L'ÉGLISE CATHOLIQUE ET L'ÉTAT

 

APPENDICE.

 

 

I

LOI DU 12 JUILLET 1875 SUR LA LIBERTÉ DE L'ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR

TITRE PREMIER

Des cours et des établissements libres d'enseignement supérieur.

ARTICLE PREMIER. — L'enseignement supérieur est libre.

ART. 2. — Tout Français âgé de vingt-cinq ans, n'ayant encouru aucune des incapacités prévues par l'article 8 de la présente loi ; les associations formées légalement dans un dessein d'enseignement supérieur, pourront ouvrir librement des cours et des établissements d'enseignement supérieur aux seules conditions prescrites par les articles suivants.

Toutefois, pour l'enseignement de la médecine et de la pharmacie, il faudra justifier, en outre, des conditions requises pour l'exercice ou profession de médecine ou de pharmacie.

Les cours isolés dont la publicité ne sera pas restreinte aux auditeurs régulièrement inscrits resteront soumis aux prescriptions des lois sur es réunions publiques.

Un règlement d'administration publique déterminera les formes et les délais des inscriptions exigées par le paragraphe précédent.

ART. 3. — L'ouverture de chaque cours sera précédée d'une déclaration signée par l'auteur de ce cours.

Cette déclaration indiquera les noms, qualités et domicile du déclarant, le local où seront faits les cours et l'objet ou les divers objets de l'enseignement qui y sera donné.

Elle sera remise au recteur dans les départements où est établi le chef-lieu de l'académie et à l'inspecteur d'académie dans les autres départements. Il en sera donné immédiatement récépissé.

L'ouverture des cours ne pourra avoir lieu que dix jours francs après la délivrance du récépissé.

Toute modification aux points qui auront fait l'objet de la déclaration primitive devra être portée à la connaissance des autorités désignées dans le paragraphe précédent. Il ne pourra être donné suite aux modifications projetées que cinq jours après la délivrance du récépissé.

ART. 4. — Les établissements libres d'enseignement supérieur devront être administrés par trois personnes au moins.

La déclaration prescrite par l'article 3 de la présente loi devra être signée par les administrateurs ci-dessus désignés ; elle indiquera leurs noms, qualités et domicile, le siège et les statuts de l'établissement, ainsi que les autres énonciations mentionnées dans ledit article 3.

En cas de décès ou de retraite de l'un des administrateurs, il devra être procédé à son remplacement dans le délai de six mois.

Avis en sera donné au recteur ou à l'inspecteur d'académie.

La liste des professeurs et le programme des cours seront communiqués chaque année aux autorités désignées dans le paragraphe précédent.

Indépendamment des cours proprement dits, il pourra être fait dans lesdits établissements des conférences spéciales sans qu'il soit besoin d'autorisation préalable.

Les autres formalités prescrites par l'article 3 de la présente loi sont applicables à l'ouverture et à l'administration des établissements libres.

ART. 5. — Les établissements d'enseignement supérieur ouverts conformément à l'article précédent et comprenant au moins le même nombre de professeurs pourvus du grade de docteur que les Facultés de l'État qui comptent le moins de chaires, pourront prendre le nom de Faculté libre des lettres, des sciences, de droit, de médecine, etc., s'ils appartiennent à des particuliers ou à des associations.

Quand ils réuniront trois Facultés, ils pourront prendre le nom d'Universités libres.

ART. 6. — Pour les Facultés des lettres, des sciences et. de droit, la déclaration signée par les administrateurs devra porter que lesdites Facultés ont des salles de cours, de conférences et de travail suffisantes pour cent étudiants au moins et une bibliothèque spéciale.

Pour une Faculté des sciences, il devra être établi, en outre, qu'elle possède des laboratoires de physique et de chimie, des cabinets de physique et d'histoire naturelle en rapport avec les besoins de l'enseignement supérieur.

S'il s'agit d'une Faculté de médecine, d'une Faculté mixte de médecine et de pharmacie ou d'une école de médecine ou de pharmacie, la déclaration signée par les administrateurs devra établir :

Que ladite Faculté ou école dispose, dans un hôpital fondé par elle ou mis à sa disposition par l'assistance publique, de 120 lits au moins habituellement occupés par les trois enseignements cliniques principaux : médical, chirurgical, obstétrical.

Qu'elle est pourvue : 1° de salles de dissection munies de tout ce qui est nécessaire aux exercices anatomiques des élèves ; 2° des laboratoires nécessaires aux études de chimie, de physique et de physiologie ; 3° de collections d'étude pour l'anatomie normale de matière médicale, d'une collection d'instruments et appareils de chirurgie.

Qu'elle met à la disposition des élèves un jardin de plantes médicinales et une bibliothèque spéciale.

S'il s'agit d'une école spéciale de pharmacie, les administrateurs de cet établissement devront déclarer qu'il possède des laboratoires de physique, de chimie, de pharmacie et d'histoire naturelle, les collections nécessaires à l'enseignement de la pharmacie, un jardin de plantes médicinales et une bibliothèque spéciale.

ART. 7. — Les cours ou établissements libres d'enseignement supérieur seront toujours ouverts et accessibles aux délégués du ministre de l'instruction publique.

La surveillance ne pourra porter sur l'enseignement que pour vérifier s'il n'est pas contraire à la morale, a la Constitution et aux lois.

ART. 8. — Sont incapables (l'ouvrir un cours et de remplir les fonctions d'administrateur ou de professeur dans un établissement libre d'enseignement supérieur :

1° Les individus qui ne jouissent pas de leurs droits civils ;

2° Ceux qui ont subi une condamnation pour crime ou pour un délit contraire à la probité ou aux mœurs ;

3° Ceux, qui, par suite de jugement, se trouveront privés de tout ou partie des droits civils, civiques et de famille, indiqués dans les nos 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7 et 8 de l'article 42 du Code pénal ;

4° Ceux contre lesquels l'incapacité aura été prononcée en vertu de l'article 16 de la présente loi.

ART. 9. — Les étrangers pourront être autorisés à ouvrir des cours ou à diriger des établissements libres d'enseignement supérieur dans les conditions prescrites par l'article 78 de la loi du 15 mars 1850.

TITRE II

Des associations fondées dans un dessein d'enseignement supérieur.

ART. 10. — L'article 291 du Code pénal n'est pas applicable aux associations formées pour créer et entretenir des cours ou établissements d'enseignement supérieur dans les conditions déterminées par la présente loi.

Il devra être fait une déclaration indiquant les noms, professions et domicile des fondateurs et administrateurs (lesdites associations, le lieu de leurs réunions et les statuts qui doivent les régir.

Cette déclaration devra être faite, savoir : 1° au recteur ou à l'inspecteur d'académie, qui la transmettra au recteur : 2° dans le département de la Seine, au préfet de police, et dans les autres départements, au préfet ; 3° au procureur général de la cour du ressort, en son parquet, ou au parquet du procureur de la République.

La liste complète des associés, avec indication de leur domicile, devra se trouver au siège de l'association et être communiquée au parquet à toute réquisition du procureur général.

ART. 11. — Les établissements d'enseignement Supérieur fondés, ou les associations formées en vertu de la présente loi, pourront, sur leur demande, être déclarés établissements d'utilité publique, dans les formes voulues par la loi, après avis du conseil supérieur de l'instruction publique.

Une fois reconnus, ils pourront acquérir et contracter à titre onéreux ; ils pourront également recevoir des dons et des legs dans les conditions prévues par la loi.

La déclaration d'utilité publique ne pourra être révoquée que par une loi.

ART. 12. — En cas d'extinction d'un établissement d'enseignement supérieur reconnu, soit par l'expiration de la société, soit par la révocation de la déclaration d'utilité publique, les biens acquis par donation entre vifs et par disposition à cause de mort feront retour aux donateurs et aux successeurs des donateurs et testateurs dans l'ordre réglé par la loi, et, à défaut de successeurs, à l'État.

Les biens acquis à titre onéreux feront également retour à l'État, si les statuts ne contiennent à cet égard aucune disposition.

Il sera fait emploi de ces biens pour les besoins de l'enseignement supérieur par décrets rendus en conseil d'État, après avis du conseil supérieur de l'instruction publique.

TITRE III

De la collation des grades.

ART. 13. — Les élèves des Facultés libres pourront se présenter, pour l'obtention des grades, devant les Facultés de l'État, en justifiant qu'ils ont pris dans la Faculté dont ils ont suivi les cours le nombre d'inscriptions voulu par les règlements. Les élèves des Universités libres pourront se présenter, s'ils le préfèrent, devant un jury spécial formé dans les conditions déterminées par l'article 14.

Toutefois, le candidat ajourné devant une Faculté de l'État ne pourra se présenter ensuite devant le jury spécial et réciproquement, sans avoir obtenu l'autorisation du ministre de l'instruction publique. L'infraction à cette disposition entraînerait la nullité du diplôme ou du certificat obtenu.

Le baccalauréat ès lettres et le baccalauréat ès sciences resteront exclusivement conférés par les Facultés de l'État.

ART. 14. — Le jury spécial sera formé de professeurs ou agrégés des Facultés de l'État et de professeurs des universités libres, pourvus du diplôme de docteur. Ils seront désignés, pour chaque session, par le ministre de l'instruction publique, et, si le nombre des membres de la commission d'examen est pair ils seront pris en nombre égal dans les Facultés de l'État et dans l'Université libre à laquelle appartiendront les candidats à examiner. Dans le cas où le nombre est impair, la majorité sera du côté des membres de l'enseignement public.

La présidence, pour chaque commission, appartiendra à un membre de l'enseignement public.

Le lieu et les époques des sessions d'examen seront fixés chaque année par un arrêté du ministre, après avis du conseil supérieur de l'instruction publique.

ART. 15 — Les élèves des Universités libres sont soumis aux mêmes règles que ceux des Facultés de l'État, notamment en ce qui concerne les conditions préalables d'âge, de grades, d'inscriptions, de stage dans les hôpitaux, le nombre des épreuves à subir devant le jury spécial pour l'obtention de chaque grade, les délais obligatoires entre chaque grade et les droits à percevoir.

Un règlement délibéré en conseil supérieur de l'instruction publique déterminera les conditions auxquelles un étudiant pourra passer d'une Faculté dans une autre.

TITRE IV

Des pénalités.

ART. 16. — Toute infraction aux articles 3, 4, 5, 6, 8 et 10 de la présente loi sera punie d'une amende qui ne pourra excéder mille francs (1.000 fr.).

Sont passibles de cette peine :

1° L'auteur du cours dans les cas prévus par l'article 3 ;

2° Les administrateurs, ou, à défaut d'administrateurs régulièrement constitués, les organisateurs dans les cas prévus par les articles 4, 6, et 10 ;

3° Tout professeur qui aura enseigné malgré la défense de l'article 8 ;

ART. 17. — En cas d'infraction aux prescriptions des articles 3, 4, 5, 6 ou 10, les tribunaux pourront prononcer la suspension du cours ou de l'établissement pour un temps qui ne devra pas excéder trois mois.

En cas d'infraction aux dispositions de l'article 8, ils prononceront la fermeture du cours et pourront prononcer celle de l'établissement.

Il en sera de même lorsqu'une seconde infraction aux prescriptions des articles 3, 4, 5, 6 ou 10 sera commise dans le courant de l'année qui suivra la première condamnation. Dans ce cas, le délinquant pourra être frappé, pour un temps n'excédant pas cinq ans, de l'incapacité édictée par l'article 8.

ART. 18. — Tout jugement prononçant la suspension ou la fermeture d'un cours sera exécutoire par provision, nonobstant appel ou opposition.

ART. 19. — Tout refus de se soumettre à la surveillance, telle qu'elle est prescrite par l'article 7, sera puni d'une amende de mille à trois mille francs (1.000 à 3.000 fr.) et, en cas de récidive, de trois mille à six mille francs. (3.000 à 6.000 fr.).

Si la récidive a lieu dans le courant de l'année qui suit la première condamnation, le jugement pourra ordonner la fermeture du cours ou de l'établissement.

Tous les administrateurs de l'établissement seront civilement et solidairement responsables du payement des amendes prononcées contre l'un ou plusieurs d'entre eux.

ART. 20. — Lorsque les déclarations faites conformément ami articles 3 et 4 indiqueront comme professeur une personne frappée d'incapacité ou contiendront la mention d'un sujet contraire à l'ordre public ou à la morale publique et religieuse, le procureur de la République pourra former opposition dans les dix jours.

L'opposition sera notifiée à la personne qui aura fait la déclaration.

La demande en mainlevée pourra être formée devant le tribunal civil soit par déclaration écrite au bas de la notification, soit par acte séparé, adressé au procureur de la République.

Elle sera portée à la prochaine audience.

En cas de pourvoi en cassation, le recours sera formé dans la quinzaine de la notification de l'arrêt, par déclaration au greffe de la cour ; il sera notifié dans la huitaine, soit à la partie, soit au procureur général, suivant le cas, le tout à peine de déchéance.

Le recours formé par le procureur général sera suspensif.

L'affaire sera portée directement devant la chambre civile de la cour de cassation.

Le cours ne pourra être ouvert avant la mainlevée de l'opposition à peine d'une amende de seize francs à cinq cents francs (16 à 500 fr.) laquelle pourra être portée au double en cas de récidive dans l'année qui suivra la première condamnation.

Si le cours est ouvert dans un établissement, les administrateurs seront civilement et solidairement responsables des amendes prononcées en vertu du présent article.

ART. 21. — En cas de condamnation pour délit commis dans un cours, les tribunaux pourront prononcer la fermeture du cours.

La poursuite entrainera la suspension provisoire du cours ; l'affaire sera portée à la plus prochaine audience.

ART. 22. — Indépendamment des pénalités ci-dessus édictées, tout professeur pourra sur la plainte du préfet ou du recteur être traduit devant le conseil départemental de l'instruction publique pour cause d'inconduite notoire, ou lorsque son enseignement sera contraire à la morale et aux lois, ou polir désordre grave occasionné ou toléré par lui dans son cours. Il pourra, à raison de ces faits, être soumis à la réprimande avec ou sans publicité ; l'enseignement pourra même lui être interdit à temps ou à toujours, sans préjudice des peines encourues pour crimes ou délits.

Le conseil départemental devra être convoqué dans les huit jours à partir de la plainte.

Appel de la décision rendue pourra toujours être porté devant le conseil supérieur, dans les quinze jours à partir de la notification de cette décision.

L'appel ne sera pas suspensif.

ART. 23. — L'article 463 du Code pénal pourra être appliqué aux infractions prévues par la présente loi.

Disposition transitoire.

ART. 24. — Le gouvernement présentera, dans le délai d'un an, projet de loi ayant pour objet d'introduire dans l'enseignement supérieur de l'État les améliorations reconnues nécessaires.

ART. 25. — Sont abrogés les lois et décrets antérieurs en ce de contraire à la présente loi.

 

II

LA MORALE DES JÉSUITES (résumé du livre, par PAUL BERT)

La première impression qu'éprouve un simple laïque, en parcourant un Compendium jésuitique, est un étonnement mêlé d'effroi. Ce livre est tout ou du moins a la prétention d'être tout : droit canon, droit civil, droit pénal, que dis-je ? droit commercial, procédure, et d'un autre côté, sciences divines et humaines, tout s'y trouve rassemblé. On sent que le disciple qui s'en est fortement pénétré pendant ses études, qui l'emporte avec lui hors du séminaire, parfois au fond d'une campagne où, à côté du bréviaire, du catéchisme et du manuel des confesseurs, il formera toute sa bibliothèque, doit être persuadé que tout s'y trouve, de ce qui doit le guider dans sa conduite envers les hommes et ses relations avec le ciel. Rien n'a échappé au casuiste et, sur toutes choses, le prêtre y trouvera les solutions toutes préparées ; il pourra, son livre en main, discuter sur les origines de la morale ou sur la validité des fidéicommis, sur le sacrement de l'Eucharistie, ou sur la théorie des reports. La société ne peut plus avoir de prise sur lui et lui rien enseigner : ses chefs ont tout prévu.

Lorsque, de ce coup d'œil général, il arrive à l'étude d'une partie quelconque de cette encyclopédie à la fois profane et sacrée, le laïque est alors frappé de l'absence de tout principe général, de toute règle embrassant un nombre considérable de faits ou d'idées. Partout, au contraire, un besoin de définitions étriquées, et surtout de division, de classification, qui émiette le principe, rétrécit, refroidit, amène à la rédaction d'une multitude de petits aphorismes qu'on pourra plus tard aisément opposer les uns aux autres. Prenons le chapitre de la conscience. Immédiatement après une définition qui semble la négation même du libre arbitre, voici tes divisions : on distingue la conscience droite ou erronée, certaine ou douteuse, etc. (p. 23) ; puis, les définitions de détail et les divisions secondaires : conscience vinciblement erronée ou invinciblement erronée ; invinciblement erronée qui ordonne, invinciblement erronée qui permet, etc. Autant vaudrait distinguer la vérité vraie, la vérité douteuse, la vérité fausse. Ces mots sublimes perdent ainsi toute signification élevée, toute sainteté, et c'est ce que voulait le casuiste : il en aura ensuite bon marché.

Une troisième surprise du lecteur non habitué à ces sortes de livres, c'est la facilité avec laquelle, d'un principe excellent, se déduisent les plus monstrueuses conséquences ! C'est à chaque instant le vieux sophisme du cheveu arraché et de l'homme chauve : un cheveu arraché ne rend pas chauve, ni deux, ni trois, ni... Quand donc sera-t-on chauve ? Les circonstances ajoutées une à une à la vérité primitive, comme l'eau ajoutée goutte à goutte au vin généreux transforme l'un en piquette indigne, l'autre en erreur scandaleuse, sans qu'on sache à quel moment s'est opérée la transmutation. On se sent plein d'angoisse, comme entraîné sur une pente fatale, les brins d'herbes s'arrachant sous les mains. C'est la grande force du casuiste, et le fin de son art ; il sait que, loin de la lutte. a la longue. le patient se laissera rouler jusqu'au fond.

