Nous avons entrevu déjà quelques-uns des rapports de Charles VII et de la noblesse, quand nous nous sommes occupé des institutions militaires et religieuses. Nous voudrions maintenant insister sur les mesures prises directement par le Conseil pour amoindrir cette puissance rivale et la soumettre à l'autorité du roi. Au commencement du quinzième siècle il y avait en France deux classes de noblesse : la noblesse des princes du sang et la noblesse ordinaire. La noblesse des princes du sang était d'origine assez récente, car ce n'est guère qu'à Saint-Louis qu'on peut faire remonter l'établissement régulier des apanages. Quant à la noblesse ordinaire, elle était aussi ancienne que le pouvoir royal lui-même. Formée de l'élite des hommes de guerre qui l'avaient aidé à conquérir la Gaule, elle était sortie comme lui des institutions germaniques. On l'avait vue d'abord grandir sous sa protection, puis elle s'était émancipée dans le démembrement de l'empire carlovingien, au point d'enlever insensiblement à la couronne la possession du sol et presque tous les droits souverains. Quand la dynastie de Charlemagne vint à disparaître au milieu de cette spoliation et de cette détresse, on sait combien la féodalité rendit pénibles et douloureux même les débuts de la monarchie capétienne. Louis-le-Gros et Philippe-Auguste durent passer presque tout leur règne à la combattre et à la tenir à distance. Mais à partir de Saint-Louis la royauté reprit l'avantage, et les pouvoirs féodaux, tout frémissants encore de leur défaite, consentirent enfin à reconnaître un souverain. On vit même la royauté dépouiller entièrement plusieurs de ces grands feudataires ; on la vit en réduire une foule d'autres à n'être guère que des officiers royaux dans leurs propres domaines. L'habileté des princes capétiens, leur alliance avec la bourgeoisie et l'Église avaient préparé ces remarquables progrès. Malheureusement la royauté, si habile dans cette lutte, avait commis la faute impardonnable de remplacer la féodalité mutilée et vaincue par une nouvelle noblesse plus élevée, plus exigeante et plus redoutable, la noblesse d'apanages. Dans le dessein d'augmenter l'importance des princes du sang et de les opposer avec plus d'avantage aux grands feudataires, dessein politique, à la vérité, s'il. eût été poursuivi par d'autres moyens, le souverain avait consenti à se dépouiller de ses plus belles provinces pour en faire des établissements princiers destinés aux membres de sa famille. La couronne s'était ainsi accoutumée depuis Saint-Louis à dissiper en dots et en apanages ce qu'elle avait gagné en successions et en conquêtes. Ainsi s'étaient élevées, sous Saint-Louis, la maison de Bourbon ; sous Philippe-le-Hardi, celle d'Alençon ; celles d'Anjou et de Bourgogne sous le roi Jean, celle d'Orléans sous Charles V. Ces établissements étaient le plus grand danger qui pût menacer le pouvoir. Remplaçant dans les provinces les anciennes dynasties féodales, les nouvelles maisons ajoutaient à une puissance matérielle souvent considérable le prestige de leur origine et la fierté du sang royal. Que la royauté les laisse faire, elle verra relever contre elle ce principe de la souveraineté territoriale qu'elle a mis deux siècles à vaincre ; qu'elle se décide, au contraire, à les combattre, elle ne pourra soutenir la lutte qu'en se déchirant elle-même et en faisant couler son propre sang ! On peut mesurer le péril qui menaçait le pouvoir royal en comparant l'étendue du domaine de ces maisons sous Charles VI avec les possessions de la couronne. A elles seules, les maisons apanagées d'Orléans, d'Anjou, de Bourbon, d'Alençon et de Bourgogne possédaient, soit dans le royaume, soit aux frontières, autant de provinces que la couronne elle-même. Qu'on ajoute à ces grands feudataires une foule de puissants seigneurs comme le duc de Bretagne, les comtes de Vendôme, de La Marche, de Penthièvre, de Dammartin, de Luxembourg, de Foix, d'Armagnac, d'Albret, les seigneurs de Montmorency, de la Trémoille, d'Astarac, de Comminges, et tant d'autres possesseurs de fiefs dont l'énumération serait trop longue. Et maintenant qu'un intérêt commun vienne animer un jour ces deux classes de noblesse contre la royauté ; que la petite noblesse accoure sous les drapeaux de ces princes du sang qui, placés sur les marches du trône, présentent des prétextes si spécieux à l'hésitation et même à la révolte, en faudra-t-il davantage pour rompre l'équilibre des forces, et pour entraîner la royauté dans les plus grands périls ? Or, c'est là justement ce qui était arrivé pendant la minorité et la démence de Charles VI, dans la confusion des, discordes civiles et de la guerre étrangère. Les nouvelles dynasties provinciales, unies à la petite noblesse,, s'étaient rendues indépendantes ; plusieurs de ces grands feudataires avaient renié leur origine au point de s'intituler ducs ou comtes par la grâce de Dieu[1] ; le reste de la noblesse avait suivi cet exemple, et de ce vigoureux essai de centralisation monarchique tenté par les derniers Capétiens, il ne restait au pouvoir royal qu'un vague souvenir et des regrets. Telle était encore la situation du royaume douze années après l'avènement de Charles VII, le lendemain du traité d'Arras. Nous sommes curieux de voir quelle politique son gouvernement voudra suivre pour relever cette prérogative royale si longtemps et si gravement méconnue. Le Conseil peut choisir entre deux traditions, celle de Saint-Louis et celle de Philippe-le-Bel. Il peut recourir à l'emploi de la force, à l'attaque inique et violente ; ou bien, sans déclarer la guerre aux pouvoirs féodaux, il peut réduire leurs usurpations, contester et reprendre les privilèges conquis à la faveur des discordes civiles, affirmer au nom d'un droit supérieur la prérogative royale, et l'exercer dans sa plénitude, mais sans perfidie et sans violence. Il y avait d'ailleurs au moyen âge un droit public qui répugnait profondément à la suppression de ces petits états particuliers, de ces dynasties provinciales qui s'étaient partagé le territoire, et qui avaient pour vivre et pour être respectées le même droit que la puissance royale elle-même : c'est-à-dire l'antiquité de la tradition. C'était même la conscience et le respect de ce droit qui avaient dicté à Saint-Louis sa règle de conduite à l'égard des pouvoirs féodaux. L'examen des actes de Charles VII nous fera voir laquelle de ces deux politiques il a préférée. Examinons d'abord ses rapports avec la noblesse ordinaire. Cette noblesse, nous l'avons dit, avait brisé les liens d'hommage, repris presque tous ses privilèges, réduit dans ses domaines les droits de la juridiction royale ; elle avait même empiété sur le domaine de la couronne, au point de le démembrer presque complètement[2], et comme le roi semblait hors d'état de se passer de ses services militaires, elle était convaincue qu'on ne pourrait la troubler dans cette indépendance. Mais une des premières mesures du Conseil, après la rentrée du roi à Paris, est de substituer une armée monarchique aux bandes féodales. Les capitaines des nouvelles compagnies doivent être nommés par le roi, et leurs troupes soldées par le trésor royal, ce qui rattache entièrement à l'autorité centrale toute l'organisation militaire[3]. La noblesse ne cesse pas pour cela d'être la grande force militaire du pays ; le privilège de naissance lui assure toujours le commandement, mais ce commandement ne peut être exercé qu'après avoir été délégué spécialement par le roi et sous des conditions fort sévères. Ces innovations étaient une véritable révolution, et une révolution des plus graves. Elles mettaient, à vrai dire, la nouvelle armée à une aussi grande distance de l'armée féodale que de la future armée plébéienne. C'était porter un coup terrible à l'aristocratie militaire. La noblesse qui ne sert pas dans les compagnies d'ordonnance et qui compose l'arrière-ban conserve-t-elle du moins son ancienne indépendance ? Nous avons déjà vu que le roi ne veut accepter dans l'arrière-ban que les hommes d'armes équipés comme ceux des compagnies d'ordonnances, et il exige que dans le délai d'un mois après la publication de l'ordonnance, ils déclarent aux sénéchaux et baillis avec quel équipement ils entendent servir[4]. Ce n'est qu'a cette condition qu'ils auront droit à la solde royale. On ne pouvait dire plus nettement à la noblesse qu'on ne voulait souffrir