I. État des partis à l'Assemblée après le 24 mai. — II. Premiers effets de l'Ordre moral. — III. La conspiration de Frohsdorf. — IV. L'Ordre moral et le Kulturkampf. — V. Républicains sans le vouloir. — VI. La France cléricale en 1874 et 1875. — VII. Loi sur l'enseignement supérieur. — VIII. La France républicaine et les élections de 1876.I Au lendemain du 24 mai, les vainqueurs se trouvèrent bien embarrassés de leur victoire. En face d'eux se dressait, compact, redoutable, le parti républicain, qu'appuyait manifestement l'opinion publique et qui, grâce aux recrues que lui avaient values les élections partielles depuis 1871, ainsi qu'à l'adhésion du centre gauche[1], formait maintenant presque la moitié de l'Assemblée. Gambetta, tacticien parlementaire de premier ordre aussi bien que grand orateur, commençait à le discipliner et, malgré les divergences d'opinion qui pouvaient, sur bien des points, exister entre ses membres, l'habituait à laisser de côté pour un temps tout élément de discorde. L'ancien élu de Belleville, sans renier son programme de 1869, s'efforçait, non sans succès, de gagner par la théorie naissante de l'opportunisme[2] les modérés et les libéraux qui, portés vers la monarchie par tradition et par préférence personnelle, ne répugnaient cependant point par principe à la République, mais la voulaient conservatrice ou du moins très sagement progressiste. Il savait faire entendre aux impatients de l'extrême gauche que les réformes radicales qu'il avait jadis demandées, et notamment la séparation des Églises et de l'État, ne pouvaient être opérées d'un coup de baguette, comme on avait semblé le croire vers la fin de l'Empire ; qu'il fallait avant tout ne pas effrayer les hésitants dont l'appoint était nécessaire à l'établissement définitif de la République ; et que, ce grand résultat une fois obtenu, on ferait le reste plus tard, à condition d'y mettre le temps. Aux conservateurs, il disait que lui et ses amis ne demandaient en somme que le possible, qu'ils voulaient diriger la France, non la violenter, et qu'ils étaient des hommes d'évolution, non de révolution. Les politiques qui devaient avec lui contribuer le plus à la fondation du régime nouveau, Jules Ferry[3], Challemel-Lacour, Paul Bert, etc., ne tenaient pas un autre langage. Aussi les modérés se rassuraient-ils chaque jour davantage et devenaient-ils républicains, persuadés du reste — un peu à tort — qu'on ne pourrait jamais se passer d'eux et qu'ils demeureraient indéfiniment les maîtres de la future république[4]. Ce qu'il y a de certain c'est que, grâce à leur discipline nouvelle, les gauches, coalisées à leur tour, n'allaient plus guère commettre de fautes et devaient en revanche à merveille exploiter celles de leurs adversaires. La division et le désarroi étaient au contraire dans la majorité, la réduisant plus que jamais à l'impuissance. Les factions qui venaient de s'unir pour renverser Thiers s'entendaient bien sur ce qu'elles ne voulaient pas, car elles avaient la haine commune de la République. Mais elles n'étaient pas d'accord sur ce qu'elles voulaient ; car, si elles n'avaient qu'un trône à donner, elles avaient trois prétendants à mettre dessus.. Les légitimistes tenaient toujours pour le comte de Chambord, les orléanistes pour le comte de Paris ; enfin le groupe bonapartiste qui, en flattant à la fois la démocratie et l'Église, avait fait d'importantes recrues et recommençait à parler plus haut, offrait à la France comme un sauveur le fils de Napoléon III[5]. Ces trois partis se jalousaient, se surveillaient, se neutralisaient. Le duc de Broglie, chef du nouveau ministère[6], souhaitait pour sa part l'avènement des d'Orléans. Mais il lui avait fallu faire dans le cabinet une large place à ses alliés ; et, ne pouvant fonder pour le moment, la monarchie de son choix, il dut bien, en attendant mieux, s'accommoder des institutions existantes. Obligés de les, subir, les hommes du 24 mai déclarèrent du moins ne vouloir s'en servir que pour le rétablissement de l'ordre moral profondément compromis par le gouvernement de Thiers[7]. A tous les titres qui commandent notre obéissance, disait le maréchal de Mac-Mahon dans son premier message, l'Assemblée joint celui d'être le véritable boulevard de la société menacée en France et en Europe par une faction qui met en péril le repos de tous les peuples et qui ne hâte votre dissolution[8] que parce qu'elle voit en nous le principal obstacle à ses desseins... Avec l'aide de Dieu... nous continuerons ensemble l'œuvre de la libération du territoire et du rétablissement de l'ordre moral... La vérité — quiconque a vécu à cette époque doit en convenir s'il est de bonne foi — c'est que l'ordre moral fut infiniment plus troublé sous le maréchal de Mac-Mahon qu'il ne l'avait été sous son prédécesseur — depuis la fin de la guerre civile. Et il n'en pouvait être autrement, vu le caractère inquiétant que prirent à partir du 24 mai les menées politiques et religieuses de la réaction. II Il y eut en effet, à cette époque, une explosion de cléricalisme autrement dangereuse pour notre pays que celle de 1871, parce que Thiers n'était plus là pour la contenir. Le jour même où cet homme d'État était renversé, le Congrès des Comités catholiques, sous la présidence du député Chesnelong[9], croyait devoir affirmer plus haut que jamais sa soumission absolue aux volontés du pape. Convaincus, disaient les membres de cette assemblée dans une adresse au Souverain Pontife, que vos décisions et spécialement le grand et courageux Syllabus sont la règle de la vie, nous voulons y conformer notre conduite privée et publique... Et cette adresse était signée sans hésitation par l'avocat Ernoul, qui dès le lendemain entrait dans le ministère de Broglie comme garde de sceaux. Alleluia ! criait aussitôt et avec raison l'Univers. Ce n'était pas, du reste, seulement le pape que l'on invoquait. C'était aussi naturellement le roi. Dès le 27 mai l'évêque de Poitiers, père spirituel d'Ernoul[10] et conseiller aimé d'Henri V, prêchant à Notre-Dame de Chartres devant 14 prélats, 20.000 pèlerins et 140 députés, faisait entendre ces paroles significatives : Ce qui est manifeste, c'est que la politique sans Dieu et sans Jésus-Christ est à bout d'expédients... Seigneur, notre unique Roi, venez à notre aide... tel est le cri de Rome et de la France... Tel est le cri de la France en détresse. Elle attend un chef, elle appelle un maître ; elle n'en a pas aujourd'hui, et, sans alliances au dehors, sans cohésion et sans force à l'intérieur, elle n'a d'espoir que dans le roi des cieux, ce roi Jésus auquel il a plu de se qualifier autrefois de roi de France !...[11] Inutile de dire que le nouveau gouvernement de la République trouva fort naturel qu'un évêque, salarié par l'État, tînt un pareil langage et que pas un de ses membres ne songea un instant à réprimander l'orateur. A la même époque, le concile provincial d'Alger, réuni sans l'autorisation prescrite par les articles organiques (4 mai-8 juin), condamnait avec éclat les adversaires du Syllabus. L'archevêque Lavigerie, oublieux des complaisances gallicanes qui lui avaient valu jadis la faveur de Napoléon III, repoussait hautement, comme Pie IX, ce libéralisme qui, même lorsqu'il est mitigé et adouci, n'est autre chose que l'indifférence entre le bien et le mal, entre le vice et la vertu et arborait pour son compte le drapeau complet du Syllabus, en ajoutant fièrement : On en pensera ce qu'on voudra. L'intolérance la plus étroite, l'exclusivisme le plus mesquin devenait le mot d'ordre de l'épiscopat. L'évêque Pie, déjà nommé, se plaignait qu'en décrétant des prières publiques l'Assemblée eût semblé mettre les autres cultes légaux sur le même pied que le catholicisme et, réclamant l'obligation du repos pour le dimanche, trouvait scandaleux que les juifs le demandassent pour le samedi et les musulmans pour le vendredi. L'intolérance ne se confinait pas dans les sacristies. Elle pénétrait dans l'administration, dans les services publics. Le gouvernement, à la faveur de l'état de siège, qui régnait encore dans un grand nombre de départements, supprimait, suspendait ou traduisait en justice non seulement les journaux qui montraient trop d'amour pour la République, mais ceux qui n'en montraient pas assez pour l'Église[12]. Alors qu'à toutes les cérémonies religieuses, les autorités civiles et militaires se pressaient dans les cathédrales[13], les troupes recevaient l'ordre de ne plus rendre les honneurs prescrits par la loi aux personnages de marque ou aux membres de la Légion d'honneur dont les obsèques n'étaient pas accompagnées de cérémonies religieuses[14]. Un exemple plus répugnant encore était donné par le nouveau préfet du Rhône, Ducros, dont un arrêté resté célèbre interdisait les enterrements civils après 7 heures du matin. Et l'Assemblée nationale, à la suite de l'interpellation Le Royer (24 juin), donnait raison — par 413 voix contre 251 — aux ministres de la Guerre et de l'Intérieur qui avaient approuvé de pareils actes[15]. La piété populaire se faisait aussi, sous l'impulsion du clergé, plus militante et plus provocante qu'avant le 24 mai. On parlait dans la Gironde de fréquentes apparitions de la Vierge qui annonçait, le prochain retour d'Henri V. Dans l'Hérault elle se montrait aussi et demandait qu'on lui plantât une croix et une statue au milieu des vignes ; c'était la Vierge au phylloxera[16]. Les pèlerinages devenaient chaque jour plus imposants et plus bruyants. Celui dont Paray-le-Monial, le sanctuaire le plus révéré du Sacré-Cœur, fut le théâtre le 29 juin 1873 attira particulièrement l'attention du public. Ce jour-là 50 députés — qui en représentaient 100 autres empêchés — conduisirent à cette église 25.000 fidèles marchant sous 300 bannières. L'on chanta de plus belle le refrain fameux : Sauvez Rome et la France. L'un des représentants, le mystique Belcastel, profita de
la circonstance pour vouer solennellement au Sacré-Cœur de Jésus non
seulement lui-même et ses collègues, mais la France entière, avec toutes ses provinces, ses œuvres de foi et de charité.
L'évêque d'Autun, Léséleuc, prit non moins solennellement acte de cette
consécration et en profita pour charger la Révolution de ses plus furieuses
invectives. ... Oui, s'écria-t-il, vous représentez ici l'Assemblée nationale, nos députés
catholiques en sont la tête et le cœur... Bien
des fois vous avez demandé pardon à Dieu des crimes de la France, bien des
fois vous avez fait amende honorable au Sacré-Cœur de Jésus pour nos longues
ingratitudes accumulées depuis quatre-vingts ans... Pour moi, j'ai mon humble rôle à remplir dans cette
solennité. Un de mes modernes prédécesseurs sur ce siège glorieux[17] eut le malheur de trahir l'Église et de se faire l'homme
de la Révolution. Divin Cœur de Jésus, pardon pour cet évêque coupable !...
Enfin Charette, qui avait amené anciens zouaves pontificaux, corrobora le
discours de l'évêque par de non moins vigoureuses démonstrations : ... Notre étendard, dit-il, qui
arbore le Sacré-Cœur, repose aujourd'hui sur le corps de cette sainte à qui
Jésus a promis que la France, le plus beau royaume après celui du ciel, serait
régénérée quand son divin cœur serait peint sur ses étendards... Après de pareilles manifestations, il n'est pas étonnant que la majorité de l'Assemblée fût disposée à prouver aussi sa dévotion au Sacré-Cœur en décrétant au plus tôt l'érection demandée par l'archevêque de Paris d'une église réparatrice, l'église du vœu national[18], sur cette colline de Montmartre où l'ordre des Jésuites avait jadis pris naissance. C'était une démonstration nouvelle à faire en faveur de la monarchie et surtout du pouvoir temporel du pape. Le rapport de Keller sur le projet de loi déposé à cet égard par Jules Simon concluait naturellement à la déclaration d'utilité publique du monument en question. Est-il d'utilité publique, lit-on dans cette prière, d'effacer par cette œuvre d'expiation les crimes qui ont mis le comble à nos douleurs ? Est-il d'utilité publique d'appeler sur la France qui a tant souffert la protection de Celui qui donne à son gré la défaite ou la victoire ? La réponse de l'Assemblée nationale ne saurait être douteuse... En effet, elle ne l'était pas. Tous les efforts des orateurs républicains — Tolain, Bertauld, Lockroy, de Pressensé etc. —, pour prévenir cette nouvelle humiliation de la puissance civile devant la puissance ecclésiastique, pour empêcher au moins le vote de l'article relatif à l'expropriation, qui portait une atteinte si grave aux principes de notre droit public, tous ces efforts échouèrent devant l'obstination passionnée des orateurs catholiques[19]. Il ne tint même pas à quelques-uns de ces derniers que le texte de la loi nouvelle ne fût encore aggravé. Belcastel, par exemple, voulait qu'il y fût expressément inséré que l'église était fondée pour appeler sur la France et en particulier sur la capitale, la miséricorde et la protection divines... Et Cazenove de Pradine demandait qu'une délégation de l'Assemblée assistât en son nom à l'inauguration du monument. Ces adjonctions furent écartées. Mais le projet de loi fut adopté à 244 voix de majorité (24 juillet 1873). C'était l'essentiel pour ses promoteurs. L'archevêque de Paris se mit aussitôt à l'œuvre et
mobilisa tout le clergé de France pour une souscription qui, en peu de mois,
devait produire plusieurs millions. D'autre part, ne voulant pas sans doute
qu'on pût se tromper sur le sens de la manifestation que venait de faire
l'Assemblée, il eut soin de publier, dès le 29 août, sous le titre de
mandement, un véritable appel aux armes en faveur du pape-roi. L'envahissement de Rome, écrivait-il, a été la violation la plus audacieuse des conditions de la
vie du monde chrétien. C'est un attentat au premier chef contre la religion
et contre la société... Nous ne pouvons
croire que les puissances européennes s'aveuglent obstinément et restent
toujours indifférentes devant une situation qui blesse profondément les
sentiments d'une portion si notable de leurs sujets... Il va sans dire que le nouveau gouvernement ne crut pas devoir réprimander l'archevêque. Il n'empêcha même pas le pape de l'en récompenser peu après — ce qui était justice — par l'octroi d'un chapeau de cardinal (22 déc. 1873). III Après le vote de la loi sur l'église du Sacré-Cœur, tout le clergé exultait. Il exulta bien davantage quand il put croire que la réconciliation du comte de Chambord, depuis si longtemps souhaitée, était enfin un fait accompli. Cet accord, que le malencontreux manifeste du 5 juillet 1871 avait jadis- fait avorter si piteusement, était redevenu, depuis le 24 mai, l'objectif principal des politiques les plus avisés de, la droite parlementaire. Vers la fin de juillet, Audren de Kerdrel, de Dampierre, de Meaux, de Cumont et autres royalistes de la nuance modérée, étaient allés trouver le comte de Paris et l'avaient supplié de rendre enfin la fusion possible en allant faire au comte de Chambord la visite de soumission que ce dernier avait toujours exigée de lui. Bien que le petit-fils de Charles X ne se fût en rien relâché de la rigueur de ses principes, qu'il n'eût atténué nullement ses précédentes déclarations, qu'il n'eût rien cédé, rien promis, le petit-fils de Louis-Philippe, reniant sans pudeur sa famille, était allé humblement, dès le 5 août, déclarer au châtelain de Frohsdorf qu'il le reconnaissait désormais pour le chef de la maison royale et pour le seul représentant légitime du principe monarchique en France. A cette heureuse nouvelle, les évêques et les nobles avaient battu des mains. Depuis 1830, la monarchie de droit divin n'avait jamais paru plus près de se reconstituer. En attendant, la France, par le fait même de ces menées, redevenait suspecte à ses voisins et la paix, qu'elle avait si chèrement achetée, cessait de lui être assurée. L'Italie prenait l'alarme[20] et ce n'était pas tout à fait sans raison. L'avènement éventuel d'Henri V était pour cette puissance un épouvantail. Le comte de Chambord avait tant de fois et si hautement manifesté son dévouement au Saint-Siège qu'il n'était pas douteux pour la cour du Quirinal qu'à peine monté sur le trône il ne mit tous ses soins à rétablir le pouvoir temporel du pape. Il ne fut donc pas difficile à l'Allemagne, fort désireuse de nous susciter des ennemis, d'amener l'Italie à solliciter discrètement son alliance et sa protection. C'est à l'instigation de Bismarck que Victor-Emmanuel se rendit (en septembre 1873) à Vienne, où le gouvernement austro-hongrois, fort maltraité lui-même par l'ultramontanisme[21], lui fit très bon accueil et lui promit de ne pas l'abandonner au besoin. De là le roi galant homme partit pour Berlin, où le chancelier de fer lui prodigua toutes ses séductions. L'éventualité d'une coalition, d'une guerre contre la France y fut agitée, Bismarck insinua que, si l'on en venait à un conflit avec cette puissance, l'Italie pourrait bien y gagner Nice et la Savoie. Victor-Emmanuel n'osa point trop s'arrêter à cette idée. Mais il est probable qu'il l'eût prise au sérieux et, en tout cas, que la triple alliance conclue depuis eût été formée dès cette époque, si de nouveaux incidents n'eussent bientôt après interrompu les négociations. En effet, le complot légitimiste, qui avait troublé la France et une partie de l'Europe durant plusieurs mois, allait bientôt s'évanouir en fumée. Le comte de Paris s'était montré peu fier en allant faire amende honorable à Frohsdorf pour la Révolution et ne demandant à Henri V aucune garantie ni quant aux principes de gouvernement ni quant au drapeau. Sans l'être beaucoup plus que lui, les aigrefins qui menaient la conspiration et dont plusieurs faisaient partie du ministère de Broglie[22] comprenaient bien qu'ils n'entraîneraient pas les doctrinaires du centre droit et notamment leur loyal chef, le duc d'Audiffret-Pasquier[23], dont l'appoint leur était nécessaire pour constituer une majorité, s'ils n'obtenaient enfin quelques concessions à cet égard. Il y avait deux points essentiels sur lesquels ces honnêtes gens ne voulaient absolument pas transiger : le maintien des principes de 89 et le maintien du drapeau tricolore. Sur ce dernier, du reste, la nation était unanime, ou à peu près, et n'entendait se prêter à aucun accommodement. L'armée, quelque réactionnaires que pussent être ses chefs, ne voulait servir que sous les trois couleurs, qui étaient à ses yeux l'emblème de nos gloires, comme elles étaient aux yeux du peuple celui de nos libertés. Mac-Mahon le disait lui-même bien haut et l'envoyait dire par un de ses aides de camp au prétendant. L'apparition du drapeau blanc ferait, à son sens, naître la guerre civile ; les chassepots partiraient d'eux-mêes. C'était aussi l'avis de beaucoup d'évêques, notamment de Dupanloup, qui écrivait en septembre qu'il fallait non seulement fonder un gouvernement qui répondit aux vœux et aux aspirations du pays, mais ne pas songer à lui enlever son drapeau. Que s'il peut persuader l'armée, ajoutait-il en parlant du prince, tout est dit, et il n'y a pas de difficulté. Que s'il ne le peut pas, rien ne se fera et la France périra... Mais tous nos prélats ne parlaient point un langage aussi
raisonnable et Pie surtout, dont les conseils étaient toujours si bien reçus
à Frohsdorf, tenait inflexiblement pour le drapeau blanc. Dans le courant
d'août, le ministre Ernoul, son pupille politique, sachant de quel crédit il
jouissait auprès du comte de Chambord, l'avait supplié de lui parler raison
et de le convertir enfin au drapeau dont la France refusait de se séparer.
