HISTOIRE GRECQUE

TOME QUATRIÈME

LIVRE CINQUIÈME. — LA DOMINATION DE SPARTE EN GRÈCE (DE 404 A 379 AV. J.-C.).

CHAPITRE TROISIÈME. — SPARTE ET LA PERSE.

 

 

§ I. — SPARTE VICTORIEUSE.

Tandis qu'Athènes était tout occupée d'elle-même, Sparte restait à la tête du monde hellénique ; elle était le seul État possédant la volonté et la puissance de régler les affaires des autres cités, le seul qui représentât la Grèce aux yeux de l'étranger. La politique de Sparte allait donc déterminer la marche ultérieure de l'histoire grecque, et c'est ce que montre tout d'abord l'attitude qu'on prit à l'égard de l'homme à qui Sparte devait l'hégémonie en Grèce.

On s'aperçut bientôt que cette hégémonie n'était qu'apparente, car les gouvernements oligarchiques des différentes villes se souciaient peu des autorités de la capitale ; ils ne regardaient que Lysandre. Tout ce qui lui était hostile était proscrit ; toutes les personnes investies de quelque pouvoir étaient ses créatures ; les États où elles gouvernaient dépendaient de sa volonté.

Plus longtemps la Grèce avait été le théâtre d'une confusion générale, l'arène où les éléments contraires s'étaient livré des assauts marqués par de perpétuelles vicissitudes, plus puissant fut l'effet que produisit ]'apparition d'un homme grâce auquel une volonté unique prévalut tout d'un coup sans conteste dans l'Hellade entière. Cette apparition éblouit les hommes, si bien que ceux même qui ne relevaient pas immédiatement de lui rendirent hommage au maître tout-puissant : on ne se borna pas cette fois aux témoignages honorifiques accoutumés, aux couronnes d'or et autres dons semblables, mais on se permit alors pour la première fois de décerner à des mortels des honneurs divins. A Samos, qui avait bravé Lysandre plus longtemps encore qu'Athènes, le nouveau gouvernement ne rougit pas de transformer l'antique fête nationale de Héra de manière que Lysandre en devînt le héros. Des autels lui furent dressés, des sacrifices allumés en son honneur, des hymnes composés à la louange du nouveau héros[1].

Lui-même ne repoussait aucune espèce de flatterie ; il tenait à être considéré comme un être d'un ordre supérieur. Comme jadis Pausanias, ce Spartiate dégénéré étala le faste d'un satrape. Il s'entoura d'une cour et attira auprès de lui tous les talents qu'il espérait voir rehausser son éclat : il parut en arbitre du concours dans la fête qui portait son nom ; de médiocres poètes, comme Antilochos, récoltèrent pour prix de quelques vers de riches dons en argent. Mais il sut aussi attirer dans sa sphère des hommes remarquables, notamment les poètes épiques Antimachos de Colophon, disciple de Panyasis, et Chœrilos, né dans l'esclavage à Samos et qui s'était élevé au-dessus de sa condition par sa beauté et son talent. Chœrilos connaissait Hérodote, et son commerce avec l'historien lui avait suggéré l'idée de traiter de grands sujets nationaux. Les récits d'Hérodote lui fournirent la matière d'un poème épique, et, s'il lui manquait la simplicité et la chaleur naturelle, il eut pourtant l'heureuse fortune que sa Perséide fût mise par les Athéniens à côté des poèmes homériques et lue dans leurs écoles. Mais Chœrilos avait plus de talent de caractère, et, après avoir gagné une si noble gloire comme poète patriotique, il se laissa aller à rendre hommage à l'oppresseur de la liberté grecque et devint le compagnon inséparable de Lysandre[2].

L'outrecuidance démesurée de Lysandre, qui se faisait célébrer sans pudeur par ses poètes comme le stratège de l'Hellade[3], devait provoquer une réaction. Se prévalant de, sa fonction d'amiral, qui constituait un rouage à part en dehors de l'organisme de l'État spartiate, et se fondant sur les pleins pouvoirs spéciaux qui lui avaient été dévolus pour le règlement des affaires grecques, il s'était arrogé une puissance qui dépassait toutes les bornes. Il cherchait à enchaîner toujours plus étroitement à sa personne les équipages de la flotte, qui se recrutaient de préférence dans les classes inférieures de la population de Lacédémone, en enrichissant son monde par tous les moyens. On savait que sa soumission à la constitution nationale n'était qu'apparente, et que ce serait pour son ambition une contrainte insupportable de rentrer volontairement sous l'obéissance des lois de Lycurgue. Ses ennemis se remuaient partout pour amener une intervention énergique du gouvernement. Mais plus efficaces que toutes les plaintes des Grecs maltraités furent celles de Pharnabaze, qui, durant les dernières années, avait maintenu sans interruption sa faveur aux Spartiates et leur avait prêté la plus sérieuse assistance.

La première résistance que rencontra Lysandre fut provoquée par les mesures qu'il prit à Sestos. Là, il avait expulsé tous les citoyens ayant domicile, pour distribuer les maisons et les propriétés vacantes aux individus qui avaient servi sur sa flotte. C'était par conséquent une sorte de colonie de vétérans, établie sur un des points les mieux situés pour dominer la mer ; fondation qui, abstraction faite de l'iniquité du procédé, ne pouvait être tolérée, parce qu'elle n'avait d'autre but que de procurer à Lysandre un point d'appui solide pour sa puissance personnelle. Sous l'influence de Pausanias, les éphores prirent une attitude virile ; ils prescrivirent l'abrogation de cette mesure, et les anciens citoyens rentrèrent dans leurs possessions[4]. Ce fut la première humiliation de Lysandre.

On livra un deuxième assaut à sa puissance quand on demanda compte. de ses actes à l'un de ses plus fidèles adhérents, au Lacédémonien Thorax, qu'il avait placé à Samos comme gouverneur militaire. Ce dernier n'avait pas fait autre chose que les autres compagnons de Lysandre, il avait profité de l'occasion pour acquérir de l'argent et des biens ; on regardait les vieilles institutions de Sparte comme tombées en désuétude, et, sous la bannière du général qui faisait tout pour exciter et satisfaire leur cupidité, ces concussionnaires se croyaient en pleine sûreté. Aussi ce fut un rude coup quand Thorax fut traité à Sparte selon la rigueur des lois anciennes et exécuté pour avoir indûment possédé une fortune personnelle[5].

Après ce succès, il ne restait plus à faire que le dernier pas. Ce qui en fournit l'occasion, ce furent les avis répétés de Pharnabaze sur la conduite sans scrupules de Lysandre, dont les incursions pillardes le troublaient sur son propre territoire. Les éphores, sans autre formalité, dépêchèrent vers la flotte et firent remettre à Lysandre l'ordre exprès de rentrer et de venir rendre compte de ses actes[6]. On agit avec lui à beaucoup d'égards comme jadis avec Pausanias. Il s'était, dans le vertige de son orgueil, tenu pour indispensable et inattaquable, sans examiner de plus près les fondements de sa grandeur. Il lui advint, malgré toute son habileté, qu'au moment décisif il se montra incapable de parer aucune attaque, et qu'il dut recourir, pour se sauver, aux plus humbles marques de soumission. Il savait que, de toutes les plaintes, celles de Pharnabaze avaient été les plus efficaces. C'est donc à lui qu'il s'adressa, lui demandant une lettre de recommandation qui pût lui valoir à Sparte un jugement plus favorable. Le satrape condescendit en apparence à sa prière, et même lui lut un certificat dont Lysandre pouvait être pleinement satisfait ; mais il y substitua un autre écrit, plus acerbe que toutes les notes précédentes, et attira ainsi au général la plus grande humiliation : car ce dernier remit aux éphores la prétendue lettre de recommandation et se vit forcé d'entendre lire devant lui tout l'opposé[7].

Il n'osa ni se défendre ni attendre le jugement. Il prétexta un vœu qui l'obligeait envers Zeus Ammon[8] et obtint, non sans peine, l'autorisation de faire ce voyage[9]. Que des visées politiques y fussent rattachées, le caractère de Lysandre, qui ne renonçait pas d'un coup à ses plans, rend la conjecture vraisemblable ; d'autant que sa famille avait déjà des relations anciennes en Libye, comme permet de le supposer le nom de son frère Libys[10] L'oracle d'Ammon, dont l'autorité était reconnue même en Grèce, pouvait être d'un réel secours pour l'audacieux capitaine, et nous trouvons Lysandre en relations fréquentes avec les oracles, désireux qu'il était de gagner à ses innovations les corporations sacerdotales[11].

Après l'abaissement de Lysandre, il s'agissait de savoir si Sparte était capable d'arriver à la direction des affaires helléniques autrement que par les procédés violents dont Lysandre avait donné l'exemple, et jusqu'à quel point elle était en état de remplir la tâche qui lui était échue à la fin de la guerre du Péloponnèse.

