré tant de bravoure, Nabubelzikri eut un sort semblable à celui de ses ancêtres. Il fut enfin vaincu et obligé d'aller encore chercher un refuge au pays d'Élam chez son ancien allié Ummanaldas. Il y vit bientôt arriver les ambassadeurs assyriens auxquels son hôte, menacé lui-même, avait promis de le livrer[42]. Nabubelzikri connaissait trop bien la cruauté d'Assurbanipal, et il frémit à la pensée qu'il allait bientôt se trouver en son pouvoir ; il prit donc le parti de prévenir les tourments par une mort volontaire, et il ordonna à son écuyer de le frapper. Son serviteur ne voulut point lui survivre et ils se transpercèrent l'un l'autre. Assurbanipal avait décidément rétabli son prestige en ce temps-là ; car Ummanaldas effrayé s'empressa de remettre aux envoyés d'Assurbanipal les corps de Nabubelzikri et de son fidèle écuyer. De cette manière, le roi d'Assyrie put au moins assouvir sur des cadavres sa cruelle soif de vengeance. Ummanaldas livra en même temps aux envoyés d'Assurbanipal un officier de Samassumukin qui avait suivi Nabubelzikri au pays d'Élam. Cela seul prouverait que Samassumukin s'était concerté avec Nabubelzikri lors de sa révolte contre son frère Assurbanipal[43]. Notre principale source d'information nous manquera désormais. A partir de la mort de Nabubelzikri, les inscriptions assyriennes se taisent sur les rapports de l'Assyrie et de la Chaldée, et les inscriptions babyloniennes de Nabuchodonosor et de ses successeurs ne contiennent rien d'intéressant au point de vue de nos recherches. Jetons donc un regard en arrière, et des développements qui précédent, dégageons deux faits sur lesquels nous puissions asseoir un raisonnement. Nous croyons avoir établi d'une manière évidente : 1° que les Babyloniens (Ganduniens et Akkadiens) sont distincts des Chaldéens pendant les siècles que nous avons parcourus ; 2° que les princes chaldéens, durant la même période, n'ont cessé de travailler à ruiner la puissance de Ninive dans les régions euphratiques et qu'ils ont trahi plus d'une fois le dessein de s'établir à Babylone. Or, à la fin de VIIe siècle avant Jésus-Christ, les monuments originaux nous révèlent l'existence d'un nouvel empire qui a son siège à Babylone, et les Grecs comme les Hébreux n'ont qu'un nom pour le désigner. Les uns et les autres l'appellent l'empire chaldéen. Nous verrons malgré cela que les dénominations de babylonien et de chaldéen ne deviennent pas identiques. Mais n'est-il pas permis de conclure de ces prémisses que la tribu des Chaldéens, la plus vivace de celles qui habitaient les rives du bas Euphrate, a enfin réussi à satisfaire sa tendance séculaire, et qu'elle est devenue maîtresse de Babylone à la faveur des calamités qui accablèrent l'Assyrie sous son dernier roi ? Pour faire toucher du doigt la justesse de cette conclusion, qu'on nous permette de recourir à une similitude. J'ai suivi, je suppose, pendant quelque temps, du haut d'une montagne, les opérations d'un siège ; un brouillard me dérobe ensuite durant plusieurs jours la vue des combattants ; et lorsque le soleil reparaît, je vois le drapeau des étrangers flotter sur les tours de la ville. Un grand effort d'intelligence m'est-il nécessaire pour deviner ce qui s'est passé ? Nous croyons que l'immixtion de l'élément chaldéen dans la population babylonienne n'occasionna pas des grands bouleversements, et il ne serait pas juste de comparer l'établissement de cette race dans les villes de la Babylonie à l'occupation de l'Angleterre par les Normands francisés, ou à l'invasion de la Gaule cisalpine, par les Lombards germains. Les Babyloniens et les Chaldéens étaient proches parents, ils parlaient la même langue, ils avaient la même religion, et, selon toute apparence, un parti chaldéen existait depuis longtemps à Babylone, car Mardukbaladan avait été soutenu, [tout au moins] lors de son second séjour dans cette capitale, par une faction indigène, et nous avons vu depuis les Babyloniens et les Chaldéens faire assez souvent cause commune contre l'Assyrie. Le rôle que les Chaldéens vont jouer sous Nabuchodonosor répond exactement à l'idée que leurs