au service du roi que les hommes d'armes habitués à la subordination et à la discipline. Au surplus, Charles VII ne recourut que fort rarement à l'emploi de l'arrière-ban, et Thomas Basin, qui en fait la remarque, croit qu'il agissait ainsi pour ménager la noblesse[5]. On voit que son dessein était tout autre : le pouvoir royal, qui avait appris à connaître l'indiscipline des troupes féodales, ne voulait plus appeler à son service que des troupes disposées à l'obéissance la plus absolue. Un droit que la royauté avait autrefois revendiqué, mais qu'elle avait laissé disparaître pendant le désordre des guerres civiles, était le droit dé partager avec les seigneurs la protection des classes bourgeoises sur leurs propres domaines[6]. Elle exerçait cette prérogative tantôt en multipliant le nombre des villes de bourgeoisie, tantôt en étendant à des communautés, à des corporations et même à des villes entières la sauvegarde royale. Charles VII voulut reprendre ce précieux privilège, au grand scandale de la noblesse, et il fit l'essai de sa nouvelle prétention dans l'ordonnance de 1439, que nous avons déjà longuement citée. Cette ordonnance défend aux seigneurs d'avoir sur leurs terres des gens de guerre qui vexent ou dépouillent leurs sujets et ceux du roi. Elle leur interdit formellement d'obliger les habitants de leurs terres et seigneuries à leur payer du blé, du vin, des vivres et de l'argent pour l'avitaillement de leurs places et forteresses, ou d'augmenter à leur gré les droits sur les marchandises qui traversent leurs domaines. Même défense de rien exiger de leurs hommes en dehors de leurs devoirs et rentes. On leur défend enfin de s'opposer à la levée des tailles royales, ou d'en imposer pour eux-mêmes, et, en général, de lever aucune taille sur leurs sujets sans le congé du roi. La sanction pénale pour chacune de ces prescriptions est sévère : ce n'est pas moins que la confiscation des terres et seigneuries au profit de la couronne. Ces exigences du pouvoir étaient la négation, le renversement même du droit féodal. Quel était le fondement de ce droit ? L'indépendance du suzerain dans son fief, le droit de lever des redevances à son gré, de disposer d'une manière absolue de ses biens et de ses sujets. Voilà ce droit profondément entamé. Le roi entend partager avec les seigneurs l'administration du fief, fixer les impôts, régler les rapports des sujets et du maître. Que dans le courant du règne ces prescriptions aient été sévèrement exécutées, nous ne voudrions guère l'affirmer, mais un droit nouveau avait paru, il avait été inscrit dans une ordonnance, et c'était un dangereux précédent contre la noblesse. Il était clair qu'en théorie du moins, elle ne formait plus que la première classe des sujets du roi. Dans le même dessein de réduire l'autorité de la noblesse sur la bourgeoisie de ses domaines, le gouvernement de Charles VII prit encore soin d'étendre le plus possible l'usage de la sauvegarde royale. Ce moyen avait été fréquemment employé sous Philippe-Auguste, sous Saint-Louis et les derniers Capétiens, pour rapprocher dans les domaines des seigneurs les populations de la royauté, et des villes entières avaient ainsi passé à plusieurs reprises de la domination féodale sous la protection du roi. Ce droit, naturellement suspendu pendant la détresse du pouvoir royal, fut repris et exercé énergiquement par Charles VII. Des villes nombreuses reçurent des sauvegardes, Épinal, Raimbencourt, Toul, Verdun, Thionville, Lille, Boussac, Acqs en Guyenne, Saint-Émilion, Bourgneuf, Lisle en Périgord, Saint-Léonard, Castelnaudary, Pons en Saintonge, Montferrand et d'autres encore[7]. Cette politique avait un double avantage : d'abord elle diminuait les forces et les revenus de la noblesse, puis, en multipliant en France le nombre des bourgeois du roi, elle contribuait à développer le sentiment de la grande et véritable patrie, au détriment des préjugés de provinces et de villes, et au profit du pouvoir royal, en qui se personnifiait l'idée de cette patrie commune et de l'unité de la France. Le Conseil diminuait encore la puissance matérielle d'une foule de seigneurs, en retirant de leurs mains une quantité de terres qu'ils avaient enlevées au domaine royal. Non contents de ces apanages, donations, aliénations et pensions, de ces terres et de ces seigneuries que le pouvoir royal avait si libéralement prodiguées au traité d'Arras, un grand nombre de nobles s'étaient fait attribuer par importunité ou autrement, plusieurs terres et seigneuries, châtellenies, prévostés, tabellionages, rentes et revenus du domaine, confiscations, forfaitures, aubenages et épaves, forêts, eaux et rivières.... et assigner gages et pensions, ainsi que plusieurs charges extraordinaires, sur le domaine[8]. Ce sont les termes mêmes d'une ordonnance de 1438, destinée à remédier à cet abus. Elle prescrit de reprendre toutes les aliénations faites depuis le traité d'Arras, et de faire cesser toute usurpation des droits seigneuriaux du roi. Des lettres de l'année suivante ordonnent en outre la révision des titres de possession de chaque seigneur du domaine, au moyen d'un dénombrement précis des fiefs et arrière-fiefs[9], sorte de cadastre qui devait être remis, dans le délai de trois mois, aux sénéchaux et baillis royaux pour fixer les possessions de chaque seigneur. Il était dit que ces titres de possession seraient soigneusement transcrits et conservés dans un registre tenu à cet effet. Excellente mesure qui devait à la fois réparer une partie des pertes faites par le domaine et appauvrir légitimement un grand nombre de maisons féodales, dont l'opulence ne tenait qu'à des usurpations de cette sorte. La longue énumération de tous les biens enlevés et de tous les droits soustraits au domaine qu'on trouve dans l'ordonnance de 1438 permet d'apprécier l'importance de ces dépouilles. Le privilège de naissance, cette seconde religion du moyen âge, est encore indirectement entamé par différentes mesures de Charles VII. Nous ne voulons rien exagérer, ni faire de Charles VII un précurseur de la démocratie ; c'est déjà beaucoup trop qu'on ait attribué si souvent ce rôle à Louis XI : nous voulons dire simplement qu'il y à eu sous son règne beaucoup plus d'anoblissements que sous les règnes de ses prédécesseurs[10]. C'était l'exercice d'une prérogative bien contraire au droit féodal. Dans le droit féodal, la terre seule conférait la noblesse ; l'homme ne pouvait la donner, il ne pouvait que la recevoir. Mais quand l'idée du droit impérial avait repris quelque puissance, les rois de France s'étaient mis à conférer l'anoblissement comme une émanation de la souveraineté royale[11]. Charles VII usera lui aussi de ce nouveau droit à plusieurs reprises. Il avait à combler les vides immenses laissés par la guerre, et d'ailleurs cette récompense lui donnait le moyen de reconnaître dignement et sans de grands sacrifices le dévouement de la bourgeoisie. Aux hommes d'armes qui s'étaient le plus distingués à la prise de Pontoise, il fit donner, dit Berry dans sa chronique[12], de grands dons d'or, d'argent et de rentes à leur vie dans les quatre murs de Paris, et les anoblit, et leur donna des armoiries afin qu'à toujours il en fût mémoire. Déjà il avait anobli, en 1429, Jeanne d'Arc et sa postérité masculine[13]. La reprise de Bayonne, en 1454, permit de conférer à plusieurs hommes d'armes la même récompense. Les services rendus dans le Conseil furent reconnus de la même manière ; Jacques Cœur[14] fut anobli, ainsi que les frères Bureau[15] et Guillaume Cousinot[16]. En outre, sans accorder directement la noblesse, on la rendit accessible à une foule de bourgeois en abaissant les barrières qui les en séparaient. Ceux de Bourges reçurent, par exemple, le privilège d'acquérir et de garder des fiefs et arrière-fiefs[17]. On exempta, dans le Languedoc, de tous droits de finances les roturiers qui voudraient acquérir des fiefs ecclésiastiques[18]. En 1439, les habitants de Nîmes obtinrent le droit de chasse, au grand scandale de la noblesse[19]. On pourrait multiplier ces exemples. Sans doute ces mesures n'avaient pas pour objet d'établir l'égalité entre la bourgeoisie et la noblesse : cette prétention et été trop prématurée ; mais dans la pensée des légistes c'était par ces innovations insensibles qu'il fallait les accoutumer peu à peu à se considérer comme un même corps de nation sous un