HISTOIRE DES RAPPORTS DE L'ÉGLISE ET DE L'ÉTAT

PREMIÈRE PARTIE. — RÉVOLUTION

 

CHAPITRE PREMIER. — LAÏCISATION DE L’ÉTAT.

 

 

I. Les élections et les cahiers du clergé en 1789. — II. Le bas clergé et les communes aux états généraux. — III. Les droits de l’homme et du citoyen. — IV. L’épiscopat et la contre-révolution. — V. La question d’argent à l’Assemblée constituante. — VI. Motions de Talleyrand et de Mirabeau. — VII. Débats relatifs à la propriété ecclésiastique ; décret du 2 novembre. — VIII. Suppression des ordres monastiques. — IX. Le clergé salarié. — (1789-1790).

 

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SOURCES. — Sieyès, Observations sommaires sur les biens ecclésiastiques (1789). — Mounier, Exposé de la conduite de Mounier dans l’Assemblée nationale (1789). — Idem, Recherches sur les causes qui ont empêché les Français de devenir libres (1792). — Mirabeau, Lettres à mes commettants (1789-1791). — De Clermont-Tonnerre, Recueil de ses opinions (1791). — Fauchet, De la Religion nationale (1789). — Idem, Discours sur la liberté française (1789). — Idem, Discours sur l'accord de la religion et de la liberté (1789). — Durand-Maillane, Histoire apologétique du comité ecclésiastique de l'Assemblée nationale (1791). — Malouel, Collection de ses opinions à l'Assemblée nationale (1791-1792). — Barruel, Collection ecclésiastique ou Recueil complet des ouvrages faits depuis l'ouverture des états généraux relativement au clergé (1791-1792). — Idem, Histoire du clergé de France pendant la Révolution (1794). — Montjoie, Histoire de la Révolution de France (1792). — Rabaut-Saint-Etienne, Précis historique de la Révolution française (1792). — Idem, Discours et opinions (1827). — Necker, De la Révolution française (1796). — Mis de Ferrières, Mémoires pour servir à l'histoire de l’Assemblée constituante et de la Révolution de 1789 (an XII). — Bailly, Mémoires d'un témoin oculaire de la Révolution (1804). — Grégoire, Essai historique sur les libertés de l'Eglise gallicane (1818). — Idem, Histoire des sectes religieuses (1828). — Idem, Mémoires (1837). — De Pradt, les Quatre Concordats (1818-1820). — Mme de Staël, Considérations sur les principaux événements de la Révolution française (1818-1820). — Mirabeau, Discours et opinions (1820). — Mme Campan, Mémoires (1823). — Montgaillard, Histoire de France depuis la fin du règne de Louis XVI jusqu'à 1825 (1826-1827). — De Montlosier, Mémoires sur la Révolution, le Consulat, l'Empire, la Restauration (1829). — Laferrière, Essai sur l'histoire du droit français (1836-1838). — De Falloux, Histoire de Louis XVI (1810), — Barnave, Introduction à la Révolution française dans le t. I de ses Œuvres (1812). — Droz, Histoire du règne de Louis XVI (1842). — Gallois, Réimpression de l'ancien Moniteur, t. I-VI. — De Barentin, Mémoire autographe sur les derniers conseils du roi Louis XVI (1844). — Delbos, l'Eglise de France (1850). — Jager, Histoire de l'Eglise de France pendant la Révolution (1852). — Poujoulat, le Cardinal Maury, sa vie et son œuvre (1855). — Guettée, Histoire de l'Eglise de France (1857), t. XII. — Lanfrey, Essai sur la Révolution française (1858). — Laurent, l’Eglise et l’Etat depuis la Révolution (1862). — Chassin, le Génie de la Révolution (1863-1865). — Idem, les Cahiers des curés (1882). — Jallet, Journal de sa vie politique (1871). — J. Wallon, le Clergé de quatre-vingt-neuf (1876). — Taine, la Révolution (1878), t. I. — Aulard, les Orateurs de la Constituante (1882). — Chérest, la Chute de l'ancien régime (1884-1886). — Méric, Histoire de M. Emery et de l'Eglise de France pendant la Révolution (1885). — Gazier, Etudes sur l'histoire religieuse de la Révolution française (1887). — Talleyrand, Mémoires (1891). — Sciout, Histoire de la constitution civile du clergé. — Flammermont, la Journée du 14 juillet (1892). — Edme Champion, les Biens du clergé et de la Révolution (dans la Révolution française, n° du 14 juin 1891). — Actes de la commune de Paris pendant la Révolution, tt. I-V (publiés par Sigismond Lacroix). — Delarc, l'Eglise de Paris pendant la Révolution (1895). — A. Brette, Recueil de documents relatifs à la convocation des états généraux de 1789 (1894-1896). — Alexandre Onou, la Comparution des paroisses en 1789 (Révolution française, n° du 14 mars 1897). — V. en outre, pour ce chapitre et les quatre suivants les histoires générales de la Révolution (Thiers, Mignet, Bûchez et Roux, Michelet, Louis Blanc, etc.).

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I. — En convoquant les états généraux, le gouvernement royal n’avait certainement pas en pour but de fonder en France le régime de la liberté politique et de l’égalité sociale. Il ne songeait ni à remettre au pays l’autorité discrétionnaire qu’il exerçait depuis longtemps ni à déposséder les ordres privilégiés de leur place prédominante dans l’État. Louis XVI était profondément dévoué, on pourrait dire inféodé, à la noblesse et surtout à l’Église. Sa conduite ultérieure pendant la Révolution ne le prouva que trop. Lui et ses ministres voulaient seulement que l’aristocratie laïque et le haut clergé consentissent enfin à payer l’impôt, comme le reste de la nation. Au fond, leurs vues de réformes n’allaient pas plus loin. C’est pour intimider ces deux classes, jusque-là si réfractaires à leurs exigences fiscales, qu’ils décrétèrent en décembre 1788 le doublement du tiers aux Etats généraux. Us n’allèrent pas, il est vrai, jusqu’à ordonner le vote par tête, ce qui eût été logique et eût prouvé leur désir sincère de marcher d’accord avec la masse du peuple. La noblesse, entrés grande majorité, n’en voulait à aucun prix, ni dans aucun cas. Mais, si le gouvernement n’entendait pas prescrire aux états ce mode de délibération pour l’ensemble de leurs travaux, il souhaitait qu’ils l’adoptassent pour discuter et résoudre certaines questions d’intérêt commun, notamment les questions budgétaires. N’osant pas imposer, même à cet égard, sa volonté, ne croyant pouvoir faire céder la noblesse qu’en amenant le clergé à se séparer d’elle pour se rapprocher du tiers, il jugea très habile de forcer la main au corps ecclésiastique en l’amenant à élire une représentation favorable à ses vues, ce qui était alors on ne peut plus facile. Dans les anciens états généraux, l’Église avait toujours été représentée presque exclusivement par son état-major, séculier et régulier, c’est-à-dire par des évêques, des chanoines, des abbés. Il s’agissait celle fois d’obtenir qu’elle le fût surtout par des curés, les bonnes dispositions du bas clergé à l’égard des réformes projetées n’étant pas douteuses.

Voilà pourquoi le règlement électoral du 24 janvier 1780[1] donna au clergé des paroisses une forte majorité dans les assemblées de bailliages d’où devait sortir la députation du premier ordre. En effet, il déclarait électeurs tous les curés, tandis que les chapitres ne pouvaient envoyer aux dites assemblées qu’un délégué pour dix chanoines et que les corporations monastiques n’y seraient représentées qu’à raison d’un seul électeur par couvent. C’était dire assez clairement que la réforme se ferait malgré les évêques et qu’elle se ferait surtout aux dépens des moines.

Après cela, comme on pouvait s’y attendre, les élections ecclésiastiques assurèrent le triomphe de la démocratie curiale. Sans se laisser intimider par les hauteurs ou les menaces de leurs supérieurs, les déshérités donnèrent leurs voix à des prêtres qui avaient souffert comme eux et comme eux voulaient la fin de certains abus. Sur 300 et quelques députés envoyés aux états par l'ordre ecclésiastique, on ne compta pas moins de 208 curés, presque tous hommes de savoir et de bonne foi, dont quelques-uns, comme Gouttes et Grégoire, s’étaient déjà rendus populaires par leurs écrits, dont d’autres, comme Jallet, n’allaient pas tarder à le devenir par leurs actes et leurs discours. Les prélats n'étaient qu’au nombre de 44 ; deux d’entre eux, Champion de Ciré, archevêque de Bordeaux, et Lefranc de Pompignan, s’étaient déjà déclarés ouvertement pour la cause de la Révolution. Un troisième, Talleyrand, évêque d’Autun, jugeant l’ancien régime perdu et n’étant pas homme à s’attacher aux vaincus, préparait son évolution dans le même sens. Mais le gros du groupe épiscopal, sous la conduite des Boisgelin, des Dillon, des La Rochefoucauld, des Juigné, des Bonal, se montrait résolu à combattre à outrance les idées nouvelles, qu’il dénonçait déjà bien haut dans des mandements furieux comme la ruine de la France et delà religion[2]. Derrière eux marchaient résolument une cinquantaine de chanoines et d’abbés commendataires, qui avaient tout à perdre à la Révolution et parmi lesquels se distinguaient quelques hommes de talent, les de Pradt, les Maury, etc., signalés déjà par leur esprit d’intrigue, leur audace, leur faconde, beaucoup plus que par leur vertu ou leur piété. Enfin quelques moines, perdus dans la foule, complétaient la députation du clergé. Ces derniers n’étaient pas tous, du reste, inféodés sans retour à l’ancien régime. L’un d’eux, le chartreux D. Gerle, allait dès les premiers jours s'unir cordialement au parti populaire.