ennemis, les rois d'Assyrie, nous ont donnée de leur caractère. Mais ce rôle n'était pas fait pour les Babyloniens que nous dépeignent les inscriptions de Sargon et de ses successeurs. Cela suffirait pour voir en eux deux races distinctes. Les Babyloniens, en effet, se montrent à nous dans ces antiques monuments comme une race énervée et décrépite, comme une race résignée à la servitude, lorsqu'elle n'est pas stimulée par ses voisins. Les Chaldéens au contraire sont une race pleine de vie, une race belliqueuse et vaillante, gouvernée par des chefs aussi habiles que persévérants et opiniâtres. Ce n'est pas non plus aux Babyloniens du vie siècle, c'est à d'autres hommes que s'applique le célèbre portrait des Chaldéens tracé par le pinceau du prophète Habacuc[44] : Jetez vos yeux sur les peuples, regardez, étonnez-vous, admirez, car je fais une œuvre que nul ne croira lorsqu'il en entendra parler ; voilà que je suscite les Chaldéens, un peuple farouche et impétueux, un peuple qui se répand sur la surface de la terre, et qui s'empare des demeures qui ne lui appartiennent pas. Il est effrayant et terrible, il s'élève, ne prenant conseil que de lui-même. Ses chevaux sont plus agiles que les léopards, plus rapides que les loups du soir. Ses cavaliers bondissent ; ses cavaliers s'élancent de loin, ils volent comme l'aigle qui fond sur sa nourriture. Tout ce peuple accourt au pillage... Il rassemble les captifs comme le sable. Il se moque des rois, et les princes sont l'objet de sa risée. Il se rit de toutes les forteresses : il amoncelle le sable et il s'en empare. Bien que Babylone ne soit pas située dans la Chaldée proprement dite, cette ville, une fois au pouvoir des Chaldéens, devenait nécessairement le siège de leur empire : La Babylonie était en effet le centre religieux des Sémites riverains des deux grands fleuves mésopotamiens, et il n'y avait pas de sanctuaires plus vénérés dans toute cette région que ceux de Babylone, Borsippa et Cutha. Ceux des rois d'Assyrie auxquels le ciel propice permit d'y brûler leur encens, n'ont pas manqué d'en instruire la postérité. Les villes de la Babylonie furent en conséquence l'objet de la faveur constante des monarques ninivites. Si ces princes n'y fixèrent pas leur séjour, c'est que Ninive, Calach et les autres cités de l'Assyrie étaient encore plus considérables que Babylone et les villes voisines. Dans la Chaldée proprement dite, au contraire, aucune ville ne pouvait le disputer aux cités babyloniennes. Aussi nous ne serons pas étonnés d'entendre Nabuchodonosor, tout chaldéen qu'il était[45], placer Babylone au-dessus de toutes les autres villes de son royaume : Quant à faire briller ma royauté dans une autre ville, mon cœur ne m'y a point excité. Je n'ai pas établi le séjour de ma puissance chez d'autres hommes, je n'ai point construit d'édifice nouveau, demeure de ma royauté, dans les provinces[46]. Borsippa fut aussi un des objets de la prédilection de Nabuchodonosor. Ce monarque vida ses trésors pour embellir cette sœur de Babylone. Mais si la politique commandait aux princes chaldéens d'en user ainsi à l'égard des cités babyloniennes, il n'était pas moins dans leur intérêt d'introduire dans ces villes des sujets d'origine chaldéenne en nombre considérable. Des revirements soudains étaient à craindre au milieu d'une population toute babylonienne. Mardukbaladan en avait fait une malheureuse expérience. Mais l'immixtion des Chaldéens, nous l'avons déjà dit, n'étouffa point l'élément antique ; nous croyons que l'organisation du peuple babylonien ne subit pas de modification essentielle. La suprématie revenait naturellement aux Chaldéens. Nous trouvons un indice sinon une preuve de cet état de choses dans le livre de Daniel. Parmi les diverses catégories de sages auxquels Nabuchodonosor demande l'explication de ses songes, il en est une que le livre de Daniel distingue par la dénomination spéciale de Casdim, Chaldéens. Un tel emploi du mot Casdim serait étrange si tous les Babyloniens de ce temps avaient été chaldéens ; il se justifie sans peine si l'on admet avec nous que les Chaldéens étaient une