I. Le parti de la réaction religieuse en 1814. — II. Les Jésuites et la Congrégation. — III. Louis XVIII et sa famille. — IV. Première Restauration. — V. Napoléon et les Cent-Jours. — VI. La Terreur blanche et la Chambre introuvable. Les missions. — VIII. Négociations en cour de Rome. — IX. Le concordat de 1817. — X. Réaction gallicane. — XI. Nouveaux progrès du parti prêtre. — (1814-1821).*****SOURCES. — Lamennais, De la Tradition de l'Eglise sur
l'institution des évêques (1814) ; idem, Influence des doctrines
philosophiques sur la société (1815) ; idem, Du Droit du gouvernement
sur l'éducation (1817) ; idem, Essai sur l'indifférence en matière de
religion (1817-1824) ; idem, Mélanges religieux et philosophiques
(1819) ; idem, Observations sur la promesse d’enseigner les quatre
articles de la déclaration de 1682 exigée des professeurs de théologie
(1818, 1824) ; idem, Réflexions sur la nature et l’étendue de la
soumission due aux lois de l’Eglise en matière de discipline (1820) ;
idem, Quelques Réflexions sur la censure et l’Université (1820). —
Guillon de Monléon, Politique chrétienne de 1815. — Fiévée, Correspondance
politique et administrative commencée en 1814 (1815-1819). — Joly, De
la Nouvelle Eglise de France (1816). — De Rauzan, Lettre sur la
mission qui vient d’être faite à Angers (1816). — Lanjuinais, Opinion
contre la résolution pour supprimer les pensions des prêtres mariés
(1816) ; idem. Appréciation du projet de loi relatif aux trois concordats
avec les articles du dernier concordat, ceux du projet de loi et une revue
des ouvrages suites concordats (1817) ; — Chateaubriand, la Monarchie
selon la charte (1816) ; idem, Mémoires d’outre-tombe (1849). — De
Barral, Défense des libertés de l'Eglise gallicane (1817). — De Bonald
(vicomte), Œuvres complètes (1817- 1819). — Frayssinous, les Vrais
Principes de l’Eglise gallicane (1818). — Clausel de Montais, le
Concordat justifié (1818) ; idem, Coup d’œil sur l’Eglise de France
(1818). — Grégoire, Essai historique sur les libertés de l'Eglise
gallicane (1818). — De Pradt, les Quatre Concordats (1818-1820). —
Lambrechts, Quelques Réflexions à l’occasion du livre de M. l’abbé
Frayssinous intitulé : les Vrais Principes de l’Eglise gallicane (1818).
— De la Luzerne, Articles relatifs à la religion extraits du journal le
Commerce (1818) ; idem, Sur le Pouvoir du roi de publier par une
ordonnance le concordat du 11 juin 1817 (1818) ; idem, Sur la Déclaration
de l’Assemblée du clergé de 1682 (1821). — J. de Maistre, Du Pape
(1819) ; idem, De l’Eglise gallicane dans son rapport avec le souverain
pontife (1821). — Jauffret, Recueil choisi de mandements (1820). —
Lesur, Annuaire historique (1818-1821). — P.-L. Courier, Pamphlets
politiques. — Béranger, Chansons. — Dupin aîné, Les Libertés de
l’Eglise gallicane (1824). — Benjamin Constant, Discours à la Chambre
des députés (1828). — Lacretelle, Histoire de France depuis la
Restauration (1829-1835). — Capefigue, Histoire de la Restauration
(1831-1833). — Crétineau-Joly, Histoire religieuse, politique et
littéraire de la compagnie de Jésus (1811-1846). — A. de Vaulabelle, Histoire
des deux Restaurations (1844 et suiv.). — Beugnot, Mémoires. — A.
Nettement, Histoire de la littérature française sous la Restauration
(1852) ; idem, Histoire de la Restauration (1860-1868). — Duvergier de
Hauranne, Histoire du gouvernement parlementaire en France (1817 et
suiv.) ; Guettée, Histoire des jésuites (1859) ; idem., Mémoires
pour servir à l’histoire de l’Eglise de France pendant le XIXe siècle
(1881). — De Viel-Castel, Histoire de la Restauration, tt. I-X. (1860-
1867). — Thiers, Histoire de l’Empire. — E. Daudet, la Terreur blanche
(1878). — Baron de Vitrolles, Mémoires (1883). — Duc de Broglie, Souvenirs
(1886). — Hyde de Neuville, Mémoires (1889). — Villèle, Mémoires
(1890). — G. de Grandmaison, la Congrégation (2e édit., 1890). —
Pasquier, Mémoires (1893 et suiv.). *****I. — Si les bourbons, rétablis sur le trône en 1814, n’ont jamais pu redevenir populaires et sont tombés pour toujours au bout de seize ans, ce n’est pas seulement pour être rentrés sous la protection de l’étranger qui nous avait vaincus et pour s’être faits les complices de la noblesse qui voulait nous ramener au régime des privilèges. C’est aussi pour avoir trop bien servi le clergé catholique, qui, manifestement, prétendait nous soumettre à la théocratie. Ce dernier mot n’est point une exagération. Voici, en effet, quel était, au lendemain de la Restauration, le programme — hautement avoué — du parti qui prit, à cette époque, la direction du clergé français : Abolir le concordat de 1801, et surtout les articles organiques ; par suite, réduire au minimum, par rapport à l’Église, le contrôle et la surveillance de l’État ; rétablir, autant que possible, entre les deux puissances, les rapports qui les avait unies avant 1789 ; — reconstituer les anciens diocèses, ou au moins la plus grande partie d’entre eux ; — permettre au clergé de redevenir une corporation, c’est-à-dire un État dans un État ; lui refaire une fortune propre et indépendante par une dotation en biens-fonds ou en rentes perpétuelles ; — ouvrir la porte toute grande aux ordres religieux d’hommes et de femmes et leur laisser la faculté non seulement de posséder, mais encore d’accroître indéfiniment leurs biens par les dons et legs des fidèles ; — détruire l’Université, c’est-à-dire l’État enseignant, ou, si ce n’était pas possible, la soumettre à l’Église, et donner au clergé pleine liberté d’ouvrir des écoles de tout ordre ; — rendre officiellement au catholicisme sa situation de religion exclusive, ou, tout au moins, avantagée ; le mettre rigoureusement à l’abri des attaques de la presse ; donner force de loi à ses préceptes, tant pour le dogme que pour la discipline ; — restituer à l’Église la tenue des registres de l'état civil, rayer de nos codes tout ce qu’elle avait désapprouvé ; abolir, par conséquent, le divorce ; faire du mariage religieux une obligation et exiger qu’il précédât le mariage civil ; enfin rétablir les anciennes juridictions ecclésiastiques et relever encore le prestige du clergé en lui assurant quelques bons privilèges judiciaires — toujours comme sous l’ancien régime. Telles étaient les revendications formulées, en 1814, par la petite Eglise, coterie intransigeante et haineuse d’évêques réfractaires[1] non seulement à la constitution civile de 1790, mais au concordat de 1801 et qui, fiers de leur exil, de leurs malheurs, de leur longue fidélité à leurs principes, rentraient maintenant, altérés de vengeance et de domination, avec le roi légitime, dont ils comptaient bien faire l’instrument docile de leur ambition pomme de leurs rancunes. L’espoir de ces prélats ne paraissait pas dénué de fondement, puisque Louis XVIII, à peine assis sur le trône, venait d’appeler leur chef, Talleyrand- Périgord, ancien archevêque de Reims, à la grande-aumônerie de France et d’augmenter l’importance de cette charge en donnant à son titulaire la présidence d’une commission ecclésiastique substituée pour quelque temps au ministère des cultes. Sans doute, les évêques concordataires qui, pour obtenir leurs places, avaient tous pactisé peu ou prou avec l’esprit de la Révolution, n’eussent pas poussé aussi loin leurs exigences. Beaucoup d’entre eux, au fond de Tante, étaient encore gallicans. Mais l’autorité civile, qu’ils avaient tant adulée dans la personne de l’empereur, les avait si fort malmenés, qu’ils croyaient aussi avoir une revanche à prendre. Napoléon ne régnant plus, ils pouvaient sans danger le dénoncer comme l’Antéchrist, flétrir avec indignation son impiété, sa tyrannie ; et ils ne s’en faisaient pas faute. Il leur fallait, pour plaire à la camarilla théocratique des Tuileries, qui dispensait les faveurs du nouveau gouvernement, chanter la palinodie, et ils la chantaient avec un zèle hyperbolique qui faisait parfois sourire les revenants de l’émigration. Ce pape captif, qu’ils avaient si mollement soutenu, était maintenant libre et puissant. Il leur fallait, pour obtenir de lui leur pardon, témoigner à l’ultramontanisme autant de dévouement et de respect qu’ils lui avaient naguère témoigné d’indifférence et de dédain. Du reste, la réaction souhaitée par la petite Eglise devait leur être trop profitable pour qu’ils pussent songer à la contrarier. Et ils sentaient bien que le seul moyen de la rendre possible, dans un pays où dominaient encore les principes de 1789, était de marcher en étroit accord avec le Saint-Siège. Quant au bas clergé, la liberté relative dont il avait joui sous l’ancien régime n’existait plus pour lui. Les lois nouvelles l’avaient placé, à l’égard de l’épiscopat, dans un état de dépendance presque servile, qui ne lui permettait guère d’avoir d’autre volonté que celle de ses chefs hiérarchiques[2]. Du reste, les curés patriotes de la Constituante étaient morts pour la plupart. A leur place végétaient dans les paroisses des prêtres jeunes, ignorants, fanatiques, élevés dans la haine de la Révolution, mettant leur amour-propre et leur gloire à contribuer, pour leur part, à la reconstitution, au triomphe de la caste sacerdotale. L’esprit de la Vendée avait envahi les presbytères. II. — La contre-révolution catholique devait trouver des auxiliaires plus résolus, plus dévoués encore, dans les ordres monastiques, que Napoléon avait laissés renaître, mais qu'il avait du moins su contenir et qui pouvaient maintenant tout espérer des complaisances d’un Roi Très Chrétien. Plus de deux cents congrégations ou communautés de femmes avaient été autorisées par l'empereur. Beaucoup d’autres s’étaient formées en dehors des lois et comptaient, non sans raison, sur la bienveillance du nouveau gouvernement. Plusieurs congrégations d’hommes, telles que celles de Saint- Lazare, du Saint-Esprit, des Missions étrangères, de Saint-Sulpice, sans parler de celles des Écoles chrétiennes, avaient également joui des faveurs impériales. Il est vrai que vers la fin, plusieurs d’entre elles avaient été l’objet de mesures rigoureuses[3]. Mais, fort peu après le rétablissement des Bourbons, toutes recouvrèrent leur liberté d’action, leurs avantages, leurs privilèges. Et c’est aussi à la suite de cet événement qu’on vit reparaître et grandir, en France, sans que le gouvernement semblât y prendre garde, la redoutable Compagnie de Jésus, jadis expulsée par Louis XV, abolie par Clément XIV, mais rétablie cette année même (7 août 1814) par Pie VII, qui voyait en elle, avec raison, l’agent tout à la fois le plus ingénieux, le plus actif, le plus fidèle et le plus puissant de la politique ultramontaine. Dès la première année du nouveau règne, les Jésuites, qui s’étaient naguère introduits en France sous un faux nom et dont Napoléon n’avait pas voulu[4], ouvrirent dans le royaume de grands établissements d’éducation, et fondèrent, à Montrouge, c’est-à-dire aux portes de Paris, une maison professe qui devait être la pépinière de la contre-révolution. Sous l’autorité de leur provincial de Paris, ils purent étendre méthodiquement leurs opérations dans nos départements. Dissimulant du reste, avec soin, leur titre impopulaire, ils se faisaient petits, s’appelaient Paccanaristes, ou Pères de la Foi, niaient ou faisaient nier par leurs amis qu’ils appartinssent à l’institut d’Ignace et cachaient si bien leur véritable état, qu’il fallut, on le verra plus loin, plus de dix ans pour les démasquer. C’est sous leur autorité immédiate que passa, dès le 11 septembre 1814, la congrégation de la Vierge, dont nous avons signalé plus haut les débuts, et dont les agissements, vrais ou supposés, devaient faire un si grand tort au gouvernement de la Restauration. C’est en effet à cette époque qu’un des leurs, le P. Ronsin, fut autorisé par ses supérieurs à en prendre la direction ; dès lors, cette association, qui symbolisa bientôt aux yeux du public l’alliance intime du trône et de l’autel[5], prit un rapide accroissement et put, grâce à la bienveillance des pouvoirs publics, multiplier ses moyens d’action. Elle ne changea rien, il est vrai, à ses statuts et à son fonctionnement régulier. Les adhérents, dans leurs réunions générales de la rue du Bac, se bornèrent, comme autrefois, à pratiquer en commun des exercices de piété et à se concerter pour des œuvres charitables. Mais il est difficile d’admettre que, pour beaucoup d’entre eux, ultramontains et royalistes militants, l’unique préoccupation fût de prier et de secourir les pauvres. La congrégation s’était d’abord recrutée surtout dans la jeunesse