I. Le ministère Villèle, nouvelle Terreur blanche. — II. Effets de la guerre d’Espagne ; programme du parti prêtre en 1824. — III. Avènement de Charles X ; loi du sacrilège. — IV. Loi de 1825 sur les congrégations de femmes. — V. Sacre du roi ; orgueil et exigences des ultra-catholiques. — VI. Réveil de l’opinion libérale ; campagne de Montlosier contre les Jésuites. — VII. Chute du cabinet Villèle. — VIII. Martignac et les ordonnances de 1828. — IX. L’Église et le ministère Polignac. — (1821-1830).*****SOURCES. — Clausel de Coussergues, Considérations sur la
marche du parti libéral dans les premiers mois de 1822 (1822) ; idem, Du
Sacre des rois de France (1825) ; idem, De la Liberté et de la licence
de la presse (1826). — Dupin ainé, les Libertés de l’Eglise gallicane,
manuel du droit ecclésiastique français (1824) ; — Lesur, Annuaire
historique, 1821-1830. — Bonald (vicomte de), Pensées et discours.
— Benjamin Constant, De la Religion considérée dans sa source, ses formes
et ses développements (1824-1831) ; idem, Du Christianisme (1825)
; idem, Mélanges de littérature et de politique (1829) ; idem, Discours
à la Chambre des députés (1828). — De Montlosier, De la Monarchie
française au 1er janvier 1824 (1824) ; idem, Mémoire à consulter sur
un système religieux tendant à renverser la religion, la société et le trône
(1826) ; idem, Lettre d’accusation contre les Jésuites (1826) ; idem, Dénonciation
aux cours royales (1826) ; idem, les Jésuites, la Congrégation et le
parti prêtre en 1827 (1827) ; idem. Pétition à la chambre des pairs
(1827) ; idem, Mémoires (1829) ; idem, De la Crise présente et de
celle qui se prépare (1830), idem, le Ministère et la Chambre des
députés (1830). — A. Dumesnil, Considérations sur les causes et les
progrès de la corruption en France (1824). — Sarrans, Appel d’intérêt
public au gouvernement contre le ministère (1824). — Lamennais, De la
religion considérée dans ses rapports avec l'ordre politique et civil
(1825-1826) ; idem, Du projet de loi sur les congrégations religieuse de
femmes (1825) ; idem, Quelques Réflexions sur le procès du
Constitutionnel et du Courrier (1825) ; idem, Nouveaux Mélanges
(1826) ; idem, Du Progrès de la Révolution et de la guerre contre l'Eglise
(1829) ; idem, Lettres à Monseigneur l'archevêque de Paris (1829). — É.
Guillon de Monléon, Basilidès, évêque de Cargstos... à M. de Montlosier
(1826) ; idem, Seconde lettre du même (1828). — Déclaration du
clergé de France touchant l'indépendance de la couronne en matière temps,
relie (1826). — De Pradt, Du Jésuitisme ancien et moderne (1825-1826).
— Madrolle, Défense de l'ordre social (1826) ; idem, Démonstration
de la souveraineté pontificale comme unique principe de vérité et de salut
(1826) ; idem, Apologie du clergé et des jésuites (1828) ; idem, Mémoire
au Conseil du Roi (1830). — Lacretelle, Histoire de France depuis la
Restauration (1829-1835). — P.-L. Courier, Pamphlets politiques. —
Béranger, Chansons. — Capefigue, Histoire de la Restauration
(1831-1833). — Vaulabelle, Histoire des deux Restaurations. —
Chateaubriand, Mémoires d'outre-tombe (1849-1850). — A. Nettement, Histoire
de la littérature française sous la Restauration (1852) ; idem, Histoire
de la Restauration (1860-1868). — Duvergier de Hauranne, Histoire du
gouvernement parlementaire en France (1857 et suiv.). — Guettée, Histoire
des jésuites (1859) ; idem, Mémoires pour servir à l'histoire de l’Eglise
de France pendant le XIXe siècle (1881). — Viel-Castel, Histoire de la
Restauration, tt. XI-XX (1863-1878). — Baron de Vitrolles, Mémoires
(1883). — Duc de Broglie, Souvenirs (1886). — Hyde de Neuville, Mémoires
(1889). — De Villèle, Mémoires (1830). — G. de Grandmaison, la Congrégation,
2e édit., 1890. — Pasquier, Mémoires (1893 et suiv.). *****I. — Pour la première fois depuis le retour des Bourbons, le parti ultra-royaliste et ultra-catholique possédait pleinement le pouvoir. Villèle, sa plus forte tôle, tenait les finances et, sans porter encore le titre de président du conseil[1], dirigeait défait le cabinet. Corbière, l’avocat retors et tenace, avait le portefeuille de l’intérieur, et Mathieu de Montmorency, le mystique, qui avait obtenu le portefeuille des affaires étrangères, représentait particulièrement la Congrégation dans le ministère. La coterie de la rue du Bac, qui, par les Sociétés annexes ou affiliées qu’elle inspirait de son esprit, exerçait déjà en son propre nom une surveillance si active sur les diverses classes de la nation, allait l’exercer maintenant au nom de l’État et avec tous les moyens d’action dont dispose la puissance publique. Deux de ses membres les plus dévoués, Franchet d'Espérey et Delavau, étaient maintenant installés l’un à la direction générale de la police, l’autre à la préfecture de police. La direction générale des postes, qui. par le cabinet noir, exerçait un contrôle inquisitorial sur les correspondances privées, était occupée par le duc de Doudeauville, ancien protecteur de l’abbé Legris-Duval, comme du P. Ronsin[2], et qui, sans être membre de la Congrégation, était foncièrement animé de son esprit[3]. A partir de cette époque, le public, fort simpliste et porté aux exagérations, se persuada de plus en plus que les hommes de la rue du Bac disposaient souverainement des emplois, des administrations, du gouvernement, de l’État tout entier. De leur côté, les apologistes de la Congrégation se sont élevés et s’élèvent encore avec une exagération manifeste contre cette opinion. A les entendre, la société en question serait toujours restée absolument étrangère à la politique : elle ne se serait jamais un seul instant écartée de son programme, qui ne comportait que des exercices de piété et des œuvres de charité. Un d’eux pourtant, et peut-être le plus intransigeant, reconnaît qu’un petit groupe de légitimistes s’efforça de mettre en commun ses relations pour recommander des hommes de mérite et d’une fidélité éprouvée. Il cite, parmi les membres de ce comité, non seulement des hommes qui, sans faire partie de la Congrégation, étaient avec elle en parfait accord de vues et de doctrines — Bonald, Bougé, Clausel de Coussergue, Berryer, etc. —, mais des hommes qui en étaient sans conteste les membres les plus remuants, les plus autorisés — Mathieu de Montmorency, Alexis de Aoailles, Delavau, Franchet d’Espérey, Ponton d’Amécourt, Hennequin —. Ce qui ne l’empêche pas de déclarer que les congréganistes du P. Ronsin ignoraient totalement ces agissements[4]. Comment peut-on croire qu’une société dont l’accroissement était en rapport si visible avec le progrès du parti ultra-royaliste et ultra-catholique, qu’une société où l’on comptait tant d’ennemis mortels de la Dévolution, tant de nobles encore animés des fureurs de l’émigration, tant d’ecclésiastiques depuis longtemps engagés dans la politique militante[5], ne travaillait pas de toutes ses forces à l’œuvre de réaction rêvée naguère par la chambre introuvable ?[6] Le nouveau ministère se proposa d’abord tout à la fois de réprimer les complots libéraux que son avènement faisait éclater de toutes parts et d’arrêter la propagation des mauvaises doctrines par des lois draconiennes sur la presse. Pour la première partie de cette tâche, nous nous bornerons à rappeler sommairement comment il s’en acquitta. On sait avec quelle rapidité le carbonarisme, importé d’Italie en 1820, s’était répandu en France, malgré les efforts de la police, et quelle influence il avait acquise dans la bourgeoisie comme dans l’armée. Cette société secrète, qui s’inspirait de la Révolution, comme la Congrégation de l’ancien régime, et qui ne croyait pas pouvoir fonder la liberté par des moyens légaux, signala ses projets, dans les derniers mois de 1821 et dans les premiers de l’année suivante, par des conspirations militaires qui toutes avortèrent misérablement et n’eurent guère d’autre effet immédiat que de faire renaître pour un temps la Terreur blanche. Des poursuites rigoureuses et de sanglantes exécutions la réduisirent bientôt à l’impuissance. Le supplice du capitaine Vallée, ceux du général Berton, du colonel Caron, des quatre sergents de La Rochelle ne tardèrent pas à décourager les Ventes, qui, pour la plupart, disparurent dès la fin de 1822, et dont les plus tenaces ne devaient pas prolonger leur existence au delà de l’expédition d’Espagne (1823). Quant à la presse, elle ne fut pas plus ménagée que la Charbonnerie. Depuis 1820 plusieurs lois provisoires[7] l’avaient déjà réduite à une condition fort pénible et fort précaire ; des condamnations démesurées avaient frappé ses représentants les plus populaires vers la fin du ministère Richelieu. Cauchois-Lemaire venait d’être frappé d’un an de prison. P.-L. Courier, dont la verve sarcastique s’était exercée dans le Simple Discours aux dépens des prêtres comme des nobles, expiait sa hardiesse à Sainte-Pélagie. Béranger, beaucoup moins pour avoir célébré les gloires de l’Empire que pour avoir signalé la réapparition des capucins et surtout dénoncé les hommes noirs qui sortaient de dessous terre, l’y rejoignait à la suite d’un procès retentissant[8]. Mais des lois provisoires ne suffisaient déjà plus au ministère Villèle, et, quelle que fut la complaisance du jury, elle ne valait pas à ses yeux celle de la magistrature. Aussi, dès le commencement de 1822, le garde des sceaux Peyronnet présenta-t-il aux Chambres, sur la police des journaux, un projet de loi qui devait avoir pour effet de soumettre la presse périodique non seulement au joug des préfets, mais, comme disait le général Foy, à celui des sacristains et des bedeaux. Cette proposition, qui fut adoptée, malgré la résistance des libéraux et des doctrinaires, astreignait les journaux à l’autorisation et au dépôt préalable, permettait aux cours royales de suspendre ou de supprimer, sur la réquisition du ministère public, ceux dont l’esprit et la tendance pourraient porter atteinte non seulement à la paix publique, à l’autorité royale et aux lois, mais au respect dû à la religion de l'Etat, enfin donnait au gouvernement le droit de rétablir la censure dans l’intervalle des sessions législatives ou en cas de nécessité pressante, dont il serait juge[9]. Fort peu après, elle eut pour complément la loi sur les crimes et délits de la presse (du 25 mars), qui rendait justiciables de la police correctionnelle et passibles de peines énormes les auteurs d'excitation à la haine et au mépris contre une ou plusieurs classes de personnes, d’excitation à la haine et au mépris du gouvernement, d’attaques contre la dignité royale, les droits et l’autorité du roi, enfin contre la religion de l’Etat et toute autre religion légalement reconnue. Si l’on se rappelle que les lois de 1810 affranchissaient les journaux de toute autorisation, leur donnaient comme juridiction la cour d’assises, passaient la censure sous silence et ne protégeaient l’Église qu’en punissant les outrages à la morale publique et religieuse, on peut mesurer le recul que le ministère Villèle faisait subir à la liberté de la presse. Grâce aux lois nouvelles, il n’était presque plus de journaux ni de livres que l’administration ne put arrêter, frapper ou faire disparaître quand elle le jugerait à propos. Et l’on ne larda pas à s’en apercevoir. P.-L. Courier, à peine sorti de prison, faillit y rentrer pour avoir, dans une pétition célèbre, plaidé la cause de villageois que leur curé empêchait de danser. D’innombrables procès de tendances amenèrent la suspension ou la suppression de feuilles soupçonnées de manquer de tendresse pour l’autel comme pour le trône. Les philosophes du XVIIIe siècle, morts depuis cinquante ans, ne trouvèrent plus grâce devant la justice. Jusque-là les missionnaires seuls s’étaient constitués leurs bourreaux ; ils brûlaient leurs œuvres en place publique ; les tribunaux à leur tour commencèrent à les proscrire[10]. Si la presse avait attiré tout d’abord les regards du nouveau ministère, l’enseignement public ne pouvait rester longtemps à l’abri de sa sollicitude. A l’égard de l'Université, le gouvernement avait à peu près ses coudées franches et ne se croyait pas obligé de demander le concours des chambres. Créée par décret, elle pouvait, à son sens, être arbitrairement modifiée par simples ordonnances. Ce fut donc par une mesure de ce genre que fut rétablie, le 5 juin 1822, la grande maîtrise, supprimée en 1815. Le titulaire de cette haute charge fut de nouveau, comme autrefois, investi du droit, non seulement de surveiller et réglementer l'instruction publique — avec le concours du conseil royal —, mais de nommer les fonctionnaires de l’enseignement, et de leur infliger, au besoin, blâme, suspension ou révocation. Le public ne vit pas sans étonnement et sans colère le gouvernement la conférer à un ecclésiastique, l’abbé Frayssinous — devenu depuis peu évêque in partibus d’Hermopolis —. L’Université se trouva donc officiellement livrée à l'Église. Et, pour que nul n’en ignorât, le nouveau grand maître eut bien soin, dans sa première circulaire aux recteurs, d'insister sur le désir du roi de voir la jeunesse de plus en plus élevée dans des sentiments religieux et monarchiques... Celui qui aurait le malheur, ajoutait-il, de vivre sans religion ou de ne pas être dévoué à la famille royale devrait bien sentir qu'il lui manque quelque chose pour être un digne instituteur de la jeunesse... Frayssinous réclamait dans le même temps, ce qui ne devait surprendre personne, le concours actif des évêques, qu'il autorisait, dès la fin de 1822, à fonder de nouvelles écoles ecclésiastiques et a qui, pour lui complaire, les conseils généraux[11] votaient, en faveur des dites écoles, d’importantes subventions. Sa bienveillance pour l’Église enseignante n’avait d’égale que sa rigueur pour l’Université, dont il était le chef. Le personnel des collèges était par ses ordres impitoyablement traité. Celui des facultés n’était pas non plus ménagé. Guizot, après Cousin, devait suspendre son cours en Sorbonne. Quelques huées d’étudiants à l'adresse de l’abbé Nicolle amenaient (en novembre 1822) la dissolution de l’École de médecine de Paris ; peu après, il est vrai, le grand maître la réorganisait, mais avec exclusion de onze professeurs signalés comme mal pensants — Jussieu, Vauquelin, Pelletan, etc.