classe particulière et d'origine étrangère dans le peuple babylonien. Dès lors en effet, il était assez naturel d'appliquer la dénomination de chaldéen à un collège de prêtres recrutés exclusivement parmi les hommes de cette classe. Dans le livre de Daniel, les docteurs chaldéens ont le pas sur leurs confrères. Lorsque Nabuchodonosor s'irrite et qu'il menace de massacrer les sages, ce sont les Chaldéens qui s'efforcent de calmer le monarque et qui portent la parole au nom de tous. Mais voici des témoignages puisés à des sources différentes, et qui ne corroborent pas moins nos conclusions. Nous avons peut-être trop tardé à les produire. [Dans les fragments conservés par Josèphe, Bérose, qui écrivait à Babylone sous les Séleucides, offre des traces manifestes de la distinction qui existait à Babylone, entre les Babyloniens et la race dominante des Chaldéens, spécialement dévouée à la dynastie de Nabopolassar, roi de Babylone et des Chaldéens, et à Nabuchodonosor roi des Babyloniens et des Chaldéens. A la nouvelle de la mort de son père, d'après Bérose, Nabuchodonosor, qui faisait une guerre glorieuse dans les contrées syriennes, craignit un soulèvement en Babylonie, ce qui ne se comprend guère, si Nabopolassar, fondateur d'un grand empire à Babylone, était babylonien dans le sens propre du mot ; car alors il devait être plutôt l'idole des Babyloniens, ainsi que Nabuchodonosor, son fils, illustré déjà par tant de victoires. En proie à l'inquiétude, Nabuchodonosor, dans cette conjoncture, confia ses soldats pesamment armés, ses captifs et ses bagages à ses généraux, et lui-même, accompagné du reste de ses troupes fit diligence vers Babylone à travers le désert. Mais il fut complètement rassuré en arrivant à Babylone par le seul fait qu'il y trouva le gouvernement aux mains des Chaldéens, sous le commandement du plus qualifié d'entre eux. Ce récit de Bérose implique, à Babylone, une différence entre les Chaldéens, sur lesquels s'appuyait Nabuchodonosor, et une autre population, les Babyloniens proprement dits, dont les dispositions étaient moins sûres. Les Chaldéens formaient donc un élément assez fort pour maintenir le reste de la population dans le devoir. Ils s'étaient surtout ancrés dans le sacerdoce, extrêmement puissant dans une ville qui, comme ses sœurs Borsippa, Nipur, Buta, etc., avait durant des siècles, imposé le respect, par son caractère sacré, aux envahisseurs assyriens. Suivant les renseignements qui sont consignés dans Polybe, et qui doivent se rapporter aux temps antérieurs à la domination persane, c'était aux prêtres chaldéens qu'étaient confiés les commandements et les hautes charges à Babylone. Les Chaldéens avaient compris que la supériorité politique supposait le prestige religieux à Babylone, et dans les villes voisines, où nous allons voir qu'ils s'étaient également établis. Sous les Perses, Hérodote trouve encore les Chaldéens à la tête du culte à Babylone, et l'on sait par mille témoignages qu'ils s'y maintinrent durant les siècles postérieurs. Leur nom finit par désigner toute la classe sacerdotale, et le fait indique qu'ils s'étaient Substitués aux anciens collèges babyloniens ou qu'ils les avaient absorbés. Mais ce qui s'oublia généralement, c'est que les Chaldéens n'étaient point indigènes à Babylone. Une fois en possession du sacerdoce babylonien, si vénérable aux yeux des peuples par son antiquité, on peut croire que les Chaldéens s'approprièrent la tradition ancienne avec les trésors littéraires amassés par leurs devanciers. De son côté, Bérose, un Chaldéen dans le sens strict du mot, c'est du moins ce que je soupçonne à cause de sa qualité de prêtre, n'insiste point sur le double élément de la population babylonienne. Dans les fragments qui sont restés de ses écrits, cette distinction ne perce qu'à propos de Nabopolassar et de Nabuchodonosor. Partout ailleurs, il rattache l'antiquité babylonienne au nom chaldéen. Bérose, remarquons-le bien, ne s'adressait pas tant à ceux de son pays, qu'aux Grecs, qui employaient d'ordinaire le nom de Χαλδαϊοι pour désigner les Chaldéo-babyloniens ; il aura profité de