Mais l'évêque avait refusé dans les termes les plus catégoriques : ... Je ne puis ni ne dois me faire l'intermédiaire de ce que
vous me communiquez. Je ne me mêlerai jamais directement aux questions de ce
genre, me contentant d'avoir mon sentiment particulier... Le drapeau tricolore, en tant que drapeau simplement
tricolore, est irrémédiablement révolutionnaire. Il signifie la souveraineté
populaire ou il ne signifie rien... Pour les
princes de Bourbon, il produira de nouveau ce qu'il a fait en 1830 et ce
qu'il n'a pu conjurer en 1848... Pour ma
part, j'estime que nul n'a le droit d'exiger du roi, si résigné qu'il puisse
être à tous les sacrifices pour sortir de l'abîme, qu'il se jette dans un
courant où il a la certitude de se noyer avec nous... Soutenu dans sa foi par de tels conseillers, le prince demeurait inflexible. En septembre, Ernoul et la Bouillerie, las d'attendre qu'il offrît enfin spontanément des concessions, lui envoyèrent à deux reprises des émissaires — Merveilleux-Duvignaux et de Sugny, tout d'abord, Combier ensuite — qui ne purent même pas entamer son impénétrable obstination. A toutes leurs prières, le prince répondait qu'il ne voulait pas de conditions préalables, que l'Assemblée devait se borner à le proclamer purement et simplement ; que la Constitution ne viendrait qu'après ; et quant au drapeau, il se faisait fort, disait-il, d'obtenir de l'armée, ou du pays, ou de ses représentants, une solution compatible avec son honneur. Si on lui demandait quelle était cette solution, il répondait très loyalement que c'était le drapeau blanc et qu'il n'en accepterait jamais d'autre. De pareilles réponses, rapportées à Ernoul et La Bouillerie, eussent dû couper court à toute négociation. Mais ces deux ministres jugèrent bon de les garder pour eux et de laisser croire au centre droit qu'un accord demeurait encore possible. Aussi, dans les premiers jours d'octobre, les droites réunies élurent-elles une commission de neuf membres à laquelle elles donnèrent pleins pouvoirs pour traiter, si c'était possible, avec le comte de Chambord, des conditions définitives de la restauration ; et, dès le 12, le député Chesnelong, parleur infatigable, qui ne doutait pas que le prince ne dût être subjugué par son éloquence, partit, comme porte-parole de la commission, pour Salzbourg, où rendez-vous lui était accordé par le prétendant. A la même époque, les meneurs du parti royaliste
essayaient de faire agir sur ce prince l'autorité la plus auguste et la plus
respectable à ses yeux, celle du pape. Pie IX commençait à trouver que, la
fin justifiant les moyens, Henri V avait tort de sacrifier à son drapeau
blanc un trône où il aurait pu faire tant de bien à la religion. Mais
lui-même constatait, non sans dépit, sa propre impuissance à triompher de
l'entêtement du prince. ... Vous croyez,
disait-il au député Keller dans une audience du 12 octobre, que vous allez faire la monarchie. Eh bien, vous ne la
ferez pas. D'ordinaire je ne m'occupe pas des questions politiques... Mais cette fois-ci la chose était si importante pour la
France et pour l'Église, que j'ai laissé dire à M. le comte de Chambord ce
que j'en pensais. La couleur du pavillon n'a pas une si grande importance.
C'est avec le drapeau tricolore que les Français m'ont rétabli à Home. Vous
voyez qu'avec ce drapeau on peut faire de bonnes choses. Mais le comte de
Chambord n'a pas voulu me croire. Là où le pape avait échoué, le pauvre Chesnelong n'était pas homme à réussir. Vainement le loquace et suffisant député de Bayonne noya-t-il le prétendant sous le flux de sa faconde gasconne. Le prince l'écoutait poliment, presque toujours sans rien répondre. Finalement, il ne promit rien et déclara de nouveau très nettement qu'il n'accepterait jamais d'autre drapeau que le drapeau blanc (14 octobre 1873). L'émissaire des neuf rentra donc à Versailles tout aussi désappointé que ses devanciers. Mais même après ce .complet échec, ni lui ni ses intimes ne voulurent avouer leur insuccès. De même qu'Ernoul et La Bouillerie, Chesnelong garda pour lui ce qu'il savait des inflexibles résolutions du prince et laissa même croire par ses réticences, ses sous-entendus, qu'un accommodement était encore possible. Le centre droit en demeura si convaincu qu'il élabora aussitôt un projet de déclaration par laquelle l'Assemblée, maintenant formellement les principes de 89 et les trois couleurs, rappellerait au trône le comte de Chambord, et que le procès-verbal de sa séance du 22 octobre donna clairement à entendre que le prince avait cédé, que la France garderait son drapeau. A ce moment, on put croire[24] que la monarchie était virtuellement faite. Les chevau-légers réglaient déjà les détails de la prochaine entrée du roy dans sa capitale et les jeunes nobles se disputaient à l'avance les emplois de sa maison civile ou de sa maison militaire. Le procès-verbal du 22, trop tôt publié, fit crouler bruyamment tout cet échafaudage d'intrigues et de mensonges. C'est alors, en effet que, soucieux avant tout de sa dignité et de son honneur, le comte de Chambord, pour dissiper toute équivoque, écrivit à Chesnelong et fit aussitôt publier cette lettre du 29 octobre qui rendit à jamais la restauration impossible. Dans ce document, le prince déclarait avec hauteur qu'on lui demandait le sacrifice de son honneur et qu'il ne le ferait pas ; qu'il ne rétractait rien, qu'il ne retranchait rien de ses précédentes déclarations. ... Je voudrais bien savoir, ajoutait-il, quelle leçon se fût attirée l'imprudent assez osé pour lui persuader — à Henri IV — de renier l'étendard d'Arque et d'Ivry... Il revendiquait tous les droits supérieurs de la royauté ; il n'entendait pas être un souverain désarmé. Il ne fallait pas, disait-il comme l'évêque de Poitiers, craindre d'employer la force au service de l'ordre et de la justice. Quant à des conditions préalables, il n'en voulait pas. Il rappelait, non sans une malice assez mortifiante pour le comte de Paris, que ce dernier ne lui en avait point fait lors de sa visite du 5 août. On n'en avait point fait non plus, disait-il à Mac-Mahon, ce Bayard des temps modernes, en l'appelant au pouvoir pour rassurer les bons et faire trembler les méchants[25]. Et il terminait en répétant une fois de plus, avec son imperturbable sérénité, qu'il était le pilote nécessaire, le seul capable de conduire le navire au port... Il venait en réalité de faire un irréparable naufrage. Et tout çà, dit Pie IX avec dépit, pour oune serviette[26]. L'évêque de Poitiers[27], et quelques gentilshommes plus soucieux d'honneur que de profit, l'approuvaient encore hautement. Mais le gros du parti demeurait atterré devant ce qu'il considérait non sans raison — comme son suicide. Après l'éclat qu'il venait de faire, il ne pouvait plus être question de l'appeler au trône. Le duc de Broglie — au fond très satisfait — se rabattit aussitôt sur les d'Orléans, mais, n'espérant pas pouvoir les faire immédiatement triompher, demanda pour un terme assez long — dix ans, qui furent réduits à sept ans par l'Assemblée nationale — la prorogation des pouvoirs du maréchal de Mac-Mahon. Il comptait évidemment sur ce délai pour préparer les voies au comte de Paris. Un premier obstacle lui fut, il est vrai, opposé par le comte de Chambord qui, beaucoup plus désireux de régner qu'on ne l'a cru et qu'on ne l'a dit, et parfaitement inconscient du tort qu'il venait de faire à sa cause, risqua tout aussitôt sans hésiter un nouveau coup de tête. C'est en effet à la nouvelle du projet de Broglie et pour le faire échouer qu'il accourut mystérieusement à Versailles (10 novembre), où pendant dix jours il resta caché chez son ami de Vansay. Plus éloigné que jamais de se laisser faire des conditions par l'Assemblée, il ne tenta pas de négocier avec elle et ne voulut, même pas voir tout d'abord ceux de ses partisans qui en faisaient partie. Il avait encore l'incroyable illusion que l'armée pouvait être facilement amenée à prendre parti pour lui ; et il comptait pour cela sur le concours du maréchal de Mac-Mahon lui-même, auquel il fit, à mots couverts, proposer comme chose toute simple d'exécuter un coup d'État en sa faveur. Le Bayard des temps modernes n'était point un grand homme ; mais c'était un homme d'honneur, peu désireux d'ailleurs de céder à un autre la première place. Il refusa nettement à Chambord l'entrevue que ce dernier lui demandait. Et le pauvre prétendant, n'ayant pu empêcher le vote du septennat (20 novembre), reprit tristement, pour toujours, le chemin de l'exil. Après ce définitif avortement, le duc de Broglie et ses amis allaient-ils réussir dans leur politique tortueuse en faveur des d'Orléans ? C'était dés lors plus que douteux. Mais il y avait un fait bien certain : l'Assemblée, plus que jamais, était impuissante. Elle semblait ne pouvoir de longtemps fonder ni la monarchie ni la république. Le prince de Bismarck put croire que la France était vouée pour bien des années à l'anarchie parlementaire ; et tant qu'elle n'avait pas de constitution, il ne pensait pas que son relèvement fût sérieusement à craindre. IV Il n'était pourtant pas homme à cesser de la surveiller. Tout récemment encore (16 octobre), il s'était plaint avec aigreur des évêques français qui, comme celui de Nancy[28] joignaient publiquement à des appels en faveur du pape des protestations à peine déguisées contre le traité de Francfort. Il avait chargé son ambassadeur en France, d'Arnim, de dire à de Broglie que si la restauration à l'intérieur devait devenir le signal d'une activité politique dont le but serait le renversement de tout ce qui avait été créé dans ces dix dernières années, alors la question devenait internationale et l'on ne pouvait s'étonner en France des inquiétudes qui se trahissaient en tous lieux... Broglie avait répondu (25 octobre)[29] par les assurances pacifiques, renouvelées peu après par Mac-Mahon dans son message du 5 novembre à l'Assemblée nationale. L'échec définitif de la grande intrigue légitimiste avait aussi paru lui enlever le meilleur prétexte qu'il eût pour nous chercher querelle. Mais si la France n'était pas encore sous l'autorité d'un roi, elle était toujours sous l'influence prépondérante de la curie romaine et cela suffisait pour qu'il continuât à la harceler de ses chicanes. Il faut tenir compte de ce fait qu'il était alors au plus fort du Kulturkampf[30], en pleine lutte avec le clergé catholique et avec la cour du Vatican. Il venait d'expulser les Jésuites et de faire voter les fameuses lois de mai[31]. Le pape, exaspéré par cette attaque, venait, après un appel infructueux à l'empereur Guillaume, de publier, le 21 novembre, l'Encyclique Etsi multa luctuosa, par laquelle il dénonçait au monde et flétrissait en termes passionnés lesdites lois comme autant d'attentats sacrilèges contre les droits de l'Église. Ce factum contenait aussi de nouvelles et virulentes protestations contre la prise de possession de l'État pontifical par Victor-Emmanuel, ainsi que contre la loi récente (du 19 juin 1873) sur la suppression des ordres religieux en Italie. Il n'était pas jusqu'à la Suisse qui n'y fût violemment incriminée pour avoir elle aussi favorisé le Kulturkampf et expulsé deux prélats séditieux, Lachat, évêque de Bâle, et Mermillod, vicaire apostolique à Genève[32]. A l'appel du pape, l'épiscopat tout entier avait de nouveau pris feu. Le clergé français se faisait surtout remarquer par la violence de ses attaques contre la politique du gouvernement prussien et du gouvernement italien. Voici, par exemple, en quels termes s'exprimait dans un mandement Plantier, évêque de Nimes : ... Quoi de plus abject que cette haine des Césars pontifes pour tous les prélats et ecclésiastiques honnêtes ?... L'Allemagne de Bismarck a voulu continuer cette tradition de bassesse et d'immoralité... Les journaux ultramontains de France, notamment l'Univers, menaient aussi campagne, naturellement, et avec une rare imprudence, contre la cour du Quirinal et contre la cour de Berlin. Bien plus, certains prélats français parlaient d'envoyer aux évêques allemands une adresse pour les encourager dans leur résistance aux lois de mai[33]. Le chancelier de fer n'était pas d'humeur à laisser sans
riposte des manifestations aussi incorrectes et aussi provocantes. Dès le
mois de décembre il adressait au gouvernement français, sous une forme
hautaine et comminatoire, des observations dont il lui fallut bien promettre
de tenir compte. Le (lue de Broglie, qui n'avait jamais cessé d'être, au fond
du cœur, un catholique libéral et qui ne voulait certes pas jeter son pays
dans les aventures, chargea le ministre des Cultes, Bardy de Fourtou[34] de rappeler les
évêques à la modération et au sentiment des convenances internationales. Mais
ce dernier se borna, par une circulaire du 20 décembre[35], à leur
recommander le calme et le respect du droit public en termes si onctueux et
si peu sévères qu'il semblait leur demander pardon de la liberté grande qu'il
prenait de leur adresser autre chose que des éloges. Ce que voyant, Bismarck
fit venir le baron de Gontaut, ambassadeur de France à Berlin, et lui tint ce
rude langage : ... La circulaire est insuffisante ;
le gouvernement français a des armes plus efficaces pour mettre un terme à la
campagne épiscopale : l'appel comme d'abus, sinon la poursuite contre les
tribunaux. Si on l'y contraint, le gouvernement allemand invoquera les articles
de la loi française de 1819, qui l'autorise à poursuivre lui-même,
directement, devant les tribunaux français... C'est
pour nous une question de sécurité ; on fomente la révolte chez nous, dans
l'Empire. Eh ! bien, nous serons obligés de vous déclarer la guerre avant que
le parti clérical, s'emparant du pouvoir, la déclare à l'Allemagne au nom de