[12] —. La grande pépinière de l’Université, l’Ecole normale, était supprimée, pour cause de mauvais esprit, et remplacée par des écoles locales, attachées à chaque chef-lieu d’académie. Enfin le conseil royal lui-même était épuré : l’inoffensif Sylvestre de Sacy, coupable de jansénisme, en était exclu ; par contre, on y voyait entrer un des plus fougueux champions des bonnes doctrines, l’abbé Clausel de Montais — nommé bientôt après évêque de Chartres[13]. Tant de zèle pour la religion n’empêchait pas certains intransigeants de droite de trouver Frayssinous un peu mou et de le mettre parfois dans l’embarras en l’obligeant à plaider au moins les circonstances atténuantes pour l'Université et pour les lois impies qui lui permettaient de vivre. Tel à la chambre des députés l’incompressible Marcellus qui, du moins, n’avait pas de talent. Tel dans la presse l’irréductible Lamennais, qui en avait beaucoup et qui, au commencement de 1823, dans une lettre publique à Frayssinous, accusait ce grand corps non seulement d’irréligion, de sacrilège, mais de la plus révoltante immoralité, lui reprochait de pervertir systématiquement la jeunesse, la chargeait des méfaits les moins vraisemblables et dénonçait ses établissements comme les séminaires de l'athéisme et le vestibule de l'enfer[14]. A ce réquisitoire furibond l’évêque répondait, mais mollement. L’autorité n’osait en poursuivre l’auteur ; et ce dernier, réclamant vainement des juges, défiait les ministres de l’intimider. Ils ne savent donc pas, écrivait-il, ce que c’est que la religion, ce que c’est qu’un prêtre ? Ils l’apprendront. II. — Le parti de la réaction politique et religieuse redoubla d’audace quand, triomphant par menace, plus que par persuasion, des hésitations de Villèle — qui, au dernier moment, reculait devant cette triste besogne —, il eut fait décider par le gouvernement l’expédition d’Espagne. On sait qu’à la fin de 1822, la Sainte-Alliance, après avoir, en 1821, fait étouffer la Révolution en Italie par l’Autriche, chargea la France d’exécuter la même mission au delà des Pyrénées. C’est Chateaubriand qui, au congrès de Vérone, sollicita et obtint pour un gouvernement constitutionnel l’honneur d’aller rétablir l’absolutisme dans un pays qui voulait être libre. Ce succès lui valut même d’être appelé au ministère des affaires étrangères (décembre 1822), à la place de Montmorency. On sait comment la guerre, si passionnément voulue par les ultras, qui voyaient dans la contre-révolution espagnole le commencement de la contre-révolution française, fut annoncée comme imminente par Louis XVIII à l’ouverture des chambres (28 janvier 1823) ; comment Manuel, pour avoir protesté à la tribune contre cette politique odieuse et maladroite, fut arraché de son siège (4 mars)[15] ; comment enfin notre armée, au lieu du demi-tour que lui conseillait Béranger dans une chanson célèbre[16], exécuta, sous le pacifique duc d’Angoulême, une promenade militaire qui permit à Ferdinand VII de décimer ses sujets. Cette campagne sans honneur n’était pas terminée que déjà le clergé de France en escomptait le bénéfice. Nos évêques, qui avaient prêché cette guerre comme une croisade[17], en célébrèrent le résultat par un redoublement d’invectives contre les lois politiques et les lois civiles que la charte leur faisait un devoir de respecter. Les journalistes du parti, et Lamennais en tête, firent l’éloge de l'Inquisition, soutinrent que la tolérance était une violation de la loi divine et demandèrent à grands cris que les admirables projets de la chambre introuvable fussent mis enfin à exécution. Ils réclamaient de nouveau, et avec plus de hauteur que jamais, la restitution des registres de l’état civil au clergé, l’abolition du mariage civil, celle de l’Université, un monopole ou tout au moins des privilèges légaux pour le culte catholique, une liberté sans limites pour les ordres religieux. Bref, c’était le programme de 1815, tout le programme de 1815, que le parti prêtre remettait en avant ; et il se croyait à la veille d’en obtenir la réalisation. Pour y parvenir plus sûrement, les meneurs de la réaction pensèrent qu’il était bon d’avoir sous la main une chambre des députés toute neuve, bien à eux, et de l’avoir longtemps. Il y avait encore, à leur sens, trop de libéraux au Palais-Bourbon. Puis, n’étaient-ils pas à la merci des renouvellements annuels[18], qui pouvaient déplacer la majorité ? Ils firent signer à Louis XVIII, qui, se sentant mourir, n’osait plus rien leur refuser, une ordonnance de dissolution (24 décembre 1823) ; puis, grâce à la terreur causée par les exécutions de 1822, comme à l’effet moral produit par la guerre d’Espagne et à la pression éhontée que l’administration exerça sur les électeurs[19], ils obtinrent une assemblée selon leur cœur, une chambre où, sur 430 députés, l’opposition de gauche n’en comptait plus que 13, la chambre retrouvée, comme on disait gaiement aux Tuileries (25 février 1824). Bientôt après, une loi nouvelle la déclara septennale (9 juin). Le parti de la contre-révolution politique et religieuse avait donc devant lui tout le temps nécessaire pour exécuter systématiquement son programme. Aussi se mit-il à l’œuvre sans retard et avec une ardeur nouvelle. Au cours de la session de 1824, le gouvernement présenta aux chambres, en même temps qu’un projet de conversion des rentes dont l'effet devait être d’indemniser les émigrés de leurs biens confisqués, deux propositions qui intéressaient particulièrement l’Église : La première — provoquée dès 1823 par une motion du comte Ferrand, qui avait été longuement discutée à la chambre des pairs —, tendait à donner au roi le droit d’autoriser par simple ordonnance les communautés religieuses de femmes et à les rendre ainsi aptes à posséder, acquérir, recevoir des legs et des donations. La seconde avait pour but d’assimiler le vol dans les églises au vol dans les demeures habitées, pour pouvoir le punir, dans certains cas, de mort ou des travaux forcés à perpétuité. La nouvelle chambre des députés ne repoussa point comme exorbitantes de pareilles demandes. Elle les trouva même insuffisantes, surtout la dernière, qu’elle voulut amender en introduisant dans la loi un crime non prévu par le code pénal, celui de sacrilège, et le déclarant punissable indépendamment du vol ou de toute autre violence. Le ministère, effrayé, dut retirer ce projet (8 juin 1824), parce qu’il craignait qu’ainsi aggravé il ne subit un échec retentissant à la chambre des pairs. Cette assemblée, à laquelle une forte dose de sang libéral avait été infusée par la fournée de 1819, commençait à trouver qu’il était temps de réagir contre la politique ultra-royaliste, ou tout au moins d’en arrêter les progrès. Elle fit échouer, à la suite d’un débat solennel, qui permit à des catholiques sincères, comme Pasquier, Lally, Lainé, de défendre avec énergie les droits de la société civile, la proposition relative aux communautés (juillet). Quelques semaines auparavant, elle avait aussi rejeté le projet de conversion des rentes (juin)[20]. Le parti de la contre-révolution, ainsi repoussé sur toute la ligne, dut donc se résigner à attendre encore. Ces échecs, du reste, ne le découragèrent nullement. L’avenir, et un avenir prochain, n’était-il pas à lui ? Cet avenir, c’était le nouveau règne, qui se rapprochait, pour ainsi dire, à vue d’œil. Déjà Louis XVIII ne bougeait plus de son fauteuil. L’affaiblissement de son corps gagnait son intelligence et sa volonté. Encore quelques semaines, et Monsieur serait roi. Il faudrait bien alors que la chambre des pairs se laissât intimider ou séduire, et le programme des ultras s’accomplirait enfin sans difficulté, de point en point. Ce programme, en attendant, les chefs du parti continuaient à l’exposer au grand jour, sans en dissimuler l’énormité, bien au contraire/Vers la fin de 1833, le cardinal de Clermont-Tonnerre avait réclamé par lettre pastorale, dans les termes les plus hautains et les plus injurieux pour l’ordre établi, une pleine indépendance pour les ministres de la religion, la restitution des registres de l’état civil à l’Église, la libre convocation des synodes diocésains et des conciles provinciaux, la suppression des articles organiques, le rétablissement des fêtes abolies, celui des ordres religieux supprimés, celui des juridictions ecclésiastiques, etc., etc. Le ministère n’ayant pu se dispenser de traduire ce manifeste pour abus au conseil d'Etat, la lettre en question avait été blâmée, supprimée (janvier 1834). Après quoi le ministre de l’intérieur, pour calmer un peu l’opinion, avait cru devoir adresser aux évêques une circulaire pour les inviter à faire enseigner les doctrines gallicanes et notamment les quatre articles de 1682, comme ils y étaient tenus par la loi. Mais la plupart ne répondirent que pour la forme et de façon à bien faire comprendre qu'ils ne tiendraient aucun compte de cette instruction. Quelques-uns même ne répondirent pas du tout. De ce nombre fut, naturellement, Clermont-Tonnerre. Ce prélat, du reste, ne garda pas longtemps le silence, mais ne crut devoir faire part de ses sentiments qu’à certains de ses collègues de l’épiscopat, qu’il engagea formellement, dans une lettre publique, à désobéir comme lui. Suivant lui, l’autorité civile n’avait nul droit de s’immiscer dans l’enseignement des séminaires ; la mesure prescrite par le gouvernement était inutile, inconvenante, ridicule ; la circulaire en question était sans doute l’œuvre de quelque employé subalterne qui l’avait écrite à l'insu du ministre ; en tout cas, elle devait être regardée comme nulle et non avenue. Sous Napoléon, ce factum eût valu à son auteur les honneurs d’un cachot. Sous les Bourbons, il ne fut poursuivi que pour la forme. La Quotidienne, qui l’avait reproduit, en fut quitte pour 30 francs d'amende. Quant au cardinal, qui en revendiquait hautement la responsabilité, on n'osa même pas l'impliquer dans le procès. Qu’on ne croie pas, du reste, que les prétentions les plus extravagantes fussent formulées à cette époque par des hommes d’Église. Au mois de juillet 1824, un laïque, le député de Berlier, du parti ultra-royaliste, exposait gravement les desiderata de ses amis et ne demandait rien moins qu’une loi contre le sacrilège, une autre pour préserver la sainteté du mariage, une troisième pour assurer l’indépendance du clergé, l’attribution à l'Église d’une dotation en rapport avec les promesses de la Constituante, l’abrogation des lois impies de la Révolution, la révision des codes suivant des principes religieux et monarchiques, le rétablissement des intendances et des assemblées provinciales — sans compter l’indemnité aux émigrés, les grades militaires réservés aux riches, etc., etc. —. Bref, ce qu’il souhaitait, c’était, suivant le mot de Bourdeau, qui lui répondit, l'ancien régime avec les jésuites de plus et les libertés de l'Eglise gallicane de moins. En attendant que le pouvoir législatif voulut bien le seconder sans réserve, le parti prêtre exploitait de son mieux la complaisance de l’exécutif et obtenait par ordonnances royales de fort appréciables avantages. Ainsi celle du 8 avril 1824, relative à renseignement primaire, outre qu’elle confirmait les privilèges accordés aux frères des écoles chrétiennes, étendait le droit de surveillance du clergé sur les écoles et mettait les aspirants aux emplois d’instituteur dans l’obligation de solliciter l’autorisation de leur évêque diocésain, qui pouvait, du reste, la retirer après l’avoir donnée. L’absorption de l’Université par l’Église n’était pas encore complète ; mais il ne s’en fallait pas de beaucoup. Nul ne douta qu’elle ne dût le devenir à bref délai quand l’évêque d’Hermopolis, qui dirigeait déjà comme grand maître le corps enseignant, fut, sans perdre ce titre, appelé au ministère des affaires ecclésiastiques créé tout exprès pour lui — ordonnance du 24 août 1824. En même temps que Frayssinous, entrait encore dans le cabinet un des plus dévoué partisans du clergé, le duc de Doudeauville, pour qui Louis XVIII, obsédé par Mme du Cayla, rétablissait le ministère de la maison dm roi. Ce personnage avait un fils, aussi bien pensant que présomptueux et encombrant, le vicomte Sosthène de La Rochefoucauld, pour qui la favorite sollicitait aussi depuis longtemps un portefeuille. Ce gentilhomme, plus remuant que sensé, véritable mouche du coche, avait imaginé depuis quelque temps un procédé à son sens infaillible pour rendre le gouvernement maître de la presse : c’était de faire acheter les journaux de l’opposition par la liste civile, et on l’avait chargé de cette opération. Il avait ainsi payé fort cher un certain nombre de feuilles gênantes, sans se douter qu’une fois transformées, elles perdraient leur clientèle, ce qui arriva, et que cette clientèle, qui trouverait toujours des organes dévoués à ses opinions, n’en deviendrait que plus hostile au gouvernement. Mme du Cayla voulait que, pour de tels services, il fût nommé ministre de l’intérieur. Il dut se contenter de la direction générale des beaux-arts, où il se rendit encore un peu plus ridicule. Mais il garda rancune à Villèle et fut dès lors au nombre des ultras qui en vinrent à le combattre ouvertement pour cause de modérantisme. III. — Louis XVIII, dont la mort était depuis si longtemps escomptée par les hommes du passé, termina enfin, le IG septembre 182f, sa triste existence. Charles X monta sur le trône. Le parti prêtre avait en lui le roi qu’il avait rêvé. C'était un vieillard léger, borné, têtu, chez qui la dévotion et la peur de l'enfer avaient succédé à l’amour des plaisirs, un revenant de l’ancien régime, le véritable type de ces émigrés qui depuis quarante ans n’avaient rien oublié, rien appris ; du reste, aimable, gracieux, capable à certains moments de bons mouvements et de mots heureux. Quand il se montra pour la première fois comme roi au peuple de Paris, il fut applaudi pour sa bonne grâce et son apparence de générosité. Le Point de hallebardes ! qui lui fut attribué par les journaux du temps le rendit pour un temps presque populaire ; et l’opinion, irréfléchie, lui fut reconnaissante de la suppression de la censure qui avait été rétablie fort peu avant la mort de son frère, mais que la loi ne lui permettait pas de maintenir au moment où les chambres allaient recommencer leurs travaux. On s’aperçut bientôt que Charles X était toujours l’homme
de Coblentz, et qu’on ne devait attendre de lui qu’une politique de réaction.