maitre unique[20]. Déjà même, en matière de délits, on proclame tout haut l'égalité devant la loi. L'ordonnance de 1438 ne fait aucune acception de personnes dans la répression des désordres commis par les gens de guerre : le prévôt de Paris est autorisé à les faire juger sans considération de leur état[21]. Deux autres ordonnances, rendues en 1439 et en 1447[22], renouvelèrent ces injonctions et d'une manière encore plus formelle. Telle est la politique du gouvernement de Charles VII à l'égard de la noblesse ordinaire, politique circonspecte, qui d'une action lente et presque invisible, ronge et absorbe les pouvoirs ennemis. Elle rappelle les moyens employés par Saint-Louis pour diminuer sans violence les pouvoirs féodaux. Au lieu d'être la revendication brutale d'un droit plus ou moins précis et plus ou moins reconnu, c'est une succession de mesures habiles qui enlacent peu à peu les pouvoirs féodaux, qui les désarment, qui les mutilent, et qui ne leur laissent même pas le prétexte de la plainte et de la révolte, car l'intérêt du roi a toujours soin de se cacher derrière l'intérêt général. Aussi qu'arrive-t-il dans la guerre de la Praguerie ? Les villes et les campagnes, laissant là les seigneurs, se donnent sans réserve à la cause royale, et l'on voit même une partie de la petite noblesse les imiter[23]. Aussi bien, son embarras était extrême dans ces circonstances. Si elle frémissait de ces atteintes portées à son indépendance, comme propriétaire du sol elle était aussi intéressée que les autres classes au rétablissement de l'ordre, à la destruction du brigandage, à la renaissance de l'agriculture, du commerce et de toutes lés transactions sociales. Il y avait si longtemps qu'elle s'affamait elle-même en affamant les campagnes, en supprimant toute sécurité, en mettant de toutes parts la barbarie à la place de l'ordre ! L'intérêt du propriétaire désarmait ainsi chez une foule de nobles l'orgueil et les ressentiments du seigneur. Tout rapide qu'ait été le dénouement de la Praguerie, cette guerre ne laissa pas de faite à la noblesse une nouvelle et cruelle blessure que la main du pouvoir royal saura fort habilement élargir et envenimer. Depuis longtemps déjà le tiers état haïssait l'aristocratie ; cette haine devint alors comme une sorte de fureur. Eh quoi ! c'est pendant que la royauté fait tous ses efforts pour délivrer le royaume et relever la paix publique, que l'on voit l'aristocratie raviver par tous les moyens la guerre civile, et rejeter de gaîté de cœur dans l'anarchie ce malheureux pays qui n'a presque pas respiré depuis un siècle ! Le tiers état ne peut pardonner un tel attentat à la noblesse, et s'isole d'elle complètement : isolement bien regrettable, et qui devait affecter à jamais et de la manière la plus grave la situation politique de la noblesse. Le reproche qu'on lui adresse unanimement, c'est d'avoir manqué de cet esprit de conduite, de ce sens politique qui a rendu si puissante et si respectée l'aristocratie anglaise. On sait, en effet, qu'en Angleterre la noblesse a toujours su rapprocher sa cause de celle des classes populaires, qu'elle s'est préoccupée constamment de leurs intérêts politiques et moraux, qu'elle a défendu leurs droits avec une infatigable ardeur. C'est en se faisant peuple de cette manière que cette aristocratie a su conquérir et garder tant de prestige et tant de privilèges. Conduite habile que la noblesse française eût bien dû imiter. Il en était encore temps sous Charles VII. Dans la joie qu'elle éprouvait de respirer et de se sentir vivre de nouveau, la bourgeoisie était disposée à tout pardonner et à tout remettre à ceux qui se dévoueraient' à la servir. Mais il eût fallu que d'elle-même son ancienne ennemie vînt à elle, qu'elle lui tendît la main, qu'elle parût se pencher avec intérêt sur ses blessures. Il eût fallu, en d'autres termes, que la noblesse se dévouât comme la royauté, sans regret et sans arrière-pensée, aux travaux de la paix. Certes, il y avait en elle, quoi qu'on ait dit, tout autant d'aptitude politique que dans la bourgeoisie. Richemont, Pierre de Brézé, Dunois n'ont été surpassés au quinzième siècle par personne comme administrateurs et diplomates ; et on les eût tenus à toutes les époques pour des hommes d'État remarquables. Malheureusement le plus grand nombre des nobles regardèrent cette application aux affaires comme une occupation indigne de leur naissance et de leur rang dans l'État. Ils crurent devoir à leur condition de s'enfermer dans leur orgueil, de se tenir fièrement à l'écart, de laisser dédaigneusement au tiers état et à la royauté le soin de la législation et des affaires administratives. L'occasion offerte à la noblesse à la fin de la guerre de cent ans, de ressaisir son prestige par des services pacifiques, et de partager avec la couronne et la bourgeoisie le gouvernement de l'État, s'évanouit alors et fut perdue pour jamais. Son caractère est désormais fixé irrévocablement, et l'on peut prédire dès à présent toute sa destinée politique. Ce que Saint-Simon appellera son ignorance, sa légèreté, ton inapplication qui ne la rend bonne qu'à se faire tuer, et à croupir du reste dans la plus mortelle inutilité ; tous ces défauts sont déjà fort apparents dès le quinzième siècle, et vous les trouvez dessinés à grands traits dans les deux aventures de la Praguerie et. de l'assemblée de Nevers. Ne semble-t-il pas, en effet, 'que dans ces deux circonstances la noblesse ait pris comme à plaisir d'accumuler les imprudences et d'aider le pouvoir royal à lui enlever son dernier prestige ? Nous voudrions parler maintenant des rapports du gouvernement de Charles VII et de la haute noblesse. Ces rapports attestent de la part du pouvoir la même circonspection que ses relations avec la noblesse ordinaire, bien que, de temps à autre, il ait eu ses jours de franche énergie. Mais en général il négocia plus qu'il ne combattit, il fit parler son droit plutôt que sa force, et il le fit de telle sorte qu'à la fin du règne la suprématie de la couronne était unanimement reconnue. Il y a plus, le prestige du roi s'était tellement accru que cette même noblesse qui à l'époque du traité d'Arras n'avait aucun esprit national, était devenue toute française, au point de condamner d'elle-même comme un crime la désertion de la cause royale et l'alliance avec l'étranger[24] ! Ces grands feudataires, nous les connaissons déjà, nous avons parlé plus haut de leur origine et de leur puissance. A la faveur des guerres civiles, ils ont considérablement accru leurs possessions : princes du sang ou pairs du royaume ; ils ont aussi l'entrée du Conseil et du parlement du roi ; ils sont ainsi en partage de son autorité, et si le roi veut s'affranchir, ils auront vite recours à l'étranger ; il n'y a pas loin de la Gascogne à l'Aragon, de la Bretagne et de là Flandre à l'Angleterre. Le traité d'Arras n'avait-il pas, d'ailleurs, disposé cette fière noblesse à ne plus guère considérer le roi que comme le possesseur d'un grand fief et comme l'égal des autres grands feudataires ? N'avait- on pas vu dans ce traité un roi de France demander un humble pardon à un vassal, le délier de tout devoir d'hommage, et reconnaître qu'il tenait ses pouvoirs de Dieu au même titre que le roi lui-même[25] ? Qu'il faudra d'habileté pour effacer de tels souvenirs et pour rejeter dans la soumission des princes qui ont sous leurs yeux des précédents de cette nature, des alliances si puissantes, des ressources si considérables ! Disons tout d'abord que dans ses rapports avec quelques maisons fort puissantes et fort turbulentes sous le règne précédent, le gouvernement de Charles VII eut un grand bonheur. La maison d'Anjou, par exemple, si remuante sous Charles VI, loin d'inquiéter la politique de son successeur, se fit un honneur de la servir. Elle était représentée par le roi René, dont Charles VII avait épousé la sœur, et qui pendant tout le règne de son beau-frère n'eut d'humeur belliqueuse qu'en songeant à son royaume de Naples. Le frère de René, Charles du Maine, ne fut pas moins dévoué à la cause royale, et il en fut dé même d'Yolande de Sicile, la belle-mère du rai, qui le servit à plusieurs reprises et avec la plus grande ardeur de son esprit souple et fertile en intrigués. Le hasard voulut aussi que le chef de la maison d'Orléans fut éloigné du royaume justement à l'époque où sa présence eût été particulièrement