l'équivoque du nom au profit de sa tribu. Du reste à Babylone même, où la caste sacerdotale des Chaldéens jouissait encore des profits du culte et de l'influence qui en était la suite ; il y avait danger à mettre en relief une différence d'origine à laquelle on ne pensait plus guère. D'ailleurs les prêtres Chaldéens jouaient leur rôle avec habilité. Ils songeaient avant tout à se maintenir dans leurs avantages. Ils accueillirent Cyrus à bras ouverts, si on en juge par un récit en langue babylonienne, écrit au point de vue religieux, et très hostile au dernier roi de Babylone, qu'on y accuse de tiédeur pour les choses du culte, bien qu'il se montre lui même très fervent dans ses inscriptions. Ils saluèrent de la même manière l'arrivée d'Alexandre. Dans ces circonstances, en sauvant le peuple, ils assuraient le maintien du culte et leur propre pouvoir en dépit des révolutions. Les conquérants de leur côté ne demandaient pas mieux que de s'attacher les prêtres chaldéens[47]]. Strabon assigne à la Chaldée les mêmes limites que les inscriptions assyriennes, il fait aussi des Chaldéens une race à part, et il ne considère point les Chaldéens établis à Babylone, à Erech et à Borsippa comme originaires de ces villes ; il place ailleurs les demeures de la tribu dont ils sont issus. Les philosophes habitants du pays avaient en Babylonie leur domicile à part. Ces philosophes sont connus sous le nom de Chaldéens et ils s'occupent principalement d'astronomie. Quelques-uns font également profession de tirer les horoscopes, mais ils sont réprouvés par leurs confrères. Il y a aussi la tribu des Chaldéens. Elle habite cette partie de la Babylonie qui confine à l'Arabie et à la mer qui tire son nom de celai des Perses. Les Chaldéens se divisent en plusieurs écoles. Ils se distinguent par les noms d'Orchéniens, de Borsippiens[48] et ainsi de suite selon leur secte particulière[49]. Ainsi à l'époque de l'histoire où Babylone succède aux destinées de Ninive, si les documents originaux nous manquent, les fragments de plusieurs historiens grecs y suppléent dans une certaine mesure. Nous y trouvons la suite naturelle d'événements plus anciens que nous ont révélés les fastes des Sargonides. L'élément chaldéen est le plus actif dans le travail qui transforme l'Asie. Nous avons vu que les chefs du soulèvement [jusque Nabopolassar, père de Nabuchodonosor,] étaient Chaldéens ; Abydène nous apprend en outre que les hommes qui marchaient sous leurs ordres appartenaient à la même race. Abydène fait venir des bords de la mer le ramassis de soldats qui marche à la conquête de Ninive contre Saracus[50], et cette mer, comme le remarque avec beaucoup de justesse M. Georges Rawlinson, ne peut être que le golfe Persique[51]. Les plus ardents ennemis de Ninive sont donc, en ce moment de suprême agitation, les tribus qui ont suivi jadis les drapeaux de Mardukbaladan, ces tribus toujours décimées et toujours indomptées qui viennent enfin assouvir une soif de vengeance entretenue par un siècle de luttes sans trêve ni merci. Néanmoins, ce peuple qui a tant souffert pour gagner l'indépendance et l'empire, n'en jouira que durant deux ou trois générations ! Un fait étrange à première vue, mais que nous expliquons de la manière la plus aisée, c'est qu'à partir d'une certaine époque tous les Chaldéens de Babylonie sont des devins, et que leur nom est devenu celui d'une secte. Mais le passage de Strabon cité plus haut nous a montré qu'on avait conservé çà et là le souvenir de leur origine. De plus, il faut observer que Babylone une fois soumise aux Perses et aux Macédoniens, les Chaldéens de cette ville devaient disparaître comme corps politique, éclipsés qu'ils étaient par une aristocratie étrangère. Il en était autrement de la haute position qu'ils s'étaient faite dans le domaine religieux ; car, en ce genre, une fois que leur prestige était établi, il devait se maintenir aussi longtemps que les superstitions qu'ils exploitaient. FIN DE L'OUVRAGE |
[1] Voir les Comptes rendus de l'Académie des Inscriptions, Il janvier 1878, ou le Journal officiel de la République française, 18 janvier 1878.