A l'ouverture de la session législative (22
décembre), il déclara bien haut qu’il voulait fermer les dernières plaies de la Révolution et
annonça pieusement qu’il irait sous peu au pied des autels renouveler, par la
cérémonie du sacre, l’alliance étroite du trône et de la religion[21]. Ce langage fut,
du reste, accueilli avec enthousiasme par la chambre des députés, qui tint
dans son adresse officielle à ne pas témoigner pour les intérêts de l’Église
un zèle inférieur à celui du roi[22]. En attendant le sacre, il fallait au plus tôt commencer la contre- révolution, et non plus par des paroles, mais par des actes. Les ultra-royalistes débutèrent avec éclat en emportant de haute lutte le vote de l’indemnité réclamée depuis si longtemps par les émigrés, qui eurent enfin leur milliard[23]. Les ultra-catholiques eurent également lieu de se féliciter ; la première session du nouveau règne leur fut particulièrement favorable. Tout d’abord le garde des sceaux Peyronnet, qui, l’année précédente, n’avait pas cru possible d'introduire le mot sacrilège dans une loi nouvelle, se déjugea sans vergogne, ayant été mis en demeure d’opter entre son opinion et son portefeuille. Le projet nouveau qu’il soumit aux chambres en janvier 1825 qualifiait crime le sacrilège simple, c’est-à-dire la profanation des vases sacrés ou des hosties, indépendamment du vol, et, s’il était commis volontairement et par mépris de la religion, le punissait non seulement de mort, mais de la peine des parricides[24] ; pour le vol sacrilège, c’était, suivant les circonstances, la mort, les travaux forcés à perpétuité ou la réclusion. Quant aux simples délits commis dans les églises, ils étaient déclarés passibles de peines diverses, toutes très sévères, applicables d’ailleurs aux actes de même nature qui auraient pour théâtres les temples et les cultes non catholiques reconnus par la loi. Cette monstrueuse proposition, qui ramenait la France aux mœurs du moyen âge, fut d’abord discutée à la chambre des pairs, où elle fut combattue avec autant d’énergie que d’éloquence par Molé, Pasquier, Lally, et surtout par le duc de Broglie. Ces orateurs remontrèrent qu’elle introduisait la religion dans la loi, ce qui était contraire au principe de la liberté des cultes proclamé par la Charte. Le sacrilège simple, c’est-à-dire non compliqué d’un crime ou délit prévu par la loi commune, n’était à leur sens, punissable dans aucun cas. Il ne pouvait exister, d’après sa définition même, qu’aux yeux de ceux qui croyaient à la présence réelle dans l’hostie consacrée. Quiconque n’y croyait pas ne pouvait donc commettre de sacrilège en se portant aux voies de fait visées par le projet ; il ne devait être poursuivi que pour outrage au culte, délit facile à prouver et prévu par la loi. Quant au croyant, s'il se laissait aller à un acte semblable, c’était évidemment un signe de folie ; il n’y avait donc qu’à l’enfermer et à le soigner. La société avait bien le devoir de protéger la liberté des cultes, mais il ne lui appartenait pas de protéger un dogme. L’homme ne pouvait avoir l’extravagante prétention de venger Dieu. Du reste, pour punir le sacrilège, tel qu’il était défini, il faudrait ou avoir recours à une juridiction spéciale, à des juges d’exception, que le ministère n’osait pas demander, — et on ressusciterait ainsi l’Inquisition ;— ou se contenter des cours d’assises, et, dans ce cas, comment demander à des jurés, qui pouvaient être calvinistes, israélites ou libres penseurs, de punir comme criminel le témoignage d’une doctrine contraire à celle qu'ils s’honoraient eux- mêmes de combattre ? Enfin n’était il pas à craindre que, le principe du sacrilège une fois inscrit dans la loi, on n’en tirât bientôt d'atroces conséquences ? Après la profanation des vases sacrés, on en viendrait sans doute à punir le blasphème, puis l’hérésie, et les héritiers de saint Louis croiraient plaire à Dieu en mettant sans réserve le glaive de la loi au service de leurs croyances personnelles. Les défenseurs du projet, Labourdonnaye-Blossac, Fitz-James, Bonald, etc., répliquèrent que le catholicisme, reconnu comme religion de l'Etat, méritait une protection spéciale et que, du reste, étant la vérité absolue, il avait le droit de s'imposer. C’est l'argument capital de tous les fanatismes. Bonald employa sa puissante dialectique à établir que la peine de mort, appliquée même à des délits d’opinion, était parfaitement légitime. En tuant un criminel, et qui pouvait l’être plus qu’un sacrilège ? la société, d’après lui, ne faisait que l'envoyer devant son juge naturel[25]. Le seul adoucissement qu'il admettait au projet, c’était que les condamnés, au lieu d’avoir le poing coupé, comme les parricides, fissent publiquement amende honorable à l’Église avant de mourir. La chambre haute hésita longtemps à accepter la loi barbare et absurde que lui présentait Peyronnet. Il fallut, pour la faire passer à la majorité de quelques voix, que le roi sollicitât lui-même le suffrage ou l’abstention de plusieurs pairs et que les membres ecclésiastiques de rassemblée, juges et parties dans la question, se décidassent à voter, malgré les lois de l’Église[26]. Du reste, la noble assemblée, par un dernier scrupule, qui lui fait honneur, ajouta aux conditions requises pour rendre le sacrilège punissable, celle de la publicité. La loi devenait ainsi, en fait, à peu près illusoire. Mais elle n’en était pas moins odieuse et d’un effet déplorable sur l’opinion. Le débat ne fut ni moins animé ni moins instructif à la chambre des députés qu’à la chambre des pairs. La loi y fut attaquée, plus éloquemment encore, par les Bourdeau, les Benjamin Constant, les Royer-Collard, surtout par ce dernier, peu suspect, on le sait, d'hérésie et qui prononça en cette circonstance son plus beau discours[27]. Peyronnet la soutint par une argumentation déclamatoire et boursouflée, dont le moindre défaut était d’être de mauvaise foi. Frayssinous, renchérissant encore sur l’hypocrisie des pairs ecclésiastiques, déclara que, comme législateur, il avait le devoir d’édicter la peine de mort contre le sacrilège, ce qui ne l’empêcherait pas, comme chrétien et comme prêtre, de plaindre charitablement les coupables, de les assisterait besoin et de prier pour eux. D’autres, qui n’étaient pas prêtres, dirent brutalement qu'ils trouvaient encore trop douce la loi nouvelle contre le déicide. C’était l’avis de Bertier. C’était aussi celui de Duplessis-Grenédan, qui profita de l’occasion pour protester contre la liberté religieuse, contre la protection accordée aux cultes non catholiques, à leurs prêtres et à leurs ustensiles. La tolérance, à ses yeux, n’était que de l’athéisme. Le catholicisme, étant seul la vérité, avait seul droit à la liberté ; il fallait lui rendre au plus tôt l’état civil, l’éducation de la jeunesse, enfui donner force de loi à ses préceptes. L'appui compromettant de cet énergumène n’empêcha pas le projet Peyronnet de passer, à 115 voix de majorité. Le 20 avril 1825, il fut promulgué comme loi de l’État. Du reste, s'il devait augmenter notablement l’impopularité du roi, du ministère et du clergé, il devait, d’autre part, rester à peu près lettre morte devant la justice, comme l’avaient prédit les orateurs de l’opposition. La loi du sacrilège, dans ses dispositions principales, resta sans application. Mais ce ne fut pas la faute de ses auteurs, et l'histoire ne doit pas l’oublier. IV. — Protéger l’Église, c’était bien ; l’enrichir, c’était mieux encore. L’or n’est pas moins utile que le fer à qui veut régner. On a vu plus haut que, même avant la mort de Louis XVIII, plusieurs propositions en faveur des communautés religieuses de femmes — on n’osait pas encore parler des communautés d’hommes — avaient été discutées dans les chambres. On ne fut donc pas surpris de celle que le ministre des affaires ecclésiastiques vint soumettre à la chambre des pairs au commencement de 1825 et qui tendait à donner en cette matière une autorité absolue au roi — c’est-à-dire une liberté illimitée à l’Église —. Ce projet portait que les congrégations[28] de femmes, dont un grand nombre, faute d’avoir une situation légale, ne pouvaient encore bénéficier de la loi du 2 janvier 1817[29], pourraient être autorisées par simple ordonnance du roi, après avis du conseil d’Etat. Les établissements nouveaux formés par des congrégations déjà autorisées le seraient à plus forte raison de même[30]. Les communautés une fois reconnues auraient, moyennant permission du gouvernement, droit d’acquérir, non seulement à titre onéreux, mais à litre gratuit — c’est-à-dire par dons et par legs —, d’aliéner, de transiger. Les religieuses pourraient disposer d’un quart de leur avoir en faveur de leur couvent ou de leur ordre. Enfin aucun établissement reconnu ne serait dissous par l’État que du consentement de l’évêque auquel il était soumis. C’était, on le voit, l’invasion de la mainmorte légalisée, l’accroissement indéfini du monachisme érigé en système. Les ultra-catholiques de la chambre haute applaudirent à ce projet ; quelques-uns cependant, comme Montmorency — qui en fut rapporteur —, exprimèrent le regret qu'il ne fil pas la part assez large à l’Église et demandèrent notamment que les religieuses (Hissent le droit de donner, non pas seulement un quart, mais la totalité de leur fortune à leur communauté. En revanche, les libéraux, les gallicans — qui étaient nombreux dans cette assemblée — s’élevèrent vivement contre une loi qu’ils jugeaient à tous égards dangereuse. Ils rappelèrent que, sous l’ancien régime, la loi — fort sagement — frappait les religieux et religieuses de mort civile, les rendant ainsi incapables de posséder, par suite, de donner. A cela leurs adversaires répliquaient que, sous l’ancien régime, la loi reconnaissait les vœux éternels, et que, si maintenant on pouvait sortir du couvent à volonté, on ne pouvait, pour y être entré, se trouver privé de ses droits civils. Finalement, sur ce point, les partisans du ministère eurent gain de cause[31]. Mais sur le point capital du débat, c’est-à-dire sur l'article relatif à l’autorisation royale, l'opposition remporta un avantage signalé. Siméon, Lainé, Cornudet, Lanjuinais et d’autres légistes démontrèrent que, même avant 1789, le fait d’autoriser une congrégation avait toujours été regardé comme un acte du pouvoir législatif, et non pas seulement de l’autorité exécutive et administrative ; que, ce pouvoir étant maintenant partagé entre le roi et les chambres, les chambres devaient être consultées sur la reconnaissance d’une communauté religieuse, comme sur un projet de loi ordinaire. Ils exprimèrent la crainte — trop bien fondée aux yeux du public — que le gouvernement, non seulement abusât du droit d’autoriser des congrégations par ordonnance, mais s’armât plus tard de ce précédent et pesât sur les chambres pour obtenir celui d’autoriser des communautés d’hommes. Frayssinous, Peyronnet, Villèle se défendirent, il est vrai, d’une telle arrière-pensée. Mais on ne les croyait guère. Finalement, le ministère dut accepter l’amendement transactionnel présenté par Pasquier, et aux termes duquel l’autorisation ne put être accordée par simple ordonnance qu’aux congrégations existantes avant le 1er janvier 1823. Le projet, ainsi modifié, fut adopté par la chambre haute et, peu de jours après, passa également, à la suite d’un débat moins approfondi, au Palais-Bourbon. Charles X et sa camarilla ne dissimulèrent pas leur mauvaise humeur. Mais, telle quelle, la loi de 1823, qui régularisa la situation de plusieurs centaines de communautés[32] et leur permit de s’enrichir était pour l’Église une grande victoire. Depuis cette époque jusqu’à nos jours — car elle existe encore —, elle n’a cessé de porter ses fruits. C’est grâce à cette charte constitutive que beaucoup de communautés de femmes peuvent actuellement ne plus trop regretter l’ancien régime. V. — Après la loi du milliard, celle du sacrilège et celle des communautés, Charles X pouvait partir pour Reims. Le clergé, comme la noblesse, était content et préparait au dévot prince un sacre digne de lui. Cette solennité eut lieu le 29 mai 1823, suivant un cérémonial gothique et suranné qui attendrit certains spectateurs et en égaya beaucoup d’autres, mais dont, à coup sûr, le vieux roi ne sentit nullement le ridicule. Rien n’y manqua, ni les hérauts d’armes ni les douze pairs, ni la main de justice, ni les pigeons lâchés au bon moment dans la basilique, ni la sainte ampoule, qu’on avait vu détruire en 93, mais qui n’en fut pas moins retrouvée tout à point. Le roi fut oint longuement, en camisole, et reçut la couronne à genoux, comme ses pères. Comme eux aussi, il alla pieusement, le lendemain, toucher les écrouelles. La fête fut en somme fort belle et coûta six millions. Lamartine et Victor Hugo la célébrèrent par de beaux vers, qui leur valurent la croix. Béranger la chanta lui aussi, mais à sa manière et sur un mode moins admiratif. On ne lui donna rien pour le moment[33]. Mais il eut pour lui le public, qui applaudit à ses railleries et qui se plut comme lui à gloser sur le roi du parti prêtre. Bientôt, du reste, on ne se borna plus à gloser et à rire. Le sacre, qui, dans la pensée de Charles, devait faire son autorité plus auguste et plus respectée, la fit au contraire plus vulnérable. Ce dernier défi à l’esprit moderne, pour n’être qu’une manifestation bien inoffensive, n’en fit pas moins déborder le mécontentement de la nation, qui, jusque-là timide et contenu, roula dès lors irrésistible, et grossit jusqu’au jour où devait, sous sa poussée, s’écrouler le trône étayé par le parti prêtre. Cette fête d’ancien régime, venue si tôt après la loi du sacrilège, combla la mesure de la patience publique. On se dit que décidément le premier émigré de France[34] ne se réconcilierait jamais avec 89. S’il avait bien voulu, dans le serment du sacre, ne pas s’engager comme ses aïeux à exterminer les hérétiques, on savait avec quelle répugnance il avait juré d'observer la charte. Cette charte, il avait laissé devant lui le cardinal de la Fare l’attaquer et la menacer en chaire[35]. Parmi les hauts personnages auxquels il venait de conférer l’ordre du Saint-Esprit, on citait avec stupeur le cardinal de Clermont-Tonnerre. Du reste, son inconscience était égalée ou plutôt surpassée par celle des meneurs ultra-catholiques qui, autour de lui, éclataient de joie, d’espoir et d’orgueil. Jamais l’audace du parti n’avait été aussi provocante qu’à cette époque, on les meneurs de la réaction religieuse tenaient tous les ministères, tous les services publics, terrorisaient les fonctionnaires ; où les jésuites, en dépit des lois, s’emparaient ouvertement de la jeunesse[36] ; où les missionnaires escortés de musiques militaires, menaient partout des marches triomphales, où leur prosélytisme allait chercher les soldats aux casernes pour les mener en troupe à l’autel ; où de mauvais prêtres refusaient la sépulture religieuse à des jansénistes ou à des gallicans[37] ; où le mariage légal était hautement appelé concubinat ; où la police interdisait Tartufe de Molière, Mahomet de Voltaire, et faisait expurger Athalie ; où l’archevêque de Rouen invitait les curés à lui dénoncer ceux de leurs paroissiens qui ne pratiquaient pas, à afficher à la porte de l’église les noms des non-communiants et à tenir registre des concubinaires[38] ; où un curé fanatique s’égarait jusqu’à dire en chaire que Charles X n’était pas chrétien, puisqu’il voulait maintenir la charte, c’est-à-dire un acte contraire à la religion. On poursuivait, il est vrai, ce pauvre diable. Mais Lamennais pouvait impunément écrire dans le Mémorial catholique que les récentes lois sur les communautés et sur le sacrilège étaient des lois non seulement hérétiques, mais athées, parce que l’une limitait la liberté des ordres monastiques et que l’autre ne protégeait pas exclusivement le culte catholique. Le même auteur pouvait, dans un livre éloquent, publié à cette époque[39], jeter l’anathème à la société, envahie par un matérialisme abject ; au système représentatif, triste assemblage de toutes les corruptions possibles ; à la législation française, mélange hideux d’impiété et d’anarchie ; au gouvernement, hypocrite dans son langage, athée dans ses actes ; à la majorité royaliste, dont le trône et l’autel venaient quelquefois orner les pieuses harangues, mais dont les votes contredisaient les paroles. Le gouvernement actuel n’était, d’après lui, qu’une république démocratique fondée sur l'athéisme. Il fallait au plus tôt redevenir chrétien, ou abolir h' christianisme. L’État ne reviendrait chrétien qu'en cessant de protéger et de salarier différents cultes et en traitant l’Église comme la première des institutions publiques. Les registres de l’état civil devaient être rendus à l’Église ; l’instruction ne devait être donnée que par les serviteurs de Jésus-Christ. Et si on reprochait à l’auteur de