LA FRONDE ANGEVINE

TABLEAU DE LA VIE MUNICIPALE AU XVIIe SIÈCLE

 

CHAPITRE IX.

 

 

Antagonisme des partis à Angers après les élections municipales. Les États-Généraux. — Coutumes électorales de l'ancienne France. — Lutte politique, très-vive dans les trois Ordres, mais surtout dans le Tiers-État. — Victoire des Mazarins à Angers. — Rédaction des Cahiers. — Doléances de la province d'Anjou. — Avortement des États-Généraux. — Reprise de la guerre civile. (Mai-septembre 1651.)

 

Les élections municipales du 1er mai 1651 ravivèrent à Angers les passions populaires. Le triomphe partiel qu'elle venait de remporter à l'hôtel de ville parut n'avoir inspiré à la foule que le désir, naturel il est vrai, mais peu légal, de se soustraire aux charges publiques. Les Angevins se croyaient presque dispensés, par l'avènement de Bruneau, de payer les impôts. Les taxes esgaillées sur les paroisses, pour indemniser les hôteliers et cabaretiers, rentraient de moins en moins. Le péage établi sur les Grands-Ponts, pour aider à la réparation des monuments détruits par les grandes eaux, ne produisait presque plus rien. Nous voyons deux des collecteurs chargés d'exiger ce droit des passants, l'avocat Babin et le marchand Détriché, venir un jour se plaindre d'avoir été battus et outragés de divers coups de poing par une femme nommée Lambert et autres hommes et femmes accourus en foule, ce qui les auroit obligez de quitter ledit pont[1]. Bientôt même il ne se trouva plus personne pour remplir cette périlleuse fonction. Peu après — commencement de juin —, un nouveau symptôme de révolte se manifeste : le public murmure hautement contre les archers de la Gabelle et exige qu'ils soient expulsés du faubourg Saint-Jacques, à faute de quoy, on leur fera observer les arrests, et chastier les violences qu'ils commettent sans respect contre les particuliers[2].

D'autre part, l'ancienne oligarchie manifeste sa mauvaise humeur par les obstacles qu'elle accumule sous les pas du nouveau maire. Le Conseil de ville, où elle domine encore, intente à Bruneau un procès ridicule, pour l'obliger à payer le banquet du 1er mai[3]. Le président de la Prévôté prétend soumettre à son tribunal les officiers municipaux, qui, en qualité de nobles, ne sont justiciables que de la Sénéchaussée. Si la ville, dans une nécessité pressante, réclame les bons offices des magistrats, ceux-ci la rebutent durement. Ainsi, le 17 juin, le maire, obligé d'avancer l'étape à un régiment de passage à Angers, se voit fermer la caisse municipale. Les deniers communs sont saisis au nom des créanciers de la ville. En vain l'Échevinage demande au lieutenant-général de la Sénéchaussée la permission d'en employer une partie, sauf à la remplacer sous peu de jours. Ce magistrat refuse, et les soldats logent chez les habitants[4]. Enfin, dans le même temps, les officiers royaux usent du crédit qu'ils ont à Paris au détriment de leur ville, dénoncent les Angevins comme rebelles, et provoquent contre eux une sévère répression. Ils se plaignent surtout d'assemblées illicites de jour et de nuit, tenues en la maison de M. Lemarié, un de leurs collègues pourtant, mais qui, par exception, tenait pour le parti populaire[5].

Ils étaient mal fondés, croyons-nous, à les incriminer. Il était, en effet, assez naturel que les habitants tinssent des réunions, publiques ou privées. Car la France et l'Anjou en particulier étaient alors en pleine période électorale. La Régente, pressée par la noblesse, venait de convoquer les Etats-Généraux (17 mars, 4 avril). Les trois ordres de la nation devaient se réunir à Tours le 8 septembre pour donner leur avis sur la situation du pays et proposer leurs plans de réformes. Ce n'était pas la première fois qu'Anne d'Autriche adressait à ses sujets un appel de ce genre. En 1649, au milieu de la Fronde parlementaire, elle avait déjà ordonné la réunion des Etats. Mais le publie n'avait vu dans cette mesure qu'une ruse de guerre destinée à diviser les ennemis du gouvernement. Les élections n'avaient même pas eu lieu, et, après le traité de Rueil, le ministère n'avait plus parlé de consulter la nation. La France se montra, quoi qu'on en ait dit, beaucoup moins indifférente en 1651. Deux ans de guerre civile, de brigandages et d'agitations avaient aggravé ses maux au point de les lui rendre intolérables. Elle saisit avec empressement l'arme légale que la reine mettait entre ses mains. En l'employant bien, c'est-à-dire sans faiblesse comme sans violence, elle pouvait obtenir, sinon la réforme complète de l'Etat, du moins de profondes améliorations. L'autorité royale n'était point, comme en 1614, coalisée avec le clergé et la noblesse. Presque isolé au milieu d'un royaume à moitié soulevé, le ministère n'eût pu dissoudre les Etats-Généraux aussi facilement qu'il l'avait fait sous Louis XIII. Mais, sans nous arrêter aux suppositions, constatons que la France prit fort au sérieux l'appel du gouvernement. Dans presque toutes les provinces, la lutte électorale s'engagea avec une ardeur et un acharnement dont les historiens tiennent trop peu de compte[6]. Les violents débats et les mouvements qu'elle provoqua en Anjou suffiraient à prouver que la nation française n'avait alors perdu ni le souvenir ni le goût (le ses anciennes libertés.