Et qu'y trouvera-t-il le plus doux des lits de repos, moelleux, comme la fange : le probabilisme. C'est ici le véritable oreiller du doute, mais non dans le sens où l'entendait Montaigne. Plus de principes : leurs débris seuls sont arrivés dans l'abîme, et sur chacun d'eux ergote et pérore un casuiste. Pour toute question, il tient sa solution en main ; il l'offre au passant, et comme il est, selon la formule des Jésuites, docteur, honnête homme et savant, son opinion devient probable, et le passant peut choisir, dans la tranquillité de sa conscience erronée, ce qui fait le mieux son affaire pratique, entre toutes ces solutions que lui tendent les mains doctorales. Et notez que s'il en prend une aujourd'hui, il peut demain opter pour l'opinion contraire, pour peu qu'il y ait intérêt (v. p. 33, 43, etc.). Le confesseur n'y peut rien, lui maitre en tant de choses, et il doit s'incliner et absoudre quand le pénitent peut s'appuyer sur l'opinion d'un directeur, eût-il dû le chercher longtemps (v. p. 35, 41, etc.). Comment ne pas se réjouir de cette doctrine commode, et ne pas répéter les actions de grâce d'Escobar : En vérité, quand je considère tant de divers sentiments sur les matières de morale, je pense que c'est un heureux effet de la Providence, en ce que cette variété d'opinions nous aide à porter plus agréablement le joug du Seigneur !

Je n'insiste pas, car les imprécations vengeresses de Pascal vibrent encore dans toutes les mémoires. Mais il suffira de parcourir le présent livre pour voir que les Jésuites n'ont en rien renoncé aux célèbres doctrines du probabilisme (p. 28-37), et cm péché philosophique produit de la conscience invinciblement erronée (p. 24, 26, 37).

Voyez ce que devient entre les mains habiles des Jésuites ce principe évident et primordial : Là où il n'y a pas intention mauvaise, il ne peut y avoir faute en la conscience. Puisqu'il n'y a pas de faute, dit-il, il n'y a pas obligation de réparer un mal fait tout à fait involontairement. Et alors il met en scène Adalbert (p. 45) qui, voulant tuer son ennemi Titius, tue son ami Caïus ; et il déclare gravement qu'Adalbert n'étant coupable en rien pour l'homicide commis, n'est tenu à aucune restitution pour les' héritiers de celui qu'il a assassiné.

Faisons un pas de plus : prenons un autre principe, infiniment moins sûr, mais admissible sous. réserves en pratique, à savoir qu'on n'est pas obligé de se dénoncer soi-même pour un acte mauvais qu'on a commis, et introduisons-le dans l'espèce précédente. Nous avons alors le cas de Julius (p. 236) qui boit par mégarde le vin empoisonné que Curtius offrait à Didyme pour le faire mourir. Curtius, dit le casuiste, n'était pas obligé d'avertir Julius, car ç'eût été se dénoncer, et il n'est pas tenu à indemniser ses héritiers, parce qu'il n'avait pas l'intention de le tuer : il n'a été que l'occasion, non la cause efficace de la mort, et Julius s'est tué lui-même ! On sent que, pour un rien, Curtius pourrait lui demander des dommages-intérêts.

Autre principe meilleur : On ne doit réparer que le préjudice qu'on a réellement causé. Donc, si Jacob (p. 252) a tué Marc qui ruinait sa famille par son luxe et son ivrognerie, il ne doit rien à la famille dudit Marc, car il ne lui a porté aucun préjudice. Bien mieux, il lui a rendu un service, puisqu'il l'a empêché d'être ruinée davantage ! lin peu plus, il aurait le droit de réclamer une récompense.

On conçoit que rien ne résiste à cette manière de se servir de ces principes, à cette méthode dont les exemples abondent dans le présent ouvrage. Je n'en indiquerai pas d'autres, et me bornerai à faire ici une remarque de la plus haute importance.

Gury se plaint quelque part (p. 257) avec une naïveté charmante. de la difficulté qu'il y a d'accorder les lois de la conscience avec celles du Code civil. Je dirai que cela se comprend, et, qu'a priori, il doit y avoir souvent d'importantes différences entre la décision du juge de la conscience, c'est-à-dire les intentions, comme on se figure que doit l'être le prêtre, et la solution du magistrat laïque en fait, ou de la loi civile en principe. Mais dans quel sens doit s'accentuer la différence ? Dans le sens, ce semble, d'une sincérité plus grande de la part du juge religieux. En fait, d'abord, le magistrat civil.ne peut condamner que lorsqu'à l'intention mauvaise se joint l'acte, le commencement d'exécution. En droit, la loi civile, qui n'est pas chargée de mettre la paix dans les consciences, mais l'ordre dans la société, est obligée de passer condamnation sur bien des actes que devrait condamner le juge religieux. Or, en est-il ainsi avec les Jésuites ? Tant s'en faut ! et les exemples ne manquent pas. Voici un voleur : il doit restituer, cela ne fait pas de doute pour personne, et le magistrat civil l'y contraindra par toutes les voies de droit. Mais il consulte le casuiste, et celui-ci l'autorise à surseoir à la restitution, lorsqu'il ne peut la faire sans perdre une situation justement acquise, c'est-à-dire acquise par un vol (p. 201). Voici un niais, Simplice, qui s'est laissé sottement voler le cheval qu'il avait emprunté. Tant pis pour toi, dira le juge civil : tu paieras le cheval. Oh ! non, s'écrie le doux casuiste : il est si bête (p. 239) ! Voici Quirinus qui entre la nuit pour voler dans une boutique, tenant une chandelle à la main ; un chat s'élance, fait tomber la chandelle ; le feu prend et tout brûle. Je ne sais e que dira le juge civil, mais je vois bien ce que dirait la morale laïque ; quant au casuiste, il n'hésite pas : Pauvre Quirinus ! il ne doit rien, ce n'est pas de sa faute, c'est le chat (p. 196) ! Voici Zéphirin, qui creuse un trou dans son champ, et qui, sachant qu'André doit passer là se garde de l'avertir. André tombe et se casse la jambe. Le juge civil perdra là son action, mais le juge moral ! N'ayez peur, Zéphirin ne doit rien (p. 232). Voici Philias, séminariste, qui laisse chasser un de ses camarades comme coupable d'un vol qu'il a lui-même commis ; les conséquences en sont graves pour le pauvre Albin. Ici encore, le juge civil ne peut rien ; le jésuite exempte, sans hésiter, Philias de toute indemnité (p. 235). Olympius, pendant une vente aux enchères, commet le délit de coalition, passible d'amende et de prison devant le juge civil ; le casuiste l'absout (p. 306). Enfin si, pour ne pas multiplier à l'excès les exemples, nous revenons à Adalbert, meurtrier de Caïus, nous voyons que le juge civil qui fera sûrement payer des dommages-intérêts à la famille de celui qu'il a tué, et peut-être le condamnera comme ayant commis une tentative d'assassinat envers Titius. Le jésuite, lui, se lave les mains de tout ceci : Adalbert ne l'a pas fait exprès, cela suffit.

J'appelle l'attention du lecteur sur cette observation générale ; il trouvera dans le livre nombre de préceptes ou de cas qui sont sans doute en harmonie avec les prescriptions de la loi civile, mais que la loi subit plutôt qu'elle n'approuve, et qu'elle édicte non à cause de l'honnêteté de l'acte ou de la formule, mais parce qu'il y aurait de graves inconvénients sociaux à procéder autrement. Je n'en cite qu'un seul : sur son lit de mort, un père, ordonne à son fils de faire un certain don ; certes, en droit civil, il n'y a pas là de testament, et c'est le cas de faire intervenir le juge de conscience ; or, le casuiste dispense le fils d'accomplir la volonté de son père mourant (p. 295). En un mot, le casuiste accepte toujours les solutions de la loi civile, lorsqu'elles peuvent être utilisées par le coupable moral ; mais lorsque celui-ci est condamné par elles, il s'efforce de lui fournir maintes ruses pour s'échapper.

Car c'est un des caractères de la casuistique jésuitique de toujours prendre parti pour le pécheur, et ce n'est pas la moindre cause de son définitif triomphe sur le rigorisme janséniste. Entre le voleur et le volé, le jésuite n'hésite pas : il se met du parti du voleur. Voyez les exemples que je viens de citer. Quand il s'agit d'exempter de la restitution, il est tout miel pour le voleur : il ne faut pas le forcer à se priver de ses serviteurs ou de ses amis, mais le volé, pendant ce temps, peut tranquillement mourir de faim ; il exempte Simplice sans souci du loueur de chevaux qui perd sa bête ; du marchand incendié par Quirinus, et bien innocent, il ne se soucie mie, non plus que d'André et de sa jambe cassée, non plus que du pauvre diable dont Olympius a entravé la vente, non plus que d'Albin, déshonoré et ruiné, non plus que des héritiers innocents de Caïus l'assassiné. Non, ses sympathies sont ailleurs. Etonnez-vous après cela que les Parlements l'aient chassé !

Qu'il y aurait à dire sur la compensation occulte, si énergiquement condamnée par le droit civil et la morale laïque, si complètement approuvée et parfois si spirituellement enseignée par le Jésuite (p. 59, 186, 287, 290, 311). La théorie et la pratique de cet art de voler se trouve en maints passages du livre, et l'on frémit en pensant à ce qu'a dû envoyer d'accusés devant la justice criminelle l'enseignement des jésuites, tombant sur une nature bien disposée. Et la théorie du vol proprement dite ! sa gravité suivant la fortune du volé, et, non, comme le veulent nos Codes. suivant les circonstances d'escalade, d'effraction, etc. (p. 181). Et le vol léger qui n'oblige pas à la restitution ! Et l'indulgence pour le vol des domestiques ! (p. 182). Et la nécessité excusant du vol ! (p. 184) et la possibilité d'intéresser Dieu au succès d'un vol ! (p. 103).

Que de choses à dire encore ! les superstitions absurdes (p. 89, 495), la démonialité des tables tournantes, par exemple (p. 90) la possession diabolique (p. 101) et le commerce charnel avec les démons ! Les formules politiques, les rois ne tenant que de l'Église le pouvoir (p. 46) ! Les doctrines de la plus sauvage intolérance (p. 81) ; les hérétiques considérés, quoique rebelles, comme sujets de l'Église et soumis à ses lois (p. 48, 396, 427), phrase terrible qui appelle logiquement l'autodafé, et leurs enfants baptisés malgré eux (p. 360, 383) ; l'interdiction d'avertir le ministre protestant que son coreligionnaire se meurt et l'appelle (p. 86) ; les infractions audacieuses aux prescriptions du droit civil, enseignées et justifiées (p. 50, 336, 355) : donation pour cause de mort (p. 266) ; négation de l'égalité des partages (p. 266) ; état et propriété des moines, (p. 336, 354) ; substitution et fidéicommis (p. 267) ; dissimulation d'héritage (p. 266) ; fraude des droits de douane et d'octroi (p. 62, 206), etc. ; la différence de gravité des péchés, suivant qu'ils doivent être ou non très avantageux, véritable découverte jésuitique (p. 112, 124) ; le meurtre d'un innocent excusé dans des conditions d'une obscurité redoutable (p. 125) ; la théorie de la dénonciation ordonnée par les constitutions d'Ignace (Reg. comm. XX), introduite dans le monde laïque et chaudement recommandée (p. 80) ; la destruction des livres réputés mauvais et leur vol ouvertement prêchés (p. 82) ; le mépris de l'autorité paternelle, lorsqu'il s'agit d'entrer dans les ordres religieux, et la dureté féroce envers les parents, (p. 116, 119, 346) ; l'art de voler au jeu (p. 320) ; la légitimité de l'esclavage et de la traite des nègres (p. 173) ; l'ouverture illégale des cadavres (p. 361) ; l'usure la plus effrontée, à couvert derrière la prescription de l'Église, qui interdit le prêt à intérêts (p. 268 à 212, 274) ; la violation pour quelque argent des promesses de mariage (p. 418, 452) ; l'injure au mariage civil (p. 425), les innombrables causes de destruction des liens du mariage (p. 420, 429) ; le dédain du peuple et la bassesse devant les grands (p. 79, 430, 447, 464) ; le faux témoignage (p. 149), le mensonge (p. 158), le parjure, la restriction mentale (p. 147) ; la nullité du mariage des infidèles, des hérétiques (p. 421, 471) ; la distinction entre la valeur des legs manquant des formalités légales, nuls s'ils sont profanes, valables s'ils sont pieux (p. 265, 297) ; la chasse en temps prohibé (p. 177) : l'audacieuse arrogance cléricale, reprenant la vieille thèse que les clercs ne sont pas soumis aux lois civiles (p. 48), et mettant au premier rang des crimes le fait d'avoir (même étant enfant) frappé un prêtre ou violé la claustration monacale (p. 505).

Mais il y en aurait trop long à dire, et le lecteur me rendra cette justice que je passe à toute vitesse. Il fera ses réflexions lui-même, et jugera si la condamnation du Parlement de Paris, inscrite en épigraphe de ce volume, s'appliquerait justement aux Jésuites modernes.

Mais je veux encore appeler son attention sur l'érotomanie dont semble atteint Gury, à l'imitation de tous les casuistes qui l'ont précédé. Ce dévergondage d'imagination lubrique se traduit de deux manières différentes. D'abord, dans l'étude de ce qu'ils appellent les matières honteuses, c'est-à-dire les VIe et IXe préceptes du décalogue (p. 131-144), et les devoirs des époux (p. 433-446, 481-494), il se manifeste par un luxe de recherches lascives, un amour des détails obscènes, une invention de circonstances immondes, qui dépasse de beaucoup tout ce qu'ont pu imaginer les auteurs de Justine et de Gamiani. Mais ce qui est plus intéressant de beaucoup c'est de voir ces préoccupations génésiques hanter d'une manière si constante le cerveau du jésuite, qu'il se laisse dominer par elles en maints sujets où elles semblent n'avoir absolument que faire-. S'agit-il de l'ignorance invincible, il prend comme exemple les enfants qui egerunt de se illicite (p. 6) ; de la volonté indirecte, c'est Lubain et ses tentations charnelles (p. 15) ; d'un effet de la violence, c'est Suzanne (p. 7) ou Berline et son maitre (p. 17) ; de la conscience erronée, c'est Ferdinand, George, Gustave, enfant de dix ans, et ses tactus turpes sur sa cousine Germaine (p. 38), etc., etc. (voir surtout les cas sur la confession). S'agit-il de la théorie générale du péché par intention, le seul exemple qui lui vienne à l'esprit, c'est que en confession, lorsqu'on s'accuse du désir de fornication, il faut déclarer les circonstances de parenté, d'affinité, de mariage, de chasteté, qui sont relatives à la personne désirée (Comp. t. I, Nre 167). Puis, avec quelle richesse d'invention il détaille les cas réservés (p. 385 et suivantes), et les empêchements au mariage (p. 463 et suivantes), avec l'immonde roman de Ludimille (p. 464), et des cas par centaines, qui sautent aux yeux dans toutes lés régions du livre ! Et, de quelle façon bassement lubrique il envisage toujours la question du mariage ; devoir conjugal, consommation du mariage, reddition et pétition du devoir, il ne pense qu'à cela. Et quelles solutions habiles, faites pour avoir toute maîtrise sur la femme, partant sur le mari !

Mais le fait le plus intéressant qui se dégage de cette partie de notre étude, c'est le mépris profond que le jésuite a pour la femme. Dans la pratique quotidienne de la vie, il n'est sorte de caresses mystiques, d'ondulations câlines de la voix et du geste qu'il n'invente pour la séduire. Ici ce sont les assemblées mystérieuses et nocturnes, où l'on va, yeux baissés sous le voile et rasant les murs, avec soupirs, prédications, musique, encens, enivrement des sens inférieurs, au fond des chapelles obscures et sonores où le pas se fait furtif, où le lustre haut placé hypnotise. Ailleurs les sociétés de propagande ou de bienfaisance, confréries où le jésuite sait mettre en œuvre depuis les côtés les plus étroits de la vanité, du désir de jouer un rôle mal satisfait par la société actuelle, jusqu'aux plus nobles élans de la bonté, de la générosité féminines. Partout, ce sont manifestations de respect, de reconnaissance, d'amour : ils ont mis la femme sur l'autel, et ont exempté la mère de Dieu non seulement de tout péché, mais de la tache originelle elle-même. La Mariolâtrie domine le Christianisme, et cela d'après les fils de Loyola.

Fort bien, voilà pour le monde, pour le dehors, pour la politique, pour la domination, car le maître de la femme est le maître de l'homme. Mais écoutez comme ils en parlent lorsqu'ils sont entre eux loin des mystiques oreilles des zélatrices et des porte-bannières. lls prennent à leur compte les brutales paroles de l'Ecclésiaste : Du vêtement vient la teigne, de la femme le mal de l'homme (p. 351). Gravez-vous cette vérité dans l'esprit, dit Gury. Mieux vaut la méchanceté dé l'homme que le bienfait d'une femme (p. 419). Dans toutes leurs dissertations, leur profond mépris pour la fille d'Eve, la première corruptrice, se manifeste, souvent sous la forme la plus grossière. J'en pourrais citer cent exemples que le lecteur rencontrera en route ; qu'il me pardonne d'en rapporter un, bien curieux à plusieurs points de vue. Le casuiste se demande s'il faut baptiser les enfants nés du commerce d'une bête et d'un être humain : Oui, répondit-il, s'il s'agit du produit d'un homme et d'une bête ; non, s'il s'agit de celui d'une femme et d'une bête, car dans le premier cas seulement, il peut être réputé un descendant d'Adam (p. 546).