subordonner le pouvoir temporel au spirituel, il répondait qu’entre ces deux pouvoirs il y avait autant de distance que de la terreau ciel et que la théocratie valait mieux que la démocratie. VI. — Un tel langage ne manquait assurément pas de franchise. Il n’en avait que trop. Les politiques du parti et notamment les jésuites, qui n’aiment pas de pareils éclats, commençaient à trouver un peu compromettant le zèle du fougueux pamphlétaire. On comprend, d’autre part, l’impression que de pareils écrits, corroborés chaque jour par des actes, produisait sur les esprits libéraux, sincèrement attachés à l’ordre légal et aux principes de la Révolution. D’excellents royalistes tournaient peu à peu à l’opposition. L’opposition, dans la presse, dans la rue même, se montrait plus hardie, parce qu’elle se sentait plus populaire. Cent mille personnes suivaient le cercueil du général Foy[40] et répondaient par cette patriotique manifestation à celle du sacre. La France offrait par souscription publique un million aux enfants de ce grand orateur. La justice commençait à ne plus réprimer les attaques des journaux contre le parti prêtre. La cour royale de Paris, s’inspirant de l’esprit gallican qui avait animé les parlements sous l'ancien régime, se refusait à protéger la Congrégation et les jésuites. Le Constitutionnel et le Courrier, traduits devant elle, à la demande du roi, pour leurs tendances, étaient triomphalement acquittés[41] (3 décembre). A partir de ce moment, il ne fut plus possible au gouvernement d’arrêter le courant d’opinion qui s’était formé contre les hommes noirs. Toutes les langues se délièrent, toutes les plumes s’affranchirent. Ce qu’on avait dit tout bas, on le cria. A l’allusion prudente des anciens pamphlets succéda l’attaque franche et hardie, ne laissant nulle place à l’équivoque. Déjà sans doute, et depuis quelques années, certaines voix courageuses s’étaient élevées pour signaler la situation illégale de l’ordre des jésuites et le danger croissant de l’ultramontanisme. Corcelles avait dénoncé le péril à la chambre des députés en 1822. Un écrivain royaliste, Alexis Dumesnil, en avait aussi démontré l’existence dans une brochure publiée en 1821[42]. Mais leurs attaques n’avaient pas porté. Leurs avertissements, formulés trop tôt, n’avaient presque pas eu d’écho. Il n’en devait pas être ainsi de ceux qu’un autre monarchiste, plus vieux et plus connu, crut devoir, à partir de 1823, faire entendre à son roi, comme à son pays, et renouveler ensuite avec une infatigable persévérance. M. de Montlosier, ex-membre de l’Assemblée constituante, où il avait défendu l’ancien régime avec acharnement, avait émigré, puis, après avoir servi l’Empire, s’était rallié de nouveau à la Royauté, dont il avait, tout récemment encore, soutenu la cause — en même temps que celle des privilèges — par un ouvrage où éclatait toute l’impénitence finale du parti féodal[43]. Mais il était de ces catholiques et de ces nobles qui, même sous l’ancien régime, avaient toujours repoussé les empiétements du pouvoir temporel sur l’autorité civile et redouté l’immixtion du Saint-Siège dans nos affaires intérieures. Alarmé, depuis plusieurs années, par les progrès du parti prêtre, il ne crut pas devoir garder plus longtemps le silence et, peu après le sacre, il publia dans le Drapeau blanc deux lettres retentissantes sur cette puissance mystérieuse, qui prenait corps ou devenait ombre, suivant ses convenances, et qui avait fini par s’emparer du gouvernement (août 1823). Cette publication donna lieu à une violente polémique, au cours de laquelle Montlosier, précisant son attaque, écrivit les lignes suivantes : L’attention doit s’arrêter sur trois sortes de scandale... : d’un côté, l’existence d’une société mystérieuse sous le nom de Congrégation ; d’un autre côté, le rétablissement, tantôt avoué, tantôt dissimulé, d’une ancienne société monastique abolie par nos rois et par nos lois ; enfin, la non-exécution des ordonnances relatives à l’enseignement de la déclaration de l’Eglise de France en 1682. L’auteur ajoutait, d’ailleurs, qu’il se proposait, s’il était nécessaire, de dénoncer régulièrement ces illégalités aux pouvoirs publics, qui avaient le droit et le devoir de les réprimer. Mais cet avertissement qui, venant d’un tel homme, aurait dû faire sur Charles X une profonde impression, ne le toucha nullement. Ce malheureux roi, loin de chercher à s’affranchir du parti prêtre, s’inféodait à lui plus étroitement chaque jour. C’est dans la Congrégation qu’il prenait ses amis, ses conseillers les plus intimes, les plus chers, les Polignac, les Fitz-James, les Maillé, qui, déjà, incriminaient auprès de lui la modération relative de Villèle et de Corbière. C’est elle qu’il chargeait de l’éducation du duc de Bordeaux, en donnant pour gouverneur à ce jeune prince, après Mathieu de Montmorency — qui mourut en mars 1826 —, le duc de Rivière, pour précepteur l’évêque de Strasbourg, Tharin, défenseur presque attitré des jésuites[44]. Fidèle aux inspirations du pape, qui prêchait à ce moment la guerre sainte contre les mauvaises doctrines[45], il voulait que son ministère présentât aux chambres, avec le projet célèbre du droit d’aînesse — qui allait être discuté en 1826 —, une proposition restrictive de la liberté de la presse[46]. Villèle, qui sentait le danger d’une pareille provocation, eut toutes les peines du monde à obtenir de lui un délai. Le roi était de cœur avec le clergé, qui faisait alors avec ensemble campagne contre les journaux. Il applaudissait au mandement de l’archevêque de Paris réclamant des remèdes énergiques contre les doctrines pestilentielles et le poison des écrits pernicieux. Persuadé, d’autre part, que les pratiques religieuses devraient avoir pour effet de ramener la société à des principes salutaires, il en donnait l’exemple par un redoublement de dévotion publique qui ne lui valait que des railleries. Il faisait célébrer avec une pompe extraordinaire, à Paris, le jubilé prescrit récemment par le Saint-Père, y faisait figurer les princes de sa famille, les grands corps de l’État et, dans la procession par laquelle se termina cette solennité, marchait pieusement derrière les prêtres, ce qui fut remarqué, au dire de Villèle, et ne produisit pas bon effet. Cependant Montlosier, n'ayant rien à espérer du roi ni des ministres, avait, en février 1826, développé ses moyens d’attaque contre l’ultramontanisme et le parti prêtre en publiant un ouvrage qui eut dans toute la France un profond retentissement. C’était le Mémoire à consulter sur un système religieux tendant à renverser la religion, la société et le trône. Dans cet écrit, d’un style fumeux et violent, le vieux lutteur dénonçait hautement la Congrégation, dont il ne paraissait pas, d’ailleurs, fort bien connaître l’organisation, non plus que le fonctionnement, et dont il semblait croire qu’un grand nombre de députés faisaient partie[47]. Avec une exagération plus sensible pour les hommes de notre époque que pour ses contemporains, il représentait la coterie de la rue du Bac comme un véritable gouvernement, qui disposait des pouvoirs publics et auquel il était à craindre que le roi lui-même ne se laissât absolument inféoder. S’il était vrai, disait-il, que notre bien-aimé monarque eût, comme saint Louis, embrassé la vie dévote, ce serait un événement dont la France n’aurait point à s’attrister, pourvu qu'il n’en parût rien dans les actes publics et que la France ne fût pas livrée aux prêtres. Il s’attaquait aussi avec une grande énergie à la Compagnie de Jésus, qui tenait dans sa main la Congrégation, rappelait les condamnations qu’elle avait subies, les lois, toujours existantes, qu’elle avait enfreintes, et exprimait l’appréhension qu’après avoir perdu les Stuarts en Angleterre, elle ne perdit en France les Bourbons. A cette attaque retentissante, Lamennais, qui pourtant au fond n’aimait guère les jésuites, riposta par la seconde partie de sa Religion considérée dans ses rapports avec l'ordre politique et civil, où il se surpassa lui-même en fait d’ultramontanisme et d’intransigeance. Frayssinous, Chateaubriand, Quélen, Bonald lui- même, ne trouvaient pas grâce devant Fardent pamphlétaire, qui les dénonçait presque comme complices des ennemis de l’Église. Le gouvernement laissait outrager le clergé, méconnaissait tous ses droits. Sans religion, il ne pouvait pas y avoir de société ; sans catholicisme, il n’y avait pas de religion, et le catholicisme ne pouvait lui-même exister sans la souveraineté — temporelle aussi bien que spirituelle — du pape. Les prétendues libertés de l’Église gallicane n’étaient que billevesées. L’autorité des rois devait être subordonnée à celle du Saint-Siège, qui pouvait délier les sujets de leur serment de Fidélité. Les adhérents à la déclaration de 1682 étaient des schismatiques, et tout le mal dont souffraient les sociétés modernes venait des atteintes portées à la suprématie du souverain pontife. Rien ne pouvait être plus profitable au parti libéral que la publication d’un pareil manifeste. Les politiques du parti religieux le comprirent bien. Aussi travaillèrent-ils en cour de Rome pour que le pape, sans le désavouer formellement, s’abstînt du moins de le soutenir. Ils y réussirent, et le Saint-Père, sollicité par le compromettant théocrate de rattacher les fidèles au centre de la catholicité par un lien plus étroit et de condamner expressément les quatre articles de Bossuet, se tint sur la réserve. L’évêque Clausel, de Chartres, se permit même de réfuter — avec mesure — les théories de Lamennais, ce qui lui attira la plus violente réplique. Le trop bruyant polémiste fut traduit en justice pour son dernier livre. En le poursuivant, le gouvernement voulait donner une satisfaction relative et apparente à l’opinion publique. Il est vrai qu’en même temps, pour complaire à la Congrégation, il retirait à Montlosier la pension qu’il recevait depuis longtemps du trésor royal pour ses bons services. Le sentiment public ne se modifia donc pas. Lamennais, défendu par Berryer, ne fut, vu sa bonne foi et l’honorabilité connue de son caractère, condamné qu’à trente francs d’amende. Mais les considérants du jugement qui le frappait furent un éclatant manifeste en faveur du gallicanisme. L’intraitable prêtre déclara, du reste, bien haut, qu'il restait plus étroitement que jamais attaché à l’autorité du pape ; l’altitude du bas clergé, fanatisé par ses écrits, des missionnaires, qui redoublaient d’audace et provoquaient de toutes parts de nouveaux troubles[48], l’encourageaient dans son arrogance. Les évêques, d’ailleurs, tout en le blâmant pour la forme, se montraient sinon aussi radicaux en théorie, du moins aussi violents que lui dans leurs polémiques contre les doctrines libérales et gallicanes. Ceux de Moulins, du Mans, de Strasbourg, par exemple, sans compter l’archevêque de Toulouse, toujours au premier rang de la croisade, plaidaient avec passion dans leurs mandements la cause des jésuites et protestaient avec fureur contre l’acquittement du Constitutionnel et du Courrier. L’épiscopat développait à grand bruit la Société pour la propagation de la foi, ligue puissante qui, par sa savante hiérarchie, sa discipline, ses moyens de correspondance, semblait déjà elle aussi former un État dans l’État[49]. Le ministère, qui sentait combien ces excès de zèle compromettaient le gouvernement royal, faisait de vains efforts pour y mettre un terme. Il essaya, pour donner le change au public, de provoquer une déclaration des évêques en faveur des quatre articles de 1682. Mais ils se dérobèrent presque tous. Quatorze d’entre eux à peine consentirent à signer un manifeste incolore et équivoque par lequel ils avaient l’air d’adhérer au premier de ces articles[50], mais évitaient de s’expliquer sur les autres, ou plutôt faisaient assez connaître le fond de leur pensée par une éclatante protestation contre toute atteinte à la primauté de Saint- Pierre et des pontifes[51]. Au milieu de cette agitation, l’opposition libérale, naguère encore impuissante, gagnait de nouvelles forces, et le gouvernement commençait à sentir le sol se dérober sous lui. La loi du droit d’aînesse venait d’échouer dans ses dispositions essentielles à la chambre des pairs (avril 1826). A la chambre des députés, il se formait dans les rangs de là, droite un groupe de défectionnaires qui allait travailler ouvertement, avec la gauche, au renversement du ministère. Leur chef[52], personnage influent, peu suspect de tendresse pour la démocratie et pour l’irréligion, dénonçait, lui aussi, comme un danger pour l’ordre légal, la puissance occulte qui dominait le gouvernement, éloignait les Français de la religion, aliénait les cœurs du roi, s’attaquait à tout ce qu’il y avait de plus respectable. Il rappelait à son tour l’exemple des Stuarts et déclarait que la France avait bien pu supporter le despotisme militaire, mais qu’elle ne pourrait tolérer celui de l’hypocrisie (15 mai 1826). Un peu plus tard, pendant la discussion du budget. il mettait Frayssinous en demeure de s’expliquer sur l’existence de la Congrégation et des jésuites, que le gouvernement ne pouvait dissimuler plus longtemps. Ce ministre dut enfin parler, et son discours — qui remplit deux séances —, fut, malgré bien des précautions, des réticences, des faux-fuyants, l’aveu officiel des illégalités signalées par Montlosier. Après une profession de foi gallicane qu’il crut habile, Frayssinous voulut bien reconnaître qu’effectivement la Congrégation n’était pas un mythe. Mais il en raconta l’histoire et en expliqua le fonctionnement à sa façon. Suivant lui, cette société avait pour but unique de se livrer à des exercices de piété. Si quelques-uns de ses membres avaient pu s’écarter de ce programme, ce n’était pas une raison pour l’incriminer en corps ; du reste, il l’ignorait, n’ayant point voulu en faire partie, et il ne s’était jamais aperçu qu’elle exerçât la moindre pression sur le gouvernement, la moindre influence sur l’administration. Quant à d’autres associations, également dénoncées, comme celle de la Propagation de la Foi et celles des Missions, sans doute elles fonctionnaient aussi ; mais il n'avait point connaissance qu’elles se fussent écartées de leur mission purement spirituelle. Il ignorait si elles avaient fait du mal. Mais il savait qu’elles avaient fait beaucoup de bien. Pour le clergé, pris en masse, il était zélé, vertueux, attaché à l’ordre légal, et surtout plein de modération, ce qu’on ne voulait pas reconnaître. N’était-il pas excusable de souhaiter que le mariage religieux redevînt obligatoire ? Sans doute la doctrine de 1682 avait été attaquée, et l’abbé de Lamennais était blâmable de l’avoir critiquée sans mesure. Mais les situations respectives de l’État et de l’Église étaient-elles les mêmes qu’au temps de Louis XIV ? Abordant enfin la question brûlante des jésuites, l’évêque d’Hermopolis fit l’aveu grave qu'en effet cet ordre avait reparu en France, qu'il y était toléré, sinon reconnu. Mais quel mal y faisait-il ? Il ne dirigeait pas un seul collège, pas un seul séminaire diocésain ; sept écoles secondaires seulement lui appartenaient, et toutes reconnaissaient l’autorité des évêques. En somme, les jésuites étaient de bons chrétiens, d’excellents éducateurs, de braves gens ; ils ne lui inspiraient pas — à lui, Frayssinous — la moindre inquiétude. L’effet de ce long discours fut pour le gouvernement celui d’une défaite. Casimir-Périer, prenant acte des aveux que l’opinion venait enfin d’arracher au ministère, demanda que l’instruction publique cessât d’être soumise au bon plaisir du pouvoir exécutif et fût organisée par une loi. La grande voix de Royer-Collard se fit également entendre, au nom de l’ordre social et des libertés publiques menacées. Le débat dont les jésuites avaient été l’objet au Palais- Bourbon se renouvela quelques jours après au Luxembourg, où Lainé, constatant à son tour les illégalités reconnues par le ministère, déclara ne pas partager la sécurité de Frayssinous et remontra que les sept écoles avouées des jésuites — et il y en avait davantage — renfermaient à elles seules autant d’élèves que les trente-huit collèges royaux de l’Université. Pasquier établit sans peine que, si les jésuites étaient tolérés, ce n’était qu’au mépris des lois, manifesta de nouveau les craintes qu’il avait exprimées l’année précédente au sujet de la complaisance du gouvernement pour les congrégations religieuses d’hommes, rappela que l’institut de Loyola n’avait jamais causé en France que du trouble et des malheurs, et réclama enfin avec la dernière énergie l’exécution des ordonnances qui lui étaient applicables. C’est en juillet 1826 qu’eurent lieu ces discussions mémorables, qui passionnaient toute la France. C’est à la même époque que Montlosier, faisant un pas de plus, adressa aux cours royales sa dénonciation, depuis longtemps annoncée, contre les empiétements du