HISTOIRE GRECQUE

TOME QUATRIÈME

LIVRE CINQUIÈME. — LA DOMINATION DE SPARTE EN GRÈCE (DE 404 A 379 AV. J.-C.).

CHAPITRE DEUXIÈME. — ATHÈNES APRÈS SA RESTAURATION.

 

 

§ I. — L'ART ET LES MŒURS.

C'est ainsi qu'après l'interruption du régime constitutionnel d'Athènes par un gouvernement qui, en peu de mois, avait parcouru toutes les phases d'un terrorisme sans scrupules — ce qui lui valut dans l'antiquité même le nom de domination des trente tyrans[1], — c'est ainsi que l'on chercha à réorganiser l'État athénien. Ce qui facilita la réconciliation et l'apaisement des esprits, c'est qu'un des trois partis s'était anéanti complètement durant son triomphe. Il s'était jugé lui-même ; car, derrière un semblant de théories politiques abstraites, on avait vu apparaître dans toute sa nudité le plus vulgaire égoïsme, et rien ne compensait ni ne réparait l'immoralité des chefs. Avec l'arbitraire le plus criminel au dedans, ils n'avaient ménagé à l'État, dans ses relations extérieures, que de la honte ; et de plus, dans les moments critiques, ils s'étaient montrés faibles, étourdis et de courte vue. Les autres partis s'étant trouvés rapprochés par une haine commune contre les oligarques, les louables institutions de l'année de la délivrance avaient heureusement abouti, et l'année d'Euclide était devenue, pour l'histoire athénienne, le début d'une nouvelle ère. Nous sommes obligés de proclamer et d'admirer la capacité des personnages dirigeants, ainsi que l'esprit de modération, de circonspection, l'ardeur réfléchie pour le bien, qui régnait dans le peuple. Certes, les Athéniens ont montré ce qu'il y avait de noble dans leur nature en ne se contentant pas de triompher d'artificieux ennemis, mais en prenant du même coup la résolution de s'amender, de se refréner, en tirant profit avec une sage prudence de leurs expériences antérieures, écartant des usages surannés, revenant ailleurs à d'anciennes institutions qui avaient régi autrefois leur société. Il fallait des sentiments vraiment élevés pour ne pas songer seulement, à peine au lendemain du salut, au rétablissement de la paix et de la prospérité matérielle, mais aussi à des fondations scientifiques et au culte de l'art.

Mais ce n'étaient point des créations tout extérieures qui pouvaient réaliser la rénovation tant désirée de l'État ; le succès de cette réforme dépendait de la complexion interne de la société politique, chose que des lois ou des dispositions constitutionnelles isolées n'étaient pas en mesure de changer.

La santé morale d'une cité hellénique tenait avant tout à la fidélité avec laquelle la génération présente s'attachait à la tradition du passé, à sa foi aux dieux de ses pères, à son dévouement à la chose publique, et à l'observation scrupuleuse de ce que la coutume et la législation avaient établi comme règle de la vie sociale. Ce fondement du bien général avait été gravement ébranlé depuis longtemps, et surtout depuis les derniers événements. En un laps de temps très court, il ne s'était produit pas moins de quatre changements complets de constitution, et, après ces violentes interruptions du régime légal, on ne revint pas avec une résolution d'autant plus ferme à l'ordre de choses primitif, mais il resta une certaine fluctuation, une incertitude dont témoigne la proposition de Phormisios.

D'autre part, l'esprit de l'époque avait sans cesse travaillé à affaiblir la puissance de la tradition, à relâcher les liens de la communauté et à renvoyer l'individu, dans toutes les questions décisives, à son propre jugement. Même la santé extérieure de la nation était ébranlée. Le pays et le peuple souffraient des suites de la longue guerre qui avait anéanti la prospérité publique et détruit la confiance, plus difficile à remplacer que n'importe quelle perte matérielle. Le commerce et les relations languissaient. La terre était abandonnée et dépréciée ; des sacrifices et des efforts considérables pouvaient seuls relever l'agriculture. Il n'y avait pas de tâche plus pressante ; mais on manquait d'argent, car, vu la grande insécurité, beaucoup de citoyens avaient placé leur argent à l'étranger[2] : les métèques, qui s'occupaient particulièrement des affaires d'argent, avaient émigré en grand nombre, et le reste était ruiné ou avait été mis à mort. Mais ce qui faisait défaut avant tout, c'était l'amour de l'agriculture, qui seul aurait eu la vertu de surmonter les difficultés du moment ; on était gâté par l'importation maritime, peu coûteuse et abondante, et l'on aimait mieux acheter au marché les subsistances journalières que de les cultiver sur son propre champ. La guerre et la révolution avaient troublé dans leurs habitudes les petits propriétaires : ils s'étaient déshabitués de leur profession, accoutumés à une existence nomade, dégoûtés du travail continu.

C'est là ce qui rendait impossible une amélioration radicale des conditions économiques ; on ne jouissait pas de ce calme bienfaisant qu'on aurait atteint par un retour aux occupations champêtres et aux fondements solides de la prospérité d'autrefois, et pourtant, à aucune époque le peuple n'aurait eu un besoin plus pressant de ce calme. Car la division des partis, qui était allée s'accentuant toujours davantage jusqu'au dernier moment, qui avait partagé en factions ennemies non seulement les différentes classes, mais les membres :d'une même famille, la rapide alternance des victoires et des défaites, les brusques transitions de l'outrecuidance au désespoir, la grande perte de citoyens à la suite d'une guerre sanglante, l'extinction des anciennes maisons, l'affluence de nouveaux venus qui n'étaient pas Athéniens de naissance et d'éducation, enfin, la série de vicissitudes extraordinaires qui s'étaient comme accumulées à la fin de la guerre, tout cela avait contribué à ébranler profondément la fermeté et la consistance du corps politique. La vie était devenue plus inquiète et plus agitée ; l'activité innée du peuple athénien avait dégénéré en une précipitation turbulente et en une sorte d'emportement qui ne subit que par suite de l'épuisement une sorte de détente passagère. La ville était menée par des mouvements d'opinion qui changeaient brusquement d'un jour à l'autre, et quiconque restait trois mois absent, dit le poète comique Platon, ne la reconnaissait plus au retour[3].

Comment, dans cette agitation incessante, trouver un terrain ferme où le peuple s'unît pour reconstruire à nouveau l'édifice de l'État ? Le plus fort de tous les liens, la religion, avait perdu son efficacité, car elle reposait sur une soumission sincère à la tradition des aïeux. Or, c'était au contraire par une opposition déclarée aux idées traditionnelles, par une critique hardie de la simplicité des générations antérieures, par le doute et l'humeur frondeuse que se marquait la tendance de l'époque, qui trouvait son expression dans la sophistique. En outre, durant les années de guerre, les esprits s'étaient assauvagis, et les principes légués par les ancêtres avaient perdu leur empire. C'était déjà chose rare que de voir respecter un asile et épargner un ennemi réfugié dans un temple[4].

Les malheurs de la république contribuèrent aussi pour leur part à ébranler le sentiment ,religieux. La religion hellénique, en effet, n'avait rien d'idéal : elle ne sortait pas des bornes du temps et de l'espace, mais se trouvait en étroite connexité avec les circonstances présentes. Les dieux s'étaient si intimement associés aux États où ils avaient un culte officiel, qu'on les rendait responsables de la chose publique, et que, par conséquent, on perdait confiance en eux quand on voyait succomber les intérêts communs placés sous leur sauvegarde. C'est ainsi qu'après l'expédition de Sicile on se mit à faire fi de la divination, parce qu'on se crut trompé par les voix et les signes des dieux et qu'on reconnut, non sans quelque raison, dans la dévotion rigoriste de Nicias une des causes de la ruine totale de la flotte et de l'armée.

A cela s'ajoutait la tendance générale de l'esprit démocratique, qui était de se soustraire à toute autorité ; on finit par s'insurger contre les dieux même, et on les répudia quand ils eurent laissé périr l'État[5]. Mais, comme pourtant les hommes ne pouvaient se passer de religion, la décadence des croyances antiques amena un penchant pour les cultes étrangers, et à côté de l'incrédulité poussa spontanément une moisson inculte d'idées et de coutumes superstitieuses. Cette éclosion fut favorisée par les relations maritimes de la ville et la foule des colons étrangers. De même que la langue courante d'Athènes était déjà, vers la fin de la guerre, mélangée de toutes sortes de mots exotiques[6], de même, des divinités étrangères, le Sabazios phrygien, la Cotytto thrace, l'Adonis syrien, trouvèrent chaque jour plus d'accueil[7] ; au lieu d'une saine piété, se manifestant par une sincère participation au culte public, une peur maladive des puissances invisibles s'empara des esprits, qui cherchaient l'apaisement de cette angoisse intérieure dans des pratiques secrètes de toutes sortes ; par là grandit toujours le trouble des esprits et l'éloignement des citoyens pour la discipline et l'ordre. De sordides prêtres mendiants allaient de maison en maison quêter pour la Grande-Mère, et promettaient en échange l'absolution des péchés et des fautes. Une masse de sentences et d'écrits qu'on faisait remonter à Orphée étaient colportés par des aventuriers connus sous le nom d'orphéotélestes ; et il se fondait des associations secrètes qui se chargeaient, à la place des Mystères reconnus par l'État, de purifier les âmes tourmentées[8]. Des ventriloques rassemblaient autour d'eux la foule ébahie, en lui faisant croire qu'un démon résidait en eux et prophétisait par leur bouche. Un individu de cette espèce, nommé Euryclès, était déjà dans la première moitié de la guerre du Péloponnèse une personnalité célèbre d'Athènes, et ses grossières jongleries y obtinrent un tel succès que toute une école de devins ventriloques tira de lui son nom[9].

On voit quels écarts et quelle indiscipline résultèrent de cet envahissement de l'incrédulité ; l'effet direct de ces tristes égarements du sentiment religieux était d'affaiblir le sens moral. Les vertus de l'homme et du citoyen, que demandaient les divinités helléniques, tombèrent dans le mépris avec ces dernières. Tandis qu'on cherchait à calmer la conscience par des rites extérieurs et des sortilèges, on ne faisait aucun cas de la pureté intérieure ; on obéissait sans pudeur aux suggestions de l'égoïsme, et l'on perdait peu à peu le sentiment qu'un État ne peut subsister que par la loyauté de ses citoyens. Dans le silence de la maison, bien des gens restaient encore attachés à la vieille foi, mais précisément ceux qui donnaient le ton dans la société avaient, en se pénétrant de la civilisation de l'époque, absorbé le poison qu'elle recélait.

En face de ce courant hostile, la religion était par elle-même sans défense et incapable de résister avec ses propres forces au rationalisme qui mettait tout en question. Il lui manquait pour cela la possession d'une vérité objective qui se dressât en face de la raison humaine, lui imposant le respect et suscitant la conviction. Aussi bien, les poèmes homériques, que l'on considérait comme les sources et les témoignages authentiques de la foi populaire, montraient déjà d'une façon incontestable avec quelle liberté l'inspiration poétique avait traité cette foi, et, depuis que la pensée investigatrice avait trouvé son expression dans la philosophie, tous les systèmes, quelles que fussent d'ailleurs leurs divergences, se rencontraient sur ce point, qu'ils ridiculisaient ou combattaient les idées populaires sur la nature des dieux. Cette polémique, il est vrai, comportait la plus grande diversité. Les uns, comme Anaxagore, s'efforçaient, dans un esprit vraiment philosophique, de s'élever de la religion du peuple à une conception plus haute et plus pure de la divinité. Les autres se refusaient absolument à admettre la dépendance de l'homme vis-à-vis des puissances divines. A côté de ces grands courants de pensée, on voyait poindre de nouvelles tendances philosophiques et, du même coup, de nouvelles objections contre la religion. C'est ainsi que se développa, sur les données de la philosophie naturaliste, la doctrine de Démocrite, plus jeune d'une génération qu'Anaxagore[10], et qui acquit une grande influence pendant la première moitié de la guerre du Péloponnèse. Il tira des recherches antérieures cette conséquence, qu'il n'y a point d'autre substance que celle des corps, et point d'autre force motrice que la pesanteur. Dans un monde mécanique, il ne restait point de place pour le dieu d'Anaxagore, pour une intelligence agissant suivant une fin donnée ; il ne laissait aux dieux populaires, devenus des génies ou démons, qu'une existence peu digne de respect[11], et il expliquait les idées transmises par la tradition religieuse comme procédant des impressions de terreur produites par certains phénomènes naturels.

