HISTOIRE GRECQUE

TOME DEUXIÈME

LIVRE TROISIÈME. — DU DÉBUT DES GUERRES MÉDIQUES À LA GUERRE DU PÉLOPONNÈSE.

CHAPITRE DEUXIÈME. — LA PUISSANCE CROISSANTE D’ATHÈNES.

 

 

§ II. — L’HÉGÉMONIE ATHÉNIENNE.

Enfin, on était en mesure d’exécuter d’un commun accord les résolutions de Platée et de poursuivre la délivrance des villes helléniques. Les Péloponnésiens fournirent à cet effet vingt vaisseaux, les Athéniens, trente, placés sous le commandement d’Aristide et de Cimon. Il vint de l’Ionie d’autres bâtiments en nombre considérable, de sorte qu’il pouvait ainsi y avoir en tout environ cent vaisseaux, le chiffre indiqué par les décrets de Platée. La flotte fédérale tout entière était commandée par Pausanias ; elle prit la mer probablement au printemps de 476 (Ol. LXXV, 4)[1], à peu près au moment où l’autre roi, Léotychide, poursuivait ses opérations en Thessalie, afin de briser la puissance des Monades qui avaient, jusqu’à la fin, fait cause commune avec l’ennemi national[2].

Cette fois, les Grecs n’allaient pas à la rencontre d’une flotte qui leur disputât l’empire de la mer ; ils avaient l’avantage de pouvoir choisir leurs champs de bataille, et les mouvements rapides de la flotte prouvent que leurs généraux, et principalement le commandant en chef, ne trouvaient ni trop hardie, ni trop lointaine toute entreprise qui promettait le succès. On ne se contentait pas d’avoir l’Archipel libre ; on voulait de plus prévenir le retour des Barbares et leur barrer à jamais les routes de terre et de mer par lesquelles ils avaient jadis pénétré en Europe. Pour cette raison, on jeta les yeux en même temps sur le Bosphore au nord et, au sud, sur Cypre.

Cypre a été considérée de tout temps, à cause de sa situation centrale, à cause aussi de sa richesse eu bois de construction et en cuivre, comme une possession indispensable par les puissances de l’Orient qui prétendaient à l’empire de la Méditerranée. Si les Grecs réussissaient à s’y établir solidement, ils n’y trouveraient pas seulement des avantages incalculables pour leurs propres armateurs et pour leur commerce, mais ils interceptaient du même coup les relations par mer entre la Perse et l’Égypte et pouvaient delà empêcher tout nouvel armement tenté sur la côte syro-phénicienne. Les Perses avaient de fortes garnisons dans les villes de l’île, et les princes qui y régnaient cherchaient, dans un intérêt dynastique, à étouffer les dispositions favorables aux Hellènes. Cependant, les alliés réussirent, grâce au mouvement national qui était pour eux, à arracher en peu de mois aux Perses la plus grande partie de file. Mais les moyens dont ils disposaient n’étaient pas suffisants pour la délivrer complètement, et l’on résolut en conséquence, avant que le vent du nord qui souffle vers la lin de l’été n’y mit obstacle, de faire voile vers les parages du Pont-Euxin, afin d’attaquer là les Perses dans leurs importantes possessions, pendant que leur attention était encore concentrée sur la mer de Cypre.

Par la conquête de Sestos, le chemin qui passe par l’Hellespont était sans doute barré aux Perses ; mais, sur le détroit septentrional, Byzance, avec son port de guerre incomparable, était encore en leur pouvoir. Byzance était plus forte que Sestos, et la possession de cette place inspirait aux Perses une sécurité telle que non seulement ils y avaient transporté de grands trésors, mais qu’ils en avaient fait aussi le quartier général de leurs troupes, et que beaucoup de Perses du plus haut rang y résidaient. Les Grecs trouvèrent la garnison prise absolument au dépourvu : les murs furent escaladés avant que les trésors eussent pu être mis en lieu sûr et que les parents du Grand-Roi eussent eu le temps de prendre la fuite ; un butin immense tomba aux mains des vainqueurs.