Sparte avait incontestablement pris un brillant essor ; elle avait secoué l'inertie qui la paralysait ; elle était sortie de son étroite sphère, et si bien qu'elle avait abattu son adversaire par des victoires remportées dans les mers lointaines. Même la puissance que donne l'argent, elle l'avait maintenant dans sa main, et une série d'œuvres d'art, commandées par l'État, annonça désormais aux Hellènes l'ère glorieuse qui venait de s'ouvrir pour Sparte. Sur une acropole on érigea deux Victoires, offrandes consacrées par Lysandre en mémoire des deux victoires navales d'Éphèse et d'Ægospotamoi ; dans le sanctuaire d'Amyclæ, deux trépieds qui dépassaient en hauteur l'es anciens trépieds dressés au même lieu en souvenir des guerres de Messénie. Mais c'est à Delphes que la victoire fut solennisée avec le plus d'éclat par un magnifique groupe de statues[12], dont la rangée antérieure représentait les Dioscures, Zeus, Apollon, Artémis et Poséidon, ce dernier posant une couronne sur la tête de Lysandre : Abas le devin, et le pilote du vaisseau amiral, Hermon, étaient encore compris dans cette rangée. Un deuxième rang comprenait les statues de ceux qui avaient pris une part saillante à la victoire : c'étaient des hommes d'origine fort diverse, les chefs du parti péloponnésien, comme Cléomède de Samos[13], qui en même temps figuraient là comme représentants de leurs cités respectives. Le groupe offrait l'image symbolique d'une confédération nouvelle, formée des Grecs ligués contre Athènes, qui devaient, comme jadis les cités liguées contre la Perse, représenter l'élite de la nation. Ces œuvres d'art et d'autres encore attirèrent une foule d'artistes qui entrèrent au service de Sparte. C'était sans aucun doute l'intention de Lysandre d'éclipser Athènes sous ce rapport aussi et de faire de sa patrie un centre nouveau de l'art national, et, si l'on ne put exclure absolument tous les disciples de Phidias, au moins on n'admit aucun Athénien et l'on ne prit que des artistes du Péloponnèse et des îles.

Mais ce brillant essor n'était au fond qu'une vaine apparence. Le triomphe obtenu par les armes de Sparte était de telle nature qu'il ne pouvait provoquer aucun enthousiasme véritable, car c'était l'argent des Barbares, c'était la trahison et la fraude qui l'avaient remporté, et à toute cette grandeurs que devaient glorifier tant de chefs-d'œuvre, on avait en réalité plus perdu que gagné. Car, si incapable que fût l'ancienne Sparte de se faire une politique de grande puissance, elle était du moins solide et sûre d'elle-même : à se borner ainsi, elle se trouvait d'autant plus forte, et tout le parti conservateur en Grèce admirait l'État de Lycurgue qui, au milieu de toutes les vicissitudes, au milieu de l'insécurité et de la confusion croissantes, était toujours demeuré semblable à lui-même et fidèle à ses principes.

Mais, en fait, cet État n'existait plus. La constitution de Lycurgue était telle, en effet, qu'il lui fallait ou périr ou se maintenir immuable. Or. le maintien en était impossible, puisque les Spartiates n'avaient réussi qu'en reniant de tout point leurs maximes traditionnelles à mener à fin la lutte contre Athènes. Dans l'État de Lycurgue, l'énergie des hommes devait être tout, et ce n'est que dans certains cas exceptionnels que le gouvernement pouvait disposer d'un Trésor, qui s'alimentait des redevances payées par les population sujettes et qui, pour tenir loin des yeux autant que possible l'éclat de l'argent, était déposé hors du pays, en Arcadie, à Delphes et autres lieux[14] ; Trésor beaucoup trop insignifiant, d'autre part, pour constituer une véritable source de puissance. Or on avait fait l'expérience, pendant la guerre, que la vieille bravoure spartiate ne suffisait plus et que le succès, en fin de compte, dépendait des ressources pécuniaires : aussi avait-on frappé à la porte des Perses ; on s'était prêté aux négociations les plus honteuses avec les Barbares, et, avec l'honneur de l'État, on avait perdu le sentiment même de l'honneur. Les dernières années de la guerre avaient amené à Sparte des masses d'argent, et, plus on avait jusque là artificiellement réprimé l'avidité humaine, plus irrésistible éclata alors la soif de l'or. Dans des cas isolés, on pouvait bien renouveler dans toute sa rigueur l'interdiction de posséder pour soi le métal précieux, comme on avait fait pour Thorax, mais il n'y avait plus moyen d'exercer un contrôle général ; la tentation si subitement mise à la portée du désir fit succomber des hommes comme Gylippe[15], qui détournèrent les fonds publics. Tandis que les uns trouvaient des moyens et des biais pour s'enrichir en secret, les autres s'appauvrissaient à cause de l'élévation du prix des subsistances due à la diffusion du numéraire, et ceux-ci tombèrent si bas qu'ils furent hors d'état d'acquitter les contributions prescrites et perdirent en conséquence la plénitude de leurs droits civiques ; ils furent exclus des repas communs, tandis que les riches n'y prenaient part que pour la forme et allaient faire bonne chère ensuite à leur table particulière[16].

Cette hypocrisie s'étendait à toute la vie du Spartiate ; elle était la conséquence inévitable de cette constitution qui excluait toute idée de progrès conforme à l'esprit du siècle. Lysandre lui-même était le type de cette légalité tout. extérieure : il conservait avec une sévérité pédantesque la coupe traditionnelle du vêtement et de la chevelure, tandis qu'il reniait sans scrupule les principes moraux de l'État et méditait le renversement de la constitution tout entière.

Le nombre des citoyens actifs s'était réduit chaque jour davantage par l'extinction des familles et par l'appauvrissement général. On persistait, après comme avant, à tenir à l'écart les éléments étrangers l'on n'avait fait qu'une exception en faveur du divin Tisaménos d'Élis, qu'on n'avait pu gagner qu'au prix du droit de cité, lors de la bataille de Platée[17]. De même, on avait négligé de compléter le corps politique avec les couches inférieures de la population, mesure autorisée pourtant par la constitution et prévue par le législateur. On s'était vu contraint,. il est vrai, aux époques difficiles, de chercher des forces pour le salut de l'État là où elles se trouvaient. Brasidas avait montré la manière dont l'État pouvait utiliser ses paysans et hilotes : Lysandre était allé encore plus loin ; il avait employé des Lacédémoniens de condition inférieure dans les fonctions les plus importantes et froissé ainsi profondément maintes républiques grecques, en les faisant gouverner par des gens de souche servile. Mais chez eux on les récompensait des services rendus par la plus injurieuse ingratitude ; l'étroit esprit de caste se révoltait à l'idée d'accorder à la population non-dorienne des droits plus étendus et de l'admettre à la jouissance égale de la propriété foncière, malgré le nombre des lots de terre vacants. D'ailleurs, parmi les Doriens même, les riches s'isolaient à leur tour des pauvres et formaient un groupe toujours plus restreint de familles, une classe privilégiée[18], qui gouvernait l'État d'après ses propres intérêts. A l'égalité tant vantée s'était substituée une oligarchie oppressive, la domination d'une noblesse d'argent et de charges, qui veillait avec d'autant plus de jalousie sur ses privilèges que le fondement en était moins légal. Comme d'ailleurs, malgré cette dégénérescence, l'apparence de l'ancien régime était soigneusement conservée et qu'on ne changeait pas une lettre aux lois fondamentales de l'ordre social, Sparte était nécessairement envahie par un esprit de mensonge, qui ne pouvait exercer sur la population entière qu'une action démoralisante au suprême degré.

Il y a un rapport étroit entre ces plaies sociales et les atteintes portées à la constitution. La royauté, dont la mission consistait à surveiller l'égalité des biens et des droits, était, un peu par sa propre faute, tombée dans l'impuissance. Déjà par l'adjonction d'un conseil de guerre (depuis 448 av. J.-C.[19]) elle s'était vu dépouiller de la pleine possession de sa prérogative la plus considérable, le commandement en chef de l'armée. Un empiètement plus dangereux encore, ce fut l'institution de la navarchie, l'innovation la plus caractéristique introduite dans l'organisme de l'État[20]. Comme désormais les événements décisifs avaient la mer pour théâtre, la jalousie des rois s'irrita d'autant plus contre la charge nouvelle, et, lorsque Lysandre tira à lui toute la gloire militaire, le conflit prit de telles proportions que les rois levèrent une armée pour déjouer les entreprises de leur adversaire. On vit les autorités suprêmes de Sparte faisant campagne en Attique l'une contre l'autre, et il fallut tout l'art de dissimulation familier aux Spartiates pour cacher la rupture qui divisait leur politique et pour conserver les dehors de l'union.

Les autres ennemis de la royauté étaient les éphores, qui grandissaient en puissance à mesure que cette dernière tombait dans le mépris. De résolutions émanant de l'assemblée du peuple, il n'en apparaît plus depuis le commencement de la guerre ; de même, le conseil des Anciens, la Gérousia, a perdu toute influence politique ; toute la puissance réside dans les éphores. Leur élection est menée par les riches, et ils gouvernent dans l'intérêt du parti dominant. Dans le différend entre rois et navarques, le collège des éphores reste neutre, et il arrive que les décisions de la plus haute gravité ne passent que grâce à la voix d'un seul éphore. Comme le collège, annuellement renouvelé, se composait souvent de gens accessibles à la corruption, il n'était pas difficile aux divers partis de gagner une majorité pour dicter la politique de l'État[21]. C'est par de telles influences que se déterminait l'attitude de Sparte, et, si elle mettait quelque conséquence dans sa politique, elle le devait, d'une manière générale, à la subordination des éphores vis-à-vis de l'oligarchie des riches, qui s'était substituée en fait aux pouvoirs constitutionnels. Comme en outre les deux maisons royales, dans leur hostilité jalouse, continuaient à se faire échec l'une à l'autre et n'étaient amenées que dans les cas les plus rares par leurs intérêts communs à concerter leur action, on voit combien était profonde la désorganisation de l'État : spartiate, et l'on conçoit à peine comment il avait encore la force de braver les périls de toute nature qui le menaçaient sur son propre 'territoire, et de garder au dehors une position qui commandât le respect.