Ainsi la femme n'est aux yeux du jésuite qu'une sorte de terrain où peut germer la plante humaine ; elle n'appartient à l'espèce de l'homme. que par cette réceptivité nourricière. Aussi ne demandez pas au casuiste de comprendre quoi que ce soit aux nobles sentiments qui sont l'honneur de l'humanité. Il ne sait ce qu'est l'amour, il ne connaît que la fornication. Il souille de ses rêveries malsaines tout ce qu'il y a de plus saint, de plus pur au monde. Ce n'est pas seulement le lit des jeunes époux, dont il scrute les mystères avec une lubricité insatiable, au fond de laquelle frémit la jalousie ; ce sont les chastes entretiens des fiancés qu'il surveille obliquement ; les baisers de la Soult. et du frère, du père et de la fille, de la mère et du petit enfant (p. 521), qu'il flétrit de ses impurs soupçons, et aussi les premiers frissonnements de l'âme qui s'éveille, les jeux de l'enfance qu'il hait et calomnie (p. 539), sur toutes ces joies, sur toutes ces tendresses, sur toutes ces grâces exquises, on retrouve sa trace visqueuse, comme la bave du limaçon sur les plus brillantes fleurs.

S'il ne sait ce qu'est l'amour ni même la pudeur, il ne sait pas davantage ce qu'est la délicatesse, la générosité, le dévouement, l'amitié, la dignité personnelle, le devoir civique, l'amour de la patrie ; il ignore si profondément ces nobles choses qu'il n'en connaît pas même le nom. Vous ne trouverez pas un seul de ces mots dans la morale de Gury. Tout ce qui fait battre le cœur de l'humanité le laisse froid. Ne lui parlez pas de progrès, de fraternité, de science, de liberté, d'espérance : il ne comprend pas ; il hache menu dans son coin obscur, les consciences erronées, les compensations secrètes, les restrictions mentales, les péchés honteux et de tout cela il essaie de composer je ne sais quel électuaire pour abrutir et asservir l'humanité.

Car il abaisse tout ce qu'il touche, supprimant la conscience, livrant le libre arbitre aux mains d'un directeur, faisant de la délation — même envers le confesseur, qui lui est suspect commue généralement séculier un moyen de gouvernement des âmes, rétrécissant les horizons, coupant les ailes, éternisant autour de la pensée et de la conscience le crépuscule, pire que la nuit, car tout y devient douteux et prend des aspects de fantôme : voyez ce qu'il a fait de tous ceux sur qui il a mis la main. Je ne dis rien du clergé français, dont les représentants actuels prendraient en mauvaise part l'antithèse à établir entre eux et leurs prédécesseurs. Mais la noblesse française, si vive, si fière, si généreuse malgré sa légèreté, cherchez-la toute affadie, sans ressorts, bardée non plus de fer, mais de scapulaires et de cordons bénits. Et cette bourgeoisie au robuste et sage esprit, amoureuse de travail, de progrès et de liberté, voyez-la impuissante, épeurée, livrée à toutes les réactions. Et ils allaient saisir la magistrature, ils étendaient la main vers l'armée, ces deux sauvegardes d'une nation ! Ah ! il était temps vraiment qu'on ouvrit les yeux ; car plus habiles encore que Simon, le magicien maudit, ils ne vendaient phis seulement à prix d'argent les choses saintes, mais ils vendaient aussi les biens matériels au prix de quelques mômeries pieuses.

Heureusement parmi ceux qu'ils abêtissent, il faut les citer eux-mêmes en première ligne. En trois siècles, on l'a remarqué souvent, ils n'ont pas produit un homme de premier 'ou même de second rang ; mais ils ne semblent pas s'en apercevoir : à Richelieu, ils opposent tranquillement Bellarmin, Suarez à Pascal, Rapin à Corneille et Nonnotte à Voltaire.

Ah ! ce n'est pas impunément qu'on soumet son cœur et son esprit à une telle discipline ! J'ai souvent, en lisant les jésuites, invoqué dans mon esprit l'image de ce que serait un produit bien complet de leur fabrication intellectuelle et morale. 'tenez, il me semble le voir, tandis que j'écris, glisser là-bas, discrètement, dans l'ombre du mur. Non qu'il prenne toujours le masque humilié que lui donne la comédie : il a souvent le verbe haut et l'attitude arrogante. Mais vous le reconnaîtrez à ceci que vous ne verrez j alliais ses yeux, car les constitutions et ses maîtres lui ont enseigné à toujours regarder plus bas que celui auquel on parle ; sa secrète pensée vous échappera et ses lèvres serrées ne le trahiront point. Mais tel qu'il est, jeune ou vieux, humble ou hardi, s'il est bien imprégné de ses auteurs, de Gury seulement, défiez-vous de lui, défiez-vous-en tous.

Défie-t-en d'abord ô jeune fille ! ne dis pas que tu es sans crainte, parce qu'il s'est uni à toi par les fiançailles, un demi-sacrement. Car si ta fortune disparaît, ou si la sienne s'accroît, il t'abandonnera sans remords, l'autorisation de son directeur (p. 418, 452). Il en aura même le droit, s'il y a entre toi et lui une notable différence de situation (p. 447), et cela quelles qu'aient été ses protestations antérieures, (p. 525). Défie-toi de lui, car si, échauffé par ses lectures malsaines, il te conduit à mal, même après solennelle promesse de mariage, il pourra t'abandonner de même, toi et ton enfant (204, 280, 470). Défie-toi de lui, même s'il t'épouse, car d'abord il peut, par le plus simple des procédés, faire annuler au bout de deux mois un mariage qu'il déclarera n'avoir pas consommé (p. 421), et te laisser affolée et déshonorée. Défie-toi de lui, car si, en prononçant les paroles sacramentelles, il a eu très certainement l'intention de ne pas contracter mariage, ton mariage sera nul, entends-le bien (p. 458, 459). Défie-toi de lui comme il se défiera de toi, car il sait, si tu es élève des mêmes maîtres, que tu peux, sans remords, et persuadée que tu ne lui causes aucun préjudice te livrer à d'autres avant ton mariage, et lui cacher l'existence d'enfants mis par toi au monde (p. 419, 454).

Défie-toi de lui, toi sa femme, si quelque maladie t'atteint qui se puisse communiquer, car sa loi morale ne l'oblige pas à te donner des soins qui pourraient lui être funestes (p. 529). Défie-toi de lui comme il se défiera de toi, car tu pourras l'abandonner aussi, et d'autre part le casuiste t'autorise à puiser dans sa caisse d'une façon inquiétante (p. 115, 219).

Défie-toi de lui, toi, son père ; car s'il n'ose plus, en plein XIXe siècle, te dénoncer aux juges criminels lorsque tu deviens hérétique ou proscrit, il sera autorisé à violenter ta conscience à l'heure suprême (115) ; car pour se cacher en quelque couvent, et cela à ton insu ou malgré toi (p. 116), il t'abandonnera, vieux et misérable, persuadé qu'il fait une action agréable à Dieu (p. 346). Défie-toi de lui, car s'il ne peut plus se réjouir d'hériter de toi après t'avoir tué (550), il lui sera du moins licite de se réjouir de la succession que ton meurtre lui aura procurée (p. 37). Défie-toi de lui car si au lit de mort tu le charges de quelque don pour un ami, il aura le droit de désobéir à ta volonté dernière (p. 295).

Défie-toi de lui, toi, son enfant, car il lui est permis de désirer ta mort. soit en vue de ton bonheur éternel, soit en vue de diminuer les charges de sa famille, soit pour te délivrer des risques du péché (p. 85).

Défie-toi de lui, toi son frère, car il pourra, te faisant passer pour indigne au lit de votre père mourant, te priver de ta part de succession légitime, pourvu qu'il ne le fasse pas en haine de toi (p. 234) ; car il pourra t'abandonner toi et ta famille, dans la misère, sans remords, et porter sa fortune au couvent voisin (p. 347) ; car il pourra réparer habilement sur l'héritage paternel ce qu'il considérera comme une injustice commise envers lui (p. 209).

Défiez-vous de lui, vous, ses amis, car il est autorisé à trahir tous vos secrets, même les plus intimes, lorsqu'il jugera qu'il va de l'intérêt, soit de l'Église, soit d'une tierce personne (p. 456) ; ne lui contiez pas une lettre, car il trouvera toujours quelque bonne raison pour pouvoir l'ouvrir sans péché (p. 157, 163). Et si votre secret est une mauvaise action, songez qu'il peut le divulguer à tous ceux qui auront un intérêt grave à le connaître (p. 153). Et ne lui prêtez pas de livres, car s'il les juge mauvais, il sera autorisé à ne pas vous les rendre, à moins cependant que vous ne le menaciez de le rosser (p. 82).

Défiez-vous de lui, vous tous qui avez avec lui des rapports d'affaires, car dans le cas de clauses douteuses, il pourra les interpréter tantôt dans lin sens, tantôt dans l'autre, en toute sûreté de conscience, pour le mieux de ses intérêts (p. 33, 43). Car s'il Vous cède tous ses biens, il pourra en garder secrètement une part en vue de nourrir lui et sa famille (p. 263), et même dissimuler des créances (p. 251). Car il inventera d'ingénieuses compensations occultes, qui frisent l'escroquerie (p. 225). Car si vous faites un testament, il trouvera toujours quelque moyen d'en avoir les bénéfices, sans en accomplir les clauses (p. 282, 296), et il aura appris de fort curieuses manières de vous faire faire ce testament (p. 196, 293) ; et il saura, sans angoisse de cœur, en dissimuler les fautes de forme (p. 62), et même en réparer les accidents matériels (294, 327) ; que si vous refusez, ayez soin de déclarer qu'il vous doit de l'argent, sans quoi il trouvera une raison pour ne pas le rendre à votre héritier (p. 292). Car si vous lui prêtez votre cheval, et qu'on le lui vole, il refusera de vous rien payer (p. 301). Car si vous lui confiez de l'argent, il trafiquera avec et gardera le bénéfice pour lui (p. 303). Car il sera persuadé qu'il ne commet pas d'injustice en se coalisant avec d'autres pour entraver votre vente aux enchères (p. 276, 307). Car il aura mille manières de se dispenser de vous restituer ce qu'il vous doit (p. 193, 201, 202), quand même il vous l'aurait volé (p. 191). Car, et ceci vaut tout un poème, il peut vous souhaiter un mal temporel et s'en réjouir pour une bonne fin (p. 79).

Ne pariez pas avec lui, car il est plein de ressources pour l'aire sans péché des paris malhonnêtes, (p. 310).

Ne jouez pas avec lui, car il se conduira comme un infâme grec en toute sûreté de conscience, (p. 319, 321).

Ne croyez pas, sous prétexte qu'il est pieux, à ses promesses et à ses serments alors qu'il vous vend quelque chose : ce sont petites peccadilles permises aux marchands, (p. 275).

Ne le prenez pas comme domestique, car il connaît à fond la théorie des petits vols de denrées alimentaires et des conditions de restitution (p. 182) ; et s'il juge que vous ne le payez pas assez et le faites trop travailler, il trouvera moyen de rétablir un juste équilibre, (p. 188, 223). Défiez-vous de lui, gardien d'octroi, employé de douanes, homme du fisc, qui que vous soyez, car il n'admet pas la légitimité de votre impôt, et il le fraudera par tous les moyens possibles ; ne l'interrogez pas, il mentira, et cela sous serment, s'il le faut : il y est autorisé (p. 62, 206, 254). Et surveillez-le bien, s'il est notaire, car il aidera en conscience à frauder le fisc, (225, 334).

Défiez-vous de lui, membres du conseil de révision, car il peut ne se croire tenu à aucune restitution, s'il fait partir par fraude un autre à sa place (p. 207). Défiez-vous-en, ô colonel ! car il désertera légitimement, s'il ne trouve pas au régiment la facilité de se confesser, (p. 206).

Défiez-vous de lui, juge, qu'il comparaisse devant vous, comme plaignant, comme accusé ou comme témoin. En vain, lui ferez-vous lever la main, et adjurer le Christ, son Dieu. Presque en toutes circonstances il trouvera moyen de vous échapper (p. 148, 157, 162, 288, 327, 313, 358) ; et si vous le condamnez, il pourra, s'il juge sa conscience indemne, se compenser secrètement de votre condamnation.

Défiez-vous de lui tous et écartez-vous de lui comme d'un pestiféré : ni vos biens ni votre vie, ni votre honneur ne sont auprès de lui en sûreté.

Car s'il conseille et exhorte un voleur à piller votre maison, il ne vous devra rien (p. 194, 197, 243) ; car s'il est juge, et rend contre vous, de complicité avec ses collègues, un jugement inique, acheté à prix d'argent, il ne vous devra rien (p. 244) ; car si ses enfants ou ses domestiques ont fait du dégât dans vos propriétés, il ne vous devra rien (p. 245) ; car s'il voit un voleur enlever votre bien et en reçoit de l'argent pour prix de-son silence, il ne vous devra rien (p. 247, 262) ; car s'il a mis le feu chez vous en cherchant à vous voler, il ne vous devra rien, (p. 195) ; car s'il a tué votre vache en tirant volontairement sur votre âne, il ne vous devra rien (p. 12, 196, 258) ; car s'il a brûlé votre maison en voulant incendier celle de votre voisin, il ne vous devra rien (p. 194, 236, 242) ; car s'il a volé et qu'on vous accuse et condamne pour ce vol, il ne vous devra rien, alors même qu'il aurait commis ce vol dans le but de vous faire accuser (p. 195, 220) ; car si vous êtes le créancier d'un homme qu'il a assassiné, il ne vous devra rien (p. 204) ; car si vous êtes la femme ou l'enfant d'un homme qu'il a assassiné et si cet homme était de mauvaise conduite (p. 252), ou même devait mourir bientôt (p. 203), il ne vous en devra rien ; car, en aucun cas, il ne vous devra rien, si en tuant votre père, il croyait en assassiner un autre (p. 236), ni s'il a volontairement assassiné votre père, lorsque vous pouvez suffire à vos besoins, (p. 203).

Car il peut vous diffamer librement pour peu qu'il soit habile et ait bien compris ses leçons (p. 154, 162) ; et lors même que la diffamation est sans excuse et exige réparation, il s'en peut dispenser, s'il juge la conservation de sa bonne réputation utile à la religion (p. 155) ; car il peut séduire une jeune fille, même sous promesse de mariage, et la rendre mère, puis l'abandonner sans souci, pour peu qu'il puisse arguer d'une inégalité de condition, soit antérieure, soit postérieure à la promesse (p. 525) ; et ne lui parlez pas de venir au secours de la pauvre fille, car il vous répondrait noblement que la perte de la virginité ne se peut estimer, ni indemniser (p. 204, 253). Car si vous prenez chez lui quelque aliment empoisonné à destination d'un autre, il ne vous avertira pas et, du reste, ne devra rien à personne après votre mort (p. 236).

Fuyez-le, car il a à sa disposition la restriction largement mentale et les paroles équivoques (p. 148), ce qui lui permet en réalité de mentir toutes les fois qu'il en a besoin.

Fuyez-le, car la doctrine du probabilisme lui permettra toujours de trouver un docteur grave, dont l'opinion suffira à légitimer son action, et l'autoriser à faire ce qu'il a intérêt à faire (p. 31).

Fuyez-le, parce qu'une fois son opinion faite, il violera en sûreté de conscience toutes les lois civiles, et que s'il est conclu inné par le juge il pourra largement et tranquillement user de la réparation occulte (p. 186).

Car, c'est sur ce point qu'il faut insister. En vertu de la doctrine de l'intention, il arrive à substituer à toute autorité sa propre autorité. Les lois n'existent plus pour lui, ni les lois civiles, ni les biens de famille, ni les lois de l'honneur, ni rien de ce qui constitue ce ciment qui relie tous les éléments d'une société. Il fera telle chose s'il ta trouve bonne, car s'il a pour lui un docteur de renom, il a droit de la juger bonne ; en tout cas, l'acte fait, comme il a agi d'après une conscience invinciblement erronée, comme il n'a pas commis de faute théologique, il n'est tenu à nulle réparation : et si le juge civil se permet d'en ordonner une, il se compensera justement.

Tel serait, au maximum de développement, le meilleur élève des doctrines jésuitiques. Par bonheur, ils n'en ont, je crois. jamais formé un qui soit aussi complet ; l'honnêteté, qui est le fond de la nature humaine, reprend le dessus, et chez l'élève et chez le professeur. Et cela surtout en France, dans le pays de la générosité. C'est sans doute pour cela que depuis trois siècles, pas un seul Français ne s'est assez imprégné de l'esprit jésuitique pour mériter le rang de général.

Mais un tel enseignement, même mitigé par le bons sens et l'honneur natif, n'est-il pas un vrai péril social ? Qui peut dire ce qu'il faudrait de générations pour que ces nobles qualités qui luttent encore s'éteignent et soient vaincues ? Je n'y puis, quant à moi, songer sans frémir. Puisse la lecture du présent livre' communiquer à tous ma sincère et profonde erreur ! Puissent les libéraux les plus compromis aujourd'hui par une logique généreuse, comprendre que les principes ne sont pas faits pour eux qui se mettent hors des principes, et que la liberté des échanges 'est pas violée parce qu'on arrête dans nos ports les ballots pestiférés !

 

III

LOI RELATIVE À LA LIBERTÉ DE L'ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR (18 mars 1880)

ARTICLE PREMIER. - Les examens et épreuves pratiques qui déterminent la collation des grades ne peuvent être subis que devant les Facultés de l'État.

Les examens et épreuves pratiques qui déterminent la collation des titres d'officiers de santé, pharmaciens, sages femmes et herboristes, ne peuvent être subis que devant les Facultés de l'État, les écoles supérieures de pharmacie de l'État et les écoles secondaires de médecine de l'État.

ART. 2. — Tous les candidats sont soumis aux mêmes règles en ce qui concerne les programmes, les conditions d'âge, de grades, d'inscriptions, de travaux pratiques, de stage dans les hôpitaux et dans les officines, les délais obligatoires entre chaque examen et les droits a percevoir au profit du Trésor public.

ART. 3. — Les inscriptions prises dans les Facultés de l'État sont gratuites[1].

