I. Mariage d’intérêt et lune de miel. — II. Négociation du sacre. — III. Complaisance mal payée. — IV. Servilité du clergé français. — V. Exigences de Napoléon et résistances de Pie VII. — VI. Le pape dépouillé. — VII. Le pape prisonnier. — (1802-1809).*****SOURCES. — D’Astros, Discours sur le rétablissement de
la religion en France (1807). — Jauffret, Mémoires historiques sur les
affaires ecclésiastiques de France pendant les premières années du XIXe
siècle. — A. de Beauchamp, Histoire des malheurs et de la captivité de
Pie VII (1814). — Grégoire, Essai historique sur les libertés de
l'Eglise gallicane (1818) ; idem, Histoire des sectes religieuses
(1828) ; idem, Mémoires (1837). — De Pradt, les Quatre Concordats
(1818-1820). — Thibaudeau, Mémoires sur le Consulat (1826). — Botta, Histoire
de l'Italie depuis 1789 jusqu'en 1814 (1826). — De Boulogne, Mandements
et instructions pastorales (1827) ; idem, Sermons et Discours inédits
(1827). — Duc de Rovigo, Mémoires (1829). — Artaud, Histoire du
pape Pie VII. — Bignon, Histoire de France depuis le 18 brumaire
jusqu'à la paix de Tilsit (1829-1830). — Pacca, Mémoires (1833). —
Lyonnet, le Cardinal Fesch (1841) ; idem, Histoire de Mgr d'Aviau
(1817). — Portalis, Discours, rapports et travaux inédits sur le Concordat
(1845). — Chateaubriand, Mémoires d'outre-tombe (1849). — Thiers,
Histoire du Consulat et de l’Empire. — Caussette, Vie du cardinal d’Astros.
— Poujoulat, le Cardinal Maury, sa vie et son œuvre (1855). — J. de
Maistre, Mémoires politiques et correspondance diplomatique (1858). —
Miot de Mélito, Mémoires (1858). — Guillaume, Vie épiscopale de Mgr
d’Osmond (1862). — Napoléon Ier, Correspondance, t. VII-XIX
(1861-1866). — Consalvi, Mémoires. — D’Haussonville, l’Eglise
romaine et le premier Empire (1869). — Lanfrey, Histoire de Napoléon Ier,
t. II, III, IV, V (1869-1875). — Mme de Rémusat, Mémoires (1880). —
Méric, Histoire de M. Emery et de l’Eglise de France, pendant la
Révolution et l’Empire (1885). — G. de Grandmaison, la Congrégation
(2e édit., 1890) ; idem, Napoléon et les Cardinaux noirs (1895). —
Talleyrand, Mémoires (1891). — Ricard, Correspondance diplomatique
et mémoires inédits du Cardinal Maury (1891) ; idem, le cardinal Fesch
(1893) ; idem, le Concile national de 1811 (1894). — Taine, le
Régime moderne (1893-1894). — Boulay de la Meurthe, Documents sur la
négociation du Concordat et sur les autres rapports de la France avec le Saint-Siège
(1893-1897). — E. Daudet, la Police et les Chouans sous l'Empire
(1895). — Lecestre, Lettres inédites de Napoléon Ier (1897). *****I. — Au lendemain du Te Deum de Notre-Dame, si le premier consul était fort content de son œuvre, le pape n’éprouvait pas une satisfaction sans mélange. Il se plaignait, non sans raison, d’avoir été joué par Bonaparte et presque trahi par Caprara — dans l’affaire du serment —. Il déplorait que les évêques constitutionnels nouvellement institués pussent se vanter de n’avoir pas rétracté leurs erreurs, et il voulait du moins soumettre à cette humiliation les ecclésiastiques du second ordre, jadis assermentés, qui allaient être nommés curés ou desservants des paroisses. Mais ce qui l’affligeait le plus, c’était la publication, suivant lui, frauduleuse, des articles organiques, auxquels la nation française pouvait croire qu’il avait consenti. Il déclarait en plein consistoire (le 24 mai), par une allocution qui eut dans toute l’Europe un grand retentissement, que ce règlement de police, tout à fait attentatoire aux droits de l’Église, avait été fait à son insu, qu’il n’y avait eu aucune part et que son devoir était d’en demander la révision. Mais sa mauvaise humeur n’allait pas jusqu’à lui faire oublier tout ce que le Concordat avait, en somme, fait gagner à l’Église, et il n’avait pas plus envie de rompre avec le premier consul que ce dernier n’entendait céder à ses réclamations. Au sujet du serment, Caprara, qui, de plus en plus, devenait l’homme de Bonaparte, représentait qu’on l’avait exigé de lui à l’improviste ; que, du reste, on ne l’avait pas reproduit dans le Moniteur tel qu’il l’avait prononcé ; qu’il ne l’avait pas signé ; qu’après tout, c’était une simple formalité ; que les rois de France en avaient imposé d’analogues aux légats avant 1789 et qu’il ne fallait pas risquer pour si peu de chose de se brouiller avec le redoutable chef de la République française. Convaincu ou non, le pape cessa bientôt de réclamer, et l’incident n’eut pas de suites. La cour de Rome insista, il est vrai, assez longtemps pour que les évêques français exigeassent des anciens curés constitutionnels une rétractation formelle de la constitution civile. Elle leur en envoya même la formule. Mais Bonaparte leur interdit au contraire à plusieurs reprises — et très rigoureusement — d’imposer aux prêtres autre chose qu’une adhésion pure et simple au Concordat. Caprara, qui avait des ordres, crut devoir revenir à la charge. Mais le consul joua la colère, lui déclara, sans rire, que la France voulait se faire protestante, que, si on le poussait à bout, il la laisserait faire. Talleyrand le lui répéta gravement de sa part ; et le complaisant cardinal feignit de le croire pour justifier aux yeux de Consalvi sa nouvelle reculade[1]. Il fallut bien que la cour de Rome cédât encore sur ce point. Quant à la protestation du pape contre les articles organiques, Bonaparte s’en montra tout d’abord fort irrité et en exprima son mécontentement à la cour de Rome. Mais, au bout de quelques semaines, il jugea politique de ne pas témoigner au public combien cette attaque l’avait blessé. Il crut même devoir publier l’allocution du pape dans le Moniteur, mais comme une pièce insignifiante et comme une réserve de pure forme diplomatique contre les libertés de l’Église gallicane. Pie VII ne voulut pas, pour le moment, envenimer la querelle par de nouvelles récriminations et remit à plus tard la revendication de ce qu’il regardait comme les droits de l’Église, si bien que, vers la fin de l’année 1802, l’entente la plus cordiale parut régner entre la cour de Rome et le gouvernement français. L’alliance de la Papauté avec Bonaparte était un mariage d’intérêt mal assorti de tous points et qui devait fatalement se terminer par le divorce. Elle eut pourtant sa lune de miel, et plus prolongée que ne l’est d’ordinaire cette période dans de pareilles unions. Le Consulat à vie, proclamé en août 1802, et l’Empire, établi en mai 1804, rendirent l’Église singulièrement accommodante envers le soldat sans scrupule et sans foi qui, sous couleur de la protéger, avait eu surtout pour but de la domestiquer. Il faut dire que lui-même, sans faire de concessions importantes el sans se relâcher en rien de ses principes, s’efforçait à cette époque, par quelques bons offices qui ne lui coûtaient guère, d’entretenir les dispositions favorables du Saint-Siège à son égard. C’est ainsi que si, d’une part, il abolissait, à l’exemple du Directoire, les congrégations religieuses dans les territoires les plus récemment annexés à la France[2], recommandait aux pouvoirs locaux de veiller à ce que les ordres monastiques ne pussent se reconstituer[3] et dissolvait toutes associations formées sans autorisation sous prétexte de religion, particulièrement celle des Pères de la Foi, Adorateurs de Jésus ou Pananaristes — noms sous lesquels se dissimulait la société de Jésus ressuscitée[4] — ; d’autre part, il posait en principe que des communautés pourraient se constituer, vivre, s’étendre avec la permission et sous le contrôle de l’État. Il laissait par exemple se reformer celles des Sœurs de la Charité, des Sœurs de Saint-Thomas, des Sœurs de Saint-Charles, des Sœurs Vatelottes, etc., consentait à ce qu’elles reprissent leur place dans l’assistance publique et dans l’enseignement[5] et plaçait en général toutes les congrégations hospitalières de femmes sous la haute protection de Mme Letizia Bonaparte, sa mère[6]. Il ne s’opposait pas non plus à ce que l’Institut des Ecoles chrétiennes, qui avait reparu en France dès 1801, cherchât par de nombreuses fondations d’écoles, à s’emparer de l’instruction primaire[7]. Il voulait bien aussi qu’à côté des lycées, institués par la loi du 11 floréal an X (1er mai 1802) pour prendre la place des écoles centrales, pussent exister, sous la surveillance des préfets, des écoles secondaires libres ; il en fut effectivement créé beaucoup, et presque toutes le furent par des ecclésiastiques. En outre, bien que le Concordat ne l’obligeât à fournir des traitements ni aux chanoines des églises cathédrales ni aux desservants des succursales, cet avantage fut peu à peu, en 1803 et 1804, assuré aux uns et aux autres. L’État ne s’était pas engagé non plus à doter les séminaires diocésains ; mais, de fait, il y pourvoyait indirectement en accordant aux évêques des immeubles nationaux pour les établir et le droit de recevoir des dotations ou des legs pour les entretenir. Il fondait même en l’an XII dix séminaires métropolitains qui devaient être absolument à la charge du Trésor public[8]. Il rétablissait peu après, en lui assurant une dotation, la maison des Lazaristes, destinée à former des missionnaires[9]. Bref, le gouvernement tenait à prouver que, s’il entendait être servi par l’Église, il ne prétendait pas l’être gratuitement. La cour de Rome, qui eût voulu beaucoup plus, ne pouvait pourtant méconnaître l’avantage qu’elle retirait de ces bons procédés. C’est par ces grâces de détail que Bonaparte s’efforçait de lui faire oublier les articles organiques. D’autre part, s’il ne voulait point, en rendant les légations, reconstituer en son entier l’ancienne souveraineté temporelle du pape, il donnait bruyamment au Saint- Siège quelques satisfactions relatives en lui remettant Pesaro, Ancône, naguère occupées par les troupes françaises, et en obligeant la cour de Naples à lui restituer les enclaves de Bénévent et de Ponte-Corvo, qu’elle avait saisies en 1799. Même il fit mine de s’entendre avec lui sur la reconstitution de l’ordre de Malte, tant qu’il put espérer l’évacuation de cette île par les Anglais[10]. En retour de ces bienfaits et dans l'espoir d’en recevoir d’autres, le souverain pontife témoignait chaque jour au chef du gouvernement français plus de complaisance et de docilité. Bonaparte rêvait déjà de faire des papes et voulait pour cela remplir le sacré collège de ses créatures. Dès la fin de 1802, il demanda au saint- père d’instituer cardinaux cinq prélats français. Pie VII trouva l’exigence un peu forte et marchanda quelques mois. II finit pourtant par céder. Le chapeau fut donné notamment à l’oncle maternel de Bonaparte, Joseph Fesch[11], prêtre d’un passé quelque peu trouble, que le premier consul avait déjà fait archevêque de Lyon et que bientôt après il chargea d’aller le représenter à Rome connue ambassadeur en remplacement de Cacault (avril 1803)[12]. Un parent aussi proche du premier consul devait avoir et eut effectivement, du moins au début, une influence prépondérante au Quirinal. Si ses hauteurs y déplurent plus tard et s’il s’aliéna Consalvi, qu’il s’était sottement mis en tête de supplanter comme secrétaire d’Etat, il n’en eut pas moins au commencement assez d’autorité sur Pie VII pour obtenir de lui des concessions politiques qui ressemblaient fort à des marques de vasselage envers la France. C’est ainsi qu’au mépris du droit des gens, il exigea au nom de Bonaparte l’extradition d’un ancien émigré français nommé M. de Vernègues, qui intriguait, paraît-il, à Rome, contre le premier consul, mais qui, étant devenu sujet russe, n’était à aucun titre justiciable de nos tribunaux, et qu’après une assez longue résistance, pleine satisfaction lui fut donnée. Cette complaisance du Saint-Siège n’étonna personne en Europe ; car, peu auparavant, le pape avait laissé passer sans protestation le meurtre du duc d’Enghien, arrêté, comme on sait, hors de France et fusillé de nuit à Vincennes après un simulacre de jugement (21 mars 1804)[13]. Ce fut pour le premier