Un tel bonheur était trop grand pour que Pausanias fût capable de le supporter. C’était un homme d’une ambition démesurée, et cet appétit de pouvoir absolu, qui reparaît sans cesse dans la race des Héraclides, était le mobile de sa conduite. Son caractère s’était révélé sur le champ de bataille de Platée. En effet, lorsqu’avec la dîme du butin on consacra le trépied d’or porté par le serpent à trois têtes[3], ex-voto destiné à être érigé devant le temple à côté du grand autel, Pausanias ne craignit pas de désigner le trépied comme son propre don votif, comme un monument qu’il avait élevé au dieu de Delphes en sa qualité de général des Hellènes. Comme châtiment de sa criminelle outrecuidance, il avait dû subir l’humiliation de voir sa dédicace en vers, composée par Simonide, effacée par les autorités et remplacée par les noms de tous les États qui avaient pris part au combat[4]. Son caractère autoritaire s’était également manifesté lors de la condamnation des chefs populaires de Thèbes ; en général, il s’était fait beaucoup d’ennemis par toute sa conduite, et les éphores le surveillaient avec défiance.

Mais toutes les résistances et toutes les défiances ne faisaient qu’irriter davantage son égoïsme. Le spectacle des splendeurs d’une vie princière orientale, cet appareil qui avait pour la première fois frappé ses regards dans le camp des Perses sur l’Asopos, avait fait germer dans son cœur des convoitises malsaines, et lorsque, après sa victoire glorieuse en Grèce, il eut encore traversé en vainqueur, comme commandant de la flotte, toute la mer Égée de la Syrie au Pont-Euxin, il perdit toute mesure ; la pensée de devoir de nouveau se soumettre dans sa patrie au contrôle des éphores lui devint de plus en plus insupportable, et il résolut de mettre fin, à tout prix, à cette situation. Mais il ne voulait pas seulement être seigneur et maître absolu à Sparte ; il voulait l’être dans toute l’Hellade. Il lui fallait pour cela l’appui d’une puissance étrangère à la Grèce, et, plus il se persuadait que le groupement actuel des États de la Grèce ne pouvait durer, moins il se faisait un cas de conscience de se mettre d’accord avec l’ennemi national, pour atteindre le but visé par son égoïsme.

Byzance était le lieu le plus propre à faire mûrir ces plans. Pausanias prit pour confident un certain Gongylos d’Érétrie, lui confia le commandement dans la ville conquise et lui remit les prisonniers de marque, en le chargeant secrètement de les laisser échapper sains et saufs. Ceci fait, il écrivit à Xerxès qu’il ne souhaitait rien tant que de lui être agréable et d’agir de façon à placer la Grèce sous sa domination. Le Grand-Roi lui témoigna la plus vive reconnaissance pour le salut de ses proches et entra avec ardeur dans les plans de Pausanias. Afin de poursuivre les négociations, Artabaze fut nominé satrape de Mysie ; c’était le même général qui, à Platée, avait conseillé en vain de ne pas livrer bataille ; son système, qui consistait à vaincre les Grecs par des Grecs, c’est-à-dire par des négociations et par la corruption, était plus que jamais en faveur depuis le malheur de Mardonius, et il se trouvait à ce moment en pleine faveur auprès du roi[5].

Artabaze ainsi chargé des négociations, avec des pouvoirs très étendus, c’était une nouvelle attaque qui commençait contre l’indépendance de la Grèce, une guerre où l’on employait la plus dangereuse de toutes les armes ; les affaires de la Grèce auraient pris indubitablement la tournure la plus fâcheuse si Pausanias avait été, pour exécuter ses projets, plus maître de lui-même. Mais, lorsqu’il eut entre les mains les lettres revêtues du sceau royal et qu’il vit le plus puissant potentat du monde traiter avec lui comme avec son égal, il oublia toute prudence. On aurait dit qu’il était déjà le gendre du Grand-Roi et son représentant dans les provinces européennes. Il étalait ses projets avec une légèreté criminelle, imitant dans son costume et dans le service de sa table le luxe des Perses, se faisant accompagner dans ses tournées en Thrace de gardes du corps égyptiens et mèdes, traitant ses guerriers avec une arrogance de despote et s’abandonnant aux caprices les plus révoltants. La conséquence fut que dans l’armée se manifesta un mécontentement qui se changea bientôt en une irritation des plus vives, surtout chez ceux qui avaient un sentiment plus profond de la liberté et de l’égalité civique, chez les Ioniens et chez les Athéniens.