l'Église persécutée... Dans le même temps, la Gazelle de l'Allemagne du Nord, organe officieux du chancelier, lançait cette déclaration significative : Un gouvernement français qui s'abaisserait jusqu'à se mettre au service de la politique cléricale de Home serait un gouvernement hostile à l'Allemagne et avec lequel il nous serait impossible de vivre en paix... En continuant cette intervention, une rupture deviendrait inévitable... Du moment où la France s'identifie avec Rome, elle devient notre ennemie jurée... On juge de l'embarras terrible où se trouvait le gouvernement français, qui ne voulait à aucun prix rompre avec l'Allemagne et qui n'osait d'autre part poursuivre les évêques, de peur de se brouiller avec la droite. Or c'est justement l'heure que choisissait l'évêque de Périgueux, Dabert, pour fulminer un mandement plus violent encore que ceux que la cour de Berlin venait d'incriminer. Et dès le lendemain (10 janvier 1874), l'Univers s'empressait de reproduire cette pièce ! Le cabinet de Broglie tira de ce dernier fait un moyen de donner une certaine satisfaction à Bismarck sans mécontenter trop les hommes de la droite. Il fit semblant d'ignorer l'évêque et frappa l'Univers d'une suspension de deux mois[36]. Après quoi le ministre des Affaires étrangères, Decazes, vint déclarer devant l'Assemblée que notre respectueuse sympathie pour le Souverain Pontife ne devait pas nous empêcher d'entretenir des relations amicales avec l'Italie, telles que les circonstances l'avaient faite ; et il ajouta que le gouvernement saurait défendre la paix contre les vaines déclamations, contre les regrettables excitations, d'où qu'elles vinssent (20 janvier 1874). Le gouvernement prussien se déclara pour le moment satisfait ; ce qui ne l'empêcha pas de répandre dans toute l'Europe une circulaire par laquelle, tout en affirmant son désir de maintenir la paix, il déclarait nettement que, si la France rêvait de revanche et de guerre, il ne la laisserait pas maitresse de choisir son heure[37]. On voit à quelle humiliation nouvelle les menées cléricales avaient conduit notre pays. Ce ne fut malheureusement pas la dernière. Dans le courant de 1874, le cabinet de Madrid se plaignit, non sans raison, de la complaisance prolongée avec laquelle le gouvernement de Mac-Mahon laissait les ultramontains et les légitimistes français entretenir l'agitation carliste[38]. Le duc Decazes dut désavouer officiellement ces fauteurs de la guerre civile en Espagne et prendre l'engagement de les contenir. D'autre part, les témérités de l'épiscopat français ne tardaient pas à provoquer de nouvelles réclamations du gouvernement italien. En mai 1874, Dupanloup, qui revenait de Rome, s'efforçait de regagner les bonnes grâces du Saint-Père en publiant, sous le titre de Lettre à M. Minghetti, une attaque très violente contre les spoliateurs du Saint-Siège ; il y parlait avec émotion la prétendue captivité du pape et sommait l'Italie de rendre Pie IX ses États. ... C'est le devoir, disait-il, comme l'intérêt de l'Italie... et si elle ne le fait pas, c'est à l'Europe à le faire... L'Univers, plus intransigeant que jamais, loin de le remercier, le morigénait aigrement et lui reprochait de vouloir soumettre les droits du pape à l'arbitraire d'un congrès[39]. Enfin fort peu après (juin), l'archevêque de Paris, Guibert, qui, devenu cardinal, n'avait plus à ménager le gouvernement, écrivait publiquement dans une lettre pastorale : ... La révolution italienne, en s'emparant de Rome, n'a pas seulement violé les droits sacrés de la justice, elle a posé dans le monde un redoutable problème, dont la solution ne peut être que l'insuccès de son entreprise sacrilège ou la suppression de l'Église catholique, c'est-à-dire du christianisme... Cette dernière manifestation, que le gouvernement crut devoir blâmer publiquement (Journal officiel, du 31 juillet) était d'autant plus malencontreuse que la cour du Quirinal — toujours soutenue par l'Allemagne[40] — se montrait de plus en plus froissée, inquiète, exigeante et négociait depuis plusieurs mois pour obtenir enfin du cabinet de Versailles, qui n'osait lui donner cette satisfaction, le rappel de la frégate l'Orénoque, dont le maintien — parfaitement inutile — dans les eaux de Civita-Vecchia était considéré par elle comme une menace et un outrage. Ses réclamations à ce sujet devinrent si vives et si pressantes que le gouvernement français dut bien finir par céder. Vainement essaya-t-il de sauver la face en suppliant le pape de demander lui-même le rappel ou en cherchant à faire croire qu'il l'avait demandé. Pie IX s'y refusa radicalement et, la frégate ayant enfin quitté les eaux italiennes (13 octobre), protesta en termes passionnés contre cet abandon par un bref à l'évêque de Montpellier[41]. Ainsi la politique cléricale valut encore au gouvernement français une mortification de plus. Et Louis Veuillot put écrire dans l'Univers, avec son ironie hautaine et méprisante, que le chef de l'Église du Christ, désarmé, dépouillé et entouré d'ennemis furieux avait vu sous le pieux Mac-Mahon se retirer d'auprès de lui la dernière ombre visible de la main de la France, placée là par Adolphe Thiers... L'Italie à peine calmée, ce fut encore l'Allemagne qui se remit à montrer les dents. Non content des mesures de rigueur par lesquelles il appliquait les lois de mai[42], Bismarck avait été amené à faire voter en 1874 plusieurs lois nouvelles qui en aggravaient singulièrement la portée[43]. Les évêques français recommencèrent à l'attaquer. Ce fut bien pis encore quand Pie IX, par l'Encyclique Quod nunquam nos (5 février 1875) eut réitéré ses anathèmes contre cette législation[44] et frappé même d'excommunication ceux qui pour y obéir, accepteraient en Allemagne des fonctions ecclésiastiques de l'autorité civile. A ce moment la République, comme on le verra plus loin, commençait à se constituer dans notre pays ; la France, par la loi des cadres, réorganisait aussi visiblement ses forces militaires. C'étaient là pour Bismarck de graves sujets de mécontentement. L'attitude toujours hostile et provocante du parti clérical français acheva de l'exaspérer. Les menaces de guerre se renouvelèrent en Allemagne aux mois de mars[45], d'avril et de mai 1875, contre notre pays. L'Empire, disait la Gazette d'Augsbourg, jugera des vrais sentiments de la France d'après son attitude dans la question qu'on a soulevée ici de l'élection du futur pape et de la restriction des immunités ecclésiastiques. Un diplomate anglais disait à Lefebvre de Béhaine, alors représentant de la France à Munich, que le chancelier voudrait nous obliger à entrer dans une ligue internationale contre la papauté[46]. Cette idée était certainement venue à l'esprit de Bismarck. Mais vu le peu de faveur que lui témoignèrent, les gouvernements auxquels il s'adressa, il ne s'y arrêta pas longtemps. Ce qu'il avait voulu surtout, c'était intimider une fois de plus la France, qui crut devoir, on se le rappelle, recourir aux bons offices de l'Angleterre et de la Russie pour prévenir le conflit et se tint satisfaite d'y avoir réussi[47]. On voit en somme, par ce qui précède, ce que la cause du pape-roi avait gagné au revirement parlementaire du 24 mai. V La cause du roi légitime, malgré les efforts désespérés de ses partisans n'en devait pas bénéficier davantage. On a vu plus haut à quel pitoyable échec avait abouti l'intrigue de la fusion. Depuis le 20 novembre 1873, le duc de Broglie, manifestement, ne travaillait plus que pour les princes d'Orléans. C'était pour leur aplanir le chemin du trône qu'il poursuivait maintenant l'organisation constitutionnelle du septennat. Mais tous ses calculs furent déjoués par les légitimistes, qui, l'accusant (lui et le centre droit) de leur déconvenue, lui avaient voué une haine implacable et qui, en s'alliant avec la gauche, parvinrent bientôt à le renverser (16 mai 1874). Certains chevau-légers, comme le marquis de Franclieu, déclaraient tout net qu'ils préféraient la République à l'Orléanisme. L'extrême droite persistait à demander le roy, le roy quand même et sans conditions. Le 25 juin, pour riposter à la proposition Casimir-Perier en faveur de la République, La Rochefoucauld-Bisaccia proposait solennellement à l'Assemblée le rétablissement de la monarchie traditionnelle et légitime. Le 2 juillet, l'inoffensif comte de Chambord lançait encore un nouveau manifeste pour remontrer à la France que lui seul pouvait maintenant la sauver. Cette fois ce n'était plus au Bayard des temps modernes qu'il demandait la couronne, c'était directement aux Français, en leur représentant naïvement qu'ils avaient besoin de lui, que sa naissance l'avait fait leur roi ; que du reste, il n'entendait point régner en despote ; que la monarchie chrétienne et française était essentiellement tempérée ; ce qui ne l'empêchait pas de nier une fois de plus la souveraineté nationale. Quant au drapeau, il n'en disait pas un mot, ce qui indiquait assez clairement qu'à cet égard ses sentiments n'étaient pas changés. Un pareil programme ne suffisait évidemment pas pour
soulever les masses en sa faveur. Aussi certains royalistes, plus avisés et
moins scrupuleux que ce pauvre prince jugeaient-ils bon d'aider un peu la
nation à se prononcer. Comment ? Simplement par un coup d'État, que le
prétendant viendrait exécuter lui-même, tout comme un Bonaparte. C'était le
conseil que lui donnait notamment, au mois d'août 1874, l'intrigant
archevêque Lavigerie, qui, après être allé s'entretenir avec lui en Bohême,
ne craignait pas de lui écrire ces lignes — publiées beaucoup plus tard, on
le verra plus loin, à sa grande confusion — : Il ne
faut que trois choses pour rétablir la royauté comme elle doit l'être...
: La première, c'est le refus de l'Assemblée
d'organiser le septennat. La seconde, c'est le vote de la dissolution...
La troisième c'est la venue du Roi, dans les jours
d'épouvante qui s'écouleront entre le vote de la dissolution et les élections
nouvelles, pour proclamer la royauté dans une de nos villes, avec le
concours d'un de nos chefs d'armée qui y commanderait et dont on se
serait assuré d'avance. Il y en a qui sont prêts, je le sais...
Tout ne dépend que de vous... Tout le reste ira de soi, pourvu que le secret le plus
profond soit gardé... Vous apparaîtrez à
tous, si vous revendiquez vos droits par la force, comme le sauveur de
la vie, des biens, de l'honneur des Français. Il y aura une lutte des rues
dans quelques villes. Elle vous servira et ne durera qu'un jour. Il y
aura quelque péril à courir pour vous au premier moment peut-être.
Permettez-moi de le dire : Tant mieux, Sire ! Vos ennemis ne pourront plus
répéter que c'est sans danger pour elle que Votre Majesté tient ferme son
drapeau et son principe. L'honnête prélat qui proposait si délibérément la guerre civile présumait trop de l'audace de son royal correspondant. Le pauvre comte de Chambord pouvait bien encore aligner des phrases, mais il n'était pas homme à monter à cheval pour conquérir son trône. Je ne sais s'il remercia Lavigerie. Ce qu'il y a de certain, c'est qu'il ne songea pas un instant à suivre son conseil. Ceux de nos évêques qui n'allaient pas en Bohème ne se privaient pas pour cela du plaisir de manifester leur zèle pour le trône, autant que pour l'autel. S'ils n'offraient pas de conseils au prétendant, ils en donnaient au Président de la République et l'on devine sans peine ce qu'ils lui conseillaient. C'est ainsi qu'au cours d'un voyage qu'il fit au mois d'août 1871 dans les départements, plusieurs d'entre eux l'invitèrent par de retentissantes allocutions à servir non seulement la cause du pape, mais celle du roi. Freppel par exemple, venait saluer en lui l'homme dont la haute influence contribuerait efficacement à ramener la France dans la voie des traditions glorieuses qui depuis tant de siècles ont fait sa gloire et sa force... Ces démonstrations ne pouvaient guère, il est vrai, émouvoir le public, qui ne prenait plus au sérieux ni le comte de Chambord ni son parti. En revanche, elles impatientaient quelque peu le maréchal qui, inquiété en outre, par les menées audacieuses du bonapartisme[48], et désireux, d'ailleurs, de conserver son pouvoir jusqu'au terme qui lui avait été assigné, avait déjà (le 9 juillet) mis l'Assemblée en demeure d'organiser enfin le septennat par le vote des lois constitutionnelles depuis si longtemps attendues. Mac-Mahon était en cela d'accord avec le pays, qui ne voulait plus de provisoire et qui demandait de plus en plus la dissolution. Certains membres du clergé même, comme Dupanloup — qui jouait quelque peu près de lui le rôle d'Eminence grise —, sans vouloir la République définitive, étaient d'avis que, si l'on ne consolidait pour le moment l'autorité du maréchal par le vote des lois nécessaires, on irriterait à ce point le pays que la dissolution de l'Assemblée serait inévitable, et la dissolution, disait l'évêque d'Orléans, c'est l'anarchie... c'est l'abîme[49]. L'extrême droite, par ses manœuvres obstructives, parvint encore en fait à gagner quelques mois. Mais au retour des vacances parlementaires, l'Assemblée, sous peine de provoquer un soulèvement général, dut enfin faire mine de s'exécuter. Ce n'est pas ici le lieu de retracer les débats mémorables d'où sortit la loi constitutionnelle du 25 février 1875 sur l'organisation des pouvoirs publics, loi que tous les partis votèrent comme un pis-aller et qui cependant, plus heureuse que ses douze ou quinze devancières, subsiste encore dans ses grandes lignes après plus de trente ans d'épreuve. Il suffira de rappeler que, conformément à la volonté nationale, tant de fois exprimée dans les élections depuis le 8 février 1871, elle écartait la monarchie et consacrait le triomphe du principe démocratique électif. Grâce à deux tacticiens incomparables, Thiers et Gambetta, la gauche de l'Assemblée, compacte, disciplinée, avait fini par désagréger, décourager l'ancienne majorité. La République était maintenant reconnue, non seulement comme un expédient provisoire, mais comme le gouvernement normal de la France. Il n'était plus question de septennat, même impersonnel. La victoire, comme l'avait prédit Thiers, était restée au plus sage. Qui eût cru un pareil résultat possible au lendemain de l'invasion de la Commune ? Les adversaires de la République ne jugeaient pourtant point encore la partie tout à fait perdue. Les organes dont on l'avait pourvue et ceux dont on la pourvut encore dans le courant de 1875 par une série de lois transactionnelles[50] dont l'opportunisme de Gambetta et de ses amis s'accommoda sagement, pouvaient presque tous s'adapter tant bien que mal à une monarchie. Du reste, en attendant une nouvelle secousse qui la transformât en empire ou en royauté, la République ne pouvait être que ce que la feraient les hommes chargés de la diriger. Or tant que l'Assemblée de 1871 serait derrière elle, tant que Mac-Mahon serait à sa tête, elle