consul, qui allait si peu après devenir empereur, une nouvelle raison de croire que le souverain pontife, comme le clergé français, était maintenant bien domestiqué, qu’on pouvait tout lui demander, tout lui arracher et qu’on n'était plus tenu de lui rien donner en échange. II. — Le sénatus-consulte qui l’appelait à la dignité impériale n’était pas encore voté[14], que déjà Bonaparte s’était ouvert à Caprara de ses intentions et de ses désirs au sujet du sacre. Il ne suffisait pas à l’ancien jacobin protégé de Robespierre de ceindre une couronne et de se faire appeler sire. Il fallait aussi que la plus haute autorité du monde catholique vînt, au nom du ciel attester la légitimité de sa puissance. Il fallait que Dieu se fît publiquement son complice dans la personne du pape. Ce n’était pas assez pour lui d’être l’élu du peuple, il voulait être l’oint du Seigneur. Dans sa préoccupation mesquine et impolitique de singer en tout les rois de vieille souche, il imaginait qu’une consécration sacerdotale le rendrait plus grand, plus auguste aux yeux de la France, comme à ceux de l’Europe, et ferait son trône inébranlable. Du reste, son orgueil de parvenu voulait plus et mieux que le sacre traditionnel dont s’étaient contentés nos rois avant 1789. Ce n’était pas à Reims et par un simple archevêque, qu’il entendait faire proclamer la divinité de son autocratie, c’était en plein Paris, à Notre-Dame et par le propre vicaire du Christ. Si on lui objectait que le pape n’avait jamais fait pareil honneur à aucun membre de la dynastie capétienne, c’était une raison de plus pour qu’il réclamât, qu’il exigeât même cette distinction suprême. N’était-il pas plus grand que Louis XIV, que saint Louis ? Ne dépassait-il pas même Charlemagne ? En tout cas, il n’était pas d’humeur à se rendre à Rome, comme ce dernier, pour se faire poser sur la tête la couronne impériale. C’était cette fois au souverain pontife à se déranger. Le très flexible Caprara, qu’il comblait de faveurs[15], n’était plus homme — et cela depuis bien longtemps — à lui faire la moindre résistance. Il transmit donc à la cour de Rome l’insinuation de Napoléon — qui pour l’heure désirait seulement savoir comment serait reçue une demande officielle —, non seulement avec avis favorable, mais en représentant que le grand homme n’admettrait de refus sous aucun prétexte, sous aucune forme, qu’il fallait à tout prix lui répondre oui et que la conservation de ses bonnes grâces était à ce prix (10 mai 1804). Le pape et son secrétaire d’État ne firent pas à la proposition de Napoléon un accueil aussi empressé que l’eût désiré le complaisant légat. Pie VII avait près de lui des émigrés français fidèles à la cause des Bourbons. Il entretenait encore des rapports affectueux ou courtois avec les princes de cette famille. Il en avait aussi de fort intimes avec les cours les plus attachées au principe de la légitimité ; il en avait d’incessants avec l’Angleterre, qui, toujours en guerre avec la France, ne voulait pas reconnaître le nouvel empire et, de fait, ne le reconnut jamais. Il savait l'effet qu’avait produit à Vienne, à Berlin, à Saint-Pétersbourg, à Londres, l’inqualifiable exécution du duc d’Enghien. Pouvait-il, sans déshonneur, faire 500 lieues pour aller proclamer élu de Dieu l’homme qui, après tant d’autres attentats, venait de perpétrer froidement un pareil meurtre ? Irait-il s’associer publiquement à la Révolution en bénissant l’ambitieux sans foi qui jadis en avait partagé les fureurs et qui maintenant encore jurait d’en faire respecter les principes ? Le nouvel empereur s’engageait, par le serment que lui prescrivait la constitution de l’an XII, à maintenir les lois du Concordat et la liberté des cultes. Les lois du Concordat, cela impliquait nécessairement les articles organiques, dont la cour de Rome ne voulait pas. Quant à la liberté des cultes, le Saint-Siège ne l’avait jamais admise : il la repoussait, comme il la repousse encore, de toutes ses forces. C’était, à ses yeux, un devoir sacré. Pie VII et Consalvi savaient bien qu’un refus formel exaspérerait l’auteur du Concordat et le rendrait intraitable. Aussi ne disaient- ils point tout à fait non. Mais ils ne disaient pas oui. Tout d’abord, ils cherchèrent à gagner du temps. Ils demandèrent à ne répondre que lorsque la France aurait fait connaître par ses votes qu’elle acceptait le sénatus-consulte du 18 mai. Après le plébiscite, ils insinuèrent que l’empereur pourrait bien se contenter d’être reconnu par le Saint-Siège, comme par les autres gouvernements. Mais ce n’était pas seulement une reconnaissance politique, c’était une consécration religieuse que Napoléon attendait du pape, et il la voulait à tout prix. Comme le Saint-Père n’osait pas manifester hautement ses répugnances, Fesch et Caprara forçaient complaisamment le sens des réponses ambiguës qu’ils lui arrachaient. Napoléon, de son côté, forçait celui des communications qu’il recevait d’eux et, dès la fin de juin, annonçait publiquement, dans les réunions des Tuileries, que le Saint-Père avait promis de venir à Paris. Pie VII se sentait d’autant moins le courage de lui donner un démenti que si, d’une part, il en coûtait à sa dignité de céder aux volontés de l’empereur, de l’autre il espérait que la papauté et l’Eglise tireraient quelque bénéfice de celte humiliation. Puisqu’on lui demandait de se vendre, il espérait au moins pouvoir se vendre cher. Plusieurs de ses conseillers ne voulaient à aucun prix qu’il allât sacrer l’empereur de la Révolution. D’autres, qui se croyaient plus politiques, lui remontraient tout ce qu’il avait à y gagner : restitution de Bologne, Ravenne et Ferrare, abolition ou atténuation des articles organiques et des décrets analogues par lesquels le Concordat italien[16] avait été complété, rétablissement des ordres religieux, concession de nouveaux privilèges à l’Église, etc. Pie VII ne tarda pas à se dire que tout cela valait bien une marque de complaisance envers le soldat qui s’était vanté en Égypte d’avoir détruit la Papauté et que la fin justifierait les moyens. Mais obtiendrait-il de cette compromission le prix auquel il l’évaluait ? C’est sur ce point que roulèrent durant plusieurs mois les négociations du Saint-Siège avec le gouvernement français. Elles ne pouvaient, du reste, aboutir à aucun résultat positif. L’empereur déclarait sans cesse d’un ton noble et fier ne pas vouloir qu’on lui dictât de conditions. Il voulait qu’on se fiât à lui, à sa générosité, à sa grandeur d’âme. N’était-il pas toujours le fils, l'ami, le bienfaiteur de l’Église ? Le pape, de son côté, n’osait insister ni trop mettre les points sur les craignant d’être accusé de simonie. Des conditions, certes, il n’en faisait pas ; il suggérait seulement des arrangements possibles, temperamenti e modi. Il représentait que depuis des siècles un pape n’avait pas fait une démarche semblable à celle qu’on exigeait de lui. S’il voulait bien s’y résoudre, ce ne pouvait être que dans l’intérêt de la religion. Ne ferait-on rien pour elle ? A cela le cabinet des Tuileries répondait que l’empereur serait toujours heureux de donner à la religion de nouvelles preuves de son respect et de son amour. Napoléon promettait d’écouter avec bienveillance toutes les observations que le pape pourrait avoir à lui soumettre. Et voilà comment, laissant tout espérer, sans prendre aucun engagement positif, le rusé Corse amena Pie VII à déclarer enfin — au commencement de septembre — qu’il se rendrait à l’invitation de l’empereur si elle lui était adressée officiellement. Le souverain pontife tarda pourtant encore quelque temps à se mettre en route. Il voulut savoir quels honneurs lui seraient rendus en France. On lui donna sous ce rapport pleine satisfaction. Il tint à ce qu’il fut bien entendu que la cérémonie du sacre ne serait pas distincte de celle du couronnement, car, fidèle aux vieilles prétentions du Saint-Siège, il n’était pas fâché d’affirmer par un exemple éclatant le droit tant de fois revendiqué par ses prédécesseurs de régner sur les rois et de disposer, du moins en théorie, des souverainetés temporelles. Napoléon, à qui les promesses ne coûtaient guère, prit à cet égard tous les engagements qui lui furent demandés et se réserva in petto d’en faire à sa tête. Enfin le pape voulut avoir l’assurance qu’on ne le retiendrait pas en France, et il va sans dire qu’on ne la lui refusa pas. Quand il ne lui fut plus possible de reculer, l’empereur lui adressa l'invitation officielle qu’il attendait. Il est vrai qu’au lieu de la lui envoyer par deux évêques, comme il avait été convenu, il la lui lit porter par un général et que cette invitation, conçue en termes très laconiques, n’était pas de nature à fortifier beaucoup les espérances du Saint-Père. Cette mortification fut très sensible au pape. Mais se dédire à cette heure eût été un grand scandale. Il partit donc pour la France le 2 novembre. Mais, avant de quitter Rome, il prit soin de signer, en prévision du cas où Napoléon l’empêcherait de retourner en Italie, un acte d’abdication, qu’il remit secrètement à un cardinal pour le publier au besoin. Ainsi l’empereur pouvait bien le faire prisonnier. Mais, le jour où il aurait commis cette félonie, il n’aurait plus dans la main le souverain pontife, et l'Eglise pourrait se donner librement un nouveau pape. III. — On voit qu’à ce moment même la confiance de Pie VII en Napoléon était bien loin d’être sans mélange. Mais, si le pape eut prévu les déconvenues et les avanies qui l’attendaient en France, il n’eût certainement pas franchi les Alpes. Tout d’abord, les hommages empressés des populations qu’il reçut tout le long de la route et les honneurs qui lui furent rendus assez correctement par les autorités locales ne l’empêchèrent pas de remarquer que l’on pressait sa marche beaucoup plus qu’il ne le jugeait convenable. On le faisait voyager moins comme un pape que comme un chapelain de l’empereur. Sa première entrevue avec ce dernier eut lieu en rase campagne. Napoléon, pour n’avoir pas à lui faire une réception solennelle en plein Paris, s’arrangea de façon à le rencontrer comme par hasard au milieu d’une partie de chasse et ne manqua pas de prendre la droite dans la voiture où il le fit monter pour le conduire à Fontainebleau. Et peu après, il l’amena de nuit dans la capitale. Pie VII contenait de son mieux sa mauvaise humeur. Pourtant, à la veille même du sacre, il fut sur le point d’éclater. On lui avait dissimulé, paraît-il, jusque-là, que le mariage de Bonaparte et de Joséphine, qui datait de 1796, n’était qu’une union purement civile. On comprend que l’empereur, qui déjà songeait au divorce, ne tenait pas à rendre plus difficile, par une consécration religieuse, la rupture de cette alliance. Mais on conçoit aussi que le pape fut indigné à la pensée qu’on voulait lui faire sacrer solennellement une impératrice qui, à ses yeux, n’était vraiment pas l'épouse de l'empereur. Dès que la vérité lui fut connue, il déclara nettement que, si le mariage n’était pas régularisé, le sacre n’aurait pas lieu. Le maître de la France dut se soumettre, tout frémissant, et la bénédiction nuptiale lui fut donnée en grand mystère aux Tuileries par le cardinal Fesch dans la journée du 1er décembre. Le lendemain matin, jour du sacre, il se donna le malin plaisir — sans doute pour marquer son ressentiment — de se faire attendre une heure et demie par le pape à Notre-Dame. La cérémonie, du reste, s'accomplit, comme il l’avait voulu, avec un éclat et une pompe extraordinaires, en présence d’une foule subjuguée par un appareil tout à l'ait théâtral et qui n’était pas sans prêter à rire. Napoléon, qui savait se commander, s’y tint gravement, comme il convenait à un homme qui procédait lui-même à son apothéose[17]. Ses frères, ses sœurs, ses ministres, ses généraux, ses sénateurs, tous ses courtisans enfin, sous les costumes voyants et carnavalesques dont les avaient affublés Isabey et David, grands ordonnateurs de la fête, gardèrent