dangereuse pour l'autorité royale. Charles d'Orléans revint, il est vrai, d'Angleterre à l'heure même où commençait la Praguerie, et assez à temps pour y prendre part, mais il était resté trop longtemps éloigné du royaume pour personnifier avec autorité dans cette circonstance les intérêts de la féodalité. Il ne rentra même en France que pour assister à la défaite de son parti et devenir un vassal paisible, sinon soumis et dévoué. Il est vrai de dire qu'en l'absence de Charles d'Orléans, sa maison avait été représentée par un homme d'une grande ambition, d'une grande capacité et d'une grande énergie, le bâtard d'Orléans, comte de Dunois. A l'époque de Jeanne d'Arc, il avait servi la cause royale avec beaucoup d'empressement ; néanmoins l'orgueil du 'grand feudataire avait toujours persisté dans l'officier du roi. Au traité d'Arras, il en avait donné une preuve curieuse et qui jette un grand jour sur son caractère et sur l'esprit d'indépendance de la noblesse à cette époque : il avait refusé de jurer le traité avec les autres seigneurs, a disant que le duc d 'Orléans et le duc d'Angoulême, son frère, étaient en Angleterre, et que sans eux a il ne voudrait rien faire de ladite paix[26]. Tel fut le comte de Dunois, véritable type de cette noblesse inquiète et ombrageuse dans son dévouement, combattant plutôt par entraînement que par devoir, prodiguant ses services et marchandant sa fidélité, du reste plus française de cœur qu'elle ne se l'avouait à elle-même, et sachant faire violence à ses antipathies toutes les fois qu'il fallait sauver cette couronne qu'elle détestait. Tel était le bâtard d'Orléans à l'époque du traité d'Arras ; tel il fut un peu plus tard quand, un des premiers, il courut se placer à la tête de la noblesse révoltée dans la fameuse guerre de la Praguerie. Louis XI n'aurait pas eu la patience d'apaiser et de ramener cette fougueuse nature ; il erg fait tomber la tête de Dunois, au risque de soulever en représailles une insurrection féodale. Charles VII fut plus habile ; il commença par battre Dunois, puis il l'apaisa par des caresses et par de nouvelles faveurs ; il s'en fit de la sorte un serviteur dévoué, et depuis ce moment jusqu'à sa mort, il en tira d'éclatants services dans l'armée, dans le Conseil et dans les ambassades. Il ne déploya pas moins d'habileté dans ses rapports avec les principaux chefs de la noblesse du midi. A la tête de cette noblesse se trouvait la puissante maison de Foix, quelque peu parente de la maison de France, et dont les vassaux étaient les comtes de Comminges, d'Estarac, de Lautrec, etc. On sait que pendant les guerres civiles du règne de Charles VI, ces seigneurs s'étaient à peu près affranchis de l'autorité royale, ou du moins ils avaient si habilement partagé leurs services entre la France et l'Angleterre, que le midi, incertain entre les deux suzerainetés, n'avait plus relevé en réalité de personne. Il importait cependant au plus haut point à la couronne d'être en sûreté du côté des Pyrénées où les rois de Navarre n'étaient pas moins entreprenants et moins dangereux que les seigneurs du parti anglais. Pour rattacher ce pays à la France du centre, Charles VII fit de nombreuses avances au comte de Foix, seigneur d'un vaste domaine et gendre du roi de Navarre, et pendant la guerre de Guyenne, en 1449, il lui offrit le titre de lieutenant-général du roi dans cette province. Le comte de Foix accepte ce titre' avec le plus grand empressement, et dans sa reconnaissance il n'hésite pas à se déclarer avec tous ses vassaux contre l'Angleterre et la Navarre. Accompagné du vicomte de Lautrec, son frère, des comtes de Comminges et d'Estarac et d'une foule de seigneurs il ouvre hardiment la campagne en 1450 avec six cents lances et dix mille arbalétriers, et court assiéger Mauléon. Le roi de Navarre vient la secourir et demande une entrevue à son gendre. Le comte de Foix très-gracieusement et en lui portant tout honneur, lui répondit qu'il était lieutenant-général du roi de France ès parties d'entre Gironde et les monts Pyrénées, son parent et son sujet ; que par son commandement et ordonnance il avait mis le siège devant le château, et ce, pour son honneur garder, et afin que au temps à venir il ne fût rien imputé à aucun crime ou reproche, ni à ceux de son lignage, puis il ajoute qu'il serait heureux de pouvoir servir son beau-père, réservé toutefois contre le roi de France, ses sujets et a alliés, en tout ce qui touche le fait de sa couronne[27]. On ne pouvait témoigner d'un dévouement plus absolu à la cause de la couronne. Grâce à la circonspection du Conseil ce dévouement ne se démentit pas, et le midi resta tranquille et soumis jusqu'à la mort de Charles VII. Mais supposez que le Conseil eût voulu obtenir cette soumission par la force, vous pouvez être sûr que la noblesse du midi aurait trouvé dans son énergie militaire et sa situation géographique le moyen de tenir le pouvoir royal en échec pendant bien longtemps. C'est du reste ce que l'exemple de Louis XI fit voir presque aussitôt. A cette politique de ménagements, Louis XI crut devoir préférer les mesures violentes, et la maison des Armagnacs lui mit sur les bras une guerre terrible qui dura presque tout son règne et qui fit courir à la couronne les plus grands dangers. A la fin il en triompha, mais par des moyens vraiment épouvantables, et qu'il faut d'autant plus déplorer et flétrir que l'exemple du règne précédent avait fait voir qu'on pouvait tout obtenir du midi par des mesures pacifiques. Ce n'est pas que cette politique ait été invariablement la régie du gouvernement de Charles VII dans ses rapports avec la haute noblesse. Il sut fort bien recourir â plusieurs reprises aux mesures de rigueur contre des seigneurs trop turbulents ou trop indociles. Nous citerons comme exemples les procès du comte d'Armagnac, du sire de Lesparre, et du bâtard Alexandre de Bourbon. Jean IV, comte d'Armagnac, accusé, entre autres griefs, d'avoir fabriqué de la fausse monnaie, d'avoir levé deux ou trois-fois par année les tailles établies sur ses terres, et d'avoir commis plusieurs actes de brigandage, se vit condamner au bannissement et â la confiscation de tous ses biens (1459). Lesparre fut décapité pour avoir trempé dans la révolte de la Guyenne. Le bâtard de Bourbon était coupable d'une multitude d'actes de violence et de brigandage : condamné à mort, il fut cousu dans un sac et noyé quelques mois avant la guerre de la Praguerie[28]. On fit aussi au duc d'Alençon un procès qui est resté célèbre. Comme il jette une vive lumière sur les rapports de la couronne et de la haute noblesse, et sur les progrès de l'autorité royale dans lés dernières années du règne, nous en dirons quelques mots. Pour reprendre la ville de Fougère que lui avait enlevée le duc de Bretagne ; le duc d'Alençon avait, il parait, fait alliance avec le roi d'Angleterre. Le pouvoir royal avait dû tolérer ces alliances au commencement du règne[29] ; mais on était en 1458, et depuis quelque temps déjà la subordination des grands vassaux à la couronne était redevenue un devoir formel, surtout de la part des princes du sang. C'était à quoi ces grands feudataires ne pouvaient cependant s'habituer, ce qui faisait dire au duc d'Alençon dans les interrogatoires qu'on lui fit subir : qu'il ne voulait pas être Anglais, mais que moult lui déplaisait des manières que le roi tenait contre lui et ceux de son sang, car, quand ils venaient par devers lui, ils étaient des quatre ou six jours avant ou sans qu'ils pussent avoir audience ; et ne tenait le roi autour de lui qu'un nombre de méchantes gens et de méchant état, issus de petite lignée, qui à présent le gouvernaient[30]. Pour effrayer par un grand coup cette fière noblesse et lui faire sentir sa dépendance ainsi que les progrès du pouvoir, le roi fit ouvrir à Vendôme un lit de justice, le 26 août 1458. Les pairs du royaume et les grands vassaux se hâtèrent d'accourir, tout en comprenant fort bien que c'était la grande noblesse tout entière bien plus encore que le duc d'Alençon, qui était en cause dans ce procès[31]. Le duc de Bourgogne était absent, il est vrai, mais il s'était fait excuser et dans un langage bien soumis, puisque dans la requête de ses envoyés en faveur du duc d'Alençon, Charles VII est appelé le roi des rois, le seigneur des seigneurs, la lumière des rois, la fleur de la chrétienté[32]. Quelle différence entre ce