Il serait malaisé de retracer les agitations dont cette province et surtout sa capitale furent le théâtre, si l'on ne donnait d'abord un aperçu des lois électorales de l'ancienne France. Ce mot de lois est peut-être un peu ambitieux. Celui de traditions serait préférable. Le mode de convocation des Etats-Généraux et d'élection des députés n'était point fixé au XVIIe siècle par d'invariables règles. De même que le roi jugeait seul de l'opportunité d'un appel à la nation, pouvait dissoudre la représentation du pays, ou ne pas tenir compte de ses votes ; de même, il dépendait de lui d'étendre, de restreindre, de modifier enfin de toutes façons le droit électoral. On voit pourtant, en repassant notre histoire, que, sur cette matière, nos souverains n'aimaient guère à innover. Ils s'écartaient, en général, fort peu, de la procédure coutumière que nous allons indiquer.

Quand le chef de l'État s'était décidé à convoquer Ies trois classes de la nation, il en donnait avis aux gouverneurs de province, en leur enjoignant de veiller à ce que l'exécution de ses volontés n'entraînât aucun désordre. Il notifiait aussi sa décision aux Baillis et aux Sénéchaux, dont les ressorts judiciaires formaient les circonscriptions électorales. Chacun de ces fonctionnaires, réduit à n'exercer guère qu'une sinécure, était remplacé dans son tribunal par deux officiers de judicature, dont le plus considérable portait le titre de lieutenant-général civil. C'était au lieutenant-général à faire exécuter les ordres du souverain. Tout d'abord, ce magistrat réunissait tous les juges-conseillers de la sénéchaussée, qui, à la requête du procureur du roi, enregistrait les lettres royales et fixait le jour dés élections. Les trois ordres étaient alors assignés à comparaître au chef-lieu de la circonscription à la date indiquée. Les ecclésiastiques pourvus de bénéfices et les nobles possédant fiefs étaient convoqués personnellement et avaient la faculté de se faire représenter par des procureurs. Les communautés religieuses, les prêtres sans bénéfices et les nobles sans fiefs pouvaient seulement envoyer des délégués. Pour le tiers-ordre, un certain nombre de paroisses — très-variable suivant le temps — étaient sommées, à son de cloche, et par proclamations faites dans les tribunaux et dans les églises, de nommer leurs représentants à la sénéchaussée. Elles procédaient à cette opération préliminaire soit par acclamation, au sortir de la messe, soit par le vote plus réfléchi des corporations d'arts et métiers ou du Corps de ville.

Au jour marqué avait lieu l'assemblée des trois ordres. Le lieutenant-général en faisait l'ouverture, recevait les réclamations relatives aux élections préliminaires, et prenait le serment de tous les membres présents. Les Etats se séparaient ensuite, et chacun d'eux procédait à part à un double choix. Il avait en effet à nommer non-seulement les députés qui devaient le représenter à l'assemblée nationale, mais aussi les commissaires chargés de rédiger le cahier de ses doléances. Cette dernière opération, que beaucoup d'historiens négligent dans leurs récits, était souvent plus importante que la première. On sait en effet que les députés aux Etats-Généraux recevaient une espèce de mandat impératif. En s'écartant du programme tracé par leurs cahiers, ils s'exposaient à être désavoués par leurs commettants. Ils restaient ordinairement très-fidèles à la ligne qui leur avait été tracée. Les rédacteurs des doléances avaient, par la nature même de leur mission, beaucoup plus de latitude. Aussi le choix de ces commissaires était-il l'acte décisif de la lutte électorale. C'était pour un parti le véritable moyen d'assurer sa victoire.

Les nominations faites par les trois ordres pouvaient être, dans certains cas, annulées par le lieutenant-général. S'il les approuvait, les députés, d'une part, les commissaires, de l'autre, prêtaient serment entre les mains de ce magistrat de s'acquitter fidèlement de leur mission, dans l'intérêt du roi et du pays. Puis, les uns se retiraient, les autres se livraient à leur travail. Tous les citoyens étaient invités à leur faciliter cette tâche en leur apportant les avis, plaintes, projets de réformes qu'ils jugeraient dignes de l'attention des Etats. Même, pour que la liberté fût plus grande, on plaçait dans l'hôtel de ville un coffre en forme de tronc, fermant à trois clefs, et chacun pouvait y déposer son mémoire sans être connu.

Enfin lorsque les cahiers étaient dressés, les ordres se réunissaient de nouveau, pour en entendre la lecture, les arrêter et les signer. Il ne restait plus aux députés qu'à se rendre aux Etats-Généraux.

La tradition laissait aux autorités locales une grande latitude pour fixer la date des opérations préliminaires et celle des élections. La France ne nommait pas en un seul jour,-comme elle le fait aujourd'hui, tous ses représentants. Certaines Sénéchaussées se hâtaient d'exécuter les ordres du roi ; d'autres y mettaient au contraire beaucoup de lenteur. En 1651, la période électorale dura plus de cinq mois. Ce temps rie suffit pas à la ville de Paris pour faire choix de ses députés ; car nous voyons qu'elle s'en occupait encore le 20 août, le 4 septembre. A ce moment, il faut le dire, presque toutes les provinces avaient déjà désigné leurs mandataires[7].