tant bien que mal leur sérieux[18]. Mais à la fin, quand le moment arriva pour le pape de prendre la couronne et de la poser sur la tête de l’empereur, comme il avait été convenu, on vit tout à coup Napoléon s’en saisir prestement comme un escamoteur et la placer fièrement sur son front, après quoi il couronna aussi lui-même l’impératrice agenouillée devant lui. Ainsi le pape ne pourrait pas se vanter de lui avoir donné l’investiture politique de l’Empire. Le malheureux Pie VII assista tout interdit à cet audacieux manquement aux paroles données. Protester dans l’église même n’eût été qu’un scandale inutile. Napoléon eût fait étouffer sa voix par les acclamations populaires. Le lendemain, il était trop tard. On lui promit du reste que l’incident ne serait pas relaté par le Moniteur. Mais quelles concessions sérieuses pouvait espérer le souverain pontife après de pareilles marques de mépris ? De fait, il n’en devait obtenir aucune. Vainement prolongea-t-il son séjour en France et représenta-t-il qu’il n’était pas séant de le laisser repartir les mains vides. Le fils aîné de l'Eglise, dont il avait si complaisamment escompté les libéralités, continua de lui faire rendre extérieurement les honneurs dus à la tiare, sans toutefois lui permettre de trop se montrer et d’accaparer l’attention publique. Mais il mit toute sa diplomatie, on pourrait même dire toute sa stratégie, à se dérober aux sollicitations du pape. Il évitait autant que possible les occasions de se rencontrer avec lui et surtout de l’entretenir privément. Quand la conversation devenait inévitable, il s’évertuait d’ordinaire et avec succès à la rendre insignifiante. Le souverain pontife fut réduit à lui faire présenter ses demandes par écrit. De volumineux mémoires furent rédigés sur les questions spirituelles par le cardinal Antonelli, qui avait accompagné le pape, sur les questions temporelles par Caprara, qui était toujours à Paris sou représentant attitré. Mais ni Portalis ni Talleyrand n’étaient en peine d'y répondre, et, finalement, les suppliques du Saint-Père n’aboutirent qu’à une fin de non-recevoir à peu près absolue. En ce qui concernait la religion, Pie VII avait demandé que le catholicisme fût reconnu en France comme culte dominant, que la loi du divorce fût abolie, que les communautés religieuses fussent rétablies, Bien de tout cela ne lui fut accordé. On lui rappela complaisamment tout ce qui avait été fait pour l’Église depuis le Concordat, on protesta respectueusement du désir qu’avait l’empereur d’augmenter le bien-être et la considération du clergé. Mais les articles organiques demeurèrent en principe la base de notre législation religieuse[19]. Le sacrifice le plus notable que voulut bien faire l’empereur fut celui du calendrier républicain, qui n’avait plus d’importance depuis que le décadi n’était plus un jour de fête[20], et qui dut être remplacé par le calendrier grégorien à partir du 1er janvier 1806. Quant au retour des légations au domaine de l’Église — ce qui avait été, dit de Pradt, la raison déterminante du voyage pontifical —, le pape ne fut pas plus heureux. Il s’était pourtant donné la peine d’écrire à l’empereur sur ce sujet une lettre plus suppliante et plus humble encore que celle du 24 octobre 1801. Il lui avait de nouveau remontré sa détresse, la nécessité de tenir son rang, l’obligation qui lui incombait de reconstituer l’État pontifical dans son intégrité. Il avait fait appel à son esprit de sagesse et d'équité. Il n’avait pas manqué de le comparer à Pépin le Bref, à Charlemagne, pour pouvoir lui donner comme exemple les libéralités de ces deux princes. Il avait eu même la malencontreuse idée de lui rappeler celles de Louis le Débonnaire. Étranges illusions ! A tous ces radotages Napoléon fit répondre par Talleyrand qu’il serait très heureux devenir en aide à Pie VII, d’augmenter les avantages de son existence personnelle, mais que les provinces réclamées n’étaient pas à lui et qu’il n’avait pas le droit d’en disposer. Il n’est pas au pouvoir de l’empereur, écrivait le ministre, de rien retrancher à un empire qui est le prix de dix années de guerres sanglantes soutenues avec un admirable courage[21]. Il lui est encore moins permis de diminuer le territoire d’un État étranger[22] qui, en lui confiant le soin de le gouverner, lui a imposé le devoir de le protéger. Quand le souverain pontife eut acquis la conviction que de nouvelles instances seraient inutiles, il quitta cette France où l’on n’avait plus besoin de lui et où il était venu si gratuitement humilier la tiare devant un soldat sans délicatesse et sans foi. Il partit l’âme ulcérée (4 avril 1805), plein de honte et de remords, et d’autant plus altéré de vengeance que sa conduite était jugée plus sévèrement par les coryphées de l’ultramontanisme[23]. Mais Napoléon, à qui tout, jusqu’alors, avait si merveilleusement réussi, était bien loin de le craindre. Il ne doutait pas qu’un pape si docile et si triomphalement berné ne se soumit désormais sans murmure à toutes ses volontés, à tous ses désirs. Il espérait avoir de lui aussi bon marché que du clergé français, dont la servilité à son égard commençait à surpasser son attente. IV. — A cette époque déjà, l’auteur du Concordat ne croyait plus avoir besoin de ménager les membres de l’ancienne Église constitutionnelle. Il les laissait même visiblement de côté, comme tout ce qui sentait la Révolution, et, de même que les nobles émigrés, sûrs de sa faveur, accouraient en foule dans ses antichambres, les réfractaires d'autrefois, certains de sa bienveillance, briguaient à l’envi les honneurs ecclésiastiques dont il était le dispensateur. Les Boisgelin, les Boulogne, les Pradt et tant d’autres, qui jadis s’étaient gendarmés si fort contre la tyrannie de l’Assemblée constituante, baisaient avec attendrissement une main que le sang du duc d’Enghien souillait encore. Il n’y a rien, disait brutalement Napoléon, que je ne puisse faire avec mes gendarmes et mes prêtres[24]. De fait, les prêtres ne le servaient pas moins aveuglément que les gendarmes. Les évêques entretenaient avec un zèle vraiment administratif les sujets de l’Empire dans l’obéissance comme dans l’admiration. Certains d’entre eux, comme Bernier, servaient d’auxiliaires à la police ou lui fournissaient des agents[25]. Tous, par leurs mandements, s’attachaient à fortifier l’amour du prince dans le cœur des sujets. Ces mandements, du reste, étaient rigoureusement soumis à la censure préalable du ministre des cultes[26], qui parfois en fournissait lui-même le canevas aux évêques. Ils célébraient par ordre, et toujours sur le mode lyrique, les victoires, les traités, les lois du maître ; la guerre, la paix, tout leur était matière à panégyrique. Les curés, sous leur surveillance, avaient pour tâche d’anathématiser les Anglais, ces hérétiques, et de démontrer aux populations rurales les bienfaits de la conscription. Si quelques-uns se montraient tièdes dans le service ou se permettaient parfois un léger blâme, une allusion déplaisante, l’empereur ne tardait pas à l’apprendre ; ces mal-pensants étaient vite mis hors d’état de mal faire par le ministre de la police qui, sans forme de procès, connue au beau temps de l’ancien régime, les embastillait à Vincennes, à Fenestrelles, à l’ile Sainte-Marguerite ou dans quelque autre prison d’État. Point de concert possible entre les membres du clergé. L’empereur ne souffrait guère qu’ils s’assemblassent. Il ne voulait pas non plus qu’ils lussent ou qu’ils écrivissent trop. S’il avait à peu près étranglé la presse laïque, ce n’était pas pour rendre la vie et la liberté à la presse ecclésiastique. Nous voyons par sa correspondance qu’il en vint, au commencement de 1806, à prescrire que toutes les publications périodiques ayant un caractère religieux fussent réunies en une seule, le Journal des curés[27], qui parut alors sous l’étroite surveillance de la police. La même année, il instituait en principe l’Université[28] et décidait que les emplois ecclésiastiques de quelque importance — comme les cures de 1re classe — ne seraient donnés qu’aux candidats pourvus des grades qu’elle seule avait le droit de conférer, ajoutant que ces grades pourraient être refusés aux postulants connus pour avoir des idées ultramontaines ou dangereuses à l’autorité[29]. On sait, du reste, que l’Université ne tarda pas à être organisée et que le décret du 17 mars 1808 lui conféra le monopole de l’enseignement à tous les degrés dans l’ensemble de l’Empire. Ainsi les prêtres enseignants devaient être à sa discrétion, tout comme les autres. Quant à ces derniers, il entendait bien qu’ils n’usassent de la religion que pour la faire, comme il disait, cadrer à ses vues, à sa politique. Il instituait par exemple de nouvelles fêtes catholiques, et notamment la sienne, qui fut, à partir de 1806, célébrée solennellement le 15 août sous l’invocation étrange de saint Napoléon[30]. Mais ce à quoi il tenait le plus, c’était à ce que, conformément aux articles organiques, il n’y eût en France qu’un seul catéchisme et que ce catéchisme eût pour but de faire aimer l’empereur. Il lui importait assez peu qu’on apprît à lire aux enfants. Mais il tenait essentiellement à ce qu’on leur inculquât de bonne heure l’impérialisme comme un dogme sacré. On voit par sa correspondance combien il s’intéressait à la rédaction de ce petit livre, dont la cour de Rome retarda tant qu’elle put la publication[31], mais dont, grâce à Portalis et à Caprara, il put rendre l’usage obligatoire par un décret du 4 avril 1806. On a peut aussi, en lisant la partie de cet opuscule consacrée au quatrième commandement de Dieu et à la rédaction de laquelle il avait pris personnellement part, se rendre compte de ce qu’il entendait par les devoirs du peuple envers le souverain et du cas que ce parvenu de la Révolution faisait maintenant des principes de 89. La soumission la plus abjecte à ses volontés, le dévouement le plus aveugle à sa cause et à sa personne, devenaient, d’après le catéchisme impérial, les premiers devoirs des Français. L’empereur n’était plus un homme, c’était l’oint du Seigneur, un être bienfaisant et terrible suscité par la Providence ; il participait de l’essence divine ; le crime de lui désobéir, de lui résister ou de le trahir entraînait la damnation éternelle[32]. Et c’est dans cette doctrine que les évêques français, naguère encore si fiers vis-à-vis de la République, qui ne leur demandait rien de semblable, firent élever les enfants à partir de 1806 ! V. — N’ayant pu fatiguer la docilité de son clergé, Napoléon n’imaginait pas, surtout après le sacre, que celle de son pape pût être jamais lassée. La suite de ce récit montrera qu’il se trompait gravement. Pie VII ne s’était point abaissé au point de ne pouvoir pas se relever. S’il s’était laissé aller à des compromissions fâcheuses pour sa dignité, la suite de sa vie prouva qu’il était capable de les racheter. La lutte qu'il engagea contre Napoléon, non sans courage, dès l’année 1805, et qu’il soutint, sans défaillance grave, jusqu'à la chute de son ennemi, lui fait, disons-le à l’avance, le plus grand honneur dans l’histoire. Fort peu après le départ de Pie VII, l’empereur put bien s'apercevoir que les dispositions du pontife à son égard n’étaient plus aussi affectueuses qu’elles avaient paru l’être avant son sacre. Tout d’abord, s’étant rendu à Milan pour y ceindre, comme roi d’Italie, la couronne de fer des Lombards (20 mai 1805), il n’eut pas la satisfaction de voir le pape s’associer à cette cérémonie. Mais, s’il en conçut quelque mauvaise humeur, il n’en fit rien paraître, d’abord par orgueil et ensuite parce qu’il avait à ce moment même un service important à obtenir du Saint-Père. Son plus jeune frère, Jérôme, avait contracté à dix-neuf ans, c’est-à-dire avant sa majorité, et sans l’autorisation de sa mère, un mariage purement religieux qui, devant la loi française, était radicalement nul. Ajoutons qu’aux yeux de l'Église cette union n’avait