Dès le principe, les Ioniens n’éprouvaient déjà aucune sympathie pour les Spartiates, dont les manières rogues leur étaient aussi désagréables que sonnait mal à leurs oreilles le rude et inintelligible dialecte lacédémonien. Ils regardaient les Athéniens comme leurs chefs naturels, et le penchant qu’ils sentaient pour un peuple de même race qu’eux fut encore fortifié par les qualités personnelles des généraux athéniens. Combien, en effet, l’orgueil du Spartiate faisait ressortir le caractère d’Aristide, en qui l’on trouvait un simple particulier, d’humeur toujours égale, doux, tranquille, impartial, préoccupé uniquement des grands intérêts de la lutte patriotique ! Et à côté de lui, Cimon, libéral et chevaleresque, gracieux et affable envers tous. L’amabilité de ces hommes était d’autant plus appréciée qu’à leur expérience et à leur énergie étaient principalement dus tous les succès des campagnes maritimes.

C’est auprès d’eux que, cette fois encore, les Ioniens cherchèrent un refuge contre les injures du nouveau tyran, et les Athéniens furent assez avisés pour ne pas les repousser, mais pour les aider de leurs conseils et de leur appui ; ils se croyaient d’autant plus appelés à ce rôle qu’ils regardaient les villes d’Ionie comme des colonies athéniennes, dont la métropole avait le devoir sacré de défendre les intérêts. Mais ils devaient veiller avant tout à ce que les Ioniens, mobiles comme ils l’étaient, ne fussent pas entraînés par leur mauvaise humeur à se séparer de la cause commune. Il se produisit donc une scission dans l’armée grecque ; il se forma deux flottes, celle des Ioniens et Athéniens et celle des Spartiates et Péloponnésiens, de sorte que Pausanias n’était plus général en chef que de nom[6].

Sur ces entrefaites, les allures inconvenantes et fastueuses de Pausanias avaient fait du bruit à Sparte. Les éphores le rappelèrent pour se justifier et, comme il n’avait pas encore en main les moyens de résister ouvertement, il dut obéir. Mais l’escadre péloponnésienne s’en retourna aussi avec lui ; il est donc probable que les éphores crurent prudent, dans l’intérêt de Sparte, de terminer en même temps la campagne, qu’ils prirent leurs mesures en conséquence, et qu’ils s’attendaient au licenciement de la flotte[7]. Mais cette mesure eut un résultat tout différent et d’une portée considérable. La scission latente éclata alors au grand jour ; les Athéniens et les Ioniens, par suite de l’entente qui existait entre eux, restèrent réunis, et Athènes prit officiellement, après le départ de Pausanias, le commandement suprême des vaisseaux qui étaient restés.

Les éphores surpris voulurent réparer leur imprudence ; au printemps suivant, ils renvoyèrent à la flotte le successeur de Pausanias, avec des vaisseaux et des troupes. Mais lorsque celui-ci — il s’appelait Dorcis — arriva, la situation s’était dans l’intervalle si bien régularisée que la défection des alliés et la perte du commandement de la flotte pour Sparte étaient un fait accompli. Avec la meilleure volonté du monde, Aristide et Cimon auraient été dans l'impossibilité de modifier l'état des choses. Il ne restait donc à forcis d’autre alternative que de se soumettre au commandement d’Athènes on de s’en retourner. Il prit naturellement ce dernier parti.

Le retour ignominieux du général en chef et les événements inattendus qui en furent la conséquence provoquèrent à Sparte la plus vive indignation. Les traités étaient rompus, le pacte fédéral hellénique détruit, et la dignité hégémonique de Sparte, qui dans les dernières années avait été si brillamment restaurée, était offensée de la manière la plus sensible. Elle devait, de toute nécessité, être promptement rétablie ou abandonnée à jamais.

