Dans le
cachot de Lusignan, hanté seulement des souvenirs de la fée Mélusine, Louis
d'Orléans put réfléchir en paix aux vicissitudes des destinées humaines. Une
fois de plus, il venait de jouer un rôle éclatant, mais éclatant de ridicule
: en somme, pendant son séjour en Bretagne, on l'avait ouvertement leurré ;
après l'avoir attiré avec le dessein public d'épouser l'héritière du duché,
on l'avait condamné à voir prodiguer les mêmes assurances, et non moins
publiques, tantôt à l'archiduc, tantôt à Alain d'Albret ; même on le conviait
à y prendre part : et c'est pour une telle cause que le duc d'Orléans avait
mis le feu au royaume, saccagé une pro rince, ébranlé le pays tout entier,
consumé sa vaillance contre sa patrie côte à côte avec l'Anglais et l'Allemand
et que maintenant, dégradé, sans avenir et compromis par les souvenirs les
plus misérables, il se trouvait jeté dans un cachot comme un scélérat, lui, à
qui la vie ouvrait, si heureuse, sa grande porte, si seulement il s'était
laissé vivre ! Marie de Clèves l'avait bien prédit : nous avons raconté son
désespoir et ses pronostics lorsqu'elle le vit partir pour la Bretagne : elle
disait qu'on promettait tout à son fils, mais qu'on le trompait, et :' qu'on
ne lui donnerait pas Madame Anne. Quelques personnes sages partageaient alors
cet avis[1], et Louis regrettait sans doute
de ne pas les avoir écoutées, en se voyant dans les murs de Lusignan,
entouré, pour toute cour, pour toute société, d'un capitaine énergique et
net, Philippe Guérin, maître d'hôtel du roi, et d'une troupe d'archers chargés
de la garde du château. Ces gens lui faisaient entendre de rudes paroles dont
il n'avait guère l'habitude. Il se plaignait d'être mal : un archer, en
ricanant, lui répondit que, dans ce cas, on lui donnerait à manger une
araignée[2], l'animal probablement le plus
affectionné à ces sombres cachots. Guérin, voyant qu'on préparait au duc un
repas superbe, dit que c'était trop pour un prisonnier, qu'il suffisait d'un
menu de pain et d'eau avec du lard ou avec un morceau de bœuf[3]. On
enferma d'abord Louis dans un bâtiment de la basse-cour, puis on le
transporta dans le donjon lui-même[4]. En ces
heures douloureuses, Jeanne de France n'écouta que son cœur : ah ! certes, si
quelqu'un avait le droit de se plaindre des aventures du duc d'Orléans et de
lui en garder rancune, c'était elle ! Que d'humiliations elle devait à son
mari ! Que d'atroces souffrances, que de déboires ! Quel fou que ce duc
d'Orléans ! quel prince ! quel mari ! Quelle conduite publique et quelle
conduite privée ! Mais Jeanne de France ne savait que pardonner ; Jeanne
l'aimait. Elle
part pour Lusignan, escortée d'un écuyer d'esprit assez délié, L. de La
Palud, que déjà nous avons rencontré en Bretagne : comme l'ange de la
consolation, comme un rayon d'espérance elle arrive près du prisonnier et
reçoit de lui un mauvais accueil : il fallut la suggestion de La Palud, qui
prit le prince à part et lui représenta que peut-être, en faisant bon visage
à sa femme, il se préparerait les voies à la délivrance, pour décider Louis à
modifier la rudesse de ses premières dispositions ; et Jeanne partagea cette
prison durant plusieurs jour[5]. Au bout
d'une année, en U89, le prisonnier quitta Lusignan pour Meung-sur-Yèvre, et
peu après pour la Grosse-Tour de Bourges, où il entra en juillet. La Tour de
Bourges, l'une des principales prisons d'État du royaume, se composait d'une
énorme construction ronde, en pierres de taille dégrossies et excessivement
épaisses, qui se divisait intérieurement en chambres, cachots, prisons
obscures et divers lieux secrets : elle dominait tout le pays, car elle se
reliait au système général des fortifications de Bourges et occupait le point
voisin du palais ducal, mais les prisonniers ne jouissent guère de la vue.
Philippe-Auguste avait encore environné la Tour d'une grande muraille en
carré flanquée de quatre bastions et de larges et profonds fossés[6]. La compagnie d'archers
écossais, chargée de la garde du prince sous la direction du capitaine
Patrice Mac-Nellem, s'ajoutait à la garde ordinaire de la Tour, qui se
trouvait ainsi très forte. Ces archers s'installèrent d'abord dans l'enceinte
fortifiée et, comme ils ne pouvaient y tenir, il fallut encore louer au
dehors la maison du chanoine Charron et la demeure d'un hôtelier nommé
Bergerat[7]. Vers ce
temps le médecin du duc qui ne l'avait pas quitté, Salomon de Bombelles,
entreprit de sonder Madame Jeanne de France sur le concours qu'elle était
disposée à apporter à la délivrance de Louis, car l'intervention du comte
d'Angoulême, sur laquelle on pouvait compter, avait absolument échoué[8] ; il engagea Madame à choisir
un jour particulièrement consacré, par exemple le Vendredi-Saint, à demander au
roi, fût- ce à genoux, la délivrance de son mari ; en obtenant ainsi sa
liberté par son intercession personnelle, elle obtiendrait aussi qu'il
l'aimât de plus en plus : « Ah, ne croyez-vous pas, dit Jeanne, que je
ferai tout ce que je dois et tout ce que je puis ? » Salomon répondit
qu'il le croyait assurément : et Jeanne ajouta qu'elle craignait bien
qu'après sa délivrance Louis ne l'aimât pas autant que voulait bien le dire
Salomon : « Ha, maistre Salmon, disait-elle avec mélancolie, je
n'ay pas personnage pour ung tel prince ![9] » Louis
se plaignait beaucoup du régime de la prison. Il avait chargé de transmettre
au roi ses plaintes Claude de la Châtre, capitaine des gardes, et Jacques
Desille (ou
de Silly),
capitaine des archers de la garde écossaise, qui commandaient son escorte
pour venir à Bourges, et lorsque ces capitaines rendirent compte de leur
mission à M. et à Mme de Beaujeu, maintenant duc et duchesse de Bourbon, qui
se trouvaient au château d'Amboise avec le roi, ils ne manquèrent pas de
rapporter que le duc ne se trouvait pas bien dans la Tour parce qu'il n'avait
pas la vue libre ni assez d'air[10]. Les gens de la maison du duc,
tous ceux qu'il avait jadis pensionnés et que sa chute privait de leurs
profits, commençaient aussi à s'agiter : on le représentait comme fort
maltraité par son geôlier Guérin, on répandait mille bruits exagérés sur les
sévices dont il serait victime, et ceux qui parlaient ainsi étaient les mêmes
qui poursuivaient son élargissement[11]. On affectait de craindre le
poison pour le duc, et lui-même exprimait ouvertement la même crainte[12]. On disait que Guérin lui
interdisait d'écrire[13], et au contraire Louis écrivait
; que Louis était malade et qu'on lui refusait un médecin, alors que son
médecin ordinaire, Salomon de Bombelles, habitait avec lui la Tour de Bourges
et pouvait même circuler librement au dehors[14], que Louis manquait d'air et de
liberté, et le sire de Vatan raconte avoir causé avec lui de l'extérieur de
la Tour[15] ; que Philippe Guérin, chargé
de régler sa dépense, le privait de l'indispensable, par exemple qu'il lui
refusait des souliers neufs sous prétexte que ses souliers n'étaient pas
encore percés : le duc, au contraire, avait gardé 'un clerc de ses finances
qui recevait l'argent nécessaire[16]. Non-seulement on répandait ces
nouvelles, mais on faisait remonter la responsabilité des sévices soit au
roi, soit aux gardiens[17]. Or, sans nul doute, comme le
dit Jeanne de France, ung homme prisonnier n'est pas bien aise[18], mais en réalité le duc
souffrait surtout de son séjour en prison et de la crainte qu'il éprouvait
d'être maltraité. La vue d'une cage de fer, telle que le progrès du temps
venait d'en inventer, placée dans sa chambre à coucher, lui inspirait à
chaque instant une grande terreur, et d'ailleurs il n'y fut jamais renfermé,
quoi qu'en disent les historiens. Son fidèle serviteur, le sire de
Lis-Saint-Georges, lui faisait passer des lettres par un gentilhomme de sa
parenté de l'ordonnance du sire de Champéroux[19] et dans ses réponses le duc se
plaignait de sa prison, du temps qu'il y restait, des mauvais traitements de
Guérin et de ce que cet état ne pouvait se prolonger sans péril de sa vie :
mais il ne lui parlait pas de la cage de fer. Après sa délivrance, Louis
emmena le sire de Lis-Saint-Georges à Bourges voir sa prison et il lui montra
la fameuse cage placée dans sa chambre, en lui racontant combien elle lui
avait fait peur et qu'à toute heure il craignait d'y être enfermé pour passer
la nuit[20]. Cette cage de fer, qu'on
pouvait voir encore au Kru° siècle dans la Grosse-Tour, était du reste une
cage de bois, garnie de ferrures, une sorte de cabanon de huit pieds de haut[21]. Cependant
Rabaudanges, Mme de Fontevrault, beaucoup de gens de sa maison, voyant
l'extrême bouté de Jeanne et l'affection du roi pour sa sœur, concevaient de
vives espérances et mandaient à Louis de faire bon visage à sa femme, qu'il
ne pouvait rien imaginer de mieux pour sa délivrance[22]. Le sire de Lamonta, qui, par
une correspondance régulière, tenait le prisonnier au courant des évènements
et notamment des efforts tentés pour obtenir sa liberté, le pressait aussi de
recevoir Madame Jeanne, mais sur ce point spécial Louis ne répondait rien du
tout[23]. Malgré
cela, Madame Jeanne se dévouait de tout cœur, entièrement. Comme dit
Brantome, « quelle bonté de femme ! et là-dessus croyez si elle n'estoit pas
bien au vray sa femme et tres-bien cognue, en importunant tous les jours le
roy son frère — dont il en fut blasmé de mescognoissance lorsqu'il la répudia
— et sa sœur qui répugnoit tant qu'elle pouvoit. » Et cependant, en même
temps qu'elle implorait le roi et Mn' Anne de Beaujeu, Madame Jeanne faisait
rechercher, sans pouvoir les retrouver, les bulles de dispenses qui
constataient la validité de son mariage, et notamment elle les faisait
demander à l'évêque d'Orléans[24], tant elle conservait peu
d'illusions sur le caractère et les arrière-pensées de son époux ! Et comment
donc aurait-elle pu en avoir ? A Meung, à Bourges, elle revenait le voir et
partager volontairement sa captivité pendant plusieurs jours, et en échange
de tant de bontés elle ne recevait que des traitements humiliants et pénibles[25]. Louis se raidissait contre ses
propres intérêts et il n'en souffrait pas moins : on le voyait maigrir à vue
d'œil. Pendant un séjour de Madame Jeanne à la Tour de Bourges, les archers
de la garde écossaise, remarquant une altération sensible dans les traits du
prisonnier et attribuant son changement à quelque excès, crurent devoir en
avertir Salomon de Bombelles. Le lendemain, Salomon, tout en paraissant
causer familièrement avec le prince, lui répéta ce qui se disait parmi les
archers de sa garde : Louis ne méconnut pas ce qu'il y avait de fondé dans
les conjectures des archers, mais il entra en quelques détails techniques de
nature à édifier le docteur. Salomon répliqua que néanmoins il fallait entretenir
Madame, à cause des projets de délivrance, à quoi Louis repartit qu'il ne
savait que faire, qu'il ne pouvait prendre Jeanne pour sa femme, qu'il aurait
voulu épouser la plus pauvre demoiselle du royaume, fût-ce au prix de dix
mille livres de rente. A plusieurs reprises, Salomon essaya encore d'inspirer
au duc bon courage, mais il ne put tirer de lui que des réponses qui
témoignaient bien peu d'amour ou d'affection maritale[26], et Jeanne quitta le duc pleine
de douleur[27]. Son
intervention produisit pourtant d'heureux effets en faveur du prisonnier. Sur
ses prières, le roi rappela Guérin, qu'on accusait de tant de duretés, ainsi
que le capitaine Patrice ; il leur témoigna peu de faveur depuis lors et
envoya à leur place à Bourges un nommé François Lebascle[28] et une nouvelle compagnie de
gens d'armes. Par ordre du roi, la ville de Bourges dut auménaiger et
utanciller la tour de tout mesnaige qui y fauldroit. Elle acheta pour le
service du duc des broches et routissoires et les échevins
allèrent dans diverses maisons emprunter les objets de ménage nécessaires.