Ce système fut accueilli comme les autres à Athènes, et il ébranla, de concert avec la sophistique, maint esprit encore croyant. L'exemple le plus connu est celui de Diagoras de Mélos, poète lyrique, homme grave, le familier du nomothète Nicodoros de Mantinée. Au temps où cette ville arcadienne s'affranchit de la sujétion de Sparte et se constitua en république autonome, Diagoras vint à Athènes, et, bien qu'il eût été auparavant un chantre religieux, la puissance du doute le saisit ; subissant, à ce qu'on rapporte, l'influence personnelle de Démocrite, il devint un hardi libre penseur, persifla les dieux qu'il avait autrefois glorifiés, et jeta au feu un Héraclès en bois pour lui voir consommer son treizième travail[12]. Mais il froissa surtout les sentiments des Athéniens par son mépris pour leurs Mystères, dont il livra les doctrines à la publicité et au ridicule.

Ainsi les attaques contre la religion devenaient plus pressantes et plus nombreuses ; la masse était hors d'état de distinguer entre la philosophie et la sophistique ; pour elle, l'incertitude complète était la conséquence finale de ce mouvement intellectuel, et, à l'exception de ceux qui, guidés par une piété profondément enracinée, tenaient ferme aux anciens usages et savaient tirer des traditions léguées par les ancêtres ce qu'elles contenaient de vérité religieuse et morale, le plus grand nombre rejetaient tout en bloc et flottaient à l'aventure dans le courant de l'époque, sans trouver de compensation pour ce qu'ils avaient perdu.

Les prêtres n'étaient pas en état de protéger la religion. Sans doute, ils prenaient parfois, dans leur zèle irrité pour leurs dieux, une attitude virile ; ils ne voulaient pas consentir à laisser substituer à l'action vivante d'êtres personnels le jeu de forces naturelles aveugles. Dans la personne de Diopithe, l'autorité sacerdotale avait repris quelque pouvoir dans l'État, en exploitant avec adresse les luttes dans lesquelles les partis se trouvaient engagés. Anaxagore en fut la victime, et quiconque s'était trouvé en contact avec lui devint, comme l'historien Thucydide, suspect de libre pensée[13]. Diagoras fut de même proscrit (411 : Ol. XCI, 2) ; sa tête fut mise à prix, et l'on essaya même de faire de cette persécution une affaire commune à la Grèce entière[14]. Protagoras et d'autres furent poursuivis comme athées. Mais à quoi servait ce fanatisme, qui faisait explosion dans quelques cas et obtenait quelques condamnations contre les hérétiques ? Il n'existait pas de caste sacerdotale pour guider la conscience morale, pour représenter la croyance du peuple, et pour prendre soin du trésor de notions déistes qu'elle renfermait. Delphes n'avait plus de puissance, et sa sagesse était morte. Nulle part ne se rencontrait d'autorité efficace ,dans le domaine spirituel ; il n'y avait ni loi, ni règle, ni base solide pour la foi nationale, d'où résultait l'impossibilité d'une éducation qui en inculquât à la jeunesse les traits fondamentaux : la sagesse antique que celle-ci apprenait dans les sentences d'Hésiode ne pouvait soutenir les attaques du moment, et, avec la décadence de la religion et de la morale, l'État, malgré sa restauration toute récente, était menacé d'une inévitable décadence.

S'il restait quelque secours à attendre, il devait venir d'ailleurs, c'est-à-dire du côté de la philosophie et de l'art. La première avait à réparer le mal commis par la sophistique ; son œuvre consistait à remettre en crédit par des spéculations plus profondes les lois morales tombées dans le mépris, et à raffermir les forces conservatrices de la société politique. Quant à l'art, et principalement l'art de la poésie, sa mission était de se faire le maître et le guide du peuple, de représenter dans l'agitation égoïste de la vie quotidienne les aspirations idéales, de maintenir en honneur les traditions nationales, et d'opposer aux tendances dissolvantes de l'esprit du siècle un contrepoids salutaire. L'art chez les anciens n'était pas, en effet, un ornement extérieur de la vie, qu'on pouvait prendre ou laisser selon les circonstances ; ce n'était pas un luxe, dont on jouissait dans les temps prospères et qui se retranchait de lui-même aux jours de l'adversité. L'art était, au contraire, un élément indispensable de la vie publique, surtout à Athènes ; il était une puissance dans l'État ; il remplaçait ce que la religion laissait à désirer ; il était l'expression du sentiment collectif, et, comme Athènes ne pouvait se passer de représentations publiques, on attachait une importance extrême au caractère des poètes qui fournissaient les pièces. Avoir de bons poètes était un des besoins les plus essentiels de l'État ; aussi la comédie elle-même, avec tout le sérieux et le patriotisme dont elle était susceptible, insista à cette époque à plusieurs reprises sur ce besoin et exprima le vœu, profondément senti des citoyens, de posséder des auteurs tragiques unissant la noblesse du talent à l'amour dévoué du pays.

C'est qu'en effet le drame sérieux était appelé, plus encore que toutes les autres branches de l'art, à exercer une action considérable. C'était le genre le plus riche en ressources, le plus connu, celui qui s'adressait le mieux au peuple tout entier ; c'était aussi le genre le plus purement attique, celui qui contribua surtout à signaler Athènes comme la capitale intellectuelle de la Grèce. Le théâtre d'Athènes était en même temps le théâtre de l'Hellade entière ; et, quand on avait envie de connaître des œuvres d'art dont aucune description ne pouvait donner une idée, ou quand on se croyait quelque talent qu'il fallait perfectionner ou mettre en lumière, on se rendait à Athènes, où l'on ne mettait aucune espèce d'obstacles à la libre concurrence.

C'est ce que fit déjà Ion de Chios, un vrai Ionien qui, doué des aptitudes multiples de sa race, brilla parmi les Athéniens comme poète et comme prosateur, dans l'élégie et le drame. Érétrie était le pays natal d'Achæos, un contemporain de Sophocle et plus jeune que lui, qui remporta une victoire dramatique à Athènes et sut prêter un charme nouveau aux pièces satiriques par le tour spirituel de son imagination ; Tégée en Arcadie était la patrie d'Aristarchos, qui se naturalisa si bien à Athènes qu'il finit par exercer, dit-on, une influence déterminante sur les usages de la scène attique, en ce qui concerne les proportions du drame : enfin, Néophron, auteur dramatique singulièrement fécond, qui introduisit avec un tact heureux des sujets nouveaux dans le cercle de la littérature dramatique, — par exemple, la légende de Médée, — était de Sicyone.

Ce commerce intellectuel si vivant avec le dehors fut naturellement gêné et entravé par la guerre ; dans la dernière période surtout, Athènes ne pouvait rester le rendez-vous des talents rivaux de la Grèce, et le désastre qui, à la fin de la guerre, renversa la puissance politique d'Athènes marqua aussi pour le théâtre de la ville une époque néfaste, car, un an avant le siège et la reddition de la ville, Sophocle mourut (405 : Ol. XCIII, 3). C'est avec raison que Phrynichos le célébra dans ses Muses, représentées en même temps que les Grenouilles d'Aristophane, comme un homme comblé des faveurs du sort, puisqu'après une longue vie et un labeur largement récompensé par le succès, il s'en était allé sans avoir été atteint par la mauvaise fortune[15]. Comme sa poésie est le miroir où la grandeur d'Athènes rayonne à nos yeux dans tout son éclat, de même sa vie donne la mesure la plus manifeste de la courte durée de cette grandeur. Il chanta le péan de la victoire au moment où le soleil du bonheur montait à l'horizon : il mourut avant de l'avoir vu s'éteindre tout à fait. La guerre même ne devait point lui ravir quelque chose des honneurs rendus à sa tombe : les bandes ennemies ne troublèrent pas le cortège funèbre qui s'avançait vers Colone[16], et une gracieuse légende, brodée sur ce thème, affirma que Dionysos lui-même, le dieu du théâtre attique, aurait pris soin de la gloire de son favori, en recommandant par la voie des songes d'honorer le grand poète.

Sa poésie resta vivante après lui. Son dernier ouvrage, Œdipe à Colone, où la fin du roi thébain est présentée avec une sublime poésie comme le terme réparateur d'une existence chargée de misères et de fautes, fut mis à la scène par Sophocle le jeune, son petit-fils (mars 401 : Ol. XCIV, 3). Eschyle eut le même privilège : non seulement il 'se survivait à l'état de héros dans la mémoire des Athéniens, mais son talent se transmit par héritage jusqu'à la quatrième génération. Son fils Euphorion, son neveu Philoclès, ainsi que le fils de celui-ci, Morsimos, et son petit-fils, du nom d'Astydamas[17], furent des poètes dramatiques ; et c'est réellement un curieux témoignage :de la solidité et de la cohésion qu'on trouvait encore à Athènes dans les familles, en dépit de l'esprit novateur et inquiet d'une époque tourmentée, que la rivalité des deux maîtres se soit perpétuée dans les diverses générations de leurs descendants[18]. Philoclès disputa le prix à Sophocle lui-même et réussit à l'emporter sur Œdipe-Roi. Astydamas et Sophocle le jeune florissaient au temps qui suivit la guerre du Péloponnèse, et ces deux émules étaient alors les plus féconds auteurs dramatiques d'Athènes. Les familles d'artistes devinrent des écoles artistiques, où le style des maîtres se conservait et se cultivait avec piété. On reprit même à la scène les anciennes pièces ; pour Eschyle, un plébiscite spécial décréta qu'on ne refuserait point un chœur à tout poète qui voudrait remonter une de ses pièces[19] Et c'eût été sans nul doute une bonne fortune pour Athènes que de revenir plus fréquemment aux œuvres classiques et de s'y récréer. Mais le public voulait du changement ; les grandes fêtes annuelles de Dionysos exigèrent des pièces nouvelles, et c'est ainsi que, grâce à l'habileté croissante qu'on avait acquise dans le maniement de la langue et du vers, il se produisit un encombrement de gens de toutes les classes, et que le nombre augmenta de ceux qui, sans être nés poètes, s'essayèrent dans le drame et imitèrent avec plus ou moins de bonheur les vieux maîtres.

Aussi se rencontra-t-il à Athènes une grande quantité de poètes de second ordre, qui surent acquérir une certaine autorité, bien que suppléant par des artifices extérieurs et un certain degré de culture générale à la puissance du génie. Ce qui leur manquait, la comédie savait bien le dire, elle qui suivait d'un œil attentif la marche de l'art tragique ; et plus d'un de ces dilettantes si habiles à imiter se vit flageller par elle avec une amère raillerie : par exemple, Théognis, membre du collège des Trente, que les plaisants d'Athènes surnommaient l'homme de neige, parce que sa poésie était artificielle et glaciale. Toute la Thrace, rapporte un envoyé dans les Acharniens d'Aristophane, était couverte de neige, et tous les fleuves figés par la glace : c'était au moment où Théognis disputait à Athènes le prix du théâtre[20], comme si la qualité de ses pièces avait quelque rapport avec le froid tout particulier de cet hiver-là De même, Aristophane célèbre les charmes du printemps, à la condition que Morsimos, fils de Philoclès, ne donne pas de pièce pendant la saison[21]. A Sthénélos on reproche de se parer des plumes d'autrui ; on se moque de Carcinos et de toute sa coterie poétique à cause de ses rythmes, dont la grâce cherchée prêtait à rire. On ne ménageait pas davantage Mélétos, personnage qui, depuis l'an 425 (Ol. LXXXVII, 4), faisait beaucoup parler de lui dans Athènes. C'était une tête remuante, un esprit vif et plein de talent, mais sans caractère et d'une existence désordonnée ; comme poète, il chercha d'abord à se faire connaître par des essais lyriques, puis sur la scène, où il se posait en émule d'Eschyle et osait écrire une Œdipodie. Mais ses pièces étaient dépourvues de cette chaleur interne que le génie seul peut donner : aussi Aristophane, dans son Gerytades (qui ne remonte pas au delà de Ol. XCVI[22]), le fait descendre chez Pluton pour demander secours dans sa propre détresse aux maîtres défunts[23] ; ce qui signifie que la véritable poésie est morte avec Eschyle et Sophocle, et que les poètes encore vivants prolongent leur vie avec les miettes ramassées à la riche table des vieux maîtres. De même, Aristophane dit d'un des poètes les plus récents, qu'il lèche les lèvres de Sophocle comme un tonnelet débordant de miel[24].