En Anjou, les opérations principales furent terminées à la fin de juin. Avant la réunion des ordres, fixée à cette époque par la sénéchaussée d'Angers, il y eut sans doute bien des réunions particulières et préparatoires. Quelques-unes durent être assez tumultueuses. Mais nous ne savons guère ce qui s'y passa. Les documents contemporains nous parlent seulement, et encore sans détails, des conciliabules qui se tinrent à Angers chez le conseiller Lemarié et d'assemblées particulières des Etats qui eurent lieu dans les ressorts de Saumur et de La Flèche. C'était une entreprise nouvelle, dit l'historien Roger[8] ; elle n'eut pas le succès qu'on espéroit, pour le peu de personnes qui s'y trouvèrent, tant du clergé que de la noblesse.

La vraie bataille fut livrée au chef-lieu de la province et à l'époque fixée par l'assemblée générale. Les deux partis qui, depuis si longtemps, se disputaient la direction municipale de la ville d'Angers, se retrouvèrent opposés sur le terrain électoral. D'un côté la faction populaire, alliée malheureusement au prince de Condé, et assez ouvertement favorisée par le duc de Rohan ; de l'autre la magistrature, presque tout entière dévouée au cardinal Mazarin, se disputèrent avec acharnement la victoire. Soit qu'ils fussent moins divisés, soit qu'ils montrassent moins de scrupules ou plus d'habileté, les officiers royaux eurent plus de succès que leurs adversaires dans cette campagne. Deux d'entre eux, personnages très-remuants et très-énergiques, qui paraissent avoir commandé tout le parti à cette époque, doivent attirer particulièrement notre attention. Le premier était Louis Boylesve, lieutenant-général civil, chef d'une famille depuis longtemps illustre[9], et attaché plus que personne à Mazarin par son frère, Gabriel, évêque d'Avranches, âme damnée du cardinal[10]. Le second, François Eveillard, sieur de Pignerolles, exerçait depuis longtemps la charge de président de la Prévôté. Il était conseiller de ville et avait été maire d'Angers en 1641. C'était un magistrat savant et qui fut de son temps une des lumières de la jurisprudence française. Il avait écrit des ouvrages estimés. La bibliothèque d'Angers conserve un manuscrit de lui fort précieux pour l'histoire du droit local ; ce sont les Erotèmes sur la coutume d'Anjou, ou demandes et réponses pour l'intelligence d'icelle (in-fol., 1218 p.). Malheureusement Eveillard devait à son caractère aigre et cassant, peut-être aussi à quelques prévarications commises dans l'exercice de sa charge, une irrémédiable impopularité. Aussi montrait-il au nouveau maire, à ses fauteurs et amis politiques, une malveillance infatigable. Inférieur à Boylesve dans la hiérarchie judiciaire, il lui était supérieur par l'influence que lui donnaient ses grands talents[11]. Réunis, ces deux hommes pouvaient mener la province entière, la faire voter à leur gré. On en eut la preuve aux élections politiques de 1651.

L'assemblée générale des trois États de l'Anjou avait été fixée au 20 juin. An dernier moment, le lieutenant-général, sans doute pour se donner le temps de mieux dresser ses batteries, la retarda de huit jours[12]. C'est donc seulement le 28 juin que le clergé, la noblesse et le tiers-ordre de la province, après avoir comparu devant lui, purent procéder au choix de leurs députés et de leurs commissaires.

Il n'y eut presque pas de lutte au sein du corps ecclésiastique. Les magistrats mazarins s'y étaient ménagé une victoire facile en s'abstenant.de convoquer un grand nombre de prêtres séculiers dont ils redoutaient l'opposition. Leur principal candidat était l'évêque d'Angers, Henri Arnauld, qui s'attachait de plus en plus au cardinal et à la Régente par horreur de la rébellion. Il passa sans conteste. Avec lui furent nommés Magdelon Heurtault de Saint-Offange, abbé de Saint-Maur-sur-Loire, et René Lamier, trésorier et chanoine de la cathédrale. Ce dernier était frère du premier président Lanier de la Guerche. Beaucoup de membres de l'assemblée auraient voulu l'écarter ; et si on eust donné les suffrages par billets, ils eussent fait autre nomination. Mais Arnauld, qui présidait, eut soin de faire exprimer les votes à haute voix. Les électeurs furent intimidés ; et le clergé angevin, bien malgré lui, n'eut que des mazarins pour représentants[13].