[2] Page VI.
[3]
Zeitschrift für Assyriologie, avril 1887, p. 148. — M. Winckler dit ces
belles choses en latin : Chronicon quod hoc loto
primum editurus sum asservatur in Museo Britanico Londinensi. notatur numeris
84. 2-11,
356. primas de eo scripsit Th. G. Pinches in Proc. of soc. of Bibl. arch.
1884, ubi textum in breveta epitomen redegit. quocum si quis editionem meam
conferre vult, faciat. equidem, quippe qui hujusmodi opuscula nullius momenti
putem, operae pretium non judicavi eam consulere.
[4] M. Winckler expose, ibid., sa manière d'éditer un texte assyrien :
Textus cuneatis litteris exaratus, qualis hic legitur, ita constitutus est, ut primo ipse archetypon describerem, deinde J. N. Strassmaier, S. J., qui textum manu scribendum comiter susceperat, item delinearet, tum ego utrumque apographon alterum cum altero et cum archetypo compararem.
Ainsi M. Winckler transcrit le texte. Le P. Strassmaier, dont les yeux et la main sont également sûrs, le transcrit à son tour, et prépare la copie autographique. M. Winckler collationne les copies entre elles et avec l'original, et s'il remarque des fautes, ce ne sont naturellement pas celles du P. Strassmaier. Il édite ensuite la copie dont on lui a fait présent. Dans les nombreux textes qu'il a publiés de la sorte ; tout ce qui lui appartient en propre, ce sont ces mots au haut des pages : H. Winckler, Textes babyloniens inédits.
[5] Dans le tome XLV des Mémoires couronnés et Mémoires des savants étrangers, publiés par l'Académie Royale de Belgique, 1883. Le mémoire a été aussi tiré à part (Paris, Leroux).
[6] Quelques détails sont rectifiés dans cette seconde édition des Chaldéens avec le secours de textes postérieurement découverts.
[7] [Une dynastie du Pays de la Mer, en assyrien mat Tamdim, avait donné trois rois à Babylone un siècle auparavant. Le fait, sans explication aucune, nous a été révélé par la liste des rois de Babylone dont M. Pluches a publié le texte avec commentaire, en mai 1884, dans les Proceedings of the Soc. of bibl. Arch.]
[8] [Dans cette comparaison, aux Babyloniens et aux Assyriens, M. Winckler substitue assez malheureusement les Français et les Italiens.]
[9] La langue primitive de la Chaldée et les idiomes touraniens, pp. 332, 333.
[10] Fr. Lenormant, Un patriote babylonien au VIIIe siècle avant J.-C., dans le Correspondant, année 1874.
[11] Inscription d'Assurnazirpal, col. III, ll. 24, 25.
[12] Obélisque, ll. 73-83.
[13] Obélisque, ll. 83, 84. — [D'après M. Hugo Winckler (p. 52) Salmanasar donnerait à Mardukbelusate l'équivalent du titre de roi de Chaldée. Il appuie son assertion sur ce que la Tablette Synchronique, col. III, l. 33, qualifie Mardukbelusate de roi im. gi. da, groupe de lecture inconnue, mais qui désignerait certainement la Chaldée.
Voici comment M. Winckler (p. 50) essaie de prouver son assertion. Mardukbelusate s'était trouvé de fait roi de Chaldée. Or le prince chaldéen Suzub, dans les documents de Sennachérib, reçoit aussi la qualification de roi im. gi. da. Dès lors, il serait certain que im. gi. de désigne la Chaldée. Le nouvel historien va plus loin. Un des rois babyloniens de la dynastie originaire du Pays de la Mer, en Chaldée reçoit quelque part l'épithète de roi im. gi. Évidemment, d'après M. Winckler, im. gi. = im. gi. da, et par conséquent le personnage en question était aussi roi de Chaldée.