clergé. Dans ce volumineux réquisitoire, le vieil écrivain royaliste traçait le tableau des missions, de leur excès, des scandales qu’elles avaient causés, montrait le gouvernement envahi, débordé par le clergé, la dignité du roi compromise dans les cérémonies religieuses en apparence, politiques en réalité ; l’ordre, suivant lui, était profondément troublé. Il le serait encore davantage par les confins qui pouvaient se produire et faire couler des ruisseaux de sang. Il ne serait rétabli que par l’observation rigoureuse, et loyale des doctrines gallicanes. Il n’était que temps pour l’Etat de se ressaisir. Quant aux congrégations qui, établies au mépris de la loi, s’étaient immiscées dans l’enseignement et exerçaient sur l’Église, comme sur la société, une influence si funeste, elles devaient être au plus tôt entièrement dissoutes. Applaudie par le public, corroborée par quarante avocats du barreau de Paris et, notamment, par Dupin aîné, dont les opinions gallicanes étaient bien connues, la dénonciation fut examinée, sans retard, par la cour royale qui, toutes chambres réunies, se déclara incompétente, parce que l’affaire rentrait, à son sens, dans les attributions de la police, mais établit, par des considérants irréfutables et d’une grande énergie, combien l’existence des jésuites, en France, était illégale (16 août 1826)[53]. VII. — Si le parti libéral — et c’était alors l’immense majorité de la nation — applaudit avec enthousiasme à cet arrêt, et si les manifestations anticléricales se multiplièrent à partir de ce moment, surtout dans les grandes villes[54], Charles X et sa camarilla, exaspérés, se montrèrent moins que jamais disposés à céder au vœu populaire. Le gouvernement se lit adresser par les conseils généraux — dont les membres étaient, on le sait, nommés par lui —, des vœux en faveur des jésuites et des revendications tant de fois formulées par l’Église. Les journaux religieux firent campagne contre la liberté de la presse. Le roi, nous l’avons dit, souhaitait, depuis longtemps, qu’elle fut restreinte. Ses conseillers occultes ne cessaient de lui remontrer qu’il fallait, à tout prix et au plus tôt, en venir la. L’abbé Liautard, qui se croyait le droit de lui donner des conseils, lui adressait, a cette époque, un mémoire étendu pour l’adjurer de prendre sur les imprimeurs, libraires, étalagistes, colporteurs, une autorité absolue et discrétionnaire ; il demandait que les cabinets de lecture, cafés, auberges, etc., ne pussent fournir à leur clientèle que les journaux et les livres autorisés par le gouvernement : que les ventes de livres après décès fussent contrôlées par l’administration ; qu’on ne laissât s’établir ni nouvelles imprimeries ni nouvelles fabriques de papier ; que les écrivains mal pensants fussent systématiquement traités par l’intimidation ou la corruption ; et que l'impression des discours dangereux fût interdite. Quant aux abonnements, ajoutait-il, vous avez la poste. Le vieux roi n’était que trop porté à suivre de tels conseils. Villèle, plus sensé, eût encore reculé. Mais, une fois de plus, le parti ultra-catholique lui fit comprendre qu’il fallait lui obéir ou renoncer au pouvoir ; et, une fois de plus, il obéit. La nouvelle session législative était à peine ouverte (décembre 1826) que le ministère présenta aux chambres un projet de loi qui, suivant le mot de Casimir Périer, équivalait à la suppression de la presse en France. En vertu de cette proposition, toute publication[55] était astreinte au dépôt préalable et ne devait être mise en vente qu'après un délai de cinq ou de dix jours ; les précautions les plus minutieuses étaient prises pour écarter les éditeurs fictifs et atteindre directement, par la prison et par l’amende, les directeurs et propriétaires véritables des journaux ; les imprimeurs étaient déclarés responsables ; les peines édictées par les lois antérieures étaient notablement aggravées ; l’impôt du timbre et les frais de poste pour les feuilles périodiques et les brochures étaient démesurément augmentés. Enfin il était interdit de faire la moindre incursion dans la vie privée de qui que ce fût sans la permission de l’intéressé. A la lecture de ce projet, l’indignation fut générale dans le royaume. Chateaubriand, dont l’opposition devenait chaque jour plus violente, flétrit éloquemment, dans une lettre répandue à trois cent mille exemplaires, ce qu’il appelait la loi vandale, et ce que Peyronnet, dans une défense maladroite et ridicule, ne craignit pas d’appeler la loi d'amour et de justice. L’Académie française crut devoir adresser au roi de respectueuses remontrances au sujet dudit projet. Elle ne réussit qu’à faire destituer plusieurs de ses membres[56] des emplois publics qu’ils exerçaient (janvier 1827). En attendant la discussion de la nouvelle loi, l’affaire des jésuites ne cessait de passionner le public. L’infatigable Montlosier, aussitôt après l’arrêt de la cour royale, s’était remis en campagne, et avait adressé à la chambre des pairs une pétition par laquelle, dénonçant une fois de plus la Congrégation et l’institut de Loyola, il réclamait de nouveau l’exécution des lois existantes. A la suite d’un débat très approfondi, auquel prirent part d’un côté Lainé, Pasquier, de l’autre Fitz-James, Bonald, Frayssinous, Latil, la haute assemblée, adoptant les conclusions du rapporteur — Portalis —, ne crut pas devoir demander de poursuites contre la Congrégation, mais se prononça énergiquement, par 113 voix sur 186, contre l’ordre des jésuites et, visant les lois ou ordonnances qui leur étaient applicables, renvoya la pétition au gouvernement janvier 1827. Le gouvernement, comme on pouvait le prévoir, ne tint aucun compte de ce scrutin. Le roi ne voulait décidément pas qu’on touchât à l'ordre en question. La chambre des pairs fut outrée d’un pareil dédain. Elle avait un moyen fort simple de s’en venger, et elle en usa. Quand la loi d'amour, péniblement votée au Palais-Bourbon (12 mars), malgré l’éloquente opposition de Royer-Collard, fut portée au Luxembourg, la chambre haute l’accueillit avec une hostilité si manifeste et prépara, pour la dénaturer, des amendements si nombreux, si graves, que le cabinet, au lieu de l’exposer à un échec honteux et retentissant, ne voulut pas attendre la discussion et bientôt en annonça le retrait (17 avril). C’était une pitoyable reculade, et il s’avouait battu quand même. A cette nouvelle, Paris illumina. La France presque entière applaudit. Jamais ministres n’avaient été aussi impopulaires que Villèle et ses collègues. Les quolibets, les libelles en vers[57] ou en prose, les menaces pleuvaient sur eux de toutes parts, non sans éclabousser quelque peu le roi. Mais Charles X, qui, pour être têtu, s’imaginait être ferme, ne voulait point encore à ce moment les abandonner. La garde nationale de Paris, qu’il tint à passer en revue le 29 avril, l’accueillit par les cris de : Vive la charte ! Vive la liberté de la presse ! A bas les ministres ! Dès le lendemain, il en prononça la dissolution. L’on juge si sa popularité personnelle, depuis longtemps réduite à si peu de chose, devait être augmentée par cette nouvelle bravade. De nouveaux avertissements lui furent encore donnés peu après, non plus seulement par la chambre des pairs, mais par la chambre des députés, où la majorité ministérielle, jadis si compacte, se désagrégeait de plus eu plus. Beaucoup de royalistes, naguère encore attachés au cabinet, déclaraient[58] que le dernier projet de loi sur la presse leur avait ouvert les yeux et qu'ils ne pouvaient suivre plus longtemps un gouvernement compromis par son alliance manifeste avec un parti dont le rêve était de détruire nos institutions. La Congrégation, les jésuites, les missionnaires, le clergé, l’administration ecclésiastique de l’Université, attaqués de nouveau et sans relâche, n’étaient plus que mollement défendus, même par les ministres. Quand la chambre des députés prit ses vacances (22 juin), Villèle ne se faisait plus d'illusions sur le concours qu’il pouvait attendre d’elle. On résolut, à ce qu’il semble, dès ce moment, aux Tuileries, de la dissoudre et de déplacer la majorité dans la chambre haute par une nouvelle fournée de pairs. Mais, comme cette sorte de coup d'État paraissait demander plusieurs mois de préparation, Ton ne dit rien pour l’heure d’un pareil projet. Seulement, pour amener le corps électoral à un degré de docilité qui permît d’espérer le succès, on commença par rétablir la censure (24 juin). Dès lors, les journaux ne jouirent même plus du peu de liberté que leur avait laissé la loi de 1822. Les interdictions, les tracasseries, les vexations les plus ridicules leur furent infligées chaque jour[59]. D’autre part, les préfets jouèrent, comme en 1824, mais avec moins de succès, le grand jeu de la corruption ou de la menace. L’audace ultramontaine d’une partie du clergé se donna de nouveau libre carrière. Nombre de curés prêchèrent contre la charte. Les imprudents du parti annoncèrent que l’œuvre de contre-révolution, à peine commencée, allait être reprise et menée grand train. Mais les libéraux, renforcés maintenant des doctrinaires et des ministériels dissidents, ne perdirent pas un moment courage et surent éclairer le pays tant sur sa force que sur son droit. La Société des Amis de la liberté de la presse et la Société Aide-toi, le Ciel l'aidera, purent, grâce à une énergique direction et à des moyens d’action considérables, tenir en échec l’administration et le clergé. Déjà une partie notable de la nation rêvait autre chose qu’un changement de ministère. Aux funérailles de Manuel, qui faillirent être ensanglantées par l’émeute (24 août), des cris vraiment révolutionnaires furent poussés par la jeunesse des écoles. Mais Charles X ne voulait rien entendre, ne voulait rien voir. En septembre, au cours d’un voyage militaire à Saint-Omer, il s’enivrait béatement d’acclamations de commande. Au retour, il se croyait populaire. Quelques semaines après, enhardi par les rapports des préfets, qui promettaient la victoire, il ne voulut plus attendre. Peut-être la nouvelle de Navarin[60] contribua-t-elle à hâter sa décision. Bref, le 5 novembre parurent au Moniteur deux ordonnances qui ne surprirent le public qu’à moitié : l’une qui dissolvait la chambre des députés, l’autre qui créait d'un seul coup soixante-seize pairs de France. Contre la naïve attente du roi, les élections générales, qui eurent lieu peu de jours après (17, 24 novembre) furent pour le ministère un vrai désastre. La composition de la nouvelle chambre, où ses amis n’étaient plus qu’en petit nombre et où les libéraux, sans être encore à eux seuls la majorité, formaient le groupe le plus nombreux et le plus compact, ne lui laissaient aucune illusion. Villèle et ses collègues démissionnèrent enfin (5 décembre). Mais Charles X comprenait encore si peu la situation que, loin de se soumettre au verdict de la France, il songeait à former un cabinet plus rétrograde encore que le précédent en appelant aux affaires le prince Jules de Polignac, l’homme de France peut-être le plus inféodé à la Congrégation et le plus réfractaire à l’esprit de la Révolution. Il fallut un mois pour l'en empêcher. Finalement, le roi, la mort dans l’âme, se rapprocha, non des libéraux — il en était incapable —, mais des royalistes modérés, qui, dans la dernière chambre, s’étaient montrés disposés envers l’opinion publique à quelques concessions. Le ministère Martignac entra en fonctions le i janvier 1828 et s’empressa de satisfaire au vœu général en éliminant de certaines administrations quelques congréganistes par trop impopulaires — Delavau et Franchet, par exemple —, en faisant rapporter certaines destitutions scandaleuses de l’année précédente, et en rouvrant la Sorbonne à Guizot et à Cousin. Mais, s’il eut quelque temps la confiance du public, il ne tarda pas à s’apercevoir qu’il n’avait pas celle du roi. Charles X ne s’était résigné qu’en apparence à le subir. Longtemps encore, il entretint une correspondance secrète avec Villèle, et, quand il cessa de lui demander ses conseils, ce fut pour prendre ceux de Bavez, de Latil, de Fitz-James et d’autres ultras, dont l’influence occulte ne cessa de préparer les voies à Polignac. VIII. — On ne put remarquer sans étonnement que Frayssinous, presque seul[61] de l’ancien cabinet, était resté ministre. On lui avait, il est vrai, enlevé la direction de l’Université, pour l’ériger en ministère de l’instruction publique. Ce nouveau département, sur le refus de Chateaubriand, qui ne voulait que les affaires étrangères et qui, ne pouvant les obtenir, se fit nommer ambassadeur à Rome, fut confié à Vatimesnil, magistrat signalé pour ses excès de zèle royaliste et que Charles X accueillit bien pour cela, mais qui, converti — sincèrement ou non —, ne tarda pas à tromper son attente par des circulaires d’un incontestable libéralisme. Bientôt, du reste, l’attitude de la nouvelle chambre à l’égard de Frayssinous et de Chabrol devint si menaçante, que ces derniers survivants du cabinet Villèle durent à leur tour céder la place. Le portefeuille des affaires ecclésiastiques fut remis à l'évêque de Beauvais, Feutrier, prélat recommandable par ses vertus et par son loyal attachement aux doctrines gallicanes[62]. En attendant la revanche qu'il rêvait, Charles X dut bientôt se résoudre à donner de nouveaux gages aux adversaires de la Congrégation, qui les demandaient hautement[63]. Dès le mois de janvier, sur un rapport de Portalis, établissant la nécessité de faire respecter les lois du royaume dans les écoles secondaires, une commission d’enquête avait été instituée pour vérifier les abus depuis longtemps signalés et en préparer la réforme[64]. Pendant qu’elle poursuivait son travail, le nouveau ministre de l’instruction publique, se préoccupant de l’enseignement primaire trop exclusivement dominé par le clergé, faisait rendre une ordonnance pour l’en affranchir, dans une mesure d’ailleurs bien modeste : désormais, les écoles seraient placées sous l’autorité de comités de surveillance, dont trois membres encore — trois sur neuf ! — seraient nommés par l’évêque ; les instituteurs auraient, du reste, toujours à fournir un certificat d’instruction religieuse[65]. On voit que la part faite au clergé était encore belle. Et pourtant, il jeta les hauts cris, parla d’athéisme et de persécution ! Il n’accueillit pas avec plus de faveur, cela va sans dire, le nouveau projet de loi sur la presse que Martignac venait de présenter aux chambres. Cette proposition réparatrice, qui fut adoptée en juillet, abolissait la loi de 1822 dans ses dispositions les plus vexatoires et constituait pour la liberté un progrès notable, puisqu’elle supprimait : 1° la censure ; 2° l’autorisation préalable ; 3° les procès de tendances. Les débats auxquels elle donna lieu dans le parlement n'étaient pas encore terminés quand la commission des affaires religieuses — plus haut mentionnée — adressa au roi son rapport (28 mai). Elle s’était, comme on avait pu le prévoir, divisée en deux partis, l’un contre, l’autre pour les jésuites — ce dernier formant la majorité, cinq voix contre quatre —. Le rapport établissait qu’à côté de 120 écoles secondaires ecclésiastiques ou petits séminaires autorisés, mais ayant généralement outrepassé leurs droits en recevant des élèves qui ne se destinaient pas à l’Église, il en existait 53 autres, dépourvues de titres légaux et indûment soustraites à l’Université. Il proposait de ramener tous ces établissements au respect des lois, avec beaucoup de ménagements et en leur accordant des délais raisonnables. Quant aux jésuites, l’accord n’avait pu se faire entièrement. Qu’ils ne fussent pas en règle pour leurs écoles, c’est ce que personne ne contestait. Mais la majorité de la commission, contrairement à l’avis de la minorité, qui invoquait les lois, arrêts et ordonnances portés autrefois contre leur ordre, pensait qu’on ne pouvait empêcher des particuliers de vivre en commun et de pratiquer une règle spéciale, fut-ce celle de saint Ignace ; que du reste les membres de la Société acceptaient l’autorité des évêques et qu’après tout on n’avait pas le droit de scruter leur conscience pour rechercher s’ils étaient jésuites ou s'ils ne l’étaient pas. Le rapport n’était pas, en somme, très concluant, ou du moins il ne l’était pas dans le sens de l’opinion dominante. Mais le ministère était résolu à donner au parti libéral la satisfaction qu’il attendait, ou plutôt qu'il exigeait si impérieusement depuis plusieurs mois. En conséquence, il prépara deux ordonnances relatives l’une aux Jésuites en particulier, l’autre aux petits séminaires en général et destinées à mettre un terme aux abus en question. Le difficile semblait être de les faire signer au roi. Aussi Martignac et ses collègues furent-ils fort surpris de voir Charles X les accepter sans la moindre objection. Cette soumission n’était, du reste, de sa part que pure