L'assemblée de la noblesse fut beaucoup plus tumultueuse que celle du premier ordre. Trois cents gentilshommes environ avaient répondu à l'appel du lieutenant-général. Beaucoup d'antres, ne pouvant venir, avaient envoyé leurs procurations. Le duc de Rohan, qui penchait de plus en plus vers le parti de Coudé, crut devoir porter comme candidats à la députation deux seigneurs notoirement hostiles à la Régente et au cardinal. C'étaient le marquis de la Barre, ancien lieutenant de la Trémoille, fort compromis par la part qu'il avait prise en 4649 au soulèvement d'Angers ; et le chevalier de Jarzé, frère du petit-maître dont nous avons rapporté précédemment les impertinences et la disgrâce. Grâce aux voix des absents, dont il disposa sans doute arbitrairement, le gouverneur obtint pour ses protégés une majorité telle quelle. Mais une grande partie de l'assemblée protesta contre leur élection. Chabot n'était pas fort aimé de la haute noblesse de sa province. Il avait eu des démêlés avec les Montbazon, les Brissac. Beaucoup de seigneurs le jalousaient à cause de sa rapide fortune et n'étaient pas fâchés de lui faire échec pour l'humilier. Il faut croire aussi que Boylesve, Éveillant et leurs amis n'épargnèrent rien pour augmenter la malveillance dont il était l'objet. Le fait est que plus de cent cinquante gentilshommes, présents à l'élection, déclarèrent ne pas reconnaître la Barre et Jarzé comme députés de leur ordre. Le choix du premier était inadmissible, dirent-ils, en ce que La Barre était huguenot. L'assemblée du clergé, qu'ils prièrent de se joindre à leur opposition, ne manqua pas de les approuver. Bref, une contre-élection faite par les nobles opposants valut le titre de députés à MM. de la Courbe-du-Bellay et de Chambellay, seigneurs qui devaient un peu plus tard prendre les armes en faveur de la Reine et de Mazarin (29 juin). Le baron de Villiers fut envoyé en Cour pour faire approuver cette irrégularité. Le Conseil d'État, juge de la contestation qui venait de s'élever, s'empressa d'annuler la nomination de la Barre et de Jarzé, et les élus de la minorité furent seuls reconnus comme représentants de la noblesse angevine[14].

La lutte fut plus ardente encore dans l'assemblée du Tiers-État, où, par une innovation hardie, Boylesve avait essayé de neutraliser l'influence des Frondeurs. Le parti populaire d'Angers désignait comme candidats, pour la députation, le maire Michel Bruneau et le conseiller Lemarié ; pour la rédaction des cahiers, le docteur Voisin, les avocats Leroyer, Siette, les consuls Sandon, Huet, le marchand Dupas[15]. Ces noms, abhorrés des magistrats, étaient assurés du succès, si les anciennes formes électorales eussent été respectées. En effet, d'après les traditions, l'assemblée du tiers-ordre de la province d'Anjou ne devait comprendre que les éléments suivants : 1° le Corps municipal d'Angers, soit dix-sept personnes, dont un tiers appartenait au parti populaire ; 2° la députation des seize paroisses, soit trente-cieux délégués, tous hostiles aux magistrats et à Mazarin ; 3° enfin la représentation de vingt localités secondaires, dont chacune n'envoyait au chef-lieu (le la province qu'un seul électeur : Saumur, Rangé, Beaufort, Vendôme, la Flèche, Château-Gontier, Craon, Candé, Cholet, Thouarcé, Pouancé, Brissac, Chemillé, Beaupréau, Vihiers, Ingrandes, Champtocé, Saint-Florent-le-Vieil, Segré, Châteauneuf. On voit que les paroisses d'Angers formaient la majorité et devaient emporter l'élection sans conteste. Pour les neutraliser et les dominer, le lieutenant-général imagina de convoquer à l'assemblée non pas seulement les vingt villes précitées, mais quatre-vingts ou cent paroisses de la province, et d'attribuer à chacune d'elles non plus une voix, mais deux. Mesure très-habile ; car en étendant la faculté de voter à ce grand nombre de localités, Boylesve semblait soucieux d'assurer au Tiers-État de la province une représentation plus sincère et plus complète. Il gagnait à son parti les bourgs et villages qu'il gratifiait du droit de suffrage ; il groupait autour de lui une majorité compacte. Enfin, donnant aux anciennes coutumes une extension à la fois libérale et équitable, il réduisait les Angevins à des récriminations égoïstes qui devaient assurer leur défaite.

Le coup était difficile à parer. Le maire Bruneau montra par la vivacité de ses plaintes combien Boylesve avait frappé juste. Le matin du 28 juin, au moment de se rendre avec le Corps de ville et les députés des paroisses urbaines à l'assemblée générale des trois ordres, le chef de l'échevinage protesta hautement contre les innovations du lieutenant-général. Elles feront, dit-il, un notable prejudice à ce corps et au général des habitans, les voix desquels seront surmontées en nombre par les villages, qui pourront à la pluralité faire députer telz de la compagnie qu'ils adviseront, lesquelz, comme ils ne seront point interessez aux droicts et privileges de cette ville, en mepriseront la deffense. Il demandait, en conséquence, qu'il fût fait opposition aux dites nouveautés ; que la décision du lieutenant-général, dans le cas où elle serait défavorable aux Angevins, fût frappée d'appel ; et qu'en attendant, le duc de Rohan fût prié de sursoir la deputation d'une quinzaine, pendant laquelle l'on scauroit les volontez du Roy. Les magistrats qui faisaient partie du Conseil de ville se récrièrent aussitôt. Éveillard déclara que l'assemblée n'avait pas le droit de délibérer sur de pareilles propositions, lesquelles sont de plus grande conséquence que l'on ne s'imagine. Si l'on réduisait les paroisses rurales à n'avoir qu'une voix, pourquoi celles-ci ne demanderaient-elles pas une restriction analogue au détriment des paroisses de la ville ? A cette objection le maire repartit en rappelant les anciens usages. La majorité des assistants lui donna raison. Mais Éveillard et ses collègues du Corps judiciaire, Lanier, Camus, Dumont-Avril, Gantier, de Ballée, Bourceau et Goureau, sortirent de la salle, ne voulant pas autoriser par leur présence une délibération qu'ils trouvaient illégale.