Que de pareilles élections réjouissent fort la nation, on le comprend du reste. Par contre, que le gouvernement eût fait un mauvais calcul en les rendant possibles, c’est ce qui n’a pas besoin d’être démontré. Les vœux du clergé de 89, tels qu’ils se trouvent dans ses cahiers, dépassaient de beaucoup les réformes timides et purement fiscales auxquelles voulait se borner la Royauté. Ces cahiers, dictés dans des assemblées où dominaient les curés, c’est-à-dire l'élément populaire, témoignaient encore, il est vrai, d’un attachement tout professionnel aux principes delà religion d'Etat ; ils revendiquaient pour l’Eglise la direction morale de la société, l’enseignement, l'assistance publique ; ils voulaient bien qu’elle restât dans l’Étal un ordre à part et qu’elle y gardât sa prééminence. Mais ils la voulaient purifiée par un mode de recrutement plus équitable, par une meilleur distribution de revenus, par une discipline plus rigoureuse, par la suppression des sinécures, des commendes, des communautés inutiles. S'ils n’allaient point — et on ne doit pas s’en étonner — aussi loin que ceux du tiers état et même de la noblesse[3] en ce qui concernait la réorganisation de l’Église, s'ils n’admettaient encore — et cela par une concession, sans doute plus politique que sincère, des curés à l’épiscopat — l’égalité devant l'impôt que sous réserve de l'autonomie du corps ecclésiastique, ils revendiquaient d’autre part, avec presque autant d’énergie que les cahiers des communes[4], l'établissement d’un gouvernement constitutionnel basé sur la séparation des pouvoirs, la périodicité des états généraux, leur suprématie en matière de finances, la responsabilité des ministres et la garantie régulière de la liberté individuelle[5].

Que disaient-ils du vote par ordre et du vote par tête, question capitale, d’où dépendait en somme la Révolution ? Rien de fort net. A peine quarante d’entre eux — c’est-à-dire le quart — demandaient formellement la délibération des états en commun. Mais, pour témoigner moins de hardiesse, les autres dénotaient seulement la circonspection de prêtres prudents, qui n’avaient pas voulu rompre prématurément en visière à leurs évêques.

 

II. — En effet, dès l’ouverture des états, il fut visible que les curés, s’inspirant du vœu national, voulaient la réunion des ordres. Le 6 mai, quand le tiers invita une première fois le clergé et la noblesse à se réunir à lui pour la vérification des pouvoirs, il ne se trouva qu’une majorité de dix-neuf voix (133 contre 114) dans l’ordre ecclésiastique pour décréter la vérification séparée. Dès le lendemain, du reste, cette opération dut être suspendue. La chambre féodale eut beau se déclarer constituée. Il fut impossible à la chambre du clergé d’en faire autant, parce que les curés, qui se sentaient soutenus par les communes et par l’opinion publique, déclarèrent ne vouloir soumettre leurs pouvoirs qu’à l’assemblée générale. Dès le 23 mai, réunis chez l’archevêque de Bordeaux, Champion de Cicé, ils parlaient d’aller se joindre au tiers. Après l’échec, facile à prévoir, des conférences imaginées par le haut clergé, entretenues par la cour et dont les communes ne voulurent pas être dupes, après l’avortement d’une manœuvre perfide de l’épiscopat, à laquelle la misère publique avait servi de prétexte, quand le tiers, sur la proposition de Sieyès — qui était lui-même un prêtre[6] —, eut signifié aux deux ordres privilégiés qu’au besoin il se passerait d’eux pour faire le bien public, un vieux curé du Poitou, Jallet, proposa formellement à la première chambre de déférer au vœu du pays (12 juin). On hésitait encore. Le lendemain, Jallet et deux autres prêtres poitevins allaient courageusement s’asseoir sur les bancs des communes. Le surlendemain, six de ses collègues, dont l’énergique et généreux Grégoire, suivaient leur exemple. Deux autres Limitaient encore le 15 juin. Enfin, les communes s’étant le 17 proclamées Assemblée nationale, il se trouva dans le clergé, dès le 19, à la suite d’un débat d’une extrême violence, une majorité pour décider que l’ordre ecclésiastique irait se mêler à elles. Le 20, l’Assemblée bravait en face le gouvernement par le serment du jeu de paume. Deux jours plus tard, au milieu de l’église Saint-Louis à Versailles, elle recevait dans son sein les 151 membres du clergé qui venaient de se prononcer pour elle. Vainement la minorité de cet ordre avait encore fait appel à la cour. Vainement Louis XVI tint sa séance royale du 23, proclama de nouveau l'indépendance des ordres et le maintien des privilèges. On sait que quatre jours après il lui fallut honteusement capituler et qu’il crut devoir ordonner lui-même à la noblesse et à la haute Église d’aller se réunir à l’Assemblée. Vainement aussi les évêques, connue les grands seigneurs, s’efforcèrent-ils, au commencement de juillet, d’entraver les travaux de la représentation nationale par leurs protestations et leurs réserves. Elle leur signifia nettement, par la voix de Mirabeau, que, s’ils ne reconnaissaient sa souveraineté, ils n’avaient qu’à se retirer. Ils restèrent. Mais, non contents de troubler l’Assemblée, ils s’abstenaient de voter. Dans le même temps, ils continuaient d’intriguer auprès du roi, faisaient renvoyer Necker et préparer un coup d’État militaire. On n’ignore pas que l’insurrection de Paris, la prise de la Bastille (14 juillet) et le soulèvement de la France entière furent bientôt le résultat de ces menées aussi maladroites que coupables. Il fallait se soumettre ou fuir. Quelques grands personnages prirent dès lors le parti d’émigrer[7]. Louis XVI, lui, vint faire amende honorable à l’hôtel de ville (17 juillet) et reconnut le peuple souverain. La noblesse et le haut clergé consentirent enfin à prendre part, avec une bonne grâce apparente, aux délibérations de l’Assemblée nationale, et la nation, maîtresse de ses destinées, put commencer régulièrement le grand travail de sa régénération.

 

III. — A ce moment, malgré le mauvais vouloir dont l’épiscopat et son entourage venaient de faire preuve à l’égard des idées nouvelles, il n’y avait encore, ni dans la bourgeoisie ni dans les masses profondes du peuple, aucune animosité contre la religion, contre le sacerdoce catholique. On ne prévoyait guère à cette époque que la déesse Raison serait fêtée quatre ans plus tard à Notre-Dame, que les prêtres seraient proscrits, que les églises seraient transformées en clubs et les cérémonies du culte romain travesties en mascarades dans toute la France. En juillet 1789, la foule, quel que fût son désir de voir disparaître les abus ecclésiastiques, avait encore du respect pour l’Église et pour ses représentants. Pour peu que le clergé se montrât ami du peuple, elle était disposée à le prendre pour guide. Elle envahissait, pillait même quelque peu la maison de Saint-Lazare, mais s’abstenait de toute violence, de toute insulte à l’égard des religieuses qui la remplissaient. Elle chargeait des prêtres de porter à l’Assemblée ses remerciements ou ses réclamations. Elle célébrait la prise de la Bastille par des Te Deum, des messes commémoratives, des processions de jeunes filles à Saint- Étienne-du-Mont et dans d’autres églises. L’homme le plus populaire de Paris était alors l'abbé Fauchet, dont l’éloquence enflammée et mystique appelait du haut de la chaire l’accord de la religion et de la liberté. Bref, la Révolution ne demandait encore qu’à rester chrétienne, je dirai plus : catholique. Et que fallait-il pour cela ? Simplement que le haut clergé voulût enfin lui-même le redevenir ; qu’il consentît à marcher d’accord avec la nation plutôt que d’essayer de lui barrer la route ; qu’il reconnût — il en était temps encore —, la foi ce inéluctable de la cause populaire, et qu’au lieu de se faire emporter par le courant, il s’efforçât de le diriger lui-même. La tâche lui eût été facile. Mais il ne songea même pas à l’entreprendre. Bien au contraire, il sembla de parti pris vouloir exaspérer les amis de la Révolution, c’est-à-dire la nation presque entière, par une opposition chicanière, mesquine, — et d’autant plus maladroite qu’elle était parfaitement impuissante, — à l’établissement légal du nouveau régime.

Tout d’abord, on le voit dans l’Assemblée s’opposer de toutes ses forces à la mise en discussion d’une déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Pourquoi ? Simplement parce que ce manifeste doit poser en principe la liberté individuelle, l’égalité devant la loi, c’est-à-dire abolir à jamais en France tout exclusivisme religieux, supprimer à jamais dans l’Etat toute caste, tout ordre privilégié. Et il s’y oppose sans franchise. Proclamer, disent les uns, des droits en termes abstraits et généraux, c’est donner au peuple ignorant l’irrésistible tentation d’en abuser. Affirmer les droits de l’homme, disent les autres, à quoi bon ? N’en avons-nous pas tous parfaitement conscience ? Ils sont sacrés, cela va sans dire. L’Assemblée trouva que cela irait encore bien mieux en le disant et qu’au sortir d’un régime qui en avait été la presque absolue négation, il n’était pas superflu d’annoncer expressément à la France qu’ils serviraient de base à ses nouvelles institutions.

Nombre de bons esprits, dont quelques-uns — les Camus, les Mounier, les Grégoire — étaient peu suspects de tendresse pour le despotisme et les privilèges, demandèrent qu’à la déclaration des droits, dont ils étaient fort partisans, fût jointe celle des devoirs de l’homme et du citoyen. A priori l’on peut regretter que leur vœu n’ait pas été exaucé. Mais, si l’Assemblée le repoussa, ce ne fut pas, comme on l’a dit, par dédain de toute morale. Ce fut parce que le haut clergé montra trop ouvertement dans cette discussion que ce qu’il entendait par devoirs, c’étaient des obligations religieuses et que ces obligations, d’après lui, ne pouvaient s’appliquer qu’au catholicisme.

Battus encore sur ce terrain[8], les évêques, pas plus que les nobles, ne purent empêcher le vote des articles essentiels de la déclaration qui garantissaient à la nation sa souveraineté, aux citoyens le libre développement de leurs facultés, conformément aux lois de la raison et de la justice. L’Assemblée, pour prouver les sentiments religieux dont elle était animée, voulut bien mettre ce manifeste solennel sous l'invocation de l’Etre suprême[9]. Mais, quand le clergé, qui ne lâchait pas prise, voulut l’amener, en introduisant dans la déclaration trois articles perfides autant que vagues sur le respect dû à la religion et au culte public, à garantir en réalité un respect exclusif à la religion et au culte romain, elle refusa de le suivre[10]. Un débat extrêmement passionné, qui remplit les séances du 22 et du 23 août, mit en lumière ce qu’il y avait encore d'intolérance dans la haute Eglise. Mais il permit d’autre part à Rabaut-Saint-Etienne, représentant autorisé des persécutés de la veille[11], et surtout à Mirabeau, d’établir dans un magnifique langage que la loi civile n’était faite que pour protéger l’ordre public, qu’elle n’avait aucun empire sur les consciences, qu’en matière de culte la tolérance ne suffisait pas, et que le droit strict, c’était la liberté, la liberté reconnue, protégée, égale pour tous. Finalement, deux des trois articles furent supprimés, et le dernier ne passa que sous cette forme : Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi. Cette rédaction ne satisfit pas tout le monde dans le parti de la Révolution. Mirabeau l’attaqua très vivement, dans ses lettres à ses commettants, comme équivoque et de nature à faciliter un retour offensif de l’intolérance[12]. Mais l’assemblée prouva par la suite qu’elle avait bien voulu par là proclamer le principe de la liberté des cultes. Les décrets réparateurs qu’elle vota quelques mois après en faveur des protestants et des juifs prouvèrent qu’elle était résolue à le faire respecter[13].