non plus aucune valeur, étant entachée de clandestinité, vice prévu et réprouvé par le concile de Trente. Napoléon, qui ne l’avait jamais reconnue comme légitime et qui, comme empereur, avait pleine autorité sur les membres de sa famille, pouvait évidemment, au nom du droit civil, prononcer ou faire prononcer l’annulation d’une semblable alliance. Il avait des vues matrimoniales sur Jérôme et déjà songeait à lui faire épouser quelque princesse allemande. Mais le zèle catholique dont il faisait maintenant si grand étalage l’obligeait à solliciter du pape la cassation d’un mariage qu’un évêque avait béni et qui avait jusqu’à un certain point les apparences de la canonicité. Avant le sacre, Pie VII ne lui eût certainement pas refusé cette satisfaction. Le cas était fort simple. Mais, à cette heure, il le trouva très complexe, tint à l’examiner lui-même, en juriste, et, après plusieurs semaines de réflexion, répondit par un refus. Il voulut bien reconnaître que le mariage avait été clandestin. Mais les décrets du concile de Trente n’étaient, disait-il, applicables que là où ils avaient été publiés et reconnus. Or rien ne prouvait qu'ils l’eussent été à Baltimore, oit le jeune Bonaparte avait épousé Mlle Paterson. Donc il ne pouvait en conscience invalider l’alliance en question. Cette échappatoire n’était pas de trop bonne foi. En tout cas, elle dénotait à l’égard de l’empereur un mauvais vouloir dont il avait lieu de garder au une profonde rancune. Aussi, lorsque, peu après (août 1805), le pape à son tour lui adressa de nouvelles réclamations, Napoléon se montra-t-il fort peu disposé à le satisfaire. Le Saint-Siège se plaignait maintenant, non sans aigreur, que notre code civil et, par suite, la loi du divorce, condamnée par l’Église catholique, eussent été introduits depuis peu dans le royaume d’Italie. C’était là, disait Consalvi, une violation du Concordat conclu en 1803 par le pape avec la République italienne et en vertu duquel le catholicisme avait été reconnu par cet État comme religion dominante. Mais Napoléon, tout en protestant, comme toujours, de son dévouement à l’Église et se déclarant prêt à négocier[33], ne fit pas sur ce point la plus légère concession. Le moment approchait, du reste, où, loin d’accorder au pape de nouvelles grâces, il allait le frapper à coups redoublés et prendre à tâche de l’exaspérer pour trouver dans son exaspération même un prétexte à de nouvelles persécutions. Obligé de renoncer à son projet de descente en Angleterre, l’empereur se dirigeait alors avec la grande armée vers le Danube. Mais, pour triompher des forces redoutables que lui opposaient l’Autriche et la Russie coalisées, il lui fallait rapprocher de lui l’armée d’Italie, par suite rappeler du fond de la péninsule les troupes qu’il y maintenait depuis quelque temps en observation, et notamment la division Gouvion-Saint-Cyr, qui, cantonnée jusque-là dans le royaume de Naples, eut ordre de se replier vers le nord le long de l’Adriatique et, par conséquent, de traverser les États du pape. Napoléon se méfiait très fort — et non sans quelque raison — du Saint-Siège. Il savait que toutes les puissances avec lesquelles il était en guerre et celles qui, comme Naples, s’apprêtaient à se joindre à elles, étaient représentées à Rome, que leurs agents essayaient d’exploiter le mécontentement du Saint-Père, que ce dernier faisait, au fond, des vœux pour elles et, en tout cas, n’était pas disposé à les contenir. Un débarquement de troupes russes et anglaises pouvait se produire d’un moment à l’autre sur les côtes italiennes. La forte place d’Ancône, qui appartenait au Saint-Siège, ne les tenterait-elle pas ? Elle le tentait si bien, lui, qu’il donna l’ordre à Gouvion-Saint-Cyr de l’occuper sans façons, et que ses instructions furent exécutées dès le milieu d’octobre. Ce coup de force fut accompli comme un acte de brigandage, sans la moindre déclaration préalable. Grande fut la colère du pape en apprenant une pareille violence. Il demanda des explications. Le cardinal Fesch fit l’étonné, dit qu’il n’avait été prévenu de rien et le pria d’attendre. Mais, au bout d’un mois, les Français étaient encore à Ancône et ne faisaient pas mine d’en sortir. Pie VII était d'autant moins disposé à prendre patience que Napoléon, enfoncé au cœur de l’Autriche, pouvait incessamment être écrasé par les forces réunies des empereurs François et Alexandre, que la flotte française venait d’être presque anéantie à Trafalgar (20 octobre) et que le débarquement des forces anglo-russes sur le littoral napolitain était imminent[34]. Il n’hésita donc pas longtemps à prendre position et adressa le 13 novembre à Napoléon une lettre fort vive par laquelle il se plaignait du cruel affront que ce dernier venait de lui infliger, déclarait que depuis son retour de Paris, il n’avait éprouvé qu’amertumes et déplaisirs, enfin signifiait assez clairement à l’empereur que, si Ancône n’était pas rendue, il se verrait dans la nécessité de renvoyer de Rome l’ambassadeur de France. De là à déclarer la guerre, il n’y avait évidemment qu’un pas. Ce pas, il est vrai, Pie VII ne le franchit pas. Le canon d’Austerlitz calma subitement sa belliqueuse ardeur. Bientôt le traité de Presbourg (26 décembre 1803) permit à Napoléon de détourner son attention de l’Autriche et de la Russie pour la reporter sur l’Italie. On sait avec quelle rigueur il traita les Bourbons de Naples, qui l’avaient trahi. Il décréta simplement qu'ils avaient cessé de régner et envoya son frère Joseph avec Masséna pour les détrôner, ce qui fut l’affaire de quelques semaines (janvier 1806). Quant au pape, qui s’était un peu moins compromis, il le frappa moins fort pour le moment, mais le langage qu’il lui tint dénotait l’intention, bien arrêtée dès cette époque, de le réduire à l’état de vassal et, pour peu qu’il résistât, de le briser. La lettre sèche et menaçante qu’il lui adressa de Munich le 7 janvier devait lui servir d’avertissement. Dans cette pièce, l’Empereur se plaint amèrement du mauvais vouloir que le souverain pontife et surtout ses conseillers lui ont témoigné depuis quelques mois. Il le laisse libre de garder son représentant à Rome ou de le renvoyer. S’il a fait occuper Ancône, dit-il, c’est parce que le pape ne pouvait défendre cette forteresse et qu’elle devait être mieux dans les mains des Français que dans celles des Anglais. C’est lui et lui seul qui est le vrai protecteur du Saint-Siège. Il le protégera constamment, malgré les fausses démarches, l'ingratitude et les mauvaises dispositions des hommes qui se sont démasqués pendant ces trois mois. Ils me croyaient perdu, ajoute-t-il. Dieu a fait éclater, par le succès dont il a favorisé mes armes, la protection qu’il a accordée à ma cause. Je serai l’ami de Votre Sainteté toutes les fois qu’elle ne consultera que son cœur et les vrais amis de la religion. Le même jour, 7 janvier, l’Empereur expliquait plus nettement, dans une lettre à Fesch, ce qu'il entendait par protéger le Saint-Siège. Non seulement il prétendait garder Ancône, mais il ne voulait plus qu’il y eut à Rome de ministres de Russie ni de Sardaigne. Il rappelait avec aigreur le refus d’annuler le mariage Paterson. Puisque ces imbéciles ne trouvent pas d’inconvénient à ce qu’une protestante puisse occuper le trône de France, je leur enverrai un ambassadeur protestant. Il fallait que Consalvi se soumît ou quittât le ministère. Pour lui, il était religieux, mais point cagot ; si on le poussait à bout, si on chassait son représentant de Rome, il pourrait bien aller l'y rétablir et nommer un sénateur pour commander en son nom dans cette ville. Ce n’était pas lui, c’était la camarilla pontificale qui prostituait la religion. On ne pourra donc, ajoutait-il, rien faire de ces hommes-là que par la force ?... Pour le pape, je suis Charlemagne, parce que, comme Charlemagne, je réunis la couronne de France à celle des Lombards et que mon empire confine avec l’Orient, .l’entends donc que l’on règle avec moi sa conduite sur ce point de vue. Je ne changerai rien aux apparences si l’on se conduit bien ; autrement, je réduirai le pape à être évêque de Rome. Pie VII, à qui cette lettre fut communiquée, s’efforça de prouver, dans une longue dépêche à l’empereur (29 janvier), qu’il n’avait jamais cessé de se bien conduire. II protestait toujours de ses bonnes intentions à l’égard de P empereur. Mais il réclamait Ancône plus hautement que jamais ; et, comme si ce n’eût pas été assez pour irriter le vainqueur d’Austerlitz, il revendiquait une fois de plus les légations, remontrant au roi d’Italie que l’acquisition récente de la Vénétie devait lui rendre facile le sacrifice de ces provinces. Cette argumentation porta au paroxysme la colère de l’empereur, qui, le 13 février, dans deux nouvelles lettres au souverain pontife et à l’ambassadeur, dévoila plus brutalement encore que le 7 janvier ses s. intentions à l’égard de Rome. Au pape il déclarait cette fois sans ambages qu’étant incapable de défendre ses États, il fallait qu’il lui laissât ce soin et se soumît sans réserve au protectorat de la France. Toute l’Italie, disait-il, sera soumise à ma loi... Nos conditions doivent être que Votre Sainteté aura pour moi dans le temporel les mêmes égards que je lui porte pour le spirituel et qu’elle cessera des ménagements inutiles envers des hérétiques, ennemis de l’Église[35], et envers des puissances qui ne peuvent lui faire aucun bien. Votre Sainteté est souveraine de Rome, mais j’en suis l’empereur. Tous mes ennemis doivent être les siens. Il exigeait donc que le souverain pontife expulsât de ses États tous les sujets sardes, anglais, russes, suédois, qui pouvaient s’y trouver et fermât ses ports aux navires de toutes les puissances avec lesquelles la France était en guerre. Il se plaignait ensuite amèrement des retards voulus que la cour de Rome mettait à l'expédition des affaires religieuses et notamment à l’institution des évêques en France et en Italie. Il terminait en menaçant les conseillers du Saint- Père, qui, selon lui, le trompaient. Ils attireront, ajoutait-il, des malheurs qui finiront par leur être funestes. Dans sa lettre à Fesch, l’empereur faisait connaître avec
encore plus de précision ses intentions à l’égard du Saint-Siège. Il
ordonnait à l’ambassadeur de requérir sans retard l’expulsion des Anglais,
Russes, Suédois et Sardes, ainsi que la fermeture des ports, et d’exiger que
la cour de Rome mît plus de bonne volonté à l’expédition des bulles. Il le
rendait responsable de tout retard. Dites bien,
écrivait-il, que j’ai les yeux ouverts ; que je ne
suis trompé qu’autant que je le veux bien ; que je suis Charlemagne, l’épée
de l’Église, leur empereur ; que je dois être traité de même ; qu'ils ne
doivent pas savoir s’il y a un empire de Russie. Je fais connaître au pape
mes intentions en peu de mots. S'il n’y acquiesce pas, je le réduirai à la