Un poète d'une originalité incomparablement plus marquante était Agathon, fils de Tisaménos, le modèle de l'Athénien distingué et spirituel. Beau de sa personne[25], riche, généreux, aimable, il était le centre de la haute société, qui aimait à se réunir à sa table hospitalière et prenait part à ses triomphes avec une sympathie quelque peu intéressée. Bavait déjà  remporté avant l'expédition de Sicile ses premières victoires poétiques[26] ; et, autant qu'une éducation exquise, une intelligence vive et la pleine possession de tous les artifices légitimaient de pareils succès, il y avait des droits bien fondés. Il savait, avec un grand talent, accommoder à la scène les doctrines sophistiques, et, d'une manière très conforme au goût de l'époque, unir la poésie à la rhétorique, où il était disciple de Gorgias. Ici, par conséquent, se révèle une tentative de perfectionnement du drame. Il ne voulait pas se borner à l'imitation ; il sentait que l'art dramatique ne doit pas persévérer dans des formes stéréotypées, s'il prétend exercer une action sur le présent. L'indépendance dont il faisait preuve dans le choix de ses sujets se voit rien qu'aux titres de ses pièces ; car, tandis que les titres des tragédies classiques en laissent, en règle générale, facilement deviner le contenu, le nom de Anthos (la Fleur)[27], titre d'une des pièces d'Agathon, reste absolument énigmatique et montre combien il s'éloignait des traditions de la scène attique. Il était habile à construire le plan, original dans ses idées ; mais ses ouvrages, en fin de compte, avaient plus d'éclat que de chaleur, montraient plus d'esprit que de profondeur de pensée et de sentiment, et l'on remarquait que le secours de la rhétorique était nécessaire là 'où le manque de force créatrice se faisait sentir. Agathon n'était pas un caractère viril ; il était mou, gâté, frivole ; il n'était pas, comme le véritable poète, sous l'empire d'une puissance supérieure, assez entraîné par elle pour s'oublier lui-même dans ses œuvres ; au contraire, il y mettait le reflet de sa propre personnalité, et ce complaisant amour de soi perçait partout. Aristophane représente son serviteur faisant un sacrifice avec de la myrrhe et brûlant des parfums dans toute la maison, au moment où le maître s'apprête à composer. De pompeux préludes invoquent tout le chœur des Muses, et cette enflure fait un contraste d'autant plus sensible avec le vide et la fadeur de l'ouvrage. Le mérite d'Agathon consistait dans l'habileté technique, qui ne saurait échauffer l'esprit ; la chasse aux petits effets, qu'il comptait atteindre par des figures saisissantes et des jeux de mots, fatiguait l'auditoire ; l'effet général, qui résulte de la cohésion interne d'un drame profondément pensé, faisait défaut, et le poète avouait lui-même sa faiblesse dramatique, en cherchant à rehausser ses pièces de chants intercalés[28], sans rapport avec l'action.

Tel était l'état de l'art dramatique à Athènes : ou bien une complète dépendance des modèles classiques, comme elle se maintenait principalement dans les écoles de famille issues des deux grands maîtres, ou des tentatives de nouveautés pour flatter le goût du temps. On ne peut guère apprécier en détail ce qu'ont produit ces deux courants littéraires, car les œuvres qui en sont sorties sont perdues, et leur souvenir même s'est évanoui presque sans laisser de traces. La cause en est qu'à l'époque où la critique fixa son jugement sur la littérature dramatique d'Athènes, ces innovations ne furent considérées que comme une décadence de l'art véritable, et que les œuvres d'Agathon, comme celles des simples imitateurs d'Eschyle et de Sophocle, furent à ce titre condamnées à l'oubli.

Un seul poète sut se frayer sa voie. La fécondité et la force de son esprit l'élevèrent au-dessus de la masse de ses médiocres contemporains et lui valurent une telle gloire, qu'il ne fut pas éclipsé par ses devanciers, mais prit place à côté d'eux comme le troisième. Chacun des trois tragiques, il est vrai, représentait une époque distincte de l'histoire d'Athènes ; mais Eschyle, combattant de Marathon, et Sophocle, témoin du siècle de Périclès, se tenaient sur le même terrain. Il y avait là une vieille et une jeune génération, un puissant progrès de l'une à l'autre, mais point de solution de continuité. De même que Cimon et Périclès pouvaient s'entendre, de même les représentants poétiques de leur époque pouvaient se sentir en communion intellectuelle. Sophocle assista à toute la révolution qu'amena la guerre ; il vécut dans la même atmosphère qu'Agathon et Euripide et sous les mêmes influences ; mais il se dressait dans sa grandeur poétique au-dessus de ces couches inférieures et ne laissait pas troubler l'harmonie de son génie par le mouvement de fermentation qui travaillait un monde en train de se décomposer. Euripide, au contraire, était au milieu du mouvement ; il s'y laissait aller tout entier, et sa valeur consiste en ce qu'il posséda assez de force et de courage pour perfectionner, à cette époque et pour elle, l'art dramatique. La meilleure manière de juger de l'immense changement qu'éprouva Athènes pendant les années de la guerre, c'est de comparer les deux poètes. On pourrait croire qu'un long âge d'homme les sépare, et pourtant Euripide n'est que de seize ans plus jeune que Sophocle et mourut même avant lui.

Euripide, fils de Mnésarchos, était issu d'une noble maison[29]. Il grandit dans une condition opulente et trouva les plus grandes facilités pour profiter des ressources intellectuelles que sa patrie offrait à la jeunesse. Il fut un disciple zélé d'Anaxagore, de ce puissant penseur qui agit avec tant de force sur les esprits les plus divers, et la magnifique peinture qu'il fait du vrai Sage[30], portrait où les contemporains reconnurent Anaxagore, montre quelle haute et sérieuse mission il assignait à la philosophie[31]. Il eut des rapports avec Socrate. Il s'intéressa vivement aux efforts multiples des sophistes ; c'est dans sa maison que Protagoras lut les écrits qui le firent poursuivre comme athée[32]. En outre, Euripide rassembla les ouvrages des anciens philosophes[33], parmi lesquels Héraclite surtout fit une profonde impression sur lui. Ces études lui paraissaient son affaire la plus sérieuse, et, quand il n'écoutait pas les controverses des sophistes, il ne se plaisait nulle part mieux qu'auprès de ses volumes ; il suivait, en cherchant et en creusant, le chemin par où la pensée des Hellènes avait essayé de s'éclairer sur les choses divines et humaines. Cependant il ne faisait pas de cette occupation l'œuvre de sa vie ; l'étude et les recherches ne le contentaient pas : il avait une intelligence trop excitée, une imagination trop vive ; il possédait le don brillant de l'invention et de l'exposition, et ce don le conduisit à la poésie dramatique.

Mais ici l'attendait une tâche difficile. Le grand style de la poésie de Sophocle n'était plus susceptible d'aucun perfectionnement ; si donc il prétendait sortir du cercle des simples imitateurs, il lui fallait mettre à la scène le mouvement nouveau des esprits, accommoder au drame la philosophie du jour. Il se voua à cette tâche avec une persévérance et une fidélité qui portent de l'énergie de son caractère un témoignage d'autant plus glorieux, que les temps en général semblaient plus défavorables à la poésie, et que les attaques, les injures, les déboires, l'atteignaient plus douloureusement.

Ce fut un malheur pour lui de ne pas survivre à son grand devancier, parce qu'il n'arriva jamais à la pleine jouissance de sa gloire. Car, quelle que fût en bien des points la versatilité des Athéniens, quelque changement que les années de guerre eussent opéré en eux, ils restaient, par habitude et par un sentiment juste de l'art, attachés au vieux style du drame, et, malgré le vif intérêt qu'excitait Euripide, l'association de l'art et de la sophistique, de la réflexion et de la poésie, leur paraissait une innovation en quelque sorte inconvenante. Sophocle resta le classique . par excellence ; c'est à lui que d'année en année on décernait les premiers prix, tandis qu'Euripide, sur plus de quatre-vingt-dix pièces, n'en vit couronner que cinq[34]. Tous les amis des anciens lui étaient radicalement opposés, surtout Aristophane ; mais, bien que ce dernier et ceux qui partageaient son avis reconnussent les côtés faibles du genre nouveau, ils ne surent pas indiquer d'autres voies où le drame continuerait à se développer, et moins encore signaler des poètes qui donnassent à leurs efforts une direction meilleure. Pourtant, Euripide ne travailla pas en vain. Plus le nombre des poètes féconds allait s'éclaircissant, plus il trouvait d'écho et d'influence, et, vers la fin de la guerre, il était le véritable dramaturge du peuple, le favori du grand public. On goûtait la hardiesse et l'indépendance avec lesquelles il traitait les vieilles légendes et les évoquait si vivantes qu'on croyait assister à ces actions mythiques comme aux événements du présent. L'homme du peuple était fatigué du pathos de l'ancienne tragédie et se livrait avec bonheur au poète qui lui rendait tout intelligible et familier, qui parlait sa langue et lui montrait des héros qu'il pouvait considérer comme ses semblables. Les vers d'Euripide se gravaient facilement dans les mémoires ; ses sentences, comme une monnaie courante, passaient de main en main ; ses pièces s'écoutaient avec ravissement et se lisaient beaucoup, car, juste à ce moment, la propagation des écrits formait une florissante industrie à Athènes. Pour une drachme, on pouvait se procurer au marché les œuvres d'Anaxagore[35], et l'ignorance de ces œuvres passait pour untel manque d'éducation, que c'était une grossièreté de la supposer aux membres d'un jury athénien. Quand on fit le procès à Protagoras, la poursuite judiciaire s'étendit à ses écrits, et tous les exemplaires vendus durent être livrés à l'autorité[36].

Il régnait dans le public athénien une véritable fureur de lecture, et même les confidentes de tragédie en appelaient à des légendes dont elles avaient connaissance par de vieux écrits[37]. Dans la lecture, l'Athénien était plus indépendant des traditions de la scène et s'abandonnait avec moins de précaution au sentiment de satisfaction que lui causait le poète, en lui faisant retrouver et lui-même et son temps. Aussi les pièces d'Euripide le suivaient-elles sur mer et sur terre et le consolaient dans l'exil et dans le malheur[38].

Pourtant, Euripide ne resta pas au milieu de ses concitoyens. En l'an 408 (Ol. XCIII, 1), il accepta, déjà avancé en âge, l'invitation du roi Archélaos et alla en Macédoine, où l'attirait la nouvelle civilisation hellénique qui se développait en ce pays. Il fut un des premiers qui portèrent en dehors de l'Hellade la muse dramatique d'Athènes ; il avait le pressentiment que la fleur de l'art hellénique était destinée à devenir le bien commun de tous les peuples dont les efforts tendaient à une moralité plus haute. De même qu'Eschyle avait chanté les fondations de Hiéron, il chanta celles d'Archélaos, et, lorsqu'il exalte le roi qui, semblable aux anciens héros, allait asseoir à demeure la civilisation dans les pays du nord, en y jetant un réseau de routes militaires bien protégées[39] ; lorsqu'il célèbre avec bonheur l'antique séjour des Muses sur la côte de Piérie, où maintenant s'épanouissaient de nouveau des solennités helléniques, on reconnaît l'inspiration féconde que cette émigration valut au poète. Il y trouva pourtant des ennemis qui le voyaient d'un œil jaloux en possession de la faveur royale, et, après un séjour de deux ans à Pella, le vieillard de soixante-quatorze ans tomba, selon toute apparence, victime de leur rancune[40].