Les réclamations des Angevins furent soumises le jour même (28 juin) au lieutenant-général. La cause de la ville fut plaidée par Bruneau, celle des paroisses rurales par Guillaume Courtois, sénéchal de Durtal. Ce dernier fit ressortir l'injustice qu'il y avait à priver de représentation des localités dont l'ensemble formait la plus grande partie de la province. Boylesve n'eut garde de lui donner tort. Ce magistrat décida que, sans préjudicier à l'appel que Bruneau pourrait porter devant le Parlement, il serait passé outre aux élections suivant les nouvelles formes.

Cette sentence, bien que prévue, exaspéra le parti populaire. Les Angevins maugréèrent hautement contre les forains qui avaient été mandez et mendiez pour leur nuire. L'agitation alla si loin qu'aucuns furent maltraitez à cette occasion et menassez de prison. Le 30 juin, le maire et ses amis persistaient à ne vouloir admettre à l'assemblée électorale que les délégués des vingt anciennes villes et à repousser le doublement des voix. Le duc de Rohan, que ce tumulte effraya, dut intervenir. Et comme il ne lui convenait pas encore de rompre en visière à la magistrature, il conseilla aux Angevins de céder. Tout ce qu'il put obtenir en leur faveur fut que Michel Bruneau serait député aux États-Généraux. Mais c'était un mince avantage ; car l'assemblée donna pour collègue au maire son adversaire le plus acharné, Louis Boylesve. Les électeurs ruraux affirmèrent, du reste, leur triomphe par le choix des commissaires chargés de rédiger le cahier de l'ordre. Éveillard, président de la Prévôté, Montreuil, conseiller au Présidial, de Boissimon, procureur du roi à l'Élection, six autres magistrats d'Angers ou de la province et un avocat, nommé Coiscault, reçurent cette mission[16].

Comme on le voit, si le Corps judiciaire avait été battu aux élections municipales de mai 1651, les élections politiques de juin lui avaient permis de prendre une éclatante revanche.

Les commissaires des trois ordres angevins commencèrent sans doute dès les premiers jours de juillet leur travail de compilation et de rédaction. A quelle époque le terminèrent-ils ? Nous l'ignorons. Les cahiers qu'ils durent dresser ne nous sont point parvenus. Les vœux du clergé et de la noblesse n'ont pas laissé de traces dans les archives et les bibliothèques qu'il nous a été donné de fouiller. Pour le Tiers-État, nous avons seulement retrouvé un mémoire manuscrit, qui doit provenir de la boîte en forme de tronc où tous les citoyens étaient invités à déposer leurs avis. C'est une supplique au roi, fort incorrecte pour le style et l'orthographe, mais précieuse à consulter par les détails précis et instructifs qu'elle donne sur les souffrances de la province d'Anjou[17]. L'auteur, sans s'arrêter aux maux que ses compatriotes subissaient en commun avec toute la France, s'est attaché à décrire ceux dont son pays avait particulièrement à se plaindre.

Il s'élève d'abord avec énergie contre les tyrannies et les iniquités de la taille ou taxe sur les revenus fonciers. Sous Charles VII, elle n'avait été que de 1.800.000 livres pour tout le royaume ; sous Louis XIII elle dépassait déjà 40 millions (130 ou 140 millions d'aujourd'hui). La province d'Anjou, qui n'était pas la trentième partie du royaume par l'étendue et la population, tenait le dixième ou le douzième rang par le chiffre de sa contribution. Ce n'est pas tout ; la taille qui, dans certains pays, était réelle, c'est-à-dire assise sur la terre et non sur les personnes, était en Anjou personnelle, c'est-à-dire imposée seulement aux propriétaires et fermiers roturiers. Or la noblesse et le clergé possédaient en ce gouvernement les deux tiers, peut-être les trois quarts des biens fonds. Presque tous en jouissaient par main, c'est-à-dire sans intermédiaire, et étaient de droit exempts de la taille ; exempts aussi les magistrats, la plupart des fonctionnaires, les maires, échevins et leurs descendants, sans compter les clients des privilégiés, auxquels un patronage puissant valait d'ordinaire une immunité presque complète. Ainsy, dit l'auteur du mémoire, il n'y a que les plus pauvres et misérables... qui paient presque toutes les tailles... et qui n'ont d'autre bien que le travail de leurs mains, qui ne peut les nourrir ny leurs femmes et enfans, la pluspart d'eux aimant mieux mandier miserablement que de se voir au hasard de mourir en prison.

La province d'Anjou avait été chargée plus que les autres à l'époque de l'établissement de la taille permanente, parce qu'elle était plus riche et mieux pourvue de voies commerciales. Mais ses ressources étaient diminuées de plus des cinq sixièmes au milieu du XVIIe siècle, par suite des tributs de toute nature qui lui avaient été imposés dans les trente ou quarante dernières années. Ce malheureux pays était devenu la proie de donneurs d'avis et de partisans éhontés, qui, spéculant sur l'avidité du fisc, lui avaient inspiré ses mesures les plus vexatoires, pour en partager le bénéfice. Comme ces gens là, dit notre anonyme, issuz de la lie du peuple, se sont tellement enrichiz que la pluspart ont plus de revenu que les princes, ducs et pairs et les plus illustres maisons de vostre royaume, et font plus de despance qu'eux à leur table par le moien de la faculté qu'ils tirent des partiz, les marchans ont quitté leurs boutiques pour se faire banquiers et usuriers, de banquiers partizans et de partizans se sont jetez aux principales charges de vos finances, mesme se sont par leurs excessives richesses donné entrée en vostre Conseil. Ne croirait-on pas entendre Lesage faire le portrait de Turcaret ?