même condition qu’il était avant Charlemagne. En vertu de ces instructions, le cardinal adressa le 2 mars à la cour de Rome une note officielle à laquelle il fallut bien qu’elle répondît catégoriquement. Cette fois, Pie VII, qui s’était jadis tant humilié, sut rester debout et parler en souverain qui a conscience de sa dignité. La demande de Napoléon fut d’abord soumise par lui au sacré collège — où Fesch, pour une raison facile à comprendre, ne fut pas appelé —, et, les cardinaux ayant été d’avis qu’elle devait être rejetée, le souverain pontife écrivit le 21 mars à l’empereur une lettre personnelle où il lui exposait longuement les raisons de toute sorte qui l’empêchaient de lui donner satisfaction. Il lui remontrait par exemple que, ministre d’un Dieu de paix, il ne devait jamais s’armer que pour la protection de la foi ; que, la religion n’étant pas menacée, il ne pouvait se mettre en état de guerre que dans le cas de légitime défense ; qu’il n’avait aucune raison pour rompre avec des gouvernements, hérétiques ou schismatiques à la vérité, mais qui commandaient à plusieurs millions de catholiques ; que son devoir au contraire était de les ménager dans l’intérêt de l’Église. Il réfutait du reste avec énergie la théorie singulière en vertu de laquelle Napoléon prétendait être l’empereur de Rome. Il revendiquait pour le domaine pontifical, qui était, selon lui, le plus ancien Etat de l’Europe, une indépendance absolue. Aucun empereur, déclarait-il, n’a jamais eu le moindre droit sur Rome. Votre Majesté est infiniment grande ; elle a été élue, couronnée, consacrée, reconnue empereur des Français, mais non pas empereur de Rome. Il n’existe pas d'empereur de Rome, il ne peut pas en exister sans que le souverain pontife soit dépouillé de l’autorité souveraine qu’il exerce à Rome. Nous savons bien qu’il existe un empereur des Romains, mais c’est un titre électif, purement honorifique, reconnu par toute l’Europe et par Votre Majesté elle-même comme appartenant à l’empereur d’Allemagne[36] et qui ne peut être porté par deux souverains à la fois... Le pape repoussait ensuite le marché que lui offrait Napoléon. Les souverains catholiques devaient toujours, d’après lui, obéissance à l’autorité spirituelle du Saint-Père, quels que fussent leurs rapports temporels avec le Saint-Siège. Il rappelait enfin toutes ses complaisances pour le gouvernement français et adressait un dernier appel à l’affection filiale de l’empereur, Si nous nous étions trompé, disait-il en terminant, si le cœur de votre Majesté ne devait pas être touché par nos paroles, nous souffrirons avec une résignation évangélique tout ce qui pourra nous arriver. Nous nous soumettrons à toute espèce de calamité et l'accepterons comme venant de Dieu... Cette lettre n’était pas faite pour apaiser le conflit des deux puissances. Elle l’aggrava au contraire sensiblement. D’abord, Napoléon reprocha au pape d’avoir consulté les cardinaux pour lui répondre, et, comme s’il eût trahi sa confiance, lui fit savoir que désormais il n’aurait plus avec lui de rapports que par l’entremise de son ministre des affaires étrangères (18 avril). Talleyrand fut chargé de renouveler la demande que le pape venait de repousser. Dans le même temps, le cardinal Fesch, absolument brouillé avec Consalvi, était rappelé de Rome, où Napoléon le remplaçait par l’ancien conventionnel Alquier. De pareils procédés annonçaient un prochain orage. Mais la cour de Rome ne prenait pas le moyen de le conjurer. C’est en effet à ce moment que le pape, invité à reconnaître Joseph Bonaparte comme roi de Naples (23 avril), faisait répondre en demandant qu’au préalable ce souverain se soumit à la suzeraineté autrefois prétendue par le Saint-Siège sur l’État napolitain. Il prenait bien son temps ! Déjà l’empereur commençait à exécuter ses menaces en faisant occuper Civita-Vecchia sans plus de façons qu’Ancône (6 mai). A la nouvelle que le pape avait l’audace de vouloir traiter un Bonaparte en vassal, il déclara que le Saint-Siège était sans doute las du pouvoir temporel. Quel esprit de vertige régnait donc à Rome ? Talleyrand reçut l’ordre de représenter au pape qu’on n’était plus au temps où ses prédécesseurs disposaient des couronnes. ... Si l’on trouvait, lui écrivit l’empereur, que, dans d’autres siècles, la cour de Rome a détrôné des souverains, prêché des croisades, interdit des royaumes entiers, on rencontrerait aussi que les papes ont toujours considéré leur temporel comme ressortissant des empereurs français... La cour de Rome ne prétend pas sans doute que Charlemagne reçut d’elle l’investiture de son royaume... A défaut de cette reconnaissance — du royaume de Naples —, Sa Majesté ne reconnaîtra pas le pape comme prince temporel, mais seulement comme chef spirituel...[37] Napoléon ajoutait que, si cela continuait, il ferait enlever Consalvi de Rome et le rendrait responsable de tout, parce qu'il était évidemment acheté par les Anglais. Peu de jours après, poursuivant ses empiétements, il faisait saisir par ses troupes les deux principautés de Bénévent et de Ponte-Corvo, qui appartenaient au Saint- Siège, mais qui étaient enclavées dans le royaume de Naples (commencement de juin). Alquier dut représenter de sa part au pape que ces deux pays étaient un sujet habituel de difficultés entre cette cour et le Saint-Siège[38]. Ainsi c’était pour rendre service au pape qu’il lui prenait son bien. On se demande pourquoi il n’exigeait pas après cela des remerciements. La cour de Rome avait le mauvais goût de ne pas trouver bon qu’on lui rendit de pareils services. Tille protestait de toutes ses forces contre la violation de ses droits. Elle répondait encore négativement (en juin) aux injonctions impériales en ce qui concernait les ennemis de la France. Consalvi, personnellement menacé, avait pris peur et demandait en grâce à quitter le pouvoir. Pie VII, plus résolu, n’accepta qu’à grand’peine sa démission et, pour bien montrer qu'il n’était mené par personne, le remplaça par l’insignifiant cardinal Casoni, qui n’écrivit, pour ainsi dire, que sous sa dictée et dont les premières dépêches ne furent pas plus agréables à l’empereur que celles du précédent secrétaire d’État (17 juin). A ce moment, Napoléon semblait tout à fait résolu à en
finir avec le pouvoir temporel du pape. Le 1er juillet, dans un de ces accès
de colère voulue qu'il savait si bien jouer en public, il apostropha
violemment Caprara devant toute sa cour, criant qu’il ne voulait plus
attendre, qu’il fallait que le souverain pontife déclarât sur-le-champ, sans ambiguïté et sans réserve, s’il voulait
être son allié. Si, dans le délai le plus court,
ajouta-t-il, je ne reçois pas la déclaration conçue
dans les termes que je demande, je ferai occuper tout le reste de l’État
pontifical ; je ferai apposer les aigles sur les portes de chacune de ses
villes, de chacun de ses domaines, et je partagerai la totalité des provinces
possédées par le pape, connue je l’ai fait pour Bénévent et Ponte-Corvo[39], en autant de duchés et de principautés, que je confierai
à qui me plaira... Si le pape persiste dans
son refus, j’établirai un sénat à Rome, et, quand une fois Rome et l’Etat
pontifical seront dans mes mains, ils n’en sortiront jamais plus. Un ultimatum conforme à ce violent langage fut signifié peu de jours après par Alquier au cardinal Casoni (8 juillet). Il semblait bien cette lois que l’effet allait suivre de près la menace. Pourtant l’orage amoncelé sur Rome n'éclata pas encore, et Napoléon se borna pour le moment à faire saisir les revenus pontificaux à Ancône et à Civita-Vecchia par les généraux qui occupaient en son nom ces deux villes. L’exécution si bruyamment annoncée fut suspendue pendant près de deux ans, et l’on s’explique ce long retard si l’on tient compte des grandes affaires qui, à cette époque, détournèrent du pape et de l’Italie l’attention de l’empereur. En effet, à partir de juillet 1806, Napoléon dut principalement tourner ses regards vers l’Allemagne, où il s’était comme à plaisir créé de nouveaux embarras et de nouvelles inimitiés. Bientôt la guerre de Prusse commença. On sait que, grâce aux rigueurs de l’hiver, à la tenace résistance des Busses et aux difficultés que l’empereur éprouvait à réparer ses pertes, elle se prolongea jusqu’au milieu de 1807 et qu’à un certain moment la fortune de Napoléon parut chanceler. Pendant cette campagne laborieuse le conquérant n’eut guère le loisir de songerait pape ; et l’on conçoit du reste qu'il ne tint pas à augmenter ses embarras en poussant à bout le souverain pontife, qui eût bien pu profiter de son éloignement pour appeler les Anglais en Italie. Ce n’est pas qu’il perdît entièrement de vue son différend avec le Saint-Siège. De temps à autre, entre deux batailles, il se remettait à menacer la cour de Rome. Après Iéna, par exemple, il faisait venir à Berlin un prélat du nom d’Arezzo, qui, après avoir représenté le pape en Russie, se trouvait alors en Saxe, et, lui tenant à peu près le même langage qu’au cardinal Caprara, lui enjoignait d’aller trouver Pie VII et d’obtenir de lui qu’il ouvrît enfin une négociation sérieuse au sujet de l’alliance tant de fois proposée (novembre 1806). Ce personnage partit en effet pour Rome et soumit au gouvernement pontifical la nouvelle requête de Napoléon. Mais ce dernier était si loin, qu’il ne semblait pas pour le moment fort à craindre. La négociation ne fut pas ouverte, et le pape se contenta de faire renouveler en janvier 1807, par Arezzo, le refus qu’il avait déjà plusieurs fois opposé aux notes de Talleyrand sur l’alliance projetée par le gouvernement français. La hardiesse du Saint-Siège s’accrut encore peu après quand le vainqueur d'Iéna eut subi à Eylau un demi-échec qui l’immobilisa, lui et son armée, pour plus de quatre mois, dans les marais de la Prusse orientale. On voit à cette époque la cour de Rome multiplier, par un mauvais vouloir évident, en France, en Allemagne et en Italie, les difficultés d’administration religieuse dont Napoléon s’était plusieurs fois plaint si vivement. Pour tenir en échec l’empereur, le pape retardait le plus qu’il pouvait la réorganisation ecclésiastique de l’Allemagne. Il mettait aussi beaucoup plus de temps qu’il n’eût fallu à donner aux nouveaux évêques français l’institution canonique. Il avait en outre la prétention de ne pas pourvoir aux diocèses vénitiens conformément au Concordat de 1803, parce qu’à celte époque Venise ne faisait pas partie de la République italienne. Le prince Eugène, qui gouvernait à Milan comme vice-roi, signalait fréquemment à son père adoptif les mauvais procédés du Saint-Siège. L’empereur en bouillait de colère, déclarait qu’il saurait bien en temps et lieu faire repentir la cour de Rome de sa mauvaise conduite, mais remettait à plus tard sa vengeance et ne voulait pas poulie moment se jeter dans les tracasseries avec les nigauds[40]. VI. — Pie VII et ses conseillers ne perdirent rien pour attendre. Napoléon n’était pas abattu, comme on l’avait cru quelque temps. Si Eylau avait donné de l’espoir à ses ennemis, Friedland et Tilsitt ne tardèrent pas à le leur enlever. En juillet 1807, il tenait la Prusse sous ses pieds. La Russie s’estimait heureuse d’être son alliée. Toute l’Europe tremblait devant lui. Le ton qu’il prit aussitôt vis-à- vis du pape prouva qu'il n’avait rien oublié, que ses dernières victoires ne l’avaient rendu ni plus magnanime ni plus respectueux du droit d’autrui et qu’il n’était pas homme à pardonner aux nigauds leurs provocations ou leurs bravades. Chez moi, en Russie, lui avait dit le tsar Alexandre à Tilsitt, je suis à la fois empereur et pape, c’est bien plus commode. Napoléon ne pensait point autrement : et dès lors son langage, comme ses actes, fit bien comprendre que l’inféodation complète de l’Église à la puissance temporelle était une idée arrêtée dans son esprit. Tout d’abord, et avant même d’être rentré en France, il
chargea le prince Eugène de signifier au pape, dans des termes qu’il prit la
peine de lui tracer — sans doute de peur que le vice-roi n’écrivit a Pie VII
trop respectueusement —, son irritation, ses exigences et ses desseins. Il y avait, lisons-nous dans sa lettre du 22
juillet, des rois avant qu’il y eût des papes. Ils
veulent, disent-ils, publier tout le mal que je fais à la religion. Les
insensés ! Ils ne savent point qu’il n’y a pas un coin du monde, en Italie,
en Allemagne, en Pologne, où je n’aie fait encore plus de bien à la religion
que le pape n’y a fait de mal... Ils veulent
me dénoncer à la chrétienté ! Cette ridicule pensée ne peut appartenir qu’à
une profonde ignorance du siècle où nous sommes. Il y a là une erreur de
mille ans de date. Le pape qui se porterait à une pareille démarche cesserait
d’être pape à mes yeux. Je ne le considérerais que comme l’antéchrist, envoyé
pour bouleverser le monde et faire du mal aux hommes, et je remercierais Dieu
de son impuissance. Si cela était ainsi, je séparerais mes peuples de toute
communication avec Rome, et j’y établirais une police... Que veut faire Pie VII en me dénonçant à la chrétienté ?