Mais rien n'est plus facile que de renverser cet échafaudage. En effet :
1° im. gi n'est pas nécessairement la même chose que im. gi. da. Un élément ajouté peut changer la signification d'un groupe. Sans cela im. gi. pad, dont la lecture (Brunnow, 8394) est qatu sha duppi, devrait désigner la Chaldée, ce que M. Winckler se gardera bien d'affirmer. Donc l'identité im. gi. da = im. gi, ne repose sur rien.
2° L'épithète roi im. gi. da, appliquée à deux princes considérés comme rebelles, pourrait fort bien les désigner comme tels.
3° Le texte im. gi. da dans la Tablette Synchronique est douteux. Il a été restitué par conjecture. Il n'offre de tout à fait certain que im, d'après la copie de M. Winckler lui-même.
4° Suivant Salmanasar, Mardukbelusate n'est pas de fait, roi de Chaldée. L'affaire qui le concerne est terminée quand Salmanasar marche coutre les rois de Chaldée. Il est vrai que M. Winckler fait de Mardukbelusate un roi des rois en Chaldée, mais il a tiré cela de son imagination, pour échapper à la difficulté à laquelle son système aboutissait.
Il fallait qu'il sentit grandement le besoin d'être neuf pour ajouter des combinaisons si fragiles aux déductions solides de mon mémoire.]
[14] [Inscription des Portes de Batomi, VI, ll. 5-8. Cf. Delitzsch, Paradies, p. 202. — Les Portes de Balawat ont été découvertes par M. Rassam en 1878. Le texte qui s'y trouve gravé a été publié pour la première fois par M. Pinches, avec traduction, dans les Transactions of the Soc. of Bibl. Arch. en 1880. Il ne nous a donc pas été possible de nous en servir en 1877. — Le contenu du passage cité sera précisé plus loin par un texte d'Asarhaddon.]
[15] W. A. I, t. I, pl. 31, col. IV, ll. 37-39. [Cf. Keilinschr. Bibliothek,
p. 186.]
[16] W. A. I, t. I, pl. 35, n° 1, ll. 23, 24. Tous les rois du pays de Haldu me rendirent l'obéissance, je leur imposai tribut et don à perpétuité. Babylone, Borsippa, Kuta apportèrent le rikhat des dieux Bel, Nabu, Nirgal. Des victimes pures....
[17] W. A. I, t. II, pl. 67, ll. 11-13.
[18] W. A. I, t. II, pl. 87, ll. 23-25 ; Chron. Babyl., Col. I, ll. 18-22
; Fastes de Sargon, ll. 20, 21.
[19] W. A. I, t. II, pl. 87, ll. 26-28.
[20] Fastes de Sargon, ll. 21, 22. , Sennachérib, Taureaux, n° 3, ll. 93-54 ; n° 4, ll. 82, 83.
[21] Chron. Bab., col. I, ll. 31-37 ; Fastes de Sargon, l. 23.
[22] Cylindre (Oppert, Dour-Sark.) II. 1-4.
[23] Fastes, ll. 4-7.
[24] Fastes, l. 125.
[25] Fastes, l. 123, 124.
[26] Fastes, ll. 134-138.
[Nous traduirions aujourd'hui cette phrase plus exactement, sans que cela nuise à nos déductions historiques, de la manière suivante :
Quant aux hommes de Sippar, de Nipur, de Babylone et de Borsippa, qui se trouvaient là sans qu'il y eût de leur faute, je fis cesser leur détention, je leur fis voir la lumière. Leurs champs dont les Suti s'étaient emparés durant la désolation du pays, ils les recouvrèrent. Quant aux Suti, hommes du désert, je les fis tomber sous mes armes. Je leur assignai leurs limites négligées, qu'ils avaient supprimées durant les troubles du pays.
Les versions antérieures à notre travail rendaient ainsi le commencement du passage : Quant aux hommes de Sippar.... qui se trouvaient là exerçant leurs professions.... On lisait le texte ina lanni-shunu. Je jugeai qu'il fallait plutôt lire ina la anni-shunu = in non crimine suo sans qu'il y eut de leur faute, comme je l'ai rapporté en note dans ma première édition.