 

IV. — Vers la fin d’août 1789, par le fait même de la déclaration des droits, le clergé catholique était déchu de sa prédominance spirituelle ; il avait en outre déjà cessé de former une classe particulière dans l’État. Il n’avait plus ni monopole religieux ni privilèges politiques. Ce n’est pas tout : la Révolution l’avait aussi atteint dans sa richesse. Il est vrai qu’elle ne lui en avait encore pris qu’une partie. Elle tendait visiblement à lui enlever le reste ; mais la haute Église allait lui opposer une résistance opiniâtre. Il fallut plus de huit mois à l’Assemblée nationale pour en triompher.

On sait qu’au lendemain de la prise de la Bastille, la France entière s’était soulevée contre la féodalité, contre l’ancien régime tout entier, que la noblesse surtout avait été en butte aux violences populaires et que, menacée d’une subversion totale, elle avait dû, dans la nuit du 4 août, renoncer, par peur beaucoup plutôt que par enthousiasme égalitaire, à ce qu’elle ne pouvait plus garder. Cette séance mémorable ne fut pas sans coûter aussi un peu cher au clergé. Tout d’abord, il lui avait bien fallu abdiquer, comme l’aristocratie laïque, ses droits féodaux, consentir à l’affranchissement de ses serfs. Mais il ne se pressait pas d’offrir autre chose, ou, s’il offrait, ce n’était pas à ses dépens. Des évêques proposèrent par exemple généreusement d’interdire pour l’avenir toute convention féodale, de supprimer le droit de chasse, etc. C’était frapper surtout les gentilshommes. Ce que voyant, un grand seigneur, le duc du Châtelet, demanda aussitôt le rachat de la dîme, et cette mesure fut votée par acclamation. Le clergé s’exécuta ensuite d’assez bonne grâce, prévint ses adversaires par quelques sacrifices et se fit applaudir à son tour. C’est ainsi que dans cette môme séance furent abolis le droit de déport — et autres abus analogues —, le casuel ecclésiastique, la pluralité des bénéfices, les annales. Il y eut pour les représentants de l’Église, comme pour ceux de la noblesse, un moment d’entraînement irrésistible. Mais, si les curés donnaient de bon cœur, il n’en était pas tout à fait de même des évêques et des abbés commendataires. Et on le vit bien dès le lendemain.

En effet, le 6 août et les jours suivants, ils vinrent faire observer qu’on s’était peut-être un peu pressé de décréter le rachat de la dîme. Ne pouvait-on, ne devait-on pas revenir sur ce vote ? Il n’était pas possible d’être plus maladroit. La conséquence de leur réclamation fut un nouveau débat qui amena cette fois, non le rachat, mais la suppression pure et simple de la dime, dont ils n’étaient, comme le remontrèrent fort bien Mirabeau et Chasset, ni propriétaires ni même usufruitiers, mais simples possesseurs, de la dime qui ne résultait pas d’un contrat, qui n’était qu’un impôt, non consenti par le peuple, un simple abus de la force, comme les servitudes féodales, et qui, à ce titre, ne méritait aucun respect. Vainement le haut clergé s’apitoya (un peu tard) sur le sort des curés, qu’on allait réduire au dénuement. On lui répondit que depuis longtemps il avait détourné lui-même à son profit cette source de revenus qui leur appartenait ; que, du reste, l’État leur assurerait un traitement convenable et saurait bien où le prendre. Vainement ils soutinrent, avec Sieyès, qui leur prêta le secours de sa dialectique à cette occasion et qui eût pu être mieux inspiré, ce sophisme que la suppression de la dime sans rachat était une profonde injustice, puisqu’elle aboutissait à enrichir de 70 ou 80 millions de revenus des propriétaires, des nobles, des bourgeois, pour faire retomber ensuite sur la masse du peuple l’impôt nécessaire à l’entretien du culte. On leur répondit que la dîme pesait non seulement sur des gens aisés, mais sur des millions de petits cultivateurs qu’elle ruinait ; que ce qui était injuste, c’était de faire payer aux seuls propriétaires, grands ou petits, les frais d’un culte qui intéressait tout le monde. Bref, on ne se borna pas à voter la mesure en question[14] ; on commença dès cette époque à leur faire entendre — fort clairement — qu’il pouvait leur être imposé d’autres sacrifices encore. Dès le 6 août, Buzot, le futur girondin, déclarait nettement à la tribune : Les biens du clergé appartiennent à la nation. Et le 8, un gentilhomme, le marquis de Lacoste, soumettait à l’Assemblée un projet de décret portant confiscation radicale de ces biens et suppression des ordres monastiques. La proposition parut prématurée et n’eut pas de suites pour le moment. Mais elle ne devait pas être oubliée, et elle fut dès lors la préoccupation principale de tous ceux qu’intéressaient surtout la réorganisation de l’Église et la restauration des finances nationales.

Les nouveaux avertissements que venaient de recevoir l'aristocratie ecclésiastique auraient dû la rendre assez sage pour s’accommoder aux circonstances et faire enfin sa paix avec une révolution qu’il était impolitique et coupable de s’obstiner à combattre. Au point où en étaient les choses, ce qu’il y avait alors de plus habile et de plus patriotique pour le haut clergé, c’était non seulement de regarder la dîme comme justement et à jamais abolie, mais d’en offrir lui-même le remplacement par une partie de ses revenus fonciers, de travailler loyalement à la suppression des ordres ou des couvents inutiles, enfin d’abandonner spontanément à l’État toute la portion des biens ecclésiastiques qui ne serait pas en bonne justice jugée nécessaire au culte catholique et à ses ministres. La France lui eut fait encore une existence dorée Car ni à ce moment, ni même un peu plus tard, on le verra plus loin, elle n’était d’humeur à lui marchander les moyens d’existence.

Mais les hommes, et surtout les corporations, n’admettent pas aisément l’idée de renoncer à des avantages depuis longtemps usurpés. Loin d’être prêt à de nouveaux sacrifices, le haut clergé n’avait en tête que de reprendre ce qu’on venait de lui arracher. A peine les décrets du 4 août avaient-ils été signifiés au roi qu’il avait fait à ce pauvre esprit un cas de conscience de leur acceptation. Il lui avait fait adresser à un de ses membres — Dulau, archevêque d’Arles — une lettre où, comme chrétien et comme souverain, Louis XVI déclarait ne pouvoir consentir à la spoliation de son fidèle clergé. L’obsession épiscopale[15] fut à ce point efficace, que, plus de cinq semaines après leur présentation, les décrets n’étaient pas encore promulgués. L’Assemblée dut montrer les dents pour obliger le souverain à s’exécuter. Encore, au lieu de les promulguer formellement, déclara- t-il que, comme ce n’étaient pas là des lois proprement dites, mais des principes généraux, dont il fallait attendre la mise en pratique, il n’était tenu que de les publier, se réservant d’approuver ou de rejeter plus tard les décrets que l’Assemblée porterait pour en procurer l’application[16]. Dans le même temps, l’épiscopat faisait cause commune avec la noblesse pour qu’en matière législative le veto absolu fût attribué au roi par la constitution, dont on était en train de discuter les dispositions fondamentales. Il poussait Louis XVI à fuir, à se rendre à Metz pour y proclamer la contre-révolution sous la protection de Boitillé. Enfin il lui faisait aussi refuser sa promulgation à la déclaration des droits de l’homme, aux bases de la Constitution (septembre-octobre 1789). On sait que le résultat de toutes ces menées fut de soulever Paris pour la seconde fois, de porter à Versailles la foule, qui viola le palais du grand roi, et d’obliger Louis XVI, désormais vraiment prisonnier, à se transporter à Paris, au milieu des quolibets, des outrages, des menaces (6 octobre).

 

V. — Après ce coup d’État populaire, l’Assemblée devait se montrer plus hardie envers ce qui restait de l’ancien régime. Elle n’y manqua pas, et c’est en effet au lendemain de cet événement que la proposition de séculariser les biens de l’Église fut de nouveau soumise à la Constituante, sans être écartée cette fois par la question préalable.

Si l’Église avait eu tort de ne pas la prévenir par ses offres, est-ce à dire pour cela que l’Assemblée agit pour le mieux en procédant du jour au lendemain et sans ménagement à une aussi radicale exécution ? Je n’oserais l’affirmer. Un comité ecclésiastique avait été créé le 20 août pour préparer la réorganisation de l'Église de France, dont les hommes de 89 voulaient faire une Église vraiment nationale. Il ne pouvait évidemment accomplir cette œuvre sans toucher à des questions de discipline ecclésiastique très délicates, très complexes, et, avec quelque respect, quelque bonne foi qu’il les abordât, il devait s’attendre à ce que l’autorité spirituelle l’accusât d’empiéter sur son terrain. Seulement, comme l'a dit Grégoire — et il avait, je crois, bien raison —, le haut clergé, qui dénonça la constitution civile comme hérétique et schismatique, qui prêcha contre elle la guerre sainte et mit pour l’anéantir la France à feu et à sang, l'eût sans doute acceptée d’assez bonne grâce si la Révolution, lui laissant ses richesses — au moins en bonne partie —, ne l’eût pas préalablement réduit à la portion congrue. Il a bien adhéré plus tard au Concordat, qui, à certains égards, était plus attentatoire à ses droits — ou du moins à ses prétentions — que la constitution civile. Mais c’était, croyons-nous, un assez mauvais moyen de le préparer à cette dernière que de commencer par lui prendre ses biens. Il eût été préférable, puisqu’on voulait les deux réformes, d’en intervertir l’ordre et de débuter par la constitution civile, qu’on eût faite sans doute autrement, mais qui en eût peut-être été meilleure.