langage et celui du traité d'Arras, entre cet empressement de la haute noblesse autour du roi et son attitude d'autrefois ! De ces grands vassaux, il n'y en avait peut-être pas un seul qui n'eût été quelque fois tenté de commettre le crime reproché au duc d'Alençon, mais l'autorité de la couronne était devenue si grande, que ces pairs et ces seigneurs rendirent contre le duc d'Alençon un arrêt de mort pour avoir fait traité avec nos anciens ennemis, les Anglais. Le roi, il est vrai, commuait quelques jours après cet arrêt de mort en un emprisonnement perpétuel. Son but était, du reste, complètement atteint ; il avait obligé toute la haute noblesse à venir s'asseoir à ses pieds, sur les fleurs de lis, pour juger et condamner un des siens, et il avait fait décider par un arrêt solennel que toute alliance formée à l'étranger sans la permission du roi était un crime de forfaiture. Ces concessions obtenues, le supplice du duc d'Alençon aurait paru au roi et à ses Conseillers une rigueur inutile et dangereuse : ils lui laissèrent donc la vie sauve. Le Conseil aimait d'ailleurs par instinct les ménagements, et depuis la rentrée du roi à Paris, c'était sa tradition de ne pas s'occuper des vengeances, pour servir plus sûrement les intérêts. Les rapports du gouvernement de Charles VII avec la Bretagne et la Bourgogne en sont une preuve bien frappante. Dès le commencement du règne, Charles VII avait nommé le duc de Richemont, fils et frère de ducs de Bretagne, connétable de France[33], moyen habile d'attacher à sa cause au moins une partie de ce pays .qui, dans sa Passion d'indépendance, s'était offert si souvent à l'alliance anglaise. Le duc de Bretagne s'était même habitué à ne plus se considérer comme un vassal du roi ; il s'était dispensé de l'hommage-lige et il prenait le titre de duc par la grâce de Dieu. Lui déclarer la guerre, c'était le jeter aux bras des Anglais ; Charles VII aima mieux employer les négociations, et surtout le crédit du connétable. En dépit des disgrâces que les caprices et l'ingratitude du roi lui avaient quelquefois infligées, le dévouement de Richemont pour la cause royale s'était manifesté à plusieurs reprises. Dans la Praguerie, par exemple, on peut dire qu'il avait sauvé Charles VII en tenant tête à lui seul à Bourbon, à Vendôme et à Dunois[34], et en donnant au roi le conseil et les moyens d'une offensive énergique. Charles VII l'employa en Bretagne auprès du duc François ; et le duc consentit à prêter, en 1448, entre les mains de Dunois, le serment qu'il serait bon et loyal serviteur envers le roi, et le servirait sans fraude contre le roi d'Angleterre et ses alliés, et qu'en retour le roi serait tenu d'aider sondit neveu de Bretagne[35]. Cependant, en se montrant si bon Français, Richemont n'avait pas cessé d'être Breton, et l'on peut même dire qu'obligé de se décider entre la France et la Bretagne, il n'aurait pas hésité à se décider contre la France. Ainsi, en 1446, comme le roi poussait le duc de Bretagne à faire condamner son frère Gilles pour menées anglaises, Richemont déclara sévèrement que le roi ne faisait pas bien de vouloir détruire ainsi la maison de Bretagne, et mettre en guerre son frère et le duc[36]. Devenu duc de Bretagne à son tour, Richemont ne voulut pas plus que ses prédécesseurs, se reconnaître l'homme-lige du roi : Le roi et son Conseil, dit le chroniqueur de Richemont, voulaient qu'il fît hommage-lige à cause du duché de Bretagne, et mondit seigneur répondit qu'il n'en ferait rien. Et pour ce qu'il n'était pas le plus fort, il dissimula et dit qu'il ne le ferait pas tant qu'il eût parlé aux états de son pays.... Et vous certifie que jamais ne fût retourné devers le roi, ni ne lui eût fait nulle redevance, si n'eût été pour sauver la vie à Monseigneur le duc d'Alençon, son neveu, qu'il alla à Vendôme. Et là fit la redevance au roi telle que ses prédécesseurs avaient fait, et non autrement, lequel lui tint plus étranges termes que à nul de ses prédécesseurs'[37]. Le roi vécut pourtant en bon accord avec Richemont jusqu'à sa mort. Il avait resserré les liens du duché et du royaume, comme on le voit fort bien du reste par le récit que nous venons de citer ; cela lui suffisait, et il aimait mieux ne pas aller jusqu'au bout de sa prérogative que de pousser la Bretagne dans l'alliance anglaise. Il avait d'ailleurs obtenu tout ce qu'il était alors possible d'exiger d'un pays aussi passionné pour son indépendance, et ce qui le prouve bien, c'est que quand Louis XI eut bataillé pendant une partie de son règne avec le duc de Bretagne, il dut se tenir pour très-heureux de faire insérer dans un traité conclu en 1475, que le duc lui rendrait le même hommage qu'à son père. Et demeurera, disait ce traité, le duc en son duché tenu envers le roi, et lui obéira en la manière comme il faisait au temps de feu roi Charles VII de bonne mémoire, son père[38]. L'ambition des rois de France devait, en effet, se borner pendant longtemps encore à obtenir et à garder la paix, aussi bien du côté de la Bretagne que du côté de la Gascogne et de la Flandre. Il nous reste maintenant à parler des rapports de Charles VII et de la maison de Bourgogne. Cette question comporterait des détails considérables, mais il n'est pas de notre sujet d'y entrer, et nous ne voulons qu'indiquer rapidement le caractère de ces rapports et leurs résultats les plus généraux. C'était une grande puissance que celle de la maison de Bourgogne. L'énumération des titres et des possessions de ses chefs en ferait foi[39], quand bien même les prétentions et les exigences qu'elle affichait ne le témoigneraient pas avec éclat. II ne faut guère s'étonner qu'au commencement du règne de Charles VII, elle eut complètement oublié son origine et les liens de subordination qui devaient l'attacher au trône : Quelle étendue de territoire ! quelle population et quelle opulence ! quel concours de noblesse ! quels respects de la part de toutes les autres puissances ! Cette cour passait en même temps pour la plus magnifique de l'Europe, et l'on pouvait même la regarder jusqu'à un certain point comme le centre des lettres et de la civilisation. Aussi toute la noblesse, même celle de France, était-elle fière de reconnaître Philippe-le-Bon pour son représentant et son chef. Au surplus, depuis le traité d'Arras, le duc était devenu complètement indépendant du roi. Il y avait obtenu de s'intituler duc par la grâce de Dieu, et il en était revenu avec de si grands privilèges que les rapports des deux puissances semblaient complètement renversés, et que le roi paraissait tombé au rang de vassal. Telle était la puissance du grand-duc d'Occident, comme on appelait Philippe-le-Bon dans toute l'Europe. Avec son caractère défiant et ombrageux, le roi ne pouvait manquer d'être jaloux du duc de Bourgogne. Dès que sa fortune reprit le dessus, il se décida à le replacer dans son véritable rang, mais avec l'intention bien arrêtée de ne point recourir à la force. Plus belliqueux que lui, les hommes de son Conseil, ses légistes même, l'exciteront plusieurs fois à la guerre en même temps que ses capitaines : il résistera, parce que derrière le duc de Bourgogne il aperçoit le Dauphin son fils et le roi d'Angleterre, c'est-à-dire, la guerre étrangère et la guerre civile. Sa guerre à lui, c'est une guerre d'intrigues diplomatiques, de protestations et de protocoles, guerre de surprises et d'embûches, qui harcèlera le duc, qui l'enlacera de mille manières, et qui réussira si bien au roi de France qu'à la fin du règne le grand-duc d'Occident redeviendra à son insu et à l'étonnement de tout le monde, un vassal respectueux et presque soumis. Le secret de cette tactique, ce fut d'inquiéter le duc et
de le retenir dans ses États en l'occupant constamment, à l'intérieur par des
intrigues, au dehors par des alliances avec ses ennemis. Charles VII entre
par exemple en relations avec Ladislas, roi de Hongrie et de Bohème, qui du
chef de son grand-père, l'empereur Sigismond, revendiquait le Luxembourg ; il
l'excite secrètement, et il fait si bien qu'une ambassade solennelle vient
demander la fille même du rai de France pour Ladislas[40]. L'inquiétude du
duc est alors bien grande, car bien lui semblait,
dit Mathieu de Coucy, que par le moyen dudit traité le roi Charles baillerait aide et confort à ce roi
Lancelot, ce qui lui pouvait porter grand préjudice, et à ses pays et à ses
sujets[41].