Elle fit laver les tapisseries de la Tour, aplumeter et
refaire tous les lits. Un sergent royal installa dans la ville la nouvelle
troupe et lui procura aussi les ustenciles nécessaires. En 1491,
Jeanne vint encore voir son mari, et Mme Jaquette, femme de l'échevin Rogier,
fut chargée d'acheter, au nom de la ville, deux linceulx de lin et
trois toiles pour garnir les lits de ses demoiselles dans la Tour[29]. Aux
douleurs et aux soucis qu'infligeait à Madame Jeanne la conduite de sou mari
venaient s'ajouter encore de cruels besoins d'argent. La révolte du duc avait
entraîné le sequestre de tous ses biens et nous avons vu qu'après le brusque
départ de Louis son trésorier Hurault refusait de rien payer : les
fournisseurs eux-mêmes, les bouchers, boulangers, marchands de vin, jusqu'à
l'apothicaire du château, durent s'adresser au Parlement pour le règlement de
leurs mémoires, et ils l'obtinrent au mois de mai[30]. Le duc avait dû vendre pour
plus de 50.000 francs de ses biens[31], notamment quelques droits que
sa mère possédait à Chauny[32]. Ainsi, pour faire face à tous
les besoins, Madame Jeanne se trouvait réduite à sa pension personnelle,
pension qui, d'abord fixée à 10.000 livres, avait été peu après élevée à 12.000
comme insuffisante, et qu'ensuite, au moment où éclata la guerre de Bretagne,
les officiers royaux avaient fait ramener de nouveau au chiffre primitif de
10.000 livres, en raison des charges du Trésor[33] ; il paraîtrait môme que cette
pension ne se trouvait pas très régulièrement servie, car Madame Jeanne écrit
la lettre suivante au sire du Bouchage pour s'en plaindre : « Monsieur
du Bouchaige, je me recommande â vous : j'envoie devers le Roy pour estre
appointée tant pour le fait de ma pencion de ceste présente année que de deux
mille francs qui me restent de l'année passée et aussi de huit cens frans que
n'ay peu recouvrer du receveur de Berry : par quoy suis demeurée en reste à
mon trésorier de bien troys mille francs que ne pourrois paie se ne suis
appointées des dites sommes, car je n'ay nul autre bien d'ailleurs. Je vous
prie, Mons. du Rouchaige, que m'y vueillez aider et servir comme j'en ay en
vous fiance. En vous disant à Dieu, qui vous doint ce que desirez. Escript
Amboise, le XVe jour de décembre. Jehanne de France. — Preuves[34]. » Depuis
que le duché d'Orléans avait été saisi par l'autorité royale, Madame Jeanne
se trouvait en quelque sorte dans la situation d'une veuve et il semble
qu'elle aurait pu réclamer un privilège égal à son douaire, c'est-à-dire à 6.000
francs de revenu selon son contrat de mariage. Les lettres-patentes du 23 mai
1489 répondent à cette pensée en lui attribuant comme résidences les châteaux
de Châteauneuf-sur-Loire et de Montilz-les-Blois, avec la jouissance des
terres et bois qui en dépendent, d'un revenu estimatif de 4.249 livres, 9
sous, ou, net, de 4.000 livres, défalcation faite des frais d'entretien. Ces
lettres, conçues dans le style le plus sec et le plus administratif qui
puisse se trouver sous la plume d'un scribe du palais, attribuent les besoins
pécuniaires et les dettes de Madame Jeanne à « la grant dépense qu'elle
faicte et faict par chascun jour à poursuivre la délivrance de notre dit
frère le duc d'Orléans » : ensuite elles font remarquer que feue Marie de
Clèves jouissait d'un douaire de 10.000 livres dont moitié sur le duché
d'Orléans, et elles fixent un douaire de seulement 4.000 livres à Madame
Jeanne avec une courte et banale formule : « en faveur de la grant proximité
de lignage en quoy elle nous atient... considérant que nostre dite sœur nous
a fait humblement supplier[35]... » On ne pouvait publiquement
lui marquer plus de déplaisante de ses démarches en faveur de son mari, et
cependant Jeanne ne se décourageait pas. Elle n'alla point se renfermer dans
la vie large et tranquille des deux somptueuses résidences que lui abandonnait
le roi : tout le temps qu'elle ne passait pas dans la prison de son mari,
elle le réservait pour la cour et nous voyons par les pièces signées d'elle
qu'elle ne quitta guère Plessis-lès-Tours, si ce n'est pour suivre son frère.
On espérait que le roi, déjà un peu impatient du joug de Mme de Bourbon,
finirait par le rompre : ses jeunes compagnons, tels que les sires de Miolans
et de Cossé, le pressaient vivement de se montrer majeur, et le prince était
si jeune qu'on pouvait compter sur sa générosité. Mais Madame Anne, fine
politique, déjouait ces calculs en rendant son influence plus légère, en
faisant maintenant de longs séjours dans ses terres avec son mari et ainsi
elle maintenait entièrement son pouvoir : or, il ne fallait pas parler à Anne
de Bourbon du duc d'Orléans : elle le trouvait bien à sa place dans la
Grosse-Tour de Bourges et elle entendait l'y laisser. Rien ne put la fléchir.
En vain Madame Jeanne essayait de négocier un arrangement : elle écrivait : « Ma
sœur, je me recommande tousjours bien fort â vous, pour ce que incessamment
je pense à la délivrance de Monseigneur mon mari, me suis advisée de mettre
par escrit la forme par laquelle on pourroit avoir paix, et mondit mary
délivré, et rescris au Boy, et le tout verrez. Je vous prie que teniez la
main que les choses puissent venir en bon effet, et vous obligerez mondit
mary et moy à vous à tousjours. Et sur ce, vous dis à Dieu, ma sœur, qui vous
doint de vos désirs le parfait. Escrit à Saint-Martin-de-Gaude, ce mardy au
soir. Ma
sœur, je vous prie que vous teniez la main, que j'aye en bref response. Vostre bonne sœur, Jehanne de France. » Et, une
autre fois, elle revient encore à la charge en termes non moins pressants : « Ma
sœur, je me recommande bien fort à vostrc bonne souvenance, en laquelle je
vous prie que je demeure, et me faites ce plaisir de souvent me faire sçavoir
de vos nouvelles. Il m'est bien arrivé en mal de ce que je ne vous vois plus.
Ma sœur, je vous remercie de votre litière, de laquelle je me suis bien
trouvée, cl n'eusse pas tant attendu de le faire, mais l'homme s'en alla, et
n'en sceus rien. Touchant, ma sœur, les paroles que eusmes, vous et moy, tout
va bien : on vous avoit dit autrement que n'avait esté. Je le vous eusse plus
test escrit, mais il me semble que pensiez bien que les choses alloient aux
fins que le vous mandat'. Ma sœur, je vous prie qu'ayez le fait de Monsieur
mon mary pour recommandé, et dont veuilliez escrire à mon frère, nonobstant
qu'il s'y acquitte bien, dont sommes bien obligez à lug et à vous, ma sœur,
priant Dieu qu'il vous doint ce que desirez. Vostre bonne sœur, Jehanne de France[36]. » En même
temps elle s'occupait activement de la gestion du peu de domaines qui lui
restaient et des intérêts du duc ou des serviteurs de la maison : dans toutes
ces affaires elle s'entoure des conseillers du duc et leur laisse la
direction politique comme aux conseillers de Monseigneur[37]. Elle
leur renvoie les ambassadeurs d'Asti[38]. Elle
s'intéresse à une affaire du sire de Vatan[39]. Elle
écrit pour recommander la prompte expédition d'un procès[40]. Le comté d'Asti par sa
situation même avait échappé au sequestre général des biens du duc d'Orléans.
Jeanne s'occupe, malgré son extrême éloignement, d'en tirer quelque parti et
d'en faire rentrer les maigres revenus. Elle écrit à Damien, trésorier d'Asti,
d'acheter deux beaux mulets du pays et de les lui expédier chargés de
provisions de là-bas. Les mulets arrivent à Amboise : ce sont deux mulets
fauves, avec une couverture de drap rouge, portant deux barils d'huile
d'olive, sept pots de confiture liquide et deux paniers d'oranges ; selon-les
ordres de la duchesse, ces mulets, en passant par Bourges, y ont laissé la
moitié de leur chargement pour le prisonnier qu'elle n'oublie pas[41]. Le 18 octobre elle reçoit
d'Asti 2.000 livres sur ce qui reste dît dans le comté pour l'année courante
et pour les années précédentes ; elle consacre cette somme à la destination
que le duc a ordonnée, c'est-à-dire « à l'entretement des povres senneurs et
officiers de monseigneur, et ailleurs en ses affaires, ainsi que par lui nous
a esté ordonné[42]. » Jeanne signe tous ces
actes de sa main « Jehanne de France » et elle y apparaît avec les titres
suivants : « Nous, Jehanne de France, duchesse d'Orléans, de Milan et de
Valoys, comtesse de Bloys, de Pavie et de Beaumont, dame d'Ast et de Coucy... » Son
sceau porte l'écu de France, d'azur aux trois fleurs de lys d'or, mi-parti
d'Orléans et Milan, avec la légende : « S. Johanne Francie, ducisse
Aureliani, Milani et Valesii » ; au-dessus de l'écu, en guise de
couronne, une banderole repliée se détache sur un fond de feuillage et porte
l'inscription : « S. Johanne Filie Francie[43]. » Elle
n'apportait pas de moindres soins à la gestion de son domaine. Nous la voyons
signer elle-même et en Conseil — « par Madame, les seigneurs de Vatan et
de La Monta, Guillaume de La Place et autres présens » — un reçu de huit
tonneaux de vins blancs et claretz, du creu de la seigneurie de Blois,
qu'elle fait répartir entre Blois, Amboise el le Plessis pour les dépenses de
son hôtel[44]. Cependant
Jeanne redoublait ses démarches en faveur de son mari ; déjà elle avait
obtenu de premiers succès : il lui fallait plus, c'était la liberté entière
de Louis qu'elle réclamait, et elle insistait au point de s'en rendre
importune. Georges d'Amboise, qui n'avait jamais trop partagé les illusions
de son maître, voyant Anne de Bretagne perdue pour lui quoi qu'il arrivât,
comprit assez bien la situation pour s'assurer de quelques jeunes conseillers
du roi et pour suggérer au prince 'HL-même qu'en délivrant Louis par un acte
de volonté personnelle, et en se faisant ainsi un ami, il trouverait aussi un
aide pour épouser lui-même Anne de Bretagne[45]. L'idée d'un mariage entre le
roi de France et la jeune duchesse apparaissait déjà à plus d'un sage esprit
; pourtant le procédé suggéré par d'Amboise présentait un caractère en même
temps bizarre et hasardeux, mais on persuade facilement un jeune roi quand ou
lui prêche un acte individuel et un tour de prince magnanime. Il est vrai que
le roi était déjà fiancé à la fille de l'empereur qui vivait depuis longtemps
à la cour de France comme la future reine, et que Madame Anne avait épousé,
par procureur, l'Empereur lui-même : mais ainsi, en rompant les deux
mariages, on ne se faisait qu'un ennemi, et un ennemi dans l'impossibilité de
nuire ; et puis il s'agissait de la Bretagne Le roi
cependant hésitait toujours. Madame Jeanne, les larmes aux yeux, en habits de
deuil, vint se jeter aux pieds de son frère : « Je sais, dit-elle, que les
hommes tiennent peu de compte des larmes des femmes : on les accuse de
pleurer toujours, de se laisser émouvoir par des riens. Mon cher frère, en vous
parlant, je fais tout pour refouler mes larmes. C'est la douleur, et non mon
effort pour les retenir, qui soulève mon cœur ; car lorsque je vois combien
de temps, dans quelle misère mon pauvre Louis mène une vie pire que la mort,
mon âme se brise, oui, je souffre trop pour pleurer ; je ne sais plus que
vous dire. Faut-il avouer ou désavouer sa faute, la repousser, la reconnaître
? On accuse Louis d'avoir méconnu votre autorité en prenant les armes contre
vous, en vous combattant, en voulant me répudier, moi, votre sœur. Il n'a pas
cru vous offenser mécontent de l'autorité de notre sœur Anne, il a eu peur,
il a craint, il s'est enfui. S'il a pris les armes, c'est qu'il n'a pu
revenir en France, et il en a été bien puni par une si longue prison. Mon
frère, pardonnez-lui. S'il a blessé quelqu'un, c'est moi. Laissez-vous
toucher. Vous avez battu vos ennemis, détruit leur camp ; les inimitiés entre
proches parents ne doivent pas être éternelles ! » — Charles paraissait ému :
« Vous aurez, ma sœur, ce que vous désirez tant, dit-il enfin ; fasse le Ciel
que vous ne poursuiviez pas votre malheur ! » A ces mots, Jeanne ne se sentit
plus de joie et de reconnaissance[46]. Un soir
du mois de mai 1491, le jeune roi quitta le château du Plessis sous prétexte
d'aller à la chasse ; suivi d'une escorte peu nombreuse, il s'en vint coucher
à Montrichard et, le lendemain matin, chevaucha le long les bords du Cher,
jusqu'au pont de Barangeon, près de l'endroit où l'Yèvre se jette dans le Cher
; de là, il députa jusqu'à Bourges un ancien bailli de Berry, Beraud Stuart,
seigneur d'Aubigny, celui qui devait plus tard devenir vice-roi et connétable
de Sicile et de Jérusalem. M.