tactique. Ses conseillers secrets, Ravez, Frayssinous, le Père Ronsin lui-même lui avaient représenté que le moment n’était pas opportun pour faire un éclat, qu’il fallait céder à l’orage et savoir plier, sauf à se relever plus tard quand les circonstances seraient redevenues favorables. Quoi qu'il en soit, les deux ordonnances si vivement attendues par l'opinion libérale parurent dans le Moniteur le 10 juin 1828. La première portait que huit écoles secondaires[66], signalées comme appartenant à une congrégation non reconnue par la loi — les jésuites — seraient désormais soumises au régime de l’Université ; elle ajoutait qu’à l’avenir nul ne pourrait prendre part à la direction ou à l’enseignement dans une maison dépendant de l’Université ou dans une école secondaire ecclésiastique s’il n’affirmait par écrit qu'il n'appartenait pas à une communauté non autorisée. En vertu de la seconde, les écoles secondaires ecclésiastiques ou petits séminaires, qui s’étaient notoirement écartés de leur destination, y seraient ramenés, d’abord par la limitation du nombre de leurs élèves, qui seraient fixé pour chaque diocèse et qui, pour la France entière, ne pourrait pas dépasser vingt mille. Le nombre et la situation de ces écoles seraient aussi déterminés par le gouvernement, sur la demande des évêques, qui devraient, avant le 1er octobre 1828, en faire connaître les supérieurs et les directeurs. Ces établissements ne recevraient pas d’externes. Leurs élèves devraient, à partir de l’âge de quatorze ans et après deux ans de séjour, porter l’habit ecclésiastique. Ils pourraient, après la fin de leurs études, obtenir un diplôme spécial, mais ils ne jouiraient, en vertu de ce diplôme, du titre et des droits attachés au baccalauréat que s’ils entraient dans les ordres. L’État, pour favoriser les vocations ecclésiastiques, créerait huit mille demi-bourses dans les petits séminaires. Enfin celles de ces écoles qui ne se soumettraient pas aux deux ordonnances seraient de droit ramenées au régime de l’Université. Si de pareilles mesures furent approuvées avec joie par les libéraux, elles provoquèrent chez leurs adversaires une explosion de fureur inimaginable. Au Palais-Bourbon où, soit à propos de certaines pétitions[67], soit à propos du budget et du crédit relatif aux nouvelles bourses, la gauche et la droite eurent à s’expliquer sur les ordonnances, les ultras les dénoncèrent comme des actes d’abominable tyrannie. Duplessis-Grenédan déclara que le vandalisme révolutionnaire n’avait rien de comparable. C’étaient, suivant lui, la religion foulée aux pieds, la charte violée, les familles réduites au désespoir. Il répéta que l’Église avait seule le droit d’enseigner, que l’État ne le pouvait ni ne le devait, dépeignit à sa façon l’Université, ses principes détestables, son immoralité, son incurie, le désordre de son fonctionnement et conclut radicalement par ces mots : Il n’y a rien de bon à faire de cette institution ; tout est à détruire. (Juillet 1828.) En dehors des chambres, l’opposition cléricale se manifesta plus violemment encore. Une association pour la défense de la religion catholique se forma sous les auspices d’hommes connue Bonald, Dambray, Duplessis-Grenédan, etc.[68]. Les feuilles ultramontaines apprirent aux fidèles que l’ère des persécutions venait de recommencer. On parla de Julien l’Apostat, de Dioclétien. Portalis et l’évêque Feutrier furent comparés à Marat. Quant au clergé, il ne demeura pas en arrière. Des mandements épiscopaux représentèrent la rébellion et l’athéisme triomphants et annoncèrent que l’Église aurait encore des martyrs. Ces martyrs, d’ailleurs, entendaient bien ne pas périr sans combattre. Un certain nombre de prélats, réunis chez l’archevêque de Paris, délibérèrent sur l’attitude à prendre. De ce conciliabule sortit, à l’adresse du roi, une protestation virulente contre les ordonnances du 21 avril et surtout du 16 juin[69], auxquelles on déclarait ne pouvoir obéir. C’était une vraie croisade. Qu’allait faire le gouvernement ? Le manifeste en question paraissait, dès les premiers jours d’août, sous la signature du cardinal de Clermont-Tonnerre, dans les journaux ultra-catholiques. Le Moniteur le désavoua gauchement, prétendit même que le roi ne l’avait pas reçu, ce qui était faux. Mais cela ne suffisait pas. Feutrier, comme un pestiféré, était tenu en quarantaine par les chefs du clergé bien pensant. L’archevêque de Paris avait rompu avec lui. Le nonce du pape, Lambruschini, n'osait plus lui parler. Le ministère dut recourir au pape. Chateaubriand n’étant pas encore parti pour Rome, Martignac y envoya en toute hâte un magistrat nommé Lasagni, romain d'origine et ancien auditeur de rote, qui était un ami personnel du secrétaire d’État Bernetti, pour tâcher d’obtenir que le pape invitât les évêques à la soumission. Léon XII désapprouvait, naturellement, les ordonnances. Mais il était trop bon politique pour ne pas comprendre qu’en ce moment son opposition ouverte à Me pareils actes ferait à l’Église plus de mal que de bien. Bernetti, très sagement, écrivit donc de sa part une lettre qui, communiquée aux manifestants, les réduisit bientôt à se taire ou à se mettre en étal de rébellion contre le Saint-Siège (septembre)[70]. Encore quelques-uns tinrent-ils bon, malgré les adjurations très politiques du cardinal de Latil — qui pourtant ne devait pas leur être suspect —. Clermont-Tonnerre, invité par le ministre des affaires ecclésiastiques à lui fournir les informations prescrites par les ordonnances, lui faisait encore en octobre une réponse qui, par sa rare insolence, était vraiment un monument historique[71]. Finalement, les ordonnances furent exécutées dans une certaine mesure, en ce sens que les huit collèges de jésuites dont l'existence illégale avait été signalée furent fermés. Mais le ministère usa de ménagements infinis envers les petits séminaires, qui ne furent que très imparfaitement réformés. Il le fallait pour plaire au roi, qui, dans son discours d’ouverture aux chambres, ne put dissimuler qu’on avait usé envers eux de justes égards. Cet euphémisme fut relevé au Palais-Bourbon où, à plusieurs reprises, tant dans la discussion de l’adresse que dans celle du budget, le gouvernement fut accusé par les libéraux de n’avoir pas fait son devoir. Il s’en défendit de son mieux. Mais il était manifeste que les ordonnances avaient été fort mollement appliquées. Les accusations déjà tant de fois lancées contre la Congrégation, les ordres monastiques, les empiétements du clergé, se renouvelèrent. La multiplication des couvents et l'excès des missions à l'intérieur furent, à la suite d’un discours très vif de Kératry[72], dénoncés au gouvernement (mars 1829). Par contre, les diatribes ordinaires contre l’impiété, l’athéisme, les doctrines gallicanes, et surtout contre l’Université, se reproduisirent à la tribune, avec un redoublement de violence et d’acrimonie. Les ultras taxèrent le gouvernement de faiblesse et de lâcheté pour avoir publié les ordonnances de juin. Hors des Chambres, les évêques, sans prêcher ouvertement la révolte, déploraient la politique néfaste du ministère et appelaient à grands cris un avenir meilleur. Lamennais, moins capable que jamais de se plier aux nécessités de la politique, ne se bornait plus à flétrir l’épiscopat qui, suivant lui, venait de trahir l’Église. N’osant pas reprocher au Saint-Siège — qu'il jugeait au fond très sévèrement — ce qu’il considérait comme une indigne défection, il demandait qu’on le servît quand même et au besoin malgré lui. Dans un nouveau livre, qui eut à cette époque un grand retentissement et qui était le premier symptôme de son évolution politique[73], il ne craignait pas de faire appel aux passions populaires et soutenait avec éclat qu’une nation avait le droit d’user de la force contre un gouvernement qui se mettait lui-même contre Dieu en état de révolte. Ironiquement applaudi par les libéraux, mais blâmé par plusieurs prélats et plusieurs publicistes catholiques, il refusait hautement de se rétracter et, à un adversaire lui demandant si, à son sens, le pape pouvait autoriser des sujets à l'insurrection, il répondait sans ambages : On ne se révolte que contre une puissance légitime, contre une souveraineté actuellement existante. Or l’Eglise lient qu'il y a des cas où la souveraineté cesse, où par conséquent on n’est pas obligé d’obéir, et en outre elle déclare qu'elle est juge de ces cas pour les consciences. Le gouvernement eût sans doute désiré que la cour de Rome désavouât de pareilles doctrines. Mais, si elle en jugeait la manifestation intempestive et trop violente, elle était trop fidèle à ses propres traditions pour les condamner expressément ; du reste, à l’insignifiant Léon XII — mort le 10 février 1829 — venait succéder Pie VIII, dont l’avènement, quoi qu’en dit Chateaubriand[74], ne paraissait pas de bon augure pour une politique d’apaisement et de tolérance. Le nouveau pape venait de débuter par une encyclique sévère contre l’esprit moderne et s’était prononcé hautement contre la tolérance, la liberté des cultes, le mariage civil, l’enseignement laïque, enfin contre tous les principes et les idées qui étaient depuis longtemps la base de notre droit public. IX. — A Paris, la Congrégation, pour détourner d’elle l’attention publique, avait, au commencement de 1828, interrompu les réunions de la rue du Bac. Le P. Ronsin avait dû, par ordre de ses chefs, renoncer à la direction de cette société, qui fonctionna dès lors plus discrètement que par le passé, sous l’abbé Mathieu, vicaire général de l’archevêché de Paris[75] ; mais elle n’avait pas tardé à reprendre espoir et courage. Un de ses membres les plus dévoués, le duc de Rohan[76], récemment promu à l’archevêché de Besançon, lui avait offert l’hospitalité dans son hôtel à Paris, où il passa tout l’hiver de 1829, l’encourageant de son mieux et tenant un salon aussi religieux que monarchique[77]. La Congrégation savait bien, du reste, que Charles X lui demeurait attaché de tout cœur et comptait que ses amis ne tarderaient pas à ressaisir le pouvoir. Ils y parvinrent enfin dix-neuf mois après l’avènement de Martignac. Nous n’avons pas à retracer ici le piège parlementaire où les ultras firent tomber cet homme d’État. L’échec qu’il subit grâce à eux devait servir de prétexte au roi pour renvoyer sans trop de scandale un cabinet qui n’avait jamais eu ni sa sympathie ni sa confiance. A peine assuré du budget, que venaient de voter les Chambres (juillet), Charles appela enfin aux affaires Jules de Polignac, l’élu de son cœur, qui tournait depuis si longtemps autour du ministère, et avec qui, du moins, le parti prêtre était assuré d’avoir ses coudées franches (8 août 1829)[78]. Les événements qui suivirent et qui amenèrent si promptement une nouvelle révolution, appartiennent à l’histoire générale de la France plutôt qu’à l’histoire particulière que nous avons entreprise. Ils sont du reste trop connus pour qu’il soit fort utile de les retracer ici en détail. Disons seulement que la peur de retomber sous le joug de la Congrégation fut une des causes principales de l’agitation qui se produisit en France aussitôt après l’avènement de Polignac et qui, dès lors, ne fit que grandir. La joie du parti prêtre, ses projets hautement avoués, ses menaces nouvelles contre l’ordre établi, ne pouvaient point ne pas alarmer profondément une nation qui, depuis quinze ans, avait eu sans cesse à défendre ses libertés contre la réaction ecclésiastique comme contre la réaction nobiliaire. Le journal l’Apostolique dénonçait la charte comme un monument d’impiété, d’athéisme et, au nom de Dieu, en demandait l’anéantissement, ainsi que celui de ces codes infâmes, prodiges d'iniquité, vomis par l'enfer sur la France. Le Drapeau blanc, sous Martainville, ne dissimulait pas des vœux à peu près semblables. L’intraitable archevêque de Toulouse écrivait que les nouveaux dépositaires du pouvoir auraient la gloire de replacer la France sur ces véritables bases. Ces bases, les ultra-catholiques, comme les ultra-royalistes, n’en faisaient pas mystère : c’était la presse de nouveau bâillonnée, le droit d’aînesse restauré, la classe moyenne exclue du corps électoral et de la chambre, nos lois civiles refondues suivant le programme de l’Église, le clergé rétabli dans ses droits, l’Université supprimée. Comment de pareils projets, pour l’exécution desquels on ne cachait pas que le roi recourrait, au besoin, à l’article 14, c’est-à-dire au coup d’État, n’eussent-ils pas rendu la révolution inévitable ? C'était bien le cas de répéter, avec le Journal des débats : Malheureuse France ! Malheureux roi ! Cette révolution, de bons citoyens s’y préparaient résolument dès les derniers mois de 1829, en formant, dans divers départements, des associations pour le refus de l'impôt. La magistrature s’associait à la presse pour la défense de la légalité et de la liberté. Le Courrier français, poursuivi pour avoir, en passant, émis cette idée que le christianisme pourrait bien n’être pas éternel, était triomphalement acquitté par la Cour royale de Paris, qui déclarait licite, non d'outrager, mais de discuter la religion (décembre 1829)[79]. A partir de l’ouverture des Chambres (le 2 mars 1830), les événements se précipitent. Le roi annonce, à mots couverts, ses intentions et déclare que, si de coupables manœuvres lui suscitent des obstacles, il trouvera le courage de les surmonter. A quoi la chambre des députés riposte par l’adresse des 221, constatant que le concours des vues du gouvernement avec les vœux de la nation n’existe plus. A cet avertissement respectueux, mais ferme, le monarque réplique, à son tour, en affirmant d’un ton rogne que ses résolutions sont immuables et, dès le lendemain (19 mars), l'assemblée est prorogée, A ce moment, la dissolution est déjà décidée en principe. Mais Je ministère n’en parle pas encore et veut avoir le temps de préparer à son aise les élections prochaines. Les évêques les préparent pour leur compte, par des lettres pastorales, des prières, des missions, des cérémonies pompeuses, auxquelles le roi et sa famille participent ostensiblement quand ils le peuvent[80]. Enfin, la dissolution est prononcée (16 mai). Peyronnet, l’homme à tout faire, est nommé ministre de l’intérieur. Les préfets, les évêques, les curés, le roi lui-même, se remettent ouvertement en campagne, connue en 1827. Mais, pas plus qu'à cette époque, les électeurs ne se laissent gagner ou intimider. Dès la fin de juin, assez de collèges électoraux se sont prononcés pour que le ministère ne puisse pas douter de sa défaite. Mais aux grands maux les grands remèdes. La France ne voulant pas se sauver elle-même, le roi la sauvera malgré elle. Le coup d’État, depuis si longtemps pressenti par l'opinion publique, est enfin résolu. Le roi, toujours confiant, ne doute pas qu’il ne réussisse. Tout juste à point arrive d’Afrique une nouvelle de victoire. Alger est tombé sous les armes françaises. Comment un peuple amoureux de gloire ne sacrifierait-il pas ses libertés au roi qui vient ainsi d’illustrer son drapeau ? Dès le 13 juillet, l’archevêque de Paris, célébrant la défaite des corsaires musulmans, s’écrie : Ainsi seront traités partout et toujours les ennemis de Notre Seigneur et Roi ; ainsi seront confondus tous ceux qui oseront se soulever contre lui. Et le lendemain, recevant Charles X à Notre-Dame, le même prélat lui dit en face : Votre confiance... ne sera pas vaine. Puisse Votre Majesté en recevoir bientôt une autre récompense ! Puisse-t-elle bientôt remercier le Seigneur d'autres victoires[81] non moins douces et non moins éclatantes ! Ces vœux impies ne devaient pas être exaucés. On sait qu’aussitôt après le résultat final des élections, les ministres mirent la dernière main aux fatales ordonnances qui, en dissolvant la nouvelle chambre, supprimant la liberté de la presse et modifiant arbitrairement la loi électorale, devaient, à leur sens, permettre au roi de faire le bien qu’il rêvait. Charles X les signa plein d’espoir et le cœur léger, le 20 juillet. Le lendemain 26, elles paraissaient au Moniteur. Trois jours après, dans Paris insurgé, la révolution était faite. Lafayette était à l’Hôtel de Ville, et aux tardives concessions du vieux roi on répondait : Il est trop tard ! Au bout d’une semaine, une nouvelle dynastie montait sur le trône, et le mois d’août n’était pas écoulé que Charles X, avec sa famille, repartait tristement pour l’exil. Ainsi s’était écroulée sous la poussée populaire cette monarchie autrefois nationale qui, ramenée deux fois en France par l’étranger, n’avait pas su se faire pardonner sa honteuse restauration en respectant les libertés publiques et se réconciliant sans réserve avec l’esprit de la Révolution. |
[1] Les autres membres de la nouvelle administration étaient Corbière, Peyronnet. Montmorency, Clermont-Tonnerre, le maréchal Victor et le général Lauriston.