Le roi de France intrigue en même temps auprès du Danemark, de Liège, de
Berne, de l'empereur et des princes de l'Empire, comme on le voit par les
termes d'un message que lui adressa le duc de Bourgogne pour dénoncer ces
attaques et d'autres encore. Il envoie aussi à plusieurs reprises des ambassades
auprès du duc de Savoie et auprès des Suisses pour les réserver à l'alliance
de la France[42].
Nous reviendrons sur ces négociations au chapitre des affaires extérieures. A l'intérieur de ses États, le duc de Bourgogne se vit enlacé dans une foule d'intrigues plus ou moins honnêtes que les légistes avaient imaginées pour la plupart, et qu'ils dirigeaient avec leur habileté et leur persévérance accoutumées. Le côté faible du duc, c'était cet esprit d'opposition des villes de Flandre que l'on comprimait sans cesse et qui sans cesse renaissait. C'est ainsi qu'en 1452 la ville de Gand s'était encore une fois révoltée[43]. Le roi, qui ne voulait pas d'une guerre avec la Bourgogne, ne fit rien pour la secourir ; seulement, comme l'occasion paraissait bonne pour inquiéter le duc et le faire réfléchir sur une intervention possible de la France, des ambassadeurs lui furent envoyés sous les murs de Gand, lesquels lui remontrèrent comment le roi se donnait de merveille de ce qu'il détruisait ainsi le pays de Flandre qui était tenu du roi, et que par le moyen d'icelle destruction, les Gantais pourraient mettre dans leur ville les Anglais, anciens ennemis du royaume[44]. Sous ce prétexte spécieux, le roi offrait son arbitrage. Les ambassadeurs eurent ainsi l'occasion de voir les Gantais, et ceux-ci purent se confier aux envoyés du roi de France et les solliciter contre le duc. Comme les envoyés du roi n'avaient pas mission de leur promettre du secours, il paraît qu'ils imaginèrent de les engager à recourir au parlement, dont la juridiction s'étendait, en effet, à la Flandre comme à la France, et les Gantais confièrent leur cause au Conseiller Me Jean de Popincourt, car ils savaient bien qu'il était un des hommes du monde qui le plus haïssait le duc[45]. Cela ne put empêcher la victoire de Philippe-le-Bon, mais il est probable que cette protestation et cette démarche l'inquiétèrent en lui faisant craindre pour l'avenir une intervention plus efficace. Les légistes s'acharnèrent encore dans d'autres occasions à faire sentir au duc de Bourgogne que plusieurs de ses États, la Flandre, l'Artois et la Bourgogne, n'étaient qu'une dépendance du royaume, et qu'ils relevaient tous de la juridiction du parlement. Accepter la suprématie de ce corps de justice qui dépendait de son adversaire, était pour le duc une obligation pénible et presque humiliante, et, d'autre part, il ne pouvait la contester sans violer la tradition politique qu'il avait si souvent besoin d'invoquer lui-même. Il voulut du moins se venger et se mit à entraver de mille manières l'action du parlement dans ses États. Mais il avait affaire à des adversaires que les obstacles et les antipathies ne faisaient qu'exciter à la persévérance. Le légiste savait toujours parvenir là où l'homme d'armes n'eût pas même songé à s'aventurer. On vit ainsi en 1464 un huissier venir prendre à la prison d'Arras un seigneur de Beaufort[46], condamné pour crime de vauldrerie par l'inquisition, et l'emmener aux prisons de Paris ; pour confirmer solennellement le droit du parlement. Un autre jour, en plein chapitre de la Toison d'Or, un autre huissier vint signifier en personne au duc, à son neveu, au comte d'Étampes et à toute la baronnie qui était là, un ajournement devant la cour pour un quidam dont le parlement évoquait l'affaire. Un de ces hardis sergents s'en alla une autre fois à Lille, le duc étant dans la ville, battre et rompre la porte de la prison pour en faire sortir un prisonnier[47]. Telles étaient les représailles que le parlement du roi se plaisait à exercer contre l'orgueilleux vassal[48]. Une autre vengeance qu'il affectionnait particulièrement, mais qui n'avait ni le mérite ni l'excuse de l'audace, était de faire traîner en justice les affaires du duc et de ses sujets, de les rendre immortelles, comme le disait Philippe-le-Bon dans des plaintes fort vives qu'il adressa au roi à ce sujet[49]. On voit qu'il ne tenait pas au parlement que le duc ne fût ramené à une juste obéissance, et contraint à ne plus oublier que sa maison était née d'un bienfait du roi Jean. Toute cette opposition était mesquine, si on le veut, et indigne d'une grande puissance ; mais elle fatiguait, elle déconcertait l'adversaire, et ses rêves d'indépendance devaient en être singulièrement troublés. Le Conseil fit encore à l'amour-propre du vassal une blessure bien cruelle en attaquant la formule de duc par la grâce de Dieu qui pouvait entretenir dans son esprit ou dans l'opinion publique, l'idée d'une indépendance absolue. Le duc de Bourgogne avait commencé à s'en servir en 1430, après avoir hérité des duchés de Brabant et de Limbourg, et comme il s'intitulait tout ensemble duc de Bourgogne, de Limbourg et de Brabant par la grâce de Dieu, la formule semblait s'adapter également à ces différents titres. Pendant les négociations du traité d'Arras et à la signature de ce traité, le duc s'en était servi sans que les ambassadeurs du roi eussent protesté, et dès ce moment le duché de Bourgogne fut généralement regardé comme un état indépendant de la couronne de France. Telle n'était pas cependant l'opinion du Conseil. En 1442 il avait obligé le comte d'Armagnac à renoncer au même titre ; en 1448 il entreprit le duc de Bourgogne. Après des négociations qui furent assez- longues, et qui montrèrent combien Philippe-le-Bon répugnait à donner satisfaction à son suzerain et à s'avouer son vassal, le duc finit par consentir à déclarer : qu'en se servant, depuis qu'il est duc de Brabant, de la formule par la grâce de Dieu, il ne prétend s'attribuer aucun droit nouveau sur les pays et seigneuries qu'il possède en France, et qu'il reconnaît à cet égard le roi pour son souverain seigneur. Le roi fait savoir de son côté qu'il veut bien, sous la réserve de la déclaration du duc, que la formule dont il s'agit demeure telle qu'elle a été écrite. Il est évident, en effet, qu'après la déclaration de Philippe-le-Bon personne ne pouvait plus attacher à cette formule l'idée d'une indépendance absolue[50]. Ainsi pressé de toutes parts par les Conseillers du roi et par ses légistes, le duc de Bourgogne, furieux, exaspéré, ne laissait échapper de son côté aucune occasion de représailles. Il accueillait à sa cour le Dauphin Louis, après sa fuite du royaume[51], et le traitait non pas en exilé, mais en roi ; il refusait d'assister comme pair de France au procès du duc d'Alençon[52], il protestait contre sa condamnation, il le maintenait dans son ordre de la Toison d'Or, car il ne tenait pas que le duc eût