S'il est juste d'appeler Euripide plutôt que Sophocle un enfant de son siècle, l'on n'entend point dire par là que les tendances liées à la décadence morale d'Athènes l'aient complètement dominé et rendu étranger aux aspirations plus hautes de ses devanciers. Non seulement il se montrait irréprochable dans sa vie et sa conduite, et bien éloigné de dédaigner à la légère les mœurs du passé, mais il y avait en lui un idéal plein de force et de profondeur. Il se sentait un vif besoin religieux, un ardent amour pour la contemplation silencieuse des choses divines et humaines, une impulsion irrésistible à comprendre les problèmes du gouvernement de ce monde, impulsion d'autant plus puissante en lui, qu'il ressentait de la façon la plus vive les douleurs de l'humanité, et qu'il était pénétré d'un profond sentiment de justice dont il cherchait la satisfaction. Mais ses recherches n'aboutirent à aucun résultat ; il ne trouva nulle part la conciliation des antinomies et la conclusion définitive dont il avait besoin, ni dans la foi ni dans le doute. Il était trop religieux pour s'en tenir à la simple négation, et trop éclairé pour s'attacher à la tradition. Dans l'âme paisible de Sophocle se reflétaient les formes grandioses de l'antiquité : le poète s'y abandonnait en amplifiant par instinct, en approfondissant, en mettant en harmonie avec les idées de l'époque les images des dieux et des héros consacrées par le temps, comme faisait Phidias dans son domaine. Euripide, au contraire, ne savait jamais s'oublier, non plus que ses doutes, et l'excitation profonde, pénétrante où il vivait se communiquait à toutes ses œuvres. Aussi ne pouvaient-elles agir dans le sens de l'apaisement ; il leur manquait l'empreinte de cette heureuse harmonie que portent les œuvres plus anciennes. Cet insoluble conflit de la spéculation et de l'art a fait souffrir Euripide toute sa vie, comme homme et comme poète, d'autant plus qu'il ne trouva ni dans des occupations publiques et dans une participation empressée aux affaires communes, ni même dans la vie de société un contrepoids à ses troubles intérieurs. Aussi, par un absolu contraste avec la sérénité et la bienveillance aimable de Sophocle, il était chagrin et mécontent ; amer dans ses jugements et prompt à blâmer ; partout il voyait les ombres, entendait les discordances et exhalait sur les hommes et les dieux la mauvaise humeur dont il était plein ; car, même quand il s'agit des dieux, il leur demande raison de ce qu'ils font ou permettent.

Plus cet état semblait défavorable à l'éclosion d'œuvres poétiques, plus est admirable le courage d'Euripide à donner au drame attique un développement nouveau, et le succès avec lequel il procéda. Il est d'ailleurs incontestable qu'il fit porter ses innovations sur les points où elles étaient à leur place.

Les dieux et les héros de l'ancienne tragédie étaient des figures qui s'étaient transmises d'âge en âge dans toute la fixité de leurs contours ; les caractères étaient donnés par la légende ; l'imagination des poètes les avait dotés de leur effigie définitive, et elle l'avait fait avec cette précision et cette netteté de forme où nous reconnaissons le sens plastique des Hellènes, le même qui a ciselé dans le marbre et l'airain les images des divinités nationales. Le masque, le cothurne, le costume, contribuaient à marquer les divers rôles d'après une règle traditionnelle, et, pénétrés eux-mêmes d'un pieux respect en face des personnages de la tragédie, les poètes n'avaient pu les humaniser. Il fallait les mesurer à une autre échelle ; ils marchaient dans leur grandeur surhumaine, semblables à ces figures sculptées par Phidias sur le fronton du Parthénon, que chacun reconnaissait à première vue pour des êtres appartenant à une espèce supérieure. Certes, Sophocle sut mettre les figures légendaires plus à la portée de la sympathie et montrer en elles la vie intime de l'âme : les rapports entre parents et enfants, entre époux, entre frères, ressortent avec plus de chaleur, de vérité et un accent plus humain. Cependant, ce ne sont pas des individus distincts qui s'offrent à nos regards, mais comme des types symboliques, qui embrassent des genres et des groupes entiers de personnalités humaines ; malgré leurs humaines faiblesses, ils restent des caractères idéalisés, et la grandeur sublime qui les environne vient de ce que, dans les personnages, les traits fondamentaux, les contours invariables sont seuls dessinés.

Si l'on voulait ne pas persévérer sans modification dans cette manière, qui à la longue tombait fatalement dans la monotonie, il fallait se risquer à montrer sur la scène des hommes réels, et cela, non seulement parmi les personnages de rang inférieur, tels qu'étaient les messagers, les gardes et confidentes, rôles où les vieux poètes tragiques eux-mêmes introduisaient déjà des traits frappants empruntés à la vie journalière, mais encore parmi les personnages principaux. C'est ce que tenta Euripide ; il s'ouvrit là un champ nouveau, où il mit à profit tous les dons naturels qu'il possédait ou ceux qu'il s'était acquis par l'expérience et l'éducation, son esprit d'une sensibilité si vive, son brillant talent de trouver le mot juste pour chaque sentiment, la connaissance exacte de tout ce qui pouvait émouvoir les hommes de son temps, sa science de la sophistique, qui le rendait capable d'éclairer d'une vive lumière et de motiver d'un trait pénétrant tous les points de vue qui dirigent les opinions humaines. Aussi rompit-il hardiment avec les traditions du théâtre tragique ; il tira les figures hors des brumes du passé pour les placer dans la pleine lumière du présent ; il ramena la langue du pathos tragique aux proportions du langage usuel d'Athènes, et ne se contenta pas de présenter les hommes dans leurs grands traits, mais peignit de la façon la plus précise leurs douleurs et leurs joies, dans tous les degrés et toutes les vicissitudes de la sensibilité la plus vive.

Mais, dans cette voie, il rencontra des difficultés considérables ; car il continuait à traiter les sujets fournis par la légende épique, et il tombait par là dans une contradiction qui se faisait sentir d'une façon déplaisante. Ses héros portaient les noms d'Héraclès et d'Agamemnon ; ils s'avançaient hors de leur palais dans des costumes splendides et chaussés du haut cothurne, entourés d'un cortège respectueux de serviteurs ; mais ces personnages eux-mêmes étaient comme racornis, réduits à l'état ,de simples mortels, et n'étaient plus à la taille de leur rôle. C'étaient des hommes trop faibles pour qu'on pût décemment les représenter en lutte avec les puissances du Destin, des hommes que tourmentaient les peines d'amour et les misères conjugales, la pauvreté et tous les ennuis de la vie d'ici-bas. De ces masques grandioses inventés pour les figures d'Eschyle sortait la voix grêle d'hommes pareils à ceux qu'on rencontre tous les jours, de gens qui aspiraient à exciter une émotion sympathique, comme celle que nous accordons à l'infortune de notre prochain. Voilà ce qui devait choquer le sens artistique, là où il était sain encore : c'était un avilissement des figures homériques ; on y voyait même comme une profanation du trésor vénérable des traditions nationales.

Euripide lui-même n'était pas, tant s'en faut, indifférent à l'égard de la légende populaire ; il l'appréciait en connaisseur érudit. Il a su rehausser les sujets scéniques plus anciens de maints traits qui avaient échappé aux autres, et il fit entrer avec un grand talent dans son répertoire des sujets nouveaux, qui offraient au public d'Athènes un intérêt patriotique ou qu'il trouvait éminemment propres à fournir les éléments d'un spectacle saisissant. Sous le premier rapport, l'Ion est remarquable : la scène se passe à Delphes, où le fils inconnu d'Apollon et de Créuse, fille d'un roi attique, séjourne comme serviteur du temple, jusqu'à ce qu'il soit tiré de ce saint asile et ramené dans sa patrie pour y fonder, à titre de roi local et indigène, une ère de grandeur et de gloire. De même, les fragments d'Érechthée témoignent d'une profonde et chaleureuse intelligence des légendes du pays natal. Neuf de ses tragédies traitent des sujets attiques [41] ; mais, dans les autres aussi, il profite de chaque occasion pour exalter son pays, et, quand il célèbre de tout son cœur la bénédiction des dieux descendue sur l'Attique, les trésors intellectuels d'Athènes, ses lois, ses principes d'équité, ses grands hommes, il devait saisir vivement les âmes, échauffer le patriotisme et enflammer ses concitoyens du désir d'imiter de si nobles modèles.

Sous le rapport des qualités dramatiques, les pièces les plus distinguées sont celles où le premier rôle est tenu par des personnages féminins. Telle est Phèdre dans Hippolyte, où une passion coupable, l'amour d'une belle-mère pour le fils de son mari, est dépeinte de main de maître dans son développement graduel, depuis les vains efforts faits pour le combattre jusqu'à l'aveu qui en échappe ; puis, depuis l'explosion de la fureur d'une femme dédaignée jusqu'à l'expiation du crime par une mort volontaire. De même, la peinture des luttes qui se livrent dans l'âme d'une Médée devait supérieurement réussir au poète, car là ses qualités originales pouvaient le mieux se donner carrière, sans nuire à la dignité du sujet ni dénaturer la tradition. Aussi s'adonnait-il aux sujets de cette espèce avec un attrait tout particulier.

Mais, en général, il en était autrement. Euripide ne vivait pas dans la contemplation du monde des héros, comme Eschyle et Sophocle ; le passé comme le présent se déroulait sous ses yeux dépourvu de tout éclat, et les personnages aussi bien que les sujets ne l'attiraient qu'autant que, par un plan plus ingénieux de l'action et une description plus animée des caractères, il espérait pouvoir montrer son talent et l'avantage d'une culture plus avancée. Au lieu d'adopter naïvement et respectueusement la tradition, il se plaçait en face d'elle avec sa critique pénétrante, rejetait les fables d'Homère, où il trouvait des fictions inconvenantes pour les dieux, et ne craignait pas de laisser percer dans ses pièces la voix criarde du doute et de la négation, au point d'enlever aux faits tout intérêt réel. Quand l'Olympe tout entier était remis en question, que la croyance populaire était traitée avec une compassion railleuse, les figures de ce monde idéal se réduisaient nécessairement à de vains fantômes de théâtre, et un souffle d'un froid glacial traversait la scène dépouillée de ses dieux.

Comme Euripide ne s'intéressait pas lui-même à ses sujets et ne pouvait se dissimuler combien leur valeur devait souffrir de sa façon de les traiter, il chercha à leur prêter du charme par d'autres procédés ; c'est à quoi lui servit l'enchaînement habile des situations où, grâce à des intrigues finement imaginées, il visait à tenir en haleine la curiosité des auditeurs, effet dont les anciens poètes ne s'étaient jamais préoccupés. En outre, il tâchait de choisir et d'arranger ses sujets de manière à leur donner le piquant de la nouveauté par des allusions aux circonstances actuelles.

C'est ainsi que, vers 420 (Ol. XC, 1), il écrivit ses Suppliantes à la gloire d'Athènes, qui procure de vive force aux princes argiens tombés devant Thèbes les honneurs de la sépulture. Ce titre à la reconnaissance d'Argos est mis en évidence pour amener cet État, comme le poète le dit expressément à la fin, à une solide alliance avec les Athéniens ; d'autre part, après la bataille de Délion, à la suite de laquelle les Thébains refusèrent aussi la sépulture à leurs adversaires tombés, les luttes soutenues jadis contre Thèbes offraient un intérêt immédiat. C'est de la même époque et de la même pensée que procèdent les Héraclides, où on exalte la générosité d'Athènes envers ses ennemis d'alors, afin de montrer l'ingratitude de Sparte et de renforcer le parti attique dans le Péloponnèse, et cela, dans le sens de la politique d'Alcibiade, à laquelle le poète adhérait visiblement. En outre, on rencontre çà et là dans les pièces les plus diverses des allusions qui certainement exerçaient une action considérable sur le peuple réuni, comme les vers de la fin d'Hippolyte (428 : Ol. LXXXVII), qui devaient rappeler à toutes les mémoires la mort toute récente de Périclès[42], l'explosion de colère sur la déloyauté de Sparte dans Andromaque, tirade qui, en 425 (Ol. LXXXIX, 2), trouvait à coup sûr de l'écho, etc. Mais, en général, ces passages et ces pièces à tendances ne marquent certainement pas un progrès de l'art tragique ; car il ne pouvait être que préjudiciable aux œuvres dramatiques que le mythe dégénérât en une allégorie préoccupée de questions toutes modernes, et que l'intérêt principal se trouvât en dehors de l'action. L'attention était partagée et l'harmonie détruite.

Le mieux eût été qu'Euripide renonçât entièrement à ces vieilles légendes, pour lesquelles, en somme, il ne se sentait point de goût. Car enfin, il devenait d'année en année plus difficile de produire quelque chose de neuf ; tous les sujets avaient été traités, et à plusieurs reprises ; toutes les situations étaient indiquées, tous les personnages connus. Qu'on prononce seulement, dit le poète Antiphane, le nom d'Œdipe, on connaît déjà tout le reste : Jocaste, Laïos avec ses enfants, son crime, son infortune ; qu'on nomme seulement Alcméon, point d'enfant qui ne s'écrie : C'est celui qui a tué sa mère ![43] La revue des sujets antérieurement traités enlevait au poète sa liberté d'esprit ; et ce qu'il y avait de plus dangereux, c'est qu'il se laissait aller (le cas n'est pas rare chez Euripide) à jeter de côté et d'autre sur ses devanciers le regard du critique, à relever leurs fautes contre la vraisemblance et à introduire ainsi dans la poésie des éléments qui lui sont complètement étrangers[44].