ne pouvait encore, en pratique, être que réactionnaire. Elle ne pouvait surtout être que cléricale. C'est ce que le maréchal prouva au lendemain du vote qui venait de la constituer en appelant aux affaires le président Buffet, qui avait tant contribué au renversement de Thiers et qui représentait si fidèlement les aversions politiques et religieuses de l'ancienne majorité. Ce réacteur de 1849[51], cet ex-ministre de Napoléon III, plein de mauvais vouloir pour le régime qu'il était appelé à servir, plein de complaisance, en revanche, pour l'Église, se résigna bien, de mauvaise grâce, à faire entrer dans son ministère[52] deux membres du centre gauche — Dufaure, Léon Say —, mais y admit par contre un membre de la droite — de Meaux —, qui venait de voter contre la constitution, et en forma le gros de membres du centre droit, partisans de la monarchie[53] non moins que cléricaux. On ne fut donc pas surpris qu'après comme avant la formation de ce cabinet le parti catholique restât tout-puissant en France. De fait il n'y eut pas de solution de continuité dans la série des complaisances et des faveurs dont il fut l'objet depuis la chute de Thiers jusqu'à la disparition de l'Assemblée nationale et même un peu au-delà. VI On pense bien qu'a dater du 24 mai, ce parti, déjà si entreprenant, si favorisé, n'avait rien négligé pour augmenter ses moyens d'action et qu'il avait eu pour cela des facilités singulières. Tout d'abord il avait fait pourvoir la France d'Un personnel administratif et judiciaire à sa dévotion, grâce auquel bien des espérances lui avaient été permises, bien des empiétements lui étaient devenus licites. Ainsi qu'aux temps lointains de la Restauration, les petits fonctionnaires et employés subalternes au service de l'État s'étaient vus soumis à la surveillance tracassière de la faction dominante, dénoncés, réduits à faire chorus avec les puissants du jour, ou à se taire sous peine de disgrâce ou de destitution. L'instituteur, quelque peu protégé sous l'Empire, était retombé sous la coupe du curé. Les professeurs des lycées et des collèges, s'ils n'étaient pas pour l'ordre moral, étaient traités en suspects ou en ennemis. On leur interdisait de prendre part aux conférences de la Ligue de l'enseignement ; l'administration s'immisçait dans leur propre enseignement de la façon la plus abusive et parfois la plus ridicule[54]. Les bienpensants, par contre, étaient protégés dans leurs écarts de langage ou de conduite avec une inlassable complaisance. La justice, si rigoureuse alors pour tout ce qui était républicain ou anticlérical, devenait pour eux paterne, indulgente, fermait les yeux sur leurs peccadilles et, s'il s'agissait d'actes plus graves, savait doser les peines avec miséricorde. Sous l'œil bienveillant des préfets et des maires, les dévotions tapageuses qui s'étaient déjà multipliées au temps de Thiers prenaient un développement extraordinaire et devenaient vraiment encombrantes. Si c'était surtout par la vanité des relations nobiliaires[55] et par l'appât des mariages fructueux ou des protections lucratives que le clergé gagnait les bourgeois — enrichis par la Révolution et naguère encore voltairiens —, c'était plutôt par la pompe théâtrale dû culte et par, les ressources inépuisables d'une thaumaturgie chaque jour plus grossière et, partant, plus populaire, que le clergé s'efforçait d'attirer ou de retenir la foule des humbles, des ignorants et des pauvres. Le culte des reliques, anciennes et nouvelles, prenait des proportions inouïes. Les vieux bérets de Pie IX, les mèches de cheveux du Père de la Salle, les draps de lit du curé d'Ars, les savates du crasseux Labre ou le cuir même du tabouret où il s'était assis continuaient à faire des miracles — de toutes façons profitables à l'Église. — On continuait aussi à découvrir de nouveaux saints. L'ossuaire des Catacombes était loin d'être épuisé. On y trouvait à volonté ces corps anonymes que l'on baptisait martyrs en les appelant d'un nom quelconque, parfois d'une simple épithète, comme celle de Generosus, appliquée à ce prétendu saint que la Custode de Rome avait gardé vingt-huit ans sans savoir qu'en faire et qu'on finit par donner en 1874 au Cercle catholique d'ouvriers du boulevard Montparnasse, à Paris, où son arrivée fut saluée par de véritables excitations à la guerre civile[56]. Les lieux de pèlerinage, où les croyants venaient en troupes serrées chercher non seulement des indulgences pour leurs péchés, mais la guérison de leurs maladies et l'accomplissement de leurs souhaits (plus ou moins légitimes) se couvraient de constructions grandioses et fastueuses grâce à l'inépuisable libéralité des pèlerins. Les millions se dirigent vers la grotte, écrivait Lasserre dans son livre fameux sur Notre-Dame de Lourdes[57]. La basilique de Montmartre, dont l'exécution venait à peine d'être votée, sortait de terre comme par enchantement et donnait déjà lieu à d'imposantes cérémonies, où l'épiscopat venait à grand bruit affirmer l'inféodation de la France au Sacré-Cœur. Les pèlerinages nationaux, devenus une institution régulière, sillonnaient impunément la France à époques fixes et prenaient aussi fréquemment le chemin de Home où, par les offrandes les plus variées, ils allaient grossir dans des proportions énormes le produit déjà respectable du denier de Saint-Pierre et recevoir les instructions du pape[58]. C'est par certaines congrégations — comme celle des Oblats[59] — appliquées particulièrement à ce genre de travail, auxquelles les membres du clergé séculier servaient de rabatteurs, qu'étaient surtout organisés et exploités les pèlerinages. Toutes les congrégations du reste, — autorisées ou non autorisées, — se multipliaient pour ainsi dire à vue d'œil dans notre pays, grâce à la complaisance ou aux faveurs du gouvernement et pénétraient de leur propagande, imprégnaient de leur influence, chacune suivant sa spécialité ou ses intérêts propres, les diverses classes de la société[60]. Les Jésuites surtout étaient à la mode et il était de bon goût — en même temps que de bonne Ontique, — dans les familles bourgeoises qui reniaient implicitement ou explicitement leur roture, de leur confier l'éducation de leurs enfants. Quant aux congrégations vouées aux missions dans les pays non chrétiens, elles croissaient aussi chaque jour en nombre, en ardeur et en richesse. Lavigerie, que n'absorbait pas entièrement le souci de relever en France le trône légitime, achevait d'organiser sa chère société des Missionnaires d'Afrique — ou Pères blancs —, pour lesquels il organisait des quêtes fructueuses dans toute la chrétienté — jusqu'au Canada — et qu'il allait bientôt lancer à la conquête de l'Afrique noire. En attendant qu'il pût étendre ses opérations jusqu'au Soudan et au Haut-Nil, il provoquait en Algérie, par ses excès de prosélytisme, de vives réclamations, mais ne s'en émouvait guère, ayant pour lui le pape d'une part et le gouvernement de Versailles de l'autre[61]. Ajoutons que si, en certains pays son zèle indiscret pouvait compromettre les intérêts de la France, en d'autres il les servait utilement, par exemple en Tunisie, où dès 1875, par la prise de possession de la chapelle de Saint-Louis de Carthage il ouvrait la voie — d'accord avec le consul Roustan — à la politique du protectorat. Ce n'était pas seulement par l'extension du clergé régulier que l'Église travaillait alors la nation française. C'était aussi par les innombrables Confréries où prêtres et moines embrigadaient chaque jour des Français de tout sexe, de tout âge et de tout métier. C'était par les Œuvres nouvelles d'édification et de prières qui, comme celle des Neuvaines, fondée en 1873, se proposaient, au moyen de pratiques de dévotion, d'obtenir un terme aux maux de l'Église et de la patrie[62]. Mais c'était bien plus encore par les grandes associations laïques où la prière, le travail, l'enseignement, les propagandes de tous genres, la presse, enfin tous les moyens d'action, toutes les forces sociales étaient combinés et agencés en vue d'une fin commune : la toute-puissance de l'Église[63]. Cette centralisation d'efforts et de ressources est surtout sensible à cette époque dans l'assemblée générale des Comités catholiques, qui se réunit chaque année, sous la présidence d'honneur de quelque prélat illustre et sous la présidence effective du député Chesnelong. Neuf commissions permanentes — en l'honneur des neuf chœurs angéliques — ont été constituées par cette, assemblée comme autant de ministères chargés de diriger neuf grands groupes d'associations catholiques, correspondant aux diverses catégories d'œuvres qu'embrasse cette espèce de gouvernement. Il suffit pour se rendre compte de l'importance de cette sorte d'État dans l'État, d'indiquer l'objectif de chacun de ces groupes — formé lui-même d'un grand nombre de sociétés particulières éparses dans toute la France — : 1° Œuvres de prières[64] ; 2° Œuvres pontificales[65] ; 3° Œuvres générales — conférences publiques, secours aux blessés, bibliothèques militaires, sanctification du dimanche — ; 4° Œuvres d'enseignement ; 5° Œuvres de propagande par la presse — journaux, brochures, livres — ; 6° Œuvres d'économie sociale ; 7° Œuvres relatives à l'art chrétien ; 8° Œuvres relatives à la législation et au contentieux ; 9° Œuvres des pèlerinages en Terre Sainte et des Chrétiens d'Orient. Parmi toutes ces œuvres, nous devons signaler particulièrement celles qui avaient pour but d'enrégimenter les classes ouvrières sous la bannière de l'Église. Le clergé commençait à comprendre, comme le comte de Mun, la nécessité de se rapprocher du monde du travail pour le discipliner et s'en faire une armée fidèle. Ayons soin, disait politiquement le jésuite Marquigny, de ne pas heurter les instincts de liberté et d'égalité auxquels il est bien permis d'avoir égard, et nous reconstruirons plus rapidement que beaucoup ne le pensent l'édifice des corporations ouvrières. Des prélats dévoués de cœur au régime des castes et des privilèges se mettaient à flatter, parfois à flagorner les ouvriers, comme leurs devanciers l'avaient fait en 1848. L'évêque de Poitiers, inaugurant un cercle d'artisans, insistait longuement sur ce fait que Jésus, fils d'un charpentier, avait été charpentier lui-même, Nonne hic est faber, fabri filius... [66] ? L'évêque de Rodez, Bourret, s'étendait en termes pathétiques sur les souffrances des mineurs et prêchait presque la guerre aux patrons : Jamais cachot fut-il plus noir et plus sombre que les souterrains où vous font descendre tous les jours les insatiables exigences du gain et de l'avarice ?... C'étaient là reconnaissons-le, des excès et des imprudences de langage que les orateurs catholiques savaient en général éviter. Le plus éloquent de tous, le comte de Mun, s'il témoignait une sympathie profonde aux ouvriers, se gardait bien de fomenter la haine des classes. Dans les cercles nombreux qu'il lui fut donné de fonder de 1873 à 1875[67], ainsi que dans les solennités religieuses où il eut l'occasion de prendre la parole, ce qu'il recommandait avec le plus d'énergie, c'était le retour aux anciennes hiérarchies sociales, la subordination volontaire de la classe ouvrière à la classe dirigeante représentée comme une puissance bienfaisante et tutélaire toujours consciente de son devoir social. Ce qu'il prêchait avec une ardeur infatigable, c'était la guerre à la Révolution, au nom de laquelle le peuple ne voulait plus servir. La Révolution, s'écriait-il un jour[68], n'est pas seulement le crime d'un jour ou d'une époque ; elle est encore une idée dont les sources sont anciennes... elle est l'esprit de négation qui repousse toute doctrine, l'esprit d'indépendance et d'orgueil qui refuse toute obéissance, et sa devise est : non serviam... ! L'orateur faisait ensuite le tableau le plus sombre de tous les maux qu'elle avait déchaînés sur la société et, cherchant le remède, ne le trouvait que dans le principe contraire. Le salut, à son sens, ne pouvait être procuré que par une soumission absolue et sans réserve à l'Église. Si on lui reprochait de prendre le Syllabus pour base de son œuvre, loin de s'en défendre, il s'en glorifiait. Oui, Messieurs, éloge ou reproche, nous l'acceptons... C'est le Syllabus que nous entendons prendre pour base de notre œuvre... Nous voulons encore proclamer que la voix de l'Église est la voix de Dieu lui-même... Le Syllabus est devenu notre devise parce que Pie IX l'a signé... Le Syllabus sera notre drapeau, puisqu'il suffit de l'arborer pour faire bondir nos adversaires... Qu'arriverait-il si la volonté du Pape, si les entreprises
catholiques, imposées par le Syllabus, étaient en opposition avec la
loi civile ? Avec sa vaillance ordinaire de Mun n'hésitait pas à répondre que
dans ce cas la loi civile devait être enfreinte et regardée comme n'existant
pas. Le catholicisme, étant l'essence même de la
vérité, est aussi le bien par excellence, puisqu'il est établi par Dieu
lui-même pour être le lien qui rattache l'homme à son Créateur. Il suit de là
qu'une œuvre catholique ne saurait être illégitime en droit, quelles que
soient d'ailleurs les conditions de fait où la société puisse être placée.
Notre association a pour but avoué de défendre et de propager le catholicisme
; l'Église, c'est-à-dire l'autorité instituée par Dieu pour décider du bien
et du mal, l'a solennellement approuvée... Dès
lors, quel que puisse être le droit légal, nous avons pour nous un droit
supérieur et antérieur, à l'abri duquel nos consciences sont en repos et nous
n'en demandons pas davantage... Enfin revenant dans sa péroraison sur ces principes de 89 qui lui étaient si odieux, de Mun rappelait la phrase de Vermorel : Entre la Révolution et l'Église il y a incompatibilité, il faut que l'Église tue la Révolution, ou bien la Révolution tuera l'Église. Et il ajoutait avec une superbe assurance : Nous reconnaissons l'incompatibilité, mais nous n'acceptons pas le dilemme. Le vainqueur de ce combat suprême est marqué d'avance, et l'Église tuera la Révolution, parce que l'Église ne peut pas périr... Si le gouvernement chargé de défendre la République
laissait un officier en activité de service tenir publiquement un pareil
langage, on juge de la complaisance que l'Église était en droit d'attendre de
cette Assemblée nationale qui lui était si dévouée et qui avait déjà tant
fait pour elle[69].