Malheureusement les circonstances, il faut bien le reconnaître, rendaient cette marche à peu près impossible. Considérons d’une part qu’il fallait plusieurs mois au comité pour élaborer son programme de réorganisation ecclésiastique. On sait que, malgré un travail acharné, il ne put le soumettre à l’Assemblée que vers le milieu de 1790. Or, bien longtemps avant cette époque, la situation financière de la France était devenue telle, qu’on n’y pouvait remédier que par une opération extraordinaire ; qu’il fallait que cette opération fût immédiate et que, tout esprit de faction à part, on ne voit pas bien ce qu’elle eût pu être si elle n’eût consisté dans la nationalisation des biens ecclésiastiques.

Songeons que, si la Royauté avait convoqué les états généraux, c’était parce qu’elle était acculée à la banqueroute ; que, depuis le commencement de la Révolution, l’état de nos finances, loin de s’améliorer, n’avait fait qu'empirer ; que la France avait près d’un milliard de dette exigible, trois milliards de dette constituée ; que, depuis le 14 juillet, les anciens impôts ne rentraient pour ainsi dire plus et que les nouveaux n’existaient pas encore ; que, vu le trouble général et l’incertitude de la situation, un emprunt de trente millions, voté le 3 août, n’en avait procuré que deux au trésor ; qu’un autre emprunt de quatre-vingts millions, décrété le 27 du même mois, n’en avait donné que dix ; enfin que la contribution patriotique du quart des revenus, établie à la demande de Necker et après l’inoubliable discours de Mirabeau[17] (26 septembre), ne paraissait pas devoir produire de meilleurs résultats. Il fallait d’autres ressources, et il en fallait sur l’heure. Eh bien ! ces ressources, on les avait sous la main. C’étaient les domaines ecclésiastiques, biens en grande partie mal acquis, biens excessifs, mal employés, manifestement détournés de leur destination légitime. S’agissait-il de dépouiller l’Église sans dédommagement ? Non, mais de lui prendre un superflu dont elle mésusait, pour sauver la patrie. C’était le seul moyen de saint qui restât à la France. Fallait-il que, près d’un pareil trésor, elle se laissât mourir d’inanition, et le premier devoir de ceux qui le détenaient n’était-il pas de le mettre d’eux-mêmes à sa disposition ?

L’idée d’attribuer à l’État les propriétés du clergé avait fait du chemin depuis le mois d’août. On la trouvait au commencement d’octobre dans tous les journaux animés de l’esprit nouveau et dans un grand nombre de brochures[18]. Le 24 septembre, un économiste célèbre, Dupont de Nemours, était venu apporter à l’Assemblée un projet analogue à celui du marquis de Lacoste. Le liant clergé était parvenu à détourner l’attention vers d'autres objets. Saisi d’une mortelle inquiétude, il s’efforçait par tous les moyens, depuis quelques semaines, d’écarter le coup dont il était menacé. Tantôt il offrait son crédit à l’État à la condition que l’inviolabilité de ses domaines fut, garantie ; tantôt il combattait toute idée de créer un papier-monnaie, tant il avait peur, comme le dit Mirabeau, que ses biens ne fussent pris comme hypothèque de la nouvelle valeur. Si on l'invitait à mettre à la disposition de l’État une partie de l’argenterie des églises[19], il y consentait, non sans gémir, il est vrai, espérant que cette rançon serait la dernière. Mais, si quelques abbayes, comme celle de Saint-Martin-des-Champs, de Paris, prenaient sur elles d’offrir leurs immeubles à la nation, il se hâtait de protester contre ce fâcheux exemple et déclarait que les religieux n’avaient pas le droit de donner au peuple ce qui appartenait à Dieu.

 

VI. — Enfin le coup décisif lui fut porté le 10 octobre. Et ce qu’il y eut de plus cruel pour lui, c’est qu’il fut porté par un grand seigneur, qui était en même temps évêque. Talleyrand, décidément rallié à la Révolution victorieuse, vint ce jour-là soumettre à l’Assemblée, au nom du comité des finances[20], un rapport lumineux établissant : 1° la nécessité où se trouvait la nation de s’approprier les biens de l’Église, à la charge de pourvoir à l’entretien du culte et de ses ministres ; 2° la parfaite légitimité de cette opération ; 3° les avantages qui en devaient résulter pour le pays : extinction de 110 millions de rentes ; remplacement de la gabelle ; remboursement des milliers de charges vénales que la Dévolution avait supprimées ou devait encore abolir ; création d’une caisse d’amortissement, etc., etc.

L’évêque d’Autun connaissait mieux que personne les ressources du clergé, puisqu’il avait été jadis un de ses deux agents généraux. Son discours eut un immense retentissement. Le défaut de sa proposition était d’être trop compliquée, d’embrasser trop d’objets divers et de se prêter ainsi au jeu d’adversaires retors qui n’eussent pas manqué d’embrouiller la question et d’en retarder indéfiniment la solution. C’est pourquoi Mirabeau, esprit éminemment lucide et pratique, crut devoir, renvoyant à plus tard toutes les mesures d’exécution imaginées par Talleyrand, mettre uniquement en lumière le principe même de la confiscation, en y rattachant celui d’un budget d’État pour l’entretien de la religion catholique. Son projet, tel qu’il le formula à la séance du 12 octobre, se bornait aux deux points suivants :

Décréter : 1° que la propriété des biens du clergé appartient à la nation, à la charge par elle de pourvoir à l’existence des membres de cet ordre ; 2° que la disposition de ces biens sera telle, qu’un curé ne pourra pas avoir moins de 1.200 livres avec le logement.

Mirabeau, politique avant tout, s’était préoccupé moins des ressources à trouver que des moyens d’enlever au clergé ce qui, malgré tout, lui eût permis encore de redevenir un ordre dans 1 État. Que l’on mobilisât plus ou moins rapidement les richesses de l’Église, peu lui importait. Il admettait même volontiers qu’en fait le pays laissât encore au clergé l’administration d’une partie de ses biens. Il le dit et le répéta dans plusieurs discours. Mais ce à quoi il tenait par-dessus tout, c’était à ce qu’en principe l’Église ne fût plus regardée comme propriétaire de ces domaines, à ce qu’en principe elle dépendît du pouvoir civil pour son entretien, tout comme un grand service administratif ou judiciaire. Pour lui, comme pour la plupart des voltairiens de son temps, les prêtres devaient être des officiers de morale, protégés, nourris, mais aussi surveillés par la nation. C’était une idée alors fort populaire. Ajoutons qu’en prenant à l’avance l’engagement de doubler, ou à peu près, le revenu des curés, naguère si mal traités par l’ancien régime, le parti de la Révolution rendait fort improbable l’opposition du bas clergé au nouveau projet. Et de fait la démocratie paroissiale ou l’accepta sans difficulté ou n’y fit qu'une très faible opposition.

 

VII. — Il en fut autrement, on le croira sans peine, de la haute Église, qui, durant plusieurs semaines de débats, disputa ses biens à la France avec plus de ténacité que de patriotisme et de véritable esprit chrétien. La discussion du projet de Mirabeau, commencée le 13 octobre, se prolongea jusqu’au 2 novembre et fut aussi brillante que passionnée. Les chefs de l’opposition ecclésiastique, Boisgelin, La Luzerne, Bonal, Dillon, l’abbé de Montesquiou, l'abbé Maury surtout, dont la verve sophistique et la rare insolence tenaient parfois l’Assemblée entière en respect, quelques nobles comme Virieu, quelques juristes comme Camus[21], combattirent avec énergie et avec éclat la proposition, qui eut pour principaux défenseurs, outre son auteur, des hommes de haute science, de grand caractère ou de vigoureuse éloquence, les Treilhard, les Duport, les Thouret, les Le Chapelier, les Barnave, les Chasset, les Dupont de Nemours, les Lameth, les Garat, les Pétion, les Barère, et qui fut même soutenue avec énergie par Jallet, le vieux curé poitevin. Des systèmes transactionnels furent présentés par Malouet et par un certain nombre de membres du bas clergé — Grégoire, le curé Dillon[22]. La discussion fut, en somme, aussi approfondie que l’exigeaient l’importance et la gravité du sujet. Si les ennemis de la Dévolution accusent l’Assemblée de s’être trompée dans sa décision, ils ne peuvent du moins lui reprocher de l’avoir prise à la légère.

La rapidité forcée de cette histoire ne nous permet ni de donner ici la physionomie vraiment dramatique de ce grand débat, ni de le retracer en détail et par ordre chronologique. Les mêmes arguments furent répétés bien des fois, et nous devons éviter les redites. Nous nous bornerons donc à analyser sommairement les raisons essentielles que les différents partis apportèrent à l’appui de leur cause dans cette discussion mémorable.

Les défenseurs de la propriété ecclésiastique mettaient en avant des arguments de droit et des arguments de fait.

En droit, ils soutenaient d’abord que le clergé était un corps, une personne morale, dont l’existence était indépendante de la loi civile. Or une personne morale pouvait être propriétaire. Quelques-uns allaient même jusqu’à dire qu’une corporation ne pouvait vivre et durer qu’à la condition de l’être. D'autre part, comment contester a l’Eglise de France qu’elle le fût très légalement des domaines qu’elle détenait ? Qu’est-ce qui constitue la propriété ? Ce sont les titres et la possession. Les titres ne lui manquaient pas ; ses archives en étaient pleines ; elle était prête à les montrer. Quant à la possession, elle en pouvait justifier depuis des siècles. Si l’on contestait la valeur de ses titres primitifs, n’avait-elle pas pour elle la prescription ? Du reste, était-il un genre de propriété qui pût, à la rigueur, résister à une pareille recherche ? Pourquoi ne pas aussi attaquer les fiefs, c’est-à-dire la propriété noble ? On ajoutait que les biens du clergé lui avaient été donnés à des conditions sacrées et pour des emplois déterminés — entretien du culte, assistance des pauvres, cérémonies particulières, etc. —, qu’il n’appartenait à aucun pouvoir de les en détourner, d’infirmer la volonté des fondateurs ou de se s substituer à elle ; qu’en confisquant les domaines ecclésiastiques on prenait le bien des indigents et des malades, que le salaire du clergé et l’assistance publique ne seraient jamais garantis aussi sûrement par le budget de l’État que par les revenus fonciers dont il s’agissait et que la confiscation serait le coup le plus funeste qu’on pût porter à la religion. Enfin, certains orateurs, peu d’accord avec le gros du parti, déclaraient bien qu’à leur sens le clergé n’était pas propriétaire de ses biens, mais affirmaient que l’État ne l’était pas non plus ; suivant eux, c’était justement parce que le corps ecclésiastique n’était qu’administrateur et dépositaire, qu’il était impossible de le dépouiller.