[2] Ces deux prêtres avaient été précepteurs de son fils, le vicomte Sosthène de la Rochefoucauld.
[3] Il fut, du reste, remplacé dans cet emploi en 1821 par un membre titulaire de la Congrégation, le marquis de Vaulchier.
[4] G. de Grandmaison, la Congrégation, p. 158.
[5] De 1801 à 1814, c’est-à-dire sous le Consulat et l’Empire, le nombre des adhérents à la Congrégation n’avait pas dépassé 400. De 1814 à 1828, sous la direction du P. Ronsin, il s’éleva à 1.319. Il n’y eut que 23 adhésions en 1814, et 31 en 1815. Mais il y en eut 73 en 1816, 68 en 1817, 66 en 1818, 79 en 1819, en tout 313 de 1814 à 1820. De 1820 à 1828, c’est-à-dire sous les ministères Richelieu et Villèle, on n’en compte pas moins de 507. Aussitôt après la chute de Villèle et à la veille de la révolution de 1830, les faveurs de la Congrégation sont beaucoup moins recherchées. Le nombre des nouveaux adhérents tombe à 9 en 1828 et ne s’élève qu’à 10 en 1829, à 14 en 1830. Ces chiffres sont fournis par M. de Grandmaison, qui possède le catalogue authentique et complet des admissions. (La Congrégation, 313-311). — Parmi les nobles qui entrèrent en grand nombre dans la société à partir de 1814, citons au hasard le marquis de Saint-Affrique, Alphonse de Crèvecœur, les frères de Becdelièvre, l’infant d’Espagne François-de-Paule, Adolphe de Cambourg, Antoine de Candé, le marquis de Choiseul-Beaupré, le marquis de Clermont-Tonnerre, le comte de Cossé-Brissac, le comte de Lorges, le marquis de Saint-Exupéry, le prince de Croy, le comte de Meaux, le comte de Modène, le duc de Rivière, le comte Alexandre de La Rochefoucauld, le marquis de Vaulchier, le marquis de Villeneuve, etc., etc. Quant au clergé, il fut représenté dans la Congrégation par trente-six prélats, parmi lesquels, sans parler du nonce Lambruschini, nous citerons d’Astros, Quélen, Croy, Beausset, Prilly, Tharin, Clermont-Tonnerre, etc., qui ne passent pas pour s’être jamais désintéressés des affaires publiques, et un assez grand nombre de prêtres, dont dix-huit furent élevés à l’épiscopat — plusieurs, comme Bruté, Philibert de Bruillard, Forbin-Janson, Rohan, sous la Restauration, les autres plus tard, comme Mathieu, Gerbet, Sibour, etc.
[6] Le témoignage le plus probant et le plus équitable sur les agissements de la Congrégation me paraît être celui du très modéré Viel-Castel, écrivain royaliste, qui, ayant servi dans sa jeunesse le gouvernement de la Restauration, savait sans doute à quoi s’en tenir sur l’influence réelle de cette société. Parmi ceux qui faisaient partie de la Congrégation, dit-il, les uns, surtout à l’origine, y avaient été appelés par des motifs purement religieux, les autres avaient mêlé à ces motifs des arrière-pensées politiques, et d’autres encore n’y entrèrent plus tard qu’avec l’espoir de se frayer le chemin de la fortune en obtenant la bienveillance et l’appui des personnes considérables qui y étaient affiliées. La candeur des premiers a constamment protesté en toute sincérité contre les reproches d’ambition et d’intrigue jetés à une association qui pour eux ne fut jamais autre chose qu’une œuvre de piété ; et, quant aux congréganistes politiques, qui, au fond de leur cœur, savaient à quoi s’en tenir, ce n’était pas d'eux qu’on pouvait attendre un franc aveu de leurs intentions secrètes, alors surtout que l’évidente exagération des accusations sous lesquelles leurs adversaires essayaient de les accabler leur permettait de se défendre par des dénégations fondées en grande partie, bien que trop absolues... Il faut reconnaître qu’à cette époque (en 1824) la ferveur, réelle ou apparente, des sentiments religieux était dans certaines administrations un titre puissant pour l’obtention des emplois, et que même dans les professions qui semblaient les plus étrangères à la politique, celles de notaire, d’avoué, d’huissier, les opinions des titulaires et des aspirants .étaient trop souvent un motif d’admission ou d’exclusion... Dans la crainte de blesser Monsieur, dont la piété excessive était bien connue, et de voir se tourner contre eux l’influence de la cour, ils (Villèle et Corbière) subissaient à cet égard l’ascendant des membres de la Congrégation qui faisaient partie du gouvernement, de M. de Montmorency, de M. Franchet, de M. Delavau... (Hist. de la Restauration, IV, 478 ; XI, 96-97.)
[7] Lois du 31 mars 1820 et du 25 juillet 1821, rétablissant ou maintenant la censure.
[8] Défendu par Dupin aîné, il fut condamné à trois mois de prison et 500 francs d’amende (décembre 1821).
[9] Loi du 17 mars 1822.
[10] Divers éditeurs furent condamnés, en 1822, 1823 et années suivantes, pour avoir réimprimé les ouvrages d’Helvétius, de d’Holbach, ou le traité de l'Origine de tous les cultes, de Dupuis.
[11] Dont les membres, on le sait, étaient alors nommés par le gouvernement.
[12] En même temps, il exigeait des élèves des certificats de bonne vie et mœurs fournis par les maires de leurs communes, et rendait les maîtres responsables des désordres nouveaux qui pourraient se produire à l’école.
[13] C’était le frère de Clausel de Coussergue, ultra-royaliste non moins fougueux, qui avait, en 1820, demandé la mise en accusation du ministre Decazes.
[14] Lettre publiée dans le Drapeau blanc, de Martainville.
[15] Expulsé à cette date, ce grand orateur, que sa sarcastique éloquence avait rendu particulièrement, odieux au parti prêtre, ne rentra jamais à la chambre. Désigné quelque temps après par un ami comme parrain de son enfant, il fut rigoureusement repoussé à ce titre par le curé de la Ferté-sous-Jouarre et par l’évêque de Meaux.
[16] Cette chanson, faite sous forme de dialogue entre un vieux soldat de l’Empire et un jeune soldat de 1823, était intitulée : Nouvel Ordre du jour. Elle avait pour refrain les vers suivants :
Brav’ soldats, v’ià l’ord’ du jour :
Point d’victoire
Où n’y a point de gloire.
Brav’ soldats, Vlà l’ord’ du jour :
Garde à vous ! demi-tour !
Le premier couplet était ainsi conçu :
— Notre ancien, qu’a donc fait l’Espagne ?
— Mon p’tit, ell’ n’ veut plus qu’aujourd’hui
Ferdinand fass’ périr au bagne
Ceux-là qui s’sont battus pour lui.
Nous allons tirer d’peine
Des moin’s blancs, noirs et roux,
Dont on prendra d’là graine
Pour en r'planter chez nous.
[17] Le cardinal de Clermont-Tonnerre, archevêque de Toulouse, s’était surtout fait remarquer par ses violentes attaques contre la constitution espagnole.
[18] On sait que depuis 1817 la chambre des députés se renouvelait tous les ans par cinquième.
[19] Sans parler des électeurs qui furent arbitrairement rayés des listes par les préfets, les fonctionnaires furent par des circulaires ministérielles mis dans l’alternative de perdre leurs places ou de voter pour les candidats du gouvernement. Les évêques prirent aussi une part active à cette campagne. La plupart lancèrent des mandements en faveur des candidats ultra-royalistes qui devaient rétablir les droits de l'Église. Certains d’entre eux employèrent même ouvertement les curés comme agents électoraux.
[20] Chateaubriand, jaloux de Villèle, qu’il desservait en dessous tout en demeurant son collègue, avait indirectement contribué à ce résultat. Aussi fut-il aussitôt renvoyé du ministère avec éclat. C’est alors qu’outré de cet affront, il commença, comme polémiste, à combattre, souvent sans mesure et sans dignité, le cabinet dont il avait fait partie.
[21] Louis XVIII avait exprimé aussi en 1818 l’intention de se faire sacrer. Mais l’état de sa santé ne lui avait pas permis de donner suite à ce projet.
[22] La religion, lit-on dans ce document, est le fondement de la société ; sans la religion, il n’y a pour les peuples ni durée, ni félicité, ni gloire, et les lois, pour être respectées, doivent en porter l'empreinte impérissable.
[23] Loi du 27 avril 1825.
[24] Le condamné devait être conduit au supplice pieds nus, la tète couverte d’un voile noir, et subir, avant d’être décapité, l’amputation du poing droit.
[25] Ces paroles atroces, qui produisirent un effet fâcheux, même sur les amis de l’orateur, furent supprimées après coup dans le compte rendu de son discours. Mais elles avaient bien été prononcées, puisque Pasquier les releva textuellement dans sa riposte, sans être démenti.
[26] On sait que l’Église a horreur de la peine capitale (abhorret a sanguine) C’est pour cela qu’au temps où elle jugeait les hérétiques, elle ne les tuait pas elle-même, mais les livrait simplement au bras séculier, qui se chargeait pour elle de cette tâche. Les pairs ecclésiastiques déclarèrent de même qu’ils ne croiraient pas avoir le droit d'appliquer eux-mêmes la loi du sacrilège, mais qu’ils avaient celui de la voter. Ils avaient dit exactement le contraire l’année précédente.
[27] C’est au nom de la religion elle-même, qui lui était si chère, qu’il s’éleva contre le projet Peyronnet. On allait, disait-il, créer un crime nouveau, celui de lèse-majesté divine, ce qui était un non-sens. La religion, en tant que dogme, était au-dessus, par conséquent en dehors des lois civiles. C'était la rabaisser et la dénaturer que de vouloir la faire entrer dans un code. Il s’éleva contre un principe absurde, impie et sanguinaire, évoqué des ténèbres du moyen âge, des monuments barbares de la persécution, faisant descendre la religion au rang des institutions humaines, armant l’ignorance et les passions du glaive terrible de l’autorité divine. Les sociétés humaines, ajoutait-il, naissent, vivent et meurent sur la terre ; là se termine leur justice imparfaite et fautive, qui n’est fondée que sur le besoin qu’elles ont de se conserver. Mais elles ne contiennent pas l’homme tout entier. Après qu’il s’est engagé à la société, il lui reste la plus noble partie de lui-même, ces hautes facultés par lesquelles il s’élève à Dieu, à une vie future, à des biens inconnus dans un monde invisible. Ce sont les croyances religieuses, grandeur de l’homme, charme de la faiblesse et du malheur, recours invisible contre les tyrannies d’ici-bas. Reléguée à jamais aux choses de la terre, la loi humaine ne participe point aux croyances religieuses, elle ne les connaît ni ne les comprend ; au delà des intérêts de cette vie, elle est frappée d’ignorance et d’impuissance. Comme la religion n’est pas de ce monde, la loi humaine n’est pas du monde invisible... Les gouvernements sont-ils les successeurs des apôtres ?... Ils n’ont pas reçu d’en haut la mission de déclarer ce qui est vrai en matière de religion et ce qui ne l’est pas. Dira-t-on que ce n’est pas là ce que fait le projet de loi ? Je réponds que c’est là précisément ce qu’il fait, puisque la vérité du dogme de la présence réelle est le litre du sacrilège et que le sacrilège est le litre du supplice. Dira-t-on que ce n’est pas de son autorité privée, de sa seule inspiration... que la loi déclare le sacrilège, mais qu’elle l’a reçu de l’Église catholique et que, loin de commander en cette occasion, elle obéit ? On ne fait que déplacer l’usurpation et la confusion des deux puissances... J’attaque la confusion, non l’alliance... Cette alliance ne saurait comprendre de la religion que ce qu’elle a d’extérieur et de visible, son culte et la condition de ses ministres dans l’Etat. La vérité n’y entre pas ; elle ne tombe ni au pouvoir ni sous la protection des hommes... Si l’on met la religion dans la loi humaine, on nie toute religion... Si l’on met dans la religion la peine capitale, on nie la vie future. La loi proposée, qui fait l’un et l’autre, est donc à la fois athée et matérialiste. Elle ne croit pas à la vie future, cette loi qui anticipe l’enfer et qui remplit sur la terre l’office des démons. J’ai voulu marquer, en rompant un long silence, ma vive opposition au principe théocratique qui menace à la fois la religion et la société, d’autant plus odieux que ce ne sont pas, comme aux jours de la barbarie et de l’ignorance, les fureurs sincères d’un zèle trop ardent qui rallument cette torche. Il n’y a pas de Dominique, et nous ne sommes pas non plus des Albigeois. La théocratie de notre temps est moins religieuse que politique ; elle fait partie de ce système de réaction universelle qui nous emporte.
[28] On sait qu’au sens administratif, la congrégation est l’association religieuse qui obéit à un supérieur général ; la communauté, celle qui est régie par un supérieur local ; l'établissement, c’est la maison qui relève d’une congrégation.
[29] V. plus haut, chapitre précédent.