Quoi donc de plus naturel que des poètes bien doués se missent en quête de sujets où ils avaient les mains libres, comme Agathon le fit, ,non sans bonheur ? L'histoire nationale ouvrait un vaste champ, et des modèles grandioses du genre étaient donnés dans les Phéniciennes, dans la Prise de Milet et les Perses. C'est dans son Archélaos qu'Euripide s'est le plus rapproché de cette voie. Toutefois, il ne possédait pas la force de génie capable de créer un genre nouveau et indépendant ; il lui manquait, à lui, toujours à la recherche de vérités générales, le sens du réel, le sens historique. Avec ce penchant prédominant à la réflexion, qui était un trait fondamental de son caractère, les sujets mythiques paraissaient les plus appropriés à sa tournure d'esprit, parce qu'il y pouvait le plus commodément mettre du sien et qu'il y trouvait l'occasion, dans des passages plus ou moins opportuns, de développer ses vues sur Dieu et le monde, sur les rapports de famille et la valeur des diverses formes politiques.

En effet, le capital intellectuel que le poète avait à sa disposition consistait tout particulièrement dans la culture sophistique. Il a su, mieux que personne, en rendre les maximes par des mots frappants ; aussi le regarde-t-on comme un des représentants les plus influents de cette école, et, à ce titre, les uns l'ont loué avec une admiration fougueuse, les autres attaqué avec colère et emportement.

Les partisans des anciennes idées ne pouvaient lui pardonner sa prédilection à représenter les conflits qui éclatent entre les inclinations passionnées et les règles de la morale pratique, à exciter l'imagination des spectateurs en leur montrant des héroïnes devenues criminelles par amour[45]. On le considérait comme un séducteur du peuple quand, sur le mariage et la famille, il exprimait des opinions où l'on était fondé à trouver l'excuse de situations immorales et la justification de convoitises impures ; quand il employait les artifices de l'éloquence à embellir la ruse et la tromperie ; quand, d'après la doctrine de Protagoras, il posait cette question : Qu'est-ce donc que l'injustice quand celui qui la commet la juge autrement ? ou bien quand il plaçait dans la bouche du parjure ce subterfuge : La langue a juré, mais aucun serment n'a engagé le cœur[46]. C'étaient là des sentences issues de la subtilité sophistique et qui, attribuées à un héros, avaient l'air de blasphèmes ; c'était l'expression de sentiments méprisables qu'on ne devait pas entendre sur la scène hellénique, bien que ces pensées se trouvassent expliquées par l'ensemble de la pièce et que le poète lui-même les eût émises sans la moindre intention perverse.

Du point de vue où se place, par exemple, Aristophane, on exigeait du poète qu'il passât le mal sous silence ; car on n'allait au théâtre, lors des fêtes de Dionysos, que pour oublier les misères et les bassesses de la vie, et pour s'élever dans un monde où la vulgarité ne pénètre pas. Même, les criminels et les coupables devaient revêtir une grandeur surhumaine. C'était, si l'on veut, un point de vue étroit et exclusif ; mais l'antique tragédie lui devait la perfection qu'elle atteignit dans son genre, sa dignité idéale, sa valeur morale, et Euripide n'était pas en état de remplacer ou de réparer ce qu'il détruisait de ce monde poétique. La doctrine sophistique, qui lui permettait de transporter dans le monde des héros les sentiments de l'Athènes moderne, fut et resta pour la poésie un sol infertile, d'où l'on ne pouvait faire jaillir de sources fraiches ; aussi Euripide, comme poète et comme homme, fut un véritable martyr de la sophistique. Elle l'avait saisi sans lui donner satisfaction ; il s'en servait pour prêter à son art un intérêt nouveau ; il réclamait pour l'individu le droit de s'attaquer, armé de la pensée investigatrice, à toutes les choses divines et humaines. Mais, d'autre part, il ne se dissimulait pas le danger de cette tendance ; il le dénonçait au contraire ouvertement ; il mettait en garde contre cet esprit, il le dénigrait, et finalement il composa toute une tragédie (les Bacchantes), qui n'a point d'autre objet que de montrer la triste fin d'un homme assez téméraire pour opposer sa raison au monde des dieux et pour se refuser à reconnaître comme dieux ceux qui, d'après sa conception de la nature divine, n'ont pas droit à ce titre. Le roi Panthée devient victime de la présomption humaine, qui ne sait pas plier devant les manifestations irréfragables de la puissance divine telle qu'elle se révèle dans Dionysos, et toute la tragédie des Bacchantes, une des dernières pièces et en même temps une des plus grandioses du poète, est pleine des attaques les plus vigoureuses contre l'arrogance de la raison humaine à l'égard des choses divines, pleine aussi de l'éloge de l'homme qui s'attache naïvement à ce que la tradition enseigne et à ce que croit le peuple.

Cette fluctuation entre des points de vue incompatibles, ce manque de satisfaction intérieure, empêchèrent Euripide, malgré sa riche culture intellectuelle et le goût décidé qu'il avait à instruire les autres, de devenir, même dans son propre sens, un véritable instructeur du peuple. Il ne lui resta plus à la fin qu'à recommander une sorte de juste milieu ; mais cette sagesse pratique, résultat mesquin de longues études, n'était naturellement pas faite pour échauffer les cœurs. Il lui manquait cette lumière intérieure de l'esprit qui signale le poète de race : aussi justifia-t-il le mot de Pindare[47] : L'homme doué d'une noblesse native pèse un grand poids ; mais celui qui a pour lest des choses apprises est un homme qui change à l'aveugle d'aspirations et de visées, qui jamais ne marche d'un pas ferme, et qui, esprit incomplet, use sans profit de mille procédés.

Du moment que le poète était privé des vraies sources de l'inspiration, il faut bien que chez lui la décadence de l'art s'atteste même par des symptômes extérieurs. Ainsi ses pièces, malgré la dépense d'imagination, laissent à désirer pour la clarté et la logique du développement ; l'importance de l'ensemble s'efface derrière le détail ; le centre de gravité repose le plus souvent dans des problèmes particuliers et la solution ingénieuse qui en est donnée, dans des analyses psychologiques détachées, et des paroxysmes de passion ; les scènes se juxtaposent ainsi l'une à l'autre, sans se relier toutes, comme chez Sophocle, par une nécessité interne.

En outre, Euripide n'a pas soigné avec amour ses pièces et ne les a pas toutes amenées à leur maturité. Avec son grand talent, il écrivait vite[48], et il atteignait souvent la frontière par où le métier confine à l'art. Un sujet ne suffisait-il pas, il nouait ensemble plusieurs actions dont l'unité ne se reconnaît que malaisément, comme, par exemple, dans Hécube.

En dédaignant la marche simple de la tradition, il lui arrive de ne plus savoir conduire à sa fin, par un chemin naturel, l'intrigue qu'il a lui-même imaginée. Alors il faut un expédient extérieur pour trancher le nœud, et, dans ce but, Euripide, au cours de ses travaux poétiques, a eu de plus en plus recours au procédé suivant : vers la fin de la pièce apparaît dans les airs un dieu qui annonce aux héros perplexes la volonté du Destin et donne à l'action, en vertu d'un pouvoir supérieur, une conclusion rassurante. C'est là le deus ex machina, ainsi nommé de l'appareil qui le portait : ce figurant constituait en effet un expédient bien extérieur et superficiel pour mener à terme l'action restée en suspens[49].

De même Euripide introduisit au début de ses pièces une invention qui les distingue, au premier coup d'œil, de celles des maîtres anciens. Ces derniers plaçaient immédiatement le spectateur au milieu des événements, dont ils supposaient à bon droit l'enchaînement connu de tout le monde. Euripide, au contraire, pour arriver vite aux scènes où il pouvait déployer son talent de peintre, faisait paraître un seul personnage qui expliquait sommairement l'état des choses jusqu'au point de départ de l'action dramatique. C'était là, pour un poète qui revendiquait sur les maîtres anciens l'avantage d'une clarté parfaite, une invention toute naturelle ; c'était en même temps un expédient commode pour échapper à la tâche délicate de construire un drame clair par lui-même, et pour s'entendre d'emblée avec le public sur la forme de la légende, que l'auteur modifiait souvent d'une façon très arbitraire. En revanche, cette innovation n'était assurément pas un avantage pour la poésie. Car l'on n'était plus transporté d'une manière vive et animée dans la marche du drame ; loin de là, le prologue était un appendice étranger, insipide, qui restait en dehors de l'organisme de la tragédie et en détruisait l'unité. En outre, ces introductions, qui énuméraient à la file et en courant des faits connus, tombaient aisément dans l'allure monotone et saccadée d'un récitatif trivial et contribuaient essentiellement à dépouiller les tragédies de leur grandeur et de leur beauté[50].

Le bouleversement de l'organisme dramatique de la tragédie ne pouvait manquer d'exercer son influence sur le rôle du chœur. Celui-ci formait jusqu'alors le fond nécessaire, l'arrière-plan de l'action, la suite indispensable des héros, qu'on avait peine à se figurer autrement qu'entourés de personnages appartenant à la même sphère. Pour les héros d'Euripide, un tel entourage était inutile et déplacé ; l'auteur, au fond, regardait le chœur comme un accessoire gênant ; il l'employait pour distraire le public pendant les suspensions de l'action par des chants lyriques, pour lesquels il ne manquait pas de talent. Mais ces chants se détachaient de plus en plus de l'ensemble de l'œuvre ; ils traitent d'ordinaire des sujets d'une portée générale ; souvent ce ne sont que des morceaux de chant comme un poète peut les composer d'avance à sa fantaisie et les tenir prêts pour les intercaler suivant l'occasion dans telle ou telle pièce.

Tandis que la poésie lyrique perdait son importance à 'la place qu'elle occupait primitivement, elle devint d'autant plus envahissante à une autre place qu'elle s'arrogeait, non plus cette fois dans l'orchestre, mais sur la scène. En effet, plus le poète, suivant en cela le génie de son époque et son propre caractère, cherchait à peindre, à mettre en évidence la vie morale de chacun de ses personnages, plus il était tenté d'exprimer en langage lyrique les sentiments de ses héros. C'est bien ce qu'il a fait, et dans une large mesure : dans les situations où éclate le mouvement de la passion portée à son paroxysme, il suspend le discours ïambique et intercale des morceaux de chant plus longs, en forme de couplets, où les personnages principaux exhalent leurs émotions avec toute la violence qu'elles comportent. Les acteurs étaient exercés à exécuter dans la perfection ces morceaux de chant, accompagnés d'une danse mimique, et cette nouveauté touchait singulièrement le public athénien. Aussi Euripide ne tira pas un mince parti de ces monodies, et Aristophane lui fait dire qu'après avoir amaigri la tragédie, il lui a rendu son embonpoint à force de monodies[51], c'est-à-dire qu'il a remplacé par ces morceaux lyriques ce qu'il enlevait au drame de substance et de dignité. Mais ici encore la nouveauté n'était pas un progrès. Car elle reposait sur le bouleversement de l'ordre ancien, sur la confusion des divers genres, rigoureusement distingués jusque-là, de la composition poétique. Les acteurs se transformaient en chanteurs de grands airs ; la récitation dégénérait en une extase dithyrambique ; et, comme c'était dans ces morceaux que la passion se déchaînait avec le plus de fureur, c'est là aussi que les règles de l'art ancien furent le plus complètement violées ; les rythmes débordants s'entremêlaient à l'aventure, et, dans ce désordre, il n'était plus possible d'assurer la marche claire de l'idée.

D'ailleurs, il n'y a pas de mesure plus précise pour juger de la différence entre l'ancienne et la nouvelle méthode que l'emploi des rythmes. Ce que demandait l'époque antérieure, c'était la subordination d'un sujet traité à une forme strictement déterminée, et le triomphe de l'art consistait alors en ce que, malgré les entraves de la forme, la pensée vivante se déployait dans une liberté sans contrainte. C'est dans cette discipline de la pensée que résidait la force morale de la poésie et son importance pour l'État et le peuple, telle qu'elle ressort surtout des chants du chœur. La période où le chœur atteignit sa pleine et légitime perfection marque l'épanouissement de la vie sociale en Grèce ; c'est la génération à laquelle appartenaient les combattants de Marathon. Le chant du chœur était alors pour la jeunesse du pays une école non seulement de culture artistique, mais aussi d'ordre civique, de bonnes mœurs et de patriotisme ; le chœur semblait lui-même un modèle idéal de la cité, où l'individu ne veut être qu'un membre du grand corps et n'a pas de plus haute mission que dé remplir dignement sa place. Cette discipline répugnait à la génération nouvelle, d'abord dans la vie politique, où l'autorité des lois était reléguée à l'arrière-plan afin de laisser l'assemblée populaire exercer un pouvoir absolu au gré de son humeur changeante, puis dans l'éducation publique, dont les anciennes règles étaient de plus en plus négligées, et enfin dans l'art.