des écoles[6]. Mais son influence n’avait passer le cercle des professions libérales. On a vu que, de bonne heure, en s’attachant certains représentants de l’ancienne noblesse — Mathieu et Eugène de Montmorency, Alexis de Noailles, Charles de Breteuil, le duc de Rohan, etc. —, elle avait pris les allures d’une agence politique d’opposition à l’Empire et de contre-révolution. Au lendemain de la Restauration, les gentilshommes affluèrent dans ses rangs ; si l’esprit de l’émigration n’y eût déjà régné, ils l’y eussent promptement fait prédominer. C’est ainsi que, dès 1814, des hommes comme Jules de Polignac — le futur ministre —, le colonel de Gontant — gouverneur des pages de Monsieur —, Louis de Rosambe, Alphonse de la Bouillerie, etc., vinrent y renforcer l’élément aristocratique, non sans y entraîner un certain nombre de fonctionnaires[7], qui ne se trouvèrent pas mal de les avoir suivis. Le zèle avec lequel la noblesse servit dès lors la cause de la contre-révolution religieuse ne doit pas nous étonner. Elle avait en effet depuis longtemps renoncé à ses allures voltairiennes d’avant 1789 et, à très peu d’exceptions près, faisait maintenant étalage de dévotion. Au fond, les gentilshommes revenus de l’émigration n’étaient peut-être pas beaucoup plus croyants qu’autrefois. Mais la solidarité d’intérêts qui, depuis la Révolution, les liait si étroitement aux prêtres avait fait naître en eux un zèle chaque jour grandissant pour la religion. Ils faisaient élever leurs enfants dans l'orthodoxie la plus exclusive. Ils comprenaient fort bien de quel secours leur serait l’Église pour obtenir, sans parler du rétablissement de leurs privilèges, la restitution de leurs biens confisqués. Ajoutons que certains d’entre eux étaient fort sincères dans leur fanatisme. On ne peut douter par exemple que le vicomte de Bonald, théoricien connu de l’absolutisme et de la théocratie[8], ne fût de fort bonne foi dans sa sinistre politique de réaction ; et, si la vanité, comme l’ambition, entraient pour beaucoup dans la religiosité théâtrale et romantique d’un Chateaubriand, on ne peut nier que ce grand écrivain ne fût, du moins à cette époque, dévoué de tout cœur au parti prêtre en même temps qu’à la religion. III. — On aurait pu croire que Louis XVIII, chez qui l'âge et les malheurs n’avaient pas tout à fait détruit le scepticisme railleur de la jeunesse, résisterait avec énergie à des entraînements cléricaux qui devaient amoindrir sa couronne. De fait, il ne partageait pas les fureurs de son entourage ecclésiastique. Dans la charte qu’il avait bien voulu octroyer à ses peuples, il avait, sans trop de peine, consenti à proclamer la liberté des cultes et leur droit à une égale protection ; il avait aussi déclaré que la vente des biens nationaux serait irrévocable ; enfin que la presse serait libre, comme la tribune[9]. C’étaient là des concessions dont la France nouvelle avait lieu de lui savoir gré. Mais elle ne pouvait constater, sans quelque inquiétude, que la dite charte proclamait la religion catholique religion de l'Etat[10]. Ces mots, qui n’avaient pas de sens dans un pays où la liberté des cultes était établie par la loi, ne dissimulaient-ils pas quelque arrière-pensée d’intolérance ? On le disait, et on n’avait pas tout à fait tort. Les ultra-catholiques comptaient bien en tirer profit et rêvaient pour leur Église des avantages qui eussent bien pu dégénérer en monopole. D’ailleurs, l’auteur de la charte ne déclarait-il pas bien haut qu’il régnait de droit divin, qu’il ne relevait que de la Providence ? Par suite, son autorité ne restait-elle pas supérieure à celle de la charte elle-même ? Ne s’était-il pas réservé par l’article 14 la faculté de déroger aux lois dans des circonstances graves, et ces circonstances graves, les ennemis de la Révolution ne pourraient-ils pas les faire naître ? Il faut ajouter que Louis XVIII, qui aimait à se faire appeler fils de saint Louis, roi très chrétien, fils aîné de l'Eglise, mettait son honneur à prouver que son zèle pour la religion n'était pas inférieur à celui de ses aïeux. Il avait, du reste, une condescendance très explicable pour les prêtres qui, durant près d’un quart de siècle, avaient partagé fidèlement sa mauvaise fortune. Comme eux, il tenait à effacer, autant que possible, les traces de la Révolution. Comme eux, il abhorrait les lois de Bonaparte en matière ecclésiastique, moins peut-être parce qu’elles lui paraissaient impies que parce qu'elles étaient le fait d’un usurpateur. Il jugeait, du reste, fort politique de faire de larges concessions à l’Église et de la fortifier, parce qu’il avait besoin d’elle pour s’affermir lui-même sur son trône encore chancelant. Enfin il faut bien dire aussi que vieux, indolent, malade, il tenait par-dessus tout à son repos et que sa famille ne lui en eût guère laissé s’il ne se fût prêté dans une certaine mesure à la contre-révolution religieuse. Monsieur, son héritier, esprit étroit et sans culture, ankylosé dans ses préjugés, souhaitait passionnément et de toute sou âme la réaction rêvée par la petite Église. C’était vraiment l’homme-lige de ce parti. On verra plus loin comment, pour lui complaire, il compromit et perdit sa couronne. En attendant, il le servait passionnément auprès de son frère. Ses fils, quoique avec moins d’ardeur, le secondaient de leur mieux. Et l’influence de la duchesse d’Angoulême — fille de Louis XVI —, qui était en même temps sa nièce et sa bru, n’était pas non plus de nature à détourner le roi de la voie dangereuse où voulaient l’entraîner les évêques. Cette princesse, dont le caractère naturellement dur était de plus aigri par le malheur, avait mis sans réserve au service de l’Église sa piété violente et haineuse. Elle devait être un des mauvais génies de la Restauration. Au cours d’un voyage que la duchesse fil dans les départements de l’Ouest, peu de mois après l’avènement de Louis XVIII, on remarqua fort son refus hautain de recevoir les hommages d’un évêque qui, bien que parfaitement en règle avec le Saint-Siège depuis 1804, lui paraissait indigne de pardon pour s’être soumis autrefois à la constitution civile du clergé. Le comte d’Artois ne repoussa pas d’une façon moins mortifiante, et pour les mêmes motifs, ceux du vertueux archevêque Lecoz, à Besançon. La dévotion n’avait tenu qu’une place fort restreinte aux Tuileries sous Napoléon. Elle y rentra en maîtresse sous les Bourbons. Il fallut, pour plaire à la famille royale, qui ne manquait guère à ses devoirs religieux, remplir ostensiblement les siens. Le maréchal Soult, ministre de la guerre, qui avait si peu respecté les chapelles en Espagne, s’en fit construire une dans son ministère pour n’être pas tenté de manquer la messe. Les grands corps de l’État suivirent les processions. On y vit figurer pieusement les mécréants du Directoire, les soudards de l’Empire, les détrôneurs de Pie VI et les geôliers de Pie VII. Les princes s’y montrèrent eux-mêmes, cierge en main, sans s’apercevoir que le peuple de Paris, déshabitué depuis longtemps de pareils spectacles, souriait quelque peu sur leur passage. On les vit aussi, ce qui parut plus grave, célébrer par des services funèbres la mémoire du chouan Cadoudal, du traître Moreau, et solenniser à Saint-Denis la date du 21 janvier par une cérémonie religieuse, au cours de laquelle l’évêque de Troyes, M. de Boulogne, chargé de l’oraison funèbre de Louis XVI, attaqua la France de la Révolution en termes si violents, que le roi dut interdire la publication de son discours dans le Moniteur. IV. — Que la famille royale lit ainsi éclater sa piété, que le clergé multipliât les cérémonies expiatoires, c’était, après tout, leur droit, et personne n’en souffrait. Mais user de contrainte pour associer des citoyens aux fêtes de l’Église, c’était évidemment donner une entorse à la charte, qui avait promis la liberté des cultes. Or telle était dès cette époque la prétention des réacteurs, prétention couronnée de succès, puisqu’une ordonnance de police du 7 juin 1811, transformée peu après en loi positive, prescrivit, sous des peines assez graves, que le dimanche les travaux ordinaires seraient suspendus et que notamment les magasins et cabarets seraient fermés pendant les offices[11]. De pareilles vexations, pour n’être pas très cruelles, n’en étaient pas moins l'indice d’une intolérance qui ne demandait qu’à grandir et à s’ériger en système. On remarquait, non sans inquiétude, que le ministère de l’intérieur, dont les attributions étaient alors beaucoup plus étendues que de nos jours, avait été confié à un ecclésiastique, l’abbé de Montesquiou, connu pour l'énergie avec laquelle il avait combattu les principes de la Révolution à l’Assemblée constituante. Ce personnage, non content d’une épuration administrative dont l’autel comme le trône avait fait son profit, soumettait la presse, par la loi du 3 octobre 1814, votée sur sa proposition, à un régime à peu près discrétionnaire[12]. Les émigrés venant d’obtenir la restitution pure et simple de la portion de leurs biens qui n’avait pas encore été vendue, les amis de l’Église demandaient pour elle la même faveur. Heureusement, une telle largesse, que l’état de nos finances eût rendue scandaleuse, nécessitait une loi. Or la chambre des députés, qui n’était, sous un autre nom, que le corps législatif de l’Empire, et la chambre des pairs, où les sénateurs de Napoléon formaient encore la majorité, n’étaient pas disposées à pousser aussi loin la condescendance. Il fallait attendre. En attendant, on se hâta d’effectuer d’autres conquêtes sans recourir aux chambres et au moyen de simples ordonnances royales. C’est ainsi que, d’un trait de plume, Louis XVIII crut devoir accorder aux écoles secondaires ecclésiastiques, ou petits séminaires, des privilèges qui, en peu de temps, devaient rendre à peu près illusoire le monopole universitaire institué par Napoléon. Les archevêques et évêques furent autorisés à fonder dans chaque département au moins un établissement de ce genre. Ces écoles, dont le personnel, nommé par eux, restait sous leur direction exclusive, ne devaient pas, il est vrai, recevoir d’externes, et leurs élèves, qui étaient censés se destiner à la prêtrise, devaient porter l’habit ecclésiastique. Mais elles pourraient recevoir des dons et legs, et les dits élèves, dispensés désormais de suivre les cours des lycées ou des collèges, le seraient également de payer la rétribution universitaire, ainsi que les droits d’examen et de diplôme du baccalauréat ordonnance du 3 octobre (1814). Et le clergé, s’attachant aux articles de ce règlement qui lui étaient profitables, n’allait pas tarder à transgresser les autres, grâce à l’infatigable tolérance de l’administration. L’Université fut, du reste, bientôt menacée d’un coup encore plus sensible. Le 17 février 1815, une autre ordonnance, fondée sur le caractère césarien qu’elle gardait encore et sur la nécessité de diriger l'éducation nationale dans le sens des bonnes doctrines, supprimait purement et simplement ce grand corps et lui substituait, sous l’autorité d’un conseil royal de l’instruction publique, dont la présidence était attribuée à un prélat[13], dix-sept universités régionales, chacune sous un recteur, assisté d’un conseil où entreraient de droit non seulement les préfets, mais les évêques. La dignité de grand maître était abolie. C’était l’inféodation pure et simple de l’enseignement public à l’administration et surtout à l’épiscopat. Il est vrai que, le retour de l’île d’Elbe ayant eu lieu fort peu de jours après la publication de cette ordonnance, elle resta lettre morte. La réapparition de l’empereur, en mars 1815, interrompit, d’autre part, la négociation que Louis XVIII, poussé par le grand aumônier, venait d’entamer à Rome au sujet du Concordat. Ce souverain, auquel on avait persuadé qu'il n’était pas de sa dignité de gouverner l’Eglise de France avec les lois de Buonaparte, avait manifesté depuis plusieurs mois le désir d’annuler le traité conclu par l’usurpateur avec le Saint-Siège en 1801, pour revenir simplement au concordat de François Ier. Il eût dû se souvenir que cet acte avait toujours été fort impopulaire en France ; de plus, que beaucoup de ses prescriptions étaient tombées en oubli avant la Révolution, et que presque toutes celles qui étaient encore observées en 1789 se retrouvaient en substance dans la convention consulaire. Mais il mettait avant tout son honneur à déchirer un pacte qui ne portait pas le cachet de la légitimité. Il voulait aussi que les évêques actuels fussent amenés à se démettre de leurs fonctions et que les cent trente et quelques diocèses de l’ancienne France fussent rétablis, au moins en principe. Il se réservait d’en réduire le nombre ultérieurement, d’accord avec le pape, et de pourvoir d’une nomination nouvelle ceux des prélats démissionnaires qu’il en jugerait dignes. Ces prétentions, qui paraissaient toutes simples aux politiques de la petite Église, ne furent d’abord que médiocrement goûtées en cour de Rome. Consalvi, redevenu depuis peu secrétaire d’État, et Pie VII, son maître, objectèrent que le pape était infaillible ou qu’il ne l’était pas ; que, s’il l’était, ce dont le Roi Très Chrétien n’avait pas le droit de douter, il n’avait pu errer en concluant le Concordat de 1801. Le Saint-Père lui aussi avait sa dignité. Lui demander de se déjuger, c’était vouloir affaiblir son autorité, plus encore, le déshonorer. Comment, du reste, pourrait-il exiger d’évêques régulièrement institués par lui qu'ils résignassent leur mandat ? Et, s’ils s’y refusaient, de quel droit pourrait-il passer outre ?