ART. 4. — Les établissements libres d'enseignement supérieur ne pourront, en aucun cas, prendre le titre d'Universités.

Les certificats d'études qu'on y jugera à propos de décerner aux élèves ne pourront porter les titres de baccalauréat, de licence ou de doctorat.

ART. 5. — Les titres ou grades universitaires ne peuvent être attribués qu'aux personnes qui les ont obtenus après les examens ou les concours réglementaires subis devant les professeurs ou les jurys de l'État.

ART. 6. — L'ouverture des cours isolés est soumise, sans autre réserve, aux formalités prévues par l'article 3 de la loi du 12 juillet 1875.

ART. 7. — Aucun établissement d'enseignement libre, aucune association formée en vue de l'enseignement supérieur ne peut être reconnue d'utilité publique qu'en vertu d'une loi.

ART. 8. — Toute infraction aux dispositions des articles 4 et 5 de présente loi sera punie d'une amende de 100 à 1.000 francs et de 1.000 3.000 francs en cas de récidive.

ART. 9. — Sont abrogées les dispositions des lois, décrets, ordonnan et règlements contraires à la présente loi, notamment l'avant7dern paragraphe de l'article 2, le paragraphe 2 de l'article 5 et les articles 13, 14 et 15 de la loi du 12 juillet 1875.

 

IV

LES DÉCRETS DU 29 MARS 1880

Premier décret.

Le Président de la République française,

Sur le rapport du ministre de l'intérieur et des cultes et du garde des sceaux, ministre de la justice :

Vu l'article ter de la loi des 13-19 février 1790, portant : La loi constitutionnelle du royaume ne reconnaîtra plus de vœux monastiques solennels des personnes de l'un ni de l'autre sexe ; en conséquence, les ordres et congrégations réguliers dans lesquels on fait de pareils vœux sont et demeurent supprimés en France, sans qu'il puisse en être établi de semblables à l'avenir ;

Vu l'article lei, titre 1er de la loi du 18 août 1792 ;

Vu l'article 2 du Concordat ;

Vu l'article 2 du 18 germinal an X, portant : Les archevêques et évêques pourront, avec l'autorisation du gouvernement, établir dans leurs diocèses des chapitres cathédraux et des séminaires. Tous autres établissements ecclésiastiques sont supprimés ;

Vu le décret-loi du 3 messidor an XII, qui prononce la dissolution immédiate de la congrégation ou association, connue sous le nom de Pères de la foi, d'Adorateurs de Jésus ou Paccanaristes et porte que seront pareillement dissoutes toutes autres agrégations ou associations formées sous prétexte de religion et non autorisées ;

Vu les articles 291 et 292 du Code pénal et la loi du 10 avril 1834 ;

Considérant qu'antérieurement aux lois et décrets susvisés la société de Jésus a été supprimée en France, sous l'ancienne monarchie, par divers arrêts et édits, notamment l'arrêt du Parlement de Paris du 6 août 1762, l'édit du mois de novembre 1764, l'arrêt du Parlement de Paris du 9 mai 1767, l'édit du mois du mai 1777 ;

Qu'un arrêt de la cour de Paris du 18 août 1826, rendu toutes les Chambres assemblées déclare que l'état actuel de législation s'oppose formellement au rétablissement de la société de Jésus, sous quelque dénonciation qu'elle se présente, et qu'il appartient à la haute police du royaume de dissoudre tous établissements, toutes congrégations ou associations qui sont ou seraient formées au mépris des arrêts, délits, lois et décrets sus-énoncés ;

Que le 2l juin 1828, la Chambre des députés a renvoyé au Gouvernement des pétitions signalant l'existence illégale des Jésuites ;

Que le 3 mai 1845, la Chambre des députés a voté un ordre du jour tendant à ce qu'il leur fût fait application des lois existantes, et que le Gouvernement se mit en devoir de réaliser leur dispersion ;

Que le 16 mars 1880, à la suite de débats dans l'une et l'autre Chambre, qui avaient plus particulièrement visé l'ordre des Jésuites ; la Chambre des députés a réclamé l'application des lois aux congrégations non autorisées ;

Qu'ainsi, sous. les divers régimes qui se sont succédés, tant avant qu'après la Révolution de 1789, les pouvoirs publics ont constamment affirmé leur droit et leur volonté de ne pas supporter l'existence de la société de Jésus, toutes les fois que cette société, abusant de la tolérance qui lui avait été accordée, a tenté de se reformer et d'étendre son action.

DÉCRÈTE :

ARTICLE PREMIER. — Un délai de trois mois, à partir du présent décret, est accordé à l'agrégation ou association non autorisée dite de Jésus, pour se dissoudre, en exécution des lois ci-dessus visées, et évacuer les établissements qu'elle occupe sur la surface du territoire de la République.

Ce délai sera prolongé jusqu'au 31 août 1880 pour les établissements dans lesquels l'enseignement littéraire ou scientifique est donné, par les soins de l'association à la jeunesse.

ART. 2. — Le ministre de l'intérieur et des cultes et le garde des sceaux, ministre de la justice, sont chargés, chacun en ce qui le concerne, de l'exécution du présent décret, qui sera inséré au Bulletin des lois et au Journal officiel.

Deuxième décret.

Le Président de la République française,

Sur le rapport du ministre de l'intérieur et des cultes, et du garde des sceaux, ministre de la justice,

Vu l'article 1er de la loi du 13-19 février 1790, portant : La loi constitutionnelle du royaume ne reconnaîtra plus de vœux monastiques solennels des personnes de l'un ni de l'autre sexe : en conséquence, les ordres et congrégations réguliers dans lesquels on fait de pareils vœux sont et demeurent supprimés en France, sans qu'il puisse en être établi de semblables à l'avenir.

Vu l'article 1er, titre 1er de la loi du 18 août 1792 ;

Vu l'article II du Concordat ;

Vu l'article II de la loi du 18 germinal an X, portant : Les archevêques et évêques pourront, avec l'autorisation du gouvernement, établir dans leurs diocèses des chapitres cathédraux et des séminaires. Tous autres établissements ecclésiastiques sont supprimés ;

Vu le décret-loi du 3 messidor an XII, décidant que seront dissoutes toutes congrégations ou associations formées sous prétexte de religion et non autorisées ; que les lois qui s'opposent à l'admission de tout ordre religieux dans lequel on se lie par des vœux perpétuels, continueront d'être exécutées selon leur forme et leur teneur ; qu'aucune agrégation ou association d'hommes ou de femmes ne pourra se former à l'avenir sous prétexte de religion, à moins qu'elle n'ait été formellement autorisée par un décret impérial, sur le vu des statuts et règlements selon lesquels on se proposerait de vivre dans cette agrégation ou association ; que, néanmoins, les agrégations y dénommées continueront d'exister en conformité des arrêtés qui les ont autorisées, à la charge par lesdites congrégations de présenter, sous le délai de six mois, leurs statuts et règlements pour être vus et vérifiés en conseil d'État, chargé de toutes les affaires concernant les cultes ;

Vu la loi du 24 mai 1825, portant qu'aucune congrégation religieuse de femmes ne sera autorisée qu'après que les statuts dûment approuvés par l'évêque diocésain auront été vérifiés et enregistrés au conseil d'État, en la forme requise par les bulles d'inscription canonique ;

Que ces statuts ne pourront être approuvés et enregistrés s'ils ne contiennent la clause que la congrégation est soumise, dans les choses spirituelles à la juridiction de l'ordinaire ;

Qu'après la vérification et l'enregistrement, l'autorisation sera accordée par une loi à celles de ces congrégations qui n'existaient pas au 1er janvier 1825 ;

Qu'à l'égard de celles de ces congrégations qui existaient antérieurement au 1er janvier 1825, l'autorisation sera accordée par une ordonnance du roi ;

Qu'enfin il ne sera formé aucun établissement d'une congrégation religieuse de femmes déjà autorisée, s'il n'a été préalablement informé sur la convenance et les inconvénients de l'établissement et si l'on ne produit, a l'appui de la demande, le consentement de l'évêque diocésain et l'avis du conseil municipal de la commune où l'établissement devra être formé, et que l'autorisation spéciale de former l'établissement sera accordée par ordonnance du roi, laquelle sera insérée dans la quinzaine au Bulletin des lois ;

Vu le décret-loi du 31 janvier 1852, portant que les congrégations et communautés religieuses de femmes pourront être autorisées par un décret du Président de la République :

1° Lorsqu'elles déclareront adopter, quelle que soit l'époque de leur fondation, des statuts déjà vérifiés et enregistrés au conseil d'État et approuvés par d'autres communautés religieuses ;

2° Lorsqu'il sera attesté par l'évêque diocésain que les congrégations qui présenteront des statuts nouveaux au conseil d'État existaient antérieurement au 1er janvier 1825 ;

3° Lorsqu'il y aura nécessité de réunir plusieurs communautés qui ne pourraient plus subsister séparément ;

4° Lorsqu'une association religieuse de femmes, après avoir été d'abord reconnue comme communauté, régie par une supérieure locale, justifiera qu'elle était réellement dirigée, à l'époque de son' autorisation, par une supérieure générale, et qu'elle avait formé, à cette époque, des établissements sous sa dépendance ;

Et qu'en aucun cas, l'autorisation ne sera accordée aux congrégations religieuses de femmes, qu'après que le consentement de l'évêque diocésain aura été représenté ;

Vu les articles 291 et 292 du Code pénal et la loi du 10 avril 1834 ;

DÉCRÈTE :

ARTICLE PREMIER. — Toute congrégation ou communauté non autorisée est tenue, dans le délai de trois mois, à dater du jour de la promulgation du présent décret, de fa ire les diligences ci-dessous spécifiées. à l'effet d'obtenir la vérification et l'approbation de ses statuts et règlements et la reconnaissance légale pour chacun de ses établissements actuellement existants de fait.

ART. 2. — La demande d'autorisation devra, dans le délai ci-dessus imparti, être déposée au secrétariat général de la préfecture de chacun des départements où l'association possède un ou plusieurs établissements.

Il en sera donné récépissé.

Elle sera transmise au ministre de l'intérieur et des cultes, qui instruira l'affaire.

ART. 3. — A l'égard des congrégations d'hommes, il sera statué par une loi.

A l'égard des congrégations de femmes, suivant les cas et les distinctions établies par la loi du 24 mai 1825, et par le décret du 31 janvier 1852, il sera statué par une loi ou par un décret rendu en conseil d'État.

ART. 4. — Pour les congrégations qui, aux termes de l'article 2 de la loi du 24 mai 1823 et du décret du 31 janvier 1852, peuvent être autorisées par décret rendu en conseil d'État, les formalités à suivre pour l'instruction de la demande seront celles prescrites par l'article 3 de la loi précitée de 1825, auquel il n'est rien innové.

ART. 5. — Pour toutes les autres congrégations, les justifications à produire à l'appui de la demande d'autorisation seront celles énoncées ci-dessous.

ART. 6. — La demande d'autorisation devra contenir la désignation du supérieur ou des supérieurs, la détermination du lieu de leur résidence et la justification que cette résidence est et restera fixée en France. Elle devra indiquer si l'association s'étend à l'étranger ou si elle est renfermée dans le territoire de la République.

ART. 7. — A la demande d'autorisation devront être annexées : 1° la liste nominative de tous les membres de l'association ; cette liste devra spécifier, pour chaque membre, quel est le lieu de son origine et s'il est Français ou étranger ; 2° l'état de l'actif et du passif, ainsi que des .revenus et des charges de l'association et de chacun de ses établissements ; 3° un exemplaire des statuts et règlements.

ART. 8. — L'exemplaire des statuts dont la production est requise devra porter l'approbation des évêques des diocèses dans lesquels l'association a des établissements, et contenir la clause que la congrégation ou communauté est soumise, dans les choses spirituelles, à la juridiction de l'ordinaire.

ART. 9. — 'foute congrégation ou communauté,qui, dans le délai ci-dessus imparti, n'aura pas fait la demande d'autorisation avec les justifications prescrites à l'appui, encourra l'application des lois en vigueur.

ART. 10. — Le ministre de l'intérieur et des cultes et le garde des sceaux, ministre de la justice, sont chargés, chacun en ce qui le concerne, de l'exécution du présent décret, qui sera inséré au Journal officiel et au Bulletin des lois.

 

V

TRIBUNAL DES CONFLITS. — DÉCISION DU 5 NOVEMBRE 1880

Vu l'arrêté, en date du 1er juillet 1880, par lequel le préfet du département du Nord a élevé le conflit d'attributions dans l'instance pendante devant le juge des référés du tribunal civil de Lille, contre les sieurs Marquigny et consorts, prêtres de la compagnie de Jésus, d'une part, et M. Paul Cambon, préfet du Nord, et M. Mornave, commissaire central à Lille, d'autre part ;

Vu la requête présentée par lesdits sieurs Marquigny et autres à M. le président du tribunal de Lille, le 30 juin 1880, à l'effet d'être autorisés à assigner à l'audience des référés du lendemain M. Paul Cambon, préfet du Nord, et M. Mornave, commissaire central à Lille, pour entendre ordonner la réintégration immédiate des requérants dans leur domicile, rue Négrier, même manu militari, et l'exécution par provision et sur minute, vu l'urgence, nonobstant appel ;

Vu l'ordonnance rendue le même jour sur cette requête par le président du tribunal, et l'exploit en date dudit jour, par lequel les requérants ont assigné aux fins ci-dessus M. Paul Cambon et M. Mornave, en leur qualité sus-énoncée ;

Vu le mémoire, en date du 1er juillet, par lequel le préfet du Nord propose le déclinatoire et requiert le pourvoi de la cause à l'autorité administrative ;

Vu les conclusions des sieurs Marquigny et autres tendant au rejet, du déclinatoire ;

Vu les conclusions du procureur de la République exprimant l'avis que le président du tribunal doit se déclarer incompétent ;

Vu l'ordonnance, en date du ter juillet 1880, par laquelle le juge des référés se déclare compétent et renvoie la cause au lendemain pour être jugée au fond ;

Vu l'ordonnance du même jour qui donne communication de l'arrêté de conflit et dit qu'il sera sursis à statuer sur le fond ;

Vu les pièces constatant qu'il a été donné avis aux parties du dépôt au greffe de l'arrêté de conflit ;

Vu la lettre, en date du 18 juillet 1880, par laquelle le procureur général près la Cour de Douai transmet au Garde des sceaux, ministre de la justice, l'arrêté de conflit et les pièces à l'appui ;

Vu la lettre de laquelle il résulte que le dossier a été transmis au secrétariat du tribunal des conflits le 22 juillet 1880 ;

Vu les observations du ministre de l'intérieur et des cultes, enregistrées au secrétariat du tribunal des conflits le 20 septembre 1880, et demandant la confirmation de l'arrêté de conflit ;

Vu l'article 12, titre 11, de la loi des 16-24 août 1790 et la loi du 16 fructidor, an III ;

Vu les lois des 13-19 février 1790 et 18 août 1792, le décret du 3 messidor an XII, la loi du 18 germinal an X (art. 11) et le décret du 29 mars 1880 ;

Vu la loi des 7-14 octobre 17l0 et celle du 24 mai 1872 ;

Vu les ordonnances du 1er juin 1828 et 12 mars 1831 : le règlement d'administration publique du 26 octobre 1849 ;

Ouï M. Collet, membre du tribunal, en son rapport ;

Ouï Me Sabatier, avocat des sieurs Marquigny et consorts, et Mes Mimerel et Jozon, avocats du préfet du Nord, en leurs observations respectives ;

Ouï M. Roujat, commissaire du gouvernement, en ses conclusions ;

Considérant que, par son arrêté en date du 30 juin 1880, le préfet du département du Nord a ordonné la dissolution de l'agrégation formée à Lille, rue Négrier, n° 22, par les membrés de la Congrégation non autorisée dite de Jésus ; qu'il a prescrit la fermeture et l'évacuation immédiate de l'établissement et en outre l'apposition des scellés sur les ouvertures donnant accès à la voie publique ; qu'enfin il a spécialement chargé de l'exécution de cet arrêt le commissaire central à Lille ;

Considérant que cet arrêté a été exécuté le jour même par M. Mornave, commissaire central ;

Considérant que, suivant exploit du 30 juin 1880, M. Marquigny et sept autres personnes, agissant en qualité de prêtres de la compagnie de Jésus, domiciliés rue Négrier, n° 22, ont assigné M. Paul Cambon, préfet du Nord et M. Mornave, commissaire central à Lille, devant le juge des référés du tribunal civil de Lille, à l'effet de faire ordonner leur réintégration immédiate dans leur domicile, rue Négrier, n° 22, même manu militari, et l'exécution par provision et sur minute, vu l'urgence, nonobstant appel ;

Considérant que le préfet du département du Nord soutient que le juge des référés était incompétent pour connaître de l'action intentée par les sieurs Marquigny et consorts, qui tendait à empêcher l'exécution de l'arrêté du 30 juin 1880 ;

Considérant que le décret du 29 mars 1880, qui donnait à la compagnie de Jésus un délai de trois mois pour se dissoudre et pour évacuer les établissements occupés par elle sur le territoire de la République, a été rendu pour l'application des lois des 13-19 février 1190, du 18 août 1792, du 18 germinal an X et du décret de Messidor an XII, et qu'il constituait une mesure de police dont le Ministre de l'intérieur était chargé d'assurer l'exécution ;

Considérant que le préfet du département du Nord, en prenant l'arrêté du 30 juin 1880, et en le faisant exécuter par le commissaire central, d'après les ordres du ministre de l'intérieur, a agi en vertu du décret précité du 29 mars 1880, dans le cercle de ses attributions comme délégué du pouvoir exécutif ; que le commissaire, agent de la police administrative et placé sous les ordres du préfet, n'a fait qu'exécuter les prescriptions de l'arrêté précité, par suite de la délégation spéciale qu'il avait reçue à cet effet ;

Considérant d'ailleurs que ni le préfet ni le commissaire central ne prétendaient aucun droit de propriété ni de jouissance sur ledit immeuble à l'encontre de ceux que les sieurs Marquigny et consorts pouvaient tenir de leurs titres ;

Considérant que si les sieurs Marquigny et consorts se croyaient fondés à soutenir que la mesure prise contre eux n'était autorisée par aucune loi, et que, par suite, le décret et l'arrêté précisés étaient entachés d'excès de pouvoirs, c'était à l'autorité administrative qu'ils devaient s'adresser pour faire prononcer l'annulation de ces actes ;

Considérant que le président du tribunal de Lille, en se déclarant compétent, a méconnu le principe de la séparation des pouvoirs édicté par les lois susvisées des 16-24 août 1790 et 16 fructidor an III.