Ici, c'est le dithyrambe qui a donné le ton. Pindare avait encore montré comment la pleine magnificence du poème dithyrambique est compatible avec la sévère observance des lois du rythme : mais les jeunes poètes s'en écartèrent pour dégager de cette entrave incommode l'essor hardi de la pensée. On renonça à l'alternance des strophes, qui arrêtait le débordement déréglé de la sensibilité ; on se permit de laisser courir la pensée à travers une succession bigarrée des mètres les plus variés, et l'on crut avoir ainsi gagné une victoire au profit de la liberté de l'esprit. Mais l'expérience apprit que, sans la forme, le fond n'acquiert aucune valeur sérieuse. Au contraire, les nouveaux poètes tombèrent toujours davantage dans le ton de la prose, et ne s'en distinguèrent que par des tournures peu naturelles et des figures de style alambiquées.

C'est dans ce genre maniéré que tombèrent les chœurs circulaires, ainsi appelés pour les distinguer des chœurs de la tragédie, disposés en carré ; et cela, déjà pendant la première moitié de la guerre, alors que Mélanippide de Mélos était le maître le plus illustre du genre[52]. Le système fut continué par Cinésias, dont Aristophane se moque à cause de son pathos creux, et qui, même dans son aspect extérieur, avec sa mine longue, have et chétive, faisait contraste avec les maîtres anciens[53] ; puis vint Philoxénos de Cythère, qui eut un succès exceptionnel et s'éleva de la condition d'esclave[54] aux plus hauts honneurs dont pût jouir un poète dithyrambique d'une immense réputation.

Ce développement des procédés artificiels démembra de plus, en plus l'organisme si solidement articulé de l'art antique ; la notion de l'ensemble s'effaça, et avec elle disparut le lien de collaboration qui rattachait un art à l'autre. Le joueur de flûte ne voulut plus être un simple auxiliaire, mais un artiste indépendant. Les solistes, devenus plus prétentieux, se firent valoir à côté du chœur en allongeant leurs phrases mélodiques, et l'oubli de la dignité de l'art alla si loin qu'on chercha dans les dithyrambes à imiter le tonnerre dans la tempête, le bruit des cataractes et les cris des animaux.

L'impulsion imprimée par le dithyrambe se communiqua aux autres genres, car partout se manifestait le penchant à se dérober aux règles de la tradition. Agathon introduisit dans le drame des divertissements artistiques. La trempe molle de sa nature lui inspirait une prédilection pour la poésie lyrique, et il savait s'assimiler avec d'autant plus de facilité les procédés modernes qu'il ne traitait ses chœurs que comme des morceaux de chant destinés à l'amusement. Aussi s'éloigna-t-il, dans la structure des vers et dans la musique, de la gravité de l'ancienne école ; on imagina des artifices, des enjolivements ; on employa de savantes modulations de la voix et autres attractions de cette sorte pour charmer l'oreille d'une foule avide de nouveautés. En même temps, la mode accueillit des rythmes dansants, d'une facture légère et abandonnée, tels que Carcinos les mit à la scène ; c'était une espèce de ballet, dont les principaux procédés artistiques consistaient dans un mouvement tournoyant, un piétinement rapide et le balancement des jambes. C'est avec une profonde indignation que la comédie représenta cette orchestique nouvelle pratiquée par la famille de Carcinos[55], pour rendre visible la décadence de cet art si noble. Mais là où apparut le plus clairement le changement qui s'était produit dans le goût artistique des Grecs, c'est dans la musique.

La musique est, par nature, la plus délicate et la plus sensible de toutes les formes de l'art ; elle se ressent plus que toute autre de chaque variation amenée par le cours du temps, parce qu'elle a le moins de force de résistance à y opposer ; elle était, plus que tous les autres arts, un moyen d'éducation pour la jeunesse, une mesure certaine de la situation morale du peuple et un objet des soins et de la surveillance la plus minutieuse de la part de l'État, qui avait un intérêt particulier à ce que la musique se maintînt en harmonie avec la constitution existante. La puissance salutaire d'une musique bien réglée, les dangers d'une musique dégénérée et méconnaissant sa mission, n'ont nulle part été mieux appréciés qu'en Grèce[56].

Le principe fondamental de la musique était de laisser lu prépondérance à la parole. Elle est chargée de soutenir la parole du poète ; il lui appartient de l'animer par la mélodie et l'harmonie, d'en préparer l'effet, d'en renforcer l'impression, d'en graver le sens dans l'esprit. Aussi la partie la plus importante en est-elle le chant ; mais, dans le chant, le point capital est que le chœur garde l'unisson, afin que la parole ne perde rien de sa valeur, et que l'expression en éclate non comme un sentiment individuel, mais comme la conviction d'une foule. Nous avons vu déjà les changements opérés pour laisser plus de champ à la virtuosité de l'exécutant isolé , alors qu'on introduisit les solos sur la scène ; et l'on conçoit aisément que ce besoin d'une plus grande liberté de mouvements se soit surtout fait sentir dans la musique, car aucun art n'est plus propre par sa nature à rendre d'une manière immédiate les sentiments de l'âme humaine, et d'un autre côté, il n'y avait nulle part plus de dépendance et de subordination, en ce sens que non seulement l'art tout entier était au service d'un autre, l'auxiliaire de la poésie, mais aussi que, même dans sa propre sphère, la musique instrumentale était reléguée à un rang tout à fait inférieur. Sans doute, même resserré dans ces étroites limites, l'art atteignit néanmoins une perfection extraordinaire ; sans doute, le sens esthétique si fin des Hellènes, ce goût qui dans tous les domaines sut avec des ressources matérielles très restreintes faire de grandes choses et obtenir des résultats considérables, ne s'est nulle part révélé plus brillamment que dans la musique, puisqu'on trouva le moyen d'exécuter sur la cithare à sept cordes une merveilleuse variété de tons et de gammes, et de produire le plus grand effet sur les âmes. Pourtant, c'est dans cette branche de l'art que l'exiguïté des ressources et la gêne des préceptes traditionnels se fit le plus vivement sentir ; aussi l'esprit du temps, en révolte contre toutes les lois restrictives, agit ici avec le plus de vigueur et d'efficacité.

Les innovations d'Agathon portaient principalement sur le jeu de la flûte. Elle était plus indépendante que la lyre ; elle pouvait remplacer la voix humaine, mais elle ne s'y mariait pas harmonieusement ; aussi, après avoir essayé à Delphes de la subordonner ou de l'associer au chant, on avait fini par y renoncer. Là, par conséquent, on avait tout d'abord plus de liberté, et de plus, la flûte avait une vertu particulière pour exciter la sensibilité et traduire la passion. Elle était l'instrument du culte dionysiaque, l'organe des sensations extatiques, et par conséquent, éminemment qualifiée pour seconder les aspirations nouvelles de l'art.

D'autre part, la musique de cithare, la chaste musique de la religion d'Apollon, elle qui laissait dominer le chant et ne voulait pas traduire de sentiments qui ne pussent trouver leur expression en termes clairs, cet art fut incapable de tenir contre l'esprit novateur de l'époque ; il fut saisi, lui aussi, parla surexcitation ambiante et subit une transformation essentielle qui partit du lieu même où la musique avait reçu ses lois admises dans l'Hellade, de l'île de Lesbos. Là s'était maintenue la famille de Terpandre, confrérie de chanteurs qui propageait avec zèle, en restant fidèle à l'esprit du maître, le chant et le jeu de la cithare. Un maître illustre de cette école de famille fut Aristoclide[57] ; il vint aussi à Athènes, attira auprès de lui des talents remarquables, et fit époque dans le :développement ultérieur de la musique en prenant pour disciple le jeune Lesbien Phrynis, dont il fit un joueur de lyre de premier ordre.

Ces exercices de virtuoses s'effaçaient jadis devant le chœur ; mais déjà au temps de Périclès ils se mirent en évidence, comme le prouve la construction de l'Odéon d'Athènes, destiné à offrir à un public restreint des exécutions artistiques isolées. Phrynis lui-même. remporta, dit-on, aux Panathénées le premier prix du concours musical[58]. Depuis lors, les liens de solidarité établis entre les arts compris dans ce domaine se relâchèrent, et Phrynis fut le premier à se séparer de l'école de Terpandre, à laisser là les règles sévères de l'ancienne composition, à permettre au jeu de la cithare une plus grande liberté d'allures à côté de la poésie[59], à donner plus d'importance à l'agilité de la main et à la souplesse de la voix. Sorti de l'ancienne école des chanteurs, il s'illustra comme virtuose sur la cithare et trouva dans cet art nouveau accueilli avec grande faveur des imitateurs nombreux.

Naturellement on chercha à multiplier les procédés jusque-là assez simples de cet art, pour confirmer ses prétentions à une valeur indépendante, et l'esprit d'invention fit appel à tout ce qui pouvait, dans le jeu des instruments à, cordes, saisir l'imagination, flatter l'oreille, provoquer les applaudissements et exciter l'étonnement. Ce que Phrynis avait commencé en ce sens, Timothéos, fils de Thersandros, le continua. Doué de qualités brillantes, il était venu de Milet dans l'Hellade pour y naturaliser, à la place de l'art vieilli du chant, la nouvelle musique avec ses instruments et ses modes nouveaux. Il composa des œuvres musicales où, comme l'indiquent les titres : Niobé, les Perses, Nauplios, etc. figuraient la légende et l'histoire, mais dans une succession variée des genres les plus divers : la déclamation épique, les airs et les chœurs, la poésie, la mimique, la danse et la musique, s'y fondaient pour produire un effet d'ensemble éclatant.

Mais les innovations de Timothéos rencontrèrent dans l'Hellade une résistance beaucoup plus tenace qu'il ne s'y était attendu. La musique apollinienne , constituée suivant des règles parties de Delphes, s'associait si étroitement surtout à Sparte aux lois de l'État et à l'orthodoxie religieuse, que celui qui s'avisait d'y opérer des changements arbitraires était regardé comme un séducteur de la plus dangereuse espèce. On s'y montra plus sévère et plus susceptible sur ce point que sur les lois fondamentales de l'État ; car ce qui passait pour le signe caractéristique du Spartiate cultivé, c'était de savoir distinguer sur-le-champ la bonne musique et la mauvaise[60]. On appelait de ce dernier nom celle qui agissait sur les sens et amollissait l'âme ; et cette musique, on croyait devoir la tenir à distance, comme une peste contagieuse. De même, le nombre des cordes, fixé à sept, et toute la facture des instruments était quelque chose de sacré à Sparte, de par la coutume et les lois. Les Athéniens aussi étaient sévères en cette matière et fidèles aux anciens usages ; ils avaient, eux aussi, de vieilles lois qui fixaient les divers genres de musique et en punissaient la confusion[61].

De là la lutte opiniâtre entre l'ancienne et la nouvelle musique. Aussi, non seulement à Sparte on coupa, par ordre officiel, à Phrynis et à Timothéos les cordes qui excédaient le nombre voulu[62] mais à Athènes les novateurs furent vivement attaqués. Eux qui pensaient affranchir la musique de la gêne imposée par l'antiquité et la mener à une perfection nouvelle, on les accusa de profanation envers cet art si noble, et l'on vit dans leurs efforts une offense au peuple hellénique, un abandon coupable de la coutume des ancêtres. Jadis, dit Aristophane, si les jeunes garçons d'Athènes s'étaient permis de défigurer la pureté du chant avec les fioritures, les trilles et les cadences que l'école de Phrynis a mises à la mode, on lés aurait châtiés à tour de bras, pour leur apprendre à déshonorer les Muses[63] ; et dans le Chiron attribué à Phérécrate, — ou peut-être plus exactement à Nicomaque, — dame Musique, défigurée par les mauvais traitements, paraissait sur la scène pour raconter d'un bout à l'autre la déchirante histoire de ses tribulations. D'abord elle se plaint de Mélanippide avec ses douze maudites cordes ; puis, ce maraud de Cinésias est tombé sur elle.

Il (Mélanippide) m'a relâchée

Et m'a rendue plus flasque avec ses douze cordes.