[14] Bref, il était d’avis que le plus pressé, pour le moment, c’était de pourvoir aux sièges épiscopaux, dont sa querelle avec Napoléon avait jusqu’alors prolongé la vacance, et d’augmenter le nombre des diocèses dans la mesure qui, d'un commun accord, serait reconnue raisonnable. Ces propositions, transmises à la commission ecclésiastique instituée par Louis XVIII, ne lui plurent pas. Elle renouvela les siennes. Mais l’ambassadeur de France à Home, Cortois de Pressigny[15], vieux prélat cassant et têtu, n’avait pas l’oreille du souverain pontife. Il insista vainement. Rien n’était encore conclu au moment où Louis XVIII, chassé par Napoléon, reprit en fugitif le chemin de l’exil (mars 1815). V. — L’Église de France, qui avait vu sans peine, et même avec joie, l’empereur tomber du trône, ne l’y vit remonter qu’avec effroi. L’homme de l’ile d’Elbe, obligé, pour réagir à sou tour contre la réaction bourbonienne, de resserrer les liens qui l’attachaient au parti révolutionnaire, revenait presque jacobin, plein de complaisance pour les hommes de 89 et même pour ceux de 93, en tout cas moins disposé que jamais à subir l’influence des prêtres. Il laissait maintenant crier : A bas la calotte ! et permettait aux journaux de bafouer les ministres d’une religion dont il s’était autrefois posé comme le restaurateur. Il rendait à l’Université son vrai caractère en lui donnant pour grand maître un de ses anciens collègues du Consulat[16]. Son ministre de l’intérieur, Carnot, en favorisant de tout son pouvoir l’enseignement mutuel, récemment importé d’Angleterre[17], annonçait l’intention de démocratiser et de laïciser l’instruction primaire. L’Acte additionnel aux constitutions de l’Empire garantissait aux Français, en termes autrement nets que ceux de la charte, la liberté des cultes et celle de la presse, ainsi que l’inviolabilité des biens nationaux[18]. Il n’est donc pas étonnant que le clergé fit des vœux pour le prompt écroulement de la puissance napoléonienne. Très peu de prêtres assistèrent l’empereur au champ de Mars, le jour de la Fédération (1er juin 1815). Beaucoup au contraire, étaient allés rejoindre la cour de Gand ou étaient avec elle en correspondance secrète. L’Église n’avait pas été étrangère aux tentatives de résistance que l’autorité impériale avait eu à réprimer dans les départements du Midi en mars et avril. Elle eut, de plus, une part considérable au soulèvement royaliste qui se produisit en Bretagne et en Vendée, vers le milieu de mai ; et l’on sait que Napoléon dut employer à combattre la nouvelle chouannerie trente mille hommes qui, s'il les avait eus à Waterloo, lui eussent probablement donné la victoire. VI. — La seconde Restauration, dont les circonstances sont bien connues, devait provoquer à l’égard de la Révolution et de l’Empire une explosion de haine et de vengeance bien autrement violente que la réaction de 181 i. Nous n’avons pas à retracer ici les scènes de Terreur blanche, l’armée nationale dissoute, la France occupée et mise à sac par un million d’étrangers, nos généraux proscrits, jugés, fusillés, les patriotes massacrés, l’assassinat et le pillage déchaînés au nom du roi, la délation partout, cent mille suspects incarcérés. Mais il est bon de faire remarquer qu’à cette orgie de représailles, les passions religieuses prirent presque autant de part que les passions politiques. C'est surtout dans certains départements du Midi, comme ceux du Gard et de Vaucluse, qu’elles se déchaînèrent avec une violence et une sauvagerie que le gouvernement fut tout d’abord impuissant à refréner. Les Trestaillons, les Truphémy, les Graffan et autres bandits purent impunément, pendant plusieurs mois, massacrer des protestants, outrager ou maltraiter leurs femmes, piller leurs propriétés. Les esprits étaient encore si échauffés à Nîmes, au mois de novembre, que le général Lagarde, qui commandait les troupes royales, y fut grièvement blessé en essayant de protéger un temple calviniste contre une populace soi-disant catholique. Il fallut, pour prévenir de plus grands malheurs, faire occuper militairement cette ville jusqu’au mois de janvier suivant. En certains endroits, les préfets, pour comble de honte, durent recourir, pour le rétablissement de l’ordre, aux troupes autrichiennes cantonnées sur notre territoire. Presque partout les évêques, loin de prêcher la paix, attisaient la discorde par des mandements furieux, où ils dénonçaient à la vindicte publique non seulement les amis de la Révolution, mais les simples acquéreurs de domaines nationaux. C’est au milieu de ces horreurs que s’accomplirent, au mois d’août 1815, les élections législatives. On sait qu’elles donnèrent naissance à cette chambre introuvable, dont la fougue contre-révolutionnaire, d'abord très goûtée de Louis XVIII, ne devait pas tarder à lui paraître excessive et embarrassante. Les La Bourdonnaye, les Castelbajac, les Marcellus, les Villèle, les Corbière et autres radicaux de la réaction y dominèrent dès le premier jour. Il fallut commencer, pour leur complaire, avant même qu’ils fussent réunis, par renvoyer Fouché, Talleyrand, et constituer, sous Richelieu, un ministère à leur sens vraiment royaliste. Cette assemblée, à peine ouverte, se mit à régulariser la Terreur, qui, grâce à la loi du 29 octobre 1815 sur la liberté individuelle, à celle du 9 novembre sur les cris, discours et écrits séditieux, à celle du 20 décembre sur les cours prévôtales, enfin à celle du 12 janvier 1816 sur les régicides, fut érigée en système de gouvernement. Mais ces mesures d’ordre politique ne lui firent pas un instant perdre de vue la contre-révolution religieuse, qu’elle souhaitait aussi avec fureur et dont elle était bien résolue à ne pas souffrir l’ajournement. La chambre des pairs, soigneusement épurée depuis la rentrée du roi, la voulait aussi[19]. La campagne fut menée vigoureusement dès le début, et, si elle n’eut pas tout le succès qu’espérait le parti ultra-royaliste, ce ne fut assurément pas sa faute. La faction réussit à faire rayer du code le divorce, comme contraire à la doctrine catholique[20]. On lui substitua le régime de la séparation de corps, qui avait à ses yeux le mérite de se concilier avec le dogme romain de l’indissolubilité du mariage. Vainement quelques libéraux firent-ils observer que la loi permettait aux Français de n’être pas catholiques. Les ultras ne voulurent rien entendre. Ils demandaient, du reste, bien davantage, et la Chambre introuvable vota, sur la proposition de Lachèze-Murel, la restitution des registres de l’état civil au clergé. Mais la réaction qui se produisit contre elle, comme on le verra plus loin, ne permit pas l’accomplissement de cette réforme. Elle obtint du moins que les pensions allouées autrefois par la Convention aux prêtres mariés fussent supprimées et reportées sur les ecclésiastiques en activité. Mais ce n’était guère là pour elle qu’une satisfaction de principe. Elle rêvait, pour améliorer la condition matérielle du clergé, des mesures autrement sérieuses et productives. Tout d’abord, elle voulait liberté entière pour l’Église — qui ne l’avait pas eue, même sous l’ancien régime — de s’enrichir par des donations et des legs, qui pourraient être acceptés par des bureaux diocésains, véritables personnes civiles, chargés d’administrer les biens ecclésiastiques et d’attribuer les bénéfices. Cette exorbitante proposition fut adoptée par elle, mais la chambre haute l’amenda, et de fait il n’y fut pas donné suite pour le moment. Ce qui semblait surtout lui tenir au cœur, c’était la restitution au clergé, non pas de la totalité de ses anciens domaines — ils étaient vendus en grande partie, et une pareille exigence aurait provoqué une nouvelle révolution —, mais au moins de la partie de ces biens que l’État détenait encore, et qui consistaient principalement en forêts, produisant environ dix millions de revenus. Le ministre des finances — Corvetto — demandait plus sagement que ces bois fussent aliénés et que leur prix fût employé au paiement des six à sept cents millions d’arriéré, c’est-à-dire de dette exigible, dont le gouvernement, si obéré déjà pour d’autres causes, était à ce moment grevé. Après de longs et violents débats, les ultras durent renoncer à la satisfaction immédiate qu’ils exigeaient ; mais l’État, de son côté, dut suspendre jusqu’à nouvel ordre la vente de ces bois et payer ses créanciers en billets. La question était donc simplement réservée (23 mars 1816). Elle ne tarda pas, du reste, à se reproduire et à s’aggraver. Les biens non vendus, sans doute, c’était quelque chose aux yeux de l’Église. Mais elle voulait davantage, c’est-à-dire l’équivalent des autres en argent. Elle demandait donc — par l’organe de Blangy et de Roux-Laborie — une dotation égale à celle que l’Assemblée constituante lui avait fait autrefois espérer, et cela non pas sous la forme d’une allocation annuelle, mais sous celle d’une inscription de rentes au grand livre de la dette publique. C’était un revenu de 82 millions, ou un capital d’environ 2 milliards, qui lui eût été ainsi assuré. Elle voulait bien pour le moment n’en exiger que les deux tiers ; mais elle n’accordait que cinq ou six ans de délai pour le reste. L’énormité de cette prétention produisit, même dans la chambre introuvable, un effet fâcheux. Mais au bout de quelques semaines, les politiques du parti revinrent à la charge. Cette fois, ils ne demandaient plus qu’une inscription de 42 millions de rentes ; mais ils remettaient en avant la restitution des biens non vendus. Les énergumènes de la droite parlèrent avec emportement du vol fait autrefois à l’Église. D’excellents royalistes, comme de Serre, leur répondirent qu’accorder au clergé une dotation permanente, c’était le reconstituer comme corporation politique ; que nul, sous l’ancien régime, n’avait jamais contesté à l’État le droit de supprimer des corporations ; que, les corporations une fois abolies, leurs biens devenaient, par déshérence, la légitime propriété de l’État ; que la loi n’avait point affaire au clergé, comme personne morale, mais aux ministres du culte ; que le culte n’était à ses yeux qu’un service public ; qu’elle devait y pourvoir, comme aux autres, par le vote annuel d’une somme en rapport avec ses besoins ; que cette somme ne pouvait pas être la représentation d’une dette qui n’existait pas ; qu’enfin, tous les autres services publics se contentant de la garantie du budget, les agents du culte pouvaient bien s’en contenter aussi. Ces excellentes raisons firent tomber la proposition en ce qui concernait les rentes. Mais la chambre vota le retour à l’Église des domaines non vendus (24 avril 1816) ; Louis XVIII, très mécontent de cette décision, n’allait pas tarder à en arrêter les suites en clôturant la session de cette embarrassante assemblée. Mais ce n’était pas seulement par l’argent que la chambre introuvable avait voulu faire l’Église grande et forte, c’était aussi par l’influence morale de l’enseignement, dont le clergé réclamait hautement le monopole, au préjudice de l’État. Le gouvernement royal, rétabli en juillet 1815, n’avait pas donné suite à la fâcheuse ordonnance du 17 février précédent sur l’Université. Mais, s’il avait cru devoir maintenir provisoirement l’unité de ce grand corps, il lui avait fallu, dès le 15 août, donner une satisfaction relative à ses ennemis en supprimant par ordonnance la grande maîtrise et lui substituant une simple commission d'instruction publique, placée sous l'autorité du ministre