DÉCIDE :

ARTICLE PREMIER. — L'arrêté de conflit pris par le préfet du département du Nord est confirmé.

ART. 2. — Sont considérées comme non avenues : l'assignation du 30 juin 1880 et l'ordonnance de référé rendue le 1er juillet 1880 par le président du tribunal civil de Lille.

ART. 3. — Expédition de la présente décision sera transmise au Garde des sceaux, ministre de la justice, qui est chargé d'en assurer l'exécution.

 

VI

TRIBUNAL DES CONFLITS. — DÉCISION DU 22 DÉCEMBRE 1880

Vu la plainte portée devant M. le premier président de la cour d'appel de Bordeaux contre le sieur Doniol, préfet de la Gironde, et contre le sieur Chauvin, commissaire central de police à Bordeaux, par le sieur Roucanières, imputant à ces fonctionnaires des faits de violation de domicile et d'attentat à la liberté individuelle ; ladite plainte jointe à une lettre dudit Roucanières, en date du 4 août 4880, et contenant, de la part de ce dernier, déclaration de se porter partie civile ;

Vu l'ordonnance de soit communiqué de M. le premier président, en date du 5 août 1880 ; les réquisitions de M. le procureur général tendant à ce qu'il ne soit pas donné suite à la plainte ; l'ordonnance du 11 août, par laquelle le -premier président dit qu'il eut régulièrement saisi de la poursuite, à raison de la qualité d'officier de police judiciaire appartenant au sieur Chauvin, et qu'il y a lieu d'informer quant aux actes de ce dernier et du préfet de la Gironde pouvant constituer des attentats à la liberté individuelle ;

Vu le mémoire en déclinatoire de compétence présenté par M. le préfet de la Gironde, à la date du 12 août, et l'ordonnance du 14 août 1880, par laquelle le premier président de la Cour de Bordeaux rejette le déclinatoire proposé et se déclare compétent ;

Vu l'arrêté de conflit pris, à la date du 19 août 1880, par le préfet du département de la Gironde ;

Vu les observations de M. le ministre de l'intérieur et des cultes et le mémoire produit par Me Bellaigue, avocat au conseil d'État et à la Cour de cassation, au nom du sieur Roucanières ;

Vu les pièces établissant que les formalités prescrites par la loi ont été accomplies, et que l'affaire a été inscrite, au secrétariat du tribunal des conflits le 8 septembre 1880 ;

Vu l'article 13, titre II, de la loi des 16-24 août 1790 et la loi du 16 fructidor an III ;

Vu les lois des 13-19 février 1790 et 18 août 1792, le décret du 3 messidor an XII, la loi du 18 germinal an X (art. 11) et le décret du 29 mars 1880 ;

Vu la loi des 7-14 octobre 1790 et celle du 24 mai 1872 ;

Vu les ordonnances des 1er juin 1828 et 12 mars 1831 ; le règlement d'administration du 26 octobre 1849 ;

Ouï M. Alméras-Latour, membre du tribunal, en son rapport ;

Ouï Me Bellaigue et Me Jozon, avocat des parties, en leurs observations respectives ;

Ouï M. Chante-Grellet, commissaire du gouvernement, en ses conclusions ;

Sur la recevabilité de l'arrêté du conflit :

Considérant qu'aux termes des lois ci-dessus visées des 16-24 août 1790 et 16 fructidor an III, défense est faite aux tribunaux de citer devant eux les administrateurs pour raison de leurs fonctions .et de connaître des actes d'administration de quelque nature qu'ils soient ; que le droit d'élever le conflit conféré à l'autorité administrative par les lois précitées et par celle du 21 fructidor an Ill, a pour but d'assurer l'exécution de ces prescriptions, et qu'il ne saurait être porté atteinte à ce droit qu'en vertu de dispositions spéciales de la loi ;

Considérant qu'à la vérité le sieur Roucanières soutient que cette disposition spéciale se rencontre dans la cause, et qu'elle résulte de l'article 1er de l'ordonnance du 1er juin 1828, portant qu'à l'avenir le conflit d'attributions entre les tribunaux et l'autorité administrative ne sera jamais élevé en matière criminelle ; qu'il conclut de là que, par application dudit article ter, le conflit élevé par le préfet de la Gironde devant le premier président de la cour de Bordeaux doit être annulé comme non recevable ;

Mais considérant que l'article 1er de l'ordonnance du 1er juin 1823, en interdisant à l'autorité administrative d'élever le conflit en matière criminelle a eu uniquement pour but d'assurer le libre exercice de l'action publique devant la juridiction criminelle exclusive de cette juridiction pour statuer sur ladite action ; mais que ce texte n'a pas eu pour but et ne saurait avoir pour effet de soustraire à l'application du principe de la séparation des pouvoirs l'action civile formée par la partie se prétendant lésée, quelle que soit la juridiction devant laquelle cette action soit portée ;

Considérant, d'autre part, que l'acte duo août 1880, par lequel le sieur Roucanières a porté plainte devant le premier président de la cour d'appel de Bordeaux et s'est porté partie civile contre le préfet de la Gironde et contre le sieur Chauvin, commissaire central de police, ne constituait pas l'exercice d'une action publique ; qu'ainsi la matière n'était pas criminelle dans le sens de l'article 1er de l'ordonnance du 1er juin 1828, et que ledit article 1er ne faisait pas obstacle à ce que le conflit fût élevé sur l'action engagée par le sieur Roucanières ;

Au fond et sur la validité-du conflit :

Considérant que les faits relevés dans la plainte et qualifiés par elle d'attentat à la liberté individuelle, crime prévu par l'article 114 du Code pénal, ne sont autres que les faits constituant l'exécution même de l'arrêté pris, à la date du 30 juin 1880, par le préfet de la Gironde et prescrivant,, d'après les ordres du ministre de l'intérieur et en vertu du décret du 29 mars 1880, la fermeture et l'évacuation immédiate de l'établissement occupé à Bordeaux, rue Margaux, n° 14 et 16, par des membres de la congrégation non autorisée dite de Jésus ;

Considérant qu'en dehors de ces actes d'exécution, il n'est précisé aucun fait personnel distinct, imputable soit au préfet Doniol, soit au commissaire central Chauvin et de nature à engager la responsabilité de l'un ou de l'autre soit au point de vue civil, soit au point de vue pénal.

Considérant que l'autorité judiciaire ne peut, sans méconnaître le principe de la séparation des pouvoirs, connaître d'une poursuite dirigée en réalité contre un acte administratif, alors même qu'en apparence cette poursuite ne vise que la personne. du fonctionnaire qui l'a ordonné ou de celui qui l'a exécuté ; qu'il suit de là que le premier président de la cour d'appel de Bordeaux n'a pu, sans violer ce principe, se déclarer compétent pour informer sur la plainte du sieur Roucanières, alors que cette plainte n'était en réalité que l'instrument d'une action civile fondée exclusivement sur un acte administratif ;

DÉCIDE :

ARTICLE PREMIER. — L'arrêté de conflit pris par le préfet du département de la Gironde, à la date du 10 août 1880, est confirmé.

ART. 2. — Sont considérées comme non avenues : 1° la plainte du sieur Roucanières, en date du 4 août 1880, par laquelle celui-ci a déclaré se porter partie civile ; 2° les ordonnances rendues par le premier président de la cour d-appel de Bordeaux, les 11 et 14 août 1880.

ART. 3. — Expédition de la présente décision sera transmise au Garde des sceaux, ministre de la justice, qui est chargé d'en assurer l'exécution.

 

VII

LOI DU 28 MARS 1882 SUR L'ENSEIGNEMENT PRIMAIRE OBLIGATOIRE

ARTICLE PREMIER. — L'enseignement primaire comprend : L'instruction morale et civique ;

La lecture et l'écriture. ;

La langue et les éléments de la littérature française ;

La géographie, particulièrement celle de la France ;

L'histoire, particulièrement celle de la France jusqu'à nos jours ;

Quelques notions usuelles de droit et d'économie politique ;

Les éléments des sciences naturelles, physiques et mathématiques ; leur application à l'agriculture et à l'hygiène, aux arts industriels, travaux manuels et usage des outils des principaux métiers ;

Les éléments du dessin, du modelage et de la musique ;

La gymnastique ;

Pour les garions, les exercices militaires ;

Pour les filles, les travaux à l'aiguille.

ART. 2. — Les écoles primaires publiques vaqueront un jour par semaine, en outre du dimanche, afin de permettre aux parents dè faire donner, s'ils le désirent, à leurs enfants, l'instruction religieuse en dehors des édifices scolaires.

L'enseignement religieux est facultatif dans les écoles privées.

ART. 3. Sont abrogées les dispositions des articles 18 et 44 de la loi du 14 mars 1850, en ce qu'elles donnent aux ministres des cultes un droit d'inspection, de surveillance et de direction dans les écoles primaires publiques et privées et dans les salles d'asile, ainsi que le paragraphe 2 de l'article 31 de la même loi, qui donne aux consistoires le droit de présentation pour les instituteurs appartenant aux cultes non catholiques.

ART. 4. — L'instruction primaire est obligatoire pour les enfants des deux sexes âgés de six ans révolus à treize ans révolus. Elle peut être donnée dans les établissements d'instruction primaire ou secondaire, soit dans les écoles publiques ou libres, soit dans les familles par le père de famille lui-même ou par toute personne qu'il aura choisie.

Un règlement déterminera les moyens d'assurer l'instruction primaire aux enfants sourds-muets et aux aveugles.

ART. 5. — Une commission municipale scolaire est instituée dans chaque commune pour surveiller et encourager la fréquentation des écoles.

Elle se compose du maire, président, d'un des délégués du canton et, dans les communes comprenant plusieurs cantons, d'autant de délégués qu'il y a de cantons, désignés par l'inspecteur d'académie ; de membres désignés par le conseil municipal en nombre égal au tiers des membres de ce conseil.

A Paris et à Lyon, il y a une commission pour chaque arrondissement municipal ; elle est présidée : à Paris par le maire ; à Lyon par un des adjoints ; elle est composée d'un des délégués cantonaux désignés par l'inspecteur d'académie, de membres désignés par le conseil municipal, au nombre de trois à sept par arrondissement.

Le mandat des membres de la commission scolaire désignés par le conseil municipal durera jusqu'à l'élection d'un nouveau conseil municipal. Il sera toujours renouvelable.

L'inspecteur primaire fait partie de droit de toutes les commissions scolaires instituées dans son ressort.

ART. 6. — Il est institué un certificat d'études primaires. Il est décerné après un examen public, auquel pourront se présenter les enfants dès l'âge de onze ans.

Ceux qui, à partir de cet âge, auront obtenu le certificat d'études primaires, seront dispensés du temps de scolarité obligatoire qui leur restait à passer.

ART. 7. — Le père, le tuteur, la personne qui a la garde de l'enfant, le patron chez qui l'enfant est placé devra, quinze jours au moins avant l'époque de la rentrée des classes, faire savoir au maire de la commune s'il entend faire donner à l'enfant l'instruction dans la famille ou dans une école publique ou privée ; dans ces deux derniers cas, il indiquera l'école choisie.

Les familles domiciliées à proximité de deux ou plusieurs écoles publiques ont là. faculté de faire inscrire leurs enfants à l'une ou à l'autre de ces écoles, qu'elle soit ou non sur le territoire de leurs communes, à moins qu'elle ne compte déjà le maximum d'élèves autorisé par les règlements.

En cas de contestation, et sur là demande, soit du maire, soit des parents, le conseil départemental statue en dernier ressort.

ART. 8. — Chaque année le maire dresse, d'accord avec la commission municipale scolaire, la liste de tous les enfants âgés de six à treize ans, et avise les personnes qui ont charge de ces enfants de l'époque de la rentrée des classes.

En cas de non-déclaration quinze jours avant l'époque de la rentrée de la part des parents et d'autres personnes responsables, il inscrit d'office l'enfant à l'une des écoles publiques, et eu avertit la personne responsable.

Huit jours avant la rentrée des classes, il remet aux directeurs d'écoles publiques et privées la liste des enfants qui doivent suivre leurs écoles. Un double de ces listes est adressé par lui à l'inspection primaire.

ART. 9. — Lorsqu'un enfant quitte l'école, les parents ou les personnes responsables doivent en donner immédiatement avis au maire et indiquer de quelle façon l'enfant recevra l'instruction à l'avenir.

ART. 10. — Lorsqu'un enfant manque momentanément l'école, les parents ou les personnes responsables doivent faire connaître au directeur ou à la directrice les motifs de son absence.

Les directeurs et les directrices doivent tenir un registre d'appel, qui constate, pour chaque classe, l'absence des élèves inscrits. A la fin de chaque mois ils adresseront au maire et à l'inspecteur d'académie un extrait de ce registre, avec l'indication du nombre des absences et des motifs invoqués.

Les motifs d'absence seront -soumis à la commission scolaire. Les seuls motifs réputés légitimes sont les suivants : maladies de l'enfant, décès d'un membre de la famille, empêchements résultant de la difficulté accidentelle des communications. Les autres circonstances exceptionnellement invoquées seront également appréciées par la commission.

ART. 11. — Tout directeur d'école privée qui ne se sera pas conformé aux prescriptions de l'article précédent sera, sur le rapport de la commission scolaire et de l'inspecteur primaire, déféré au conseil départemental.

Le conseil départemental pourra prononcer les peines suivantes : 1° l'avertissement ; 2° la censure ; 3° la suspension pour un mois au plus, et, en cas de récidive dans l'année scolaire, pour trois mois au plus.

ART. 12. — Lorsqu'un enfant se sera absenté de l'école quatre fois dans le mois, pendant au moins une demi-journée, sans justification admise par la commission municipale scolaire, le père, le tuteur ou la personne responsable sera invité, trois jours au moins à l'avance, à comparaître dans la salle des actes de la mairie, devant ladite commission qui lui rappellera le texte de la loi et lui expliquera son devoir.

En cas de non-comparution, sans justification admise, la commission appliquera la peine énoncée dans l'article suivant.

ART. 13. — En cas de récidive dans les douze mois qui suivront la première infraction, la commission municipale scolaire ordonnera l'inscription pendant quinze jours ou un mois, à la porte de la mairie, des nom, prénoms et qualités de la personne responsable, avec indication du fait relevé contre elle.

La même peine sera appliquée aux personnes qui n'auraient pas obtempéré aux prescriptions de l'article 9.

ART. 14. — En cas d'une nouvelle récidive, la commission scolaire ou, à son défaut, l'inspecteur primaire devra adresser une plainte au juge de paix. L'infraction sera considérée comme une contravention et pourra entraîner une condamnation aux peines de police, conformément aux articles 479, 480 et suivants du Code pénal.

L'article 463 du même Code sera applicable.

ART. 15. — La commission scolaire pourra accorder aux enfants demeurant chez leurs parents ou leur tuteur, lorsque ceux-ci en feront la demande motivée, des dispenses do fréquentation scolaire ne pouvant dépasser trois mois par année en dehors des vacances. Ces dispenses devront, si elles excèdent quinze jours, être soumises à l'approbation de l'inspecteur primaire.

Ces dispositions ne sont pas applicables aux enfants qui suivront leurs parents ou leur tuteur, lorsque ces derniers s'absenteront temporairement île la commune. Dans ce cas, un avis donné verbalement ou par écrit au maire ou à l'instituteur suffira.

La commission peut aussi, avec l'approbation du conseil départemental, dispenser les enfants employés dans l'industrie, et arrivés à l'âge de l'apprentissage, d'une des deux classes de la journée ; la même faculté sera accordée à tous les enfants employés, hors de leur famille, dans l'agriculture.

ART. 16. — Les enfants qui reçoivent l'instruction dans la famille doivent, chaque année, à partir de la fin de la deuxième année d'instruction obligatoire, subir un examen qui portera sur les matières de l'enseignement correspondant à leur âge dans les écoles publiques dans les formes et suivant des programmes qui seront déterminés par arrêtés ministériels rendus en conseil supérieur.

Le jury d'examen sera composé de : l'inspecteur primaire ou son délégué, président ; un délégué cantonal ; une personne munie d'un diplôme universitaire ou d'un brevet de capacité ; les juges seront choisis par l'inspecteur d'académie. Pour l'examen des filles, la personne brevetée devra être une femme.

Si l'examen de l'enfant est jugé insuffisant et qu'amine excuse ne soit admise par le jury, les parents sont mis en demeure d'envoyer leur enfant dans une école publique ou privée dans la huitaine de la notification et de faire savoir au maire quelle école ils ont choisie.

En cas de non-déclaration, l'inscription aura lieu d'office, comme il est dit à l'article 8.

ART. 17. — La caisse des écoles instituée par l'article 13 de la loi du 10 avril 1867 sera établie dans toutes les communes. Dans les communes subventionnées, dont la caution n'excède par 30 francs, la caisse aura droit, sur le crédit ouvert pour cet objet au ministère de l'instruction publique, à une subvention au moins égale au montant des subventions communales.

La répartition des secours se fera par les soins de la commission scolaire.

ART. 18. — Des arrêtés ministériels, rendus sur la demande des inspecteurs d'académie et des conseils départementaux, détermineront chaque année les communes où, par suite d'insuffisance des locaux scolaires, les prescriptions des articles 4 et suivants sur l'obligation ne pourraient être appliquées.