d'Aubigny était bien connu à Bourges ; il alla droit à la Grosse-Tour, et en
vertu des ordres du roi se fit remettre le duc, monta à cheval avec lui, et
le conduisit au pont de Barangeon. On peut penser si le duc savourait à longs
traits le grand air dans ces verdoyantes campagnes du Berry toutes souriantes
et tout embaumées de printemps ; du reste, il était d'un naturel généreux :
du plus loin qu'il aperçut le roi il se jeta à terre et s'agenouilla en
pleurant. Charles court à lui, le relève et le serre dans ses bras, ne
sachant quelle chère lui faire. Les deux princes se rendent tous deux à
cheval jusqu'à Bourges, ils s'assoient à la même table, dans le palais, à
quelques pas de la Tour. L'humeur joyeuse de Louis d'Orléans se réveilla sous
ces vieux lambris, il sentait renaître sa verte jeunesse en vidant les
flacons dorés ; après le repas, les deux princes restèrent en tête à tête et
causèrent longtemps. De quoi parlaient-ils ? Du dehors on entendait l'éclat
de leurs joyeux propos Ils couchèrent dans le même lit, et le lendemain ils
partirent cordialement ensemble pour Tours. L'épreuve avait réussi. Quelques
jours après Louis reçut le gouvernement de Normandie, et le 28 juin 1491 le
roi proclamait l'oubli du passé, rendait à Louis ses biens[47], et cette ordonnance était
contresignée de tous ces hommes qui avaient joué clans la guerre des rôles si
divers : le duc d'Alençon, les comtes de Montpensier, de Foix, d'Albret, de
Rohan, de Candalles, le maréchal de Gié, l'amiral de Graville, les sires de
Miollens, d'Avaugour, du Bouchage et autres. C'était une réconciliation
générale. Le duc d'Orléans, revenu de toute illusion, disait plaisamment à
qui voulait l'entendre qu'il avait les épaules rompues de souffrir tout ce
qu'il avait souffert et « que, s'il mi porté la hote, il n'eust pas esté
tant travaillé[48]. » Fidèle à la parole que
Georges d'Amboise avait donnée, le duc partit pour la Bretagne avec Dunois,
mais cette fois il partait la tête haute et le cœur ferme, pour travailler au
mariage de son roi. Il se trouvait encore quelques gens pour se défier de
tels négociateurs, et pour murmurer que les pourparlers étaient bien longs,
si rapides fussent-ils. Le sire de Joyeuse, un jour, osa, devant le roi et en
présence du baron de Montmorency, exprimer tout haut ses doutes et dire qu'il
se demandait si le sire de Dunois n'entraverait pas les négociations pour un
motif quelconque. Le roi repartit que, s'il le savait, il brûlerait Dunois
avec sa femme et ses enfants, comme Geoffroy à la Grande-Dent brûla je ne
sais plus quel abbé et quels moines[49]. Charles VIII avait raison de
ne pas prendre fort au sérieux ces craintes. Maître de toute la Bretagne, il
n'avait laissé à Madame Anne que la ville de Rennes, et tout le monde
comprenait que le mariage des deux jeunes gens devenait maintenant la seule solution
possible. Charles et Anne se fiancèrent secrètement près de Rennes en
présence du duc d'Orléans, de Madame de Bourbon, de Dunois, du prince
d'Orange. Le contrat définitif fut signé à Langeais, le 6 décembre, devant
les ducs d'Orléans et de Bourbon, les comtes de Foix et de Vendôme, Louis
d'Amboise, évêque d'Albi, et autres seigneurs[50], et le mariage célébré
immédiatement par l'évêque d'Albi. La pauvre Marguerite d'Autriche avait
tristement repris la route de son pays. Cette année-là l'automne fut très
froid et, comme on remarquait devant elle que le raisin ne mûrissait pas,
Marguerite disait avec un mélancolique jeu de mots : « Ce n'est pas étonnant,
les sarments n'ont rien valu[51]. » Il ne
fallut pas beaucoup de temps à Louis d'Orléans pour reprendre son train de
maison : à la fin de 1491, nous lui retrouvons ses quatorze chambellans,
trois médecins, neuf gens d'église ou secrétaires, onze queux, onze
charretiers et dix chantres[52]. Il reprend aussi sa vie
joyeuse, et la pauvre Madame Jeanne encore est bien délaissée ! En 1498,
Louis XII a même eu le courage de nier qu'elle ait jamais pris part à son
élargissement. Il « dit qu'il a esté délivré du propre mouvement du
Boy, son frère, et non d'autres, et ainsi lug a tousjours déclaré le feu Roy[53]. » Elisabeth Fricon tenta un
rapprochement entre les époux : elle vint trouver le duc et, tout en causant,
elle insinuait que Madame Jeanne était si bonne que ses prières, bien
certainement, avaient préservé le duc du mal ; mais Louis branlait la tête, et
cette sorte de remontrance indirecte ne paraissait pas fort de son goût[54]. Cependant
il se conduisit d'une manière convenable. Plusieurs fois, vers cette époque,
on le vit se montrer avec sa femme à Tours, à Amboise, à Blois, à la
Madeleine près d'Orléans[55], en d'autres lieux encore. Un
jour le duc, s'étant rendu de Paris à Etampes, pria même, par un message,
Madame Jeanne, alors à Châteauneuf-sur-Loire-, de venir le trouver. La bonne
Jeanne accourut : elle fut bien reçue, et resta plusieurs jours. Quelque
temps après, Jeanne de France fit à Orléans son entrée solennelle comme
duchesse. Louis n'y parut pas, mais il contribua à cette cérémonie par un
envoi de 500 livres tournois. Autour de la duchesse se tenaient les
principaux seigneurs de la maison : vêtue d'une tunique de drap d'or, Jeanne
de France s'avançait dans une litière également tendue de drap d'or ; en
avant marchait le chancelier du duc ; quatre chambellans, jouant le rôle de
quatre barons, tenaient les quatre coins du drap d'or ; quatre citoyens
d'Orléans, et des plus notables, portaient un dais sur la tête de la
duchesse. Jeanne reçut tous les honneurs dus à son rang, tant de la part des
gens d'église et du clergé que des citoyens et bonnes gens de la ville : ils
lui firent fête comme à leur maîtresse, et lui offrirent 2.000 livres de
vaisselle d'argent. Ainsi Louis d'Orléans, averti par l'expérience, s'était
résigné.... Madame Jeanne alla le retrouver, et ils continuèrent à habiter
ensemble en divers endroits jusqu'au départ du duc pour Asti[56]. Mais,
hélas 1 quelle différence entre Madame Jeanne de France et Madame Anne de
Bretagne, telle que celle-ci apparaît maintenant aux yeux de la France
entière, dans l'éclat de la jeunesse ! D'un caractère altier et même très
vindicatif, qui devait rendre impossible à Madame de Bourbon le séjour de la
cour, Anne tenait grande place : elle aimait le faste et le luxe ; quand on
parcourt les inventaires de son mobilier, on est émerveillé des richesses
qu'il renfermait : étoffes de soie et d'or, vaisselles d'or et d'argent,
diamants, bijoux de toute espèce, meubles d'un art exquis que les plus
habiles ouvriers de France ou d'Italie étaient sans cesse occupés soit à
faire, soit à réparer. Quoique
de taille moyenne, sa tournure élégante lui donnait beaucoup de noblesse et
de distinction ; sa démarche était vive, fière, presque impérieuse, comme
pour dissimuler une légère faiblesse d'une jambe. Son teint, d'une blancheur
admirable, s'animait des plus brillantes couleurs ; un front élevé donnait à
son regard beaucoup de majesté, et la sévérité de ses manières tempérait
l'éclat de ses yeux grands et vifs ; elle avait le tour du visage un peu
fort, le nez court, mais bien pris, la bouche un peu grande, mais fraîche et
rosée[57]. C'était, dans toute
l'acception du mot, une princesse : tout en elle respirait l'ampleur et la
grandeur, et cependant on oubliait son duché quand on voyait ses yeux. Louis
d'Orléans, quel que pût être le parallèle intime de son cœur, prit galamment
et grandement son parti[58] ; au moment du mariage du roi,
il tint table ouverte à Tours et au Plessis-lès-Tours pendant tout le mois de
décembre. Nous possédons encore les menus de ces festins dignes de figurer
dans les annales de l'art culinaire, car l'on y mangeait bien. Les commensaux
les plus habituels du duc étaient ses anciens amis : MM. d'Angoulême,
d'Alençon, de Foix, de Lautrec, de Clérieux, de Vendôme, et des gentilshommes
de l'Hôtel du Roi. Ainsi, le 1er décembre, MM. d'Avaugour, de Roussy, de
Lautrec dînaient : on n'acheta pas moins de dix-sept moutons, vingt-sept
livres de lard, vingt-huit chapons, quatre connins (lapins), trois perdrix, quatre
bécasses, dix pluviers, un faisan, deux sarcelles, deux oies, deux eschinées
de porc, deux douzaines de merles, un quart d'œufs et six livres de graisse,
car on faisait la cuisine à la graisse dans la maison d'Orléans. Toute cette
viande coûte seulement vingt-trois livres, un sou, huit deniers. La
panneterie comprend soixante-huit douzaines de pain à deux sous la douzaine,
soit six livres seize sous ; les menues nartz, verdures, navets, pâtés
de coing, pâtés de service sont de trente-neuf sous huit deniers. La
fruiterie et la cirerie s'élèvent à soixante-treize sous, mais on y comprend
six livres de cire pour un cierge offert au grand saint Eloi, qui a coûté, à
lui seul, trente-six sous. Ajoutez le vin : on a bu trois poinçons de vin,
dont un de vin cléret de table, un de vin blanc et un de vin cléret en perce
; on a bu encore une pippe de vin cléret commun et entonné deux autres
pipes, en tout vingt-huit livres dix sous. A l'écurie nous trouvons
quarante-quatre chevaux, pour la nourriture desquels on a traité à forfait
avec les maîtres des hôtels de l'Écu de France et de Saint-Pierre,
à raison de trois sous, quatre deniers par jour, pour chaque cheval. Il y a
encore la fourrière, c'est-à-dire les dépenses de bois, de paille et
autres, l'entretien des lévriers ; de plus, une somme de dix sous donnée aux
pauvres par l'aumônier. En résumé, cette journée revient à quatre-vingt-une
livres, quatre sous, deux deniers[59]. El je ne compte pas les dons
aux ménestrels, aux moines qui mendient, ni aux joueurs de guitare[60]. Le
lendemain, vendredi, c'est un jour maigre qui coûte nécessairement plus cher,
cent-sept livres. Au lieu de trois pâtés de coing, on en mange sept gros qui
ne reviennent pas à moins de trente-cinq sous. On achète de menues épices, pouldre
blanche, poinvre, girofle, sucre. Quant au
dénombrement des poissons, il serait difficile à faire : il y a là quantité
de carpes, de brochets, de lamproions, de merlues, un grand
brochet et quatre moyens, deux grandes carpes et trente-huit belles carpes de
service, huit soles, quinze pluyes, un saumon, quatre raies, treize rougets,
deux dorades, etc., etc. Le
samedi on fait toujours maigre, et la dépense atteint cent-quatorze livres ;
il est vrai qu'une charge de poisson venant de Rennes s'est gâtée et n'a pu
être servie. Le lundi on mangea, entre autres choses, quatre cochons. Par ces
fastes culinaires, on peut voir que Louis d'Orléans paraissait ne pas
regretter le beau duché de Bretagne. Le vendredi 23 décembre, il revint avec
la cour au Plessis pour passer les fêtes de Noël. Tout cela était fort gai 3,
el le 31 décembre on repartit pour Amboise où le duc arriva souper, et reçut
le soir même MM. d'Angoulême, de Foix, de Nevers, le maréchal de Bourgogne et
divers gentilshommes[61]. Tout le
monde était d'accord pour noyer dans une vie nouvelle l'oubli du passé, et ce
ne fut pas l'un des moins curieux spectacles du temps que de voir, le 5
juillet 1492, la reine Anne de Bretagne, Louis d'Orléans, Pierre et Aune de
Bourbon signer ensemble une ligue pour la défense du roi Charles VIII[62]. Peu de
temps après il y eut une grande joie dans la famille royale. La reine, au
bout de onze mois de mariage, donna le jour à un fils dont on célébra le
baptême avec pompe, le 13 octobre 1492. Les
ducs de Bourbon et d'Orléans, ses pareins, y furent, tout vêtus de
drap d'or, ainsi que la reine de Sicile, Jeanne de Laval, veuve de René
d'Anjou, qui était sa marraine. Le duc de Nemours portait le cierge, le comte
de Foix la salière d'or, le duc de Vendôme l'aiguière, l'infant d'Espagne,
oncle de l'accouchée, le bassin et la serviette. Le prince d'Orange, nu-tête,
vêtu d'une longue robe de drap d'or, portait le nouveau-né. Madame l'Amirale
de Bourbon[63] tenait le Saint-Chrême dans un
vase orné de pierreries de la plus grande valeur. Les duchesses de Bourbon et
d'Orléans marchaient derrière la reine de Sicile : elles étaient suivies des
seigneurs et des dames de la cour. Les archers de la garde et les officiers
de la maison, au nombre de cinq cents, portaient des torches. Tel fut le
pompeux cortège qui vint trouver le roi dans la chapelle du château où
attendait aussi un saint homme chargé de verser les eaux du baptême sur la
tête de l'enfant : c'était ce simple religieux de l'Observance que Louis XI
avait fait venir de la Calabre, et qui fut canonisé sous le nom de François
de Paule. Le jeune prince reçut le nom de Charles-Orland. Ce fils premier-né,
dont le père comptait à peine vingt-et-un ans révolus, dont la mère n'avait
pas encore seize ans, devint avec raison l'objet des soins les plus assidus.