En fait, soutenant — non sans une certaine audace — les évêques et leurs amis, le clergé ne s’était jamais refusé aux sacrifices volontaires qui lui avaient été demandés par l’Etat. Des sacrifices, il en avait fait récemment ; il était prêt à en faire encore. Il garantirait, s’il le fallait, un emprunt de 400 millions à la nation. Mais on devait le laisser libre. Du reste, était-il aussi riche qu'on le croyait ? Loin de là. Et les chiffres ne lui manquaient pas à l’appui de son dire. Enfin la confiscation et la vente de ses biens seraient une opération désastreuse pour le pays. On vendrait à vil prix ; on n’enrichirait que des agioteurs ; on porterait un coup funeste à l’agriculture ; quant au trésor, il serait bientôt aussi obéré, sinon plus, qu’avant la Révolution. La France aurait follement, connue l’homme de la fable, tué sa poule aux œufs d’or.

Mais les partisans de la confiscation ne laissaient pas cette argumentation sans réplique et, sur le terrain du droit théorique comme sur celui du fait et de la politique pratique, on les trouvait également armés, également résolus.

Ceux qui se plaçaient particulièrement sur le premier disaient tout d’abord : Non, il n’est pas exact qu’un corps collectif, une personne morale, puisse exister au-dessus ou en dehors de la loi, qu’elle possède aucun droit qui ne lui vienne de la loi et que la loi ne puisse lui retirer. Les individus seuls ont par eux-mêmes des droits qui sont inviolables, comme ceux de liberté personnelle et de propriété, parce qu’ils existaient avant la société, que ce sont eux qui font formée et qu’elle n’a été constituée que pour eux. La propriété individuelle est inattaquable ; il en est autrement de la propriété collective. En tout pays la société politique est souveraine ; nulle autorité, nulle association ne peut traiter avec elle d’égal à égal. Il dépend toujours d’elle d’empêcher une corporation quelconque de se former dans son sein ; si elle l’autorise, elle est en droit de lui faire ses conditions, qu’elle est toujours libre de modifier, comme elle l’est de supprimer la corporation elle-même, quand elle en juge l’existence préjudiciable à la sienne propre ; autrement l’État ne serait plus maître chez lui. Du reste, une classe ou un ordre, même autorisé à posséder, n’est jamais pleinement propriétaire. Le droit de propriété, suivant la définition romaine, est le droit d’user et d'abuser, utendi et abutendi. Or une collectivité, comme l'Eglise, peut-elle faire de ses biens ce qui lui plaît ? Évidemment non. Ils lui ont été donnés à condition qu’elle les garderait indéfiniment et qu’elle en emploierait les revenus conformément à la volonté des donateurs ; elle ne peut pas les aliéner, et, si elle veut emprunter sur ce gage, il est reconnu que l’autorisation de l’État lui est nécessaire.

Non seulement elle n’a pas la propriété des biens qu’elle détient, mais elle n’en a même pas l'usufruit, puisqu’elle ne peut disposer à son gré de leurs revenus, qui sont affectés à des services déterminés ; elle n’en a que la possession de fait.

En admettant même que l’Eglise fut vraiment propriétaire, elle ne pouvait l’être qu’à titre d’ordre ou de personne morale. Mais aujourd'hui l’ordre ecclésiastique n’existe plus dans l’État ; il a été dissous par suite de l’adoption du principe de l’égalité devant la loi. Il y a toujours des prêtres, mais il n’y a plus de clergé, si l’on entend par là une collectivité sociale et politique ayant ses organes propres, ses moyens d'action, ses avantages particuliers. Or, si l’Eglise n’existe plus comme ordre, il va de soi que ses biens doivent passer en d’autres mains. Le néant n’est pas propriétaire, le néant ne possède pas. Mais ces biens, qui les prendra ? Il est de toute évidence qu’ils ne peuvent être partagés entre les prêtres et les religieux, puisque ceux-ci n’en jouissaient qu’à titre de membres d’un corps maintenant dissous et qu’ils n’y avaient aucun droit individuel. Ils ne doivent pas non plus revenir aux fondateurs, non seulement parce que ceux-ci sont morts depuis des siècles et que les ayants droit d’un grand nombre d’entre eux seraient impossibles à retrouver, mais aussi parce que leurs donations étaient légalement irrévocables. C’est donc l’État, et l’État seul, qui peut revendiquer les biens ecclésiastiques, connue il revendique une succession en déshérence.

Du reste, ajoutaient les jurisconsultes du parti national, les biens du clergé ne peuvent provenir que des quatre sources suivantes : 1° fondations de rois ; 2° fondations de corporations ; 3° fondations de particuliers ; 4° acquisitions opérées par le clergé lui-même. Le roi, c’est-à-dire l’autorité publique par excellence, n'a pu donner que pour alimenter des services publics que l’État n’était pas en mesure d’entretenir lui-même. Si maintenant il veut et peut s’en charger, il reprend ses fondations, et rien n’est plus légitime, puisqu’il n’en change pas la destination. De même les corporations n’ont enrichi l’Église que pour subvenir à des besoins généraux insuffisamment dotés par le gouvernement ; leur intention sera respectée si le gouvernement s’empare de ces dons et pourvoit désormais à ces besoins. Quant aux particuliers, ou bien ils ont eu en vue eux aussi un service public, et leurs fondations doivent faire retour à l’État comme les précédentes ; ou bien ils n’ont eu pour but qu’un intérêt privé — messes, services, prières pour des particuliers —, et dans ce cas leurs fondations sont ou immorales, parce que l’Église doit prier pour tous, ou frauduleuses, parce que, vu l’impossibilité matérielle où elle est de s’acquitter de certaines charges[23], certaines fondations n’ont pu être que des dons déguisés. Enfin, si le clergé a, de ses deniers, acquis des domaines, il a fallu qu’il fit des économies sur les revenus à lui attribués par les fondateurs ; et de deux choses l’une : ou il a enfreint les volontés de ces derniers en détournant de certains emplois une partie des fonds qui leur étaient destinés ; ou il peut supposer que ce détournement eût été approuvé par eux, et nous retombons dans les cas de fondation examinés ci-dessus.

Les partisans de la confiscation soutenaient encore en droit :

1° Que toute donation peut être révoquée pour cause d’ingratitude quand les conditions auxquelles elle a été faites sont manifestement méconnues ou violées ;

2° Que la volonté des donateurs est sans doute respectable, mais en tant qu’elle n’est pas contraire à l’intérêt public ; qu’une accumulation indéfinie de richesses entre les mains d’une corporation est une cause d’appauvrissement pour un pays, un danger pour son gouvernement ; qu’une génération ne peut enchaîner pour toujours les générations futures et qu’il n’appartient pas à des particuliers de poser par avance des limites au droit de l’État ;

3° Enfin que la religion, comme la bienfaisance et l’enseignement, est un service public qui incombe à la nation ; que tout ce qui a été donné pour y pourvoir l’a été implicitement à la nation et qu’en s’en emparant elle se borne à reprendre son bien.

S’ils se plaçaient sur le terrain des faits, Mirabeau et ses amis remontraient tout d’abord que le gouvernement royal n’avait jamais expressément reconnu le clergé comme propriétaire ; que depuis des siècles il l’avait toujours tenu en tutelle pour ses aliénations, pour ses emprunts, pour ses acquisitions nouvelles ; qu’il lui avait interdit en 1749 de recevoir quoi que ce fût sans autorisation de l’État ; qu’il disposait à sa volonté des bénéfices ; que, grâce à la régale 1 il les administrait et en jouissait pendant leur vacance ; que les états généraux lui avaient maintes fois reconnu le droit d’appliquer aux besoins généraux les richesses de l’Église ; que, si le clergé avait pu retarder la confiscation par ses dons gratuits, ce n’était pas une raison pour qu’elle fût moins légitime au XVIIIe siècle qu’au XVIe et au XVIIe ; que nos rois n’avaient jamais renoncé au droit d’empêcher des communautés de s’établir en France, de réformer ou même de dissoudre des communautés déjà établies ; et que la suppression récente de la compagnie de Jésus, ainsi que de plusieurs autres ordres, et la prise de possession de leurs biens par l’Etat le prouvaient surabondamment.

Ils ajoutaient que, si l’Église pouvait produire des dires de propriété, ces titres étaient fort loin d’être inattaquables ; que beaucoup d’entre eux étaient faux[24] ; qu’une grande partie des dons faits à l’Église avaient été extorqués par l’intimidation, la violence, ou étaient les fruits de la persécution ; que, du reste, les richesses du clergé étaient depuis des siècles manifestement détournées de leur destination légitime ; qu’elles ne servaient, pour la plus grande partie, qu’à alimenter l’oisiveté, le luxe, la corruption : que l’assistance publique, le culte, l’enseignement étaient visiblement négligés ; que la presque totalité des couvents étaient d’une incontestable inutilité.

Ils disaient aussi que, malgré la Révolution, qui avait aboli les ordres, le clergé redeviendrait forcément un ordre s’il conservait des propriétés collectives ; il lui faudrait en effet les administrer en corps ; il aurait toujours des assemblées propres ; bref, il serait toujours indépendant de l’autorité politique, il continuerait à former un État dans l’État.

Les politiques purs alléguaient principalement les besoins du pays et son droit à la vie, qui primait tout à leurs yeux. Il fallait avant tout éviter la banqueroute ; la confiscation des biens ecclésiastiques était, suivant eux, une mesure de salut public qui s’imposait et qui ne pouvait être retardée. Ils représentaient en outre que cette opération, en permettant à l’État de mobiliser la propriété foncière, ranimerait en France l’agriculture languissante, activerait partout le travail et augmenterait considérablement la richesse publique. Ils donnaient enfin à entendre — et ce n’était pas la moins bonne de leurs raisons — que la mise en vente de ces biens serait pour notre nouveau régime la meilleure garantie de durée et que les acquéreurs de domaines nationaux seraient, par la force des choses, les amis les plus dévoués, les défenseurs les plus énergiques de la Révolution.