Un rapport annuel, adressé aux Chambres, par le ministre de l'instruction publique, donnera la liste des communes auxquelles le présent article aura été appliqué.

 

VIII

AVIS DU CONSEIL D'ÉTAT SUR LA SUPPRESSION DES TRAITEMENTS ECCLÉSIASTIQUES

Le Conseil d'État, consulté par M. le ministre de la justice et des cultes sur la question de savoir si la distinction établie par la loi de finances du 30 décembre 1882 entre les allocations des vicaires généraux, chanoines, desservants et vicaires et les traitements des évêques et curés, ne porte aucune modification aux droits de police du Gouvernement et, notamment, à son pouvoir de prononcer la suppression des traitements comme des allocations par voie disciplinaire ;

Vu les articles ter, 14 et 16 de la convention du 26 messidor an IX, ensemble les articles 68 et 70 de la loi de germinal an X ;

Vu le décret du 17 novembre 1811 :

Vu l'article 29 du décret du 6 novembre 1813 ;

Considérant que l'État possède sur l'ensemble des services publics un droit supérieur de direction et de surveillance qui dérive de sa souveraineté ;

Qu'en ce qui concerne les titulaires ecclésiastiques, ce droit a existé à toute époque et s'est exercé dans l'ancien régime, notamment par voie de saisie de temporel ;

Qu'il n'a pas été abrogé par la législation concordataire, et que son• maintien résulte de l'article 16 de la convention du 26 messidor an IX, qui a formellement reconnu au chef de l'État les droits et prérogatives autrefois exercés par le roi de France ;

Que, depuis, il n'a été dérogé à cette législation traditionnelle par aucune mesure législative ou réglementaire ; qu'ail contraire les Chambres en ont approuvé l'application toutes les fois qu'elle leur a été soumise, notamment en 1832, en 1861 et en 1882 ;

Considérant, d'autre part, que, ni dans les discussions auxquelles le principe a donné lieu, ni dans les applications qui en ont été faites, il n'y a eu de distinction entre les différents titulaires ecclésiastiques ;

Que la modification apportée à l'intitulé du chapitre IV du budget des cultes pour 1883 n'a eu ni pour but, ni pour effet, de changer l'état de choses antérieur ;

Est d'avis :

Que le droit du Gouvernement de suspendre ou de supprimer les traitements ecclésiastiques par mesure disciplinaire s'applique indistinctement à tous les ministres du culte salariés par l'État.

 

IX

LOI DU 5 AVRIL 1884 SUR L'ORGANISATION MUNICIPALE (extrait)

ART. 33. — Ne sont pas éligibles dans le ressort où ils exercent leurs fonctions :

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

9° Les ministres en exercice d'un culte légalement reconnus.

ART. 97. — La police municipale a pour objet d'assurer le bon ordre, la sûreté et la salubrité publiques.

Elle comprend notamment :

1° Tout ce qui intéresse la sûreté et la commodité du passage dans les rues, quais, places et voies publiques, ce qui comprend le nettoiement, l'éclairage, l'enlèvement des encombrements, la démolition ou la réparation des édifices menaçant ruine, l'interdiction de rien exposer aux fenêtres ou aux autres parties des édifices qui puisse nuire par sa chute ou celle de rien jeter qui puisse endommager les passants ou causer des exhalaisons nuisibles ;

2° Le soin de réprimer les atteintes à la tranquillité publique, telles que les rixes et disputes accompagnées d'ameutement dans les rues, le tumulte excité dans les lieux d'assemblée publique, les attroupements, les bruits et rassemblements nocturnes qui troublent le repos des habitants, et tous actes de nature à compromettre la tranquillité publique ;

3° Le maintien du bon ordre dans les endroits où il se fait des grands rassemblements d'hommes, tels que les foires, marchés, réjouissances et cérémonies publiques, spectacles, jeux, cafés, églises et autres lieux publics ;

4° Le mode de transport des personnes décédées, les inhumations et exhumations, le maintien du bon ordre et de la décence dans les cimetières, sans qu'il soit permis d'établir des distinctions ou prescriptions particulières à raison des croyances ou du culte du défunt ou des circonstances qui ont accompagné sa mort ;

ART. 99. — Les pouvoirs qui appartiennent au maire, en vertu de l'article 91, ne font pas obstacle au droit du préfet de prendre, pour toutes les communes du département ou plusieurs d'entre elles, et dans tous les cas où il n'y aurait été pourvu par les autorités municipales, toutes mesures relatives au maintien de la salubrité, de la sûreté et de la tranquillité publiques.

Ce droit ne pourra être exercé par le préfet à l'égard d'une seule commune qu'après une mise en demeure au maire' restée sans résultats.

ART. 100. — Les cloches des églises sont spécialement affectées aux cérémonies du culte.

Néanmoins elles peuvent être employées dans les cas de péril commun qui exigent un prompt secours et dans les circonstances on cet emploi est prescrit par des dispositions de lois où de règlements, ou autorisé par les usages locaux.

Les sonneries religieuses, comme les sonneries civiles, feront l'objet d'un règlement concerté entre l'évêque et le préfet, ou entre le préfet et les consistoires, et arrêté, en cas de désaccord, par le ministre des cultes.

ART. 101. — Une clef du clocher sera déposée entre les mains des titulaires ecclésiastiques, une autre entre les mains du maire, qui ne pourra en faire usage que dans les circonstances prévues par les lois ou règlements.

ART. 136. — Sont obligatoires pour les communes les dépenses suivantes :

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

11° L'indemnité de logement aux curés et desservants et ministres des autres cultes salariés par l'État, lorsqu'il n'existe pas de bâtiment affecté à leur logement et lorsque les fabriques et autres administrations préposées aux cultes ne pourront pourvoir elles-mêmes au payement de cette indemnité ;

12° Les grosses réparations aux édifices communaux, sauf, lorsqu'ils sont consacrés aux cultes, l'application préalable des revenus et ressources disponibles des fabriques à ces réparations, et sauf l'exécution des lois spéciales concernant les bâtiments affectés à un service militaire.

S'il y a désaccord entre la fabrique et la commune, quand le concours financier de cette dernière est réclamé par la fabrique dans le cas prévu aux paragraphes 11 et 12, il est statué par décret sur les propositions des ministres de l'intérieur et des cultes ;

13°. La clôture des cimetières, leur entretien et leur translation dans les cas déterminés par les lois et règlements d'administration publique.

 

X

LOI DU 27 JUILLET 1884  SUR LE DIVORCE (extrait)

ART. 1er. — La loi du 8 mai 1816 est abrogée.

Les dispositions du Code civil abrogées par cette loi sont rétablies, à l'exception de celles qui sont relatives au divorce par consentement mutuel, et avec les modifications suivantes, apportées aux articles 230, 232, 235, 261, 263, 295, 296, 298, 299, 306, 307 et 310.

ART. 230. — La femme pourra demander le divorce pour cause d'adultère du mari.

ART. 232. — La condamnation de l'un des époux à une peine afflictive et infamante sera pour l'autre époux une cause de divorce.

ART. 295. — Les époux divorcés ne pourront plus se réunir, si l'un ou l'autre a, postérieurement au divorce, contracté un nouveau mariage suivi d'un second divorce. Au cas de réunion des époux, une nouvelle célébration du mariage sera nécessaire.

Les époux ne pourront adopter un régime matrimonial autre que celui qui réglait originairement leur union.

Après la réunion des époux, il ne sera reçu de leur part aucune demande de divorce pour quelque cause que ce soit, autre que celle d'une condamnation à une peine afflictive et infamante prononcée contré l'un d'eux depuis leur réunion.

ART. 296. — La femme divorcée ne pourra se remarier que dix mois après que le divorce sera devenu définitif.

ART. 298. — Dans le cas de divorce admis en justice pour cause d'adultère, l'époux coupable ne pourra jamais se marier avec son complice.

ART. 299. — L'époux contre lequel le divorce aura été prononcé perdra tous les avantages que l'autre époux lui avait faits, soit par contrat de mariage, soit depuis le mariage.

ART. 306. — Dans le cas où il y a lieu à demande en divorce, il sera libre aux époux de formuler une demande en séparation de corps.

ART. 310. — Lorsque la séparation de corps aura duré trois ans, le jugement pourra être converti en jugement de divorce sur la demande formée par l'un des époux.

 

XI

LOI DU 30 OCTOBRE 1886 SUR L'ORGANISATION DE L'ENSEIGNEMENT PRIMAIRE (extrait)

ART. 17. — Dans les écoles publiques de tout ordre, l'enseignement est exclusivement confié à un personnel laïque.

ART. 18. — Aucune nomination nouvelle, soit d'instituteur, soit d'institutrice congréganiste, ne sera faite dans les départements où fonctionnera depuis quatre ans une école normale soit d'instituteurs, soit d'institutrices, en conformité avec l'article premier de la loi du 9 août 1879. Dans les écoles de garçons, la substitution du personnel laïque au personnel congréganiste devra être complète dans un laps de cinq ans après la promulgation de la présente loi.

ART. 19. — Toute action à raison des donations et legs faits aux communes antérieurement à la présente loi, à la charge d'établir des écoles ou salles d'asile dirigées par les congréganistes ou ayant un caractère confessionnel, sera déclarée non recevable, si elle n'est pas intentée dans les deux ans qui suivront le jour où l'arrêté de laïcisation ou de suppression de l'école aura été inséré au Journal officiel.

ART. 27. — La nomination des instituteurs titulaires est faite par le préfet, sous l'autorité du ministre de l'instruction publique, et sur la proposition de l'inspecteur d'académie.

ART. 44. — Il est institué dans chaque département un Conseil de l'enseignement primaire, composé ainsi qu'il suit : 1° le préfet, président ; 2° l'inspecteur d'académie, vice-président ; 3° quatre conseillers généraux, élus par leurs collègues ; 4° le directeur de l'école normale d'instituteurs et la directrice de l'école normale d'institutrices ; 5° deux instituteurs et deux institutrices élus respectivement par les instituteurs et institutrices publics titulaires du département et éligibles soit parmi les directeurs et directrices d'écoles primaires à plusieurs classes ou d'écoles annexes à l'école normale, soit parmi les instituteurs ou institutrices en retraite, 6° deux inspecteurs de l'enseignement primaire désignés par le ministre. — Aucun membre du Conseil ne pourra se faire remplacer. — Dans les affaires contentieuses et disciplinaires intéressant les membres de l'enseignement privé, deux membres de l'enseignement privé, l'un laïque, l'autre congréganiste, élus par leurs collègues respectifs, seront adjoints au Conseil départemental.

 

XII

LOI DU 15 NOVEMBRE 1887 SUR LA LIBERTÉ DES FUNÉRAILLES

ARTICLE PREMIER. — Toutes les dispositions légales relatives aux honneurs funèbres seront appliquées, quel que soit le caractère des funérailles, civil ou religieux.

ART. 2. — Il ne pourra jamais être établi, même par voie d'arrêté, des prescriptions particulières relatives aux funérailles, en raison de leur caractère civil ou religieux.

ART. 3. — Tout majeur ou mineur émancipé, en état de tester, peut régler les conditions de ses funérailles, notamment en ce qui concerne le caractère civil ou religieux à leur donner et le mode de sa sépulture.

Il peut charger une ou plusieurs personnes de veiller à l'exécution de ses dispositions.

Sa volonté, exprimée dans un testament ou dans une déclaration faite en forme testamentaire, soit par-devant notaire, soit sur signature privée, a la même force qu'une disposition testamentaire relative aux biens, elle est soumise aux mêmes règles quant aux conditions de la révocation.

Un règlement d'administration publique déterminera les conditions applicables aux divers modes de sépulture. Toute contravention aux dispositions de ce règlement sera punie des peines édictées par l'article 5 de la présente loi.

ART. 4. — En cas de contestation sur les conditions des funérailles, il est statué, dans le jour, sur la citation de la partie la plus diligente, par le juge de paix du lieu du décès, sauf appel devant le tribunal civil de l'arrondissement, qui devra statuer dans les vingt-quatre heures.

La décision est notifiée au maire, qui est chargé d'en assurer l'exécution.

Il n'est apporté par la présente loi aucune restriction aux attributions des maires en ce qui concerne les mesures à prendre dans l'intérêt de la sécurité publique.

ART. 5. — Sera punie des peines portées aux articles 199 et 200 du Code pénal, sauf application de l'article 463 dudit Code, toute personne qui aura donné aux funérailles un caractère contraire à la volonté du défunt ou à la décision judiciaire, lorsque l'acte constatant la volonté du défunt ou la décision du juge lui aura été dûment notifié.

ART. 6. — La présente loi est applicable à l'Algérie et aux colonies.

 

XIII

ENCYCLIQUE LIBERTAS PHESTANTISSIMUM (20 JUIN 1888) (extrait).

... Que si, dans les discussions qui ont cours sur la liberté, on entendait cette liberté, légitime et honnête, telle que la raison et Notre, parole viennent de la décrire, nul n'oserait plus poursuivre l'Église de ce reproche qu'on lui jette avec une souveraine injustice, à savoir qu'elle est l'ennemie de la liberté des individus et de la liberté des Etats. Mais, il en est un grand nombre qui, à l'exemple de Lucifer, de qui est ce mot criminel : Je ne servirai pas, entendent par le nom de liberté ce qui n'est qu'une pure et absurde licence. Tels sont ceux qui appartiennent à cette école si répandue et si puissante et qui, empruntant leur nom au mot de-liberté, veulent être appelés des Libéraux.

Et, en effet, ce que sont les partisans du Naturalisme et du Rationalisme en philosophie, les fauteurs du Libéralisme le sont dans l'ordre moral et civil, puisqu'ils introduisent dans les mœurs et dans la pratique de la vie les principes posés par les partisans du Naturalisme. — Or, le principe de tout rationalisme, c'est la domination souveraine de la raison humaine, qui, refusant l'obéissance due à la .raison divine et éternelle, et prétendant ne relever que d'elle-même, ne se reconnait qu'elle seule pour principe suprême, source et juge de la vérité. Telle est la prétention des sectateurs du Libéralisme dont nous avons parlé ; selon eux, il n'y a dans la pratique de la vie aucune puissance divine à laquelle on soit tenu d'obéir, mais chacun est à soi-même sa propre loi. De là procède cette morale que l'on appelle indépendante et qui, sous l'apparence de la liberté, détournant la volonté de l'observation des divins préceptes, conduit l'homme à une licence illimitée.

Ce qui en résulte finalement, surtout dans les sociétés humaines, il est facile de le voir. Car, une fois cette conviction fixée dans l'esprit que personne n'a d'autorité sur l'homme, la conséquence est que la cause efficiente de la communauté civile et de la société doit être cherchée, non pas dans un principe extérieur ou supérieur à l'homme, mais dans la libre volonté de chacun, et que la puissance publique émane de la multitude comme de sa source première ; en outre, ce que la raison individuelle est pour l'individu, à savoir la seule loi qui règle la vie privée, la raison collective doit l'être pour la collectivité dans l'ordre des affaires publiques : de là la puissance appartenant au nombre, et les majorités créant seules le droit et le devoir. — Mais l'opposition de tout cela avec la raison ressort assez de ce qui a été dit. En effet, vouloir qu'il n'y ait aucun lien entre l'homme ou la société civile et Dieu créateur et, par conséquent, suprême législateur de toutes choses, répugne absolument à la nature, et non seulement à la nature de l'homme, niais à celle de tout être créé ; car tout effet est nécessairement uni par quelque lien à la cause d'où il procède ; et il convient à toute nature, et il appartient à la perfection de chacune, qu'elle reste au lieu et au rang que lui assigne l'ordre naturel, c'est-à-dire que l'être inférieur se soumette et obéisse à celui qui lui est supérieur.

Mais, de plus, une pareille doctrine apporte le plus grand dommage tant à l'individu qu'à la société. Et, en réalité, si l'on fait dépendre du jugement de la seule et unique raison humaine le bien et le mal, on supprime la différence propre entre le bien et le mal ; le honteux et l'honnête ne diffèrent plus en réalité, mais seulement dans l'opinion et le jugement de chacun ; ce qui plaît sera permis. Dès que l'on admet une semblable doctrine morale, qui ne suffit pas à 'réprimer ou apaiser les mouvements désordonnés de l'âme, on ouvre l'accès à toutes les corruptions de la vie. Dans les affaires publiques, le pouvoir de commander se sépare du principe vrai et naturel auquel il emprunte toute sa puissance pour procurer le bien commun ; la loi qui détermine ce qu'il faut faire et éviter est abandonnée aux caprices de la multitude plus nombreuse, ce qui est préparer la voie à la domination tyrannique. Dès que l'on répudie le pouvoir de Dieu sur l'homme et sur la société humaine, il est naturel que la société n'ait plus de religion, et tout ce qui touche à la religion devient dès lors l'objet de la plus complète indifférence. Armée pareillement de l'idée de sa souveraineté, la multitude se laissera facilement aller à la sédition et aux troubles, et le frein du devoir et de la conscience n'existant plus, il ne reste plus rien que la force, la force qui est bien faible à elle seule pour contenir les passions populaires. Nous en avons la preuve dans ces luttes presque quotidiennes engagées contre les Socialistes et autres sectes séditieuses qui travaillent depuis si longtemps à bouleverser l'État jusque dans ses fondements. Qu'on juge donc et qu'on prononce, pour peu qu'on ait le juste sens des choses, si de telles+ doctrines profitent à la liberté vraie et digne de l'homme, ou si elles n'en sont pas plutôt le renversement et la destruction complète.

Sans doute, de telles opinions effrayent par leur énormité même, et leur opposition manifeste avec la vérité, comme aussi l'immensité des maux dont Nous avons vu qu'elles sont la cause, empêchent les partisans du libéralisme d'y donner tous leur adhésion. Contraints même par la force de la vérité, nombre d'entre eux n'hésitent pas à reconnaître, ils professent même spontanément, qu'en s'abandonnant à de tels excès, au mépris de la vérité et de la justice, la liberté se vicie et dégénère ouvertement en licence ; il faut donc qu'elle soit dirigée, gouvernée par la droite raison, et, ce qui est la conséquence, qu'elle soit soumise au droit naturel et à loi divine et éternelle. Mais là ils croient devoir s'arrêter, et ils n'admettent pas que l'homme libre doive se soumettre aux lois qu'il plairait à Dieu de nous inspirer par une autre voie que la raison naturelle.