Plusieurs lois récentes témoignaient déjà du désir constant qu'avaient nos
législateurs d'accroître son influence et ses moyens d'actions. Citons
notamment la loi du 19 mai 1874 sur le travail
des enfants et des filles mineures employés dans l'industrie, où
des précautions minutieuses avaient été prises pour assurer le repos du
dimanche et des jours fériés, ainsi que la liberté
nécessaire pour l'accomplissement des devoirs religieux. Citons
surtout la loi du 20 mai 1874 qui, en introduisant dans nos corps de troupes,
en temps de paix, des aumôniers militaires
parfaitement inutiles pour l'exercice du culte, n'y introduisait en réalité
que des surveillants et des agents autorisés de propagande religieuse[70]. Et rappelons
aussi en passant qu'à la même époque un projet de loi du baron Chaurand,
tendant à rendre obligatoire l'observation du dimanche[71] n'avait été
repoussé que par 292 voix contre 251. Mais ce que le parti clérical tenait principalement à obtenir de l'Assemblée, après comme avant le 24 mai, c'étaient de nouvelles facilités pour s'emparer de l'enseignement. Et à cet égard non plus son attente ne fut pas trompée. VII L'Église ne se contentait plus des avantages exorbitants que lui avaient assurés la loi Falloux et la loi sur le Conseil supérieur en 1873. Il ne lui suffisait pas ; d'avoir ses écoles primaires et ses collèges, d'y violer impunément les lois par le choix des maîtres, d'y échapper en fait à toute surveillance et à tout contrôle, grâce à la tolérance de ministres toujours heureux de lui complaire[72]. Il ne lui suffisait pas non plus d'avoir envahi les écoles de l'État et de faire peser sa propre surveillance et son propre contrôle sur l'Université. Une conquête, après tant d'autres, lui tenait au cœur. C'était celle de l'enseignement supérieur. Ce que la seconde République n'avait pas eu le temps de lui donner, ce que le second Empire ne lui avait pas permis de prendre, le clergé le réclamait maintenant avec hauteur, comme une dette, à la troisième République. Ce n'était pas assez pour lui d'apprendre à lire aux enfants du peuple et d'élever dans ses collèges les enfants de la classe dirigeante. Former l'enfance, c'était bien ; former la jeunesse c'était mieux. Il voulait faire des bacheliers, des avocats, des médecins, et cela librement, sans contrôle, si bien qu'au bout de quelques années les professions libérales ne fussent plus exercées, les emplois publics ne fussent plus remplis que par ses créatures[73]. Le projet de loi du comte Jaubert, que nous avons mentionné plus haut, ne lui donnait point une satisfaction sans mélange. L'idée de partager la liberté avec l'État, de subir des restrictions, un contrôle légal, lui était profondément odieux. Ce qu'il voulait pour lui, c'était la liberté sans limite. Il nous faut, disait le P. d'Alzon (au Congrès des comités catholiques en1874), des Facultés à nous, faisant des bacheliers suivant nos programmes, des examinateurs à nous, il nous faut des Facultés chrétiennes de médecine et de droit. — Le P. Marquigny de son côté formulait ainsi son programme : Indépendance absolue des Universités libres, qui pourront conférer tous les grades, sans examinateurs étrangers ; mêmes droits afférents aux grades des Universités libres qu'à ceux de l'État ; ni jury officiel, ni jury mixte, ni jury spécial ; pas d'autres juges de l'enseignement libre et chrétien que ceux qui le distribuent dans les conditions fixées par la loi. L'Assemblée des comités catholiques demandait que nul contrôle ne fût exercé au nom de l'État sur l'enseignement lui-même ; que les évêchés et fabriques pussent posséder des établissements d'enseignement supérieur, avec droit d'acquérir ou d'aliéner à titre gratuit ou onéreux ; que tous édits, arrêts, décrets, lois portés contre les congrégations religieuses fussent abrogés ; que les Facultés libres pussent conférer tous les grades et que leurs diplômes conférassent les mêmes droits que ceux de l'Université ; enfin que les examens subis devant elles ne fussent pas soumis aux mêmes règles que les examens subis devant les Facultés de l'État. De pareilles exigences pouvaient déjà paraître exorbitantes. Mais l'Église en avait de bien moins acceptables encore. Les interprètes les plus autorisés et les plus francs de sa pensée ne dissimulaient pas que ce qu'elle souhaitait sous le nom de liberté, c'était, au fond, le monopole de l'enseignement, but éternel et véritable de son ambition. Le régime parfait de l'instruction publique, écrivait le P. Martini, serait que l'Église possédât toute la direction de l'enseignement à tous les degrés, qu'elle eût la surveillance de toutes les écoles, afin que la morale et le dogme n'aient à souffrir nulle part. En attendant la réalisation de cet idéal, le clergé entendait être maitre absolu dans ses écoles et empêcher l'État de l'être dans les siennes. Elle réprouvait hautement la liberté dans l'enseignement, telle que Paul Bert la demandait dans un contre-projet de loi qu'il avait déposé le 2 décembre 1873 et en vertu duquel l'enseignement supérieur de l'État aurait été centralisé en cinq groupes formant autant d'Universités, dotées d'une large autonomie financière, avec droit de présentation aux chaires, inamovibilité des professeurs, liberté des programmes, etc.[74] L'évêque d'Orléans avait répété cent fois et devait répéter encore qu'il n'admettait pas d'autre liberté que celle du bien, c'est-à-dire en somme celle de penser et de parler comme lui. Les maîtres de l'Université n'étant bons, à son sens, qu'à pervertir la jeunesse ; est-ce que les étudiants, demandait-il au cours de la discussion de la loi[75], sont en état de se défendre contre de tels professeurs, contre un tel enseignement. Et vous voulez que moi je les livre sans défense... à toutes les séductions de cet enseignement, étrange et osé, auquel vous prétendez abandonner les chaires de cet enseignement !... A quoi l'on pouvait répondre qu'il n'était pas plus juste de les livrer sans défense à l'enseignement de l'Église, qui paraissait non moins étrange et non moins osé à ses adversaires. Ce n'étaient pas, du reste, seulement les membres du
clergé qui réclamaient l'exclusive liberté du
bien. Chesnelong pensait aussi que la liberté également laissée à l'erreur et à la vérité, au bien et au
mal, constitue un régime funeste à la liberté religieuse et à la liberté
civile. Nous regrettons,
déclaraient les comités catholiques, que la future
loi... soit fondée sur le principe de la liberté
pour tous de tout enseigner. — Pour nous,
écrivait Belcastel, la liberté, c'est la façon de se
mouvoir sans entrave dans le bien. Au point de vue de l'enseignement, c'est
le renversement de l'usurpation de l'État et la restauration des deux
autorités légitimes inspirées par Dieu... La proposition du comte Jaubert, qui avait déjà fait couler tant d'encre et prononcer tant de discours, ne vint en discussion qu'à la fin de 1874 et ne fut votée, après trois délibérations très approfondies et très vives, que le 12 juillet 1875. Elle ne le fut, du reste, qu'avec des modifications qui en aggravaient fort la portée et montraient bien comment les meneurs de la droite comprenaient au fond l'enseignement. Ainsi toute latitude fut donnée aux associations formées dans un dessein d'enseignement de se constituer, de fonctionner, sans avoir à redouter l'article 291 du Code pénal, de fonder des Facultés et d'en former des groupes qui prendraient le nom d'Universités catholiques, sans que l'État pût les contrôler en rien, si ce n'est sous le rapport de la morale et du respect des lois. Ces associations purent même obtenir par simple décret la déclaration d'utilité publique, qui ne pourrait être retirée que par une loi. En vue de leur dissolution, elles furent, contrairement aux principes du droit, autorisées à disposer par avance des biens qu'elles auraient acquis à titre onéreux. Or ces associations, ces Facultés, ces Universités, l'Église seule était en mesure de les fonder[76]. Sans doute les villes et les départements auraient pu se permettre des créations semblables. Mais ils furent exclus du bénéfice de la loi, la droite n'ayant pu obtenir que ce bénéfice fût également assuré aux diocèses. Quant aux particuliers, l'amendement Fournier-Adnet prétendait leur refuser le droit de créer des enseignements isolés, des cours individuels[77]. On finit par le leur accorder, mais en les garrottant et les réduisant à l'impuissance. La liberté de ces sortes de cours fut en effet étrangement limitée. Quiconque en instituerait un devait s'astreindre, s'il voulait parler de toute matière qui lui conviendrait, à ne professer qu'à huis-clos, devant des étudiants régulièrement inscrits et immatriculés. Si le cours était public, il serait soumis aux prescriptions de la loi de 1868 sur les réunions, c'est-à-dire qu'il ne porterait ni sur les matières religieuses ni sur les matières politiques et qu'il pourrait être interrompu par le commissaire de police. Il fallait bien une garantie contre la liberté du mal ! Chose singulière, bien qu'il fût évident que l'Église seule pourrait bénéficier de la réforme nouvelle et que l'Église avait pour but non la liberté mais la domination, nombre de républicains, par doctrinarisme, soutinrent le principe de la loi. Laboulaye, Jules Simon, Pascal Duprat, Jules Ferry furent d'accord à cet égard avec Dupanloup. Louis Blanc lui-même ne s'y opposait pas, à condition, il est vrai, que l'on rétablît préalablement dans leur plénitude les libertés de la presse, des réunions, des associations. Challemel-Lacour eut presque seul le courage de le combattre nettement et sans réserve. Avec son éloquence nerveuse et coupante, il soutint qu'on ne devait pas la liberté à ceux qui la refusaient aux autres[78], et que donner le droit de cité au Syllabus dans notre pays, c'était lui livrer la société, ou tout au moins préparer la guerre civile. ... Ce serait, disait-il, un vain enfantillage de feindre ignorer que le seul intérêt en question est celui de l'Église catholique. Les Universités catholiques voudront préparer dans les futurs médecins, avocats, magistrats, des auxiliaires de l'esprit catholique qui mettront au service de l'Église tous les moyens d'action que leur fourniront leurs professions. Ils ne se contenteront plus d'être des croyants, ils seront des apôtres. Ils chercheront à soutenir et à appliquer les principes du Syllabus, qui aura été inculqué à leur jeunesse. Or la France, dans sa très grande majorité, considère les propositions condamnées dans le Syllabus comme le fondement même de notre société. Diviser ainsi la nation en deux camps, n'est-ce pas préparer des cataclysmes ?... L'orateur représentait ensuite que la France choisissait pour lever le drapeau de l'ultramontanisme un singulier moment, celui où toute l'Europe le répudiait, où le Saint-Siège était particulièrement en lutte avec l'Allemagne, l'Autriche-Hongrie, la Suisse, l'Italie, etc. Je demande, ajoutait-il, s'il est sage, en face de l'Europe ironique et irritée, de nous constituer le champion du catholicisme, l'avant-garde d'une restauration catholique... On écouta Challemel-Lacour, mais on ne le crut pas. Dupanloup, qui lui répondit, obtint gain de cause, et la liberté de l'enseignement supérieur fut admise en principe à une très forte majorité[79]. Il n'en fut pas de même de la liberté réclamée pour les Facultés nouvelles de conférer des grades. Presque tous les républicains soutinrent avec raison que si enseigner pouvait être un droit pour les particuliers, conférer des diplômes qui ouvrent l'accès des professions libérales ou des fonctions publiques et dont la valeur est garantie par la loi devait être le privilège de l'État. La discussion fut longue et passionnée, car tout le monde sentait bien qu'en cette matière la collation des grades était le point capital. Jules Ferry démontra avec autant de vigueur que de clarté qu'il n'y a rien de commun entre l'enseignement et les grades ; que l'État, responsable des grades qu'il confère, ne peut déléguer son droit à des corps entièrement soustraits à son autorité, à sa direction et qui, par l'abaissement du mérite professionnel de leurs membres, peuvent ne pas toujours offrir les garanties qu'on est en droit d'exiger d'eux. Il représenta qu'en matière de collation des, grades, la concurrence entraîne toujours l'abaissement du niveau des examens, par suite celle de la valeur des diplômes. Il cita, à l'appui de cet argument, l'exemple des États-Unis, de la Belgique et d'autres pays encore. Dupanloup répondit en accusant de nouveau avec violence l'Université d'athéisme, de matérialisme, et en représentant que la liberté d'enseigner sans celle de conférer des grades n'était qu'une concession illusoire. Ferry, Jules Simon, partisans du droit exclusif de l'État, répliquèrent, mais ne triomphèrent pas. Il est vrai que les catholiques n'obtinrent pas non plus tout ce qu'ils voulaient. Mais ils eurent au moins à moitié gain de cause, grâce à l'amendement Pâris, auquel le ministre de l'Instruction publique, Wallon, eut la faiblesse de se rallier. La loi nouvelle réserva bien exclusivement aux Facultés de l'État la collation du baccalauréat ès lettres et du baccalauréat ès sciences. Mais pour les autres grades elle autorisa les étudiants des Universités libres[80] à se présenter devant des jurys mixtes, formés en nombre égal de professeurs desdites Universités et de professeurs des Facultés de l'État. C'était trop peu au dire des ultra-catholiques, qui se plaignirent d'avoir été sacrifiés. Et c'était cependant une concession énorme, qui eût été funeste au pays si la loi nouvelle eût duré seulement vingt ans. Elle offrait en effet manifestement à l'Église un nouveau moyen d'affaiblir cette Université qu'elle haïssait si fort et que son vœu le plus ardent était de détruire[81]. La liberté que l'Assemblée nationale venait de proclamer ne tarda pas à porter ses fruits. L'Église était prête à s'en servir. Grâce à ses puissants moyens de propagande et à son influence sur la classe riche, elle savait bien que l'argent ne lui manquerait pas. En peu de mois des millions lui furent offerts, des associations d'évêques, dont la plus nombreuse se groupa autour de l'archevêque de Paris[82], présidèrent à l'organisation du nouvel enseignement. Dès la fin de 1875, des groupes de Facultés catholiques furent ouverts à Paris, à Lyon, à Lille, à Angers, où bientôt après devaient être érigées des Universités[83]. Ce qu'on allait y enseigner, ce n'était pas, on s'en doute bien, la science pure, c'était la science chrétienne, fondée sur la doctrine de l'Église. Les chefs les plus éclairés du parti le disaient hautement. Ce qu'ils voulaient avant tout, c'était que le catholicisme disputât au positivisme l'âme de la France[84]. L'enseignement n'était point à leurs yeux une simple fonction pédagogique : c'était une arme de guerre. Les jeunes gens attachés comme élèves aux nouvelles Facultés étaient surveillés étroitement et retenus le plus possible sous l'influence exclusive de leurs maîtres. Quant à ces maîtres, on exigeait d'eux une impeccable et constante orthodoxie. Ils devaient faire publiquement profession oie foi de catholicisme et jurer sur l'Évangile de ne rien enseigner de contraire aux lois et doctrines de l'Église[85]. Du reste, les Universités, comme leurs comités de direction, s'engageaient à ne fonctionner jamais que sous l'autorité du pape, et ce dernier devait être représenté auprès d'elles par un chancelier, chargé de tout surveiller, de tout rapporter et de faire exécuter les instructions du Saint-Père. Tandis que l'Église s'armait ainsi ouvertement contre l'État sous l'œil bienveillant d'un ministère dont le chef lui était tout dévoué, le gouvernement s'essayait avec mesure, sous le prudent Wallon, aux réformes que ses propres Facultés réclamaient depuis longtemps et qui lui étaient nécessaires pour soutenir la concurrence de l'enseignement libre : il fondait par exemple quelques chaires nouvelles, rétablissait l'agrégation des Facultés des lettres et des sciences[86], accordait quelques facilités aux cours libres dans les établissements de l'État, créait une Faculté de médecine à Lille, une Faculté de droit à Lyon, etc. Or, telle était l'idée que l'Église se faisait de ses droits qu'elle reprochait au ministère, comme une trahison, de chercher à vivifier ou à régénérer l'enseignement de l'État par ses timides et impuissantes innovations. Il eût fallu pour la satisfaire que notre Université nationale renonçât à la concurrence et se laissât mourir de sa belle mort. VIII La loi sur la liberté de l'enseignement supérieur fut le dernier triomphe de cette majorité cléricale qui avait si longtemps maintenu l'Assemblée nationale dans son esprit natif d'obscurantisme et de réaction. Quand, poussée par la force des choses, cette Assemblée eut complété l'établissement d'une république qu'elle voulait encore croire provisoire, mais que le pays voulait définitive, par les deux lois constitutionnelles sur les rapports des pouvoirs publics (16 juillet 1875) et sur l'élection des sénateurs (2 août), puis par la loi électorale applicable à la Chambre des députés (30 novembre) ; quand elle eut enfin, à la suite d'une dernière coalition parlementaire organisée de main de maître par Gambetta entre la gauche et l'extrême droite, élu plus de 50 sénateurs républicains sur les 75 qu'elle avait à nommer[87] (10-21 décembre), il lui fallut bien enfin se dissoudre et céder la place aux pouvoirs réguliers qu'elle venait de constituer. La France avait depuis longtemps désavoué cette Assemblée élue, suivant le mot malencontreux de Beulé, dans un jour de malheur. L'incoercible tradition de 1789, les excès et la chute misérable de toutes les monarchies dont elle avait essayé depuis quatre-vingts ans, les humiliations et les ruines qu'elle devait au second Empire, ainsi qu'au premier, par-dessus tout sa répugnance à subir le régime de réaction politique, sociale et religieuse que les hommes de 1871 avaient voulu lui imposer, l'avaient faite, presque sans qu'elle s'en doutât, profondément républicaine. Elle avait bien prouvé, du reste : de quel côté se portaient ses préférences par les nombreuses élections partielles auxquelles elle avait dû procéder dans ces dernières années et qui, presque toutes, même sous le gouvernement de l'ordre moral