C'était la force inerte de l'habitude qui maintenait la cohésion de l'État, l'habitude du commandement et de l'obéissance, habitude implantée depuis des siècles dans la vallée de l'Eurotas. La population sujette n'avait ni centre, ni unité, ni organe, et, s'il existait une institution bien réglée chez les Spartiates, c'était le contrôle de police que les éphores exerçaient dans le pays ; cette surveillance contenait la population rurale, toujours en effervescence, dans la crainte et la terreur. De plus, malgré la désorganisation du système politique, il s'était conservé dans la vie sociale bien des vertus de l'ancien temps. Certains traits fondamentaux de morale étaient passés dans le sang des Spartiates, l'esprit chevaleresque, la bravoure, le mépris de la mort, la discipline et l'obéissance, la fidélité au culte des dieux et le soin d'honorer les morts. Ces traits de la nature spartiate reparaissaient toujours aux moments critiques ; et c'est ce qui explique que Sparte, même dégénérée, eût encore des admirateurs enthousiastes et que ses citoyens, en se montrant même isolés en pays étranger, pussent exercer par leur personnalité la plus grande influence, un ascendant qu'on n'eût jamais reconnu aux citoyens d'un autre État.

De plus, à ces bons côtés, qui s'étaient conservés, s'étaient ajoutées quelques qualités acquises, que le passé ne connaissait pas. La gaucherie, le langage bref et l'esprit étroit d'autrefois. avaient disparu ; le progrès du siècle avait trouvé accès aussi à Sparte : : quelle habileté chez des hommes comme Brasidas, Gylippe, Lysandre, quelle habileté dans la parole et l'action ! On avait vu se former une grande variété de caractères différents ; il y avait de rudes gens de guerre comme Cléarchos, et de fines natures de Sisyphes, comme Dercyllidas et Antalcidas. Dans les maisons royales aussi on voyait poindre par moment un esprit plus élevé, une conception plus libre des choses dominer l'étroit point de vue du dorisme et des coteries politiques. Pausanias avait le sens de ce qu'était Athènes pour la patrie commune, et il entretenait avec les chefs des partis démocratiques dans les autres villes des relations amicales. Ce qu'il y avait de plus rare, sans contredit, c'étaient des hommes sachant allier aux vertus du passé, au vieil esprit spartiate, une culture plus avancée, l'intelligence et l'énergie, des hommes comme Lichas et Callicratidas. En règle générale, nous trouvons ou bien une indolence qui végète dans les formes coutumières, ou la révolte contre la tradition, aboutissant à une rupture complète.

Les affaires intérieures de Sparte dictaient aussi son attitude au dehors, en face des États du Péloponnèse aussi bien que des autres cités. Car lm État si troublé dans son propre régime n'était guère propre à fonder un régime quelconque au dehors, ni à dominer d'un point de vue fixe la situation générale. On n'avait pas à Sparte la ferme volonté de satisfaire à la tâche patriotique qui, après la chute d'Athènes, était échue aux Spartiates, et de répondre enfin à la confiance patiente d'un si grand nombre d'Hellènes. Ce qui parut au contraire alors, c'est que la modération et la prudence dont Sparte avait fait preuve n'avaient été que l'effet de la peur ; car, la peur une fois évanouie, le découragement, l'indécision d'autrefois se tourna en une insolente outrecuidance, et si jadis, sous le coup des échecs de la guerre d'Arcadie, Sparte avait quitté la carrière des conquêtes pour prendre les formes plus douces de l'hégémonie, elle rentrait aujourd'hui sans pudeur dans sa vieille politique de violence ; elle ne songeait p as à reconnaître la bonne volonté de ses fidèles alliés ; elle envoyait ses harmostes jusque dans leurs villes et ne suivait que le brutal instinct de la domination, sans aspirer à autre chose qu'à exploiter de toutes ses forces les avantages momentanés de la situation.

Cependant, Sparte estimait trop haut sa puissance. Dans la péninsule aussi, bien des choses avaient changé. Il régnait un mécontentement partout répandu au sujet de la façon dont la guerre était conduite : la paix de Nicias avait déjà fortement ébranlé l'autorité du chef-lieu, et la mauvaise humeur ne fit qu'augmenter après l'occupation d'Athènes. Sparte agissait, en définitive, comme s'il n'existait pas d'alliés dont les intérêts fussent en jeu. Les Arcadiens, Achéens, Corinthiens se plaignaient que les sacrifices faits par eux durant les longues années de la guerre ne leur eussent rien rapporté ; l'Élide avait pris depuis quelque temps déjà une attitude hostile à l'égard de Sparte. Cette fois encore, ce fut Corinthe qui se prononça le plus hardiment. Elle avait vu repousser sa proposition d'anéantir Athènes[22] ; elle réclama au moins une part du butin qui affluait en masse à Sparte. Mais le simple fait d'émettre des réclamations pareilles fut regardé comme une prétention exorbitante, et l'on refusa d'en tenir compte dans une juste mesure. C'est ainsi que l'esprit d'iniquité et d'oppression qui régnait au-dedans de l'État passa dans les relations extérieures.

Les États lésés se groupèrent et cherchèrent du soutien au delà de l'isthme, notamment Corinthe auprès de Thèbes.

Thèbes avait le plus contribué, avec Corinthe, à attiser la guerre qui avait rendu à Sparte sa prépondérance absolue ; elle avait travaillé avec une infatigable ténacité contre les Athéniens, non dans le but d'agrandir Sparte, mais pour avoir de son côté les coudées franches au nord de l'Isthme. Aussi Thèbes avait, comme Corinthe, l'une à cause de sa puissance continentale, l'autre à cause de sa puissance maritime, souhaité l'anéantissement d'Athènes. Mais, quand les Spartiates mirent des troupes dans Athènes et laissèrent percer leur intention de réduire la Grèce centrale comme les îles à la condition de pays sujets, Thèbes changea de politique, parce qu'elle aimait infiniment mieux Athènes cité libre avec des forces restreintes que servant de place d'armes aux Spartiates. Ainsi Thèbes, en favorisant la restauration de la démocratie athénienne, entra en opposition ouverte avec Sparte, et, d'accord avec Corinthe, elle refusa son corps auxiliaire quand le roi Pausanias réclama les contingents.

Corinthe était particulièrement irritée de la conduite des Spartiates à Syracuse. Là, pendant les dernières années de la guerre du Péloponnèse, la tyrannie et le peuple vivaient en état de lutte. Le chef du peuple était Nicotélès, venu de la métropole pour sauver la constitution de la cité fille de Corinthe, l'adversaire le plus acharné de Denys. Immédiatement après la bataille d'Ægospotamoi, Sparte aussi fut mêlée à l'affaire. Probablement le parti constitutionnel chercha de l'appui auprès des Spartiates, les anciens dompteurs de tyrans, et ceux-ci envoyèrent aussitôt sur les lieux Aristos, soi-disant avec la mission de renverser Denys ; mais en réalité ils avaient de tout autres vues. Comme ils n'avaient eux-mêmes d'autre idée que d'opprimer les faibles, un tyran disposant de forces militaires leur paraissait le plus Opportun des alliés. Aussi ne rougit-on pas de déshonorer le nom de Sparte par la plus odieuse iniquité. Aristos trompa complètement la confiance des citoyens, fit disparaître le noble Nicotélès, et son aide mit Denys en pleine possession de son pouvoir anticonstitutionnel[23].

Mais c'est avec la Perse que les rapports de Sparte furent le plus importants et le plus féconds en conséquences.

Les Perses avaient fourni les moyens d'achever la guerre ; aussi, de tous les alliés de Sparte, ils furent les seuls qui reçurent leur salaire. Pharnabaze réunit pour la première fois comme jadis toute la Mysie et la Troade sous la suzeraineté du roi de Perse, et si Lysandre osa résister sur l'Hellespont aux prétentions de la Perse, la chute de ce capitaine est une preuve assez évidente de l'ascendant dont le satrape jouissait à Sparte. La situation était tout autre en Ionie. Les choses y avaient pris une telle tournure, que, bien que les Spartiates eussent renoncé à tout pays asiatique, il s'offrait à eux une occasion très favorable d'y faire prévaloir leur influence et d'y poursuivre une politique à eux : tout dépendait de la façon dont ils profiteraient de l'occasion.

Le roi Darius était mort l'année de la bataille d'Ægospotamoi sans que Parysatis fût parvenue à lui arracher une déclaration en faveur de Cyrus, auquel elle espérait faire attribuer la dignité suprême par les mêmes motifs qu'Atossa avait autrefois invoqués pour Xerxès[24]. Lorsque Cyrus courut au lit de mort de son père, il se vit complètement déçu dans son attente et forcé d'assister en témoin, à Pasargade, à l'avènement solennel de son frère Artaxerxès[25]. Il courut même, au lieu de devenir roi, le danger d'être exécuté comme criminel d'État ; car Tissapherne, qu'il avait emmené avec lui à Suse, l'accusa d'avoir formé le projet d'assassiner son frère, au moment où celui-ci revêtirait les insignes royaux. Tissapherne eut l'art de confirmer cette accusation par l'attestation d'un prêtre, celui qui enseignait la religion à Cyrus, et Cyrus aurait été exécuté sur-le-champ si Parysatis ne l'avait protégé de sa personne contre les gardes du corps[26]. Elle obtint pourtant un résultat plus sérieux. Comme Artaxerxès était d'humeur douce et docile envers sa mère, il se laissa persuader de renvoyer son frère dans sa province sans rien lui ôter de ses pleins pouvoirs. II espérait le gagner par sa générosité.