Mais en cela, ils sont absolument en désaccord avec eux-mêmes. Car s'il faut, comme ils en conviennent eux-mêmes — et qui pourrait raisonnablement n'en pas convenir ? —, s'il faut obéir à la volonté de Dieu législateur, puisque l'homme tout entier dépend de Dieu et doit tendre vers Dieu, il en résulte que nul ne peut mettre des bornes ou des conditions à son autorité législative, sans se mettre en opposition avec l'obéissance due à Dieu. Bien plus : si la raison humaine s'arroge assez de prétention pour vouloir déterminer quels sont les droits de Dieu et ses devoirs à elle, le respect des lois divines aura chez elle plus d'apparence que de réalité, et son jugement vaudra plus que l'autorité et la Providence divine.

Il est donc nécessaire que la règle de notre vie soit par nous constamment et religieusement empruntée, non seulement à la loi éternelle, mais à l'ensemble et au détail de toutes les lois que Dieu, dans son infinie sagesse, dans son infinie puissance, et par les moyens qui lui ont plu, a voulu nous transmettre, et que nous pouvons connaître avec assurance, par des marques évidentes qui ne laissent aucune place au doute. Et cela d'autant mieux que ces sortes de lois, ayant le même principe, le même auteur que la loi éternelle, ne peuvent nécessairement que s'harmoniser avec la raison et perfectionner le droit naturel ; d'ailleurs, nous y trouvons  renfermé le magistère de Dieu lui-même, qui, pour empêcher notre intelligence et notre volonté de tomber dans l'erreur, les conduit l'une et l'autre et les guide par la plus bienveillante des directions. Laissons donc saintement et inviolablement réuni ce qui ne peut, ne doit être séparé, et qu'en toutes choses, selon que l'ordonne la raison naturelle elle-même, Dieu nous trouve soumis et obéissants à ses lois.

D'autres vont un peu moins loin, mais sans être plus conséquents avec eux-mêmes ; selon eux, les lois divines doivent régler la vie et la conduite des particuliers, mais non celle des Etats ; il est permis dans les choses publiques de s'écarter des ordres de Dieu et de légiférer sans en tenir aucun compte : d'où naît cette conséquence pernicieuse de la séparation de l'Église et de l'État. — Mais l'absurdité de ces opinions se comprend sans peine. Il faut, la nature même le crie, il faut que la société donne aux citoyens les moyens et les facilités de passer leur vie selon l'honnêteté, c'est-à-dire selon les lois de Dieu, puisque Dieu est le principe de toute honnêteté et de toute justice ; il répugnerait donc absolument que l'État pût se désintéresser de ces mûmes lois ou même aller contre elles en quoi que ce soit.

De plus, ceux qui gouvernent les peuples doivent certainement à la chose publique de lui procurer, par la sagesse de leurs lois, non seulement les avantages et les biens du dehors, mais aussi et surtout les biens de l'âme. Or, pour accroître ces biens, on ne saurait rien imaginer de plus efficace que ces lois dont Dieu est l'auteur ; et c'est pour cela que ceux qui veulent, dans le gouvernement des Etats, ne tenir aucun compte des lois divines, détournent vraiment la puissance politique de son institution et de l'ordre prescrit par la nature. Mais une remarque plus importante et que Nous avons Nous-même rappelée plus d'une fois ailleurs, c'est que le pouvoir civil et le pouvoir sacré, bien que n'ayant pas le même but et ne marchant pas par les mêmes chemins, doivent pourtant, dans l'accomplissement de leurs fonctions, se rencontrer quelquefois l'un et l'autre. Tous deux, en effet, exercent plus d'une fois leur autorité sur les mêmes objets, quoique à des points de vue différents. Le conflit dans cette occurrence, serait absurde et répugnerait ouvertement à l'infinie sagesse des conseils divins : il faut donc nécessairement qu'il y ait un moyen, un procédé pour faire disparaître les causes de contestations et de luttes et établir l'accord dans la pratique. Et cet accord, ce n'est pas sans raison qu'on l'a comparé à l'union qui existe entre l'âme et le corps, et cela au plus grand avantage des deux conjoints, car la séparation est particulièrement funeste au corps, puisqu'elle le prive de la vie.

Mais pour mieux mettre en lumière ces vérités, il est bon que nous considérions séparément les diverses sortes de libertés que l'on donne comme des conquêtes d-e notre époque. — Et d'abord, à propos des individus, examinons cette liberté si contraire à la vertu de religion, la liberté des cultes, comme on l'appelle, liberté qui repose sur ce principe qu'il est loisible à chacun de professer telle religion qu'il lui plaît, ou même de n'en professer aucune. — Mais, tout au contraire, c'est bien là sans nul doute, parmi tous les devoirs de l'homme, le plus grand et le plus saint, celui qui ordonne à l'homme de rendre à Dieu un culte de piété et de religion. Et ce devoir n'est qu'une conséquence de ce fait que nous sommes perpétuellement sous la dépendance de Dieu, gouvernés par la volonté et la Providence de Dieu, et que, sortis de lui, nous devons retourner à lui.

Il faut ajouter qu'aucune vertu digne de ce nom ne peut exister sans la religion, car la vertu morale est celle dont les actes ont pour objet tout ce qui Nous conduit à Dieu considéré comme notre suprême et souverain bien ; et c'est pour cela que la religion, qui accomplit les actes ayant pour fin directe et immédiate l'honneur divin, est la reine à la fois et la règle de toutes les vertus. Et si l'on demande, parmi toutes ces religions opposées qui ont cours, laquelle il faut suivre à l'exclusion des autres, la raison et la nature s'unissent pour nous répondre : celle que Dieu a prescrite et qu'il est aisé de distinguer, grâce à certains signes extérieurs par lesquels la divine Providence a voulu la rendre reconnaissable, car, dans une chose de cette importance, l'erreur entraînerait des conséquences trop désastreuses. C'est pourquoi offrir à l'homme la liberté dont Nous parlons, c'est lui donner le pouvoir de dénaturer impunément le plus saint des devoirs, de le déserter, abandonnant le bien immuable pour se tourner vers le mal : ce qui, nous l'avons dit, n'est plus la liberté, mais une dépravation de la liberté et une servitude de l'âme dans l'abjection du péché.

Envisagée au point de vue social, cette même liberté veut que l'État ne rende aucun culte à Dieu, ou n'autorise aucun culte public ; que nulle religion ne soit préférée à l'autre, que toutes soient considérées comme ayant les mêmes droits, sans même avoir égard au peuple, lors même que ce peuple fait profession de catholicisme. Mais pour qu'il en fût ainsi, il faudrait vraiment que la communauté civile n'eût aucun devoir envers Dieu, ou qu'en ayant, elle pût impunément s'en affranchir ; ce qui est également et manifestement faux. On ne saurait mettre en doute, en effet, que la réunion des hommes en société ne soit l'œuvre et la volonté de Dieu, et cela qu'on la considère dans ses membres, dans sa forme qui est l'autorité, dans sa cause ou dans le nombre et l'importance des avantages qu'elle procure à l'homme. C'est Dieu qui a fait l'homme pour la société et qui l'a uni à ses semblables, afin que les besoins de sa nature, auxquels ses efforts solitaires ne pourraient donner satisfaction, pussent le trouver dans l'association. C'est pourquoi la société civile, en tant que société, doit nécessairement reconnaître Dieu comme son principe et son auteur et, par conséquent, rendre à sa puissance et à son autorité l'hommage de son culte. Non, de par la justice ; non, de par la raison, l'État ne peut être athée, ou, ce qui reviendrait à l'athéisme, être animé à l'égard de toutes les religions, comme on dit, des mêmes dispositions, et leur accorder indistinctement les mêmes droits. — Puisqu'il est donc nécessaire de professer une religion dans la société, il faut professer celle qui est la seule vraie, et que l'on reconnaît sans peine, au moins dans les pays catholiques, aux signes de vérité dont elle porte en elle l'éclatant caractère. Cette religion, les chefs de l'État doivent donc la conserver et la protéger, s'ils veulent, comme ils en ont l'obligation, pourvoir prudemment et utilement aux intérêts de la communauté. Car la puissance publique a été établie pour l'utilité de ceux qui sont gouvernés, et quoiqu'elle n'ait pour fin prochaine que de conduire les citoyens à la prospérité de cette vie terrestre, c'est pourtant un devoir pour elle de ne point diminuer, mais d'accroître, au contraire, pour l'homme, la faculté d'atteindre à ce bien suprême et souverain dans lequel consiste l'éternelle félicité des hommes, ce qui devient impossible sans la religion.

Mais Nous avons dit ailleurs tout cela plus en détail : la seule remarque que nous voulons faire pour le moment, c'est qu'une liberté de ce genre est ce qui porte le plus de préjudice à la liberté véritable, soit des gouvernants, soit des gouvernés. La religion, au contraire, lui est merveilleusement utile, parce qu'elle fait remonter jusqu'à Dieu même l'origine première du pouvoir ; qu'elle impose avec une très grave autorité aux princes l'obligation de ne point oublier leurs devoirs ; de ne point commander avec injustice ou dureté, et de conduire les peuples avec bonté et presque avec un amour paternel.

D'autre part, elle recommande aux citoyens, à l'égard de la puissance légitime, la soumission comme aux représentants de Dieu ; elle les unit aux chefs de l'État par les liens, non seulement de l'obéissance, mais du respect et de l'amour, leur interdisant la révolte et toutes les entreprises qui peuvent troubler l'ordre et la tranquillité de l'État, et qui, en résumé, donnent occasion de comprimer, par des restrictions plus fortes, la liberté des citoyens. Nous ne disons rien des services rendus par la religion aux bonnes mœurs et, par les bonnes mœurs, à la liberté même. Un fait prouvé par la raison et que l'histoire confirme, c'est que la liberté, la prospérité et la puissance d'une nation grandissent en proportion de sa moralité.

Et maintenant, poursuivons ces considérations au sujet de la liberté d'exprimer par la parole ou par la presse tout ce que l'on veut. Assurément, si cette liberté n'est pas justement tempérée, si elle dépasse le terme et la mesure, une telle liberté, il est à peine besoin de le dire, n'est pas un droit, car le droit est une faculté morale, et, comme nous l'avons dit, et comme on ne peut trop le redire, il serait absurde de croire qu'elle appartient naturellement, et sans distinction ni discernement, à la vérité et au mensonge, au bien et au mal. Le vrai, le bien, on a le droit de les propager dans l'État avec une liberté prudente, afin qu'un plus grand nombre en profite ; mais les doctrines mensongères, peste la plus fatale de toutes pour l'esprit ; mais les vices qui corrompent le cœur et les mœurs, il est juste que l'autorité publique emploie à les réprimer sa sollicitude, afin d'empêcher le mal de s'étendre pour la ruine de la société. Les écarts d'un esprit licencieux, qui, pour la multitude ignorante, deviennent facilement une véritable oppression, doivent justement être punis par l'autorité des lois, non moins que les attentats de la violence commis contre les faibles. Et cette répression est d'autant plus nécessaire que contre ces artifices de style et ces subtilités de dialectique, surtout quand tout cela flatte les passions, la partie sans contredit la plus nombreuse de la population ne peut en aucune façon, ou ne peut qu'avec une très grande difficulté se tenir en garde. Accordez à chacun la liberté illimitée de parler et d'écrire, rien ne demeure sacré et inviolable, rien ne sera épargné, pas même ces vérités premières, ces grands principes naturels que l'on doit considérer comme un noble patrimoine commun à toute l'humanité. Ainsi, la vérité est peu à peu envahie par les ténèbres, et l'on voit, ce qui arrive souvent, s'établir avec facilité la domination des erreurs les plus pernicieuses et les plus diverses. Tout ce que la licence y gagne, la liberté le perd ; car on verra toujours la liberté grandir et se raffermir à mesure que la licence sentira davantage le frein.

Mais s'agit-il de matières libres que Dieu a laissées aux disputes des hommes, à chacun il est permis de se former une opinion et de l'exprimer librement ; la nature n'y met point d'obstacle ; car une telle liberté n'a jamais conduit les hommes à opprimer la vérité, mais elle leur donne souvent une occasion de la rechercher et de la faire connaître.

Quant à ce qu'on appelle liberté d'enseignement, il n'en faut pas juger d'une façon différente. Il n'y a que la vérité, on n'en saurait douter, qui doit entrer dans les âmes, puisque c'est en elle que les natures intelligentes trouvent leur bien, leur fin, leur perfection ; c'est pourquoi l'enseignement ne doit avoir pour objet que des choses vraies, et cela qu'il s'adresse aux ignorants ou aux savants, afin qu'il apporté aux uns la connaissance du vrai, que dans les autres il l'affermisse. C'est pour ce motif que le devoir de quiconque se livre à l'enseignement est, sans contredit, d'extirper l'erreur des esprits et d'exposer des protections sûres à l'envahissement des fausses opinions. Il est donc évident que la liberté dont nous traitons, en s'arrogeant le droit de tout enseigner à sa guise, est en contradiction flagrante avec la raison et qu'elle est née pour produire un renversement complet dans les esprits ; le pouvoir public ne peut accorder une pareille licence dans la société qu'au mépris de son devoir. Cela est d'autant plus vrai que l'on sait de quel poids est pour les auditeurs l'autorité du professeur, et combien il est rare qu'un disciple puisse juger par lui-même de la vérité de l'enseignement du maître.

C'est pourquoi cette liberté aussi, pour demeurer honnête, a besoin d'être restreinte dans des limites déterminées ; il ne faut pas que l'art de l'enseignement puisse impunément devenir un instrument de corruption. — Or, la vérité qui doit être l'unique objet de l'enseignement est de deux sortes : il y a la vérité naturelle et la vérité surnaturelle. Les vérités naturelles, auxquelles appartiennent les principes de la nature et les conclusions prochaines que la raison en déduit, constituent comme le commun patrimoine du genre humain ; elles sont comme le solide fondement sur lequel reposent les mœurs, la justice, la religion, l'existence même de la société humaine ; et ce serait dès lors la plus grande des impiétés, la plus inhumaine des folies que de les laisser impunément violer et détruire. — Mais il ne faut pas mettre moins de scrupules à conserver le grand et sacré trésor des vérités que Dieu lui-même nous a fait connaître. Par un grand nombre d'arguments lumineux, souvent répétés par les apologistes, certains points principaux de doctrine ont été établis, par exemple : il y a une révélation divine ; le Fils unique de Dieu s'est fait chair pour rendre témoignage à la vérité ; par lui, une société parfaite a été fondée, à savoir : l'Église dont il est lui-même le Chef et avec laquelle il a promis de demeurer jusqu'à la consommation des siècles.

A cette société, il a voulu confier toutes les vérités qu'il avait enseignées, avec mission de les garder, de les défendre, de les développer avec une autorité légitime ; et, en même temps, il a ordonné à toutes les nations d'obéir aux enseignements de son Église comme à lui-même, avec menace de la perte éternelle pour ceux qui y contreviendraient. D'où il ressort clairement que le maître le meilleur et le plus sûr à l'homme, c'est Dieu, source et principe de toute vérité ; c'est le Fils unique qui est dans le sein du Père, voie, vérité, vie ; lumière véritable qui éclaire tout homme, et dont l'enseignement doit avoir tous les hommes pour disciples ; et ils seront tous enseignés de Dieu.

Mais, pour la foi et la règle des mœurs, Dieu a fait participer l'Église à son divin magistère et lui a accordé le divin privilège de ne point connaître l'erreur. C'est pourquoi elle est la grande, la sûre maîtresse des hommes, et porte en elle un inviolable droit à la liberté d'enseigner. Et de fait, l'Église, qui, dans ses enseignements reçus du ciel. trouve son propre soutien, n'a eu rien de plus à cœur que de remplir religieusement la mission que Dieu lui a confiée, et, sans se laisser intimider par les difficultés qui l'environnent de toutes parts, elle n'a cessé en aucun tem de combattre pour la liberté de son magistère. C'est par ce moyen que monde entier, délivré de la misère de ses superstitions, a trouvé dans sagesse chrétienne son renouvellement. Mais s'il est vrai, comme la raison elle-même le dit clairement, qu'entre les vérités divinement révélées et les vérités naturelles, il ne peut y avoir de réelle opposition, de sorte que toute doctrine contredisant celle-là soit nécessairement fausse, il s'ensuit que le divin magistère de l'Église, loin de faire obstacle à l'amour du savoir et à l'avancement des sciences, ou de retarder en aucune manière le progrès de la civilisation, est, au contraire, pour ces choses une très grande lumière et une sûre protection. Et, par la même raison, le perfectionnement même de la liberté humaine, ne profite pas peu de son influence, selon la maxime qui est du Sauveur Jésus-Christ, que l'homme devient libre par la vérité : Vous connaitrez la liberté, et la liberté vous rendra libre.

Il n'y a donc pas de motif pour que la vraie science digne de ce nom s'irrite contre les lois justes et nécessaires qui doivent régler les enseignements humains, ainsi que le réclament ensemble l'Église et la raison.

Il y a plus, et, comme bien des faits l'attestent, l'Église, tout en dirigeant principalement et spécialement son activité vers la défense de la foi chrétienne, s'applique aussi è. favoriser l'amour et le progrès des sciences humaines. Car c'est quelque chose de bon en soi, de louable, de désirable, que les bonnes études ; et de plus, toute science qui est le fruit d'une raison saine et qui répond à la réalité des choses n'est pas d'une médiocre utilité pour éclairer même des vérités révélées. Et de fait, quels immenses services l'Église n'a-t-elle pas rendus par l'admirable soin avec lequel elle a conservé les monuments de la sagesse antique, par les asiles qu'elle a, de toutes parts, ouverts aux sciences, par les encouragements qu'elle a toujours donnés à tous les progrès, favorisant d'une manière particulière les arts même qui font la gloire de la civilisation de notre époque ?