Nous ne rapportons maintenant que pour mémoire et en quelques mots les arguments fournis par un parti intermédiaire, qu’on eut peut-être bien fait d’écouter, mais qui n’était qu’une faible minorité dans l'Assemblée et qui ne s’associait ni à l’intransigeance négative la droite, ni aux exigences radicales de la gauche. Il avait pour chef Malouet[25], dont les théories et les propositions transactionnelles furent soutenues à plusieurs reprises par un certain nombre de curés, notamment par Grégoire, Gouttes et Dillon. Ce parti reconnaissait que le clergé n’était vraiment pas propriétaire des biens en litige ; mais, suivant eux, la nation ne l'était pas non plus. Elle n'avait sur ces biens qu’un droit de souveraineté, qui lui permettait d’en régler l'usage et l’emploi, au nom de l'intérêt public. Ils ne niaient pas que ces richesses n’eussent été, pour une trop grande part, détournées de leur destination légitime. Il fallait, à leur sens, les y ramener. La distribution des revenus ecclésiastiques était fautive, immorale, scandaleuse ; il fallait la rendre plus équitable ; si des couvents étaient inutiles, on les supprimerait ; mais on devait conserver ceux qui rendaient vraiment des services à la société ; les curés devaient être dotés en fonds de terre ; il y allait de leur sécurité et de la dignité de la religion. Bref, il n’y avait lieu d’enlever à l’Eglise que son superflu ; qu’il fût attribué à l'Etat, rien n'était plus juste ni plus souhaitable.

La majorité de l’Assemblée n’était guère d humeur à résoudre ainsi la question. La résistance maladroite du haut clergé, ses violences de langage, son affectation à mêler sans cesse la religion à un débat d’argent où elle n’avait que faire 'et ses menées contre-révolutionnaires la rendaient chaque jour plus nerveuse et moins portée aux accommodements. Après les journées des 5 et 6 octobre, un certain nombre de membres de la haute Eglise avaient émigré à grand bruit. D’autres, restés en France, agitaient leurs diocèses par des mandements furieux, prêchaient déjà la guerre civile. L’évêque de Tréguier, en octobre 1789, quatre ans avant la chouannerie, soulevait déjà quelques bandes de paysans au fond de la Bretagne. L’épiscopat, d’accord avec la noblesse, essayait partout, à ce moment même, de ranimer dans les provinces les anciens états locaux, les parlements, et de faire obstacle aux pouvoirs nouveaux, à l’Assemblée nationale, en se servant de ces institutions du passé. Ce n’étaient pas là des moyens bien choisis de ramener la Constituante au respect de la propriété ecclésiastique.

Le résultat de cette politique fut le vote du 2 novembre, par lequel l’Assemblée adopta enfin dans sa généralité la motion de Mirabeau ; elle n’y changea guère qu'un mot. Au lieu de déclarer les biens du clergé propriété de la nation, elle décida simplement qu’ils seraient mis à la disposition de la nation.

 

VIII. — Cette modification — de pure forme — suffit cependant pour entretenir plusieurs mois, encore dans la haute Eglise l’idée — fort illusoire — que la partie n’était pas encore tout à fait perdue pour elle. Comme le décret du 2 novembre n’était qu’un vole de principe, qu’aucune mesure d’application ne l’accompagnait, que le clergé, de fait, était laissé provisoirement en possession de ses biens, les évêques et leurs amis pensèrent qu’on n’en viendrait pas de si tôt à l’exécution et travaillèrent de toutes leurs forces à la rendre impossible. Ils connaissaient bien mal l’opinion publique et les dispositions de l’Assemblée. Le fait est qu’au bout de fort peu de jours les constituants se préoccupèrent sérieusement des conséquences pratiques dont le décret était susceptible. Vu l’état des esprits, la première devait être la désaffectation — tout au moins partielle — des domaines monastiques. C’était une satisfaction due depuis bien longtemps à la morale et au bon sens public. Que tous les couvents dussent être supprimés, c’est ce que déjà demandaient beaucoup de bons esprits. Mais nul, même parmi les intransigeants de la droite, n’osait soutenir qu’il n'y eût pas lieu d’en fermer un assez grand nombre. Dès le 28 octobre, au cours même delà discussion résumée plus haut, l’Assemblée avait décidé que l'émission des vœux solennels dans les monastères serait suspendue. Le 9 novembre, elle arrêta, sur la proposition de Treilhard, rapporteur du comité ecclésiastique, qu’il serait sursis à la nomination des bénéfices, excepté toutefois les cures. Et le 13 du même mois, elle adopta aussi la motion de ce jurisconsulte portant que tous titulaires de bénéfices devraient, dans un délai de deux mois, faire par-devant les juges royaux et municipaux déclaration détaillée des meubles et immeubles dont ils avaient l’administration, ajoutant que ceux qui en feraient de frauduleuses seraient déchus de tous droits à leurs bénéfices, ainsi qu’à toutes pensions ecclésiastiques.

Cependant le Comité des finances poursuivait ses travaux et cherchait activement les moyens de remédier à la situation du Trésor, qui s’aggravait chaque jour. Le 18 novembre, le marquis de Montesquiou émettait en son nom l'idée de vendre pour 400 millions de biens ecclésiastiques, plus ce qu'il faudrait pour assurer le remboursement de la dette du clergé. Vainement un gros bénéficier, d’Abbecourt, pour prévenir ce commencement d’aliénation, proposa- t-il peu de temps après[26], d’abolir le titre d’abbé ; on pourrait ainsi, disait-il, disposer d'un tiers du revenu des abbayes[27], et ce tiers, n’ayant plus d’emploi, pourrait être consacré à la garantie d'un emprunt en tontine de 502.500.000 livres, qui suffirait à sauver l'État.

Mais cet expédient fut fort peu goûté. L’Assemblée voulait prouver que son décret du 2 novembre n’était pas destiné à rester lettre morte. Aussi fit-elle le meilleur accueil au projet que le comité des finances lui soumit le 17 décembre par l’organe de M. Le Coulteux de Canteleu et qui portait en substance : création d’une caisse extraordinaire où serait versé le produit de la contribution patriotique et de l'aliénation des domaines nationaux[28] ; mise en vente immédiate de ces domaines, jusqu’à concurrence de 400 millions ; enfin émission par l’Etat d'assignats produisant intérêts à 5 pour 100 et qui seraient admis comme argent comptant pour le paiement des dits biens. La minorité du comité, appuyée par la droite, fit d'inutiles efforts pour assurer le succès d’une contre-proposition aux termes de laquelle la vente en question aurait bien eu lieu, mais à la triple condition : 1° qu’une commission ecclésiastique fût chargée de désigner les biens à vendre ; 2° que l’État prit à sa charge les dettes du clergé et des diocèses ; 3° enfin que l’Assemblée confirmât aux bénéfices et établissements ecclésiastiques la possession des biens qui leur étaient actuellement attribués, sous réserve de son droit d’en surveiller l’emploi et d’opérer les suppressions nécessaires. Le plan de Le Coulteux de Canteleu, après une longue et orageuse discussion, fut adopté en principe dans la séance du 19 décembre.

Restait à en procurer l’exécution, ce qui, vu le mauvais vouloir et les menées du haut clergé, ne fut pas chose facile. Dès le 17, Treilhard, de la part du comité ecclésiastique, était venu présenter un rapport et un projet de décret tendant à la suppression d’une partie des couvents et réglant pour l’avenir, conformément à l’esprit libéral de la Révolution, le sort des individus des deux sexes engagés dans les ordres monastiques. Il y avait certainement dans ces deux pièces beaucoup plus de modération et de respect pour l’ancienne Église que ne le comportait l’état réel de l’opinion publique. En effet, Treilhard se bornait à demander la fermeture des couvents inutiles. D’après son projet, les religieux seraient libres désormais, étant citoyens, de sortir de leurs monastères ou de continuer à y vivre ; la rupture de leurs vœux serait une affaire de conscience entre eux et leurs supérieurs spirituels, mais la loi civile n’y mettrait plus aucun obstacle. Ceux qui quitteraient les monastères recevraient des pensions annuelles variant, suivant leur âge, de 700 à 1.000 livres et pourraient être employés comme vicaires ou comme curés. Les autres seraient réunis au nombre de quinze au moins par maison, dans les couvents conservés, auxquels il serait assigné un revenu annuel à raison de 800 livres par chaque religieux qui y résiderait. Le principe des réunions ne serait pas appliqué aux religieuses, dont aucun monastère ne serait fermé. Tous les ordres consacrés à l’étude, à l’éducation, au soulagement des malades et toutes leurs maisons seraient conservés ; ces ordres auraient même encore la faculté de se perpétuer ; les autres seuls étaient voués à une extinction légale qu’amènerait peu à peu le décès de leurs membres actuels.

Quant aux biens qui devaient être aliénés les premiers, Treilhard estimait fort sagement que c’étaient les bâtiments conventuels des villes, qui avaient en certains endroits une grande valeur — à Paris seulement, ils représentaient 150 millions de francs — et qui ne rapportaient rien. En les aliénant, on ne diminuait pas le produit des biens ecclésiastiques, que l’on retrouverait entier, pour en faire tel usage qu’il conviendrait. Ce projet était l’équité, la raison même. Le haut clergé eût dû se montrer reconnaissant de pareils ménagements. Peut-être crut-il y voir un signe d’indécision et de timidité. Le fait est qu’il redoubla de violence dans ses attaques contre les lois et les idées nouvelles. Son arrogance et ses menaces ne contribuèrent pas peu à l’irritation du peuple, qui se manifesta dans toute la France, au commencement de 1790 comme au lendemain du 14 juillet, par de nombreux actes de violence contre les anciens privilégiés. Ceux de ses membres qui avaient émigré et qui sollicitaient déjà le concours des armées étrangères l’encourageaient de loin dans son attitude. L’assemblée dut, en janvier, décréter la mise sous séquestre de leurs revenus. Les complots contre-révolutionnaires se multipliaient, et l’épiscopat n’y était jamais étranger. Après celui de Favras, l’Assemblée se montra moins que jamais disposée à ménager ce qui restait de l’ancien régime[29]. En ce qui concernait les biens de l’Eglise et les ordres monastiques, elle avait été retardée plusieurs semaines par la mise en vigueur — lente et difficile — de ses récentes lois sur la réorganisation administrative de la France. Cette opération, qui ne s’accomplit pas sans encombre, remplit les premiers mois de l’année 1790. L’assemblée ne pouvait mener à bonne fin ses projets sur les domaines nationaux qu'avec le concours des nouvelles assemblées de départements, de districts et de communes. Aussi jusqu’au mois de février laissa-t-elle un peu de côté la question des mesures à prendre pour assurer l’aliénation des biens. Mais, à partir de ce moment, elle la reprit avec une énergie nouvelle et la traita sans désemparer jusqu’à ce qu’elle l’eût résolue.