de l’intérieur — qui était alors Vaublanc, l’un des plus ardents meneurs de la réaction —. Cette commission, où l’abbé Frayssinous, l’ancien conférencier de Saint-Sulpice, persécuté par Napoléon, fut appelé à siéger, eut, il est vrai, pour président Royer-Collard, qui devait plus tard, à ce titre, faire preuve d’indépendance. Mais, à cette époque, Royer-Collard, comme ses collègues, tenait par-dessus tout à royaliser et christianiser l’Université. Aussi en vit-on bientôt éliminer un tiers des recteurs, beaucoup de proviseurs et de professeurs, tandis qu’un grand nombre de prêtres y étaient brusquement introduits. Plusieurs facultés des lettres et des sciences furent en outre supprimées dans le même temps. Un peu plus tard (29 février 1816), une autre ordonnance, sous couleur de réglementer l’enseignement primaire, plaça les écoles sous l’autorité de comités cantonaux présidés par les curés et donna pour base à l’éducation du peuple la religion, en même temps que le respect des lois et l’amour du souverain. Les curés devaient avoir, du reste, en vertu de ladite ordonnance, la surveillance directe des écoles. Nul ne pourrait en tenir une, s’il n’avait obtenu de l’un d’eux un certificat de bonne conduite. A eux aussi était attribué, en même temps qu’aux maires, le droit de présenter à l’administration les candidats aux fonctions d'instituteurs communaux. Il va sans dire que les évêques, dans leurs tournées pastorales, avaient le droit de contrôler l’enseignement spirituel donné par les maîtres et que les associations religieuses légalement autorisées étaient admises à la direction des écoles. C’étaient là, on en conviendra, de bien graves concessions. Mais à la chambre introuvable le parti de l’Église ne s’en contentait pas. C’était surtout de l’enseignement secondaire qu’il tenait à s'emparer, parce que cet enseignement formait, comme il forme encore, les classes dirigeantes de la société. Suivant un projet soumis par Murard de Saint-Roman à cette assemblée, qui le prit en considération, la religion devait être, dans les collèges comme dans les écoles primaires, le principe essentiel de l'éducation. Les évêques n’auraient pas seulement droit de surveillance et de réforme sur les collèges et les pensions ; ils auraient aussi la haute direction de ces établissements, puisqu’ils nommeraient les principaux et pourraient révoquer les professeurs. Pleine liberté, du reste, leur serait laissée pour la création de nouveaux séminaires. La commission d’instruction publique serait supprimée ; enfin les dix-sept universités régionales annoncées par l’ordonnance du 17 février seraient instituées, sous l’autorité du ministre de l’intérieur. VII. — Tel était le plan, fort simple, il est vrai, imaginé par les furieux de la chambre pour achever de détruire l’Université de France, qu’ils dénonçaient hautement comme un foyer d’immoralité, d’athéisme et de sédition. Pour arrêter ces extravagances et bien d’autres encore, Louis XVIII, invité même par les souverains de la Sainte-Alliance à réagir contre une assemblée qui tendait à usurper son autorité et qui, eu tout cas, la compromettait, prit le parti de la proroger d’abord (29 avril 1816) et, un peu plus tard (5 septembre), de la dissoudre[21]. Les élections de 1816 donnèrent, on le sait, des résultats favorables à la politique sinon très libérale, du moins modérée, que le cabinet Richelieu, effrayé par la Terreur blanche, tendait de plus eu plus à adopter. Vaublanc, dès le mois de mai, avait été remplacé au département de l’intérieur par Lainé, bon royaliste, bon catholique et esprit éclairé, dont un des premiers actes avait été de faire supprimer la commission ecclésiastique de 1814, pour en rattacher les attributions à son ministère. La loi électorale que cet homme d’État fil voter par la nouvelle chambre arrêta pour un temps la contre-révolution, parce qu’elle assurait dans le pays la prépondérance politique à la classe bourgeoise, alors très dévouée à la monarchie, mais non moins attachée à la charte et à la liberté[22]. Grâce à lui et au ministre de la police, Decazes, qui poursuivait aussi une politique d’apaisement, le brigandage réactionnaire cessa peu à peu de sévir dans nos départements ; les associations ultra-royalistes, qui y entretenaient la délation et la terreur[23], furent surveillées et contenues. Quant à l’Église, elle ne fit officiellement, pendant la session législative de 1810-1817, que de faibles progrès. Si une loi nouvelle (du 2 janvier 1817) admit les associations religieuses à recevoir des donations et des legs, — sous réserve de l’autorisation royale, — elle spécifia que seules pourraient jouir de cette faveur les associations reconnues par la loi — l’intervention des chambres deviendrait ainsi nécessaire pour les innombrables ordres qui n’étaient pas encore reconnus —. D'autre part, la vente des biens de l’État, suspendue en 1816, fut autorisée de nouveau, malgré les efforts des ultras (mars 1817). Tout ce qu’ils purent obtenir, c’est qu’il en serait réservé une portion suffisante pour garantir un revenu de 4 millions alloué par les chambres au clergé pour améliorer sa situation. Enfin le budget de l'Université, dont ils demandaient la suppression, fut maintenu, à la suite d’un magistral discours de Royer-Collard démontrant que l’enseignement incombait à l’État comme service public, au même titre que la justice. Cet arrêt relatif de la contre-révolution exaspérait le parti ultra-catholique mais ne le décourageait pas. Il redoublait au contraire de zèle et de ferveur pour propagée dans le pays ce qu’il appelait les bonnes doctrines. L’abbé de Rauzan, chapelain des Tuileries, avait, dès 1814, avec l’aide du remuant abbé Liautard[24], fondé à Paris la société des Missions de France qui, inspirée et soutenue par la grande Congrégation de la rue du Bac, prit, dans le courant de 1816, une extension formidable et répandit bientôt dans la plupart des départements ses émissaires, prédicateurs ignorants, mais fanatiques et hardis, passés maîtres en l’art de la mise en scène et merveilleusement aptes à remuer les foules[25]. Sous prétexte de suppléer à l’insuffisance du personnel sacerdotal dans les paroisses, ces prêtres arrivaient à grand fracas dans les villes ou les villages, prêchaient en plein air, déblatéraient contre l’esprit du siècle et la Révolution, menaçaient les acquéreurs de biens nationaux, organisaient l’espionnage et la délation, provoquaient des processions théâtrales où les fonctionnaires n’osaient se dispenser de les suivre, des prières publiques, des réparations, comme ils disaient, dressaient des chœurs d’hommes et de femmes, adaptaient aux cantiques les plus édifiants les airs les plus profanes[26], élevaient des calvaires, y dressaient en grande pompe des croix de 60 ou 80 pieds de haut, enfin n’épargnaient rien pour rendre la religion sinon aimable, du moins bruyante et populaire. A partir de 1817, ils s’avisèrent de compléter ces manifestations par des autodafés de livres et de brochures dont les philosophes du XVIIIe siècle firent généralement les frais. Ils se faisaient remettre par les fidèles les ouvrages d’orthodoxie douteuse qui pouvaient se trouver dans leurs bibliothèques et les brûlaient solennellement pour la gloire de Dieu. Voltaire, Diderot, Helvétius, d’Holbach, ont dû pour une bonne part à ces exécutions le regain de gloire et de sympathie dont ils ont joui sous la Restauration. Plus les prêtres brûlaient leurs œuvres, plus on les réimprimait et plus on les lisait, comme ils eussent dû s’y attendre[27]. D’un autre côté, le parti ultra-catholique, voyant son influence parlementaire amoindrie, espérait bien, grâce au crédit dont il jouissait en cour de Rome, se dédommager par une grande victoire politique de la déconvenue que lui avait causée l’ordonnance du 5 septembre. Le grand aumônier Talleyrand-Périgord et ses amis avaient en effet obtenu de Louis XVIII la reprise des négociations relatives au Concordat et, grâce au mystère dont ils les enveloppaient, mystère si profond que la plupart des ministres furent jusqu’au bout tenus hors du secret, ils comptaient imposer un beau jour à la France le fait accompli, c’est-à-dire la subordination de la puissance civile à l’autorité religieuse. VIII. — Cortois de Pressigny, qui n’était pas à Rome persona grata, avait été remplacé comme ambassadeur, en mai 1816, par un ancien favori de Louis XVIII, le duc de Blacas, politique à courte vue, qui avait plus de foi que de bon sens et qui, ayant renouvelé à Pie VII les propositions de son prédécesseur, se figura bientôt avoir remporté un grand succès parce que le pape voulait bien ne pas exiger — pour le moment — la restitution d’Avignon[28] et le rétablissement des annates. Le Saint-Père et son ministre, qui avaient fait naguère si froid accueil aux ouvertures du gouvernement français, comprenaient maintenant à merveille quel profit ils pouvaient en tirer. Aussi se montraient-ils beaucoup plus traitables, et on le comprend quand on lit le projet de convention du 25 août 1816, que Blacas transmit de leur part — comme la nouvelle d’une victoire — à son gouvernement. En vertu de ce projet, le concordat de 1516 devait être rétabli ; quant à celui de 1801, il ne serait ni désavoué ni expressément révoqué, mais il cesserait de produire ses effets. Les deux parties contractantes procéderaient de concert à une nouvelle circonscription des diocèses ; le pape et le roi s’arrogeaient le droit, à la suite de ce travail, de déplacer et transférer certains évêques ; enfin — et c’était il la clause la plus grave —, les articles organiques — c’est-à-dire la loi relative à la police des cultes —, que le Saint-Siège n’avait jamais reconnus, seraient formellement abolis. Qu’on ne croie pas, du reste, que la cour de Home bornât ses exigences à cette énorme concession. Avant de transformer en traité définitif le singulier arrangement que je viens d’analyser, le pape demandait encore : 1° que les évêques de la petite Église, qui n’avaient jamais reconnu le concordat de 1801, donnassent enfin leur démission ; 2° que les évêques concordataires, anciens constitutionnels, qui avaient pu, dans ces dernières années, retomber dans leurs erreurs, fissent amende honorable ; 3° enfin que le roi donnât des explications satisfaisantes sur la portée du serment imposé en France à l’égard de la charte, constitution peu orthodoxe, puisqu’elle proclamait la liberté des cultes. A Paris, par contre, ceux des confidents de Louis XVIII qui furent mis dans le secret des propositions romaines les trouvèrent exorbitantes. Decazes notamment remontra au roi le tort qu’il ferait à sa couronne en consentant à la suppression des articles organiques et en reconnaissant au pape, ne fût-ce que pour un moment, le droit illimité de déposséder de leurs sièges des évêques français. Le souverain se rendit à son avis. Il fallut donc négocier de nouveau, et ce ne fut pas sans peine que l'on parvint à s’entendre. Les vieux évêques réfractaires de 1801 furent particulièrement durs à persuader. Six d’entre eux seulement — dont le grand aumônier Talleyrand-Périgord — firent leur soumission, en termes d’ailleurs très vagues et sans désavouer leur passé (8 novembre 1816). Il fut impossible de faire céder les quatre autres, qui repartirent pour l’exil, où ils devaient mourir obscurément dans l’intransigeance finale[29]. Quant à la charte, le roi la maintint telle quelle, mais le serment fut représenté par lui comme n’ayant de portée que dans l’ordre civil et ne pouvant préjudicier aux droits de l’Église ; il fut convenu qu’une déclaration dans ce sens, signée de son ambassadeur, serait annexée au traité. On transigea, d’autre part, sur la loi de germinal, sur les évêques concordataires et sur le droit de déplacement. Enfin la cour de Rome obtint — ce qui, au point de vue des principes, n’était pas sans importance — que la nouvelle circonscription des diocèses fût préalablement soumise au consentement des évêques en exercice[30]. IX. — De cette mystérieuse intrigue, que le public soupçonnait à peine, sortit le concordat du 11 juin 1817, qui allait causer en France tant d’émoi, et dont voici, en substance, les principales clauses : Ce traité stipule d’abord que le concordat de 1516 sera
rétabli et que celui de 1801 cessera d’avoir ses effets. Il abolit ensuite
les articles dits organiques, en ce qu'ils ont de
contraire à la doctrine et aux lois de l'Eglise. Il annonce le
rétablissement des sièges épiscopaux supprimés en 1801, en tel nombre qu'il sera convenu d'un commun accord.