Mettre mes trônes en interdit, m’excommunier ? Pense-t-il que les armes
tomberont de la main de mes soldats, et mettre le poignard aux mains de mes
peuples pour m’égorger ? Cette infâme doctrine, des papes furibonds l’ont
précitée. Il ne resterait plus au Saint-Père qu’à me faire couper les cheveux
et à m’enfermer dans un monastère ! Me prend-il pour Louis le Débonnaire ? Le
pape actuel est trop puissant ; les prêtres ne sont pas faits pour gouverner...
C’est le désordre de l’Église que veut la cour de
Rome, et non le bien de la religion. Je commence à rougir et à me sentir
humilié de toutes les folies que m’a fait endurer la cour de Rome, et
peut-être le temps n’est-il pas éloigné... où
je ne reconnaîtrai le pape que comme évêque de Rome, comme égal et au même
rang que les évêques de mes États. Je ne craindrai pas de réunir les Églises
gallicane, italienne, allemande, polonaise, dans un concile pour faire mes
affaires sans pape et mettre mes peuples à l’abri des prêtres de Rome...
En deux mots, c’est la dernière fois que j’entre en
discussion avec cette prêt raille romaine... Je
n'ai jamais demandé autre chose qu’un accommodement. Si Rome n’en veut point,
qu’elle ne nomme point d évêques ; mes peuples vivront sans évêques, mes
Églises sans direction, jusqu’à ce qu’enfin l’intérêt de la religion, dont
mes peuples ont besoin, me fera prendre un parti que commandent leur
bien-être et la grandeur de ma couronne ! Le prince Eugène avait ordre non seulement de communiquer au pape ces remontrances toutes soldatesques, mais de lui écrire en son propre nom sur un ton encore moins respectueux et plus comminatoire[41]. Quelques jours plus tard, l’empereur, rentré en France, déclarait nettement au vice-roi que, si le pape faisait quelque imprudence, ce serait une belle occasion de lui ôter ses Etats de Rome[42]. Pie VII vit bien à ce style que les menaces étaient sérieuses, que le moment était venu pour lui d’être circonspect et qu’il fallait enfin faire quelques concessions, ou du moins en avoir l’air. Aussi, quoiqu’il en eût la rage au cœur, répondit-il encore assez humblement à ces insolentes missives. Maintenant il ne se refusait plus à la négociation qu’Arezzo était venu lui proposer l’hiver précédent. Il voit lait bien, en principe, adhérer au blocus continental, rompre tout rapport avec les Anglais, leur fermer ses États. Tout ce qu’il demandait, c’était de ne pas être obligé de leur déclarer la guerre. Il désignait (en août) le cardinal Litta pour aller à Paris conclure le traité. Fort peu après, apprenant que Napoléon avait l’intention de se rendre en Italie, il lui écrivait de sa propre main et dans les termes les plus onctueux pour le supplier de venir à Rome, où il lui promettait une réception digne de lui et se disait assuré de dissiper aisément tous les nuages qui avaient pu s’élever entre les deux puissances[43]. Mais l’empereur n’eût pu accepter cette invitation sans s’engager moralement à respecter le pouvoir temporel du pape. Or non seulement il n’entendait pas contracter une pareille obligation, mais il était dès lors bien résolu à s’emparer de l’Etat pontifical[44]. Seulement il lui fallait un prétexte, sinon pour justifier, du moins pour expliquer un pareil attentat. La cour de Rome, connaissant ses intentions, fit tout ce qu’elle put pour ne pas lui laisser prendre cet avantage. Elle se montra, durant plusieurs semaines, d’autant plus accommodante qu’il était plus arrogant, plus impérieux et plus exigeant. Il déclara tout d’abord qu’il ne voulait pas du cardinal Litta pour négocier le traité. Il demandait qu’on lui envoyât le cardinal de Bayanne, parce que ce membre du sacré collège était français et qu’il espérait le faire plier plus facilement à ses volontés. Le pape lui donna cette satisfaction. Mais alors il entama une nouvelle querelle en se plaignant que Bayanne n’eût pas les pleins pouvoirs du pape et que ce dernier ne songeât qu’à tromper l’empereur par une négociation dilatoire. Et dans fi' même temps, comme s’il eut craint que cette chicane ne suffit pas pour amener Pie VII à faire un éclat, il ordonnait au général Lemarrois, gouverneur d’Ancône, d’occuper militairement les quatre provinces de Macerata, de Spolète, d'Urbin, et de Foligno, c’est-à-dire les territoires pontificaux formant trait d’union, du côté de l’Adriatique, entre le royaume d’Italie et le royaume de Naples. Dès la fin d’octobre 1807 ses instructions à cet égard étaient exécutées. C’était assurément là une étrange manière de négocier. Le malheureux pape ne manqua pas de s’en plaindre. II révoqua les pouvoirs du cardinal de Bayanne (9 novembre). Du reste, le projet de traité que ce négociateur lui envoyait à ce moment même au nom du gouvernement français outrepassait à tel point la mesure des concessions qu’il était disposé à faire, qu’il ne pouvait plus avoir la moindre illusion sur les véritables desseins de l’empereur. Effectivement, c’était une alliance non seulement défensive, mais offensive, que Napoléon exigeait de lui contre les Anglais et les infidèles. Il fallait que le pape laissât au pouvoir des Français les ports d’Ancône, d’Ostie et de Civita-Vecchia. Il devait reconnaître les nouveaux rois de Naples, de Hollande, de Westphalie, adhérer à tous les arrangements faits par l’empereur en Allemagne et en Italie, renoncer à Bénévent, à Ponte-Corvo, à la suzeraineté du royaume de Naples. Ce n’était pas tout ; Napoléon ne lui laissait même pas le gouvernement de l’Eglise. Il voulait que le nombre des cardinaux de l’empire français fût porté au tiers du nombre total des membres du sacré collège. Il exigeait aussi qu’un concordat fût conclu sans retard pour la confédération du Rhin. Enfin le nouveau ministre des affairés étrangères, Champagny[45], donnait à entendre que l’empereur pourrait bien demander encore au Saint-Siège : 1° l’engagement exprès de respecter les libertés de l’Eglise gallicane ; 2° celui de s’abstenir de tout acte renfermant des clauses positives ou des réserves qui pussent alarmer les consciences et répandre quelques divisions dans les Etats de Sa Majesté. Autant valait dire que l’empereur voulait empêcher le pape d’être pape et le réduire aux fonctions de préfet. Cette communication porta au comble l’irritation du souverain pontife. L’idée d’accepter un pareil arrangement ne lui vint même pas. Du reste, le sacré collège, qu’il consulta, comme il l’avait fait en 1806, fut unanime à l’en dissuader. Pie VII enjoignit donc, par lettre du 2 décembre, au cardinal de Bayanne, qui était encore à Paris, de déclarer qu’il ne pouvait en aucune manière adhérer à un traité attentatoire à la liberté et à l’indépendance de sa souveraineté. Napoléon s’attendait évidemment à une pareille réponse, et le pape ne doutait pas qu’elle n’attirât sur le Saint-Siège les foudres impériales. Les menaces du nouveau Charlemagne, depuis si longtemps suspendues, allaient sous peu devenir des faits accomplis. Dès le commencement de janvier 1808, le prince Eugène et le roi Joseph recevaient de Paris l’ordre de mettre des troupes à la disposition du général Miollis, qui était chargé de marcher sur Rome[46]. Ce général, après avoir répandu le bruit qu'il avait simplement pour mission de protéger les derrières de l'armée de Naples, entra tout à coup (le 2 février) avec dix ou douze mille soldats, dans la capitale de l’État pontifical et, sans y permettre, d’ailleurs, aucun désordre grave, s’y établit comme en pays conquis. La résolution de l’empereur, dès cette époque, était si bien de garder Rome, qu'il avait formellement recommandé d'accoutumer le peuple de Rome et les troupes françaises à vivre ensemble, afin que, si la cour de Rome continuait à se montrer aussi insensée, elle cessât insensiblement d'exister comme puissance temporelle sans qu'on s'en aperçût[47]. Il était impossible, après ce dernier attentat, que la cour de Rome ne se montrât pas insensée, au sens que Napoléon donnait à ce mot. Naturellement elle protesta, par un manifeste adressé à toutes les puissances chrétiennes, contre le brigandage dont elle était victime. Naturellement aussi elle repoussa la sommation qui lui fut adressée de nouveau par Champagny (le 3 février) d’entrer dans la confédération impériale. Mais, quelle que fût son audace, le fils aîné de l'Eglise ne vit pas encore là de raisons suffisantes pour prononcer la déchéance temporelle du pape. Il fallait, par de nouvelles persécutions, amener le souverain pontife à menacer personnellement Napoléon, à faire usage de ses armes spirituelles pour la défense de sa puissance politique, auquel cas, s’étant mis dans son tort, il n’inspirerait plus à l’Europe aucun intérêt. Cette tactique fut méthodiquement employée. Mais elle ne réussit qu'à la longue, car le pape était sur ses gardes et ne voulait pas donner prise sur lui à son adversaire. Il fut même assez politique au début pour faire bonne mine à Miollis, qui alla le voir avec son état- major et fut reçu par lui fort courtoisement. Mais ce général — très galant homme d’ailleurs —, avait ordre de le pousser dans ses derniers retranchements. Il commença par s’emparer des journaux, des imprimeries, des bureaux de poste, si bien que le Saint-Père ne put plus rien publier ni avoir avec le dehors aucune communication régulière sans sa permission. Dès le mois de février, ses instructions l'obligèrent à se montrer plus rigoureux encore. Les Anglais et les Sardes avaient déjà été expulsés de l’État pontifical. Mais il y avait à Rome sept cardinaux napolitains, que Napoléon accusait d’intelligence avec les Bourbons des Deux-Siciles, alors réfugiés à Palerme. Ils furent tout à coup saisis, mis en voiture et reconduits militairement jusqu’à la frontière napolitaine. Le mois suivant, cette épuration du sacré collège ne paraissant pas suffisante à l’empereur, Miollis chassa sans plus de procédés quatorze autres cardinaux qui, n’étant pas nés sujets du pape, n’avaient pas, au gré de Napoléon, le droit de demeurer à Rome. Parmi eux était le nouveau secrétaire d’Etat du Saint-Père, Doria Pamphili, qui, tout récemment[48], venait de succéder à Casoni. Dès lors, il ne restait plus autour de Pie VII que vingt et un cardinaux. Le gouvernement pontifical, dont les congrégations cardinalices sont, comme on sait, les principaux organes, était ainsi en grande partie désorganisé. Il y avait là un empiétement évident sur la puissance spirituelle du pape. Pie VII ne se laissa pourtant point encore emporter par la colère qui bouillonnait en lui. Il se contenta de rompre, après l’expulsion des Napolitains, toutes relations