Mais Cyrus, à son retour, fut plus fermement résolu que jamais à mener à bout ses desseins, et il sut exploiter dans le sens de ses projets les difficultés qui l'attendaient en Asie-Mineure. Tissapherne notamment, qui s'était senti froissé de la première nomination de Cyrus au commandement suprême de l'Asie-Mineure, qui condamnait toute la politique de ce dernier, c'est-à-dire l'attachement sans réserve à Sparte, et qui maintenant, après l'avortement de son complot contre la vie de Cyrus, ne se sentait pas en sûreté tant que durerait la puissance de ce prince et de son parti, Tissapherne se tenait aux aguets à ses côtés et cherchait des occasions nouvelles de perdre son rival. On en vint même aux hostilités ouvertes.

Tissapherne avait, outre la satrapie de Carie, une série de villes maritimes sur la côte d'Ionie où il exerçait des droits de souveraineté[27]. Or Cyrus tenait à tout prix à en devenir maître. Il avait su gagner les sympathies des Grecs d'Asie ; il avait favorisé la liberté populaire dans les villes, et les avait enlevées ainsi au parti de son adversaire. Quand Milet à son tour fit défection, Tissapherne intervint avec une extrême rigueur ; il fit exécuter comme coupables de haute trahison les chefs du mouvement et expulsa les autres de la ville. Les proscrits trouvèrent accueil auprès de Cyrus et lui fournirent le prétexte tant désiré de rassembler une armée, qui n'avait d'autre but en apparence que d'assiéger Milet et de repousser les usurpations de Tissapherne. Il sut en effet faire admettre à Suse ses revendications, et Artaxerxès, gagné par les marques les plus attentives de déférence que lui prodiguait Cyrus dans tous ses messages et par son exactitude à envoyer les tributs, laissa les choses suivre leur cours, sans s'en mêler. Étant donnée la situation exceptionnelle qu'occupait Cyrus, investi comme il l'était d'une triple dignité, à titre de satrape de Lydie, de la Grande-Phrygie et de Cappadoce, de généralissime des troupes royales, et de Karanos ou vice-roi, il était impossible d'éviter qu'il ne se produisît, entre les divers ressorts des grands fonctionnaires de l'Asie-Mineure, bien des conflits de compétence, et il n'était pas toujours facile de démêler au juste les attributions de chacun d'eux. En outre, il était aisé de rendre Tissapherne suspect en le représentant comme un compétiteur envieux, et de décrier sa politique comme indigne de l'empire et stérile. Par contre, la défaite d'Athènes, due au concours de Cyrus, pouvait être représentée comme un triomphe des Perses sur leur pire ennemi, et, au même titre, la dépendance actuelle de Sparte ainsi que la possession sûre du littoral comme un succès de la politique nouvelle. La levée et l'instruction de troupes asiatiques ne pouvait éveiller de soupçons, cette mesure rentrant dans les pleins pouvoirs du Karanos ; il en était autrement des mercenaires grecs, dont l'agglomération au sein de l'empire ne pouvait manquer de paraître dangereuse. Cyrus se mit à l'œuvre avec circonspection et évita de réunir sur des points isolés des masses trop fortes. Le Grand-Roi fut abusé de la sorte ; au fond, il était content de voir ce prince remuant assouvir son ambition dans ces démêlés, y consumer ses ressources, et s'occuper dans des contrées lointaines ; de son côté, Parysatis faisait son possible pour entretenir cette illusion, et assurer ainsi à Cyrus sa liberté d'action.

Dans la poursuite ultérieure de ses plans, les circonstances le servirent à merveille. Les révolutions violentes dans les républiques grecques avaient chassé de leur patrie une foule de citoyens ; le malaise général qui persistait après la guerre, l'humeur sauvage qu'elle avait provoquée, le relâchement des liens de pays et de famille, tout cela favorisait Cyrus, qui expédiait ses hommes dans toutes les directions pour enrôler, en deçà et au delà de la mer, toute la jeunesse grecque ayant du goût pour les aventures de la vie militaire, aux conditions les plus avantageuses. Sa cour à Sardes devint un asile pour les proscrits de tous les partis. Il sut concentrer en ses mains, sans souci de la position, de l'origine ou de la couleur politique, les forces les plus utiles, prendre chacun à sa façon et mettre chacun à sa place. Il était comme né pour organiser des corps. francs. Jeune, avec des allures de héros, ambitieux, généreux et affable, prince persan formé par la culture grecque, il devait attirer tous les regards et charmer tous ceux qui l'approchaient ; ils oubliaient auprès de lui leurs amis et leur patrie, et par leurs descriptions enthousiastes en entraînaient d'autres à leur suite hors du pays ; non seulement des jeunes gens imberbes accoururent à son appel, mais des hommes faits sacrifièrent une partie de leur fortune pour s'équiper eux et leurs compagnons. Tandis que chez soi tous les débats portaient sur des intérêts mesquins, on devinait là le début d'une évolution nouvelle ; on voyait un homme de grand avenir ; on pressentait la puissance qui tomberait en partage à celui qui disposerait à son gré de l'argent de l'Asie et des forces de la Grèce, et, comme les Hellènes se voyaient traiter par Cyrus en race privilégiée, non seulement leur ambition et leur avidité, mais aussi leur orgueil national y trouvait satisfaction ; ils se sentaient les maîtres du monde en prenant du service auprès du prince barbare.

Parmi les hommes auxquels il accorda une confiance particulière figurait Cléarchos. Après la chute de Byzance, il avait été invité à rendre ses comptes et condamné ; mais, peu avant la fin de la guerre, il avait été renvoyé là-bas pour défendre les villes du Bosphore, sur leur requête, contre les tribus thraces. Comme il faisait route pour le Bosphore, les éphores l'avaient rappelé, mais cette fois il n'obéit pas ; il tyrannisa Byzance avec une cruauté sans scrupule jusqu'à ce qu'une flotte spartiate le forçât à se retirer et à se sauver à Sardes. C'était un homme comme il en fallait à Cyrus ; on l'employa aussitôt à lever des troupes sur les bords de l'Hellespont ; il amena les villes grecques de la région à la cause du prétendant ; il lui forma, dans l'espace d'une année, une force militaire respectable, et lui inspira tant de confiance en lui-même que Cyrus crut le moment venu de marcher résolument à son véritable but.

Dans ce dessein, il engagea des négociations avec des puissances étrangères ; car ce n'était pas seulement des Grecs en tant qu'individus, mais la Grèce elle-même, c'est-à dire le grand État qui y dominait sans conteste, qu'il voulait intéresser à sa cause. Il espérait maintenant recueillir les fruits de sa politique philhellène. Aussi envoya-t-il des ambassadeurs à Sparte ; il représenta aux autorités du pays les services qu'il avait rendus à leur cité, laquelle lui était redevable à lui seul de 'Sa : situation actuelle. Aujourd'hui il faisait appel à leur reconnaissance et comptait qu'ils se montreraient aussi ses alliés. Il ne demandait pas de sacrifices sans une riche compensation. Celui qui viendrait à pied, écrivait-il avec une emphase tout orientale, il lui donnerait un cheval ; celui qui viendrait à cheval, un attelage ; celui qui possédait un champ recevrait en propriété des villages ; celui qui avait des villages, des villes. La solde ne serait pas comptée, mais mesurée au boisseau[28].

Pour la première fois depuis le commencement de la guerre du Péloponnèse, Sparte se retrouvait de nouveau en face d'une grande résolution à prendre : il s'agissait d'un oui ou d'un non décisif pour son avenir. Certes, c'était une perspective séduisante que son appui fit monter au trône des Achéménides un ami éprouvé ; une alliance avec la Perse, telle qu'on pouvait l'obtenir par ce moyen, devait apparaître aux Spartiates comme la clef de voûte de leur fortune, comme la plus sûre garantie de domination en Grèce. Le parti de Lysandre mit en œuvre toute son influence pour appuyer la demande de Cyrus ; les éphores n'y répugnaient point. Pourtant l'on n'osa pas prendre une résolution hardie. Avec une adroite circonspection, on chercha à éviter de se mettre vis-à-vis du Grand-Roi en état d'hostilité ouverte, sans encourir par une fin de non-recevoir la disgrâce du puissant prince qui réclamait leur alliance. On fit comme si l'on ignorait ses véritables projets ; on donna l'ordre à l'amiral de soutenir, dans la mesure de ses instructions, les entreprises de Cyrus, dirigées soi-disant contre les peuplades pillardes de la côte méridionale d'Asie-Mineure, et l'on envoya comme équipage pour la flotte 700 hoplites sous Chirisophos[29]. Tout était calculé pour qu'en cas d'une issue heureuse on eût des droits à la reconnaissance de Cyrus, et qu'au cas contraire on restât irréprochable aux yeux du Grand-Roi.

Cependant Cyrus avait terminé ses préparatifs. Au printemps de 401 (Ol. XCIV, 3), il ouvrit la campagne, cachant encore ses vrais desseins, et donnant le change à la masse en protestant qu'il n'avait d'autres intentions que d'assurer contre les brigandages les frontières de sa satrapie et de châtier Tissapherne. Cette fausseté devait engendrer dans l'armée une disposition à la défiance ; on s'aperçut bientôt que la Pisidie n'était pas le but de l'expédition ; il se manifesta une mutinerie inquiétante ; les troupes grecques se refusaient à être les instruments aveugles d'une ambition aventureuse. Ce n'est que par une augmentation de solde qu'elles se laissèrent conduire de plus en plus loin vers l'est, et c'est sur les bords de l'Euphrate seulement qu'elles reçurent des éclaircissements complets qui, au point où on en était, ne les surprirent plus.