Quant aux sièges actuellement existants, il garantit à leurs titulaires
qu’ils seront conservés, sauf quelques exceptions
particulières fondées sur des causes graves et légitimes[31]. La nouvelle
circonscription ne sera opérée que de leur consentement. Il sera pourvu à l’entretien
de l’Église — sièges épiscopaux, chapitres, séminaires — par une dotation en biens-fonds ou en rentes sur l'Etat,
dès que les circonstances le permettront, et, en attendant, il sera fourni
aux membres du clergé un revenu suffisant pour améliorer leur sort. Ce n’est
pas tout. Sa Majesté devra, de concert avec le Saint-Père,
employer tous les moyens qui seront en son pouvoir
pour faire cesser le plus tôt possible le
désordre et les obstacles qui s’opposent au bien de la religion, à l’exécution
des lois de l’Eglise. Enfin les abbayes et autres bénéfices
existant en 1789 ne seront pas forcément rétablis au nom du concordat de
1516, mais ceux qui seront fondés à l’avenir seront soumis aux règlements
prescrits par ce traité. Les ratifications du nouveau concordat ne tardèrent pas à être échangées. La déclaration promise par Louis XVIII au sujet du serment à la charte fut remise par Blacas le 15 juillet, et, dès la fin du même mois, le pape crut devoir donner la bulle de circonscription promise à la France par l’acte du 11 juin. Dans ce nouveau document, qu’elle avait rédigé seule et sans égards à l’indépendance des couronnes, la cour de Rome, soucieuse de ne pas laisser prescrire ses droits à la domination universelle, parlait de notre pays comme d’une de ses provinces. C’était de sa pleine et libre autorité que le souverain pontife portait à quatre-vingt-douze le nombre des diocèses français — qui n'était à ce moment que de cinquante — et qu’il attribuait à chacun son territoire. C’était en maître et comme s’il eût disposé de nos finances qu’il assignait lui-même au clergé de France des dotations en biens-fonds ou en rentes perpétuelles et, en attendant, des traitements convenables. Et, comme si ces provocations n’eussent pas suffi pour effaroucher notre patriotisme, il mentionnait encore ce qu’il appelait ses droits sur Avignon et le comtat Venaissin. Il voulait bien n’en pas exiger la restitution immédiate ; mais il exprimait l’espoir que le Roi Très Chrétien ne lui refuserait pas trop longtemps au moins une compensation raisonnable. Ce n’est pas tout. Comme s’il eût eu hâte de forcer la main au gouvernement français et de le compromettre au point qu’il ne pût plus revenir en arrière, le Saint-Père, sans plus attendre, donna, dès le mois d’août 1817, l’institution canonique à trente-quatre prélats présentés par le roi et à la plupart desquels étaient assignés des diocèses de nouvelle création. Il va sans dire que la cour de Rome, loin de tenir cachés le récent concordat et la bulle de circonscription, se hâta de les publier dans toute l’Europe. Il plaisait à son orgueil de signaler an monde les énormes concessions qu’elle venait d’arracher à la fille aînée de l’Eglise. Mais elle eût mieux fait de se montrer plus modeste et plus circonspecte. Son triomphe n’était qu’apparent. La fille aînée, au fond, n’était guère d’humeur à se soumettre et n’allait pas tarder à désavouer les intrigants qui, à son insu, avaient fait si bon marché de sa dignité comme de ses intérêts. X. — Avant même que l’opinion publique eût eu le temps de prendre feu, les ministres de Louis XVIII, du moins les plus sensés et les plus patriotes, instruits enfin de ce que la camarilla tramait depuis si longtemps à leur insu, remontrèrent à ce souverain que ni le concordat nouveau ni la bulle ne pouvaient être acceptés en France, parce qu’ils étaient en opposition absolue avec notre droit public, avec les principes du gouvernement constitutionnel et avec les libertés de l’Église gallicane. Le duc de Richelieu, ministre des affaires étrangères, qui avait été tenu au courant des négociations, mais qui n’avait pas une idée très nette des devoirs imposés au roi par la charte, avait d’abord cru qu’il suffirait d’une ordonnance, accompagnée au besoin de quelques réserves sur la portée des ternies employés par la chancellerie romaine, pour rendre exécutoire le traité du 11 juin et les arrangements subséquents. Le garde des sceaux Pasquier, le ministre de la police Decazes, le ministre de l’intérieur Lainé, l’amenèrent bientôt, ainsi que le roi lui-même, à une plus saine appréciation des choses. Comment supprimer par simple ordonnance le concordat de 1801, qui était une loi de l’Etat, régulièrement votée en son temps par le corps législatif ? Comment modifier de même les articles organiques, qui en constituaient une autre, non moins régulière et non moins sacrée ? Comment faire admettre que le roi pût, de son chef, créer de nouveaux diocèses, c’est-à-dire de nouvelles dépenses, sans l'intervention des chambres ? Il fallait donc soumettre au Parlement les arrangements en question au moyen d’un projet de loi, qui serait discuté suivant les formes ordinaires. Mais ce projet pouvait-il n’être que la reproduction pure et simple du Concordat ? Évidemment non. Il était bien certain que les chambres rejetteraient les articles si vagues et si menaçants par lesquels on avait promis d’abolir ce qui, dans les articles organiques, était contraire à la doctrine et aux lois de l'Église, comme aussi de faire cesser le désordre et les obstacles qui s'opposaient au bien de la religion, à l'exécution des lois de l'Eglise. On ne pouvait guère espérer non plus qu’elles volassent une dotation en biens-fonds ou en rentes perpétuelles à l’Église, ni qu’elles permissent la résurrection des lois anciennes en matière de bénéfices, ni qu’elles acceptassent la prétention pontificale de disposer de notre territoire, de nos finances, ni qu’elles admissent ses réserves au sujet d’Avignon. Il fut donc décidé qu’un projet de loi serait présenté aux chambres et qu’il modifierait assez profondément le nouveau Concordat pour leur rendre cette convention acceptable. Mais, si elles le votaient, la cour de Rome voudrait-elle s’en contenter ? D’ores et déjà, c’était plus que douteux. Mais on ne pouvait rester dans le statu quo. Le gouvernement se mit donc à l’œuvre, et le projet en question fut élaboré, sous la direction de Pasquier, par Portalis, aidé d’une commission dont faisaient partie, avec Ravez et Beugnot, Royer-Collard et Camille Jordan, ces deux derniers gallicans intraitables, qui voulaient réduire au minimum les concessions à la cour de Rome et demandaient l’institution d’un serment ecclésiastique analogue à celui de 1790. Adopté ensuite en conseil de cabinet, annoncé par le roi à l’ouverture de la session de 1817 (5 novembre), il lut présenté le 22 novembre à la chambre des députés. Il établissait que dorénavant les évêques seraient nommés
et institués suivant les prescriptions du concordat de 1516. Le maintien des
effets passés du concordat de 1801 serait garanti. La vente des biens
nationaux serait de nouveau confirmée. Les bulles, brefs et décrets du pape
ne pourraient être publiés et exécutés en France sans l’autorisation du roi ;
ils devraient même être soumis aux chambres s’ils intéressaient l'Église
universelle, l’Église de France, leurs lois, leur administration ou leur
doctrine, ou l’État, ainsi que la législation de notre pays. Les appels comme
d’abus seraient portés non plus devant le conseil d’État, mais devant les
cours royales, juridiction de droit commun[32]. Enfin la
réception et la publication du concordat de 1817 ainsi que de la bulle de
circonscription n'auraient lieu que sous réserve expresse de la charte, des lois du royaume et des libertés de l'Eglise
gallicane. C’était en réalité l’abandon du concordat de 1817, c’est-à-dire beaucoup trop pour la cour de Rome. Mais on s’aperçut bientôt que ce n’était pas assez pour l’opinion publique. Le traité du 11 juin était signalé de toutes parts comme l’inféodation de la France et de son gouvernement à la théocratie. Les journaux libéraux ou simplement constitutionnels l’attaquaient avec toute l’énergie que le régime rigoureux auquel ils étaient soumis leur permettait de manifester. De nombreuses brochures et môme de volumineux ouvrages faisaient ressortir avec preuves à l’appui les atteintes profondes dont il menaçait nos libertés et notre droit public[33]. L’irritation qu’il avait fait naître était partagée par la majorité de la chambre des députés. La commission nommée pour examiner le projet du gouvernement ne contenait que deux ultramontains : Trinquelagne et Marcellus, qui, naturellement, repoussaient ledit projet comme attentatoire aux droits du pape, tandis que leurs collègues lui reprochaient au contraire de favoriser outre mesure les prétentions pontificales. Elle eût voulu plus de précautions contre les empiétements du Saint-Siège ; elle souhaitait le rétablissement du serment ecclésiastique, et quelques-uns de ses membres, comme jadis Napoléon, demandaient pour les métropolitains le droit d’instituer les évêques dans le cas où le pape ne l’aurait pas fait au bout de six mois. Par-dessus tout, à la chambre comme dans le public, on trouvait excessive l’adjonction de quarante-deux sièges nouveaux aux cinquante évêchés et archevêchés dont la France s’était jusque-là contentée. Malgré des dispositions si peu favorables, le gouvernement tenait bon. Il espérait, grâce à quelques concessions arrachées au pape, rendre le Parlement plus traitable. Mais ces concessions, il eut fallu les obtenir, et le Saint-Siège les faisait attendre. Un agent spécial, nommé Gaillard, qui passait pour avoir quelque influence sur le cardinal Consalvi, avait été dépêché par le ministère à Rome vers la fin de 1817 et se donnait beaucoup de mal pour décider le pape à approuver la loi Pasquier et à diminuer le nombre des diocèses institués par la bulle de circonscription. De son côté, le ministère essayait d’amener à ses vues l’épiscopat français. Dix-huit prélats, réunis à Paris chez le grand aumônier, déclaraient (le 14 mars 1818) consentir à ce que la circonscription fût modifiée. Mais ils se prononçaient hautement contre le projet soumis à la chambre des députés, et leur correspondance incessante ne contribuait pas peu à entretenir la résistance de la cour pontificale, résistance d’abord sournoise et peu franche, mais qui ne tarda pas à éclater au grand jour. L’ultra-catholique Marcellus, non content de donner au pape, c’est-à-dire à un souverain étranger, des informations sur le travail de la commission dont il faisait partie, lui avait demandé par lettre, en fils soumis de l’Église, ce qu’il devait faire et s’il était permis en conscience de voter le projet de loi. Le Saint-Père lui répondit nettement que lui et ses amis devaient s’en tenir au Concordat et repousser de toutes leurs forces ledit projet. Le bref de Pie VII à Marcellus, dont ce dernier ne fit pas mystère, devait naturellement avoir pour effet de rendre les ultras intraitables et de fortifier les libéraux dans leur opposition. Le gouvernement fut donc réduit, pour éviter un affront ridicule, à retirer son projet de loi, ce qu’il fit décemment dès la fin de mars 1818, en donnant à entendre à la commission qu’elle pouvait ajourner indéfiniment son rapport. Le public applaudit, non sans ironie, à cette reculade. Quant au ministère, il ne put dissimuler à Louis XVIII que le seul parti à prendre au sujet du dernier concordat était maintenant d’en négocier l’abrogation, ou du moins la suspension sans terme, en cour de Home. Mais à cet égard les difficultés semblaient presque insurmontables. Comment le Saint-Siège, qui, dans le principe, n’avait pas paru souhaiter cet arrangement et qui avait feint de ne s’y prêter que pour complaire au Roi Très Chrétien, serait-il amené à y renoncer si promptement et à se déjuger de bon gré ? L’onctueux et conciliant Portalis fut chargé, vers le milieu de 1818, d’aller lui demander ce sacrifice. Il partit donc pour Rome et, de concert avec Blacas, entreprit de démontrer à Pie VII, comme à Consalvi, l'impossibilité on était le gouvernement français de soutenir le concordat de 1817 sans