Il ne manquait pas à ce moment d’hommes à Sparte qui auraient voulu qu’on marchât sur Athènes avec les troupes du Péloponnèse, afin de demander satisfaction et d’obtenir par la force le rétablissement de l’ancienne organisation fédérale. Cependant, une autre opinion ne tarda pas à se faire jour ; c’était l’opinion des Spartiates figés et de sens rassis, dont l’organe fut Hétœmaridas, membre du conseil des Anciens et issu de la famille des Héraclides. Lui-même et ceux qui partageaient ses sentiments avaient toujours été d’avis qu’il n’y avait rien de plus dangereux pour leur ville que de s’associer à des entreprises ambitieuses dans des contrées lointaines, a les citoyens étaient complètement soustraits à la surveillance des autorités et exposés à toutes les tentations par suite de leurs rapports avec les Ioniens, toujours avides de nouveautés. Ils pensaient que le -commandement, de la flotte était un honneur auquel Sparte avait infiniment plus à perdre qu’a gagner ; la gloire militaire, quelle qu’elle fût d’ailleurs, était selon eux payée trop cher, si elle faisait sortir l’État de sa voie et si elle corrompait les citoyens. L’exemple de Pausanias parlait assez haut. L’injure qu’on avait essuyée était, à les entendre, un châtiment qu’on avait mérité Pour s’être départi de la modération prudente et de la réserve érigée en principe à Sparte.

C’est sur l’armée de terre qu’il fallait faire reposer la grandeur de Sparte, à mesure qu’Athènes se jetait plus délibérément du côté de la mer. On n’avait pas maintenant de ressources suffisantes pour se venger d’Athènes. Toute tentative violente ne devait servir qu’à rendre irrémédiable la rupture du pacte fédéral ; on pouvait, au contraire, par des négociations pacifiques, obtenir que Sparte, en renonçant à la direction de la guerre maritime, ne cédât rien de son droit[8].

Le parti de la paix l’emporta. On se tranquillisa sans doute aussi en se disant que l’hégémonie n’avait pas, à proprement parler, passé de Sparte à d’Athènes, mais qu’Athènes s’était chargée, sur le désir et au nom de Sparte, de la continuation de la guerre et du commandement des alliés ioniens[9].

A Athènes, on avait attendis avec une grande inquiétude le dénouement de la crise, et la solution pacifique qu’elle avait reçue, solution à laquelle Aristide et ses amis avaient certainement contribué, était un triomphe pour le parti des gens sages, pour ceux dont la politique consistait à porter la puissance d’Athènes à son plein développement, sans rompre pour cela avec Sparte. Ce qui naguère n’aurait pu aboutir que par un coup de force avait été amené en quelque sorte de soi-même par la marche tranquille des événements, sans crime et sans guerre civile. Cette transition s’était effectuée dans l’été de 476, et, l’année 476/5 avant J.-C. (Ol. LXXVI, 1) peu être considérée, suivant le calcul le plus probable[10] comme la première où Athènes exerça l’hégémonie sur mer, honneur bien mérité par ceux qui avaient combattu aux premiers rangs à l’Artémision et à Salamine et sauvé l’indépendance de la Grèce.

Mais le plus difficile restait à faire. Il s’agissait maintenant de donner à la nouvelle Ligue, :une organisation régulière et de former, avec un grand nombre de villes maritimes sans homogénéité et disséminées au loin, une puissance maritime qui fût en état de s’opposer à toutes les velléités de conquête des Perses et de protéger une vaste étendue de mer.

La décision avec laquelle les Athéniens se chargèrent de cette grande tâche prouve qu’ils ne l’abordaient pas sans préparation ; et nous pouvons tenir pour certain que, dès l’époque de Solon, tous les hommes d’État capables de vues un peu larges reconnaissaient que la mission d’Athènes était de réunir un jour sous sa direction toutes les îles de la mer Égée. Mais les opinions n’étaient phis d’accord sur la manière dont Athènes devait exercer sa domination. Les uns, tels que Miltiade et Thémistocle, pensaient que le droit du plus fort devait seul décider ; on ne pouvait aboutir à un résultat durable, d’après eux, que par le désarmement et la soumission des îles. Mais cette manière de voir devait se heurter à l’opposition décidée de tous les hommes modérés, et Thémistocle ne put, pour cette raison, faire prévaloir sa politique de violence. Elle devint absolument impossible après l’adhésion spontanée, aussi rapide qu’inattendue, des villes asiatiques. De ces villes, les unes, comme Éphèse, étaient restées riches et populeuses ; d’autres s’étaient relevées de leur décadence et repeuplées sous la domination des Perses. Il ne pouvait clone pas être question là de domination absolue exercée par Athènes. En outre, la situation tendue dans laquelle on se trouvait vis-à-vis de Sparte obligeait à la prudence et à la circonspection : il fallait éviter les fautes qui avaient fait perdre à Sparte le commandement suprême ; il fallait essayer d’habituer par des moyens plus doux les nouveaux alliés à accepter la direction du nouveau chef-lieu. Ce fut le système que préconisa Aristide. Athènes eut le bonheur insigne de posséder en lui l’homme que sa sagesse politique et son intégrité universellement reconnue en Grèce qualifiaient entre tous pour être l’homme de confiance du peupla tout entier, pour résoudre tees problèmes les plus difficiles et pour organiser la nouvelle confédération de telle sorte que, tout en ménageant autant que possible les droits des petits États, on eût pourtant une constitution capable de donner à cette Ligue militaire l’unité et la force, et en même temps d’assurer aux Athéniens une influence prépondérante.