Les véritables causes qui amenèrent l'avortement de cette entreprise si pleine de promesses doivent être attribuées à la confiance excessive en lui-même dont était animé le chef de l'expédition et qu'il inspirait à ses compagnons.

Ils en étaient arrivés graduellement à la conviction que le prix de la victoire leur tomberait entre les mains sans lutte. Partout où ils devaient s'attendre qu'on utiliserait les défenses naturelles pour leur fermer l'accès de l'intérieur, ils avaient passé sans résistance. C'est ce qui était arrivé aux défilés du Taurus, où Syennesis avait volontairement abandonné les hauteurs dominantes ; puis, dans le trajet de Cilicie en Syrie. Cyrus avait envoyé d'avance la flotte de ce côté pour forcer avec son concours le passage, mais Abrocomas abandonna saris coup férir toute la Syrie et se retira auprès du Grand-Roi. Ensuite l'Euphrate offrait une ligne de défense qui allait présenter à l'armée les plus grandes difficultés ; mais ici encore aucun incident ne s'était produit, sinon qu'Abrocomas dans sa retraite avait brûlé tous les bateaux à Thapsaque, mesure qui n'eut pas le moindre effet, attendu que l'Euphrate était, par exception, si bas à ce moment que l'infanterie put le franchir à gué sans entrer dans l'eau jusqu'à la poitrine. Enfin, à l'entrée de la région babylonienne, on était menacé du plus dangereux de tous les obstacles, car le Grand-Roi y avait fait réparer le mur médique, un antique ouvrage, probablement de Neboucadnezar, et l'avait fait renforcer par un fossé qui aboutissait à l'Euphrate, ne laissant entre le fleuve et lui qu'une distance de vingt pieds. Ce travail avait été entrepris tout exprès pour opposer à Cyrus une barrière : c'est là, par conséquent, qu'il devait s'attendre à rencontrer l'armée ennemie, et il se prépara à la lutte décisive. Comme ce défilé artificiel demeura lui aussi sans défense, alors il n'y eut qu'une opinion, c'est qu'Artaxerxès n'avait même pas le courage de combattre pour son trône. Il s'ensuivit que tout le monde se laissa aller à une incurie complète ; la discipline se relâcha ; les soldats flânaient nonchalamment à côté des voitures et des bêtes de somme qu'ils avaient chargées de leurs armes. On croyait qu'il n'y avait qu'à marcher en avant pour recueillir les fruits de la victoire placés à portée de la main.

Tout changea subitement. Deux jours après que les derniers périls paraissaient écartés, au moment où Babylone, d'après les indications des indigènes, n'était plus éloignée que de onze milles, on annonce à Cunaxa l'approche de l'armée impériale perse qui pousse contre Cyrus en rase campagne, et cela avec une telle rapidité qu'il reste à peine le temps de rassembler et de ranger les troupes[30]. Ainsi, à tous les avantages que le Grand-Roi tirait de l'énorme supériorité numérique de ses forces[31] et de la complète disposition de toutes les ressources du pays, il ajoutait celui de l'offensive et de la surprise. Le terrain était on ne peut mieux disposé pour permettre au plus fort d'user de ses avantages : les fronts de bataille étaient si inégaux que l'aile gauche des Grecs n'arrivait pas même en face du centre ennemi.

Cependant le sort de la journée n'était nullement décidé encore ; une action d'ensemble des troupes helléniques, bien concertée, aurait encore arraché la victoire. Mais, en premier lieu, Cléarchos manqua à son devoir en n'obéissant pas aux instructions bien calculées du général ; puis ce dernier s'oublia lui-même en exposant sa personne avec la témérité la plus irréfléchie.

Cléarchos commandait l'aile droite, qui s'adossait à l'Euphrate. Il reçut l'ordre de s'avancer sur le centre, parce que le Grand-Roi y avait pris place et que Cyrus prévoyait qu'en enfonçant le centre on déciderait de la bataille, tandis que la défaite d'une aile pourrait laisser l'action principale indécise. Pourtant, Cléarchos préféra procéder d'après les règles traditionnelles de la tactique grecque, de peur de découvrir ses flancs. Il se précipita donc sur l'aile opposée, la mit en fuite sans peine et la poursuivit avec un élan impossible à arrêter. Cette victoire, comme Cyrus l'avait prévu, n'avait aucune importance. L'aile gauche des Perses était anéantie, mais, avec elle, l'aile droite de sa propre armée était éloignée du champ de bataille et perdue pour le moment décisif, tandis que le centre ennemi s'avançait sans obstacle et commençait à déborder, avec sa supériorité numérique, l'aile gauche de Cyrus. Alors Cyrus se lança lui-même, bien que les chefs grecs l'eussent instamment prié de se ménager (et ils avaient le droit absolu de le lui demander dans leur propre intérêt), avec son escadron sur le centre de l'ennemi. Son attaque fut irrésistible ; la garde du corps fut enfoncée ; ses cavaliers se dispersèrent à la poursuite des fuyards, de sorte qu'à la fin il se trouva avec une petite troupe en face de son frère. Alors toute réflexion l'abandonna. Il n'eut plus d'autre but que de tuer le roi de sa main. Déjà sa lance le touchait, mais elle ne fit qu'une légère blessure, tandis que lui-même, presque entièrement isolé, tomba de cheval grièvement blessé et fut achevé ensuite[32]. Il succomba victime de son esprit chevaleresque et aventureux, et ainsi échoua l'entreprise qui devait marquer le début d'une ère nouvelle pour l'Occident et l'Orient (commencement de septembre 4401 : Ol. XCIV, 4).

L'armée asiatique de Cyrus, forte de 100.000 hommes, s'était dissipée après la bataille : mais les 13.000 Grecs restèrent victorieux sur le champ de bataille, repoussèrent fièrement toutes les ouvertures et se sentirent assez forts pour proposer à l'ami de Cyrus, Ariæos, qui avait conduit le corps asiatique, le trône des Achéménides[33]. Ariæos préféra rechercher la grâce du Grand-Roi, et livrer ses frères d'armes à l'ennemi. Ils se trouvèrent réduits à ne plus compter que sur eux-mêmes et à chercher leur salut dans leur propre énergie ; à l'orgueil de la victoire succéda le sentiment de la terrible situation où la mort de Cyrus les avait placés.

Au milieu d'un continent étranger, dans les vastes plaines sans abri de Babylone, sans but ni conseil, dénuée de toutes ressources, tourmentée par les privations, ignorante de sa route, resserrée de toutes parts entre des armées supérieures, déçue par de fausses apparences et privée de ses chefs par la perfidie et la ruse de Tissapherne, qui les avait fait égorger dans sa tente au moment où ils venaient conclure avec lui un accommodement au sujet du retour[34], la malheureuse armée restait là, elle que des espérances infinies avaient entraînée si loin. Mais la nécessité trempa le caractère de ces fils de la Grèce et transforma des aventuriers en héros. Ils se relevèrent de leur sombre désespoir ; ils se réunirent, suivant la véritable coutume grecque, en assemblée délibérante, pour s'entendre librement sur leur organisation et agir conformément aux circonstances. Les officiers mirent en avant de nouveaux généraux ; les soldats confirmèrent leurs choix ; toute tentative d'accord avec l'ennemi fut déclarée punissable, et, quand ils eurent ainsi repris conscience d'eux-mêmes, ils rejetèrent tout bagage superflu, puis, rangés en bon ordre, remontèrent courageusement la rive gauche du Tigre pour gagner, en traversant une région de hauteurs impraticables et inconnues, le bord de la mer qui devait les remettre en communication avec la patrie.

Cette campagne de huit mois, sans importance immédiate pour l'histoire générale, offre pourtant un haut intérêt, non seulement pour la connaissance de l'Orient, mais aussi pour celle du caractère grec ; et l'exacte description que nous devons à Xénophon est, pour ce motif, un des documents les plus précieux de l'antiquité. Nous voyons une bande de Grecs d'origine fort diverse, pris dans toutes les classes, arrachés à toutes les habitudes de la vie ordinaire, transplantés dans une autre partie du monde, passant par une interminable série de situations incertaines, toujours changeantes et pleines de périls, où la nature de ces hommes devait se révéler sous son véritable jour. C'est un échantillon des plus variés de la population grecque, une image réduite du peuple entier avec' toutes ses vertus et ses défauts, ses forces et ses faiblesses, une république errante qui délibère et décide d'après la coutume nationale, et en même temps un corps franc sauvage, difficile à contenir. Chez ces hommes, l'inquiétude du présent entretenait une effervescence exaltée et avait détruit en eux l'amour de la terre natale ; mais avec quelle fermeté ne restent-ils pas attachés à leurs plus vieilles traditions ! Des rêves et des présages envoyés par les dieux dictent, comme dans le camp homérique, les plus sérieuses résolutions ; c'est avec un zèle pieux qu'on chante les péans, qu'on allume le feu des sacrifices, qu'on dresse des autels aux dieux sauveurs et qu'on célèbre un tournoi quand à la fin l'aspect de la mer, de la mer tant désirée, vient ranimer les forces et le courage. C'est la cupidité et l'amour des aventures qui a rassemblé cette foule, et pourtant, dans les moments critiques, on voit se manifester en elle un vif sentiment de l'honneur et du devoir, un sublime esprit d'héroïsme et un tact sûr pour distinguer en toute occasion le meilleur parti à prendre. La rivalité des tribus y est sensible, mais le sentiment de la communauté, la conscience de l'unité nationale garde la haute main, et la masse possède assez de raison et d'abnégation pour se soumettre à ceux que leur expérience, leur intelligence et leur force morale désignent comme propres au commandement. Et, chose merveilleuse dans cette multitude bigarrée de Grecs, c'est un Athénien qui, par ses capacités, les dépasse tous et devient le véritable sauveur de l'armée entière. L'Athénien Xénophon n'était parti qu'à titre de volontaire : introduit par Proxénos auprès de Cyrus, il fut retenu par le point d'honneur auprès de ce prince, dont il admirait les grandes qualités. Nul penchant, nulle impulsion extérieure ne le sollicitaient à se mettre en évidence dans cette bande sans guide ; sa patrie était toujours l'objet de la malveillance des Grecs ; la masse de l'armée se composait de Péloponnésiens : l'Arcadie et l'Achaïe étaient les contrées le plus fortement représentées[35]. Ce fut lui cependant qui, obéissant à un appel intérieur, réveilla chez ses compagnons la conscience de la dignité inhérente à leur nationalité hellénique. C'est lui qui ranima le courage, la confiance, qui inspira aux autres une sage prudence et fit aboutir les premières résolutions salutaires. L'Athénien avait seul cette supériorité de culture nécessaire pour donner de l'ordre et de la tenue à ces colonnes de soldats assauvagis par l'égoïsme, pour leur servir, dans les circonstances les plus diverses, d'orateur, de général et de négociateur ; c'est à lui surtout qu'il faut savoir gré si, en dépit d'indicibles souffrances, au milieu de peuplades hostiles et de, montagnes couvertes de neiges et désolées, huit mille Grecs pourtant touchèrent enfin à la côte, après avoir erré par de nombreux détours[36].