Le texte ainsi compris me révélait la situation mutuelle des Babyloniens et des Chaldéens sous Sargon. Je fis part de ma trouvaille à Fr. Lenormant, en l'avertissant que mon interprétation renversait sa thèse de Mérodachbaladan patriote babylonien au VIIIe siècle avant Jésus-Christ. Fr. Lenormant admit avec une entière franchise mon interprétation et ses conséquences ; et il en eût certainement tenu compte dans la dernière édition de son Histoire, si la mort lui avait laissé le temps de l'achever lui-même. Bien plus, il me confirma dans mes vues en me communiquant la traduction des mots suivants que je ne comprenais pas (Je fis cesser leur détention). La traduction du membre de phrase : je leur fis voir la lumière m'est fournie par Fried. Delitzsch, Wörterbuch, p. 71. Fried. Delitzsch (Ibid.) et Winckler (Sargon, t. I, p. 123) adoptent ma lecture, ina la annishunu, et ma traduction, sans qu'il y eût de leur faute.
Quant à l'extrait du Cylindre de Sargon, cité en premier lieu, nous persistons à croire que la traduction que nous en avons donnée est la vraie, bien qu'elle n'ait pas été adoptée.
Tout tient aux mots : khatin inshutishunu, mushallimu khibiltishun, que l'on a traduits jusqu'en ces derniers temps : (Sargon) qui protège leur faiblesse (la faiblesse des Babyloniens) qui punit leurs transgressions. Cette traduction est déjà rendue improbable par le fait que Sargon, quand il en vient au détail, parle toujours de l'oppression subie par les Babyloniens, jamais de leurs transgressions ou révoltes. Cela nous a porté, dès 1877, à traduire réparant leurs dommages, c'est-à-dire les dommages causés aux Babyloniens par la tyrannie de Mardukbaladan. Ma traduction, qui a toujours été la seule raisonnable, est aujourd'hui confirmée par une lettre de Burraburiyas, roi de Babylonie, qui demande à Aménophis IV réparation des dommages subis par un envoyé babylonien sur le territoire du roi d'Égypte : khibiltashu lishallimu = veuille (mon frère) réparer ses dommages. C'est la très juste, mais pas nouvelle interprétation de M. C. F. Lehmann, qui a publié et commencé à expliquer ce texte dans la Zeitschrift de Bezold, novembre 1888 (Voir pp. 397, 398).
Dans le passage extrait des Fastes de Sargon, il est parlé des Suti, nomades du désert. M. Winckler fait à leur sujet la remarque suivante : Nous trouvons ici les mêmes relations qu'au pays d'Israël, à l'époque des Juges, entre les Israélites et les Chananéens.
Le rapprochement est des plus malheureux. En Palestine les anciens habitants opprimaient les derniers venus ; en Babylonie, c'était exactement l'inverse. Les Suti sont les ancêtres des bédouins qui désolent actuellement la Syrie et la Mésopotamie, empiètent de plus en plus sur les terres des populations agricoles, et exigent d'elles des prestations ruineuses, tandis que la Sublime-Porte en réclame également le tribut, sans rien faire pour elles (Voir Wetzstein, Reiseberichte über Hauran und die Trachonen, p. 140, et surtout Ed. Sachau, Reise in Syrien und Mesopotamien, pp. 485, 311, etc.). Il se peut que sous Sargon et ses prédécesseurs, les cultivateurs babyloniens aient eu de même à payer le tribut simultanément aux Suti, qui ne les en pillaient pas moins, et aux rois de Ninive, souvent incapables de protéger leurs sujets. — Les Suti étaient les auxiliaires naturels des princes chaldéens, aussi longtemps que ceux-ci n'étaient point les maires en Babylonie.]
[27] Fastes, ll. 8, 9, 136.
[28] Prisme de Taylor, col. I, ll. 19-39. [Plus tard, il détruit Babylone (Bav., ll. 50-53)].
[29] Prisme de Taylor, col. III, ll. 42-45.
[30] Prisme de Taylor, col. IV, ll. 21-42.
[31] Cylindre de Bellino, l. 43.
[32] Cylindre de Bellino, l. 14.
[33] Chron. Babyl., col. II, ll. 23-28.
[34] Chron. Babyl., col. II, l. 30 — III, l. 24 ; Prisme de Taylor, col. V, 5 — VII, 24.