ébranler le trône et, par suite, compromettre la religion. Il allégua que la chambre des députés aurait sans doute fini par se prêter à un compromis raisonnable, mais que la lettre du Saint-Père à Marcellus avait tout gâté. Maintenant il fallait remettre à une époque indéterminée l'exécution du traité. On ne pouvait même pas songer pour le moment à l’établissement des quarante-deux diocèses créés par la bulle de circonscription. Le plus sage était d’autoriser simplement les titulaires des sièges institués en 1801 à administrer les territoires soustraits à leur autorité par ladite bulle jusqu’au moment où il serait possible d’augmenter en France le nombre des archevêchés et des évêchés. Le souverain pontife voudrait bien, en attendant, pourvoir le plus tôt possible aux sièges vacants — dont quelques-uns l’étaient déjà depuis bien des années. La cour de Rome, comme on pouvait s’y attendre, lit tout d’abord la sourde oreille. Elle disait qu'on s'était joué d’elle et que sa dignité ne lui permettait pas de revenir en arrière. Encouragée dans sa résistance par ses correspondants de Paris, qui, lui faisant espérer un changement heureux de ministère, lui recommandaient de gagner du temps, elle demandait si le roi, grâce à l’article II de la charte, ne pourrait pas imposer par ordonnance l’exécution du Concordat. Elle déclarait, du reste, n’avoir pas le droit d’empêcher les évêques régulièrement institués par elle en 1817 d’aller occuper leurs sièges ; en tout cas, elle se refusait formellement à abolir la malencontreuse convention du 11 juin. Après plusieurs mois de pourparlers, Portalis obtint à grand’ peine que le Saint-Siège, non par une nouvelle convention, mais par un acte unilatéral, un motu proprio, comme on dit à Rome, promît d’accorder aux évêques actuellement en fonctions l'autorisation d’administrer provisoirement les nouveaux diocèses. Mais le pape y mit une condition sine qua non, c’est que l’épiscopat français tout entier serait consulté et adhérerait préalablement à cette combinaison. Cette consultation ne souriait guère au gouvernement français, qui pressentait le mauvais vouloir des évêques. Mais le pape tint bon. Tout ce qu’il voulut concéder, ce fut que le bref par lequel il leur demanderait leur avis, au lieu de leur être adressé directement, le serait au chef du ministère, qui servirait d’intermédiaire entre eux et lui. Le bref fut expédié le 15 novembre 1818. Il était destiné au grand aumônier, que le pape semblait ainsi traiter comme le chef et le représentant suprême du clergé français. Mais il était conçu en termes si peu compatibles avec nos lois, que le duc de Richelieu ne crut pas devoir en donner officiellement communication intégrale à ce prélat. Talleyrand-Périgord fut seulement informé par le président du conseil que le Saint-Père le chargeait de consulter les évêques. Déplus, le ministre, redoutant le fâcheux effet d’une assemblée épiscopale, l’invitait à les consulter non pas en corps, mais individuellement, soit de vive voix, soit par écrit. Le grand aumônier, naturellement, se plaignit et insista pour une consultation collective. L’affaire en était là quand se produisit la crise ministérielle depuis longtemps prédite par les ultras. Mais on sait que l’événement trompa leur attente. Au lieu du cabinet de réaction qu’ils souhaitaient, ils virent se former avec Dessoles, assisté de Decazes — leur bête noire depuis le 5 septembre —, un ministère franchement constitutionnel, soutenu par le parti libéral et qui, pour sauver la loi électorale de 1817, menacée par la proposition Barthélemy, n’hésita pas à déplacer la majorité dans la chambre haute par une fournée de soixante pairs (4 mars 1819). Ce nouveau gouvernement essaya aussi pour son compte de gagner du temps et chargea Portalis de traîner les choses en longueur, de faire prendre patience au pape. Mais c’était maintenant le pape qui n’en voulait plus montrer. Ses amis de Paris lui représentaient avec instances la nécessité de renverser au plus tôt un ministère impie qui prétendait respecter les principes de la Révolution, qui à ce moment même rétablissait en France la liberté de la presse et ne signalait même pas comme un des crimes ou des délits qu’elle pouvait commettre le fait d’attaquer la religion de l'Etat[34]. Le souverain pontife crut donc devoir en venir à un ultimatum et déclara que si, dans un délai de quelques semaines, il ne lui était pas donné satisfaction, il ordonnerait aux évêques institués en 1817 et non encore installés d’aller sans plus de retard prendre possession de leurs sièges. Le ministère dut donc s’exécuter ; mais, prenant un terme moyen entre la consultation individuelle et la consultation collective, il se borna tout d'abord à autoriser une dizaine de prélats, désignés par lui, à se réunir chez le grand aumônier. Ce conciliabule ne fut pas plus tôt formé (11 mai), qu’il demanda la permission de s’adjoindre tous les membres de l’épiscopat présents à Paris. On ne crut pas prudent de la lui refuser. Ce fut bientôt une assemblée de plus de quarante membres, où les têtes s’échauffèrent, où l’on demanda communication complète du bref pontifical, ainsi que de la correspondance de Blacas, de Portalis, et où, ne l’ayant pas obtenue, on modifia le projet de réponse au pape présenté par le coadjuteur Quélen au point d’en faire un violent réquisitoire contre le gouvernement. Dans ce factum, les évêques se déclaraient prêts à se soumettre à la décision du souverain pontife, mais sans se prononcer sur les conditions de l’arrangement en question, et profitaient de l’occasion pour tracer le tableau le plus noir des malheurs de l’Église, que le ministère actuel compromettait à leur sens de plus en plus (29 mai). Du reste, comme s’ils eussent craint que le roi n’eût pas compris, ils lui firent parvenir quelques jours après une adresse où, renouvelant leurs doléances et faisant surtout allusion aux récentes lois sur la presse, ils le suppliaient de réduire à l’impuissance les ennemis de Jésus-Christ, qui étaient aussi les siens, de faire rendre à la religion catholique les déférences qui lui étaient dues, de ne plus permettre quelle fut confondue dans les actes de l’administration publique avec les sectes que faisait naître chaque jour la mobilité de l'esprit humain et de ne plus souffrir que le nom de Dieu demeurât étranger à la législation. Le roi, très mécontent des évêques, dont la lettre au pape fut bientôt corroborée par l’adhésion de tout le reste de l’épiscopat français, fut un moment tenté de ne pas l’envoyer à son adresse. Après réflexion, il la fit communiquer, mais à titre confidentiel, au cardinal Consalvi. La lecture de cette pièce n’était pas pour rendre le Saint-Siège plus accommodant. Il fallut pour cela que le roi, par une note officielle, s’engageât à abréger le plus possible les mesures provisoires qu'il sollicitait, à employer, d’accord avec Sa Sainteté, tous les moyens en son pouvoir pour faire jouir l’Eglise de France des avantages d'une position stable et définitive, comme aussi à réaliser, suivant les formes constitutionnelles et dès que les ressources de l'État le lui permettraient, l’augmentation du nombre des sièges épiscopaux. Encore les mots formes constitutionnelles amenèrent-ils quelques objections. Le pape voulut bien enfin clore cette irritante négociation par une réponse à l’épiscopat français et une allocution en consistoire (19-23 août) faisant connaître que le Concordat de 1817 était non pas supprimé, mais suspendu pour certaine difficultés financières et que, en attendant l’exécution des promesses royales touchant la nouvelle circonscription des diocèses, les évêques actuellement en fonctions étaient autorisés à conserver l’administration des territoires confiés à leurs soins en vertu de la bulle de 1801. En même temps, il préconisait les prélats désignés pour les sièges vacants ; par là. pour la première fois depuis plus de dix ans, l’épiscopat français, tel que l'avait constitué la loi de l’an X, se retrouva au complet. XI. — Le parti ultra-catholique ne pouvait pardonner au ministère dont Decazes, grâce à la faveur royale, était le chef véritable, l’avortement du nouveau concordat. Sa fureur fut encore exacerbée par l’avènement officiel de ce personnage à la présidence du conseil (20 novembre 1819). Cette faction, par l’organe de ses orateurs et de ses écrivains, dissimulait de moins en moins ses tendances théocratiques. Bonald se multipliait. Joseph de Maistre publiait le traité du Pape, apologie sans réserve de la souveraineté pontificale appliquée aux gouvernements temporels. Un polémiste ardent et jeune, doublé d’un grand écrivain, Lamennais, soit dans ses livres[35], soit dans les journaux ouverts à sa plume infatigable, soutenait, plus résolument encore que le diplomate sarde, la suprématie politique du Saint-Siège. Des feuilles violentes, comme la Bibliothèque royaliste et surtout le Drapeau blanc, de Martainville, ne tarissaient pas d’injures et de menaces contre l’ordre établi, le ministère athée, etc. Les missions se multipliaient, devenaient chaque jour plus agressives et plus bruyantes[36]. Un de leurs chefs les plus remuants, l’abbé de Forbin-Jamon, venait d’inaugurer en grande pompe, aux portes de Paris, la maison de retraite du mont Valérien. Il est vrai qu’en certaines villes le public, excédé de tant de provocations, commençait à prendre feu. Des missionnaires, conduits par un évêque, étaient hués par la foule à Brest, à Morlaix, et obligés de quitter la place. Dans le même temps, les libéraux de l’Isère, que secondaient, il est vrai, les ultras, toujours enclins à pratiquer la politique de l'excès du mal, profitaient des élections législatives pour envoyer à la chambre des députés l’ancien évêque constitutionnel Grégoire, resté fidèle à sa foi démocratique et gallicane[37]. Peut-être ce conflit aigu d’opinions et de polémiques n’eut-il pas tardé à produire quelque grand ébranlement populaire, si l’assassinat imprévu du duc de Berry (13 février 1820) n’eût, en déconcertant le parti libéral, qui ne voulait pas paraître complice d’un tel crime, et portant au paroxysme la fureur des ultras, rendu inévitable une nouvelle réaction. Huit jours après cet événement, le ministère Decazes avait vécu. Quelques semaines plus tard, la liberté individuelle était une fois de plus suspendue, la liberté de la presse de nouveau bâillonnée, à peu près comme en 1815[38]. La loi électorale de 1817, si favorable à la classe moyenne, était, à la suite de débats mémorables et de troubles graves dans Paris, remplacée (20 juin 1820) par la loi du double vote, qui assurait la prépondérance à la grande propriété, c’est-à-dire à l’aristocratie, fidèle alliée de l’Église. Aussi, après les élections de 1820, la majorité passait-elle brusquement de gauche à droite au Palais-Bourbon, et la faction contre-révolutionnaire réclamait-elle hautement le monopole du pouvoir. Louis XVIII, qui s’était séparé de Decazes à regret, n’avait pas tout d’abord voulu se livrer sans réserve à ces furieux et ne leur avait donné qu'une satisfaction incomplète, en rappelant aux affaires Richelieu et des royalistes modérés, comme Pasquier, de Serre, Siméon. Mais son entourage ne cessait de plaider leur cause auprès de lui. Au bout de quelques mois, il fallut bien qu’il leur ouvrît la porte. Leurs deux chefs les plus influents et les plus habiles, Villèle et Corbière, furent introduits dans le conseil, en décembre, comme ministre sans portefeuille. Cette concession parut certainement très insuffisante aux ultras. Mais, en attendant mieux, ils se hâtèrent d’en tirer tout le profit qu’elle pouvait leur donner. Ce fut d’abord à l’instruction publique qu’ils s’attaquèrent de préférence. Le conseil royal, dont Royer-Collard avait résigné la présidence au commencement de 1830[39], venait d’être réorganisé par une ordonnance du 4 novembre qui, sans le rendre tout à fait indépendant du ministère de l’intérieur, l’avait érigé lui-même en une sorte de ministère. Corbière en fut nommé président (31 déc.). La chambre des députés, qui, peu après (janvier 1831), invitait le roi à fortifier l'autorité de la religion sur l'esprit des peuples et à épurer les mœurs par un système d'éducation chrétienne et monarchique[40] put bientôt constater qu’il n’était pas homme à lui faire attendre longtemps cette satisfaction. Dès le 27 février 1831, parut une ordonnance qui accordait au président du conseil royal une autorité à peu près absolue en matière de nominations, cléricalisait sans mesure ou désarmait l'Université. La religion, la monarchie, la légitimité et la charte étaient posées comme les bases essentielles de l’éducation publique. Les évêques auraient désormais le droit d'inspecter, de faire inspecter les collèges et d’adresser à l’administration des rapports sur ces établissements. Des médailles d’or pourraient être décernées aux professeurs qui se distingueraient par leur conduite morale et religieuse. Les établissements libres qui auraient mérité la confiance des familles pourraient, sans cesser d’appartenir à des particuliers, être convertis en collèges de plein exercice et jouir, à ce titre, moyennant certaines conditions, des privilèges accordés aux collèges royaux[41]. Enfin, dans les campagnes, les curés seraient autorisés à avoir chez eux deux ou trois élèves et à les former pour les petits séminaires, sans être astreints à la rétribution universitaire. L’administration de Corbière se signalait, dans le même temps, par des nominations ou des révocations on ne peut plus significatives. Un ecclésiastique, l’abbé Nicolle, devenait recteur de l’Académie de Paris Par contre, le professeur Tissot, coupable de témoigner trop de sympathie pour la Révolution et pas assez pour la Restauration, était exclu du Collège de France, et le cours de Victor Cousin à la Sorbonne était suspendu comme subversif ! Tout cela était bien aux yeux de la nouvelle chambre. Mais cela ne suffisait pas. Il fallait régénérer aussi l’enseignement primaire, en chasser les extravagantes théories qui, sous le spécieux prétexte de perfectibilité indéfinie, précipitent les nations vers l'ignorance[42]. Pour bien commencer cette régénération, il y avait lieu de rayer du budget le crédit de cinquante mille francs par lequel l’État contribuait, depuis 1815, à l’instruction des classes populaires. Il fallait aussi proscrire l’enseignement mutuel, ses progrès étant fâcheux pour les frères des Écoles chrétiennes, auxquels — depuis une ordonnance de 1818 —, leurs lettres d'obédience tenaient lieu de brevets. C’est à grand’peine que les libéraux et les doctrinaires, comme Manuel, Pasquier, Lainé, parvinrent à faire respecter le statu quo. En ce qui concernait particulièrement l’état du clergé, les prétentions des ultras ne furent pas moins hardies à cette époque, et elles furent, en partie, couronnées de succès. Le gouvernement royal, invité sans relâche par la cour de Rome à tenir sa promesse d’augmenter le nombre des diocèses, proposait au Parlement, en 1821, d’en créer douze. La commission de la chambre des députés, par l’organe de Bonald, soutint non seulement que ce n’était pas assez, mais que des créations pareilles ne regardaient en rien le pouvoir législatif, qu’elles dépendaient exclusivement du pape et du roi — ce dernier n’ayant, du reste, à cet égard, qu’une autorité purement administrative — ; que le seul droit des chambres, en cette matière, était de voter ou de rejeter de nouveaux crédits et sans se prononcer sur le fond de la question ; que le gouvernement était donc libre d’instituer en France, d’accord avec le pape, autant de diocèses qu’il le jugerait nécessaire. Cette théorie ne fut admise ni par l’assemblée, dont elle lésait les prérogatives, ni par le gouvernement, auquel la faculté illimitée de créer des diocèses n’aurait valu qu’un redoublement d’obsessions de la part de l’Église et de ses amis. Mais, en vertu d’un amendement transactionnel, auquel le ministère crut devoir se rallier, la chambre des députés et, peu après, la chambre des pairs décidèrent qu’outre les douze sièges en question, il en serait institué d’autres, dont le nombre serait fixé à dix-huit (mai 1821). Il va sans dire que le gouvernement ne perdit pas de temps pour négocier en cour de Home l’établissement des nouveaux diocèses. Cinq d’entre eux furent érigés et pourvus de titulaires dès le mois d’octobre 1821 ; tous les autres le furent dans le courant de l’année suivante. Le corps épiscopal se trouva donc, en France, augmenté de plus de moitié. On voit par ce qui précède tout ce que le parti prêtre — comme on disait alors — avait gagné depuis la chute du cabinet Decazes. Mais les conquêtes qu'il venait de faire lui paraissaient peu de chose auprès de celles qu’il rêvait. Il s’efforçait, par un système habile de propagande et d’enrôlement, d’entraîner sous sa bannière par des moyens divers les diverses classes de la société. La Congrégation de la rue du Bac qui, à tort ou à raison, commençait à passer aux yeux du public pour une sorte de gouvernement occulte, avait en peu de temps, sous la direction du P. Ronsin, pris une grande extension et acquis les moyens d’action les plus puissants, les plus variés. Non contente de favoriser de tout son pouvoir le développement d’œuvres catholiques anciennes qui, par la bienfaisance, étendaient chaque jour dans le peuple la clientèle de l’Église[43], elle reconstituait en mailles serrées, par toute la France, ce réseau de sociétés affiliées dont la trame avait été quelque temps interrompue par Napoléon. Dès l’année 1822, il y avait à Paris ou dans les départements quarante-sept congrégations rattachées à celle de la rue du Bac et recevant d’elle le mot d’ordre. — Il y en eut jusqu’à soixante et onze en 1826[44] —. Cette dernière avait, du reste, ses œuvres propres, qui n’augmentaient pas médiocrement son influence directe, principalement dans la capitale. Citons par exemple : 1° la Société des bonnes Œuvres, qui, fondée par l’abbé Legris-Duval, s’était divisée sous le P. Ronsin en trois sections correspondant à trois œuvres particulières — celle des hôpitaux, celle des prisons et celle des petits ramoneurs[45] — ; 2° la Société de Saint-Joseph, qui avait pour but de christianiser les ouvriers et leur offrait, avec sa protection, son intermédiaire auprès des patrons[46]. Ajoutons que la Congrégation prit une part importante, peut-être même prépondérante, à de nouvelles institutions catholiques qui naquirent vers cette époque et qui eurent le plus grand succès : l’Œuvre de la Propagation de la Foi, fondée à Lyon le 3 mai 1821 et qui compta bientôt ses adhérents par milliers ; la congrégation militaire de Notre-Dame-des-Victoires, qui fut formée en octobre de la même année et qui eut pour but de faire pénétrer dans l’armée les principes ultra-catholiques et ultra- royalistes ; la Société des bonnes études, sorte de cercle académique où la jeunesse catholique vint bientôt se former à l’art de la parole[47] ; et la Société des bons livres, qui, créée un peu plus tard (1824) par Mathieu de Montmorency, put distribuer en deux ans huit cent mille volumes pour ramener le public aux bonnes doctrines[48] ; sans compter les sociétés spéciales pour les femmes — comme celles de l’Adoration du Sacré-Cœur de Jésus, de l’Adoration du Sacré-Cœur de Marie, etc. —, qui ne se développèrent pas moins rapidement que les précédentes. Cependant les ultras, qui devaient avoir en Charles X un roi selon son cœur et qui, en attendant, trouvaient Louis XVIII un peu lent à mourir, ne voulaient pas du moins laisser ce dernier leur échapper de nouveau. Ils eurent recours, pour l'en empêcher, à un procédé fort simple, sinon fort délicat, et qui sentait tout à fait l’ancien régime. Le roi était vieux, impotent, mais n'en avait pas moins encore des passions. La belle Mme du Cayla lui inspirait depuis quelque temps un sentiment aussi tendre que ridicule. Les entrevues qu'il avait avec elle à jours et à heures fixes étaient bien connues de toute la cour. Certains chefs du parti ultra-royaliste et ultra-catholique jugèrent bon d’utiliser le crédit delà favorite, qu'ils endoctrinèrent de leur mieux et qui, bien stylée par eux, servit bientôt avec ardeur la bonne cause auprès de son royal protecteur. C’est ainsi que Sosthène de La Rochefoucauld et l’abbé Liautard se vantent, dans leurs Mémoires, de lui avoir appris son rôle et de s’être tenus dans la coulisse pour le lui souffler[49]. Il n’y a vraiment pas de quoi. Ce qu'il y a de certain, c’est que, tout en faisant auprès d’un vieillard répugnant et perclus, qui bientôt ne put plus se passer d’elle, son triste métier d’amuseuse, cette jeune femme ne cessa pas un jour de militer pour la politique congréganiste et qu’elle contribua pour une bonne part à son triomphe. Le duc de Richelieu n'était déjà plus maître dans le ministère depuis que Villèle et Corbière y étaient entrés. Or ces deux hommes d’État, non contents d’avoir été admis au conseil, réclamaient maintenant des portefeuilles. Ne pouvant obtenir satisfaction, ils donnèrent bruyamment leur démission au mois de juillet 1821. A partir de ce moment les ultras, qui avaient jusque-là soutenu le cabinet, se tournèrent ouvertement contre lui et, pour le renverser, se montrèrent prêts à s’unir avec leurs plus ardents adversaires, c’est-à- dire avec les libéraux. Une coalition parlementaire ne tarda pas à se former contre Richelieu, qui, trahi par Monsieur[50], résigna le pouvoir avec dédain. Et quelques jours après, le vieil amant de Mme du Cayla abdiquait de fait au profit du parti prêtre en appelant au ministère les coryphées delà Congrégation (15 décembre 1821). |
[1] Ces prélats, qui se disaient encore en 1814 titulaires de leurs anciens diocèses, étaient Talleyrand-Périgord, ancien archevêque de Reims, La Fare, Bonac, Chelleau, Coucy, Latour, Villedieu, Amelot, Vintimille et Thémines, anciens évêques de Nancy, d’Agen, de Chalon-sur-Saône, de La Rochelle, de Moulins, de Digne, de Vannes, de Carcassonne et de Blois.
[2] On sait que la loi organique du 18 germinal an X (art. 31) donne aux évêques le droit de nommer et de révoquer arbitrairement les desservants, qui forment l’immense majorité du clergé des paroisses.
[3] C’est ainsi, notamment, que l’autorisation accordée à la Congrégation de Saint-Lazare, à l’Association des Missions étrangères, à la Congrégation du Saint-Esprit, leur avait été retirée par le décret du 26 septembre 1809.
[4] Par décret du 3 messidor an XII, art. 1er ... l'agrégation ou association connue sous le nom de Pères de la Foi, d’Adorateurs de Jésus, ou Paccanaristes, actuellement établie à Belley, à Amiens et dans quelques autres villes de l’Empire, sera et demeurera dissoute. Seront pareillement dissoutes toutes autres agrégations formées sous prétexte de religion et non autorisées.
[5] Il est à remarquer que la congrégation n’avait jamais renfermé et ne renferma jamais que des partisans des Bourbons. Il était impossible, dit son plus récent apologiste (M. Geoffroy de Grandmaison) que les bons chrétiens ne fussent pas royalistes. (La Congrégation, p. 151.)
[6] C’est ainsi qu’elle avait pu, dès ses premières années, compter parmi les siens des jeunes gens de grand mérite comme Régis Buisson, Laënnec, Teysseyrre, Augustin Cauchy, Nicolas Emmery, Hennequin, etc.
[7] Le ministère des finances et la Trésorerie de la couronne fournirent notamment un assez grand nombre de recrues à la Congrégation, grâce aux trois frères de la Rigaudelle et à Alphonse de la Bouillerie. — La magistrature, dont faisaient partie plusieurs de ses membres les plus remuants (Ponton d’Amécourt, Guy Delavau, Jules d’Haranguiers, Nicolas Emmery, etc.), ne tarda pas non plus à subir son influence. Il en fut de même de l’armée, qui, de l’aveu de M. Grandmaison, ne donna pas à la Congrégation de 1814 à 1830, moins de 52 officiers.
[8] Il avait déjà publié depuis longtemps sa Théorie du pouvoir politique et religieux (1796), son Essai analytique sur les lois naturelles de l'ordre social (1801) ; son Etude sur le divorce considéré au XIXe siècle relativement à l’état domestique et politique de la société (1801) ; etc.