fait quelque faute et trahison contre le roi, et laissait prêcher publiquement que ledit duc avait été à tort condamné[53]. Cependant, malgré ces froissements réciproques, le duc de Bourgogne reprenait peu à peu le sentiment de sa dépendance, et vers la .fin du règne il reconnaissait de lui-même la suprématie du pouvoir royal. La délivrance si rapide du royaume après tant de victoires inespérées, ces mesures énergiques qui avaient si bien relevé l'administration et les lois, cette renaissance admirable de l'ordre et de la paix publique, inspiraient insensiblement à la grande noblesse aussi bien qu'au reste de la nation, une crainte mêlée de respect pour le pouvoir qui avait fait de si grandes choses. Le sentiment d'une patrie commune naissait aussi de ce grand spectacle. On comprenait qu'il y avait quelque chose au-dessus de ces unités provinciales ou municipales, où la vie politique s'était concentrée jusque-là, et le véritable patriotisme tendait à prendre la place de ces idées et de ces passions toutes locales. C'est ainsi que dans l'empire romain, les haines et les différences de race s'étaient insensiblement effacées sous l'influence de ces lois qui d'un mouvement uniforme donnaient l'ordre au monde entier. La grande féodalité était donc arrivée à son insu à subir quelque chose de ce prestige. Nous avons vu le duc d'Alençon protester avec énergie de son dévouement à la France, quand on lui reprochait ses sympathies pour la cause anglaise. Philippe-le-Bon s'avoue de même hautement pour Français, et quand il apprend que son fils songe à se marier en Angleterre, il lui défend, sous les peines les plus terribles, de s'allier à ces ennemis du royaume. Si je croyais que tu le tisses et que tu te voulusses allier, lui dit-il, je te bouterais hors de tous mes pays, et jamais des seigneuries que j'ai tu ne jouirais ; et encore plus, si je croyais que mon fils bâtard que voilà présent, te le conseillât, ou autres, je le ferais mettre en un sac et noyer, et tous ceux qui te conseilleraient de toutes ces choses[54]. Voilà un sentiment national énergiquement exprimé ! Quand le comte de Charolais songea à épouser quelque temps après la fille du duc de Bourbon, le duc de Bourgogne ne voulut rien conclure avant d'avoir obtenu le consentement du roi[55]. Vers la même époque, le dauphin qui s'était réfugié dans ses États, lui demandant des troupes pour chasser les Conseillers de son père, il lui déclara, dit Mathieu de Coucy, qu'il se mettrait de corps et de bien à son service, sauf contre le roi qu'il tenait si puissant, si sage et si prudent, qu'il saurait bien réformer ceux de son Conseil, sans qu'il soit besoin qu'autrui s'en mêle. Enfin, en 1453, à l'occasion du vœu qu'il avait fait de marcher contre les Turcs après la prise de Constantinople, Philippe-le-Bon alla jusqu'à prier le roi de se charger pendant son absence du gouvernement de ses États et de la tutelle de son fils unique, et il proposa même de faire cette expédition sous la bannière de la France ![56] Le serment qu'il prononça à cette occasion dans un chapitre de la Toison d'Or, est bien remarquable comme expression de sa déférence et de sa soumission. Que si le plaisir du roi très-chrétien et très-victorieux, dit-il, est d'entreprendre et exposer son corps pour la défense de la foi, je le servirai de ma personne audit voyage, et si les affaires de mondit seigneur étaient telles qu'il n'y pût aller en personne, et si son plaisir était d'y commettre aucun prince de son sang ou autre chef de son armée, je servirai et obéirai à sondit commis le mieux que je pourrai, ainsi que si lui-même était en personne[57]. On montrerait par de nombreux exemples que ces sentiments de soumission étaient à la fin du règne ceux de toute la noblesse[58]. Mais ce n'était pas seulement la puissance morale de la royauté qui s'était accrue, c'était aussi sa puissance matérielle. Nous ne parlons pas ici de la reprise de tant de provinces sur les Anglais, mais simplement des conquêtes faites sur la féodalité. Le lien féodal qui unissait la Bretagne et la Bourgogne au royaume avait été resserré ; le domaine s'était accru par la revendication d'une foule de terres usurpées ; des pays entiers y avaient été annexés, comme le comté de Comminges après le procès d'Armagnac, une partie des États de la maison d'Alençon, et surtout le Dauphiné, accru des comtés de Valentinois et de Diois, et qu'une ordonnance de 1457 enleva au Dauphin pour le restituer au domaine royal. Depuis le règne de Saint- Louis, la suprématie du pouvoir royal n'avait jamais été-aussi incontestable ni aussi unanimement reconnue. Excellente situation que Louis XI va malheureusement compromettre par ses exigences et ses perfidies ! |
[1] Ainsi les ducs de Bourgogne et de Bretagne, et le comte d'Armagnac.
[2] Les ordonnances de Charles VI, pour défendre aux seigneurs de lever des troupes sans l'assentiment du roi, pour interdire le droit de guerre privée, etc., montrent combien la subordination avait en effet disparu.
[3] Voyez aux institutions militaires, ce qui a été dit de l'ordonnance du 2 nov. 1439.
[4] Voyez l'ordonnance de 1451, citée aussi au chapitre des institutions militaires.
[5] Th. Basin, t. V, c. 25.
[6] C'est ainsi qu'en 1318 le parlement avait décidé, qu'aucune ville ne pouvait avoir de commune sans lettres du roi. — En cédant au roi de Navarre quelques domaines, Charles V stipulait aussi : qu'au roi seul, et pour le tout appartient le droit de bourgeoisie.
[7] Ordonnances, XIII et XIV, passim.
[8] Ordonnances, XIII, 190.
[9] Comme longtemps il y a que nous avons ordonné que de tous les fiefs et arrière-fiefs tenus de nous sans moyen et par moyen, certains et vrais registres fussent faits en chaque baillie et sénéchaussée de notre royaume, de quoi nos baillis ont été négligents, dont il nous déplaît fortement, pour ces motifs, etc. (Ordonnances, XIII, 299.)
[10] On a souvent répété, d'après le président Hénault, que Charles V accorda la noblesse à tous les bourgeois de Paris. L'ordonnance de ce prince, à laquelle on fait allusion, est du 9 août 1371 (Ordonnances, V, 418), et se borne à confirmer aux bourgeois de Paris l'autorisation d'acquérir des fiefs et d'acheter des lettres de noblesse sans leur conférer en aucune façon la noblesse avec toutes ses prérogatives.
[11] On sait que les premières lettres d'anoblissement ont été données par Philippe-le-Hardi à son orfèvre Raoul.
[12] Voyez Math. de Coucy, ap. Godefroid, p. 416.
[13] Godefroid, Historiens de Charles VII, p. 893.
[14] Pour J. Cœur, Bibliothèque impériale, manuscr. Dupuy, vol. 755, fol. 108, Nobilitatio Jacobi Cordis, argentarii domini regis, per litteras datas Landuni, mense aprili, 1440.
[15] Pour les frères Bureau, voyez Godefroid, p. 876.
[16] Pour G. Cousinot, voyez Godefroid, p. 878.
[17] Ordonnances, XIII, 233.