La constitution la plus populaire et la plus libérale qu’on pût donner à une confédération de ce genre était la forme amphictyonique[11]. Il fallait pour cela, d’après la coutume grecque, un centre religieux ; et ce dernier ne pouvait être autre que Délos, l’île sainte, située à égale distance de l’un et de l’autre littoral, la Delphes de l’Archipel, qui déjà, avant les tempe homériques, avait été le théâtre de fêtes consacrées à Apollon et le rendez-vous des peuples de race ionienne établis des deux côtés de la mer. Athènes était tout particulièrement unie à Délos ; Érvsichthon le Cécropide passait pour avoir institué la solennité annuelle : et, de même que déjà Polycrate et Pisistrate avaient rattaché à Délos leurs plans de domination maritime, elle devint maintenant le centre d’une nouvelle confédération, dont les représentants s’y réunirent à l’époque de l’ancienne panégyrie fédérale (probablement au commencement de mai). L’ancienne fête populaire devait ressusciter avec un nouvel éclat ; aussi les prêtres de Délos favorisèrent-ils l’entreprise des Athéniens, et les prophètes d’Apollon Délien leur promirent l’empire de la mer[12].

La défense contre les Perses et la sécurité durable de la mer grecque étaient le but reconnu de tous, et, pour l’atteindre, il fallait une force militaire soumise à une direction unique. L’alliance qui fut conclue à cet effet ressemblait donc à peu prés à l’organisation militaire du Péloponnèse ; celle-ci aussi était une ligue armée, offensive et défensive, et une institution nationale dirigée coutre l’étranger, comme l’indique le nom d’Hellénion que portait à Sparte la place où se réunissait l’armée fédérale. Les Athéniens, imitant ce que Sparte avait fait dans le Péloponnèse, devaient aussi, par des traités, créer une organisation militaire commune. Mais c’était une chose absolument nouvelle que de transporter une organisation de ce genre sur mer. Les Corinthiens avaient bien fait acte de puissance maritime, niais ils se prévalaient surtout du droit de la métropole sur ses colonies, principe inapplicable dans le cas présent, quelque insistance que l’on mit à représenter Athènes comme la métropole de l’Ionie.

Dans une Ligue maritime, ln question d’argent avait une tout autre importance que dans les associations de ce genre formées sur le continent. C’est là qu’Aristide était l’homme de la situation : il était plus capable que personne de persuader aux députés des villes combien il était nécessaire de régler les contributions d’après des principes fixes, parce que, sans trésor et sans budget régulier, il était impossible d’entretenir une flotte prête à entrer en campagne. Il fut chargé lui-même de faire une enquête exacte sur les ressources des différents États et d’établir en conséquence la matricule fédérale. Les États confédérés s’engagèrent à verser régulièrement le montant de leurs contributions ; et ils s’y résignèrent d’autant plus volontiers qu’ils étaient obligés de reconnaître la nécessité d’une flotte permanente, ne fût-ce que pour protéger le commerce contre les pirates. Du reste, des tributs de ce genre n’étaient pas pour eux chose nouvelle ; car les Spartiates, pendant leur courte hégémonie maritime, avaient levé sur eux des taxes arbitraires, et le Grand-Roi en avait fait autant avant eux, d’après l’estimation ordonnée par Artapherne, en sa qualité de satrape de Sardes. Ce n’étaient au fond que des contributions destinées à la caisse de l’armée, telles que Sparte en réclamait aux Péloponnésiens eux-mêmes ; seulement elles devaient être payées régulièrement, parce qu’il s’agissait ici non pas de levées accidentelles, mais d’une armée permanente ; c’étaient enfin des contributions consenties par les cités elles-mêmes, et dont l’emploi dépendait des décisions prises en commun par les membres de la Ligue.