Placé sous l'invocation de la Vierge, il était toujours vêtu de blanc et
couvert de drap d'argent[64]. Mais
bientôt la nature reprit le dessus ; tous les jeunes seigneurs de la cour, et
à leur tête Louis d'Orléans, que la cour ne suffisait pas à distraire, se
reprirent à rêver aventures, chevaleries, combats, conquêtes ; jeter l'argent
à pleines mains, mener la vie sans souci et la vie la plus légère, joûter,
s'amuser, ce n'était pas assez : il fallait des émotions, de l'imprévu, du
danger pour cette noblesse débordante de vaillance ; si les sérieux
personnages, comme l'amiral de Graville, faisaient entendre quelques conseils
de modération, ils étaient perdus[65], c'était des fâcheux, odieux à
tous : l'idée de l'Italie s'emparait des têtes, on voyait en songe les belles
dames de là-bas, ces beaux pays de Naples dont on disait tant de bien et où
il fait si bon vivre ! On considérait, pendues dans l'armurerie du château
d'Amboise, la hache de Clovis, l'épée de Dagobert, la dague de Charlemagne,
les deux haches de saint Louis, les épées du roi Jean et de Charles VII[66], toutes ces vieilles armes
rouillées, et l'on brûlait d'ajouter une page à l'histoire de tant
d'illustres preux, de traverser les mers comme eux, de faire trembler le
monde. Louis surtout avait tourné vers ces projets toute sa passion et il
cherchait à l'inspirer au jeune roi. On était à Lyon. Tous les jours il
organisait de nouvelles parties de joutes, de tournois, de combats à la
barrière ; à chaque coin de rue il y avait « des perrons et des eschafaux
pour combattre. On ne voyoit que cavaliers habillez à la grecque, à la
romaine, à la moresque, à la turque, avec de belles devises. Les poètes ne
chantoient que la guerre, les dames ne parloient d'autres choses. Ainsy, par
ces ressemblances de combats, par les magnificences, par les fanfares des
trompettes, par les chants des poètes et par les enchantements des dames, il
esleva le cœur de ce jeune Roy à de hautes entreprises, et l'enflamma
tellement du désir de la gloire qu'il ne pou-voit dormir jusqu'à tant que le
voyage d'Italie fust résolu[67]. » On
s'amusait de tout point et peu à peu aussi le duc débauchait le roi. On ne
comptait guère : le duc avait mis neuf mille livres dans ses coffres en
partant[68], et ses dépenses d'avril à juin
1494 s'élèvent à plus de trente-et-un mille livres. Cependant il restait en
relations avec sa femme. De Lyon il dépêche son chevaucheur Philippot Le Jan
porter des lettres pour elle et pour son trésorier[69]. Louis
devance le roi en Italie et part pour son comté d'Asti après avoir fait
revenir de Nantes ses bagages qui y étaient restés jusqu'à ce moment ; mais
là, épuisé, il tombe malade, et cette maladie est si grave que Salomon de
Bombelles croit devoir envoyer chercher au loin deux célèbres médecins
italiens. On dépêche en toute hâte un message à Jehan Bourgeois, le second
médecin du duc, qu'on avait laissé à Amboise. Le courrier ne le trouvant pas
au château, pousse à Blois, et de là, au milieu de la nuit, il court jusqu'à
Vendôme où enfin il rencontre Bourgeois et lui remet l'ordre de partir à
l'instant pour l'Italie. Un certain Jehan d'Albe, médecin du pays d'Albe,
reçut aussi vingt écus soleil pour avoir gouverné et pansé le duc pendant
vingt-et-un jours. Les médecins restèrent plus de trois semaines à son
chevet. Pendant
ce temps un autre médecin, maître Gabriel Bugue, gouvernoit et pansoit
plusieurs officiers du duc également malades[70]. D'Asti,
Louis écrivit à Jeanne diverses lettres fort convenables. Il les adressait : « A
Madame m'amye, » parlait à Madame Jeanne de ses affaires, de ses besoins
et lui demandait de prier Dieu pour lui ; il lui écrivait enfin comme on peut
le faire à sa femme et signait : « Vostre amy[71]. » Nous
n'avons pas à raconter ici la guerre d'Italie, succession de fortunes rapides
et diverses. On sait que les dames Italiennes accueillirent fort bien les
Français, et que cet accueil fut une des causes du soulèvement du pays contre
l'armée d'invasion. Une lettre particulière nous peint une duchesse italienne
venant saluer le roi, dans un équipage qui amusait beaucoup les gentilshommes
français : « Elle
estoit sur un coursier accoustré de drap d'or et de velours cramoisy, et elle
[avoit] une robbe de drap d'or verd et une chemise de lin ouvrée par dessus,
et estoit habillée de la teste grande force de perles et les cheveux
tortillez et abbatus avec un ruban de soye pendant derrière, et un chapeau de
soye cramoisy fait ny plus ny moins comme les nostres, avec cinq ou six
plumes grises et rouges audit chapeau, et avoit, cela sur la teste ; et
estoit sur ce coursier en façon qu'elle estoit toute droite, ny plus ny moins
que seroit un homme ; et estoit avec elle la femme du seigneur Galleas
etplusieurs autres, jusques au nombre de vingt-deux, toutes sur haquenées
belles et gorgiaises, et six chariots couverts de draps d'or et de velours
verd et tons pleins de dames. « Et
vouloient venir devers le roy en son logis, ce qu'il ne voulut pas ; mais
leur voulut estre gracieux et aller au sien, ce qu'il ne fit point pour ce
jour-là, pour ce que se sentit un peu malade ; et le lendemain après disner,
le dit seigneur les alla voir, là où elle estoit merveilleusement gorgiaise à
la mode du pays, laquelle estoit une robbe de satin verd, dont le corps
estoit chargé de diamans, de perles et de rubis, et autant derrière que
devant, et les manches fort bien estroites, toutes descoupées en telle façon
que la chemise paroissoit. Estoient ces coupes toutes attachées avec un grand
ruban de soye grise pendant presque jusques en terre, et avoit la gorge toute
nuê, et à l'entour tout plein de perles bien fort grosses avec un rubi qui
n'est guères moins grau que vostre grau valloy, et de la teste estoit
habillée tout ny plus ny moins que le jour d'auparavant, réservé qu'au lieu
de chapeau elle avoit un bonnet de velours avec des plumes d'égrette, là où
il y avoit une bague de deux rubis, un diamant et une perle en façon de
poire... « Incontinent
que le Roy l'eut veuë, s'en partit pour s'en retourner, réservé qu'il
l'entretint un peu devant, et la fit danser à la mode de France avec
plusieurs de ses femmes ; et vous asseure, Madame, qu'elle dansoit bien à la
mode de France, veu qu'elle disoit qu'elle n'y avoit jamais dansé[72]... » Les
joies et les déboires de la guerre d'Italie produisirent sur Louis d'Orléans
et sur Charles VIII des effets très différents. La mort du dauphin et le
poids des évènements avaient un peu mûri le roi ; d'un autre côté, sa santé
n'était pas bien forte, et l'on se demandait même s'il vivrait longtemps. Il
entrait maintenant dans une voie de sagesse ; il s'entretenait volontiers de
choses sérieuses, manifestait le désir de rendre lui-même la justice aux
peuples et de remplir personnellement les devoirs de la royauté et il ordonna
de rechercher la forme que tenoient les rois pour donner audiance
au pauvre peuple et mesme comme Monsieur Saint Loys y procédoit[73]. Quant
au duc d'Orléans, il rapportait de son expédition des dispositions infiniment
moins sages ; aussi à mesure que le roi marquait plus de gravité dans ses
mœurs, les relations des deux beaux-frères prenaient moins de cordialité. Ce
n'était plus la bonne amitié des premiers jours. On accusait le duc d'avoir
montré à la mort du dauphin une joie indécente, ou tout au moins de n'avoir
pas eu le tact de garder en cette circonstance quelque réserve, et la
conduite de Louis avait plus encore blessé Madame Anne de Bretagne que le roi[74]. A son retour, Louis fut
d'abord retrouver sa femme ; on les vit ensemble à Blois, à Amboise, à Montilz-les-Blois
; rien, dans leurs rapports ostensibles, ne semblait changé, mais on pouvait
pressentir que ce beau feu ne durerait pas. Le duc se rendit à Orléans, puis
il revint à Blois où se trouvaient le roi et Madame Jeanne ; peu après, le
roi donna à Amboise un grand dîner où se réunirent le duc et la duchesse de
Bourbon, le duc et la duchesse d'Orléans, et dans cette circonstance encore
Monsieur et Madame d'Orléans demeurèrent quelques jours au château. Cette
apparente union n'empêchait pas les désaccords intimes de s'accentuer.