[35] Inscription de Constantinople, l. 50. — [L'histoire de Babylone sous Sennachérib est à présent mieux connue qu'il y a douze ans, grâce à la Chronique Babylonienne dont M. Pinches a donné le précis dans les Proceedings de la Société d'Arch. Bibl., mai, 1884. On trouve le texte de cette chronique (de la main du P. Strassmaier) dans la Zeits. für Assyriologie, avril 1887, pp. 163-168, avec une étude de M. Winckler, pp. 148-168, dont les résultats, sur les points communs, ont généralement coïncidé avec ceux de M. Pinches (Voir notre avant-propos). — Dans la relation de Sennachérib, Musisibmarduk et Nergalusisib sont désignés l'un et l'autre sous le nom de Suzub, et distingués par les épithètes de babylonien et de chaldéen. Suzub, qui signifie probablement sauvé, doit être une forme abrégée des deux noms, Musisibmarduk (Marduk-sauvant le sujet qui porte ce nom) et de Nergalusisib (Nergal-sauve), une forme abrégée rappelant la signification des formes pleines. — Lors de notre première édition, nous regardions les deux Suzub comme identiques. C'est que l'on ne connaissait pas encore la Chronique Babylonienne, et qu'on était partagé sur la lecture de l'épithète Kaldai, appliquée au second Suzub dans les documents de Sennachérib.]
[36] W. A. I., col. I, pl. 49, col. IV, l. 18,
[37] W. A. I., col I,., pl. 45, col. IV,
ll. 42-54.
[38] W. A. I., t. I, pl. 45, col. II, ll. 52-41.
[39] Smith, Assurbanipal,
pp. 163, 144.
[40] Smith, Assurbanipal, pp. 182, 183. A cette occasion, Assurbanipal énumère les Akkads, les Chaldéens et les Gunduniens (Ganduniens) comme des peuples distincts.
[41] Smith, Assurbanipal, pp. 189, 190.
[42] Smith, Assurbanipal, p. 252, où est publiée la lettre écrite par Ummanaldas à Assurbanipal dans cette occasion.
[43] Smith, Assurbanipal,
pp. 239, 240.
[44] I, 5-10.
[45] Nabuchodonosor, regis Babylonis, Chaldæi. Esdras, ch. V, v. 12. Le livre d'Esdras distingue les Babyloniens des Chaldéens. Dans le passage cité, il serait assez inutile d'ajouter l'épithète de chaldéen après avoir dit roi de Babylone, si Babylonien et Chaldéen c'était tout un. [M. Winckler (p. 80) attache avec raison beaucoup d'importance à cette distinction de la Bible, qu'il prétend avoir remarquée le premier.]
[46] Inscription de l'East India house, col. VIII, ll. 19-25.
[47] [Voir Bérose dans Josèphe, Contra Apionem, I, 19 ; Ant. Jud., X, où Josèphe nomme Nabuchodonosor roi des Babyloniens et des Chaldéens. — Polybe, XXXIV, II, 7. — Hérodote, I, 181, 183. — Arrien III, 16 (Ed. Dübner). Arrien ne parle des Chaldéens que comme prêtres. — Voir le récit babylonien publié et traduit par Th. H. Pinches, dans les Transactions of the Soc. of Bibl. Arch., t. VIII, p. 139-176.]
[48] Il serait plus exact de dire que les sectes se distinguent par le nom des villes qui en sont les foyers.
[49] Strabon, Édition Ch. Muller, XVII, I, 6.
[50]
Voici le fragment d'Abydène : Hinc Sardanapalus
exortus est. Post quem Saracus imperabat Assyriis ; qui suidem certior factus
turmarum vulgi collectitiarum quæ a mari adverses se adventarent, continuo
Busalossorum, militiæ ducem, Babylonem mittebat. Sed enim hic capto rebellandi
consilio, Amuhiam, Asdahagis Medorum principis filiam, nato suo Nabucodrossori
despondebat ; moxque raptim contra Ninum seu Nivinem urbem impetum faciebat. Re
omni cognita, rex Saracus regiam Evoritam inflammabat. Eusèbe, Chron.,
p. 25 (dans Müller, Fragm. Hist. Græcorum,
IV, p. 282.)
[51] The five great Monarchies, t. II, p. 44, note 2.