Enfin, il ne faut pas oublier qu'un champ immense reste ouvert où l'activité humaine peut se donner carrière et le génie s'exercer librement. Nous voulons parler des matières qui n'ont pas une connexion nécessaire avec les doctrines de la foi et des mœurs chrétiennes, ou sur lesquelles l'Église, n'usant pas de son autorité, laisse aux savants toute la liberté de leurs jugements. — De ces considérations, il ressort comment les partisans du Libéralisme entendent sur ce point, et représentent cette liberté qu'ils réclament et proclament avec une égale ardeur. D'une part, ils s'arrogent à eux-mêmes, ainsi qu'à l'État, une licence telle, qu'il n'y a point d'opinion si perverse à laquelle ils n'ouvrent la porte et ne livrent passage ; de l'autre, ils suscitent à l'Église obstacles sur obstacles, confinant sa liberté dans les limites les plus étroites qu'ils peuvent, alors cependant que, de cet enseignement de l'Église, aucun inconvénient n'est à redouter, et que, au contraire, on doit en attendre les plus grands avantages.

Une autre liberté que l'on proclame aussi bien haut est celle qu'on nomme liberté de conscience. Que si l'on entend par là que chacun peut indifféremment, à son gré, rendre ou ne pas rendre un culte à Dieu, les arguments qui ont été donnés plus haut suffisent à le réfuter. Mais on peut l'entendre aussi en ce sens que l'homme a dans l'État le droit de suivre, d'après la conscience de son devoir, la volonté de Dieu, et d'accomplir ses préceptes sans que rien ne puisse l'en empêcher. Cette liberté, la vraie liberté, la liberté digne des enfants de Dieu, qui protège si glorieusement la dignité de la personne humaine, est au-dessus de toute violence et de toute oppression, elle a toujours été l'objet des vœux de l'Église et de sa particulière affection. C'est cette liberté que les apôtres ont revendiquée avec tant de constance, que les apologistes ont défendue dans leurs écrits, qu'une foule innombrable de martyrs ont consacrée de leur sang. Et ils ont eu raison, car la grande et très juste puissance de Dieu sur les hommes et, d'autre part, le grand et suprême devoir des hommes envers Dieu trouvent l'un et l'autre dans cette liberté chrétienne un éclatant témoignage.

Elle n'a rien de commun avec des dispositions factieuses et révoltées, et, d'aucune façon, il ne faudrait se la figurer comme réfractaire à l'obéissance due à la puissance publique ; car ordonner et exiger l'obéissance aux commandements n'est un droit de la puissance humaine qu'autant qu'elle n'est pas en désaccord avec la puissance divine et qu'elle se renferme dans les limites que Dieu lui a marquées. Or, quand ale donne un ordre qui est ouvertement en désaccord avec la volonté divine, elle s'écarte alors loin de ces limites et se met du même coup en conflit avec l'autorité divine : il est donc juste alors de ne pas obéir.

Mais les partisans du Libéralisme, qui, en même temps qu'ils attribuent à l'État un pouvoir despotique et sans limites, proclament qu'il n'y a aucun compte à tenir de Dieu dans la conduite de la vie, ne reconnaissent pas du tout cette liberté dont Nous parlons et qui est unie intimement à l'honnêteté et à la liberté ; et ce qu'on fait pour la conserver, ils l'estiment fait à tort et contre l'État. S'ils disaient vrai, il n'y aurait pas de domination si tyrannique qu'on ne dût accepter et subir.

Le plus vif désir de l'Église serait sans doute de voir pénétrer dans tous les ordres de l'État et y recevoir leur application ces principes chrétiens que Nous venons d'exposer sommairement. Car ils possèdent une merveilleuse efficacité pour guérir les maux du temps présent, ces maux dont on ne peut se dissimuler ni le nombre, ni la gravité, et qui sont nés, en grande partie, de ces libertés tant vantées, et où l'on avait cru voir renfermés des germes de salut et de gloire. Cette espérance a été déçue par les faits. Au lieu de fruits doux et salutaires, sont venus des fruits amers et empoisonnés. Si l'on cherche le remède, qu'on le cherche dans le rappel des saines doctrines, desquelles seules on peut attendre avec confiance la conservation de l'ordre et, par là même, la garantie de la vraie liberté.

Néanmoins, dans son appréciation maternelle, l'Église tient compte du poids accablant de l'infirmité humaine, et elle n'ignore pas le mouvement qui entraîne à notre époque les esprits et les choses. Pour ces motifs, tout en n'accordant de droits qu'à ce qui est vrai et honnête, elle ne s'oppose pas cependant à la tolérance dont la puissance publique croit pouvoir user à l'égard de certaines choses contraires à la vérité et à la justice, en vue d'un mal plus grand à éviter ou d'un bien plus grand à obtenir ou à conserver.

Dieu lui-même dans sa providence, quoique infiniment bon et tout-puissant, permet néanmoins l'existence de certains maux dans le monde, tantôt pour ne point empêcher des-biens plus grands, tantôt pour empêcher de plus grands maux. Il convient, dans le gouvernement des Etats, d'imiter celui qui gouverne le monde. Bien plus, se trouvant impuissante à empêcher tous les maux particuliers, l'autorité des hommes doit permettre et laisser impunies bien des choses qu'atteint pourtant et à juste titre la vindicte de la Providence divine. Néanmoins, dans ces conjectures, si, en vile du bien commun et pour ce seul motif, la loi des hommes peut et même doit tolérer le mal, jamais pourtant elle ne peut ni ne doit l'approuver, ni le vouloir en lui-même, car, étant de soi la privation du bien, le mal est opposé au bien commun que le législateur doit vouloir et doit défendre du mieux qu'il peut. Et en cela aussi la loi humaine doit se proposer d'imiter Dieu, qui, en laissant le mal exister dans le monde, ne veut ni que le mal arrive, ni que le mal n'arrive pas, mais veut permettre que le mal arrive. Et cela est bon. Cette sentence du Docteur angélique contient, en une brève formule, toute la doctrine sur la tolérance du mal.

Mais il faut reconnaître, pour que Notre jugement reste-dans la vérité, que plus il est nécessaire de tolérer le mal dans un État, plus les conditions de cet État s'écartent de la perfection ; et, de plus, que la tolérance du mal appartenant aux principes de la prudence politique, doit être rigoureusement circonscrite dans les limites exigées par sa raison d'être, c'est-à-dire par le salut public. C'est pourquoi, si elle est nuisible au salut public, ou qu'elle soit pour l'État la cause d'un plus grand mal, la conséquence est qu'il n'est pas permis d'en user, car, dans ces conditions, la raison du bien fait défaut. Mais, si, en vue d'une condition particulière de l'État, l'Église acquiesce à certaines libertés modernes, non qu'elle les préfère en elles-mêmes, mais parce qu'elle juge expédient de les permettre et que la situation vienne ensuite à s'améliorer, elle usera évidemment de sa liberté en employant tous les moyens, persuasion, exhortations, prières, pour remplir comme c'est son devoir, la mission qu'elle a reçue de Dieu, à savoir, de procurer aux hommes le salut éternel. Mais une chose demeure toujours vraie, c'est que cette liberté, accordée indifféremment à tous et pour tous, n'est pas comme nous l'avons souvent répété, désirable par elle-même, puisqu'il répugne à la raison que le faux et le vrai aient les mêmes droits, et, en ce qui touche la tolérance, il est étrange de voir à quel point s'éloignent de l'équité et de la prudence de l'Église ceux qui professent le Libéralisme.

En effet, en accordant aux citoyens sur tous les points dont Nous avons parlé une liberté sans bornes, ils dépassent tout à fait la mesure et en viennent au point de ne pas paraître avoir plus d'égards pour la vertu et la vérité que pour l'erreur et le vice. Et quand l'Église, colonne et soutien de la vérité, maîtresse incorruptible des mœurs, croit de son devoir de protester sans relâche contre une tolérance si pleine de désordres et d'excès, et d'en écarter l'usage criminel, ils l'accusent de manquer à la patience et à la douceur ; en agissant ainsi, ils ne soupçonnent même pas qu'ils lui font un crime de ce qui est précisément son mérite. D'ailleurs, il arrive bien souvent à ces grands prôneurs de tolérance d'être, dans la pratique, durs et serrés, quand il s'agit du catholicisme : prodigues de libertés pour tous, ils refusent souvent de laisser à l'Église sa liberté.

Mais, afin de récapituler brièvement, et pour plus de clarté, tout ce discours, avec ses conséquences, Nous disons en résumé que l'homme doit nécessairement rester tout entier dans une dépendance réelle et incessante à l'égard de Dieu, et que, par conséquent il est absolument impossible de comprendre la liberté de l'homme sans la soumission à Dieu et l'assujettissement à sa volonté. Nier celte souveraineté de Dieu et refuser de s'y soumettre, ce n'est pas la liberté, c'est abus de la liberté et révolte ; et c'est précisément d'une telle disposition d'âme que se constitue et que naît le vice capital du Libéralisme. On peut, du reste, en distinguer plusieurs espèces ; car il y a pour la volonté plus d'une-forme et plus d'un degré dans le refus de l'obéissance due à Dieu ou à ceux qui participent à son autorité divine.

S'insurger complètement contre l'empire suprême de Dieu et lui refuser absolument toute obéissance, soit dans la vie publique, soit dans la vie privée et domestique, c'est à la fois, sans nul doute, la plus grande dépravation de la liberté et la pire espèce de Libéralisme. C'est sur elle que doivent tomber sans restriction tous les blâmes que nous avons jusqu'ici formulés.

Immédiatement après vient le système de ceux qui, tout en concédant qu'on doit dépendre de Dieu, Auteur et Naître de l'Univers puisque toute la nature est régie par sa Providence, osent répudier les règles de foi et de morale qui, dépassant l'ordre de la nature, nous viennent de l'autorité même de Dieu, ou prétendent, du moins, qu'il n'y a pas à en tenir compte, surtout dans les affaires publiques de l'État. Quelle est la gravité de leur erreur et combien peu ils sont d'accord avec eux-mêmes, Nous l'avons pareillement vu plus haut. C'est de cette doctrine que découle, comme de sa source et de son principe, cette pernicieuse erreur de la séparation de l'Église et de l'État, quand, au contraire, il est manifeste que ces deux pouvoirs, quoique différents dans leur mission et leur dignité, doivent néanmoins s'entendre dans la concorde de leur action et l'échange de leurs bons offices.

A cette erreur comme à un genre se rattache une double opinion. Plusieurs, en effet, veulent entre l'Église et l'État une séparation radicale et totale ; ils estiment que, dans tout ce qui concerne le gouvernement de la société humaine, dans les institutions, les mœurs, les lois, les fonctions publiques, l'instruction de la jeunesse, on ne doit pas plus faire attention à l'Église que si elle n'existait pas ; tout au plus laissent-ils aux membres individuels de la société la faculté de vaguer en particulier si cela leur plaît aux devoirs de la religion. Contre eux gardent toute leur force les arguments par lesquels Nous avons réfuté l'opinion de la séparation de l'Église et de l'État ; avec cette aggravation qu'il est complètement absurde que l'Église soit, en même temps, respectée du citoyen et méprisée par l'État.

Les autres ne mettent pas en doute l'existence de l'Église, ce qui leur serait d'ailleurs impossible ; mais ils lui enlèvent le caractère et les droits propres d'une société parfaite et veulent que son pouvoir, privé de toute autorité législative, judiciaire, coercitive, se borne à diriger par l'exhortation, la persuasion, ceux qui se soumettent à elle de leur plein gré et de leur propre vouloir. C'est ainsi que le caractère de cette divine société est dans celte théorie, complètement dénaturé, que son autorité, son magistère, en un mot, toute son action se trouve diminuée et restreinte, tandis que l'action et l'autorité du pouvoir civil est par eux exagérée jusqu'à vouloir que l'Église de Dieu, comme toute autre association libre, soit mise sous la dépendance et la domination de l'État. — Pour les convaincre d'erreur, les apologistes ont employé de puissants arguments que Nous n'avons pas négligés Nous-mêmes, particulièrement dans Notre Encyclique Immortale Dei ; et il en ressort que, par la volonté de Dieu, l'Église possède toutes les qualités et tous les droits qui caractérisent une société légitime supérieure et de tous points parfaite.

Beaucoup enfin n'approuvent pas cette séparation de l'Église et de l'État ; mais ils estiment qu'il faut amener l'Église à céder aux circonstances, obtenir qu'elle se prête et s'accommode A ce que réclame la prudence du jour dans le gouvernement des sociétés. Opinion honnête, si on l'entend d'une certaine manière équitable d'agir, qui soit conforme à la vérité et à la justice, à savoir : que l'Église, en vue d'un grand bien à espérer, se montre indulgente et concède aux circonstances de temps ce qu'elle peut concéder sans violer la sainteté de sa mission. Mais il en va tout autrement des pratiques et des doctrines que l'affaissement des mœurs et les erreurs courantes ont introduites contre le droit. Aucune époque ne peut se passer de religion, de vérité, de justice : grandes et saintes choses que Dieu a mises sous la garde de l'Église, à qui il serait dès lors étrange de demander la dissimulation à l'égard de ce qui est faux ou injuste, ou la connivence avec ce qui peut nuire à la religion.

De ces considérations, il résulte donc qu'il n'est aucunement permis de demander, de défendre ou d'accorder sans discernement la liberté de la. pensée, de la presse, de l'enseignement, des religions, comme autant de droits que la nature a conférés à l'homme. Si vraiment la nature les avait conférés, on aurait le droit de se soustraire à la souveraineté de Dieu, et nulle loi ne pourrait modérer la liberté humaine. — Il suit pareillement que ces diverses sortes de libertés peuvent, pour de justes causes, être tolérées, pourvu qu'un juste tempérament les empêche de dégénérer jusqu'à la licence et au désordre. — Là enfin où les usages ont mis ces libertés en vigueur, les citoyens doivent s'en servir pour faire le bien et avoir à leur égard les sentiments qu'en a l'Église. Car une liberté ne doit être réputée légitime qu'en tant qu'elle accroit notre faculté pour le bien ; hors de là jamais.

Quand on est sous le coup ou sous la menace d'une domination qui tient la société sous la pression d'une violence injuste, ou prive l'Église de sa liberté légitime, il est permis de chercher une autre organisation politique, sous laquelle il est possible d'agir avec liberté. Alors, en effet, ce que l'on revendique, ce n'est pas cette liberté sans mesure et sans règle, mais c'est un certain allègement en vue du salut de tous ; et ce que l'on cherche uniquement, c'est d'arriver à ce que, là où toute licence est donnée au le pouvoir de faire le bien ne soit pas entravé.

En outre, préférer pour l'État une constitution tempérée par l'élément démocratique n'est pas en soi contre le devoir, à condition toutefois qu'on respecte la doctrine catholique sur l'origine et l'exercice du pouvoir public. Des diverses formes du gouvernement, pourvu qu'elles soient en elles-mêmes aptes à procurer le bien des citoyens, l'Église n'en rejette aucune ; mais elle veut, et la nature s'accorde avec elle pour l'exiger, que leur institution ne viole le droit de personne et respecte particulièrement les droits de l'Église.

C'est louable de prendre part à la gestion des affaires publiques, à moins qu'en certains lieux, pour des circonstances particulières de choses et de temps, ne soit imposée une conduite différente. L'Église même approuve que tous unissent leurs efforts pour le bien commun, et que chacun, selon son pouvoir travaille à la défense, à la conservation et à l'accroissement de la chose publique.

L'Église ne condamne pas non plus que l'on veuille affranchir son pays ou de l'étranger ou d'un despote, pourvu que cela puisse se faire sans violer la justice. Enfin, elle ne reprend pas davantage ceux qui travaillent à donner aux communes l'avantage de vivre selon leurs propres lois, et aux citoyens toutes les facilités pour l'accroissement de leur bien-être. Pour toutes les libertés civiles exemptes d'excès, 1'Église eut toujours la coutume d'être une très fidèle protectrice, ce qu'attestent particulièrement les cités italiennes, qui trouvèrent sous le régime municipal la prospérité, la puissance et la gloire, alors que l'influence salutaire de l'Église, sans rencontrer aucune opposition, pénétrait toutes les parties du corps social.....

 

XIV

LOI DU 15 JUILLET 1889 SUR LE RECRUTEMENT DE L'ARMÉE (extrait)

ART. 23. — En temps de paix, après un an de présence sous les drapeaux, sont envoyés en congé dans leurs foyers, sur leur demande, jusqu'à la date de leur passage dans la réserve : . . . . .   4° Les jeunes gens admis, à titre d'élèves ecclésiastiques, à continuer leurs études en vue d'exercer le ministère dans l'un des cultes reconnus par l'État. — En cas de mobilisation. . . . . les élèves ecclésiastiques sont versés dans le service de santé. Tous les jeunes gens énumérés ci-dessus seront rappelés pendant quatre semaines dans le cours de l'année qui précédera leur passage dans la réserve de l'armée active. Ils suivront ensuite le sort de la classe à laquelle ils appartiennent

ART. 24. — . . . . . . . Les élèves ecclésiastiques mentionnés au paragraphe 4, qui, à l'âge de vingt-six ans, ne seraient pas pourvus d'un emploi de ministre de l'un des cultes reconnus par l'État . . . seront tenus d'accomplir les deux années de service dont ils avaient été dispensés.

ART. 25. — Quand les causes de dispenses prévues aux articles 21, 22 et 23 viennent à cesser, les jeunes gens qui avaient obtenu ces dispenses sont soumis à toutes les obligations de la classe à laquelle ils appartiennent.

 

 

 



[1] La gratuité des inscriptions a été supprimée depuis.