[9] Art. 5 : Chacun professe sa religion avec une égale liberté et obtient pour son culte la même protection. — Art. 8 : Les Français ont le droit de publier et de faire imprimer leurs opinions, en se conformant aux lois qui doivent réprimer les abus de cette liberté. — Art. 9 : Toutes les propriétés sont inviolables, sans exception de celles qu’on appelle nationales, la loi ne mettant aucune différence entre elles.
[10] Art. 6 : Cependant la religion catholique, apostolique et romaine est la religion de l’Etat.
[11] Loi du 22 novembre 1811. Appliquée rigoureusement sous la Restauration, elle tomba en désuétude après la révolution de juillet. Mais elle resta dans nos codes, d’où, plus tard, les fauteurs de l’ordre moral, cherchèrent à l’exhumer. Elle n’a été formellement abrogée que le 12 juillet 1880. — Il est bon de signaler aussi l’ordonnance du 11 juin 1814, qui obligeait de tendre le devant des maisons sur le passage des processions de la Fête-Dieu.
[12] La censure préalable pour les livres et les brochures, l’autorisation pour les journaux.
[13] De Bausset, ancien évêque d’Alais. — Pour accentuer encore la signification de cette réforme, de Bonald, le théoricien de la théocratie, était nommé membre de ce conseil.
[14] On pouvait lui répondre qu’il avait été moins scrupuleux en 1801 et pour le Concordat et pour la démission des évêques.
[15] Ancien évêque de Saint-Malo, né en 1745, mort en 1823. Il avait émigré en 1791 et, rentré en France sous le Consulat, avait résigné son titre à la demande du pape. Mais il n’avait rien accepté de Napoléon.
[16] Lebrun, duc de Plaisance, qui accepta ce titre sur le refus de Lacépède.
[17] C’est pour le propager qu’il fonda, à cette époque, la Société pour l'enseignement élémentaire, qui a rendu tant de services et qui est encore florissante. — L’enseignement mutuel, qu’on appelait aussi méthode lancastrienne, avait été récemment introduit en France, sous le ministère de Montesquiou, non sans exciter l’inquiétude du clergé, qui, redoutant cette concurrence, lui fit plus tard une guerre acharnée.
[18] Art. 62 : La liberté des cultes est garantie à tous (il n'est plus question de religion d'Etat). — Art. 64 : Tout citoyen a le droit d’imprimer et de publier ses pensées en les signant, sans aucune censure préalable, sauf la responsabilité légale, après la publication, par jugement par jurés, quand même il n’y aurait lieu qu’à l’application d’une peine correctionnelle.
[19] Plusieurs pairs et un député ne voulurent prêter serment à la charte que sous réserve des droits de la religion, violés suivant eux par certains articles de cette constitution. Ils eussent dû être exclus de leurs sièges, mais ils ne le furent pas.
[20] Loi du 8 mai 1816.
[21] Chateaubriand, qui, au lendemain de cette mesure, publia sous le titre de : la Monarchie selon la charte, un pamphlet violent où il reproduisait en faveur de l'Église toutes les revendications formulées dans la Chambre introuvable, perdit pour cette incartade son titre et sa pension de ministre d'État.
[22] Loi du 5 février 1817.
[23] Citons, parmi les plus violentes, l’Association royaliste du Midi, l’Association bretonne, celles de l’Anneau, des Bandouliers, des Vrais Amis du Roi, des Chevaliers du Tropique, des Francs régénérés. Elles durent bientôt pour la plupart se dissoudre. — Deux ecclésiastiques, les abbés Vinson et Fleury, furent, vers le milieu de 1816, poursuivis et condamnés à trois mois de prison pour des écrits attaquant le Concordat et menaçant de la damnation éternelle les acquéreurs de biens d’Église.
[24] David de Rauzan, né à Bordeaux en 1772, avait émigré pendant la Révolution et, rentré en France sous le Consulat, s’était rendu agréable à Napoléon, qui l’avait nommé chapelain des Tuileries. Les Bourbons, qu’il avait accueillis avec enthousiasme, ne lui avaient pas enlevé ce titre. — Claude-Rosalie Liautard, né à Paris en 1774, ancien élève de l’Ecole polytechnique, était devenu prêtre sous le Consulat et avait fondé, en 1804, le grand établissement d’éducation qui prit plus tard le nom de collège Stanislas. Il jouissait personnellement d’un grand crédit auprès de Louis XVIII, qui lui demandait souvent des conseils non seulement religieux, mais politiques.
[25] La société fut autorisée par ordonnance royale du 23 septembre 1816. Mais elle n’avait pas attendu jusque-là, pour commencer en grand ses opérations.
[26] On chantait par exemple la Conversion sur l’air de Femme sensible ; l'Engagement d’être à Dieu sur celui de la Marche des gardes françaises ; la Confession sur celui de Jeunes Amants, cueillez des fleurs ; la Communion sur celui de l'Officier de fortune ; le Triomphe de la religion sur celui du Chant du départ.
[27] Un rapport du ministre de l’intérieur de 1825 fait connaître que, de 1817 à 1824, il parut douze éditions de Voltaire et treize de Rousseau, formant en tout 2.159.000 volumes.
[28] Pie VII avait protesté officiellement, le 4 septembre 1815, contre la politique du congrès de Vienne, qui avait laissé la France en possession du comtat Venaissin, comme si le Saint Siège n'en eût pas fait régulièrement l’abandon par le traité de Tolentino. — Ajoutons qu'il avait aussi protesté contre la charte de 1811, parce qu’elle reconnaissait la liberté des cultes.
[29] Le dernier d’entre eux, Thémines, qui avait occupé le siège de Blois avant la Révolution, mourut à Bruxelles en 1829, se considérant comme le seul évêque légitime de France.
[30] Ils le donnèrent, du reste, sans trop de peine.
[31] On voulait se débarrasser ainsi de quelques anciens évêques constitutionnels. Louis XVIII tenait en outre particulièrement à exclure de l’épiscopat français le cardinal Fesch, oncle de Napoléon, archevêque de Lyon.
[32] En revanche, c’étaient aussi à ces cours que seraient déférés directement les crimes et délits commis par des ecclésiastiques.
[33] Nous avons indiqué plus haut (dans la bibliographie de ce chapitre) les principales de ces publications.
[34] Il parlait seulement (dans son projet de loi sur la répression des crimes et délits de la presse), de l’outrage à la morale publique. Après de longs et violents débats dans les Chambres, cette formule fut complétée par l’adjonction des mots et religieuse. (Loi du 17 mai 1819, ch. II). Les ultras n'en continuèrent pas moins à protester, et Bonald écrivit que cet article était la mise hors la loi du christianisme.
[35] L’abbé de Lamennais (Hugues-Félicité-Robert de), né à Saint-Malo le 19 juin 1782, s’était signalé déjà comme un fougueux ultramontain par ses Réflexions sur l'état de l'Eglise (1808) et surtout par son traité de la Tradition, de l’Eglise sur l’institution des évêques (1814). Le premier de ces ouvrages avait été saisi et supprimé par la police impériale. Plus récemment il avait donné la vraie mesure de son génie et attiré sur lui l’attention de la catholicité tout entière par les premiers volumes de son Essai sur l'indifférence en matière de religion (1817-1820). Ses admirateurs le saluaient comme un nouveau Père de l’Eglise.
[36] Ils prêtaient trop souvent, dit (à propos des missionnaires) un historien royaliste, à la dérision et au sarcasme, soit par l’exagération bizarre des cérémonies expiatoires qu’ils imposaient aux populations, soit surtout par les récits extravagants et ridicules que leurs affidés en publiaient. Des missions avaient eu lieu au mois de février de cette année dans les départements de la Haute-Garonne, de l’Ardèche, de la Drôme, de Saône-et-Loire, et, dans le cours des mois de mars et d’avril, à Avignon. Suivant l’usage, on avait brûlé publiquement dans cette dernière ville un grand nombre de livres impies et licencieux livrés par leurs propriétaires et par les libraires mêmes. Les invalides et la garde nationale s’étaient joints aux confréries de pénitents pour porter la croix. Lorsque les missionnaires, après avoir terminé leurs exercices, avaient quitté la ville, les fidèles, dételant leurs voitures, avaient voulu les traîner jusqu’à une certaine distance ; deux hommes, plus zélés encore, s’étaient couchés devant les roues pour les empêcher de partir, et quelques personnes avaient été blessées dans la bagarre. (Viel-Castel, Histoire de la Restauration, VII, 436-437.)
[37] Il avait encore publié récemment (1818) un important ouvrage sur les Libertés de l’Église gallicane.
[38] Lois du 26 et du 31 mars 1820.
[39] On lui avait donné pour successeur, mais à titre provisoire, le savant Cuvier, plus porté que lui, malgré sa qualité de protestant, à complaire au parti de la réaction.
[40] Adresse en réponse au discours du trône.
[41] C’est en vertu de cette ordonnance que le collège Stanislas, alors dirigé par l’influent et remuant abbé Liautard, devint un établissement de plein exercice et que l’Université consentit à lui fournir, comme elle lui fournit encore, la majeure partie de son personnel enseignant.
[42] Discours de Bourrienne dans la discussion du budget, 7 mai 1821.
[43] Notamment de celles de la Miséricorde (secours aux pauvres honteux), des Prisonniers pour dettes, des Orphelines de la Révolution, etc. — Plus tard il y eut aussi celles de l’Apprentissage des orphelins, des Jeunes Économes, de Sainte-Anne, des Amis de l'enfance, de Saint-François-Régis, etc.
[44] On en trouvera la liste complète dans l’ouvrage de M. de Grandmaison sur la Congrégation, p. 393.
[45] Sans compter l’œuvre de la Maison de refuge des jeunes condamnés, fondée en 1817 et qui relevait de la même direction générale.
[46] Cette société, dont le souvenir a sans doute inspiré de nos jours les fondateurs des cercles catholiques d’ouvriers, comprenait quatre catégories de membres (commerçants, ouvriers, apprentis, enfants). Les patrons devaient promettre de maintenir chez eux les règles de la vie chrétienne. Grandmaison, p. 214. — A la même œuvre se rattachait la Maison de Saint-Nicolas (pour les apprentis), ainsi que les deux sociétés (affiliées en 1818 à la Congrégation) que l'abbé Caron avait fondées pour les domestiques.
[47] La Société des bonnes études, après une période d’essais et de tâtonnements, fut définitivement constituée en 1823. Le Dr Antoine Bayle, dit M. de Grandmaison, conduisit rue Saint-Jacques (siège de la société) plusieurs élèves en médecine ; M. de Pineau, avocat de talent, y dirigeait les jeunes étudiants en droit ; M. Laurentie y lisait ses travaux sur la philosophie chrétienne ; Abel de Rémusat ses études sur les littératures orientales ; Hennequin et Berryer, avant d’en présider les séances, y avaient déjà soutenu de brillantes joutes oratoires, au grand applaudissement des trois cents jeunes magistrats, avocats et étudiants qui en faisaient partie. La Congrégation, pp. 216-217. — La Société des bonnes études était distincte de la Société des bonnes lettres, fondée en 1821 sous le patronage de Chateaubriand, pour la défense de la religion comme de la royauté, et dont plusieurs congréganistes (comme Biot, de Genonde, Laurentie) faisaient également partie. — D’autres Sociétés des bonnes études ne tardèrent pas à être créées eu province, notamment à Toulouse et à Grenoble.
[48] Cette société, s’adressant au grand public, ne répandait que des ouvrages élémentaires ou de vulgarisation. Mais à côté d’elle fonctionnait la Bibliothèque des bons livres, qui avait pour but de former la bibliothèque des personnes instruites afin de fortifier et accroître leur foi.
[49] Il fallait, dit le premier, combattre une faction aussi active que perfide, changer les sentiments et la pensée du roi et l’arracher à l’influence toujours dangereuse de M. Decazes. C’était une lutte entre l’ange du bien et le génie du mal. — On se figure sans peine, lit-on dans les Mémoires de Liautard, combien il fallut de soins et de minutieuses attentions pour dépouiller de ses propres idées, pour refaire en quelque sorte son cerveau, sa mémoire, son cœur, toutes ses facultés, toutes ses affections.
[50] Ce prince, pour le décider, en février 1820, à reprendre la présidence du conseil, lui avait donné sa parole que son appui ne lui manquerait pas.