Charles VIII s'en montrait peiné et, avec son excellent cœur, il ne perdait
pas une occasion de chercher à rapprocher Louis de Jeanne ; Louis nous
raconte ainsi lui-même les instances de son beau-frère : « Et depuis
son retour, il fut veoir ladite défenderesse la plus part des foiz susdites,
es lieux dessus dits où elle estoit, à l'instance et instigacion dudit feu
Boy, son frère, qui luy disoit telles parolles ou semblables : « Non frère,
allez veoir ma sœur, » qui estoit assez commander. A quoy n'osoit désobéir,
attendu le mal traicteinent qu'on luy avoit faict le temps passé, au
commancement du règne dudit feu Boy Charles, frère d'icelle de ifenderesse,
et incontinent après le décès dudit feu Boy Loys, et la longue détention de
prison ou il avoit esté ; doublant pour 'advenir souffrir autant et encourir
l'indignation dudit Boy ; considéré mesmement que plusieurs, estant à l'entour
dudit seigneur, donnoient à entendre audit Sr Boy et lui faisoient plusieurs
sinistres rappors, pour tous-jours mettre en soubson et défiance il qui parle
envers le Roy, et tellement que, à la fin des jours dudit feu Roy, et oudit
temps qu'il arriva audit lieu des Montilz-soubz-Blois. mentionné oudit
article, il estoit en vole d'estre contrainct vuyder et soy absenter du
Royaume à l'occasion de la défiance que ledit feu Roy avoit prias sur luy à
tort et sans cause, au moyen desdits rappors[75]. » Si ces rapports peignaient
Louis d'Orléans comme revenu à la vie la plus débauchée, ils disaient la
vérité. Nous en trouvons la preuve dans ses comptes de 1496[76]. Du reste, Louis d'Orléans
faisait à Jeanne de France une situation véritablement pénible de tout point
; non seulement c'était un mauvais mari, mais il ne la traitait même pas en
duchesse ; il ne lui avait pas remis les bijoux de sa mère[77] ; il laissait clairement
comprendre que ses relations avec elle étaient de pures relations de
convenance et de nécessité[78] ; seulement, on se montrait
plus prudent qu'autrefois ; il y avait là des officiers de Madame Jeanne, on
se bornait à chuchoter[79]. Mais qu'importe ? une
situation aussi aiguë se trahit toujours. C'était entre le roi et le duc une
cause permanente de mésintelligence et n'estoit guères an qu'il n'eust
quelque hurt[80]. Aux approches des grandes
fêtes de l'Église, Charles VIII s'adressait aux confidents de son beau-frère,
à Georges d'Amboise, à Jean Bourgeois ; il essayait par leur intermédiaire de
lui inspirer des sentiments plus chrétiens. Le lundi de Pâques 1497, Jean
Bourgeois demanda au duc s'il ne voulait pas faire dire quelque chose à
Madame Jeanne ou venir la voir : « Que ferais-je, répondit Louis au
docteur, vous le savez bien. » A Noël de la même année, le roi, qui se
trouvait à Amboise, dit à J. Bourgeois qu'il devrait induire le duc à aller
voir Madame Jeanne, car on pouvait bien imaginer que Madame ne devait pas
être contente de se trouver si délaissée[81]. Le roi
s'adressait à Bourgeois pour ces confidences, parce que celui-ci ne quittait
plus le duc qui avait constamment besoin de ses soins. Cette année-là même,
dans un voyage à travers le Bourbonnais, le docteur avait un peu devancé le
cortège du prince ; à Varennes on vint le chercher en toute hâte pour le
ramener à la Palisse où une crise arrêtait son auguste client[82]. Quel
singulier milieu que cette cour de Louis d'Orléans ! on s'y livrait au vice
le plus grossier, sans aucune pudeur[83], et, de temps en temps, aux
approches des fêtes de l'Église, on éprouvait comme un mouvement de remords
ou d'arrêt. De la même plume qui consacre de honteuses libéralités, le duc
signe un bon de 10 livres à un de ses hommes, nommé Le Bannoys, « pour
soy en aller à son plaisir par le pays pour chercher lieu de dévotion à soy
retirer et demeu rer à servir Dieu. » Le duc fit deux voyages à Moulins, où
résidait Mm' de Bourbon, le 31 août 1497 et en février 1498 ; cette dernière
fois, il y trouva le roi et l'accompagna au retour jusqu'à Bourges. Les deux
princes s'étaient un jour arrêtés en compagnie du sire de Polignac dans la
maison d'un certain Claude Legroin, et le roi Charles lisait dévotement un
livre de confession ; en arrivant à l'article du péché de luxure, il
s'interrompit, appela le duc et lui dit : « Mon frère, ce livre parle bien
à vous. » Le duc répartit en termes assez amers et même assez grossiers
qu'il n'en serait pas ainsi s'il avait une autre femme. Le roi laissa
échapper un geste qui marquait son courroux ; il devint tout rouge et baissa
la tête[84]. Louis
d'Orléans vivait maintenant tout à fait loin de sa femme ; il passa l'année
1497 en déplacements et ses rapports avec le roi devenaient, comme on le
voit, des plus tendus. Le bon Charles VIII exhortait encore Georges d'Amboise
à conseiller au prince de voir, de bien traiter Madame Jeanne, de la recevoir
; Georges essaya d'en glisser quelques mots au due, mais le duc l'interrompit
en jurant, en disant de laisser là cette matière, qu'il ne voulait plus en entendre
parler. Une autre fois, le duc se trouvant à Orléans, Madame Jeanne y survint
: vaincu par les prières et les ordres du roi, le duc consentit à aller la
voir, mais sans chercher à dissimuler sa tristesse. Le roi, dans une autre
circonstance, fit prier Louis de venir le trouver aux Montilz, on était
Madame Jeanne, et chargea G. d'Amboise de le mander : le duc répondit qu'il
n'irait pas tant que Madame Jeanne s'y trouverait. D'Amboise ne put en tirer
d'autre réponse et fut obligé de rapporter celle-là au roi. Charles renferma
dans son cœur ce qu'elle avait de profondément blessant et dit avec douceur à
Georges d'Amboise que Louis pouvait venir, que Madame Jeanne allait partir :
et, en effet, à l'arrivée de son mari, Jeanne quitta le château paternel[85]. Au mois de décembre, Louis
disait au sire de Vatan qu'il voudrait avoir perdu 40.000 livres de rente (dont il avait
pourtant bien besoin)
et que Madame Jeanne fût morte[86]. Dans un voyage à Paris il eut
le courage de parler encore de sa femme dans les plus mauvais termes[87]. A
Rouen, dont le duc était gouverneur, voyant un jour passer dans la rue une
toute jeune fille, d'infime extraction et tout à fait de la plèbe, mais gaie,
accorte et de jolie taille, il se retournait vers Guillaume Doulcet, un des
contrôleurs de sa maison, en s'écriant qu'il voudrait bien que sa femme fût
morte afin d'épouser cette petite fille[88], On
comprend qu'une telle situation ne pouvait pas durer[89] : d'un autre côté, on
recommençait à accuser le duc d'Orléans de se livrer, dans le gouvernement de
Normandie, à de nouvelles menées contre l'autorité du roi, avec la complicité
de son compère Georges d'Amboise, maintenant archevêque de Rouen : ces rumeurs
prirent un tel caractère de consistance que le roi crut devoir mander à la
cour les baillis de Normandie pour en obtenir des éclaircissements ; le duc
et Georges d'Amboise jugèrent prudent de se rendre eux-mêmes à Blois pour
essayer de se justifier dans l'esprit du roi[90]. La situation était donc aiguë
et tout le monde sentait qu'une nouvelle crise se préparait. Les serviteurs
du duc savaient qu'il se tramait contre lui quelque chose de sinistre[91]. Les gens bien informés
parlaient d'un exil imminent et disaient qu'on lui vouloit osier de ses
archers et de ses gens, et l'envoyer ailleurs, et monseigneur de Rouen à Romme[92]. Dans
ces conditions, le duc, aux approches de Pâques, se rendit près de sa femme,
au château de 1llontilz les Blois ; il y passa la semaine de la Passion. Tout
à coup se répand une étrange rumeur. Le roi est mourant, le roi vient de
mourir ! Le 7 avril, Charles VIII était dans une galerie du château
d'Amboise, en train de regarder jouer à la paume et devisait avec tout le
monde ; son confesseur se trouvait près de lui et cet excellent prince lui
disait : « J'espère n'offenser jamais Dieu mortellement, ni véniellement,
moyennant sa sainte grâce, » quand tout à coup il cheut à la
renverse, atteint d'un catarrhe qui lui tomba dans la gorge. Il était
deux heures de l'après-midi. On se précipita, physiciens et médecins
accoururent, mais rien n'y fit. Jusqu'à onze heures du soir, ce bon roi, si
brave sur les champs de bataille, agonisa sur une mauvaise paillasse disposée
à la hâte dans l'endroit le plus misérable du château, et il rendit à Dieu
son âme en murmurant une prière[93]. Peu de
rois ont inspiré à leur entourage autant d'affection que Charles VIII et ont
vu leur cercueil accompagné de tant de larmes. Tous les serviteurs du roi
étaient demi-morts d'un si affreux malheur ; plusieurs moururent de
douleur[94]. Depuis qu'il y avait des rois
en France, jamais on n'avait vu meilleure nature, prince plus doux, plus
gracieux, plus clément, plus accessible à la pitié ; « je croy, dit un
chroniqueur, que Dieu l'a retiré avecques les bienheureux, car le bon prince
n'esioit taché d'ung seul tout villain vice[95]. » La cour entière se trouva
terrifiée d'un tel évènement auquel la soudaineté ajoutait encore un
caractère plus dramatique. Les médecins attribuèrent la mort du roi à un coup
violent qu'il venait de se donner à la tête en courant vers le jeu de paume,
mais bien des gens croyaient y voir l'œuvre du poison, et l'on racontait même
qu'une orange avait servi à le transmettre[96]. Ces
diverses nouvelles, successivement apportées à Montilz-les-Blois, remplirent
de stupeur d'abord, puis d'hésitation et d'indécision les habitants du
château. Louis d'Orléans n'avait guère à la cour que des ennemis, ou du moins
des adversaires ; bien des gens devaient hésiter à se rallier à lui, on
prétendait que la maison d'Orléans était, en sa personne, déchue de ses
droits, on tournait les yeux vers la maison de Bourbon, attendu qu'en réalité
M. et Mme de Bourbon avaient bien sagement gouverné le royaume pendant près
de dix années. Louis n'osa pas se rendre à Amboise et passa toute la nuit en
perplexités : il apprit ainsi que le gros de la cour, après la mort du roi,
s'était rendu à Blois plus près du nouvel astre, et vers le matin l'arrivée
au château du sire du Bouchage, cet homme circonspect et prévoyant, serviteur
accompli de la royauté et qui, dans une autre circonstance écrivait à sa
femme : « Sitôt que le feu roi sera enterré, je m'en irai devers le roi, »
fit comprendre à Louis XII toute sa force et le décida à partir pour Amboise.
Il y fut reçu en grand honneur : le spectacle de la douleur qu'éprouvaient
tous les fidèles serviteurs du feu prince le gagna et, lorsqu'il se trouva en
présence du corps inanimé d'un roi hier encore si jeune et si vaillant, il ne
put s'empêcher de pleurer chauldement[97] en lui jetant de l'eau bénite-
et en recommandant son âme à Dieu. Puis il alla revêtir des habits de deuil
et visiter la reine Anne dont le désespoir faisait grand'pitié. Charles VIII
avait eu le premier amour d'Anne de Bretagne ; il eut le seul. Plongée dans
un violent désespoir, Anne, depuis vingt-quatre heures, n'avait pris aucune
nourriture ; elle voulait, disait-elle, suivre son mari ; tandis que les
reines veuves, en tout temps, s'étaient habillées de blanc, elle prit des
vêtements noirs, la seule couleur qui ne se puisse déteindre, et la mode dès
lors en est demeurée. Anne éclata en sanglots à la vue de Louis, qu'elle
était menacée d'épouser ; car dans son contrat de mariage il avait été
stipulé qu'en cas de mort du roi elle devrait épouser son successeur, si
faire se pouvait, afin d'éviter de grands maux et de nouvelles guerres au
royaume. Louis se borna à lui adresser quelques paroles de condoléance et il
envoya, pour consoler cette grande douleur, le cardinal Briçonnet, évêque de
Saint-Malo, très dévoué lui-même au feu roi et inconsolable de sa perte,
ainsi qu'un autre prélat pieux, fort sage et savant, Jean de la Mare, évêque
de Condom, lesquels trouvèrent la reine gisant par terre dans un coin de sa
chambre et tout en larmes ; ils lui adressèrent de beaux discours de
résignation et de religion, mais, sans réussir à la consoler, ils
partageaient son émotion. Pendant ce temps-là, le nouveau roi était allé à
Blois rejoindre la cour ; il s'empressa de prendre les mesures les plus
urgentes : il donna des ordres pour que les obsèques du roi Charles fussent
célébrées avec une extrême magnificence ; il écrivit son joyeux avènement aux
bonnes villes du royaume et à celles de Bretagne, et par son ordre le sire du
Bouchage, déjà devenu son plus actif confident, avisait le gouverneur du
Mont-Saint-Michel de se tenir bien en garde contre toute menée dirigée vers
la Bretagne et de ne laisser entrer aucune force militaire dans la citadelle
confiée à ses soins[98]. M. et Mme
de Bourbon, qui se trouvaient à Moulins, apprirent en même temps la maladie
du roi Charles et l'avènement de Louis XII. Leur sagesse ne se démentit pas
en ces cruelles circonstances ; ils se gardèrent bien de prêter l'oreille aux
suggestions perfides qui ne manquaient pas autour d'eux ; mais ils
attendirent quelques jours pour adresser leurs compliments au nouveau roi,
qui se hâta d'y répondre très gracieusement en les invitant à venir le voir.