et malgré lui, avaient tourné à la confusion des partis monarchiques, ainsi que de la cause ultramontaine. Elle voulait rester maîtresse de ses destinées et elle repoussait, en immense majorité, quoique catholique, les prétentions théocratiques de Rome. L'anticléricalisme ne se séparait pas dans sa pensée du républicanisme. Elle avait une foi robuste et enthousiaste en deux hommes de haute valeur, qui avaient pu commettre des fautes, mais qui, jadis par leurs actes, maintenant par leurs discours et leur toute-puissante influence, la rendaient chaque jour plus consciente de ses droits et de ses devoirs. Rapprochés maintenant et se fortifiant l'un l'autre par leur alliance, Thiers, qui avait amené le centre gauche à la République, et Gambetta, qui avait discipliné, canalisé pour ainsi dire, le radicalisme de l'extrême gauche, étaient alors dans notre pays les régulateurs de l'opinion publique. S'il se trouvait encore des foules pour pèleriner à Lourdes ou à Paray-le-Monial, il s'en trouvait aussi de plus compactes, de plus enthousiastes encore, pour acclamer au passage l'ex-dictateur, quand sil allait porter dans nos villes, avec sa chaude et vibrante éloquence, l'Evangile de la liberté. On se pressait aussi autour de ses émules ou de ses lieutenants, les Jules Ferry, les Paul Bert et d'autres encore qui étaient comme lui l'espoir de la jeune République. A l'approche des élections générales, c'était à lui, c'était à Thiers que la France demandait son mot d'ordre, et c'est de leurs programmes qu'elle entendait s'inspirer[88]. La presse républicaine, inspirée surtout par eux et par leurs amis, contribuait aussi puissamment à l'éducation politique du pays, malgré les entraves d'une législation encore rigoureuse et d'une administration encore tracassière[89]. Si les feuilles d'avant-garde, comme la Marseillaise, le Mot d'ordre, le Rappel, les Droits de l'homme, ou la Lanterne — que Rochefort, évadé de la Nouvelle-Calédonie, venait de faire renaître à Genève —, paraissaient encore trop violentes et n'avaient qu'une faible influence sur le public, les journaux doctrinaires et circonspects comme le Temps ou la République française[90] jouissaient du plus grand crédit dans cette classe moyenne et éclairée qui était dans notre démocratie comme l'état-major du suffrage universel. L'anticléricalisme, ferme, mais mesuré dans ces dernières feuilles, était beaucoup plus vif dans le Siècle, dans le National et surtout dans le XIXe Siècle où, sous la direction du plus spirituel voltairien de France — Edmond About — toute une pléiade d'écrivains, jeunes, vigoureux, alertes Sarcey, Liébert, Fouquier, Bigot, etc. — harcelaient chaque jour la Congrégation de leurs épigrammes et la rendaient non seulement odieuse, mais ridicule. En dehors du monde politique et de la presse, l'action républicaine et anticléricale s'exerçait aussi très activement par diverses sociétés populaires, que les persécutions de l'ordre moral ne parvenaient ni à étouffer, ni même à intimider. La plus remuante était alors la Ligue de l'enseignement, qui, sous l'honnête et dévoué Jean Macé, fondait fréquemment de nouveaux cercles et, par les livres, les brochures, les journaux qu'elle répandait,, plus encore par les conférences publiques qu'elle multipliait dans les villes ou dans les villages, propageait familièrement partout l'amour de toute liberté légitime et l'horreur de toute réaction. Vainement les hommes du 24 mai avaient-ils dissous certains de ses cercles[91] ; vainement l'accusaient-ils à grand bruit d'être athée et voulaient-ils la soumettre à l'autorité discrétionnaire de l'administration. Vainement avait-elle été réprouvée par le pape[92] et dénoncée comme un fléau public par un mandement furieux de l'évêque Freppel[93] (fin de 1873). Elle avait continué de grandir. En 1875, l'Univers, le Monde, les comités catholiques demandaient encore à grands cris contre elle des mesures de surveillance et de répression[94]. Tant d'attaques, et si violentes, ne faisaient que raviver son zèle et que la rendre plus populaire. Au commencement de 1876, elle comptait déjà plus de 30.000 adhérents, répartis en 210 sociétés ou cercles locaux, et elle pouvait constater avec fierté qu'elle avait fondé 400 bibliothèques populaires et 175 bibliothèques régimentaires. Moins bruyante que la Ligue, la Franc-Maçonnerie, que Pie IX et les évêques avaient aussi condamnée tout récemment dans les termes les plus passionnés et que Dupanloup notamment, dans une brochure célèbre[95], venait de dénoncer comme une secte impie, cachant sous la décevante formule du tolérantisme le projet de déchristianiser la France, travaillait aussi avec succès à la propagation ou à l'affermissement de l'idée républicaine et anticléricale. Ses loges se multipliaient rapidement et, vu leurs rapports très étroits avec le monde politique, le rôle important qu'elles devaient jouer dans nos luttes électorales était assez facile à prévoir. Des hommes comme Gambetta, Louis Blanc, Henri Brisson, Floquet, Lockroy, Madier-Montjau, etc., s'honoraient d'en faire partie et de s'associer à ses travaux. Tout récemment encore (8 juillet 1875), à Paris, avait eu lieu dans la Loge Clémente amitié l'initiation de deux nouveaux frères, l'un déjà illustre, l'autre appelé à le devenir bientôt, Littré et Jules Ferry, et Gambetta avait hautement glorifié la franc-maçonnerie d'être au milieu des aigreurs ou des violences du fanatisme, la conspiration de la tolérance[96]. On voit par ce qui précède combien la France était préparée aux élections républicaines de 1876. Pourtant, le président du Conseil, Buffet, entêté plus que jamais de cléricalisme et de réaction, le maréchal de Mac-Mahon, toujours ignorant et borné, et la camarilla de l'Elysée[97], se firent, à ce qu'il semble, illusion jusqu'au bout sur les véritables intentions du pays. Les élections sénatoriales du 30 janvier, où Buffet, dans son propre département, demeura parmi les vaincus, furent déjà pour lui et pour ses amis un sinistre avertissement. Malgré la singulière loi constitutionnelle qui, en cette matière, faisait la part si belle aux ennemis de la République, 92 candidats républicains — sur 221 élus — entrèrent au Sénat, où, en s'unissant à leurs coreligionnaires inamovibles, ils furent dès lors tout près de former la majorité. Mais les élections législatives du 20 février furent pour le ministère un irréparable écrasement. Malgré ses efforts pour intimider le corps électoral, malgré les excès de zèle de ses agents, une majorité formidable de 200 voix fut assurée par le suffrage universel aux amis sincères et dévoués de la Constitution. Pour comble d'humiliation, Buffet, qui avait posé sa candidature dans quatre collèges à la fois, fut battu partout. La France ne pouvait signifier plus nettement son congé à l'ordre moral, qui avait cru ne lui donner qu'une république réactionnaire et cléricale en attendant la monarchie, alors que ce qu'elle voulait, elle, c'était une république républicaine. |
[1] Ce groupe considérable, dont le membre le plus influent était Léon Say, n'était pas moins résolument conservateur que le centre droit. Mais il avait reconnu depuis longtemps, comme Thiers, l'impossibilité de fonder un gouvernement durable en dehors de la République et s'était résolument détaché de la cause monarchique.
[2] Ce mot, qui a fait fortune sous la troisième République, avait une origine ecclésiastique. Dupanloup et d'autres adversaires de l'Infaillibilité s'étaient en effet dès 1870, au Concile du Vatican, déclarés non opportunistes, en ce sens qu'ils ne jugeaient pas opportune la proclamation du nouveau dogme.
[3] Jules Ferry, nommé en 1872, ministre plénipotentiaire à Athènes, avait démissionné à la chute de Thiers et était venu reprendre sa place à l'Assemblée nationale.
[4] Pour comprendre les illusions que se faisaient alors à cet égard, les membres les plus intelligents du centre gauche. V. de Marcère, l'Assemblée nationale de 1871.
[5] On a vu plus haut (c. II, § IV), par quelles protestations de dévouement filial l'ex-empereur en exil avait essayé de regagner la faveur du pape. Était-il bien sincère ? On ne sait. Mais les sentiments qu'il exprimait étaient à coup sûr ceux de l'ex-impératrice et ceux de l'ex-prince impérial, dont le langage et les écrits prouvèrent plus tard combien il entendait rester soumis à l'Église.
[6] Ce ministère, constitué le 25 mai, était ainsi composé : Présidence et Affaires étrangères, de Broglie ; Intérieur, Boulé ; Guerre, de Cissey ; Marine, Dompierre d'Hornoy ; Finances, Magne ; Instruction publique et Cultes, Batbie ; Justice, Ernoul ; Agriculture et Commerce, de la Bouillerie ; Travaux publics, Desseilligny. Le parti légitimiste pur y était représenté par Ernoul et La Bouillerie ; le parti bonapartiste par Magne ; naturellement il ne s'y trouvait pas un seul républicain.
[7] Nous sommes, avait dit de Broglie le 23 mai, 320 députés qui pensons qu'un gouvernement n'a pas tout fait quand il a assuré l'ordre matériel et que l'ordre moral dépend beaucoup de lui...
[8] La campagne pour la dissolution de l'Assemblée était menée depuis longtemps par les journaux et les orateurs républicains. On en voit la preuve dans le discours retentissant que Gambetta avait prononcé à Grenoble en septembre 1872.
[9] CHESNELONG (Pierre-Charles), né à Orthez le 14 avril 1820, mort le 21 juillet 1899 ; négociant enrichi dans le commerce des porcs ; fougueux républicain en 1848 ; conseiller général des Basses-Pyrénées (1852) et maire d'Orthez (1855), rallié à l'Empire et élu député au Corps législatif, comme candidat officiel, le 4 novembre 1865 ; réélu en 1869 ; rejeté dans la vie privée par la révolution du 4 septembre ; candidat malheureux (février 1871) à l'Assemblée nationale, où il n'entra que le 7 janvier 1872, par une élection partielle ; réélu à Orthez en 1876, mais invalidé par la Chambre ; sénateur inamovible le 24 novembre 1876.
[10] Il était en correspondance constante avec ce ministre et peu de temps après il lui servit d'intermédiaire auprès du comte de Vansay, secrétaire du prétendant de Frohsdorf.
[11] On voit peu de temps après, en juin, juillet, septembre, le même prélat multiplier, sous les formules les plus variées, ses manifestations en faveur du Saint-Siège et de la royauté, ordonner par exemple des prières, pour le captif du Vatican, et conduire 40.000 pèlerins à Notre-Dame-de-Pitié (Vendée), où il supplie la Vierge de replacer au front de la France et à celui de l'Église les diadèmes qu'on lui a ravi.
[12] Sous le gouvernement de Thiers, en vingt-six mois, 52 mesures administratives seulement avaient été prises contre la presse ; pendant les dix-huit premiers mois du gouvernement de Mac-Mahon (de mai 1873 à novembre 1871), il en fut pris 211 (28 suppressions, 20 suspensions, 163 interdictions de vente sur la voie publique).
[13] Bourgain, L'Église et l'État en France au XIXe siècle, II, 286.
[14] Le premier incident de ce genre se produisit aux funérailles du député Brousse, vice-président de l'Assemblée nationale, le 20 juin 1873.
[15] Le général du Barail, ministre de la Guerre, arguant d'une circulaire en vertu de laquelle les soldats devaient aller de la maison mortuaire à l'église et de l'église au cimetière, en tirait cette conclusion jésuitique, que si le cortège n'allait pas à l'église, ils ne devaient aller nulle part, et s'écriait d'un ton mélodramatique : Nous ne permettrons jamais que nos troupes soient mêlées à ces manifestations, à ces scènes d'impiété... Si aux hommes de guerre vous enlevez la foi en une autre vie, vous n'avez plus le droit d'exiger d'eux le sacrifice de leur existence. Et l'Assemblée trouvait que les principes toujours respectés par elle de la liberté de conscience et de la liberté des cultes n'étaient point en cause.
[16] P. Parfait, Le dossier des pèlerinages, 36-42.
[17] Il s'agit ici de Talleyrand, qui, après avoir coopéré à la confiscation biens ecclésiastiques, puis à la Constitution civile du clergé, avait renoncé à l'épiscopat pour rentrer dans la société laïque.
[18] Ainsi nommée pour rappeler que jadis, Louis XVI — du moins les promoteurs de l'entreprise l'affirmaient — avait voué son royaume au Sacré-Cœur de Jésus.
[19] La Bassetière, Chesnelong, Jean Brunet. etc.
[20] Le 20 septembre, jour anniversaire de l'entrée des italiens à Rome, des manifestations anti-françaises avaient lieu dans cette capitale. Le chargé d'affaires remplaçant au Vatican notre ambassadeur (Corcelles) en rendait compte en ces termes le 21 : ... Dans la nuit, des milliers de ces images de soldats français, provenant des fabriques d'Epinal. ont été placardées sur les maisons ou les boutiques des gens qui passent pour affectionnés au Saint-Siège, quelques-unes accompagnées d'inscriptions annonçant l'arrivée de l'expédition française. Des cœurs enflammés indiquant le Sacré-Cœur se trouvaient auprès des images militaires. On a vu toute la journée des groupes parcourir les rues en imitant le chant du coq (gallo) et en criant de temps à autre : Mac-Mahon est arrivé ! ou bien : Ils sont cinq cent mille ! On retrouve cette espèce de mot d'ordre qui règne dans la presse italienne depuis quelque temps et consiste à signaler chaque jour l'attitude agressive et provocatrice de la France. Cette tendance remonte au 20 septembre 1870 ; elle s'est accrue depuis le 24 mai dernier ; le 5 août l'a fait passer à l'état d'exaspération. S'il y a bon nombre de Romains qui attendent tous les jours les nouvelles d'une expédition française leur apportant la délivrance, il y a encore plus d'Italiens qui épient chaque jour avec anxiété au delà dos Alpes le moindre signe qui pourrait indiquer des desseins vengeurs. Pour les uns, la France est le sauveur, pour les autres, le gendarme... Arch. des Aff. étrang., Rome, 1057.
[21] Pie IX ne pouvait pardonner au gouvernement autrichien les premières atteintes portées en 1869 au Concordat de 1855, qui allait être définitivement aboli en 1874.
[22] Le duc de Broglie n'ignorait pas du tout les manœuvres de ses collègues Ernoul et de la Bouillerie en faveur de Chambord et ne s'en formalisait nullement. Il ne les cachait même pas à Mac-Mahon qui, lui non plus, n'y voyait rien de coupable. Au fond, de Broglie, sans faire d'opposition à Henri V, était bien persuadé que ce prince rendrait encore une fois son avènement impossible par son intransigeance et croyait très politique de laisser aller les choses, persuadé (ce en quoi il se faisait grande illusion) que la plupart des légitimistes, découragés par l'obstination de leur prince, finiraient par se rallier aux d'Orléans.
[23] AUDIFFRET-PASQUIER (Edme-Armand-Gaston, comte d'AUDIFFRET, puis duc d'), né à Paris le 23 octobre 1813, mort à Paris en 1905 ; auditeur au Conseil d'État, de 1846 à 1848 ; candidat malheureux aux élections législatives de 1863 et 1860 ; représentant de l'Orne à l'Assemblée nationale (8 février 1871) ; vice-président (2 décembre 1874), puis président (15 mars 1875) de cette Assemblée ; élu sénateur inamovible (9 novembre 1875) ; président du Sénat (13 mars 1876) ; non réélu en 1179 ; membre de l'Académie française le 26 décembre 1878.
[24] Comment en eût-on douté, quand l'Union, journal attitré du comte de Chambord, faisant chorus avec les aigrefins parlementaires qui trompaient le public, déclarait nettement : Il s'est fait un accord complet et définitif à Salzbourg ?
[25] On voit encore par ces expressions combien le prince s'inspirait du style de son conseiller de prédilection, l'évêque de Poitiers.
[26] Souvenirs du général du Barail.
[27] Si la monarchie, écrivait ce prélat, s'était faite dans les conditions arrangées par notre libéralisme, notre dernière ressource nationale et religieuse était perdue. Il est clair que le Roi n'aurait pas duré six mois et n'aurait pu rien faire de bon pendant ce très court règne... Après deux ou trois combinaisons ministérielles renversées, il fallait se retirer, et cette fois c'était abdiquer. Au contraire, maintenir son principe et attendre l'heure de Dieu, c'est se réserver pour un avenir qui ne peut être éloigné.
[28] Dans une lettre pastorale du 26 juillet, ce prélat (Foulon, plus tard archevêque de Lyon), invitant à la fête de Notre-Dame-de-Sion les fidèles de son diocèse (qui comprenait encore quelques communes des pays annexés), avait écrit ces lignes fort patriotiques, mais passablement imprudentes : ... Le souvenir de notre patrie mutilée et de l'Église en exil nous interdira longtemps encore un sentiment de joie... Il sera à propos de mêler aux chants de la délivrance les prières du respect et de se prosterner dans l'espérance. A côté des bannières de Nancy marcheront — douloureux souvenirs ! — celles de nos infortunées sœurs, Metz et Strasbourg.
[29] Dépêche à l'ambassadeur de France à Berlin (Gontaut-Biron).
[30] Cette lutte de la civilisation (contre l'obscurantisme) avait commencé en Allemagne au lendemain du Concile du Vatican par la campagne des Vieux Catholiques (Dœllinger, Reinkens, etc.) contre le dogme de l'infaillibilité, campagne encouragée par plusieurs gouvernements et en particulier par le gouvernement prussien qui, réellement effrayé par les progrès de l'ultramontanisme, avait résolu d'y mettre ordre au moyen d'une police rigoureuse et de lois nouvelles contre le clergé catholique (tant régulier que séculier).
[31] L'expulsion des Jésuites et des ordres qui leur étaient affiliés (Rédemptoristes, Lazaristes, Frères des Ecoles chrétiennes) avait été prescrite par la loi du 19 juin 1872. — Quant aux lois de mai (11, 12, 13, 14 mai 1873), elles étaient au nombre de quatre. La première, relative à l'éducation et à la nomination des ecclésiastiques, obligeait les aspirants aux fonctions sacerdotales de faire des études déterminées dans les 'Universités ou dans les Séminaires préalablement réformés et exigeait que les nominations fussent soumises aux présidents des provinces, qui pouvaient y faire opposition. La seconde, qui concernait la discipline, fixait le maximum des peines que les supérieurs ecclésiastiques pouvaient infliger sans appel et créait pour les autres peines une liante Cour ecclésiastique d'État jugeant en dernier ressort. La troisième interdisait do publier les excommunications. La quatrième enfin assurait la protection de l'État à quiconque voudrait quitter une communauté religieuse.