[30] Le projet déterminait, du reste, les formalités à remplir pour que l’autorisation fût possible. Ces formalités étaient : pour les congrégations, l’approbation des statuts par l’évêque, leur vérification et leur enregistrement par le conseil d’Etat, la reconnaissance de l’autorité de l’ordinaire (c’est-à-dire de l’autorité diocésaine) en matière spirituelle, etc. ; — pour les simples établissements, le consentement de l’évêque, l’avis du conseil municipal, etc.
[31] Les ultras firent même passer un amendement en vertu duquel, pendant un délai de six mois après la promulgation de la loi, les religieuses auraient le droit de disposer de la totalité de leurs biens en faveur des communautés.
[32] D’après les chiffres donnés par Frayssinous, chiffres inférieurs, du reste, à la vérité, il y avait alors en France 1.800 communautés de femmes, dont 50 seulement vouées à la vie contemplative. Le nombre des malades soignés par elles était de 14.000, celui de leurs élèves était de 120.000 pour les écoles primaires, de 10.000 pour les pensions secondaires.
[33] Plus tard il eut neuf mois de prison. Son Sacre de Charles le Simple eut vite fait le tour de la France et même de l’Europe.
[34] On se rappelle qu’aussitôt après la prise de la Bastille, le comte d’Artois avait donné le signal de l’émigration (16 juillet 1789) et était allé mendier le secours de l’étranger.
[35] C’est même uniquement pour réagir contre le mauvais effet produit par le discours de ce prélat, qu’au dernier moment les mots relatifs à la charte avaient été insérés dans la formule du serment royal.
[36] Leurs collèges, déjà nombreux, étaient tous florissants. Celui de Saint-Acheul était dirigé par le célèbre P. Loriquet.
[37] Parlant de l’attitude et des agissements du parti prêtre après l’avènement de Charles X, Viel-Castel s’exprime en ces termes (t. XIV, p. 29) : ... Les partisans des jésuites ne se donnaient plus la peine de nier leur résurrection. Les refus de sépulture se multipliaient quelquefois pour cause de jansénisme ou de gallicanisme. Des parents dont les enfants concouraient pour être admis à l’Ecole polytechnique étaient mandés par la police et interrogés sur leurs principes politiques et religieux. Des tendances inquisitoriales s’introduisaient peu à peu dans l’administration. Un savant illustre, le géomètre Legendre, âgé alors de soixante-douze ans, touchait depuis longtemps sur les fonds du ministère de l’intérieur une pension de 3.000 francs, que la médiocrité de sa fortune lui rendait presque nécessaire. Elle lui fut retirée parce qu’il s’était permis dans une élection de l’Académie des sciences de voter contre un candidat de la Congrégation, malgré l’injonction d’un chef de division de ce ministère.
[38] C’est-à-dire des époux non mariés à l’Église.
[39] De la Religion considérée dans ses rapports arec l’ordre politique et civil (1825-1826).
[40] Mort à Paris, le 28 novembre 1825.
[41] Considérant, dit l’arrêté du 3 décembre, que l’esprit résultant de l’ensemble de ces articles n’est pas de nature à porter atteinte au respect dû à la religion de l’Etat ; que ce n’est ni manquer à ce respect ni abuser de la liberté de la presse que de discuter et combattre l’introduction et l’établissement dans le royaume de toute association non autorisée par la loi, que de signaler soit des actes notoirement constants qui offensent la religion et même les mœurs, soit les dangers et les excès non moins certains d’une doctrine qui menacerait tout à la fois l’indépendance de la monarchie, la souveraineté du roi et les libertés publiques garanties par la charte constitutionnelle et par la déclaration du clergé de France de 1682, déclaration toujours reconnue et proclamée loi de l’Etat...
[42] Considérations sur les causes et les progrès de la corruption en France.
[43] De la monarchie française au 1er janvier 1824.
[44] Il avait voulu récemment introduire les liguoristes dans son diocèse.
[45] Pie VII était mort le 10 août 1823. Son successeur, l'insignifiant Léon XII (Annibal della Genga), qui, jusqu’à ce moment, n’avait guère fait parler de lui, publia au mois de février 1826 une encyclique par laquelle il invitait vivement les rois à saisir le glaive de la loi pour arrêter les doctrines anarchiques et impies.
[46] Il y était, du reste, engagé par la chambre des députés qui, dans son adresse officielle (fév. 1826) le priait de défendre les libertés publiques même contre leurs propres excès et de les protéger toutes contre une licence effrénée, sans respect pour les choses les plus saintes et les personnes les plus sacrées.
[47] 105, 130 ou même 150, d’après ce qu’il avait entendu dire ; d’après M. de Grandmaison, il n’y avait en réalité que cinq députés congréganistes. Ce que Montlosier aurait pu dire sans se tromper, c’est que la Congrégation comptait dans les deux chambres sur un très grand nombre d’amis et d’auxiliaires dévoués. Cet écrivain affirmait d’autre part que la Congrégation renfermait en France 18.000 individus. Ce chiffre paraît follement exagéré à M. de Grandmaison, qui, registre en main, fait remarquer que le nombre total des personnes admises dans la société en question n'a jamais dépassé 1.373. Mais, si l’on considère comme congréganistes — ce qui parait légitime — les membres des 71 associations affiliées à celle de la rue du Bac et des nombreuses sociétés qu’elle patronnait ou qui s’inspiraient de son esprit, le chiffre de 48.000 semblera peut-être au-dessous de la vérité.
[48] Notamment à Rouen, où la foule s’ameuta contre les missionnaires et fut chargée par la troupe (mars 1826).
[49] Cette association, dit Viel-Castel, était placée sous le patronage de saint François-Xavier, un des premiers chefs de l’ordre des jésuites. Dix de ses membres formaient une section, dix sections une centurie, dix centuries une division, sous l’autorité et la direction d’un conseil supérieur, siégeant à Paris, de deux conseils centraux, l’un à Paris, l’autre à Lyon, de conseils généraux établis dans chaque métropole et de conseils particuliers dans chaque diocèse. D’autres articles (des statuts) réglaient la nomination des chefs de ces diverses fractions et leur mode de correspondance. On demandait aux associations des prières et une contribution hebdomadaire dont le produit formait un fonds mis à la disposition du conseil général. Dans un pays où aucune association ne pouvait s’établir sans la permission du gouvernement, l’existence d’une telle société était un scandale légal. (Histoire de la Restauration, XV, 467.)
[50] Relatif à l’indépendance temporelle du roi.
[51] Moniteur du 12 avril 1826.
[52] François-Marie Agier né à Saint-Maixent le 8 juillet 1780, mort à Paris le 10 mars 1848, magistrat bien connu depuis 1814 pour son zèle royaliste et membre influent de la chambre des députés depuis 1824.
[53] Considérant qu’il résulte de l’ensemble et des dispositions des arrêts du Parlement de Paris des 6 août 1762, 1er décembre 1764 et 9 mai 1767, des arrêts conformes des autres parlements du royaume, de l’édit de Louis XV du mois de novembre 1764, de l’édit de Louis XVI du mois de mai 1777, de la loi du 18 août 1792 et du décret du 3 messidor an XII, que l’état actuel delà législation s’oppose formellement au rétablissement de la Société dite de Jésus, sous quelque dénomination qu’elle se présente, que ces arrêts et édits étaient principalement fondés sur l’incompatibilité reconnue entre les principes professés par cette société et l’indépendance de tous les gouvernements, principes bien plus incompatibles encore avec la charte constitutionnelle qui fait aujourd’hui le droit public des Français...
[54] Signalons notamment les funérailles purement civiles du grand acteur Talma, qui eurent lieu à Paris, le 21 octobre, au milieu d’une affluence extraordinaire.
[55] A l’exception des discours parlementaires, des publications officielles, des mandements épiscopaux, des mémoires judiciaires, des mémoires des sociétés savantes, des journaux et écrits périodiques paraissant au moins deux fois par semaine et des écrits relatifs aux projets présentés aux Chambres. (Viel-Castel, XVI, 93.)
[56] Michaud, Lacretelle, Villemain.
[57] V. notamment la Villèliade, la Peyronnéide, etc.
[58] Voir notamment le discours de Gautier dans la discussion générale du budget.
[59] On interdisait par exemple d’annoncer la mise en vente de l’Histoire de l'Inquisition, de Llorente, ou de signaler la venue en France de M. de Polignac, ambassadeur à Londres, âme damnée de la Congrégation.
[60] La bataille eut lieu le 20 octobre.
[61] Avec lui était demeuré aussi le ministre de la marine, Chabrol, qui était également persona grata aux Tuileries.
[62] Feutrier avait été affilié dans sa jeunesse (en 1807) à la Congrégation. Mais il ne l’avait servie avec zèle que sous l’Empire, alors qu’elle luttait au nom du pape captif contre le despotisme de Napoléon. Avait-il formellement rompu avec elle sous la Restauration ? Nous ne savons. Mais il avait certainement repris de fait sa liberté d’action et ne s’était pas associé à la politique ultramontaine qu’elle avait adoptée sous la direction des jésuites.
[63] Depuis longtemps, disait, en mars, la chambre des députés (dans son adresse au roi), l’instruction publique attend une organisation définitive qui embrasse tous les degrés et les divers modes de l’enseignement, qui concilie dans leurs rapports l’exercice de l’autorité civile et celui du pouvoir spirituel, qui maintienne enfin la bonne intelligence de leurs concours selon les maximes héréditaires de l’Église gallicane et le principe de l’égale protection des autres cultes.
[64] Cette commission, où les deux partis en lutte étaient représentés, se composait de Quélen (archevêque de Paris), Lainé, Séguier, Mounier, Alexis de Noailles, Feutrier, La Bourdonnaye, Dupin aîné et de Courville.
[65] Ordonnance du 21 avril 1828.
[66] Ces établissements étaient situés à Aix, Billom, Bordeaux, Dole, Forcalquier, Montmorillon, Saint-Acheul et Sainte-Anne d’Auray.
[67] Ces pétitions signalaient l’existence illégale d’un certain nombre d’établissements appartenant aux jésuites et formulaient contre cet ordre des imputations que Dupin aîné renouvela pour son compte en ces termes : L’institut d’Ignace est incompatible avec le régime constitutionnel. Il y a une haine profonde du jésuitisme contre la charte, parce qu’elle consacre la tolérance et qu’on voudrait la domination ; contre la liberté de la presse, parce qu’elle constitue le droit d’examen et qu’on voudrait l’inquisition ; contre la magistrature, parce qu’elle oppose une barrière à leur usurpation... On parle des Stuarts. Les jésuites ont perdu les Stuarts. Empêchons les jésuites de perdre les Bourbons.
[68] Par contre, et pour lui tenir tête, se constitua bientôt l’Association évangélique pour la défense des libertés de l’Église gallicane et des droits publics des Français.
[69] Elle fut signée de soixante-treize évêques, c’est-à-dire de la grande majorité de l’épiscopat français.
[70] Cette lettre était du reste conçue en termes tels et renfermait de telles réserves, que le gouvernement français n’osa pas la publier.
[71] Monseigneur, la devise de ma famille, qui lui a été donnée par le pape Calixte II en 1120, est celle-ci : Etiamsi omnes, ego non. C'est aussi celle de ma conscience. J’ai l’honneur d’être, avec la respectueuse considération que je dois au ministre du roi, A. F., cardinal archevêque de Toulouse. Vers la même époque, Lamennais, outré de ce qu’il voyait, écrivait à un de ses amis : Feutrier n’a autour de lui que des hommes perdus... Il n’est entouré que de prêtres déshonorés dans l’opinion et de quelques jacobins... Je ne sais quelle lettre du cardinal Bernetti engage les évêques à se confier en la piété du roi, comme si en France il y avait un roi.... Rome, Rome, où es-tu donc Je suis las de l’imbécillité et delà férocité humaine. L’archevêque de Reims s’est hâté de donner l’exemple de la lâcheté... Voilà ce qu’a produit l’infâme prévarication du laïque à calotte ou à bonnet rouge, comme vous voudrez...
[72] La France, disait cet orateur, se couvre de couvents de femmes, par la fâcheuse connivence de son gouvernement. Elle est sillonnée en tous sens par des missionnaires ultramontains. Qu’enseigne-t-on dans ces couvents ? A quoi aboutissent ces missions ? A propager l'idolâtrie du cordicolisme (le culte du Sacré-Cœur), à charger d’honnêtes gens de scapulaires, de rosaires et d’amulettes reçus en première main des jésuites...
[73] Du Progrès de la Révolution et de la guerre contre l'Église (1829). Dans cet ouvrage, Lamennais développait déjà cette idée, qui allait bientôt devenir tout son programme, que l’Eglise, au lieu de s’inféoder à un gouvernement rétrograde qui la compromettait et l’opprimait, devait aspirer à l’indépendance, réclamer hautement le bénéfice des libertés modernes. Nous demandons, disait-il, pour l’Église catholique la liberté promise par la charte à toutes les religions, la liberté dont jouissent les protestants, les juifs, dont jouiraient les sectateurs de Mahomet et de Bouddha, s’il en existait en France... Nous demandons la liberté de conscience, la liberté de la presse, la liberté de l’éducation, et c’est là ce que demandent comme nous les catholiques belges, opprimés par un gouvernement persécuteur. Au fond, depuis quelque temps déjà, surtout depuis son procès de 1826, Lamennais avait cessé d'être royaliste. Sa correspondance privée en fait foi. Il écrivait par exemple le 14 novembre 1828 : Une immense liberté est nécessaire pour que les vérités qui doivent sauver le monde, s’il doit être sauvé, se développent comme elles le doivent. Et un peu plus tard : Il faut que tout se fasse par les peuples, c'est-à-dire par un peuple nouveau, formé peu à peu sous l’influence du christianisme mieux conçu, au milieu des nations en ruine (11 janvier 1829)... Quand les catholiques aussi crieront liberté, bien des choses changeront (5 janvier 1829).
[74] Qui se vantait, bien à tort, de l’avoir fait élire.
[75] Né en 1796, mort en 1874. Il devint plus tard évêque de Langres (1832), archevêque de Besançon (1834) et cardinal (1850).
[76] Louis-François-Auguste de Rohan-Chabot, prince de Léon, duc de Rohan, chambellan de l’empereur en 1808, pair de France en 1816. Devenu veuf, il était entré au séminaire de Saint-Sulpice en 1819 et, à peine ordonné prêtre, avait été nommé vicaire général de l’archevêché de Paris (1822). Membre de la Congrégation depuis 1806, il fut appelé à en prendre la direction lors de la retraite du P. Ronsin (février 1828), mais ne put remplir celle charge, ayant été fort peu après nommé archevêque d’Auch, puis archevêque de Besançon. Il fut élevé au cardinalat le 5 juillet 1830.
[77] G. de Grandmaison, la Congrégation, p. 356.
[78] Le prince de Polignac appartenait à la Congrégation depuis 1814. Il en avait été préfet, c’est-à-dire président, en 1820.
[79] A la même époque, le Journal des Débats, incriminé pour avoir comparé les Bourbons aux Stuarts, était aussi renvoyé des fins de la plainte. Aussi le roi fit-il, le 1er janvier suivant, un accueil plus que froid à la cour de Paris, et la duchesse d'Angoulême lui fit-elle positivement affront.
[80] Par exemple, la translation solennelle des reliques de saint Vincent-de-Paul à Saint-Denis (25 avril).
[81] On remplaça ce mot par celui de merveilles au Moniteur. Mais l’archevêque avait bien dit victoires. Dans le même temps, Forbin-Janson, évêque de Nancy, appelait la vengeance du ciel, non plus seulement sur les ennemis du dehors... mais au sein de la patrie sur tous les cœurs égarés ou coupables qui ne pouvaient demeurer ennemis du roi sans être aussi les ennemis de Dieu, de la gloire et de la grandeur de la France.