Au nombre des taxes iniques qui pesaient sur le commerce angevin jusqu'à l'étouffer, il faut citer les Aides et les Traites. Les unes étaient des impôts sur les bois-sous et autres marchandises vendues, les autres des droits de douane perçus à l'intérieur du royaume. Plus qu'aucune autre province l'Anjou avait à en souffrir. Les propriétaires de ce pays voyaient les Bordelais et les Bourguignons transporter leurs produits en franchise dans tout le royaume. Pour eux, ils étaient obligés de garder leurs vins et leurs eaux-de-vie qui, jadis, avaient fait leur principale richesse. Des droits énormes — 7 livres 16 sous par pipe de vin, 23 livres 8 sous par barrique d'eau-de-vie — détournaient en effet les étrangers de les leur acheter. Depuis les nouveaux subsides, dit avec tristesse l'auteur du Mémoire, il s'est plus planté de vignes en Bretagne qu'il n'y en a eu dans tout l'Anjou. Presque chaque année, du reste, les Aides étaient augmentées d'un, cieux ou quatre sous pour livre, et le peuple en était si exaspéré que les collecteurs, ou maltôtiers, comme on les appelait, n'osaient parfois se présenter qu'escortés de soldats au milieu des marchés. En 1647, le gouvernement s'était approprié en entier les recettes des octrois, qui faisaient la principale ressource des villes. Angers perdait du coup les deux tiers de ses revenus. H lui fallut naturellement doubler les octrois. Sous le rapport des douanes intérieures, l'Anjou était si maltraité, que l'échange des produits y était devenu à peu près impossible. Les marchands payaient pour y entrer, payaient pour en sortir, payaient pour passer les rivières. Les transports par eau y étaient soumis à six sortes de droits : Le trépas de Loire, l'ancienne réapprédation d'icellly et la nouvelle, la nouvelle imposition, l'augmentation et le droit de massicault. Par terre, les marchands ne pouvaient sans argent passer d'un bailliage ou ressort de bureau dans un autre, et la province en comptait trente-trois !

Mais toutes les haines suscitées par la Taille, les Aides et autres taxes plus ou moins vexatoires, étaient peu de chose devant l'horreur inspirée aux agriculteurs et aux pauvres gens par le plus inique et plus cruel des impôts, c'est-à-dire la Gabelle. Le sel, denrée de première nécessité, mais qui n'a sur les lieux de production qu'une valeur presque nulle, vu son abondance, était devenu dans certaines provinces l'objet d'un monopole abominable. Tandis qu'en Bretagne on le vendait librement, sur le marais, au prix de 10 livres le muid, les Angevins se voyaient condamnés à le payer 2.000 livres et ne pouvaient eu acheter qu'aux greniers royaux. Et comme les contribuables auraient pu tromper les calculs du gouvernement en se privant de sel, la loi les contraignait à en prendre une quantité déterminée, sept, dix on douze livres par personne et par an, suivant les paroisses. Les riches s'opposaient souvent à leur taxe et en obtenaient la diminution. L'Administration se dédommageait aux dépens des pauvres.

Le caractère vexatoire de la gabelle — comme de la taille, du reste — consistait surtout dans le mode de perception de cette taxe. Dans chaque paroisse l'Administration désignait annuellement huit habitants — quatre pour la gabelle et quatre pour la taille —, qui, sous le nom de Collecteurs, étaient chargés de répartir l'impôt et de le faire rentrer. C'étaient en général de fort pauvres gens, car les aisés trouvaient toujours moyen de se faire exempter de cette charge. La répartition ne pouvait être que très-irrégulière. Car ces malheureux, intimidés par les riches, faisaient retomber sur les phis nécessiteux presque tout le poids de la taxe. Qu'arrivait-il ? C'est qu'au bout de l'année, les subsides n'étant pas payés, l'Administration s'en prenait aux collecteurs, vendait leurs maisons, leurs meubles, et les mettait eux-mêmes sous les verrous. Elle établissait de plus entre eux une solidarité qui les obligeait à se cacher même après leur sortie de charge. Nous voyons qu'en 1647, les anciens collecteurs n'osaient pas venir aux foires d'Angers, de peur d'y être arrêtés. Quelquefois aussi, ces infortunés, ayant en mains l'argent des recettes, en employaient une partie à acheter du blé et du pain pour leurs familles, puis, ne pouvant la rendre, emportaient le reste, quittaient femmes et enfants et s'en alloient vagabondant où ils n'estoient pas connuz. Mais le gouvernement s'en consolait bien vite en frappant la paroisse d'une surtaxe équivalente ou supérieure à la somme soustraite.