Ils se crurent sauvés quand, au commencement de mars, ils eurent atteint la mer près de Trapézonte. Mais les plus grandes difficultés allaient commencer là où ils se rencontrèrent avec des Grecs. Car un danger plus grand que toutes les attaques des Barbares, c'était le réseau de perfide§ intrigues que tendirent sous leurs pas les autorités spartiates. Dès que la nouvelle de la bataille de Cunaxa fut arrivée à Sparte, on n'eut plus d'autre pensée que de se dérober aux fâcheuses conséquences qui pouvaient résulter de l'alliance avec Cyrus. On ne se borna donc pas à désavouer toute participation à son entreprise de la part de l'État et à rechercher avec inquiétude la faveur du Grand-Roi, mais on ne rougit pas, au moment où les auxiliaires grecs reparaissaient du fond de l'Asie et entraient en contact avec les fonctionnaires spartiates, de leur refuser tout appui, afin d'éviter jusqu'à l'apparence d'avoir rien eu de commun avec toute cette insurrection.

Les Cyréens[37] — c'est ainsi qu'on appelait avec Xénophon les troupes de Cyrus — avaient envoyé Chirisophos de Trapézonte à Byzance, afin d'y obtenir de l'assistance et des ressources pour le rapatriement. Chirisophos revint après une longue absence avec de vaines promesses[38], au moment où l'armée était arrivée à Sinope. Il fut choisi pour commandant en chef, Xénophon ayant décliné cette dignité, parce qu'il prévoyait que le choix d'un Athénien, au moment où l'on approchait des frontières de l'empire spartiate, produirait fatalement une mauvaise impression et nuirait à l'armée. Chirisophos étant mort bientôt après, on sentit le manque absolu d'un homme considéré, propre à représenter les intérêts de l'armée grecque auprès des autorités spartiates. Xénophon, dans son désintéressement, s'efforça encore une fois de travailler dans l'intérêt de l'année en essayant d'amener l'harmoste de Byzance, Cléandros, à en prendre le commandement suprême. Cette tentative ne lui réussit pas, et quand l'armée, vers la fin de l'été, fut parvenue à Chrysopolis sur le Bosphore, commencèrent les trahisons d'Anaxibios, qui commandait dans ces eaux en qualité d'amiral spartiate[39].

Ce personnage était un digne représentant de la Sparte de la décadence. Il ne manifesta aucun sentiment de patriotisme hellénique, aucune trace de compassion pour ses compatriotes, qui touchaient comme par miracle au seuil de la patrie et qui, en proie à une cruelle anxiété, mettaient leur espoir dans le sentiment de la solidarité nationale. Dans son impitoyable égoïsme, il n'avait en vue que sa position personnelle et ne regardait que du côté de la Perse, pour se mettre en faveur auprès des satrapes. Pharnabaze notamment lui avait fait les plus brillantes promesses, s'il s'occupait d'éloigner de sa province cette bande dangereuse ; aussi Anaxibios fit-il transporter à Byzance les troupes qui, de leur côté, ne pouvaient lui supposer d'autre intention que celle de tenir enfin les promesses qu'il avait faites à Chirisophos et de les prendre à son service. Pour ce motif, elles avaient renoncé aux avantages dont elles jouissaient en Asie-Mineure où, grâce au pillage des localités perses, elles pouvaient subvenir largement à leur entretien. Mais elles furent déçues dans leur attente de la façon la plus cruelle. Car, à peine débarquées sur le sol européen et désormais à l'abri, comme elles l'espéraient, de toutes les misères, elles furent menées de nouveau par Anaxibios hors de la ville vers l'intérieur, sans gratification, sans solde, comme un ramassis de gens dont il fallait se débarrasser le plus vite possible[40].

Les troupes une fois dehors, Anaxibios fit fermer les portes derrière elles et leur donna le conseil de pourvoir à leur entretien dans les villages thraces environnants, à leurs risques et périls, puis de continuer leur chemin vers la Chersonèse, où elles devaient recevoir leur solde. Ainsi les malheureux se virent de nouveau chassés en pays étranger et, à l'approche de l'hiver (c'était au commencement d'octobre), forcés à de nouvelles marches, à de nouvelles luttes pour subsister. Cette trahison était trop révoltante pour être patiemment supportée. S'insurgeant dans un accès de rage, les troupes se retournèrent contre la ville ; quelques-uns des leurs, restés par hasard à l'intérieur des murs, leur aidèrent à ouvrir les portes. L'armée s'y précipita, avide de vengeance ; les chefs spartiates ne risquèrent aucune résistance, et Anaxibios serait tombé victime de la fureur des troupes, si Xénophon ne s'était interposé et n'avait sauvé le général aussi bien que les habitants de la ville. Ses exhortations parvinrent à ramener les troupes à la discipline et à la raison ; il leur démontra qu'elles étaient sur le point de soulever contre elles l'inimitié du monde entier, tant perse que grec ; le succès momentané qu'elles ne pouvaient manquer d'obtenir marquerait le début des plus grands malheurs. Persuadées par ces représentations, les troupes abandonnèrent volontairement le riche butin qu'elles tenaient déjà entre leurs mains, accueillirent les offres d'un Thébain nommé Cœratadas, qui leur promettait les plus riches profits d'une expédition en Thrace si elles consentaient à s'en remettre à sa direction, et quittèrent tranquillement la ville. Anaxibios ferma une seconde fois les portes derrière elles, et, délivré de ses craintes, publia l'ordre de vendre comme esclave tout soldat rencontré encore à l'intérieur de l'enceinte[41].

La convention avec Cœratadas se rompit bientôt ; les troupes, mal commandées et lasses des discussions perpétuelles des différents chefs, errèrent à l'aventure, sans but ni dessein arrêté, à travers le pays de Thrace. Beaucoup désertèrent, retournèrent isolément chez eux ou s'établirent dans les localités environnantes. L'armée entière marchait à sa complète dissolution, à la grande satisfaction d'Anaxibios, qui espérait recueillir à présent de la part de Pharnabaze tout le prix de sa conduite. Mais lorsqu'il se rendit auprès du satrape, celui-ci savait déjà que l'année de charge du navarque expirait (automne 400) et que ce personnage ne pouvait désormais ni lui servir ni lui nuire. Aussi ne songea-t-il guère à lui tenir parole ; il noua en revanche des relations avec Aristarchos, le nouveau gouverneur qui venait d'arriver à Byzance. Aristarchos prit maintenant le rôle d'Anaxibios ; il débuta dans son gouvernement par faire vendre sur le marché comme esclaves les Cyréens restés malades à Byzance, au nombre de 405, et que son prédécesseur Cléandros y avait fait soigner[42].

Mais Anaxibios n'avait plus d'autre pensée que de se venger du satrape déloyal : il voulait lui montrer que, sans pouvoir officiel, il trouvait encore moyen de punir un manque de foi. En conséquence, il s'abouche avec Xénophon : il l'engage à retourner à l'armée, qu'il avait quittée à Byzance, et à la faire passer de Périnthe en Asie pour y commencer une guerre ouverte contre le satrape[43]. Xénophon acquiesce à ces propositions. Les soldats se rassemblent encore une fois autour de leur ancien-général, et se promettent sous sa conduite d'heureuses et lucratives expéditions dans les riches pays riverains de la Propontide. La bande aventurière se retourne donc de l'ouest à l'est, mais Aristarchos, le nouvel ami du satrape, rend la traversée du Bosphore impossible, et il ne reste à Xénophon qu'à entrer avec les troupes qu'il avait réunies autour de lui au service du prince thrace Seuthès, pour l'aider à soumettre quelques tribus qui s'étaient séparées de ses États héréditaires[44].

Ainsi avorta le plan d'Anaxibios, son projet d'impliquer, dans l'intérêt de sa vengeance personnelle, la Perse dans une guerre avec Sparte. Pharnabaze vit sa sûreté garantie plus efficacement que jamais par les commandants spartiates, et tout cet incident, qui avait si sérieusement menacé la bonne entente entre Sparte et la Perse, l'insurrection de Cyrus et la participation des Grecs à ce mouvement, sembla, grâce à l'adroite politique des éphores, s'être passé sans préparer de dangers pour l'avenir, sans influer d'une façon durable sur les affaires de la Grèce.