Dès le 5, en attendant le règlement complet de cette affaire, elle décidait en principe qu’il ne serait conservé dans une même ville qu'une seule maison religieuse du même ordre. Le 11 février, elle commença enfin la discussion du projet de Treilhard sur les couvents. Ce débat, moins long, mais aussi violent que celui dont la motion de Mirabeau avait été l’objet au mois d’octobre précédent, fut pour le haut clergé une nouvelle occasion de montrer à quel point l’esprit politique lui faisait défaut. L’évêque de Clermont, de Bonal, parla, suivant son habitude, en énergumène, cria au sacrilège, à la religion perdue, n’admettant pas que l’État renonçât à la glorieuse prérogative d’être le garant des engagements formés envers le ciel. L’évêque de Nancy porta l’irritation au comble en demandant tout à coup, le 12, de reconnaître préalablement que la religion catholique, apostolique et romaine était la religion nationale ; proposition perfide, car, si on l’adoptait, on infirmait la déclaration des droits ; si on la repoussait, on donnait un prétexte à la droite pour représenter au peuple l’Assemblée comme antichrétienne. Dupont de Nemours par quelques paroles respectueuses pour l’Église, Charles de Lameth par une protestation indignée contre la confusion que l’on voulait établir entre la religion et de vils intérêts d’argent déjouèrent cette manœuvre. Elle eut pour plus clair résultat de faire paraître insuffisant, trop peu hardi, le projet de Treilhard. Les propositions radicales de Barnave et de Thouret furent applaudies, et le 13 février, l’Assemblée décréta comme article constitutionnel non seulement que la loi ne reconnaîtrait plus les vœux monastiques, mais que les ordres et congrégations religieuses étaient et demeureraient supprimés en France, sans qu'il en pût être établi d'autres à l'avenir. Elle approuva, du reste, qu'un certain nombre de maisons fussent affectées aux moines qui refuseraient de rompre leurs vœux, que les religieuses fussent laissées dans leurs monastères et qu’il ne fût rien changé à l'égard des maisons chargées de l’éducation publique et des établissements de charité, mais seulement jusqu'à ce qu’il fût pris définitivement un parti sur cet objet. Pour ce qui concernait l’état et les conditions d’existence des religieux, les dispositions du projet de Treilhard, légèrement amendées, furent adoptées quelques jours plus tard et dans le courant de mars[30].

Ainsi la haute Église n’avait pas voulu d’une suppression partielle des ordres monastiques. Elle n’avait réussi qu’à les faire supprimer en bloc.

 

IX. — La droite, à bout de ressources, demanda, par l’organe de Cazalès (le 17 février) la dissolution de l'Assemblée. Mirabeau lui répondit simplement en lui rappelant le serment du Jeu de paume. Elle se remit de plus belle — les évêques surtout — à agiter le pays, par des journaux, des libelles, des mandements, qui furent fréquemment dénoncés à la tribune et qui étaient de véritables appels à la guerre civile[31]. Il lui restait encore quelque espoir d’empêcher la vente des biens nationaux. Le haut clergé et ses partisans jetaient à l’avance, par leurs menaces et leurs anathèmes, une telle défaveur sur les assignats et représentaient comme si peu sûre la propriété des immeubles qui seraient achetés au détriment de l’Eglise, que les particuliers ne semblaient pas devoir se porter avec beaucoup d’empressement à de pareilles acquisitions. Comment, disaient-ils, acheter des biens dont il était impossible de fixer la valeur, puisqu'ils étaient chargés ou qu’ils bénéficiaient de droits féodaux et que la liquidation légale des droits féodaux n’était pas encore accomplie ? En outre, les domaines du clergé ne servaient-ils pas de gage à ses créanciers ? Ces derniers, voyant leur garantie disparaître ou diminuer, laisseraient-ils les nouveaux acquéreurs en paix ? Que de sources de procès et de réclamations ! Mais ce n’était pas tout : l’Etat avait promis aux ministres du culte un entretien convenable. La dîme devant cesser d’être perçue au commencement de 1791, cet entretien ne leur serait évidemment fourni qu’au moyen des domaines ecclésiastiques, dont, malgré le décret du 2 novembre, le clergé gardait toujours en fait l’administration. L’État pourrait-il vendre dans de pareilles conditions ? En avait-il le droit ?

Toutes ces insinuations, toutes ces menées, tournèrent radicalement contre leurs auteurs. Elles eurent pour effet de déterminer l'Assemblée à agir vite et avec plus d’énergie qu’elle n’en eût montré sans doute si elle n’eût trouvé devant elle tant de résistance.

Tout d’abord elle acheva en quelques semaines la discussion de la loi nécessaire pour assurer l’exécution des décrets du 4 août sur les droits féodaux. Ce grand travail fut achevé le 15 mars. On sut dès lors avec exactitude quels droits étaient simplement abolis, quels autres devaient être rachetés et comment ils devaient l’être.

Deux jours plus tard, répondant à une proposition très opportune de la ville de Paris, elle décidait que les 400 millions de biens nationaux dont l’aliénation était décrétée seraient vendus aux municipalités, qui seraient chargées de les revendre ensuite aux particuliers. Grâce à l’intermédiaire des villes, le succès de l’opération devenait certain.

Pour rassurer les futurs acquéreurs contre les revendications possibles des créanciers du clergé, le comité des finances, dans le projet de décret qu’il présenta le 9 avril sur l’émission des assignats, leur nature, leur revenu, leur garantie et leur mode d’estimation, eut bien soin de stipuler que l’État prenait à sa charge la dette entière du clergé, que par conséquent les domaines nationaux mis en vente seraient nets de toute hypothèque.

Enfin le même jour, 9 avril, le jurisconsulte Chasset, au nom du comité des dîmes, proposait à l’Assemblée, dans un rapport mémorable, les moyens de pourvoir à l’entretien du culte catholique sans pour cela recourir aux revenus des anciens domaines ecclésiastiques, qui seraient à l’avenir administrés par les départements et par les villes. Désormais le salaire du clergé lui serait fourni en argent ; une somme suffisante serait inscrite au budget de l’État pour cet objet, comme pour les autres services publics. Du reste, pour bien montrer que l’Assemblée était soucieuse d’assurer aux ministres du culte un bien-être en rapport avec leurs services et avec leur condition sociale, Chasset fixait à plus de 133 millions l'allocation qui devait être garantie au clergé[32].

Mais il eût offert davantage que le parti contre-révolutionnaire n’en eût pas moins jeté les hauts cris. Le salariat, c’était ce dont la haute Église et même une partie du bas clergé ne voulaient pas entendre parler. Il leur semblait que celte condition nouvelle ravalait et déshonorait l’Église. Au fond, les évêques avaient espéré jusqu’au dernier moment que la plus grande partie des domaines ecclésiastiques resteraient, au moins de fait, dans les mains du clergé. Sans doute, il n’en serait plus que l’administrateur, sous la surveillance de l’État. Mais, aux yeux des populations il aurait toujours l’air, malgré tout, d’en être le propriétaire. Il ne subirait aucune diminution de prestige. Moralement, sinon légalement, il continuerait à former un corps, une puissance sociale. Des fonctionnaires payés en fonds de terre dépendent toujours en réalité bien moins du gouvernement que des agents soldés en argent, parce qu’en somme ils se payent eux-mêmes. Les évêques le sentaient bien, mais les hommes de la Dévolution ne l’ignoraient pas non plus. Chasset déclarait fort nettement qu’il ne fallait pas dans l’État et vis-à-vis de lui de grands corps possédant des propriétés. Et l’immense majorité de l’Assemblée pensait comme lui.

Le haut clergé n’en livra pas moins, pour empêcher la prise de possession effective de ses domaines par l’autorité civile, une dernière bataille, qui dura quatre jours. Je doute qu’il l’eût gagnée, même en se montrant modéré, conciliant dans ses revendications. Mais il assura lui-même sa défaite par l’aigreur de ses revendications, son insistance peu loyale à représenter sans cesse la religion comme perdue, l’exagération manifeste de ses faux calculs[33], enfin par l'acharnement avec lequel il reprit et soutint la malencontreuse proposition de D. Gerle — que la religion catholique, apostolique et romaine fût et demeurât toujours la religion de la nation et que son culte fût le seul autorisé[34]. Ce dernier retour offensif de l'intolérance causa un tel émoi non seulement dans l'enceinte de l’Assemblée, mais dans Paris, qu’une foule énorme et menaçante pour les membres de la droite se porta aux abords de la salle des délibérations ; que les chefs du parti nobiliaire et ecclésiastique furent insultés, coururent de vrais dangers et que Bailly dut mettre sur pied toute la garde nationale de la capitale, sous les ordres de Lafayette, pour les faire respecter.

Le projet de Chasset fut enfin voté, dans ses dispositions essentielles, le 14 avril. Trois jours après, le décret relatif aux assignats l’était à son tour. Bien ne s’opposait donc plus à la vente des 400 premiers millions de biens nationaux, dont les conditions furent déterminées par deux nouveaux actes de l’Assemblée, le règlement du 14 mai et l’instruction du même mois. Mais ce n’était là qu’un début ; et, si le haut clergé résista encore pour la forme quand il fut proposé de poursuivre l’opération, il ne put empêcher la Constituante de rendre, le 9 juillet, le décret qui mettait enfin en vente la totalité des biens du clergé.

Ici s’arrête la première partie de l’œuvre accomplie par cette grande Assemblée en ce qui regarde l’Église. On voit par l’exposé qui précède que, jusque-là, cette œuvre était purement négative, en ce sens que les constituants s’étaient bornés à détruire, et purement politique, en ce sens qu’ils n’avaient touché qu’au temporel de l’Église. Au bout d’un an de révolution, le clergé catholique avait cessé d’exercer en France le monopole de la religion ; il avait également cessé d’y exercer les droits d’un ordre privilégié ; il avait enfin cessé d’exister comme propriétaire. La triple conquête que la nation venait de faire sur lui au nom de la justice et de la raison n’avait pas coûté de sang. L’Assemblée eût pu se montrer moins rigoureuse dans l’expropriation du clergé. En tout cas, elle eût été sage en bornant là ses conquêtes ou en remettant à beaucoup plus tard la réorganisation disciplinaire de l’Église française. Mais elle voulait maintenant construire ; elle allait fournir, en pénétrant sur un domaine qui n’était pas exclusivement le sien, des prétextes plausibles de rébellion à des adversaires exaspérés, qui n’eussent trouvé personne pour les aider à faire renaître le régime de la persécution et des privilèges, non plus qu’à reprendre leurs biens, mais qui purent allumer en France la plus horrible des guerres civiles au nom de l’autorité spirituelle méconnue, disaient-ils, par le régime nouveau.