[18] Ordonnances, XIII, 486.
[19] Ordonnances, XIII, 313.
[20] Il faut bien que ces empiétements de la bourgeoisie sur la noblesse aient paru un danger à la noblesse, car les états du Languedoc s'en plaignent très-vivement dans leurs doléances de 1456. — Voyez l'ordonnance rendue sur ces doléances, XIV, 387.
[21] Ordonnances, XIII, 295.
[22] Ordonnances, XIII, 260 et 509.
[23] Ainsi la noblesse d'Auvergne. Nous l'avons, du reste, fait remarquer déjà. Voyez Godefroid, p. 410.
[24] En voici une preuve bien frappante. Le comte d'Armagnac, étant pressé par le parlement, en 1445, au sujet de son alliance avec l'Angleterre, ace qu'il ne pouvait faire sans le Consentement du roi et de son Grand-Conseil, ses gens consultent plusieurs seigneurs, les comtes de Foix, de Dunois, etc., et ceux-ci conseillèrent qu'ils ne voyaient aucun meilleur moyen que de requérir la miséricorde du roi, car si iceux différends se traitaient à la rigueur et sévérité de justice, il pourrait y avoir grand péril. (Math. de Coucy, ann. 1445, p. 548.)
[25] Art. 1er du traité d'Arras, Corps diplomat., p. 309 et suivantes, art. 24, id.
[26] Voyez les Mémoires de Jacques Le Fèbvre, seigneur de Saint-Remy, c. 187.
[27] Voyez J. Chartier, p. 165.
[28] Voyez Math. de Coucy, p. 548.
[29] Voyez J. Duclerc, éd. Buchon, c. 37.
[30] Voyez Math. de Coucy, p. 703.
[31] Les pairs ecclésiastiques présents étaient : l'archevêque de Reims, les évêques de Langres, de Laon et de Noyon. Des pairs laïques il y avait les comtes de Foix et d'Eu, et les envoyés des ducs de Bourgogne et de Bourbon, des comtes d'Anjou et de la Marche. De plus, le second fils du roi, Charles, le duc d'Orléans, le comte de Vendôme, le fils du duc de Savoie, le comte de Dunois, le connétable duc de Bretagne, les évêques de Paris, de Coutances, l'abbé de Saint-Denis, etc. — Aux pairs laïques et ecclésiastiques et aux Conseillers on avait adjoint 34 membres du parlement. C'était une tradition déjà ancienne de confondre la cour des pairs avec la cour de justice, et l'on sait que cette coutume se perpétua jusqu'à la fin de l'ancienne monarchie. L'esprit d'indépendance que la pairie aurait pu conserver devait insensiblement s'émousser et même disparaître au sein de cette réunion, où les membres de la haute bourgeoisie étaient en majorité. Il est vrai que le parlement voulut prendre à plusieurs reprises occasion de la présence de ces pairs pour s'approprier une partie de la puissance politique, mais ces prétentions furent toujours repoussées.
[32] Voyez J. Duclerc, c. 37.
[33] En 1423. (Voyez J. Chartier, p. 11.)
[34] Le chroniqueur de Richemont dit que le connétable, ayant déclaré qu'il restait fidèle au roi, fut attaqué de paroles de Mgr de Bourbon, de Mgr de Vendôme et du bâtard d'Orléans, qui fort cuida prendre paroles à mondit seigneur pour trouver manière de mettre la main sur lui. Et si n'eût été Antoine de Chabannes, qui leur dit qu'ils feraient mal de le prendre, ils l'eussent pris.... (Chronique de Richemont, coll. Petitot, t. VIII, p. 514.)
[35] L'histoire de Jean Chartier contient sur ce duc François Ier et ses rapports avec Charles VII jusqu'à sa mort en 1457, des détails qui montrent combien la politique du Conseil faisait partout au roi des amis dévoués de ses vassaux les plus indociles en apparence. Il s'était, dit J. Chartier, grandement travaillé de sa personne à la conquête de la Normandie, et y avait employé ses gens et grandes finances pour le service du roi. Ce prince en son vivant aimait le roi de France naturellement comme il y est assez apparu ; car il a porté guerre à tous ceux-qui avaient été et qu'il savait être contre lui, mêmement contre l'un de ses propres frères, nommé messire Gilles de Bretagne, qu'il n'épargna pas, lequel, au préjudice du roi de France, et sans quelconque adveu de lui, avait reçu l'ordre du roi d'Angleterre, qu'on appelle la Jarretière, et de plus avait accepté l'office de connétable du royaume d'Angleterre. Par quoi tôt après que ceci fût venu à sa connaissance, il le fit prendre et mettre à aucuns de ses châteaux, où il fut pour long espace de temps bien diligemment gardé ; pendant quoi le dit Gilles était souventes fois exhorté et admonesté par icelui duc son frère, ses parents, subjets et autres bienveillants du royaume de France, de laisser la querelle et abandonner le parti des Anglais, qu'il soutenait contre raison, justice et tout ordre de droit. (J. Chartier, p. 212.)
[36] Chronique de Richemont, p. 537.
[37] Chronique de Richemont, p. 559. — Voyez aussi l'Histoire de J. Chartier, p. 221.
[38] Ordonnances, XIII, p. 139.
[39] Dans ses lettres, Philippe-le-Bon s'intitule : duc de Bourgogne, Lorraine, Brabant et Limbourg ; comte d'Artois, Flandre et Bourgogne ; palatin de Hainaut, Zélande, Hollande, Namur ; marquis du Saint-Empire ; seigneur de Frise, de Salins et de Malines.
[40] Voyez les Mémoires de J. Duclerc, c. 30 ; Math. de Coucy, p. 709 et suivants, et Th. Basin, qui consacre plusieurs pages à l'histoire de ces rapports, t. V, c. 15.
[41] Math. de Coucy, p. 709.
[42]
Voyez J. Duclerc, Mém., et aussi Th. Basin, t. V, c. 15.
[43] Th. Basin, t. V, c. 8 et 9.
[44] J. Duclerc, c. 18, 19, 20.
[45] Chronique de Jacques Delalain, dans Monstrelet, éd. Buchon, t. XLI, p. 373.
[46] Mémoires de J. Duclerc, t. IV, c. 19.
[47] J. Duclerc, t. IV, c. 19.
[48] Il le contrecarrait aussi à l'occasion de la collation des bénéfices. Ainsi, en 1453, il cassa le choix fait par le duc pour le siège épiscopal d'Arras.
[49] J. Duclerc, t. IV, c. 2.
[50] Voyez aux Ordonnances, XIV, p. 43, les lettres intitulées : Lettres de Charles VII, par lesquelles il consent que Philippe, duc de Bourgogne, de Lothier, de Brabant, etc., ajoute à ses titres les mots par la grâce de Dieu, vu la déclaration du duc qu'il ne prétend par là aucun droit nouveau sur les terres qu'il tient en France sous la souveraineté du roi. — Les lettres du duc dont il est fait mention étaient du 26 nov. 1448 ; celles du roi sont à la date du 28 janv. 1449.
[51] Th. Basin, t. V, c. 19.
[52] J. Duclerc, t. III, c. 37.
[53] J. Duclerc, t. IV, c. 25.
[54] J. Duclerc, t. III, c. 17.
[55] Math. de Coucy, p. 687.
[56] Th. Basin, t. V, c. 14. — Math. de Coucy, p. 701.
[57] Math. de Coucy, p. 673.
[58] Ainsi par les termes du serment du comte de Saint-Pol dans les mêmes circonstances : Je voue aux dames et au faisan que avant qu'il soit six semaines je porterai une emprise en intention de faire armes à pied et à cheval : laquelle je porterai par jour et la plus partie du temps ; et ne laisserai pour chose qu'il m'advienne, si le roi ne me le commande, ou si armée se fasse aller sur les infidèles par le roi en sa personne, par son commandement ou autrement, si c'est le bon plaisir du roi, j'irai en ladite armée de très-bon cœur pour faire service à la chrétienté.... (Olivier de la Marche, t. IX, coll. Petitot, c. 30.)