[32] MERNILLOD (Gaspard), né à Carouge le 22 septembre 1824 ; ordonné prêtre en 1847 ; vicaire à Genève, nommé évêque in partibus d'Hébron et auxiliaire de l'évêque de Lausanne pour le canton de Genève (1864) ; vicaire apostolique de Genève, expulsé par décret fédéral le 17 février 1873 ; rentré en Suisse (1883) gomme évêque de Lausanne et Genève en résidence à Fribourg ; appelé à Rome et nommé cardinal en 1890 ; mort à Rome le 23 février 1892.
[33] Cette adresse fut même rédigée et le comte d'Arnim parvint, parait-il, s'en procurer une copie.
[34] FOURTOU (Marie-François-Oscar BARDY de), né à Ribérac le 3 janvier 1836, mort le 8 décembre 1897 ; avocat à Ribérac et maire de cette ville sous l'Empire ; représentant de la Dordogne à l'Assemblée nationale (8 février 1871) ; ministre des Travaux publics (1872) sous le gouvernement de Thiers ; ministre de l'Instruction publique et des cultes sous Mac-Mahon (novembre 1873) : ministre de l'Intérieur du 22 mai au 18 juillet 1874 ; député de Ribérac (20 février 1876) ; ministre de l'Intérieur du 18 mai au 23 novembre 1877 ; réélu à Ribérac (14 octobre 1877), mais invalidé (18 novembre 1878) ; réélu de nouveau le 2 février 1879 ; sénateur (pour la Dordogne) du 7 mars 1850 au 25 janvier 1835 ; candidat malheureux aux élections législatives d'octobre 1885 ; député de Ribérac de 1889 à 1893.
[35] Circulaires, instructions et autres actes relatifs aux affaires ecclésiastiques, III, 291-292.
[36] En décembre 1873, Louis Veuillot s'était rendu à Rome, sans doute pour prendre le mot d'ordre du pape. Reçu avec une paternelle bienveillance par Pie IX, il n'avait pas craint de tenir dans la capitale de l'Italie les propos suivants : que l'ambassadeur de Corcelles rapportait dans sa dépêche du 17 décembre : La France est sous la présidence d'un demi-honnête homme indécise entre son gouvernement, et celui d'un demi-scélérat, M. Thiers. Elle n'aurait qu'une chose à faire, donner quelques mois à Victor-Emmanuel pour déménager de Rome et, s'il n'obéissait pas, le chasser avec une armée. Si l'Allemagne intervenait, Dieu serait avec nous et cela suffirait. Un peu plus tard (27 déc.), Corcelles écrit qu'il est allé représenter au Saint-Père le péril que les violences d'une certaine presse faisaient courir à cette union qui lui parait si désirable et les difficultés que ces mêmes violences nous créent au dehors. Le pape lui avait répondu qu'il ne se mêlait pas de politique, et ni lui ni Antonelli n'avaient voulu donner aux évêques ni aux députés qui avaient pris l'habitude de leur demander comment ils devaient voter à l'Assemblée nationale des instructions qui lui eussent paru contredire les protestations personnelles du Souverain Pontife contre les actes des gouvernements prussien, italien et helvétique. Après la suspension de l'Univers, Pie IX crut devoir écrire à Veuillot pour lui exprimer sa sympathie. Un peu plus tard (en février 1874), il écrivit aussi à l'évêque de Périgueux pour le louer de son Mandement. Notre gouvernement malgré de multiples et pressantes instances ne put obtenir que ces lettres, si mortifiantes pour lui et si compromettantes pour la France, ne fussent pas livrées à la publicité. Il n'obtint pas non plus que le pape consentît à recommander publiquement à nos évêques de se montrer plus circonspects à l'égard de l'Allemagne. V. sur cette affaire les dépêches de Decazes des 26, 27 janvier, 5 février, 24 mars, 15 avril et celles de Corcelles. des 4, 5, 13 février, 18, 23 mars (Arch. des Affaires étrangères, Rome, 1058).
[37] Bismarck, au fond, n'avait point voulu la guerre. Son but avait été, d'une part d'intimider la France ; de l'autre, d'arracher au Reichstag, qui hésitait, le vote d'une nouvelle loi militaire, dont il obtint en effet peu après l'adoption (20 avril 1874).
[38] Le prétendant don Carlos, qui représentait en Espagne la même cause que son parent le comte de Chambord en France, et qui était hautement approuvé par ce dernier, ainsi que par Pie IX, revendiquait la couronne par la force des armes depuis 1872 et entretenait la guerre civile dans plusieurs provinces (Navarre, Pays basques, etc.). Nos départements du sud-ouest lui servaient de base d'opération.
[39] Ne pas oublier que Pie IX avait toujours refusé de remettre aux puissances même catholiques, la solution diplomatique de la question romaine. Ce qu'il demandait, c'était qu'on lui rendît ses États en totalité, sans conditions et au besoin par la force.
[40] L'ambassadeur de Corcelles, dans un télégramme du 6 août, constate la concordance dos menaces de l'Allemagne avec les plaintes du gouvernement italien (Arch. des Aff. étr., Rome, 1058).
[41] Afin d'atténuer aux yeux du pape, ainsi que du clergé et des catholiques français ce que le rappel de l'Orénoque pourrait avoir d'irritant pour eux, notre gouvernement avait décidé que, même après cette mesure, un navire de guerre resterait à la disposition du Saint-Père, mais dans les eaux françaises (c'est-à-dire clans un port de Corse). Le maréchal de Mac-Mahon prit la peine d'écrire à Pie IX, pour lui faire agréer cet arrangement et aussi pour obtenir de lui qu'il donnât enfin de bons conseils à nos évêques, une lettre qui lui fut présentée en septembre par l'ambassadeur de Corcelles. Mais le pape, dans sa réponse (24 septembre), se contenta de prendre acte des décisions annoncées du gouvernement français et des bons sentiments qui lui étaient exprimés en son nom. Il ne perdit depuis aucune occasion de faire savoir combien le rappel de l'Orénoque, considéré par lui comme une sorte de trahison, lui avait été sensible. Il le fit dire par l'Osservatore romano, organe officieux du Vatican, ce qui ne fut pas sans provoquer d'assez vives réclamations du gouvernement français. Je veux que vous sachiez, écrivit-il à l'évêque de Montpellier (qui naturellement s'empressa de publier son bref), qu'aucun désir n'a été exprimé par Nous à l'effet d'obtenir le rappel de ce navire. Ceci soit dit contre les fausses assertions répandues avec malice par l'organe de plusieurs journaux. Jusque vers la fin de décembre 1874, le parti ultramontain de l'Assemblée nationale menaça le gouvernement d'une interpellation sur cette affaire, et le duc Decazes n'obtint qu'à grand'peine qu'Antonelli l'y fit renoncer. — Arch. des Aff. étr., Rome, 1058.
[42] Arrestation de l'évêque de Trèves, de l'archevêque de Posen, destitution et condamnation à deux ans de prison de ce dernier prélat, nombreux procès et destitution d'ecclésiastiques.
[43] Loi sur l'exercice illégal des fonctions ecclésiastiques (4 mai 1874) : loi sur l'administration par l'État des évêchés catholiques vacants (6 mai).
[44] ... Nous déclarons au monde catholique tout entier, disait-il dans cette Encyclique, que ces lois sont nulles, parce qu'elles sont entièrement contraires à la divine constitution de l'Église. Car ce n'est pas aux puissants de la terre que le Seigneur a soumis les évêques de son Église en ce qui concerne le service sacré... Aucun pouvoir temporel, aussi haut qu'il soit, n'a le droit de dépouiller de leur dignité épiscopale ceux qui ont été nommés par le Saint-Esprit pour administrer l'Église... Peu après le pape confirmait ces déclarations dans son bref du 2 mars aux évêques d'Allemagne. Le 15 du même mois il croyait devoir répondre aux mesures de rigueur dont l'archevêque de Posen, Ledochowski (alors en prison) venait d'être l'objet, en l'élevant au cardinalat, ce qui devait porter au comble l'exaspération du prince de Bismarck. Et le 22 mars il lançait encore contre les Vieux-Catholiques une Encyclique conçue dans les termes les plus violents.
[45] Le 5 mars, Decazes adressait à de Corcelles un télégramme chiffré conçu en ces termes : ... La situation est grosse d'orages... Il est essentiel qu'aucun prétexte ne soit fourni par nos évêques, car les sinistres desseins de l'Allemagne sont évidents. J'ose espérer que vous obtiendrez du cardinal l'envoi de sages et pressants avertissements. De son côté, le 9 mars, Corcelles écrit au ministre : Il n'y a pas de temps à perdre pour éclairer les archevêques et évêques sur la situation et obtenir un langage unanime qui concilie la nécessité de la paix avec les devoirs de la foi... — Le 12, Decazes répond : ... Nous nous efforcerons de détourner notre épiscopat de toute parole compromettante, mais il n'est pas inutile que des conseils semblables arrivent de Rome et nous serons reconnaissants à Sa Sainteté dé tout ce qu'elle voudra bien faire pour le maintenir dans les voies de la circonspection et de la prudence... Dans les semaines qui suivent, on voit Corcelles s'efforcer de déjouer le projet mis en avant d'une adresse d'éloges et d'encouragement qui devait être envoyée par tous les membres de l'épiscopat catholique (et par conséquent par les évêques français) aux évêques d'Allemagne. Il y réussit, non sans peine. Mais ce qu'il ne peut empêcher, malgré maintes démarches, c'est que le pape encourage et accueille de multiples pèlerinages qui se succèdent à Rome au printemps de 1875 et dont les chefs tiennent en général à l'égard de l'Italie et de l'Allemagne le langage le plus provoquant. Au commencement de mai, un de ces pèlerinages, composé de Français, est conduit par le vicomte de Damas, qui ne craint pas, dans son allocution au Pape, de parler des hontes de la France, sans que le Souverain Pontife se montre offusqué de ce langage. — Arch. des Aff. étr., Rome, 1059.
[46] Sans parler de ses instances hautaines et comminatoires auprès de la Belgique et de l'Italie pour obtenir de ces puissances la répression des manifestations épiscopales et la restriction des immunités ecclésiastiques, Bismarck avait proposé une entente européenne pour déterminer les conditions dans lesquelles se réunirait et fonctionnerait le futur conclave, et pour faire en sorte que les libertés laissées au Saint-Siège ne pussent préjudicier aux intérêts et à l'autorité des gouvernements temporels.
[47] La visite du tsar à Berlin (10 mai 1875) acheva de dissiper les craintes de guerre que l'attitude de Bismarck et de l'empereur Guillaume avait inspirées à la France. Mais ce souverain, dans une conversation avec notre ambassadeur, Gontaut-Biron, ne manqua pas de nous avertir des dangers qui pourraient résulter pour nous de l'ultramontanisme et c'est ce que Corcelles (comme il ressort de sa dépêche du 29 mai) s'efforça, très timidement, d'ailleurs, de faire comprendre au cardinal Antonelli, ainsi qu'à Pie IX. — Arch. des Aff. étr., Rome, 1059.
[48] Manifestations du 16 mars à Paris, propagande du Comité de l'appel au peuple dirigé par Roulier, élection du baron de Bourgoing, dans la Nièvre, etc.
[49] Lagrange, Vie de Mgr Dupanloup, III, 302-303.
[50] Lois constitutionnelles sur les rapports des pouvoirs publics (16 juillet), sur l'élection des sénateurs (2 août) ; loi électorale de la Chambre des députés (30 novembre).
[51] BUFFET (Louis-Joseph), né à Mirecourt, le 26 octobre 1818, mort à Paris le 7 juillet 1898 ; représentant du peuple à l'Assemblée constituante de 1848, réélu à l'Assemblée législative, ministre du Commerce et de l'Agriculture en 1819, il avait pris une grande part à l'élaboration de la loi du 31 mai 1850, restrictive du suffrage universel. Ministre pour la seconde fois en 1851, il avait été rejeté dans la vie privée par le coup d'Etal du 2 décembre. Entré au Corps législatif, en 1864, il y était bientôt devenu un des chefs les plus influents du tiers-parti et, à ce titre, avait été appelé dans le cabinet du 2 janvier 1870 comme ministre des Finances.
[52] Cabinet du 10 mars 1875.
[53] A l'exception de Wallon, partisan sincère du principe républicain, qu'il avait contribué par un amendement célèbre, à faire adopter, mais catholique on moins sincère et peu capable de résister aux exigences de l'Église.
[54] L'auteur de ce livre, alors professeur d'histoire dans un lycée, était dénoncé à ses chefs pour avoir lu dans la rue le journal La République française et au préfet du département pour avoir osé enseigner que les montagnards avaient sauvé la France en 1793. Ce haut fonctionnaire lui donnait le conseil charitable — et comminatoire — (qu'il ne suivit pas) de jeter un voile sur l'histoire de la Convention, c'est-à-dire de l'escamoter. Une autre fois, ayant à parler en public du procès de Ravaillac, il fut invité non moins charitablement à ne pas faire allusion aux accusations dont, à tort ou à raison, les Jésuites avaient été l'objet à cette occasion.
[55] Il devenait de bon ton chez les bourgeois riches — ou même simplement aisés — qui avaient été élevés dans les collèges ou les lycées, de n'envoyer leurs fils que chez les Jésuites, où, condisciples des jeunes nobles, ils croyaient bientôt s'anoblir en agrémentant leurs noms de particules que leurs pères n'avaient pas portées. Il y a aujourd'hui en France cinq ou six fois plus de nobles ou soi-disant tels — qu'il n'y en avait sous l'ancien régime.
[56] Il y fut reçu en grande pompe par un évêque et quatre-vingts ecclésiastiques, aux sons d'une musique militaire complaisamment prêtée pour la circonstance. ... Ouvriers chrétiens, lit-on dans la brochure commémorative de cette cérémonie, un jour viendra, prochainement peut-être, où il faudra affirmer sa foi et mourir. Les apôtres de la libre pensée vous traîneront sanglants à leurs tribunaux de mort. Ils voudront vous forcer, comme au Japon, à piétiner la croix, à cracher sur votre drapeau. Et vous devrez choisir entre l'apostasie et le martyre I Préparez-vous à ces combats terribles qui surpasseront mille fois en cruauté toutes les imaginations des bourreaux du paganisme romain. Ils donneront à leurs tenailles et à leurs brasiers la puissance des découvertes modernes... P. Parfait, Le dossier des pèlerinages, 286-290.
[57] En janvier 1875, on lisait dans le Pèlerin (2e année, p. 833) : Autour de la grotte de Lourdes, une armée d'ouvriers est constamment sur la brèche pour transformer ces rochers, ces lieux jadis déserts en une véritable oasis. A droite, de la basilique, sur le flanc de la montagne du Calvaire, on jette les fondements de l'immense résidence des missionnaires, qui comptera 110 mètres de façade ; plus loin se dresse le palais épiscopal, avec son jardin dessiné par un maître. Vis-à-vis, sur la, rive du Gave, faisant face à la grotte, les couvents s'élèvent comme par enchantement. Notre-Dame de Lourdes vient d'attirer deux phalanges de vierges sur cette terre bénie : les Réparatrices de Toulouse, les Clarisses de Lyon ont déjà choisi leur place, pour monter, avec les Bénédictines, les Carmélites, les Sœurs bleues, les Sœurs de Nevers, les Petites Sœurs des pauvres, une garde d'honneur autour de l'Immaculée. — Sur les multiples constructions ecclésiastiques de Lourdes, comme sur la supercherie grâce à laquelle la source insuffisante de Bernadette est si abondamment entretenue par l'eau fort peu miraculeuse du Gave (qu'amène vers la grotte une savante canalisation) voir le curieux livre publié récemment par J. de Bonnefon sous ce titre : Lourdes et ses tenanciers (Paris, Michaud, 1905, in-12).
[58] Les pèlerinages à Rome, déjà très fréquents avant 1875, devinrent à partir de cette arillée une véritable institution, organisée en France par le vicomte de Damas, d'après les instructions du pape. Il y en eut le 5 mai, jour de la fête de saint Pie V, le 13 mai, anniversaire de la naissance de Pie IX ; le 16 et le 21 juin, anniversaires de son élection et de son couronnement, le jour de la Saint-Jean, le jour de Noël, etc. Les offrandes consistaient non seulement en sommes d'argent, mais en objets d'or, en pierreries, etc. lin 1876, la duchesse de Galliera apporte un million. lin 1877, le comte de Saint-Aymon offre un service d'autel ou de chapelle en or massif, avec tous les diamants et autres pierres précieuses de sa femme, etc. — Pougeois, Histoire de Pie IX, VI, 360-363, 371-372.