 

 

 



[1] Ce règlement s’appliquait à la plus grande partie du royaume. Il en fut publié de particuliers pour certaines provinces, ainsi que pour la ville de Paris et quelques autres. Mais tous assuraient, directement ou indirectement, la prédominance aux curés dans les élections ecclésiastiques.

[2] Voir en particulier celui que M. de Bonal, évêque de Clermont, publia en juin 1789 et où il dénonçait comme cause des maux de l’État l’impiété moderne et la liberté de la presse, il protestait d’avance contre toute innovation et demandait qu’on s’en tint à la forme de gouvernement existante.

[3] La noblesse fit un peu plus tard cause commune avec le clergé, quand elle se vit entraînée avec lui dans la ruine des anciennes institutions. Mais, au début de la Révolution, il ne faut pas l’oublier, elle affectait d’être fort voltairienne ; elle n’eût pas été fâchée que le beau tapage prédit par le philosophe de Ferney se fit aux dépens de l’Église, surtout si elle-même eût pu bénéficier (et elle l’espérait bien) des dépouilles de l'infâme.

[4] On sait que les représentants du tiers, à la grande colère de la cour et des ordres privilégiés, commencèrent, dès le mois de mai 1789, à s’intituler députés des communes, en attendant le titre, autrement significatif, d’Assemblée nationale, qu’ils prirent le mois suivant.

[5] Voir les détails instructifs donnés abondamment sur les dispositions du bas clergé par M. Chassin dans son livre sur les Cahiers des curés. Il résulte de l’enquête de ce consciencieux historien que les vœux du corps ecclésiastique auraient été encore exprimés avec plus de vigueur démocratique, si presque partout l’aristocratie sacerdotale n’eût jusqu’à un certain point tenu en respect le clergé des paroisses ou n’eût parfois falsifié les délibérations des assemblées électorales.

[6] Sieyès, qui avait alors quarante et un an, avait été successivement chanoine en Bretagne (1775), vicaire général, chancelier de l’église cathédrale de Chartres (1784), puis conseiller commissaire à la chambre du clergé de France (1787). L'Essai sur les privilèges et surtout la célèbre brochure : Qu’est-ce que le tiers état ? (publiée en janvier 1789) l’avaient rendu très populaire et lui avaient valu d’être envoyé aux états généraux comme député du tiers état par la ville de Paris.

[7] Le comte d’Artois, frère du roi, le prince de Condé, son cousin, le maréchal de Broglie, le duc de Polignac, le baron de Breteuil, etc., partirent dès le 16 juillet.

[8] L’Assemblée rejeta le 4 août, par 570 voix contre 433, la proposition de Camus en faveur d’une déclaration des devoirs.

[9] L’Assemblée nationale reconnaît et déclare, en présence et sous les auspices de l’Être suprême, les droits suivants de l’homme et du citoyen... (Préambule de la déclaration).

[10] Voici le texte de ces articles : Art. 16. La loi ne pouvant atteindre les délits secrets, c’est à la religion et à la morale à la suppléer. Il est donc essentiel, pour le bon ordre même de la société, que l’une et l’autre soient respectées. — Art. 17. Le maintien de la religion exige un culte public. Le respect pour le culte public est donc indispensable. — Art. 18. Tout citoyen qui ne trouble point l’ordre public ne doit point être inquiété.

[11] Jean-Paul Rabaut-Saint-Etienne, fils de Paul Rabaut, pasteur du désert dans le bas Languedoc, était né en 1743 et avait longtemps exercé, malgré la persécution, le ministère évangélique près de Toulouse, puis à Nîmes. Il avait été envoyé aux états généraux par le tiers état de la sénéchaussée de Nîmes et de Beaucaire.

[12] V. le n° 31 du Courrier de Provence.

[13] Décrets du 21 décembre 1789 qui déclare les protestants admissibles à tous les emplois civils et militaires, — du 10 juillet et du 9 décembre 1790, qui restitue aux héritiers des religionnaires fugitifs ceux de leurs biens confisqués qui sont incorporés au domaine de l’Etat et qui leur rend la qualité de Français sous certaines conditions ; — du 28 janvier et du 20 juillet 1790, confirmant les anciens droits des juifs et abolissant les taxes spéciales qui leur étaient imposées ; — du 28 septembre 1789 et du 16 août 1790, qui mettent les juifs d’Alsace sous la protection de la loi, etc.

[14] Séance du 11 août. Le clergé finit par déclarer qu’il renonçait aux dîmes, niais seulement quand il vit sa cause perdue et pour sauver par ce sacrifice ses propriétés. Ce sacrifice venait beaucoup trop tard ; il faut ajouter qu’il n’était pas sincère de la part des évêques, qui intriguèrent ensuite longtemps en secret auprès du roi pour qu’il refusât sa sanction au décret de l’Assemblée.

[15] Et nobiliaire, car il faut être juste, et l’ordre féodal n’était pas moins désireux que l’ordre ecclésiastique de se reconstituer.

[16] Lettre lue à la séance du 21 septembre.

[17] C’est le discours sur la banqueroute, qui est encore aujourd’hui dans toutes les mémoires.

[18] Dont la plus remarquée, œuvre de l’avocat général Servan, était une réponse à l’écrit île Sieyès intitulé : Observations sommaires sur les biens du clergé. Le célèbre abbé, qui s’était naguère montré si radical en politique, n’en avait pas moins défendu la dime : il défendait maintenant les propriétés ecclésiastiques, par intérêt, croyons-nous. C’était un égoïste et un homme d’argent ; la suite de sa vie ne l’a que trop prouvé.

[19] Dont la valeur était estimée à 140 millions (du temps).

[20] Institué le 28 août pour rechercher les meilleures garanties de l’emprunt de 80 millions voté la veille.

[21] Qui n’avait, du reste, nulle tendresse pour l’épiscopat d’avant 1789 et qui voulait une église gallicane et nationale, niais propriétaire.

[22] Qu’il ne faut pas confondre avec M. de Dillon, archevêque de Narbonne, cité plus haut.

[23] Par exemple de dire autant de messes particulières qu’il lui en a été commandé et payé.

[24] On sait avec quelle facilité, au milieu d’une ignorance presque générale, les moines du moyen âge purent, pendant des siècles, fabriquer de fausses chartes, de fausses donations comme de faux documents historiques. Il y en avait eu longtemps une véritable officine à l’abbaye de Saint-Médard de Soissons.

[25] Voir dans le Moniteur le discours très long, très étudié, qu’il prononça sur la question des biens ecclésiastiques à la séance du 13 octobre.

[26] Séance du 4 décembre.

[27] On sait que les abbés touchaient personnellement le tiers du revenu de leurs abbayes.

[28] C’est-à-dire de l’ancien domaine de l’Etat et des biens du clergé.

[29] Son attitude fut même tellement significative, que Louis XVI, peu encouragé à ce moment par les cours étrangères, crut devoir venir à l’assemblée le 4 février et, par un discours chaleureux dont elle fut fort touchée, affirmer son adhésion formelle, même son dévouement, aux nouvelles institutions.

[30] Séances du 19, du 20 février et du 19 mars.

[31] Le 18 février, l’Assemblée déférait à la justice une adresse au roi, que le clergé faisait signer aux pauvres gens et où les députés étaient dénoncés comme les détracteurs de la religion et les ennemis du monarque. Le 22, à propos des troubles qui étaient signalés sur divers points du royaume, Robespierre s’élevait avec énergie contre les menées sacerdotales. Vous savez, disait-il, quelles menées on a employées en Normandie pour soulever le peuple, pour égarer les habitants des campagnes ; vous avez vu avec quelle candeur ils ont désavoué les signatures surprises et apposées à une adresse, ouvrage de sédition et de délire... Qui est-ce qui ignore qu’on a répandu avec profusion, dans les provinces belgiques, des livres incendiaires, que les principes de l’insurrection ont été prêchés dans la chaire du Dieu de paix, que les décrets sur la loi martiale, sur les contributions, sur la suppression du clergé, ont été publiés avec soin, qu’on a caché tous ceux de vos décrets qui, non moins utiles, présentaient au peuple des objets de bienfaisance faciles à saisir ?...

[32] La première année du moins, car il va sans dire que cette somme devait être diminuée au fur et à mesure des décès des religieux et des prêtres sans emploi qu’on allait être obligé de pensionner. Mais, même après cette réduction, le budget de l’Église catholique devrait encore être de 85 à 90 millions ; c’était en valeur absolue deux fois, en valeur relative cinq fois plus qu’elle ne nous coûte. C’est là ce que les ennemis de la Révolution appelaient dépouiller l’Église.

[33] L’évêque La Fare alla jusqu’à dire que les revenus des biens ecclésiastiques ne dépassaient plus 35 millions et que l’opération entreprise par l’Etat lui coûterait 280 millions par an. C’était montrer vraiment trop de sollicitude pour lui.

[34] La motion fut rejetée par l’ordre du jour suivant, dont l’auteur était le duc de la Rochefoucauld : L’Assemblée nationale, considérant qu’elle n’a ni ne peut avoir aucun pouvoir à exercer sur les consciences et sur les opinions religieuses ; que la majesté de la religion et le respect profond qui lui est dû ne permettent pas qu’elle devienne l’objet d’une délibération ; considérant que I Rattachement de l’Assemblée nationale au culte catholique, apostolique et romain ne saurait être mis en doute dans le moment où ce culte va être mis par elle à la première place des dépenses publiques et où, par un mouvement unanime, elle a prouvé son respect de la seule manière qui pouvait convenir au caractère de l’Assemblée nationale : a décrété et décrète qu’elle ne peut ni ne doit délibérer sur la motion proposée et qu’elle va reprendre l’ordre du jour concernant les biens ecclésiastiques.