Le duc et la duchesse vinrent, en effet, passer à Blois quelques instants et
cette démarche entraîna les hésitants[99]. Louis
XII, de son côté, s'appliquait, dès les premiers jours, à rallier tous les
dévouements par son tact, par sa modération, par l'oubli du passé et la
reconnaissance des services rendus à la royauté. Dans ce duc d'Orléans, si
prodigue et si fou, subitement on voyait apparaître un autre homme, un roi
économe, bon, laborieux, plein de grandeur d'âme et possédé de la seule
ambition de mériter le nom de père de son peuple. Spontanément il manda le
vaillant capitaine, entre les mains duquel il avait dû remettre son épée à
Saint-Aubin, Louis de La Trémoille, qui, malgré sa proche parenté avec
Georges d'Amboise, regrettait d'autant plus amèrement le roi Charles que la
reine n'avait jamais pu lui pardonner d'avoir battu les Bretons ; le roi le
confirma dans tous ses offices, le priant de se montrer aussi loyal soldat
pour lui que pour son prédécesseur[100]. Le roi faisant ainsi preuve de
magnanimité, on ne tarda pas à voir arriver des députations qui venaient, au
nom des bonnes villes, saluer le nouveau règne. Les bourgeois d'Orléans
envoyèrent aussi des représentants à leur ancien duc pour exprimer un bien
grand regret de l'avoir jadis si fort offensé. Louis XII répondit que le roi
ne vengeait jamais les querelles du duc d'Orléans. Le 18
avril, le convoi de Charles VIII partit d'Amboise en grande pompe[101] ; il arriva le 28 à Notre-Dame-des-Champs,
près Paris, et le lendemain il traversa la ville pour se rendre à Saint-Denis
au milieu des flots de la population. Très
peu de temps après, le 12 mai 1498, le roi prit une mesure qui montra, mieux
qu'aucune autre, la bonté de son âme et son vif désir d'effacer les dernières
traces d'un passé regrettable, plus peut-être qu'elle ne témoigne de la
profondeur de sa politique. En mariant sa fille Anne avec le sire de Beaujeu,
Louis XI avait eu bien soin de stipuler que, dans le cas où les biens de la
maison de Bourbon reviendraient à son gendre et où celui-ci n'aurait pas
d'héritier mâle, ces biens feraient retour à la couronne après la mort de M.
et Mme de Beaujeu. L'évènement avait donné raison à toutes les prévisions du
feu roi. M. et Mme de Bourbon, maintenant en possession de leur beau duché,
n'avaient qu'une fille, Suzanne, qu'ils désiraient marier à son cousin, le comte
de Montpensier. Louis XII, en reconnaissance des bons procédés de M. et Mme
de Bourbon dès sou avènement, autorisa ce mariage et renonça expressément aux
réserves stipulées par Louis XI en faveur de la couronne. C'était bien encore
un témoignage public et éclatant de ses larges dispositions à l'oubli du
passé. Le roi rompait avec les traditions de Louis XI. On se
mit sans tarder à, entreprendre le grand travail de réforme judiciaire dont
le roi Louis XI avait senti la nécessité et qu'il était réservé au règne de
Louis XII d'accomplir ; ainsi les plus vastes et les plus hautes
préoccupations hantaient l'esprit vigoureux de Georges d'Amboise. Une main
ferme et sage prenait la direction des affaires de la France et gouvernait
droit au but. Seule,
Mme Jeanne de France ne trouvait pas grâce aux yeux du roi. Restée aux
Montils, elle apprit par la rumeur publique que le roi allait se faire
couronner à Reims. Elle put aussi apprendre, par la même voie, tout ce qui se
tramait contre elle, car rien n'était moins caché : du moment où le roi
affectait ouvertement de ne point la considérer comme reine de France,
personne ne croyait même qu'elle résistât à une demande de divorce ; chacun
pouvait traiter à son gré des évènements futurs, du sort que l'on ferait à
Madame Jeanne, du nouveau mariage du roi. Dans son isolement elle se rappela
sans doute les prophétiques paroles do Charles VIII, le jour où elle était si
heureuse d'obtenir la grâce de son mari. Ce jour-là c'était presque hier, et
entre les deux époques, quelque voisine qu'en fût la date, quelle différence
! Quelle situation et quelle situation ! Alors, un mari d'une ambition
effrénée, une sorte de fou dont chacun condamnait la témérité ; aujourd'hui,
le roi de France, mûri par l'expérience, en possession de la suprême
autorité, appliqué, par des mesures équitables, douces, à inspirer la
confiance à tous ! et la possession de la Bretagne par le mariage de Louis
Xll devenue d'une si incontestable utilité, que les plus vifs adversaires du
prince allaient maintenant se faire, dans sa nouvelle entreprise, ses plus
chauds approbateurs ! Ainsi
la fortune capricieuse semblait se complaire à remplir tous les vœux du roi :
Louis voulait en user. Mais pourtant, cette question du divorce, au moment de
l'aborder, lui causait quelque souci et un certain embarras. C'était
réveiller de suite les souvenirs du règne de Charles VIII, encore vifs dans
le cœur des Français. Il hésitait beaucoup à le faire et ses conseillers
eux-mêmes se montraient très partagés[102], Il aurait bien voulu du moins
éviter tout bruit, et surtout des débats malheureux qui pouvaient raviver la
mémoire de bien des choses regrettables dont il valait mieux ne plus parler.
Il essaya auprès de Jeanne de France une démarche amiable, et il avait sous
la main, pour cela, un ambassadeur excellent : c'était ce Louis de La
Trémoille, dont la gloire faisait pâlir d'envie de preux chevaliers ; Louis
devait brûler de reconnaître par quelque acte de dévouement la générosité du
prince, et d'un autre côté nul pour une pareille mission ne pouvait être
moins suspect que l'ancien compagnon de Jeanne, l'ancien fidèle de Charles
VIII, qui était un soldat au cœur droit et à la parole sans détours. Laissons
le panégyriste de La Trémoille, Jean Bouchet, nous raconter lui-même la
délicate mission qu'accomplit le Chevalier sans reproches : « Le
roi, après son sacre et couronnement, se déclaira audict seigneur de La
Trémoille, pour en avoir son conseil, et aussi en porter la parolle à ladicle
dame. Ledict seigneur feit response au roy que, s'il estoit ainsi que jamais
n'eust donné consentement à ce simullé et contrainct mariage, que
facillement, selon son jugement, pourroit estre solu, actendu qu'il n'avoit
icelluy consommé toutes foiz que le mieulx seroit sur ce assembler gens
lectrez, ayans le savoir et l'expérience de telles matières, et que cependant
sentiroit le vouloir de ladicte dame, ce qu'il feit ; car, par le
commandement du Roy, ung jour alla vers elle et luy dist : « Madame,
le Roy se recommande très fort à vous, et m'a chargé vous dire que la dame de
ce monde qu'il ame plus est vous, sa proche parente, pour les grâces et
vertuz qui en vous resplendent, et est fort desplaisant et courroussé que voz
n'estes dispousée avoir lignée, car il se sentiroit curieux de finer ses
jours en si saincte compaignée que la vostre. Mais vous sçavez que le sang
royal de France se commance à perdre et diminuer et que feu vostre frère le
roy Charles est décédé sans enfans, et si ainsi advient du Roy qui à présent
est, le royaume changera de lignée et par succession pourra tumber en main
extrange. Pour laquelle considération luy a esté conseillé prendre aultre
espouse, si vous plaist y donner consentement, jaçoit ce que de droict n'y
ayt vray mariage entre vous deux, parce qu'il dict n'y avoir donné aucun
consentement mais l'avoir faict par force et pour la crainte qu'il avoit que
feu monseigneur vostre père, par furieux courroux, actemptast en sa personne
; toutesfoiz il a tant d'amour à vous que mieulx ameroit mourir sans lignée
de son sang que vous desplaire. « Monseigneur
de La Trémoille, dist ladite dame, quant je penserois que mariage légitime ne
seroil entre le Boy et moy, je le prierois de toute mon affection me laisser
vivre en perpétuelle chasteté ; car la chose que plus je désire est, les
mondains honneurs contemnez et délices charnelles oubliées, vivre
spirituellement avec l'éternel Boy et redoutable Empereur, duquel, en ce
faisant, et suyvant la vie contemplative, je pourrois estre espouse et avoir
sa grâce. Et, d'aultre part, je serois joyeuse, pour l'amour que j'ay au Boy
et à la couronne de France dont je suis yssue, qu'il eust espouse à luy
semblable, pour luy rendre le vray fruict de loyal et honneste mariage, la
fin duquel est avoir lignée, le priant s'en conseiller avec les sages et ne
se marier par amour impudicque et moins par ambition et avarice. » « Le
seigneur de La Trémoille récita le dire de Madame Jehanne de France au Roy,
qui en gectant ung gros souspir, pour son tueur descharger de douleur, dist :
« Je suis en grant peine et perplécité, mon cousin, de cestuy affaire et non
sans cause. Je congnois la bonté, douceur et bégnivolence de ceste dame, sa
royalle génération, ses vertus incomparables et sa droicture ; et, d'aultre
part, je sçay que d'elle ne pourrois lignée avoir et, par ce deffault, le
royaume de France tumber en querelle et finablement en ruyne. Et combien que
je n'aye vray mariage avec elle contracté ne eu d'elle charnelle compaignée,
néantmoins, à la raison de ce que longtemps a esté tenue et réputée pour mon
espouse par la commune renommée et que, en ces jours, mes infortunes ont esté
doulcement par elle recueillies jusques à la rencontre de ma présente
félicité, me ennuye me séparer d'elle, doubtant offenser Dieu, et que les
extranges nations, ignorans la vérité du faict, en détractent. » Pour toutes
ces considérations et aultres, le Roy différa pour quelque temps à faire
déclairer nul ce mariage ; mais, pressé par les princes de France, obtinst
ung brief du pape Alexandre VI et juges déléguez pour congnoistre s'il y
avoit vray mariage ou non[103], » Jean
Bouchet a raison de s'intituler, non pas l'historien de Louis de La
Trémoille, mais son panégyriste. Dans cette circonstance, la plus
critique peut-être de la vie de son héros, et en tout cas la plus
antipathique à une nature chevaleresque, nous trouvons peut-être chez le
chroniqueur la trace de dispositions un peu trop bienveillantes. On comprend
bien que Louis XII ait hésité à demander ouvertement la rupture de son
mariage, maintenant qu'il était roi, qu'il ait même exprimé, tout haut, son
embarras, ou même des regrets courtois, mais c'est un peu exagérer que de
dire qu'il différa d'entamer la poursuite de l'affaire. Solennellement
couronné à Reims le 27 mai, par le cardinal Briçonnet, le roi part de suite
pour Paris et il y fait une entrée magnifique au milieu de l'allégresse
générale, « avec grand'joye et aplaudissement des citoyens et habitans
de ladicte ville, » le 2 juillet[104]. Or, lorsque La Trémoille tenta
près de Jeanne la démarche que lui demandait le roi, tout était déjà prêt
pour l'éventualité d'un refus. Non seulement Madame Jeanne n'avait pas reçu
la couronne, mais les bulles par lesquelles le Pape ouvre le procès sont
datées du mois de juillet même ; ainsi Louis XII n'hésitait pas, il désirait
seulement en finir le plus tôt possible et sans difficultés, car on n'était
pas bien sûr d'Anne de Bretagne. Revenue à Paris au mois de juin, la
reine-douairière affectait en tout des allures de veuve et de duchesse
indépendante ; elle se préparait à retourner à Nantes et son passage à Paris
ne paraissait avoir d'autre but que de ramasser ses joyaux et ses objets
précieux[105]. Elle réinstallait sa maison,
elle remontait ses écuries, se faisait frapper des jetons personnels de reine
veuve et de duchesse[106]. On ne pouvait donc beaucoup
tarder. Heureusement pour le roi, le pape Alexandre VI offrait ses bons
offices, mais encore fallait-il savoir à quelles conditions. La mort
de Charles VIII, en effet, avait eu, en Italie, un retentissement immense[107] et Alexandre VI Borgia, qui
occupait alors le siège de Saint-Pierre, saisit de suite le parti à tirer de
la situation nouvelle de la royauté française. Louis XII ne tarda guère à
recevoir de Rome une ambassade extraordinaire pour le féliciter de son
avènement et lui présenter des condoléances de la mort du précédent roi.