diplomatiques avec la cour des Tuileries, en rappelant de Paris non seulement Bayanne, mais Caprara (3 mars). Il prit peu après pour secrétaire d’Etat un cardinal romain, Gabrielli, et protesta par une allocution en consistoire, à la face de l’Europe, contre les violences que lui et ses conseillers venaient de subir. C’était, en somme, son droit strict. Celui de Napoléon n’allait après cela qu'à retirer son propre ambassadeur de Rome, ce qu’il fit dans le courant de mars. Mais, comme s’il eût trouvé le pape trop prudent, il jugea bon de l'aiguillonner par un nouvel outrage. Au moment de partir pour Rayonne, où il allait procéder, avec la fourberie que l’on sait, à l’escamotage de la couronne d’Espagne, il signa sans plus de façons (le 2 avril) deux décrets, dont le premier annexait à perpétuité au royaume d’Italie les provinces d’Urbin Ancône, Macerata et Camerino, tandis que le second ordonnait aux cardinaux, prélats, officiers et employés quelconques auprès de la cour de Rome natifs du royaume d’Italie d’avoir à y rentrer, sous peine de confiscation de leurs biens. Ces mesures, rendues publiques au bout de quelques semaines, firent enfin sortir le pape de la circonspection toute politique où il s’était enfermé depuis plusieurs mois. Non content d’en appeler à l’Europe des décrets qui le dépouillaient de son bien (19 mai), il crut devoir adresser aux évêques des provinces soustraites à son autorité par Napoléon une instruction par laquelle, mêlant le spirituel au temporel, il incriminait l’indifférentisme religieux du gouvernement impérial, réprouvait — un peu tard, il en faut convenir — comme sacrilège toute complaisance pour une autorité si peu soucieuse de la vérité, de la foi, et interdisait aux habitants des dites provinces, sous peine de compromettre leur salut, de prêter serment de fidélité au gouvernement intrus ou d’accepter de lui des emplois. Cette instruction ne fut pas généralement approuvée, même par les représentants des puissances catholiques accrédités auprès du pape. On trouva que le Saint-Père s’était placé sur un mauvais terrain. Du reste, tout le monde tremblait à tel point devant Napoléon, que personne, sauf le souverain pontife, ne protesta contre l’arrestation du secrétaire d’État Gabrielli, qui, pour avoir signé cette pièce, fut à son tour expulsé de Rome par ordre de Miollis (12 juin). Quant à Pie VII, décidé à ne plus user de ménagements, il donna aussitôt pour successeur à ce ministre le cardinal Pacca, connu depuis longtemps comme un des chefs du parti contre-révolutionnaire et antifrançais. Il prononça bientôt (11 juillet) en consistoire une allocution très vive contre les derniers attentats du gouvernement impérial et, malgré la surveillance dont il était l’objet, parvint à la répandre dans toute l’Europe. Quant au nouveau secrétaire d’État, il prit pour tâche de ne laisser passer aucun acte important du général Miollis sans protestation. Du reste, les événements d’Espagne et de Portugal, qui ne tournaient pas à ce moment au gré de Napoléon — l’on apprenait en effet presque coup sur coup les désastres de Baylen et de Vimciro —, l’enhardissaient singulièrement. Une note fort énergique lancée le 24 août contre la garde civique récemment instituée dans l'Étal romain par le général — qui précédemment avait incorporé d’autorité les troupes pontificales dans son corps d’armée — détermina Miollis à le frapper à son tour. Il envoya tout à coup (le 6 septembre) deux officiers au Quirinal pour se saisir de Pacca, qu’il voulait expulser comme Gabrielli. Mais le pape accourut, hérissé de colère, prit le cardinal par le bras, déclara que, si on voulait l’emmener, il faudrait l’arrêter lui-même, qu’il ne le quitterait plus et que le secrétaire d’État coucherait désormais au Quirinal, dont il lit dès lors interdire les portes à tous les Français. Cette ferme attitude intimida Miollis, qui, pour le moment, n’osa passer outre. Il est bien probable que Napoléon en aurait puni Pie VII sans retard si les embarras qu’il venait de se créer en Espagne ne l’eussent fait pour l’heure hésiter à provoquer de nouvelles complications en Italie. Il lui fallut en octobre courir à Erfurt pour se concerter avec le tsar, puis revenir vers les Pyrénées et mener au delà une campagne d’hiver qu’il dut interrompre en janvier 1809 pour faire face à l’Autriche et se transporter avec la Grande Armée sur les bords du Danube. Tant de préoccupations et tant d’entreprises ne lui laissèrent pas le loisir d’en finir avec le pape aussitôt qu’il l’aurait voulu. Pie VII eut donc encore quelques mois de répit. Mais la résolution de l’empereur était irrévocable. Sa correspondance et les mémoires du temps prouvent que, dès les premiers mois de 1809, avant d’avoir ouvert les hostilités en Bavière, il avait pris ses dispositions pour terminer à bref délai l’œuvre de spoliation commencée en 1805 par l’occupation d’Ancône. Murat, roi de Naples depuis 1808[49], avait ordre de prêter son concours à Miollis pour achever la prise de possession des États pontificaux et en effectuer l’incorporation à l’empire français. Seulement, l’empereur ne voulait en venir là qu’après un grand succès en Allemagne. Il fallait que le bruit du nouveau brigandage qu’il méditait se perdît dans le retentissement de ses victoires. Après Eckmühl, quand il fut entré à Vienne, il n’hésita plus. C’est de Schœnbrunn, près de cette capitale, qu'il data, le 17 mai, les deux décrets par lesquels, rappelant la donation de Charlemagne, son auguste prédécesseur, et le mauvais usage qu’en avaient fait les papes, il déclarait les États pontificaux annexés à l’Empire français et instituait, sous la présidence de Miollis, une consulte extraordinaire pour les administrer provisoirement. VII. — Il ne restait plus qu’à exécuter ses volontés. Miollis et la consulte n’y eurent aucune difficulté, car depuis bien longtemps le pape était hors d’état de se défendre par les armes. Le 10 juin 1809 le drapeau pontifical, qui avait flotté jusque-là sur le château Saint-Ange, fut abattu par ordre du général français. La Papauté temporelle avait cessé d’exister. Mais la Papauté spirituelle n’était pas morte. Qu’allait-on faire de son représentant ? On était bien certain qu'il ne consentirait pas à sa déchéance. Mais alors pouvait-il demeurer au Quirinal ? Et quelles raisons donner pour l’en faire sortir ? Il fallait un prétexte, et Pie VII, exaspéré par l’incroyable abus de la force dont il était victime, le fournit lui-même aux agents de la politique napoléonienne. En prévision de ce qui venait de se passer, il avait depuis quelque temps préparé secrètement, avec Pacca et plusieurs autres cardinaux, une bulle d’excommunication contre l’empereur des Français. Dès le 10 juin au soir, il parvint à la faire placarder dans la ville de Rome, sur les murs de plusieurs églises. Elle en fut bien vite arrachée par ordre de Miollis. Mais le fait qu’il avait solennellement employé son autorité religieuse pour venger sa puissance temporelle était maintenant constant, et cela suffisait pour que Napoléon se crût ou feignit de. se croire autorisé à se porter sur lui à un dernier excès, c’est-à-dire à s’emparer de sa personne après s’être emparé de ses États. L’empereur a souvent répété qu’il n’avait jamais ordonné d'arrêter le pape. Mais, s’il est parvenu à tromper sur ce point presque tous ses contemporains, il n’a pu tromper de même la postérité. Outre qu’un simple général ne se fût certainement jamais permis d’accomplir sans ordre un acte aussi grave, nous trouvons dans la correspondance même de Napoléon la preuve que l’enlèvement de Pie VII fut bien prévu et commandé par lui. Aucun asile, écrivait-il au roi Murat le 19 juin, ne doit-être respecté, si on ne se soumet à mes décrets... Si le pape, contre l’esprit de son état et de l'Evangile ? prêche la révolte et veut se servir de l’immunité de sa maison pour faire imprimer des circulaires, on doit l'arrêter. Le temps de ces scènes est passé. Philippe le Del fit arrêter Boniface, et Charles-Quint tint longtemps en prison Clément VII. Et ceux-là avaient fait encore moins. Un prêtre qui prêche aux puissances temporelles la discorde et la guerre, au lieu de la paix, abuse de son caractère. Enfin le 20 juin, il adressait à son beau-frère l’ordre suivant — qui vient de nous être révélé par une publication toute récente[50] — : Je reçois à l’instant la nouvelle que le pape nous a tous excommuniés. C’est une excommunication qu’il a portée contre lui-même. Plus de ménagements ; c'est un fou furieux qu'il faut renfermer. Faites arrêter le cardinal Pacca et autres adhérents du pape. C’est en vertu de ces instructions, transmises sans retard à Miollis que, dans la nuit du 5 au 6 juillet 1809, le général de gendarmerie Radet fit assaillir le Quirinal par trois escouades de soldats et de gendarmes et mit en arrestation le pape Pie VII et son fidèle ministre le cardinal Pacca. On ne laissa pas seulement deux heures aux prisonniers pour leurs préparatifs de voyage. Dès quatre heures du matin, au milieu de la ville endormie, ils furent emmenés sous escorte dans une voiture aux persiennes soigneusement clouées. Le surlendemain soir, ils couchèrent à la chartreuse de Florence. De là, on les transporta bientôt à Gênes, puis à Grenoble, où ils arrivèrent le 24 juillet et d’où, par ordre de l’empereur, le pape fut conduit à Savone, tandis que le secrétaire d’Etat fut enfermé dans la forteresse de Fenestrelles. Où étaient maintenant les beaux jours du Concordat, les tendresses mutuelles du pontife et du conquérant, le paternel amour de l’un, le respect filial de l’autre ? Où étaient les espérances de paix religieuse qu’on avait données à la France ? Le restaurateur des autels, le fils aîné de l'Eglise s’était montré aussi dur et en tout cas plus injuste que le Directoire envers le Saint-Siège. Le résultat le plus clair de cette alliance dont on avait fait tant de bruit, c’est que le pape était captif et l’empereur excommunié. Napoléon ne savait que faire de son prisonnier. L’Eglise de France, qu’il avait si bien domestiquée, allait se détacher de lui. Le Concordat allait contribuer pour sa bonne part à la dissolution de l’Empire. En réalité, le compromis de l’an X n'avait profité ni au pape ni à l’empereur, et on ne voit pas bien ce que la France y avait gagné. |
[1] Votre Éminence, lui écrivait-il le 13 juin, ne peut se faire aucune illusion ; à la décision que vous allez prendre est attaché le salut ou la perte de la religion catholique et de l’Église, non pas seulement en France, mais ailleurs encore...