Et pourtant, les Spartiates se trompaient ; leur indigne et lâche politique de paix ne leur profita pas, en fin de compte, car, après la ruine de Cyrus, Tissapherne reparut au premier plan. Ses avis avaient permis au Grand-Roi d'entreprendre encore à temps ses préparatifs. C'est lui qui avait, à la dernière heure, encouragé Artaxerxès abattu à une résistance vigoureuse, et, seul de tous les généraux, il avait tenu ferme à l'approche des Grecs ; c'est lui aussi qui, après la bataille, avait le plus énergiquement agi dans l'intérêt du Grand-Roi. Le roi était obligé de récompenser ce fidèle serviteur que, lors de sa querelle avec Cyrus, il avait abandonné ; il le regardait nécessairement aujourd'hui comme le seul capable de rétablir l'ordre dans les provinces maritimes ; il l'envoya donc avec des pouvoirs étendus en Asie-Mineure et lui octroya, outre son ancienne satrapie, les territoires où Cyrus commandait naguère[45].

Alors s'ouvre une époque nouvelle pour l'histoire de l'Asie-Mineure. Les Grecs asiatiques, gâtés par Cyrus, tombèrent sous la verge d'un homme qui non seulement condamnait en général les avances faites aux Hellènes et les égards observés à l'endroit de leurs libertés communales, mais qui était de plus un ennemi personnel des villes maritimes et tenait à se venger d'elles, parce que, par sympathie pour Cyrus, elles avaient pris parti contre lui. Par conséquent, sa passion personnelle s'accordait avec sa mission : il était chargé de mettre un terme à la situation louche de la côte ionienne ; et de relever la domination absolue du Grand-Roi.

Ainsi se reproduisirent d'une manière surprenante les événements d'autrefois. De même qu'en premier lieu les rois de Lydie avaient poussé en avant pour subjuguer les places du littoral, puis Harpage, général du grand Cyrus, et en troisième lieu les masses armées conduites par Artapherne, au temps du roi Darius, de même Tissapherne s'avança cette fois jusqu'à la côte et commença le siège de Kyme, pour réduire toutes les villes l'une après l'autre à la condition de villes incorporées aux provinces de l'empire perse. Et ce qui s'était produit jadis, dans des conjonctures semblables, se vérifia cette fois encore ; il surgit à ce propos de nouvelles complications avec les États grecs. Les villes maritimes tremblantes députèrent, comme au temps de Cyrus et de Darius, à Sparte, pour implorer de l'État qui plus que jamais disposait de toutes les ressources de la mère patrie, sa protection contre les armées barbares et contre la vengeance de Tissapherne.

Si cette requête ne fut pas repoussée sans plus de façon, comme cela avait eu lieu dans des occasions antérieures, le principal motif en est que l'on sentait clairement qu'il n'y aurait pas moyen de conserver des relations amicales avec la Perse, si l'on devait aller dans la condescendance et la soumission plus loin qu'on n'avait fait jusqu'alors. L'appui accordé à Cyrus n'était pas niable ; on regardait à Suse les anciens amis du prétendant comme des ennemis de l'empire, et, comme Tissapherne s'apprêtait à mettre fin au semblant de liberté qui restait aux villes grecques ; c'était aussi son intention manifeste de rompre le semblant de paix qui régnait encore entre la Perse et Sparte.

Dans cet état de choses, il ne fallait pas beaucoup de pénétration politique ni d'énergie pour commencer la guerre avant que les cités grecques ne retombassent sous le joug des Perses, et que les Spartiates ne perdissent les ports d'outre-mer. On voyait encore pousser à la guerre tout le parti pour qui les derniers pactes conclus avec la Perse, ces traités de paix si déshonorants, étaient comme une épine dans et qui se réjouissait de l'occasion d'abroger ces contrats et d'en effacer l'opprobre. Pourtant les Spartiates auraient eu, cette fois encore, bien de la peine à se décider sérieusement pour la guerre, si les derniers événements n'avaient montré la constitution intérieure de l'empire perse sous un jour qui diminua beaucoup la crainte d'un conflit avec les Perses.

Jusqu'alors on n'avait jamais redouté la Perse comme une puissance agressive, mais on la considérait comme inabordable à l'intérieur et inépuisable en ressources. Mais comment pouvait-on respecter encore un État qui s'était montré impuissant à venir à bout d'une bande grecque enfermée au milieu de son territoire ! Tissapherne, en assassinant les généraux, avait avoué, par le plus éloquent témoignage, qu'il tenait pour invincible une armée grecque bien conduite, et même cette armée sans chefs, il n'avait osé, avec toute sa supériorité numérique, ni l'assaillir dans son camp ni la poursuivre dans la montagne. Ces troupes, qui s'étaient réduites en chemin et retournaient dans leur pays avec une discipline fort relâchée, n'avaient-elles pas été encore en état d'inspirer au puissant Pharnabaze de telles alarmes, qu'il ne fut tranquille qu'en les sachant heureusement passées sur l'autre rive du Bosphore ? Le colosse de l'empire perse avait donc perdu tout d'un coup ce nimbe de grandeur qui jusqu'ici flottait autour de lui, et c'est pourquoi l'on se décida à ne pas repousser cette fois-ci la requête des villes d'Asie. Sparte croyait pouvoir reprendre sans danger une politique hellénique, et elle ne voulait pas non plus, dans l'intérêt de son crédit auprès des Grecs, négliger l'occasion favorable qui s'offrait d'appeler leurs contingents. On avait en même temps la perspective de pouvoir faire la guerre sans gros sacrifices ; on avait appris comment la guerre nourrit le soldat. On était même en droit de compter sur un profit pour le Trésor, et l'on prétendait aller chercher aujourd'hui soi-même les ressources pécuniaires que Cyrus distribuait autrefois.

La première démarche que firent les Spartiates consista à faire parvenir à Tissapherne, comme un siècle et demi auparavant au roi Cyrus, l'avertissement d'avoir à s'abstenir du siège des villes. Cet avertissement étant resté infructueux, ils expédièrent sous la conduite de Thibron[46] une armée qui comptait 1.000 néodamodes lacédémoniens, 3.000 Péloponnésiens et 300 cavaliers athéniens[47]. C'était une armée hellénique ; la guerre était considérée comme nationale, et Sparte y appela les contingents sans avoir préalablement provoqué de décision régulière de la part du conseil fédéral.

En ce qui concerne les renforts qu'on espérait obtenir en Asie même, on se vit bientôt déçu après le débarquement à Éphèse. Les cités montrèrent tant de mollesse et si peu de goût pour la guerre, qu'il n'y avait rien à en attendre. En outre, la façon désordonnée dont se comportèrent les Spartiates n'était point faite pour valoir à l'armée libératrice des sympathies ou de l'appui. Thibron dut delle se mettre en quête d'autres secours. Il n'était guère possible de rencontrer une occasion plus favorable pour accroître ses forces que celle que lui offrait le restant des Dix-Mille. Ces vaillantes troupes s'étaient battues durant deux mois d'hiver au service de Seuthès, et, malgré tous leurs succès, n'avaient eu à supporter que d'amers déboires. Le trésorier royal rogna leur solde ; les troupes murmurèrent ; Xénophon avait entre Seuthès et les siens une situation pénible et des plus dangereuses. C'est alors qu'arriva inopinément l'invitation de Thibron, qui trouva l'accueil le plus empressé. Xénophon ramena les troupes en Asie et les remit à Pergame au général de Sparte[48].

Comme une nuée d'orage, cette bande inquiète s'était promenée de côté et d'autre sur les rives de 1'Hellespont et du Bosphore, suivie d'un œil anxieux par les Perses ; elle finit pourtant par se jeter sur leur pays, et Tissapherne revit devant lui ces hommes odieux qu'après la journée de Cunaxa il avait crus condamnés à périr sans recours sous le glaive des Cardouques ou dans les neiges de l'Arménie.

Ils venaient, tout irrités encore, provoquer au combat leur vieil ennemi, et ils relevèrent promptement le crédit des armes spartiates. Une série de villes prirent parti pour l'armée libératrice, notamment Pergame et les cités environnantes, où régnaient les descendants du roi Démarate[49], et de même les places éoliennes de Gambreion, Myrina, etc., où dominait la famille de Gongylos, de ce citoyen d'Érétrie qui, au temps de la bataille de Marathon, avait livré sa patrie aux Perses[50] C'étaient des colonies d'émigrants, établies à la lisière antérieure de l'empire et destinées à, le défendre, mais qui obéirent alors à leurs sympathies nationales et prévinrent Xénophon par des démonstrations amicales. Mais, en somme, tous les succès restèrent insignifiants, parce que Thibron n'était pas à la hauteur de sa tâche.

Son successeur fut Dercyllidas, un homme de l'école de Lysandre, qui devait à son esprit retors, le surnom de Sisyphe[51]. Il entra en action avec plus d'énergie (à la fin de l'été 399), en profitant de la scission entre Pharnabaze et Tissapherne, et de la situation générale de l'empire perse alors en proie à, une telle dissolution que certains fonctionnaires faisaient des guerres et passaient des traités sans se soucier du Grand-Roi. Dercyllidas sut, par une habile négociation, engager Tissapherne à se tenir tranquille[52] tandis qu'on attaquerait le satrape des provinces supérieures, et, après avoir ainsi couvert ses derrières, il envahit avec toutes ses forces l'Éolide, qui appartenait à la satrapie de Pharnabaze, conquit dans cette contrée, où la population était très dense, une série de villes, s'empara des trésors qui y étaient entassés, et conclut enfin un armistice avec le satrape réduit à l'extrémité (399 : Ol. XCV, 2)[53].