Et encore cet individu était, par Zeus !

Supportable pour moi au prix des maux d'aujourd'hui.

Mais Cinésias, ce maudit Athénien,

En bourrant ses strophes de roulades discordantes,

M'a tellement malmenée que, dans la poésie

Des dithyrambes, comme dans les boucliers,

Ce qui appartient à la gauche se voit à droite.

Pourtant, celui-ci était encore tolérable ;

Mais Phrynis, m'entraînant dans une espèce de ronde de sa façon,

M'a pliée, tordue, abîmée des pieds à la tête,

En faisant tenir sur cinq cordes douze harmonies.

Eh bien ! celui-là était encore passable ;

Car, s'il a fait des sottises, il s'est rattrapé ensuite.

Mais Timothéos, ma chère, m'a coulée à fond

Et arrangée de la façon la plus abominable. — Qui donc est

Ce Timothéos ? — Une espèce de Rousseau milésien :

Il m'a fait à lui seul plus de mal que tous les autres ensemble ;

En filant des trilles contournés comme des trous de fourmis.

M'ayant rencontrée un jour que je me promenais toute seule,

Il m'a déshabillée et mise en miettes avec ses douze cordes[64].

Ainsi se dévoilent à nos yeux, dans toute leur étendue, le revirement décisif du sentiment populaire en Grèce, l'altération, du goût et de l'état moral, tout l'antagonisme de la mode ancienne et de la nouvelle dans la musique. C'est là que la rupture avec la tradition est la plus complète ; il y a là deux écoles artistiques de tendance absolument contraire et incompatible. Dans l'antiquité, c'était le rythme qui dominait les arts musicaux ; il était la loi qui déterminait les paroles du poème, les tons de la musique, les mouvements de l'orchestique ; c'est à lui que l'art classique devait la clarté, l'ordre bienfaisant, la gravité de son caractère ; il assurait le calme dans le mouvement, il donnait à la pensée la prédominance sur la sensation. Le rythme était l'expression d'un état d'âme sain et bien réglé, la marque de la paix et de la sécurité intérieures. Il ne pouvait en conséquence se maintenir dans l'art après que la pratique de la vie était devenue autre. Aussi la décadence de l'ancienne musique suivit-elle immédiatement celle de la vie sociale.

Euripide lui-même subit l'influence des innovations qui s'accomplirent dans le domaine de la rythmique et de la musique. Il appartenait au grand nombre des admirateurs de l'art de Timothéos. Personnellement lié avec lui, il cherchait à consoler son ami blessé de l'opiniâtre contradiction qu'il rencontrait, en lui faisant espérer que le temps n'était pas loin où il régnerait sur le théâtre. Et en effet, Timothéos eut la fortune de jouir plus longtemps et plus pleinement de sa gloire qu'Euripide. Car la musique disposait de plus de ressources pour suppléer à la dignité disparue de l'ancienne musique par des attraits nouveaux, tandis qu'à la scène on voyait nettement apparaître ce qu'on avait perdu en comparaison avec les maîtres anciens, sans qu'il fût possible d'obtenir quelque effet nouveau capable de donner une satisfaction équivalente.

Aussi l'on distingue dans les tragédies d'Euripide comment l'esprit de l'époque le domine et l'entraîne de plus en plus. Car, tandis que dans ses premières pièces, Médée, Hécube, Hippolyte, Andromaque, Alceste, les règles plus sévères sont encore observées, on reconnaît dans les plus récentes un relâchement toujours plus sensible. Les vers courent plus vite et plus légèrement ; les décompositions des syllabes longues dans l'ïambe se multiplient ; de même, dans l'arrangement du dialogue et des tirades qui se répondent, les tragédies plus anciennes témoignent d'un certain art de la symétrie qui disparaît dans les œuvres plus récentes. Il est permis de supposer que l'époque où le poète abandonnait le style plus sévère dans la composition et la versification correspond à peu près à la LXXXIXe Olympiade. C'était l'époque où, après la paix de Nicias, Alcibiade se mettait à la tête de l'État et l'entraînait dans les voies peu sûres de sa politique téméraire[65]

Chez Alcibiade, on attribuait à une surabondance de force l'impatience qui lui rendait insupportable le frein de la coutume : il en fut de même chez les artistes de génie, qui aspiraient à inaugurer dans leur domaine un régime plus libre. Mais, au fond, cette exubérance de force apparente n'était que faiblesse, puisque la force la plus haute, la domination de soi-même, faisait défaut. Aussi l'on pouvait bien briser les vieilles formes, il ne se développait pas en revanche de genres nouveaux ; on flottait entre l'absence de forme, attribuée au génie, et les procédés de l'art le plus mesquin. Nous voyons périr simultanément les vieilles règles que les Hellènes avaient établies, dans la vie publique comme dans l'art, avec une énergie si réfléchie, et, dans cette décomposition, les créations des Grecs perdirent leur véritable caractère national.

C'est cependant à ce mouvement, qui détache l'art du sol national, et qui au point de vue hellénique ne pouvait être considéré que comme une dégénérescence, qu'Euripide doit son rôle et sa place dans l'histoire de la civilisation. Car, durant cette époque éminemment défavorable à la production poétique, il eut le talent, en travaillant dans le sens de son époque et avec les moyens qu'il y trouvait, de maintenir l'art dramatique chez les Athéniens, et même avec un ,tel succès qu'il put prendre place à côté de Sophocle et fut reconnu par lui comme un maître dans cet art : il forma ainsi la transition de la période classique à la période postérieure et conquit une importance littéraire qui s'étend bien au delà de son temps.

Les classiques proprement dits, comme Pindare, Eschyle et Sophocle, sont de nature à ne pouvoir être tout à fait compris et appréciés que de leurs contemporains ou de ceux qui les pénètrent par l'étude, tant leur art est intimement associé à la vie publique et aux idées morales de leur temps ; mais Euripide, en rompant avec le style sévère de l'art antique, est sorti du cercle étroit des idées exclusivement nationales ; il a mis en relief les motifs purement humains, qui trouvent de l'écho partout : aussi est-il clair et intelligible ; aussi offre-t-il, sans supposer chez le spectateur un intérêt particulier pour le sujet légendaire, sans exiger de lui une tension plus haute des facultés intellectuelles, ce que les hommes de tous les lieux et de tous les temps demandent au théâtre ; il excite l'attention et l'entretient ; il effraie et touche ;il donne une foule de pensées et de considérations accessibles à chacun et qui s'appliquent à tous ; il est le poète de tous les esprits cultivés qui comprennent sa langue. Aussi a-t-il exercé une action marquée sur les plus considérables de ses contemporains, sur Socrate, par exemple[66] ; aussi la langue de la scène attique, telle qu'il l'a perfectionnée, devint-elle la langue classique du drame, si bien qu'Aristophane lui-même se voyait forcé d'avouer que, sous ce rapport, il subissait l'influence d'Euripide[67]. Il a même montré à l'art plastique le chemin où, après Phidias, il pouvait produire encore du nouveau et faire grand ; aussi, après avoir pendant sa vie échoué contre la tradition encore en vigueur de l'art antique, a-t-il après sa mort rempli le monde de sa gloire et trouvé nombre d'imitateurs parmi les poètes qui se servirent des fables grecques pour arriver à un effet dramatique d'une portée générale et humaine. C'est dans cette portée universelle d'Euripide que trouvent une certaine consolation ceux qui embrassent du regard la vie longue, laborieuse, mais troublée et chagrine du poète, qui n'a jamais trouvé lui-même de véritable satisfaction dans sa carrière poétique.

En apparence, l'organisme de l'antique tragédie se conserva intact, et, après comme avant, on représenta des tétralogies, parce que c'était la forme consacrée une fois pour toutes dans les concours poétiques des grandes fêtes de Dionysos à Athènes. Mais, depuis que Sophocle avait commencé à desserrer le lien des pièces montées ensemble à la scène, de façon à ce que chacune d'elles formât par elle-même un tout poétique, cette pratique, autant qu'il est permis de le constater, fit loi pour ses contemporains et ses imitateurs. Plus s'émoussait l'intérêt des sujets légendaires, plus l'occasion parut favorable pour reporter sur les drames détachés tout l'art des dramaturges. Par là le drame resta plus populaire, car l'on offrait à la foule curieuse une plus grande variété de plaisirs, et en même temps, on facilitait la reprise des tragédies sur des scènes plus petites et dans des circonstances moins solennelles. Euripide semble avoir tenté aussi d'innover de ce côté, lorsque, dans son Alceste, qui fut représentée en 438 (Ol. LXXXV, 2) comme quatrième partie d'une tétralogie, il donna une pièce dont le but était de remplacer le drame satyrique, lequel, sous sa forme traditionnelle, ne fournissait au poète qu'un champ limité et exigeait de plus une gaieté franche, une naïveté humoristique refusée à notre poète. Alceste n'est ni une tragédie ni un drame satyrique, mais une composition d'espèce nouvelle, où le sujet tragique prend une tournure enjouée, et qui répondait à un besoin du public athénien, le besoin de se remettre des émotions violentes de la tragédie en s'égayant au spectacle final. Mais même cette tentative pour créer dans l'organisme de la tragédie une forme d'art nouvelle ne fut pas entreprise avec assez de résolution et n'eut pas du résultat durable.

C'est la comédie qui se soutint le mieux : à travers toutes les vicissitudes de la bonne et de la mauvaise fortune, elle suivit d'un œil clairvoyant la vie publique d'Athènes, et il est assez remarquable que ce soit précisément au théâtre comique qu'on ait réservé la tâche de s'opposer de toute son énergie à la manie d'innovation régnante et de défendre sur la scène attique les bonnes institutions du passé. Immédiatement avant la chute d'Athènes, nous trouvons les auteurs comiques engagés encore dans une lutte vive contre les abus du régime politique et les excès de la démagogie. Dans cette même année 405 (Ol. XCIII, 4), Cléophon est attaqué sans ménagement par Platon et Aristophane. Après la prise de la ville, l'opposition politique se ralentit et les poètes se retirèrent sur un terrain où le combat était moins acerbe et moins irritant, en ce sens qu'au lieu de s'en prendre à la cité et à ses meneurs, ils s'en prirent au public et aux poètes auxquels il accordait sa faveur[68] Ils tombèrent avec une âpreté particulière sur les auteurs de dithyrambes, qui faisaient parade avec un orgueil insupportable de leurs raffinements informes, et ces derniers se vengèrent en cherchant à enlever à la comédie l'appui qu'elle recevait de l'État. Ils y réussirent d'autant plus facilement que l'époque était peu propice au succès de spectacles joyeux, et que, par suite de l'appauvrissement général, le recrutement des chœurs devenait toujours plus pénible[69].

Dans l'année qui suivit la bataille des Arginuses, on avait dû faire un règlement portant que deux chorèges ensemble fourniraient aux frais d'un chœur. On se tira ainsi d'affaire même après l'archontat d'Euclide, jusqu'à ce que le poète dithyrambique Cinésias, qui avait eu le plus à souffrir des malices de la scène, proposât une loi restreignant la dépense publique pour la comédie à tel point qu'il fallut renoncer complètement au chœur. La comédie lança ses foudres indignées contre le criminel ; Strattis composa une pièce spéciale contre Cinésias, l'assassin du chœur[70] ; mais on lutta vainement contre la défaveur de l'époque. Les chants du chœur, composés pour l'ensemble de l'action et intercalés dans ce but, notamment les parabases si redoutées, disparurent ; on leur substitua des danses et des airs de musique légers. Tout ce genre artistique, le fruit le plus original de la vie publique d'Athènes, perdit son importance première, et c'est ainsi que, vers l'an 390 (Ol. XCVII, 3), l'ancienne comédie se transforma peu à peu en comédie nouvelle. Mais, tant qu'elle subsista, elle demeura fidèle à sa mission, qui était de combattre toutes les tendances perverses du siècle, et, après Cratinos, qui déjà dans ses Panoptes avait flagellé les sophistes en général comme des esprits superfins, voyant tout, sachant tout, suivit une série de comédies qui s'occupèrent de préférence des questions littéraires et des progrès du mauvais goût. Dans cette série figurent les Muses et les Tragédies de Phrynichos, les Grenouilles et l'Amphiaraos d'Aristophane, et enfin son Gérytades, où il montrait la banqueroute de la poésie dramatique à Athènes confessée par les poètes eux-mêmes. Certes, cette lutte ne fut pas sans efficacité pour ranimer le sentiment de l'art pur et maintenir en honneur les vieux maîtres ; mais la comédie ne pouvait que présenter le miroir à son époque et faire ressortir l'écart qu'il y avait entre elle et le passé ; elle pouvait à la rigueur communiquer aux auditeurs l'antipathie dont elle était pleine contre les nouvelles tendances, mais elle était incapable, elle aussi, d'indiquer un autre chemin à l'art attique ; elle était impuissante à combler le vide du présent.