Alexandre avait, en Italie, de grands besoins[108] et de grands desseins. Surtout,
il était possédé pour César Borgia, son fils, d'une affection passionnée[109], et dans son ardent désir d'en
faire un personnage qui marquât sur la scène du monde, déjà il lui avait
conféré les plus éminents honneurs de l'Église et de l'État romain en le
créant cardinal. La pensée que le roi de France allait avoir besoin du ministère
de son père dans une question d'intérêt urgent et majeur fit tout d'un coup
briller de nouveaux horizons aux yeux de César : il prit en dégoût cette robe
rouge qui affublait si mal un homme de sa sorte : se marier, épouser quelque
fille de roi ou, à la rigueur, une fille de grand prince, devenir capitaine,
grand seigneur, prince un jour, se créer tout d'abord un bon apanage en
France, voilà le rêve du cardinal : voilà pourquoi on allait au-devant de
Louis XII et de ses vœux si connus, et pourquoi le confident du pape,
l'archevêque de Raguse, avec son secrétaire, Monsignor Centiglie, se
montraient si empressés d'arriver en France avec le nonce ordinaire, l'évêque
de Ceuta, Fernand d'Almeïda. Il se répandit bientôt que l'ambassade du Saint-Siège
était en train de conclure avec le roi la nullité de son premier mariage et
la permission d'épouser Anne de Bretagne, le don d'un chapeau de cardinal
pour Georges d'Amboise et un projet d'établissement en France pour César
Borgia. Borgia jetait les yeux sur la fille du roi Frédéric de Naples, une
jeune fille de dix-huit ans que la reine Anne de Bretagne élevait avec ses
demoiselles d'honneur. Enfin il y avait encore à conclure une alliance
politique en Italie[110]. Les Florentins aussi
envoyèrent au nouveau roi une ambassade pour lui rappeler leurs traités avec
la couronne de France. Louis XII, bien résolu à ne pas s'engager dans les
questions d'outre-monts avant d'avoir réglé toutes les autres, accueillit
avec grâce les diverses ambassades[111] : mais il n'avait à traiter
pour le moment qu'avec l'ambassade romaine. C'est ainsi que, par une sorte de
retour des choses de ce monde, la volonté du roi de quitter Mme Jeanne de
France lui imposait, de prime abord, une ligne de conduite déterminée et l'obligeait
à échanger les premiers gages d'une alliance politique qui sera par la suite
si funeste à la France ! Le
grand inspirateur, le grand meneur de tout ce projet de divorce devait être
et fut, en effet, l'archevêque de Rouen, Georges d'Amboise, que l'élévation
de son maître portait subitement au faîte de la puissance ; l'exécuteur, le
frère aîné de l'archevêque, cet éternel Louis d'Amboise, évêque d'Albi, qui,
depuis vingt-cinq ans et sous trois règnes successifs, savait se maintenir et
naviguer, comme un prudent pilote, à la surface des mers orageuses de la
politique. Né au beau château de Chaumont-sur-Loire, domaine do ses pères[112], Louis avait toujours partagé
avec son frère cadet sa fortune, il en partageait maintenant la grandeur el
les pensées intimes. L'origine de sa fortune personnelle remontait au père de
Mal° Jeanne de France, au feu roi Louis XI, juge bien expert en matière
d'esprit politique. En 1472, Mme Colette de Chambes, veuve de Louis
d'Amboise, vicomte de Thouars, qui régnait entièrement sur l'esprit et sur le
cœur du frère de Louis XI, le duc de Guyenne, avec qui elle vivait, avait
énergiquement excité et soutenu ce prince dans sa lutte contre le roi :
Colette et le duc moururent presque coup sur coup ; cette double mort parut
si extraordinaire que la rumeur générale, toujours portée à voir partout des
crimes, l'attribua à un empoisonnement dont on accusait même Henri de la
Roche et l'abbé de Saint-Jean-d'Angély. Le roi fit faire une enquête, à la
suite de laquelle, l'abbé de Saint Jean ne s'étant pas présenté, l'archevêque
de Bordeaux le déposa et donna à Louis d'Amboise son abbaye[113]. A
partir de ce moment, la faveur de Louis XI distingua cet intelligent prélat
dont la fortune prit un essor rapide et solide : conseiller du roi, il
devient l'année suivante évêque et seigneur d'Albi[114], et il occupe ce siège
important avec une dignité, une intégrité qui lui méritent le titre de bon
preudhomme[115], encore que les bourgeois
d'Albi ne se montrassent pas toujours satisfaits de son gouvernement et
qu'ils se soient même révoltés contre lui en 1493[116], car il n'est pas aisé de
satisfaire tout le monde. Dès lors, Louis d'Amboise joue un grand rôle :
en 1474, il préside au nom du roi les États du Languedoc[117] ; il gouverne même la France
pendant une maladie de Louis XI[118] ; en 1476, il reçoit le serment
de fidélité des États de Bourgogne, et il est récompensé de ses services par
d'importants privilèges de juridiction, par diverses libéralités à condition
de faire prier pour le roi dans la cathédrale d'Albi[119]. En 1478-79, il va avec Boffile
de Juge négocier la paix auprès de Maximilien d'Autriche. Ce nom de Boffile
nous rappelle la part que Louis d'Amboise avait prise au mariage violent de
la sœur du sire d'Albret, souvenir qui pouvait lui inspirer quelque réserve à
l'égard des mariages conclus par les ordres de Louis XI et notamment du
mariage de Madame Jeanne de France. Son
frère Georges, né seulement en 1460, n'avait pas tardé à marcher sur ses
traces et à le dépasser : vingt-quatre ans évêque de Montauban, ensuite
archevêque de Narbonne, puis de Rouen en 1493, il possédait toutes les
qualités d'esprit qui font le grand politique : l'ampleur de ses vues, la
netteté de son intelligence, la sagesse de son administration ont inscrit son
nom en ineffaçables caractères dans les annales de la France. Louis
était doué de finesse, de distinction et d'ambition, mais ce n'était pas
l'immense et Insatiable ambition de Georges : aimable, honorable[120], son cœur conservait de la
rectitude malgré l'habitude des plus difficiles affaires. Sous Charles VIII,
les deux frères avaient cherché à se rapprocher de la cour[121] et en même temps à demeurer les
confidents de la Maison d'Orléans ; une lettre de Madame Jeanne à Louis
d'Amboise nous montre même qu'en 1487, au moment de la guerre de Bretagne, et
alors que, fortement soupçonné d'intelligence avec le duc d'Orléans, l'évêque
d'Albi dut s'enfuir à Avignon, Jeanne le considérait comme un de ses amis les
plus sûrs et les plus dévoués[122]. En
réalité, les deux frères d'Amboise connaissaient la vie entière de Louis
d'Orléans, ses plus intimes secrets[123], et cette situation ne les
avait pourtant pas empêchés de recouvrer à. la cour une grande influence ;
Louis servait avec beaucoup de zèle les intérêts du roi[124]. Depuis
son arrivée au pouvoir, Georges d'Amboise, jusque-là médiocrement favorable
aux projets de divorce du duc et l'entremetteur le plus actif de sa
réconciliation avec Madame Jeanne et de sa libération, avait changé d'avis ;
le divorce du roi fut la première, la plus grande affaire qui occupa les
débuts de son administration ; il commença par le poursuivre à tout prix. Certes,
Jeanne de France, depuis vingt-deux années, avait subi de cruelles
souffrances et rien n° lui aurait fait regretter la rupture de son mariage si
elle avait pu y consentir sans scrupule et si elle ne s'était pas crue
absolument mariée. Cependant
la plume hésite, on voudrait un instant suspendre cette chronique avant
d'entrer dans le récit de ses nouvelles douleurs. Devant ce cœur tant de fois
brisé et blessé, devant cette grande âme qui de la vie n'a connu que les
amertumes, on est porté à s'arrêter, et non sans émotion, avant de soulever
le voile de l'avenir ; car il était écrit que le lendemain d'une journée
malheureuse réserverait toujours à Jeanne des malheurs encore plus grands ;
et cette fois elle va éprouver des angoisses poignantes. Sans frère, et on peut dire sans famille, elle est sans appui. Louis d'Orléans s'est rendu à Reims, il a reçu la couronne, il est l'oint du Seigneur, le participant de l'autorité divine dans ce monde, un homme qui guérit les malades en les touchant. Et Jeanne de France, que la royauté a vu naître et a entourée depuis son enfance, reniée de tous, n'a plus maintenant qu'à comparaître à la barre d'un tribunal. Si elle lève les yeux vers le ciel, elle n'y trouve que ténèbres. La royauté, en qui elle a foi, la poursuit. Rome, en qui elle croit, dont elle veut espérer une consolation et une protection, Rome, par la main d'Alexandre VI, la condamne. Elle n'a plus de frère, plus d'amis. Tout ce qu'elle aime, tout ce qu'elle croit s'est écroulé autour d'elle. |
[1]
Déposition de Rabaudanges.
[2]
Déposition de Brézilles.
[3]
Déposition de P. Dupuy.
[4]
Déposition de Gilb. Bertrand.
[5]
Déposition de La Palu ; Interrogatoire de Louis XII
[6]
Nicolas de Nicolaï, édition Advielle, p. 28-29.
[7]
Raynal, Histoire du Berry, t. III, p. 163.
[8]
Saint-Gelais, dans Godefroy, p. 92 et 93.
[9]
Déposition de Salomon de Bombelles.
[10]
Déposition de La Palu.
[11]
Dépositions de Guierlay, P. Dupuy, Viart et autres.
[12]
Déposition de Gaillard.
[13]
Déposition de S. Caillau.
[14]
Dépositions de P. Dupuy, de S. de Bombelles.
[15]
Déposition de P. Dupuy.
[16]
Dépositions de P. Dupuy, de M. Gaillard.
[17]
Déposition de P. Dupuy.
[18]
Interrogatoire de Jeanne de France.
[19]
Jean de Grassay, sire de Champéroux, commandait une compagnie dans la guerre de
Bretagne (L. de la Trémoille, Correspondance de Charles VIII), et
probablement il avait remplacé à Bourges Mac Nellem. C'était un ancien
chambellan de Louis Xi, membre du Conseil de Charles VIII et tout dévoué à la
politique d'Anne de Beaujeu (V. not. Dupuy, II, p. 65).
[20]
Déposition de Gilb. Bertrand.
[21]
Raynal, t. III, p. 163, Inventaire de 1651.
[22]
Déposition de Rabaudanges.
[23]
Déposition de Lamonta.
[24]
Déposition de l'évêque d'Orléans.
[25]
Interrogatoire de Louis XII. Déposition de Gaillard.
[26]
Déposition de S. de Bombelles.
[27]
Déposition de Calipel.
[28]
Dépositions de La Palu, Viart, Guierlay, Gaillard. Jeanne de France fait
elle-même allusion à cette amélioration du sort du prisonnier dans la deuxième
des lettres que nous citons plus loin.
[29]
Arch. de la mairie de Bourges, 1490-1491, E 4, et C 542 (Communiqué par M. H.
de la Guère).
[30]
Titres d'Orléans, n° 647 du Catalogue de M. Ulysse Robert.
[31]
Interrogatoire de Louis XII.
[32]
Titres d'Orléans, XIII, p. 865.
[33]
Lettres patentes du 23 mai 1489.
[34]
A Mons. du Bouchaiye, orig. Bibl. Nat., mss. fr : 2907, p. 12.
[35]
Copie du XVIe siècle, aux Arch. Nat., K. 74, n° 15, suivie de deux mandements
des trésoriers généraux et des conseillers des finances, du 28 niai 1489.
[36]
Ces deux lettres publiées par Godefroy, Histoire de Charles VIII, p.
584.
[37]
Lettre adressée « à nos amez et féaulx les conseillers et gens des comptes de
Monseigneur à Bloys. » (Catalogue Laroche-Lacarelie, 1847.)
[38]
Lettre du 1er niai, aux conseillers de Monseigneur (Catalogue de la
collection Colomieu, 1843).