 

 

 



[1] PLUTARQUE, Lysandre, 18.

[2] Sur la cour des Muses rassemblée autour de Lysandre (Chœrilos, Antilochos, Antimachos, Nicératos d'Héraclée, le cithariste Aristonus), voyez PLUTARQUE, Lysandre, 18. ATHÉNÉE, Deipnos., XV, p. 696. NAEKE, Chœrili Samii quæ supersunt coll., p. 48.

[3] PLUTARQUE, Lysandre, 18.

[4] PLUTARQUE, Lysandre, 14. Sestos avait été prise en 479 par Xanthippos (HÉRODOTE, IX, 118).

[5] PLUTARQUE, Lysandre, 19.

[6] PLUTARQUE, Lysandre, 19.

[7] PLUTARQUE, Lysandre, 20.

[8] Soi-disant à propos d'une apparition de Zeus Ammon, qui l'avait engagé à lever le siège d'Aphytis (PLUTARQUE, Lysandre, 20). Cf. LEAKE, Num. Hell. Eur., 15.

[9] D'après Plutarque (Lysandre, 21), le voyage en Libye aurait eu lieu avant la crise qui renversa les Trente à Athènes ; mais il est probable qu'il faut le placer à une date postérieure. Cf. THIRLWALL, History of Greece, IV, App. VIII, p. 562. GROTE (XIII, p. 289, trad. Sadous).

[10] Le roi de l'Ammonion était ξένος αύτώ πατρικός (DIODORE, XIV, 13).

[11] Lysandre essaie de corrompre les oracles de Delphes et de Dodone (DIODORE, XIV, 13).

[12] Voyez la description de ce groupe en bronze dans Pausanias (X, 9, 7). Cf. URLICHS, Skopas, p. 4. Plutarque (Lysandre, 18) énumère encore d'autres offrandes faites à Delphes par Lysandre.

[13] Parmi les personnages όσοι συνειργάσαντο τώ Λυσάνδρω τά έν Αίγός ποταμοΐς (PAUSANIAS, ibid.), figure Cléomède de Samos, celui qui est nommé dans l'inscription publiée par R. SCHÖNE, Griech. Reliefs, p. 26.

[14] ATHÉNÉE, p. 233. C. I. GRÆC., I, n. 697. KIRCHHOFF, Monatsber. der Berl. Akad., 1870, p. 58.

[15] PLUTARQUE, Lysandre, 16. Nicias, 28. DIODORE, XIII, 106.

[16] ARISTOTE, Polit., II, 9 [p. 46, 50].

[17] HÉRODOTE, IX, 33.

[18] L'ancienne bourgeoisie est remplacée par les égaux (όμοιοι), qui constituent peut-être la μικρά έκκλησία et qu'on appelle aussi έκκλητοι (XÉNOPHON, Hellen., V, 2, 33). On est, du reste, assez mal renseigné sur la valeur de ces noms et l'état de la société à cette époque.

[19] La nomination des dix σύμβουλοι n'était d'abord, il est vrai, qu'une mesure applicable au cas particulier d'Agis et ne visait que sa personne ; mais on l'invoqua plus tard comme un précédent, et c'est pour cela que Thucydide (V, 63) se sert de l'expression νόμον έθεντο, ός οΰπω πρότερον αύτώ έγένετο αύτοΐς, qui marque bien une époque dans l'histoire de la puissance royale. Qu'Agis lui-même ait su s'affranchir de cette tutelle à Décélie (THUCYDIDE, VIII, 5), le fait ne prouve rien contre la portée de la mesure. On rencontre plus tard encore, sous des titres divers, ces mêmes commissaires constitués en conseil de guerre, comme éphores près de Pausanias (XÉNOPHON, Hellen., II, 4, 36), comme συνέδριον (DIODORE, XIV, 79), ήγεμόνες καί σύμβουλοι (PLUTARQUE, Lysandre, 23), auprès d'Agésilas, d'Agésipolis, etc. Cf. SIEVERS, Gesch. Griechenlands, p. 35. HERBST, N. Jahrbb. f. Philol., LXXVII, p. 681 sqq.

[20] ARISTOTE, Polit., II, 9 [p. 49].

[21] ARISTOTE, Polit., III, 9 [p. 47].

[22] JUSTIN, V, 10.

[23] DIODORE, XIV, 10, cf. TODT, Dionysios I [1860], p. 12.

[24] Il n'y avait point à Suse d'ordre de succession au trône assez fixe pour exclure les dispositions spéciales prises par le détenteur du pouvoir : c'est ce qu'atteste Hérodote à propos de Xerxès (VII, 2). Cf. THIRLWALL, History of Greece, II, p. 246.

[25] Άρταξέρξης (Άρτοξέρξης dans Hérodote et Plutarque), Arta-Khshatra = magnum imperium habens.

[26] Cyrus avait pris avec lui Tissapherne ώς φίλον (XÉNOPHON, Anab., I, 1,2), ce qui signifie comme s'il le tenait pour son ami, car il y avait longtemps que Cyrus connaissait le mauvais vouloir de Tissapherne à son égard (NICOLAÏ, Politik des Tissaphernes, 1869, p. 44). Au sujet de la tentative de meurtre, le témoignage de Ctésias (§ 35) contredit celui de Justin (V, 11).

[27] Tissapherne possédait les villes d'Ionie, pour les avoir reçues en présent du Grand-Roi (XÉNOPHON, Anab., I, 1, 6).

[28] PLUTARQUE, Artaxerxés, 6.

[29] XÉNOPHON, Anab., I, 4, 3.

[30] Cunaxa — dont le nom n'est mentionné que par Plutarque (Artax., 8), probablement d'après Ctésias — se trouvait, d'après Plutarque, à 500 stades (92 ½ km.), d'après Xénophon (Anab., II, 2, 6), à 360 stades (66 ½ km.) de Babylone.

[31] D'après Xénophon (Anab., I, 7, 12) et Plutarque, qui puise dans Dinon (Artax., 7), l'armée d'Artaxerxès montait à 900.000 hommes ; d'après Éphore (qui prend les chiffres de Ctésias : PLUTARQUE, Artax., 13), elle était de 400.000 hommes (DIODORE, XIV, 22). Voyez VOLQUARDSEN, Quellen des Diodor, p. 65, 131.

[32] XÉNOPHON, Anab., I, 8, 24 sqq. PLUTARQUE, Artax., 10 (version de Dinon) : 11 (version de Ctésias). DIODORE, XIV, 23.

[33] XÉNOPHON, Anab., II, I, 4.

[34] XÉNOPHON, Anab., II, 5, 24 sqq. PLUTARQUE, Artax., 18. DIODORE, XIV, 26. 27.

[35] XÉNOPHON, Anab., VI, 2, 10 sqq.

[36] XÉNOPHON, Anab., IV, 7, 20.

[37] Κυρεΐοι (XÉNOPHON, Hellen., III, 2, 7) — οί Κύρου στρατιώται (Anab., VII, 2, 6).

[38] Promesse d'une solde au sortir de l'Euxin (XÉNOPHON, Anab., VI, 1, 16. VII, 1, 3).

[39] Diodore l'appelle Βυζαντίων ναύαρχος (XIV, 30), ce qui est une expression inexacte pour désigner le quartier général d'Anaxibios. Ce dernier a été navarque jusqu'en 400, époque à laquelle Polos lui succède (XÉNOPHON, Anab., VII, 2, 5). Cf. WESER, De Gytheo, p. 88 sqq.

[40] XÉNOPHON, Anab., VII, 1, 7 sqq.

[41] XÉNOPHON, Anab., VII, 1, 33 sqq.

[42] XÉNOPHON, Anab., VII, 2, 5 sqq.

[43] XÉNOPHON, Anab., VII, 2, 8 sqq.

[44] XÉNOPHON, Anab., VII, 2, 10. 15 sqq. Sur les monnaies d'argent de Seuthès, frappées au poids attique, voyez DE LUYNES, Numism. des Satrapes, p. 45.

[45] XÉNOPHON, Hellen., III, 1, 3. DIODORE, XIV, 35.

[46] Θίβρων (ou Θίμβρων) ; son expédition est peut-être de l'année 400 ; cf. KRÜGER zu Clinton, Fast. Hell., p. 399.

[47] XÉNOPHON, Hellen., II, I, 4. Les 300 cavaliers (ou chevaliers) athéniens sont ceux dont il a été parlé dans le précédent chapitre, § II.

[48] XÉNOPHON, Anab., VII, 6, 1 : 8, 24.

[49] Les rois de Pergame, Teuthronia et Halisarna, Eurysthène et Proclès (XÉNOPHON, Hellen., III, 1, 6), étaient des descendants de ce Démarate qui accompagnait Xerxès (HÉRODOTE, VI, 70).

[50] Gorgion et Gongylos régnaient à Gambreion, Palægambreion, et de plus, à Myrina et Gryneion (XÉNOPHON, Hellen., III, 1, 6). Cf. Beiträge zur Geschichte und Topographie Kleinasiens (Abhandl. d. Berl. Akad., 1872), p. 46.

[51] Δερκυλίδας — Plutarque et Diodore écrivent Δερκυλλίδας — surnommé Σίσυφος (XÉNOPHON, Hellen., III, 1, 8).

[52] XÉNOPHON, Hellen., III, 1, 9.

[53] XÉNOPHON, Hellen., III, 2, 1. DIODORE, XIV, 39.