Si les collecteurs — notamment ceux de la gabelle — s'acquittaient fidèlement de leur emploi, ils n'en étaient pas moins exposés à la rapacité déloyale des commis de l'État. Les employés, lisons-nous dans le Mémoire, retiennent pour les fraiz qu'ils font par les courses de leurs sergens, plus de la moitié de l'argent que leur portent lesdits collecteurs, quoyque ils en retirent des quittances ; car tel leur porte 300 livres qui ne raporte qu'une quittance de 150 livres. Par telles voileries et par leurs fauces balances, ilz s'enrichissent à la ruine de l'Estat et du peuple, qui ne s'ose plaindre de telles vexations, parce qu'on les feroit mourir en prison. Mais ces injustices et ces violences n'étaient rien auprès de celles auxquelles donnait lieu la fraude appelée faux-saunage. Plusieurs provinces, voisines de l'Anjou, n'étant pas soumises à la tyrannie de la gabelle, ceux des Angevins que leur résidence rapprochait du Poitou ou de la Bretagne devaient forcément céder à la tentation de faire un peu de contrebande. Mais on avait organisé contre eux une surveillance féroce. Chaque année — souvent plusieurs fois dans la même année —  on voyait défiler à Candé, Champtocé, Ingrandes, Angers ou autres lieux de longues troupes de paysans, que le bourreau fouettait dans les rues, ou qui allaient expier aux galères le crime d'avoir voulu se procurer du sel à bon marché. Souvent, les archers des gabelles, véritables voleurs de grands chemins, s'embusquaient derrière les haies, sous prétexte de guetter les faux-sauniers, tiraient sur les voyageurs inoffensifs, les tuaient ou les détroussaient, et restaient impunis. Nous ne pouvons obmettre, s'écrie notre anonyme, les meurtres, massacres, voileries et cruautez qui s'exercent sculls ce nom de gabelle. Les archers tuent les faux-saulniers aussy librement et impunément qu'ilz feroient les loups, les renartz et les serpens. Ilz en sont quittes pour un procès-verbal de rébellion, toutes les fois qu'ilz les rencontrent, quoyqu'ilz n'ayent pas ny poches ny sel. Ilz les dépouillent et leur ostent leur argent pour les empescher, disent-ils, de faire le faux saunage, et souvent les estropient ; pour leur osier la force de plus porter du sel. Soubz ce beau prétexte de faux saunage, ils vollent de pauvres gens qui n'ont jamais porté de sel. Un procès-verbal où ilz raportent que leurs habits sont humides et sentent le sel les met à couvert de la justice. Les plus cruels des archers sont les plus estimez et recompensez.

Le gouvernement mettait plus de zèle à assurer le recouvrement des impôts qu'à protéger les contribuables contre certaines calamités très-fréquentes et désastreuses en Anjou. Cette province était, nous l'avons vu, très-souvent inondée par les grandes rivières qui la traversent. En janvier 1651, douze lieues de pays avaient été recouvertes par les eaux, les arbres avaient été déracinés, les bestiaux noyés, les terres labourables ensablées et mises hors d'état de rien produire de plusieurs années. Le gouvernement n'avait rien fait pour consolider les levées et turcies destinées à défendre la province des inondations. Certaines paroisses, que la loi obligeait à les entretenir, avaient négligé ce soin, parce que les impôts les avaient réduites à un dénuement absolu. Quand les paysans se sont veuz privez de leur récolte, que leur bled n'estoit pas si tost batu qu'il ne fast saisy et vendu pour le paiement de leurs taux, ilz ont porté plus patiemment d'estre ruinez par la rivière que par les sergens.

Que résultait-il d'un tel état de choses ? C'est que le peuple mourait littéralement de faim. Qui ne serait ému à la lecture de ces lignes si pathétiques dans leur simplicité : S'il plaisait au Roy envoier secretement des gens de bien dans les bourgs et villages pour visiter les maisons de ce pauvre peuple, il sçauroit la façon de laquelle il vit, n'ayant pas la moitié du pain qu'il lui fault pour substanter sa vie, couchant sur la paille comme les bestes, sans draps ny autres couvertures que de leurs habitz. Que sy Dieu nous affligeait d'une contagion, elle seroit plus horrible que toutes les precedantes qui ont jamais esté, par ce que de cent païsans il n'y en a pas un seul qui ait nioien de se secourir. Ne semble-t-il pas que Labruyère se soit inspiré de ce morceau quand il a voulu dépeindre la misérable condition des paysans de son temps ?

Tant de souffrances faisaient naître dans les classes populaires une irritation contenue, il est vrai, mais dont la trace est visible dans le document que nous venons d'analyser. Certes les Angevins de 1651 ne songeaient point à bouleverser l'État et à proclamer la souveraineté nationale. Mais ils n'eussent point désavoué sans doute ces paroles fort significatives du Mémoire tant de fois cité : Vostre Majesté... previendra la nécessité qui justifie tout, n'estant pas possible que les choses puissent longtemps demeurer en l'estat qu'elles sont.

L'attente du public fut pourtant trompée. Les réformes demandées, qui eussent sans doute prévenu la violente explosion de 4789, n'eurent pas lieu. Les intrigues de cour, qui troublèrent Paris en 1651, et la guerre civile, qui se ralluma dans une grande partie du royaume, donnèrent à la reine-mère de spécieux prétextes pour ne pas tenir les Etats-Généraux, qu'elle avait convoqués.