[2] V. l’arrêté du 20 prairial an X (9 juin 1802) supprimant les communautés dans les départements de la Sarre, de la Roër, de Rhin-et-Moselle et du Mont-Tonnerre.
[3] V. la circulaire de l’administration des cultes du 4 pluviôse an XI (24 janvier 1803) contre les associations religieuses illicites.
[4] Décret du 3 messidor an XII (22 juin 1804). — Pie VII avait annulé dès 1801 la bulle de Clément XIV abolissant Tordre des Jésuites, et l'avait rétabli, sous le titre de Congrégation du Sacré-Cœur, en Russie, puis à Naples. Il devait le reconstituer plus tard solennellement par la bulle Sollicitudo omnium ecclesiarum, du 7 août 1814. Le décret du 3 messidor ne fut pas, à ce qu'il semble, appliqué bien rigoureusement. Les Pères de ta Foi avaient encore des maisons en France en 1807. Le 17 décembre de cette année, Napoléon ordonnait à Fouché de dissoudre cette société dans tout l’Empire. Je ne veux pas de Pères de la Foi, écrivait-il, encore moins qu’ils se mêlent de l’instruction publique pour empoisonner la jeunesse par leurs ridicules principes ultramontains. — Lecestre, Lettres inédites de Napoléon, I, 129.
[5] Arrêtés consulaires du 1er nivôse an IX, du 24 vendémiaire an XI ; décisions du 28 prairial an XI, du 22 germinal an XII ; décret du 3 messidor an XII, etc.
[6] Il ressort de la réponse qu’il fit à diverses demandes du pape le 30 ventôse an XIII (21 mars 1805) (Corr. de Napol., t. X, pp. 248-249) que, dès le commencement de l’Empire, cette protection avait été attribuée à Madame mère, qui en fut plus tard investie solennellement par le décret du 18 février 1809.
[7] Il en légalisa l’existence quelques années après par le décret du 17 mars 1808, qui l’admit officiellement dans l’Université.
[8] Loi du 23 ventôse an XII (14 mars 1804).
[9] Décret du 7 prairial an XII (27 mai 1804).
[10] Le gouvernement britannique s’était engagé, par le traité d’Amiens, à rendre Malte. Mais des difficultés s’élevèrent sur cet article. Et l’ile n’était pas encore évacuée quand la guerre recommença entre la France et l’Angleterre (mai 1803).
[11] Fesch, né en 1763, avait été chanoine de l’église d’Ajaccio avant 1792. Sa vocation ecclésiastique ne l’avait pas empêché de venir en France, comme son neveu, faire le jacobin pendant la Terreur. Depuis, il avait suivi l’armée d’Italie comme commissaire des guerres, gagné beaucoup d’argent et mené une vie assez peu édifiante. Mais, sous le Consulat, la grâce l’avait touché de nouveau. C’était un homme avide, orgueilleux, têtu, médiocrement intelligent et que Bonaparte n’eut pas, en somme, beaucoup à se louer d’avoir élevé si haut.
[12] Chateaubriand, qui venait d’attirer sur lui l’attention publique par le Génie du christianisme (1802), fut attaché au cardinal comme secrétaire d’ambassade. Mais il ne tarda pas à se brouiller avec Fesch et, dès la fin de l’année 1803, se fit envoyer comme ministre de France dans le Valais.
[13] Après la conclusion du Concordat, Louis XVIII avait cessé d’être traité par le pape en roi de France. Depuis la fin de juillet 1801, Maury, son ambassadeur auprès du Saint-Siège, était confiné à Montefiascone, où il s’ennuyait fort. Ce cardinal, las d’une fidélité qui ne paraissait plus devoir lui rapporter que des disgrâces, entretint encore jusqu’au commencement de 1804, par acquit de conscience, une correspondance languissante avec le prétendant, dont il jugeait dès lors la cause perdue. Mais, dès la fin de 1803, il avait cru devoir souhaiter la bonne année au premier consul et, au mois d’aoùt 1804, il allait se rallier sans réserve à l’Empire par une lettre d’une rare abjection, que Napoléon s’empressa de publier dans le Moniteur.
[14] Il ne le fut que le 18 mai 1804.
[15] Il l’avait pourvu en 1802 de l’archevêché de Milan, qui rapportait 150.000 francs de rentes. Il lui donna le grand aigle de la Légion d'honneur en juillet 1804. Il lui fit plus tard, pour le tirer de ses embarras pécuniaires, acheter son palais de Bologne, recommandant de ne pas lésiner, dût-on payer l’immeuble quelques centaines de mille francs de plus qu’il ne valait (lettre de Napoléon au prince Eugène, 23 mars 1806).
[16] Conclu en septembre 1803 par le gouvernement de la République italienne (dont Bonaparte était, on lésait, le chef depuis 1802).
[17] Il est vrai que, s’il faut en croire l’abbé de Pradt, dans tout le cours de la cérémonie, il ne fit que bâiller (Hist. des quatre Concordats).
[18] Si un seul rire, dit de Pradt, eût donné le signal, nous courions le risque de tomber dans le rire inextinguible des dieux d’Homère. L’écueil était là ; heureusement le ministre Fouché avait pourvu à tout : cet homme là ne dormait pas toujours, et Paris garda son sérieux. (Hist. des quatre Concordats, 212-213.)
[19] V. la Réponse remise par l'empereur à S. S. le Pape le 30 ventôse au XIII (21 mars 1805). — Corr. de Napoléon, X, 243-250.
[20] Les articles organiques avaient déjà rendu aux jours leurs anciens noms et fixé le repos des fonctionnaires au dimanche (art. 56 et 57).
[21] Par là, Talleyrand faisait allusion à Avignon et à Carpentras, que le Saint- Siège réclamait toujours, au moins pour la forme.
[22] La République italienne qui, à ce moment même, se transformait en royaume d’Italie et prenait pour roi Napoléon.
[23] Les forfaits d’un Alexandre Borgia, écrivait Joseph de Maistre, sont moins révoltants que cette hideuse apostasie de son faible successeur... Je voudrais de tout mon cœur que le malheureux pontife s’en allât à Saint-Domingue pour sacrer Dessalines. Quand une fois un homme de son rang et de son caractère oublie à ce point l’un et l’autre, ce qu’on doit souhaiter ensuite, c’est qu’il achève de se dégrader jusqu’à n’être plus qu’un polichinelle sans conséquence...
[24] Il n’est pas prouvé qu’il ait tenu exactement ce propos. Mais il en a tenu réellement de plus brutaux encore, et les mots que nous venons de citer résument bien sa pensée.
[25] Lettres à Bernier (30 déc. 1802), à Portalis (8 déc. 1803, 29 janv. 1804). — Corr. de Napoléon, VIII, 158 ; IX, 137, 225.
[26] Ils l’avaient même été précédemment à celle des préfets.
[27] Lettre à Fouché, du 7 février 1806.
[28] Loi du 10 mai 1806.
[29] Lettre de Napoléon à Portalis, 30 juillet 1806.
[30] On eut quelque peine à trouver dans les martyrologes le patron, jusqu’alors absolument inconnu, du pieux empereur. Mais, avec beaucoup de patience et de bonne volonté, on finit par découvrir qu’un certain Néopolis ou Néopolas avait souffert le martyre à Alexandrie en Égypte au temps de Dioclétien. Et comment douter que Napoléon ne vînt en droite ligne de Néopolas ?
[31] Le 18 septembre 1805, Consalvi écrivait à Caprara que le projet du catéchisme impérial soulevait bien des objections ; il n’était pas d’avis, disait-il, que le pouvoir civil put imposer à tous les évêques un catéchisme uniforme et de sa composition. Bref, il eût voulu retarder indéfiniment l’apparition du livre. Mais Caprara, qui voulait surtout complaire à l’empereur, crut devoir passer outre.
[32] Qu’on ne crie point à l’exagération ; voici les propres termes dudit catéchisme (leçon VII, suite du quatrième commandement) : D. Quels sont les devoirs des chrétiens à l’égard des princes qui les gouvernent et quels sont en particulier nos devoirs envers Napoléon Ier, notre empereur ? — R. Les chrétiens doivent aux princes qui les gouvernent, et nous devons en particulier à Napoléon Ier, noire empereur, l’amour, le respect, l’obéissance, la fidélité, le service militaire, les tributs ordonnés pour la conservation et la défense de l’empire et de son trône ; nous lui devons encore des prières ferventes pour son salut et pour la prospérité spirituelle et temporelle de l’Etat. — D. Pourquoi sommes-nous tenus de tous ces devoirs envers notre empereur ? — R. C’est premièrement parce que Dieu, qui crée les empires et les distribue selon sa volonté, en comblant notre empereur de dons, soit dans la paix, soit dans la guerre, l’a établi notre souverain, l'a rendu le ministre de sa puissance et son image sur la terre. Honorer et servir notre empereur est donc honorer et servir Dieu lui-même... Il est celui que Dieu a suscité, dans les circonstances difficiles, pour rétablir le culte public et la religion sainte de nos pères et pour en être le protecteur. Il a ramené et conservé l’ordre public par sa sagesse profonde et active ; il défend l’Etat par son bras puissant ; il est devenu Y oint du Seigneur par la consécration qu’il a reçue du souverain pontife, chef de l’Église universelle. — D. Que doit-on penser de ceux qui manqueraient à leur devoir envers notre empereur ? — R. Selon l’apôtre saint Paul, ils résisteraient à l’ordre établi de Dieu même et se rendraient dignes de la damnation éternelle...
[33] V. dans sa correspondance sa lettre au pape du 19 août 1805.
[34] Il eut lieu en effet le 19 novembre.
[35] Les Anglais.
[36] Il en était encore ainsi à cette époque. Mais on sait que, peu après, Napoléon amena François II à renoncer au titre d’empereur d’Allemagne pour prendre celui d’empereur d’Autriche (juillet 1806).
[37] Lettre de Napoléon à Talleyrand, 16 mai 1806.
[38] Note d’Alquier au cardinal Consalvi, 17 juin 1806.
[39] Il venait de donner la première de ces deux principautés à Talleyrand et la seconde à Bernadotte.
[40] Lettre de Napoléon au prince Eugène, 3 avril 1807.
[41] Il n’est pas juste, devait-il écrire, que les mouches s’attachent au lion et le piquent à petits coups d’aiguillon... C’est la dernière fois que j’ai l’autorisation d’écrire à Votre Sainteté. Elle n’entendra plus parler de mon souverain ni de moi. Qu’elle nomme ou non des évêques, elle en est la maîtresse ; si ensuite quelqu’un se permet de prêcher le trouble et l’insurrection, il en sera puni par la justice des lois, dont le pouvoir émané aussi de la divinité.
[42] Lettre du 9 août 1807.
[43] Lettre de Pie VII à Napoléon, 11 septembre 1807.
[44] On sait qu’il se rendit effectivement dans le royaume d’Italie et y séjourna plusieurs semaines en novembre et décembre 1807, mais qu’il se garda bien d’aller jusqu’à Rome.
[45] Champagny venait de succéder en celte qualité à M. de Talleyrand, nommé vice-grand-électeur (10 août 1807).
[46] Le 23 janvier l’empereur enjoignait aussi au prince Eugène de faire arrêter le courrier en provenance de Rome ; les lettres contenant des diatribes contre la France devaient être jetées au feu. Les bulles, brefs, formulaires de prières ou autres écrits composés dans le but d’agiter le peuple devaient être également interceptés.
[47] Lettre de Napoléon à M. de Champagny, 22 janvier 1808.
[48] En février.
[49] En remplacement de Joseph Bonaparte, que l’empereur avait proclamé roi d’Espagne.
[50] Lecestre, Lettres inédites de Napoléon Ier, I, 318.