[39]
« De par la duchesse d'Orléans, de Milan et de Valoys, etc. Noz ornez
et féaulx, le seigneur de Vaten nous a dit et remonstré comme il a ung protes
de la terre de Chatenay qui fut de la succession de maistre Olivier, laquelle
terre Monseigneur lui a donnée, et lui est Ires neccessaire d'avoir le double
du don que le Roy a fait à mondit seigneur de la confiscation dudit maistre
Olivier. Pour quoy voulions que lui en faciez faire ung vidimus autentique et
que le lui envoyez par ce présent porteur ou autre venant par deça, le plus
brief que faire ce pourra. Noz aurez et féaulx, nostre seigneur vous ait en sa
saincte garde. Escript à Chinon le IIe jour d'avril. »
« Jehanne de France. — Preuves. »
Au dos :
« A noz aurez et féaulx conseillers les chancellier et
gens des comptes de 51onseigneur, de Bloys. »
Orig. papier, n° 2479 de l'Inventaire de la
collection Fillon.
[40]
Catalogue des autographes de M. de Lajarriette, p. 175 (n° 1534).
[41]
Cabinet des Titres, 1233, France, pièce 52, orig. (Reçu signé : Jehanne
de France).
[42]
Orig. signé : « Jehanne de France » avec la mention : « Par Madame, le
prothonotaire de Clèves, les seigneurs de Saint-Germain, de La Monta et autres
présens, » au Plessis-du-Parc, le 18 octobre 1489. Bibl. Nat., Titres
d'Orléans, XIII, pièce 867.
[43]
Cabinet des Titres, Orléans XIII, n° 866. Ce sceau, le seul que nous
ayons trouvé, est fruste, et on ne peut lire que : « ... NC.E. DUCISSE. AUR..
.. NI.E. VALES..... » et : « S. Johanne filie... » Le contre-sceau porte les
mêmes armes.
[44]
Orig. signé, avec sceau rouge, le Plessis, 23 septembre 1489. Titres
d'Orléans, XIII, 866. — V. aussi, reçu de 8.000 livres sur la recette de
Blois ; orig. signé : le Plessis, 23 décembre 1489. Cabinet des Titres, 1233,
France, pièce 51.
[45]
En même temps, il conquérait à ses projets l'amiral de Graville en négociant le
mariage de Mlle de Graville avec son neveu M. de Chaumont (Godefroy, p. 93).
Nous aurons à parler plus tard de Mme de Chaumont.
[46]
Godefroy, p. 274-275.
[47]
Arch. Nat., K. 74, n° 26. — Le 2 décembre 1491, le roi donna au duc le droit de
garde dans le duché de Normandie (Ibid., K. 74, n° 322).
[48]
Déposition d'Élis. Fricon.
[49]
Déposition de G. de Montmorency.
[50]
Bréquigny, t. XX, p. 301, donne le texte du contrat.
[51]
Mémoire sur Charles VIII, Cimber et Danjou, I, p. 498.
[52]
Titres d'Orléans, XIII, 905.
[53]
Interrogatoire du roi.
[54]
Déposition d'Élis. Fricon.
[55]
Déposition Perrette de Cambray.
[56]
Interrogatoire du roi (Louis XII nie tous ces détails, mais ils sont
précis). — Les comptes de la ville d'Orléans présentent une lacune de 1483 à
1495.
[57]
Le Roux de Lincy, Vie d'Anne de Bretagne, t. II, p. 24 et 179.
[58]
Lettre du 14 septembre au sire du Bouchage, par laquelle le duc se met à la
disposition du roi. Bibl. Nat, mss. fr. 2907, p. 12.
[59]
Titres d'Orléans, XIII, pièce 876.
[60]
Dons fort nombreux dans les comptes (Orléans, XIII, 929, 913)
[61]
Titres d'Orléans, XIII, pièces 876 à 904.
[62]
Godefroy, p. 625.
[63]
Cette dame, sœur naturelle du roi, comme nous l'avons dit, était toujours reçue
sur le plus grand pied à la cour. (Philippe de Commines, édition Lenglet
du Fresnoy, t. II, p. 167.)
[64]
Le Roux de Lincy, t. Ier, p. 115.
[65]
Mémoire sur Charles VIII, Cimber et Danjou, t Ter, p. 168.
[66]
Inventaire de l'armurerie, dans Le Roux de Lincy.
[67]
Une ambassade (le Milan arriva aussi à Lyon et offrit au duc, de la part du
seigneur Galéas, de beaux accoutrements d'Italie.
[68]
Sans compter ses emprunts. Catalogue de Joursanvault, n° 787. Titres
d'Orléans, t. XIV, p. 932.
[69]
Il fait revenir par eau, de Nantes à Amboise, les coffres de sa chambre, de sa
chapelle et des offices (Comptes de janvier-mars 1493-1494).
[70]
Titres d'Orléans, t. XIV, p. 937-940, 944-947. — Joursanvault, n° 645.
Don de trois aunes d'écarlate aux médecins.
[71]
Interrogatoire du roi.
[72]
Godefroy, p. 709.
[73]
Godefroy, p. 745.
[74]
Philippe de Commines.
[75]
Interrogatoire de Louis XII.
[76]
Dépenses de jeu, dépenses non spécifiées... La maison du duc entière était
atteinte de toute sorte de maladies, même le maitre de chapelle (Titres
d'Orléans, XIV, 973-979. — Catalogue de la vente Joursanvault, p. 148,
n° 868).
[77]
Ces diamants, confiés au maréchal de Gié après la mort de la duchesse-mère,
furent remis par lui au duc le 19 mars 1492 (Ara. Nat., K. 74, n° 42).
[78]
Dépositions de La Palu, des Ormes, Doulcet.
[79]
Déposition de Martine Dampierre, portière de Blois.
[80]
Déposition de G. Doulcet.
[81]
Déposition de J. Bourgeois.
[82]
Orléans, XV, 981.
[83]
Quittances de Jehanne La Folle, de Jehanne La Menusière etc., en 1497
(Bibl. Nat., mss. fr. 26105, pièces 1214, 1241, 1265.
[84]
Déposition de J. de Polignac. — Titres d'Orléans, XV, 981, 982,
987.
[85]
Déposition de G. d'Amboise.
[86]
Déposition de P. Dupuy.
[87]
Déposition de M. Gaillard.
[88]
Déposition de G. Doulcet.
[89]
Philippe de Commines, liv. VIII, chap. XVI.
[90]
Godefroy, p. 110-111.
[91]
Déposition de G. Doulcet.
[92]
Déposition de Guierlay.
[93]
Le bibliophile Jacob, Histoire du XVIe siècle, d'après Saint-Gelais.
[94]
M. Henri Martin, Histoire de France, t. VII, 290, 4e édition.
[95]
Chronique du Loyal serviteur, chap. XI.
[96]
Cimber et Danjou, t. Ier, p. 163.
[97]
Claude de Seyssel.
[98]
Bibl. Jacob, Histoire du XVIe siècle.
[99]
Ils firent même plus : le duc alla assister au couronnement à Reims, bien que
sa belle-sœur Jeanne en fût exclue (Philippe de Commines, édit. Dupont, III,
596).
[100]
Bouchet, Panégyric du chevallier sans reproche.
[101]
L'abbé Chevalier, Inventaire des Archives d'Amboise, CC 113.
[102]
Arn. Ferron.
[103]
Édition Michaud et Poujoulat,
[104]
Humbert Velay, Nicole Giles.
[105]
Bibl. Jacob, déjà cité, t. Ier, p. 103.
[106]
Hennin, Monuments de l'histoire de France, t. VII, p. 98. Le Roux de
Lincy, t. II, p. 178. Cf. Compte du deuil d'Anne de Bretagne, dans Leber
et dans Lobineau.
[107]
Chronicon Venetum, dans Moreri.
[108]
Zeller, Italie et Renaissance, édition de 1882, p. 353 et suiv.
[109]
V. not. Raynaldi, t. XI, p. 297.
[110]
Gregorovius, Geschichte der Stadt Rom (Stuttgart, 1870), t VII, p. 418,
d'après le mss. Barberini XXIII, 173, Instructiones datte ven. Joanni
archiep. Ragusino ac dilect. fil. Adriano Castellensi protonot. ac A. C.
clerico et secret. nostro et Ap. Sedis, ad Lud. Franc. regem Christ. nuntiis et
oratoribus.
[111]
Tomaso Tomasi, Vita del duca Valentino. — Guichardin, liv. IV, chap.
Ier. Le récit du divorce de Louis XII par Guichardin n'est, du reste, qu'un
roman d'un bout à l'autre.
[112]
En 1465, Louis XI avait confisqué les biens de son père et avait donné Chaumont
à Marie de Clèves, duchesse d'Orléans (Legeay, Histoire de Louis XI, t.
II, p. 529). Mais la confiscation n° fut pas maintenue.
[113]
Mémoires de Philippe de Commines, édit. Lenglet du Fresnoy, t. III, p.
279 et suiv. (Instructions du roi pour cette enquête). Bibl. Nat., mss. Doat
Ill, fol. 235 (sentence de l'arch. de Bordeaux). Cet incident a été très
inexactement rapporté. On a dit à tort notamment que Louis d'Amboise faisait
partie de la commission d'enquête. C'était l'évêque de Lombez, Jean Villiers de
la Grossaye (Gams, p. 568).
[114]
Le pape Sixte IV, en le nommant, le recommanda particulièrement au roi et à
l'archevêque de Bourges, par des brefs de janvier 1473 (Bibl. Nat., mss. Doat
111, fol. 250 et 252).
[115]
Catel, Mémoires de l'histoire de Languedoc, liv. V.
[116]
Archives de la ville d'Albi, Inventaire, FF, 67 à 77.
[117]
Bréquigny, t. XVII, p. 615. — Archives de la ville d'Albi, CC, 110.
[118]
Legeay, Histoire de Louis XI, t. II, p. 531. — Philippe de Commines,
édit. Dupont, II, 215.
[119]
Bréquigny, t. XVIII, p. 308. — Vaissette, Histoire du Languedoc.
[120]
Cf. de Seyssel, Gaguin et autres.
[121]
Louis d'Amboise fit partie du Conseil du roi dès le début de son règne. (Noël
Valois, Le Conseil du roi, Bibl. de l'École des Chartes, 1882, p. 600).
C'est lui qui bénit le mariage de Charles VIII.
[122]
Elle lui écrivait de sa main :
« Mon bon cousin, tant par vos lestres conte par le
raport du comandeur, et ausy parce que le Boy m'a récrit et fayt savoyr, par
créance sur ledit comandeur, ay C01124 le yrant vouloy qu'avez montré a me fere
servyse en matière ou les amyz se se doyvent montrer ainsy que vous avez fayt ;
de quoy, tant que je puiz, vous mersie, erzsenble des bonez ofrez d'estre pour
moy en tous mes aferes, envers tous, sauve celuy quy se doit réserver, don me
tiens fort tenue à vous ; et pour ce que j'ay encomansé la poursuite de la
matière, pour vous en avertir, vous envoye mon segrétayre, pourteur de cestes,
afin que me conseliez et aydiez au demourent de se qu'aré à fère ; car de votre
conseil et avys veut euser. L'évelque a dit à Monseigneur, en la présence de
beau-frère le cardynal, que beaucout de chosses ont esté dytes à beau-frère de
Beaujeu et à vous, sur la créance dudit comanaeur ; par quoy, je vous prie que
se quy vous en a dit me veullez écrire, afin que le puise montrer à mondit
seigneur ; et, s'yl estoit posyble, que puysez venyr ysy, me seroit ung grant
secours et ayde, vous pryant que veullez dyne à se porteur, sur le tout, se quy
vous senble qu'aré à fère, et corne me devré conduire au surplus ; et à Dyeu,
cousin, quy vous doint se que desirez. Écrit de ma main.
Jehanne de France.
Je vous mersie du plesir que m'avez fait tousent le
marchant de ceste vylle. »
Archives de la maison d'Amboise-Aubijoux, minutes
notariales de Las Graisses (canton de Cadalen, Tarn) ; copie communiquée par M.
Jolibois, archiviste du Tarn. — Cette lettre est antérieure à 1488, car M. et
Mme de Beaujeu prirent en avril 1488 le titre de duc et duchesse de Bourbon, et
le cardinal de Bourbon (beau-frère le cardinal) mourut le 13 septembre 1488.
[123]
Jaligny, dans Godefroy, p. 15.
[124]
Legendre, Histoire du cardinal d'Amboise, t. Ier, 46. — Cf. Lettre de
l'évêque d'Albi à M. du Bouchage. Bibl. Nat, mss. fr. 2919, f° 10.