 

 

 



[1] On trouve déjà l'expression de trente tyrans dans ARISTOT., Rhet., II, 24 [p. 405, 24]. De même, après lui, DIODOR., XIV, 2. CORNEL. NEPOS, Thrasyb., 3. JUSTIN, V, 10.

[2] ATHEN., Deipnos., p. 532. Sur la rareté de l'argent, voyez Lysias, Orat., XIX, § II.

[3] MEINEKE, Fragm. comic. Attic., II, p. 692.

[4] On fait un mérite à Agésilas d'avoir épargné ceux qui s'étaient réfugiés dans le temple d'Athéna Itonia, et on relève le fait comme exceptionnel (XÉNOPH., Hellen., IV, 3, 20).

[5] EURIPIDE, Iphig. Taur., 560, 570-3.

[6] PS. XÉNOPHON, Resp. Athen., 1, 8.

[7] Sur l'invasion des cultes étrangers, voyez BERGK, Relig. com. Attic., p. 75. Le culte d'Isis est institué par l'Égyptien Lycurgue, le grand-père de l'orateur (KÖHLER, in Hermes, V, p. 351).

[8] Sur les confréries, voyez P. FOUCAUT, Des associations religieuses chez les Grecs (thiases, éranes, orgéons), Paris, 1873.

[9] Euryclès έγγαστρίμυθος, éponyme des ventriloques (έγγαστρΐται) appelés Εύρυκλεΐδαι (ARISTOPH., Vesp., 1019). Cf. SCHÖMANN, Griech. Alterthumer, II2, p. 294.

[10] D'après Diogène de Laërte (XIX, 41), il était de quarante ans plus jeune qu'Anaxagore : c'est-à-dire né vers 460 (Ol. LXXX).

[11] Ses εϊδωλα anthropomorphes, τά μέν άγαθοποιά, τά δέ κακοποιά (SEXT. EMPIR., IX, 19), correspondent dans une certaine mesure aux démons de la foi populaire (E. ZELLER, Philos. d. Griechen, I, p. 643).

[12] ATHENAGOR., Πρεσβεία περί Χριστ., 5.

[13] Marcellinus accuse Thucydide d'athéisme, d'après Antyllos, à cause de ses relations avec Anaxagore (KRÜGER, Krit. Analect., I, p. 36).

[14] Diagoras ό άθεος, ό Μήλιος, proscrit comme profanateur des Mystères (SUIDAS, s. v. Διαγόρας), fut relancé jusque dans le Péloponnèse (SCHOL. ARISTOPH., Aves., 1072. Ran., 320. CLEM. ALEX., Protrept. p. 7 Sylb. — passage corrigé par COBET, Nov. Lect. Prœf., p. 7). Il est douteux que, comme le dit Diodore (XIII, 6) sa tête ait été mise à prix ; cependant le passage d'Aristophane (Aves., 1072) présuppose un procès et une sentence de proscription (cf. KOCK, ad Aristoph., loc. cit.).

[15] MEINEKE, Fragm. com. Attic., II, p.192.

[16] Le général ennemi ne pouvait être à ce moment (automne 406) qu'un commandant des troupes cantonnées à Décélie (et non pas Lysandre, comme le dit le biographe cité par Pline : VII, § 109). Il est possible qu'après la bataille des Arginuses les Lacédémoniens aient serré la ville de plus près, pour se venger sur terre de la perte de leur flotte et pour rendre les Athéniens plus disposés à faire la paix. Le tombeau du poète était sur la route de Décélie, et certainement dans le dème de Colone. Cf. VON LEUTSCH in Philologus, I, p. 129.

[17] Astydamas l'ancien, car Suidas cite encore un second Astydamas, fils de celui-ci (SUIDAS, s. v. Άστυδάμας). Cf. WELCKER, Griechische Tragödie, III, p. 1060.

[18] Sur les descendants de Sophocle, voyez SAUPPE, Sophokleische Inschriften, (Götting. Nachrichten, 1865, p. 244).

[19] SCHOL. ARISTOPH., Ran., 892. SCHNEIDEWIN, Æschyl., Agamemnon, p. VI.

[20] ARISTOPH., Acharn., 140. Cf. Thesmoph., 170.

[21] ARISTOPH., Pac., 801. Sur Morsimos, Sthénélos et Mélanthios, voyez COBET, Platon. comic. reliq., p. 184.

[22] C'est-à-dire vers 396 et années suivantes. Les Grenouilles sont de 405, et l'Assemblée des femmes de 392 (Ol. XCVI, 4).

[23] MEINEKE, Fragm. Com. Græc., II, p. 1005.

[24] MEINEKE, op. cit., II, p. 1176.

[25] Agathon ό καλός (RITSCHL, Opuscul., I, 411).

[26] En 405, il était déjà parti pour Pella (ARISTOPH., Ran., 85).

[27] Άνθος (ARISTOT., Poet., 9).

[28] ARISTOT., Poet., 18.

[29] Sur Euripide, voyez Suidas et les biographies dont Philochore a fourni la matière (GELL., XV, 20, 5). Il était né à Salamine (probablement au moment où l'île servait de refuge aux Athéniens), et, plus tard encore, c'était son séjour favori (Philochorus refert in insula Salamine speluncam esse tætram atque horridam in qua (Euripides) scriptitarit (GELL., ibid.). Cf. WELCKER, Alte Denkmäler, I, 489.

[30] CLEM. ALEX., Strom., IV, p. 536 d. Dindorf. EURIPID., Fragm., 101 (902 Nauck). Cf. 894 Nauck.

[31] Sur les rapports d'Euripide avec Anaxagore, voyez BERNHARD, Grundriss d. griech. Litterat., II3, 2, 403.

[32] DIOG. LAERT., IX, 8, 54.

[33] Euripide a été le plus fameux collectionneur de livres avant Aristote.

[34] Euripidem M. Varro ait, cum quinque et septuaginta tragœdias scripserit, in quinque solis vicisse (GELL., XVII, 4, 3). Les Alexandrins connaissaient 92 pièces par les didascalies, dans lesquelles ne figuraient que les tragédies ayant obtenu un des trois prix (NAUCK, Euripid. vita, p. XXIV).

[35] PLAT., Apolog., 26. Sur le commerce des livres, voyez BÖCKH, Staatshaushaltung, I, 26. 2. Nachtr., IV. Il y avait un marché aux livres (EUPOLIS ap. POLL., Onomast., IX, 47. MEINEKE, Fragm. Com. Græc., II, 550) dans l'orchestra du Céramique (SCHÖNE, Jahrb. für Philologie, 1870, p. 802).

[36] DIOG. LAERT., IX, 8, 52.

[37] EURIPIDE, Hippolyt., 451 sqq.

[38] Dans les Grenouilles, Dionysos raconte qu'il lisait l'Andromède en voyage sur son navire (ARISTOPH., Ran., 52). On sait comment Euripide consola les Athéniens faits prisonniers à Syracuse, dont quelques-uns lui durent de revoir leur patrie (PLUT., Nicias, 29).

[39] EURIPIDE, Archel., fr. 262 Nauck.

[40] ÆLIAN, Var. Histor., XIII, 4. Il est question dans Aristote d'offenses faites à la cour d'Archélaos, offenses que le roi aurait vengées, mais en se faisant lui-même de cette- façon des ennemis (ARISTOT., Polit., 220, 7).

[41] Ce sont Égée, Alope, Érechthée, les Héraclides, les Suppliantes, Hippolyte, Ion, Thésée, Sciron. Cf. SCHENKL, Politische Anschauungen des Euripides [Wien, 1862], p. 23.

[42] EURIPIDE, Hippolyte, 1459. Cf. BÖCKH, Trag. Princ., p. 181. H. HIRZEL, De Eurip. in compon. diverb. arte, p. 64.

[43] MEINEKE, Fragm. Com., III, p. 106.

[44] On trouve des critiques déguisées de poètes antérieurs dans les Phéniciennes (752 Krüger), dans Philoctète, Électre, etc. Cf. SCHNEIDEWIN, Einleitung zu Philoktet.

[45] Sur ces héroïnes, voyez JAHN, Archäol. Beiträge, p. 245. Rhein. Mus., 1871, p. 286.

[46] EURIPIDE, Hippolyte, 607. Cf. NÄGELSBACH, Nachhomerische Theologie, p. 439.

[47] PINDARE, Nem., III, 40-43.

[48] Euripide n'avait pas toujours la plume aussi facile, à en juger par l'anecdote que rapporte Valère Maxime, anecdote qui n'est pas invraisemblable. Euripide se plaint à un confrère quod eo triduo non ultra tres versus maxima impenso labore deducere potutisset (VAL. MAX., III, 7. Ext. 1).

[49] On trouve aussi chez Sophocle le deus ex machina, mais intervenant dans un nodus deo vindice dignus. Cf. H. ABEKEN, Trag. Lösung im Philokt. des Sophokles, Berlin, 1860. KÖCHLY, Iphig. Taur., p. XL. SCHRADER, Zur Würdigung des deus ex machina (Rhein. Mus. N. F., XXII, p. 544). Sur Sophocle imitateur d'Euripide, cf. BERGK, Sophocles, Proleg., p. XXXVIII.

[50] La critique des prologues d'Euripide a été faite par Aristophane (Ran., 1200-1247).

[51] ARISTOPH., Ran., 944. Aristophane nous donne lui-même une parodie de ces monodies (Ibid., 1330).

[52] Mélanippide emploie des άναβολαί άντί τών άντιστρόφων (ARISTOT., Rhet., III, 9, 6 [p. 125, 3]). Cf. SUIDAS, s. v. Μελανιππίδης.

[53] MEINEKE, Fragm. Com., I, p. 228.

[54] Philoxénos avait été fait prisonnier par les Athéniens lors de la prise de Cythère en 424 (HESYCHIUS, s. v. Δούλων). Sa manière et sa renommée appréciées par Antiphane (ap. ATHEN., p. 643 d.)        

[55] ARISTOPH., Vesp., 1501 sqq. MEINEKE, Fragm. Com., I, p. 513.

[56] La musique est, d'après Aristote, celui de tous les arts qui agit le plus puissamment sur l'état moral de l'homme (ARISTOT., Polit., 138.)

[57] SCHOL. ARISTOPH., Nub., 965.

[58] Le scholiaste (Nub., 965) dit έπί Καλλίου άρχοντος (456 : Ol. LXXXI, 1) ; c'était probablement Καλλιμάχου άρχοντος (446 : Ol. LXXXIII, 3). Cf. MEIER, Panathen., 285. O. MÜLLER, Griech. Litterat., II. p. 286. VOLKMANN, zu Plut. De Mus., p. 77.

[59] PLUTARQUE, De music., 6. Cf. WESTPHAL, Harmonik, p. 97.

[60] O. MÜLLER, Dorier, II, p. 322.

[61] PLATON, Legg., p. 666.

[62] Décret des Spartiates contre Timothéos (BOETH., De Mus., I, 1. Cf. Philologus, XIX, p. 308). Sur les additions faites à l'ancien heptacorde, Cf. WESTPHAL, op. cit., p. 95.

[63] ARISTOPH., Nub., 971.

[64] PHERECR. ap. PLUTARCH., De Musica, 30. MEINEKE, Fragment. Comic., II, p. 326.

[65] G. HERMANN, Elem. der Metrik, p.123. H. HIRZEL, De Euripid. in compon. diverb. arte, p. 92. On remarque un emploi plus fréquent du tétramètre trochaïque après Ol. XCI (416).

[66] Sur les rapports de Socrate et d'Euripide, voyez BERNHARDY, Griech. Litterat., II3, 2, p. 404.

[67] ARISTOPH., fragm. 397.

[68] Sur la fin de l'ancienne comédie, voyez COBET, Plat., 48, 146. BÖCKH, Staatshaushaltung, I, 607. K. FR. HERMANN, Gesamm. Abhandlungen, 41, 61.

[69] On manque de ressources et de patience pour exercer les chœurs, dont l'instruction pouvait durer des mois.

[70] Sur les attaques dirigées contre Cinésias, voyez ATHEN., Deipnos., p. 551. HARPOCRAT., s. v. Κινησίας.