Anne d'Autriche s'était, comme nous l'avons vu précédemment, rapprochée de Condé, pour tenir en échec les chefs de l'ancienne Fronde et garder au ministère les amis de Mazarin — Le Tellier, Servien, de Lionne —. Quand elle eut réussi à brouiller le prince avec le coadjuteur, elle refusa d'exécuter les promesses dont elle avait usé pour le séduire (avril-mai 1651). D'après le conseil du cardinal, qui ne cessait de la diriger du fond de son exil, elle tendit la main à Gondi. Ce prélat, peu scrupuleux, irrité du reste contre l'allié de la veille qui l'avait trahi, cabala dès lors avec la reine contre Condé, parla de l'arrêter, peut-être de le tuer. Le prince, inquiet, quitta Paris (5-6 juillet), dit bien haut qu'il n'y pouvait plus rester sans danger, et se mit à négocier avec l'Espagne. Il ne pouvait rien faire de plus funeste à sa gloire, de plus profitable à ses adversaires. La reine acheva de gagner les anciens frondeurs en renvoyant Le Tellier, Servien et de Lionne, sauf à les rappeler dès qu'elle n'aurait plus besoin de Gondi, puis elle accusa solennellement Condé d'intelligence avec l'ennemi (août). En vain le prince protesta, vint au Parlement, y amena des amis en armes, menaça le coadjuteur. Le coup était porté. Le vainqueur de Rocroy et de Lens, soupçonné de trahison, ne pouvait plus entraîner dans son parti Paris ni le Parlement. Il le comprit. Mais au lieu de se faire pardonner sa faute en rendant de nouveaux services à son pays, il l'aggrava en se jetant ouvertement dans les bras de l'étranger. Pendant que Louis XIV, déclaré majeur, l'appelait auprès de lui, et qu'Anne d'Autriche affectait de proclamer bien haut l'innocence du prince, lui promettait son affection et sa faveur, pour ne lui laisser aucun prétexte de rébellion (7 septembre), Condé se retirait à Chantilly en mécontent. On apprit bientôt qu'il avait quitté cette résidence, qu'il avait paru dans le Berry, enfin qu'il était allé soulever la Guyenne — province dont il avait le gouvernement — et qu'il y appelait des garnisons espagnoles (septembre-octobre)[18].

Le dernier acte de la Fronde allait commencer. C'en devait être le plus long et le plus triste. L'histoire voudrait pouvoir oublier qu'un prince français, qui avait été si longtemps l'orgueil et la gloire de sa patrie, en fut pendant huit ans la terreur et la honte. Le bien que le royaume aurait pu se faire pacifiquement par les Etats-Généraux fut retardé par lui d'un siècle et demi. Le désappointement et l'excès des souffrances populaires furent tels, que de nobles et patriotiques cités, comme Bordeaux et Angers, se laissèrent aller à l'alliance d'un homme qui était non plus seulement un rebelle, mais un traître.

 

 

 



[1] Arch. anc. de la Mairie, BB, reg. 83, fol. 5.

[2] Arch. anc. de la Mairie, BB, reg. 83, fol. 18.

[3] Arch. anc. de la Mairie, BB, reg. 83, fol. 4, 8, 19, 20.

[4] Arch. anc. de la Mairie, BB, reg. 83, fol. 28.

[5] C'était l'ancien major de 1649. — Arch. anc. de la Mairie, BB, reg. 83, fol. 9, 10.

[6] Sainte-Aulaire, Histoire de la Fronde, t. II.

[7] Sur tout ce qui concerne les traditions électorales de l'ancienne France, voir de Mayer, Des États-Généraux, t. VII, p. 358-399.

[8] Hist. de l'Anjou, p. 515.

[9] Elle avait la prétention de se rattacher à cet Étienne Boyleau ou Boylesve, qui publia, sous saint Louis, l'Établissement des métiers de Paris.

[10] Il fut souffleté comme tel en 1649 par le célèbre pamphlétaire Marigny. Il était fort intrigant et peu scrupuleux. Sur ce prélat, voir le Journal d'Olivier Le Fèvre d'Ormesson (publié par M. Chéruel), t. I, 665, 750 ; — et C. Port, Dictionnaire historique de Maine-et-Loire, t. I, 471.

[11] Sur Eveillard, voir C. Port, Dictionnaire historique de Maine-et-Loire, t. II, 129.

[12] Arch. anc. de la Mairie, BB, reg. 83, fol. 29.

[13] Jousselin, 455-456. — B. Roger, Hist. de l'Anjou, 515.

[14] Jousselin, 456. — B. Roger, Hist. de l'Anjou, 515.

[15] Arch. anc. de la Mairie, BB, reg. 83, fol. 35-40.

[16] Sur tout ce débat électoral, Arch. anc. de la Mairie, BB, reg. 83, fol. 33-40 ; — Jousselin, 456 ; — Roger, 515.

[17] Elle est intitulée : Memoire qui pourra servir L ceux qui seront deputez par MM. du Tiers-Estat de cette province d'Anjou pour dreser le cahier des remonstrances et plaintes dudit Ordre à la tenue des Estats Generaux de royaume convoquez par le roy en la ville de Tours au mois de septembre de la presente année 1651. — Cette pièce se trouve à la bibliothèque d'Angers (Mss. 823).

[18] H. Martin, Hist. de France, t. XII, p. 375-383.