[59] Les Oblats, en particulier, exploitaient en 1876 les lieux de pèlerinage suivants : Notre-Dame de l'Osier (diocèse de Grenoble) ; Notre-Dame de Sion (diocèse de Nancy) ; Notre-Dame de Cléry (diocèse d'Orléans) ; Notre-Dame de Talence (diocèse de Bordeaux) ; Notre-Dame de Bon-Secours (diocèse de Viviers) ; Notre-Daine des Lumières (diocèse d'Avignon) ; Notre-Dame de la Garde (diocèse de Marseille) ; Notre-Dame de Pontmain (diocèse de Laval).
[60] L'abbé Bourgain, dans son livre sur L'Église et l'État en France au XIXe siècle (II, 283-284), donne la liste des Congrégations nouvelles autorisées par l'Assemblée nationale à partir de 1871. On voit ainsi que l'autorisation fut accordée à six congrégations de femmes en 1872, à cinq en 1873, à neuf en 1874, à six en 1875 ; — qu'elle le fut, d'autre part, dans le même temps à trois congrégations d'hommes. — Il faut remarquer qu'en vertu de la législation antérieure et particulièrement du décret de 1852, un grand nombre de congrégations ou de communautés de femmes pouvaient s'établir sans y être autorisées par une loi. Ajoutons que beaucoup d'ordres et d'établissements religieux furent créés sous l'Ordre moral contrairement à toute légalité et grâce à la tolérance des autorités. On peut se représenter les progrès accomplis en France par le clergé régulier à cette époque en constatant que les congrégations d'hommes, qui n'y comptaient que 1.706 établissements vers la fin de l'Empire, en comptaient 3.184 en 1877 (avec 22.207 religieux au lieu de 11.877). Le nombre des religieuses s'éleva dans le même temps de 90.343 à 127.000 (dont 14.000 appartenant à des congrégations non autorisées). En 1865, les Jésuites, au nombre de 1.085, possédaient en France 24 établissements d'enseignement secondaire ; en 1887, ils étaient 1.509 et instruisaient 9.000 jeunes gens répartis entre 27 établissements. Les congrégations d'hommes non reconnues avaient à cette dernière date plus de 16.000 élèves.
[61] Les missionnaires d'Afrique étaient déjà plus de 100 en 1874. C'est au mois d'octobre de cette année que Lavigerie donna à cet ordre ses règles définitives et les partagea en deux classes : 1° les Pères, voués spécialement à l'apostolat ; 2° les Frères, voués simplement aux travaux agricoles. Des religieuses missionnaires furent aussi adjointes à cet ordre, pour l'éducation des petits enfants et le soin des malades. — Les excès reprochés à Lavigerie en Algérie consistaient dans le grand développement donné à de prétendus orphelinats où étaient parfois attirés et retenus de façon peu correcte de jeunes Arabes des deux sexes qui, une fois baptisés, devenus adultes, étaient mariés — ou, pour mieux dire, accouplés sans beaucoup de préliminaires par ordre de l'archevêque ; et dans la fondation de villages chrétiens dont la population, formée de ces nouveaux ménages, ne pouvait manquer d'être mal vue du reste de la population arabe, demeurée musulmane. Ces faits furent dénoncés à l'Assemblée nationale et donnèrent lieu à une discussion assez vive (22 juillet 1874). — Les Pères blancs commencèrent en 1875 à pénétrer dans le Sahara, où plusieurs d'entre eux furent mis à mort par les Touaregs. — Pour plus de détails, V. Baunard, Mgr Lavigerie, I, 416-451, 486-500, 508-509, etc.
[62] En moins de deux ans le nombre des participants à cette œuvre s'éleva jusqu'à 62.000, le nombre des communions constatées à 2.895.528. Pourtant, dit tristement le fondateur de l'œuvre, l'abbé d'Yénis, le mal n'a fait que s'accroître.
[63] Nos comités, disait un peu plus tard le P. Delaporte, ne sont ni libéraux, ni catholiques-libéraux, ni catholiques et libéraux, ni vieux-catholiques ; ils sont catholiques. Le sobriquet d'ultramontain ne les effraye pas. L'Encyclique et le Syllabus sont leur boussole...
[64] Très nombreuses et parmi lesquelles il faut signaler celles du Vœu national (Sacré-Cœur de Montmartre), du Saint-Sacrement, de L'Adoration perpétuelle, de L'Adoration nocturne, des Pèlerinages eucharistiques, etc.
[65] Il s'agit particulièrement des quêtes pour les Persécutés, et surtout du Denier de Saint-Pierre, dont le produit, à cette époque, s'éleva en cinq années à une cinquantaine de millions.
[66] Depasse, Le Cléricalisme, p. 168.
[67] Lors de la 3e Assemblée générale (22 mai 1875), l'œuvre comptait déjà 130 comités, 150 cercles, 18.000 membres (dont 15.000 ouvriers).
[68] Le 22 mai 1875, à l'Assemblée générale des cercles catholiques ouvriers.
[69] La complaisance du Conseil d'État, n'était pas moins manifeste que celle de ladite assemblée, dont elle était, on le sait, la fidèle émanation. L'on voit en effet ce conseil, par un Avis du 13 mai 1874, s'efforcer, contre les principes reconnus de notre droit public, d'attribuer la personnalité civile aux diocèses, qui ne sont en réalité que des circonscriptions territoriales. Cette théorie, on ne peut plus incorrecte, ne devait pas, d'ailleurs, subsister longtemps.
[70] Vainement des orateurs peu suspects d'hostilité envers le catholicisme — Jouin, Oscar de Lafayette, le général Guillemaut, etc. — firent-ils remarquer que l'intérêt vrai de la religion n'exigeait nullement cette innovation, qui pourrait être une cause de trouble et de malaise dans nos garnisons ; que le soldat ne devait pas être séparé de la masse des fidèles, etc. — Le général du Barail, ministre de la Guerre, soutint énergiquement le projet de loi. Dupanloup en assura le succès par de pathétiques harangues. ... Vous craignez, s'écria-t-il, que dans notre système il y ait trop de religion dans l'armée. Ah ! le péril n'est pas là ; le péril c'est qu'il n'y en ait pas assez... Votre loi sur le service religieux, c'est la soupape de sûreté de votre loi sur le service obligatoire... — Pour que l'armée soit l'école de la nation, écrivait quelque temps après le rapporteur de l'œuvre des Cercles et bibliothèques militaires, il est nécessaire d'avoir des aumôniers qui parcourent les chambrées, les infirmeries, les salles de police, ayant tous les droits du curé dans sa paroisse. Il faut aussi que les familles s'unissent à l'aumônier pour la surveillance de leurs enfants qui sont sous les drapeaux...
[71] La loi de 1814 à cet égard était depuis longtemps tombée en désuétude.
[72] Les Batbie, les Fourtou, les de Cumont, les Wallon. — De Cumont, journaliste d'Angers, qui fut ministre de l'Instruction publique de 1874 à 1875, prêta fort à rire par son ignorance des choses de l'Université, dont il était devenu grand-maître. Il confondait par exemple l'Académie et la Faculté de médecine. Les journaux républicains lui attribuèrent les bévues les plus comiques, comme le fait d'avoir demandé à visiter les dortoirs du collège de France et les classes de l'Institut.
[73] Déjà fonctionnait à Paris, depuis la fin de 1872, par la tolérance du gouvernement une Ecole libre des hautes études, sorte de faculté mixte des lettres et des sciences, dont l'abbé d'Hulst était l'âme et dont le développement, déjà sensible un an plus tard, avait été salué par Dupanloup comme d'excellent augure pour les futures universités catholiques (discours prononcé à l'ouverture des cours le 22 janvier 1874).
[74] V. le texte de ce projet dans Liard, Enseignement supérieur, II.
[75] Discours du 4 décembre 1874.
[76] Les libéraux, fils de la Révolution, (disait Henri Brisson dans son discours du 8 juillet), habitués, par cela même qu'ils se réclament des principes de la Révolution, à considérer les richesses comme le patrimoine inviolable des familles, ne peuvent pas lutter à armes égales pour la fondation d'établissements qui demandent des ressources énormes avec une Église dont les ministres, sans famille procédant d'eux, élevés au-dessus — du moins c'est ce qu'ils pensent, mais moi je dis entraînés en dehors — de l'idée de cité, de l'idée de l'État, de l'idée de nationalité par une obédience étrangère, regrettant tous et quelques-uns attaquant ouvertement notre droit successoral tel qu'il est établi par le Code civil, peuvent consacrer tous leurs instants, tous leurs soins, toute leur activité et jusqu'aux moyens de séduction que leur donne leur ministère lui-même, peuvent consacrer, dis-je, tous ces moyens précieux à l'agrandissement et à l'enrichissement indéfini de la communauté...
[77] Cet amendement n'admettait que des établissements, administrés par trois personnes au moins et comprenant au moins une Faculté, avec le même nombre de professeurs que la Faculté de l'État qui en compterait le moins.
[78] Comme Louis Veuillot, qui demandait la liberté aux républicains au nom de leurs principes et déclarait qu'il la leur refuserait au nom des siens.
[79] 331 voix contre 124. Un grand nombre de républicains s'étaient abstenus.
[80] Un groupement d'au moins trois Facultés était nécessaire pour constituer une Université.
[81] Fort peu après le vote de la loi nouvelle, L'Univers publiait les lignes suivantes, sous la signature d'Aubineau : ... Nourri par l'Université, nous connaissons à fond sa perversité. Le seul souhait que nous puissions faire à son sujet, c'est que ses maisons soient à jamais détruites et que ses chaires s'effondrent sous le mépris et le dégoût publics.
[82] Elle ne comptait pas moins de 32 prélats.
[83] Deux Facultés furent aussi instituées à Toulouse ; la troisième, nécessaire pour que le groupe formât une Université, n'a jamais vu le jour. A Poitiers l'évêque Pie ouvrit une Faculté de théologie dont il sollicitait depuis longtemps l'érection en cour de Rome, et que Pie IX institua le 1er octobre 1875, comme il eût eu le droit de légiférer dans notre pays en matière d'enseignement : ... De Notre autorité apostolique, disait-il, Nous érigeons les écoles théologiques de Poitiers en propre et véritable Faculté de théologie et Nous leur concédons, outre le pouvoir de conférer les grades académiques inférieurs, le droit de décerner, suivant les méthodes usitées en cette ville de Rome, la palme de docteur... avec les mêmes honneurs, privilèges, prérogatives dont usent et jouissent ceux qui ont été promus au même grade dans notre ville... — Par contre il faut remarquer que le gouvernement français faisait à l'instigation de Maret, doyen de la Faculté de théologie de Paris (Faculté de l'État) de vaines tentatives pour que l'institution pontificale fût accordée à cet établissement, dont les grades étaient tenus par l'Église pour nuls et de nulle valeur.
[84] Le mot est du P. Didon, qui ajoutait : ... L'Université catholique ne méritera son nom que le jour où elle enseignera le savoir humain tel que le comprend la doctrine chrétienne. — Le but final, disait nettement un journal ultramontain (L'Union), est non seulement de justifier l'enseignement catholique, mais de l'imposer à l'État... Il faut effacer de la langue française cet affreux barbarisme : l'Université de France !
[85] C'est-à-dire notamment au Syllabus, et au Syllabus interprété dans toute sa rigueur. Ceux-là errent, écrivait à cette époque l'évêque de Versailles, qui se flattent d'interpréter le Syllabus dans un sens favorable au système des libertés nouvelles. L'Église ne se soumettra pas aux exigences de la politique de nos jours et ne se réconciliera pas avec l'esprit du siècle. — Mais par quoi remplacer l'esprit du siècle et les libertés nouvelles ? La Semaine religieuse d'Arras n'éprouvait pas à cet égard le moindre embarras. Il fallait, suivant cette feuille, que l'on bannit à tout jamais ce que l'on appelle sottement les principes de 89 ; que l'on y substituât carrément les principes conservateurs de la hiérarchie sociale ; que l'on rétablit légalement les trois grands corps de l'État, solide base de l'ancienne monarchie ; que l'on rayât l'athéisme du code en cessant de mettre toutes les religions sur le même pied d'égalité ; que l'on supprimât le mariage civil ; que l'on reconnût à l'Église tous les droits d'une personne civile et indépendante ; que l'on rétablit les anciennes provinces avec leurs franchises ; que l'on décentralisât l'instruction en restaurant les vingt Universités d'autrefois ; que l'on rétablit dans toute sa plénitude l'autorité paternelle en lui rendant le plein pouvoir de tester ; que l'on défît en un mot sur toute la ligne l'œuvre de la Révolution... (Article reproduit in extenso dans le Temps du 14 octobre 1875).
[86] Cette réforme, assez mal venue, resta lettre morte, personne ne s'étant présenté au concours pour l'obtention du titre d'agrégé.
[87] L'extrême droite, tenace dans ses rancunes, avait voulu par là assurer l'échec du duc de Broglie et du centre droit. Elle y avait parfaitement réussi, au grand avantage de la République.
[88] Les discours prononcés par Gambetta à Belleville au mois de mars et par Thiers à Arcachon au mois de septembre eurent dans toute la France un profond retentissement et ne contribuèrent pas peu à l'orientation électorale d'où devait sortir la Chambre des députés de 1876.
[89] Ne pas oublier que l'état de siège, qui régnait encore dans un grand nombre de départements, armait le gouvernement de pouvoirs à peu près discrétionnaires à l'égard de la presse. Ajoutons que partout le ministère Buffet s'arrogeait, indûment, le droit d'empêcher la vente de certaines feuilles sur la voie publique en subordonnant l'autorisation nécessaire aux vendeurs à la remise de la liste des journaux qu'ils se proposaient de débiter.
[90] Ce dernier avait été fondé en novembre 1871 par Gambetta, dont il resta l'organe jusqu'à sa mort ; ses principaux rédacteurs (Spuller, Challemel-Lacour, Paul Bert, Waldeck-Rousseau, etc.) ont tous joué un rôle important sous la troisième République.
[91] Le cercle d'Amiens, par exemple, fermé le 3 décembre 1873 sous le prétexte qu'il avait distribué des ouvrages politiques et contraires à la morale, comme La Déclaration des droits de l'homme, La Conspiration Malet, La Vie de J.-J. Rousseau, etc.
[92] Dans l'encyclique Etsi mulla luctuosa, du 21 novembre 1873.
[93] ... Il s'agit pour elle avant tout, disait ce prélat, de combattre l'influence chrétienne, et lors même que ses promoteurs n'annonceraient pas hautement ce dessein, ce serait déjà l'avouer que d'exclure la religion d'un programme où elle doit figurer en première ligne. Ne vous laissez pas tromper par toutes ces manœuvres. Tenez-vous éloignés de ces sectes... Puis, après avoir aussi condamné et même excommunié les Francs-Maçons, il concluait en ces termes : ... Nous réprouvons ladite Ligue de l'enseignement comme ayant pour but d'exclure et de séparer la religion chrétienne de l'éducation scolaire et nous faisons défense à tout fidèle de notre diocèse d'en faire partie, d'y coopérer soit par voie, de souscription, soit de toute autre manière. — Le pape adressait peu après (14 janvier 1874) à Freppel un bref de félicitation par lequel il renouvelait en termes violents la condamnation dont il avait déjà frappé la Ligue.
[94] Il y a là, disait l'Univers (le 8 février 1875), une grande force de mouvement qui appelle la surveillance du gouvernement. Nous nous demandons si les autorités compétentes se sont suffisamment préoccupées de l'esprit qui anime cette société et du but qu'elle poursuit. Elle envahit le peuple et l'armée ; elle répand à profusion les livres. Ces livres, quels sont-ils ? Nous en connaissons de très mauvais. Les autres valent-ils mieux ? Plus la propagande de la Ligue de l'enseignement, sous le couvert de l'instruction, est active, plus le gouvernement a le devoir de la surveiller...
[95] Etude sur la franc-maçonnerie, 1875.
[96] Initiation des F*** F*** Littré et Jules Ferry.
[97] Tant que Thiers était resté au pouvoir, l'Assemblée nationale avait tenu à ce qu'il demeurât à Versailles. Mais depuis l'élection de Mac-Mahon, elle n'avait plus vu d'inconvénients à ce que le président de la République habitât Paris.