On ne prélevait d’impôt proprement dit que sur les petites villes qui n’avaient ni ne voulaient avoir de vaisseaux de guerre à elles ; leurs contributions étaient destinées à. l’entretien d’un nombre de vaisseaux proportionné à leur population. Les grandes villes, au contraire, ne fournissaient pas de contributions en argent ; mais elles s’engageaient à fournir elles-mêmes le nombre de vaisseaux et d’hommes porté au rôle par Aristide, qui s’acquitta de sa tâche difficile à la satisfaction générale. Tels furent les commencements de la Ligue maritime athénienne, dont l’établissement pacifique et solide fut l’honneur d’Aristide. Nous ne pouvons suivre dans le détail l’extension progressive de la Ligue ; car nous ne la connaissons qu’à partir du moment où elle avait pris une certaine ampleur et reçu une constitution durable, c’est-à-dire au moment où, par suite des victoires de Cimon, non seulement les îles, mais encore les villes du littoral de l’Asie-Mineure, ainsi que les îles et les villes de la Thrace, s’y étaient rattachées. C’est à cette époque que se rapporte le premier chiffre qui nous soit donné comme le montant total des paiements annuels, la somme de 460 talents (2.587.500 fr.)[13]. La caisse fédérale se trouvait dans le sanctuaire d’Apollon, à Délos, et l’administration en était confiée aux Hellénotames. Ce nom indique le caractère amphictyonique de la confédération, qui devait être une puissance hellénique nationale ; mais on reconnut aux Athéniens le privilège important de recruter parmi eux les Hellénotames. Cependant, l’extension de la Ligue n’eut pas lieu seulement à l’instigation d’Athènes ; les anciennes relations qui existaient entre les villes maritimes contribuèrent à y attirer des villes plus éloignées et qui d’abord s’étaient montrées récalcitrantes. C’est ainsi que Chios notamment rendit des services signalés, en se chargeant, par exemple, à l’époque de la bataille de l’Eurymédon, de négocier avec Phasélis en Pamphylie, pour faire entrer cette ville dans la Ligue[14]. Il y avait aussi des groupes de petites communes qui maintenaient leur solidarité antérieure, qui payaient leurs contributions en commun et disposaient ensemble d’une voix[15]. Le principe généralement accepté, c’est que tous les États conservaient leur indépendance, telle qu’ils l’avaient auparavant ; ils envoyaient leurs représentants aux assemblées, qui se réunissaient périodiquement et formaient un conseil fédéral, chargé de décider les questions relatives aux opérations militaires, à l’emploi de l’argent, en un mot, de régler toutes les affaires communes.

Cependant, avec l’extension que prit la confédération, les assemblées des députés étaient si nombreuses et en même temps si divisées d’intérêts et d’opinions qu’elles étaient absolument incapables de se mettre d’accord pour agir. En outre, depuis les temps les plus anciens, il existait entre les Îles et les villes du littoral, par suite de leur différence d’origine et de la concurrence de leurs intérêts commerciaux, bien des sujets de jalousie et de discorde. Le rôle d’Athènes n’en fut que plus actif et son influence plus considérable ; supérieure à toutes les autres villes en puissance et en perspicacité politique, elle avait la présidence de la confédération, convoquait et dirigeait les assemblées, percevait les contributions, gérait la caisse, surveillait les intérêts communs au dedans comme au dehors, nommait les généraux et décidait, en somme, toutes les entreprises militaires. La puissance des Athéniens s’accrut, sans qu’ils fissent rien pour cela, par le fait des villes confédérées elles-mêmes ; car celles-ci, une fois le danger immédiat écarté et la sécurité de la mer rétablie, furent bientôt lasses de l’effort qu’exigeait d’elles le service militaire. Aussi, le nombre des villes qui préférèrent se libérer à prix d’argent, afin de se livrer tranquillement au commerce, à l’agriculture et à la pêche, grossit à vue ; il arriva ainsi qu’elles accrurent à leurs frais, et de plus en plus, la puissance militaire d’Athènes.

Sparte et le Péloponnèse étaient restés complètement étrangers à la formation de cette nouvelle puissance hellénique. Ils jetaient des regards de haine et d’envie sur Athènes qui accomplissait avec tant de rapidité et de bonheur cette grande œuvre, le rétablissement de l’union entre les Hellènes de l’un et de l’autre littoral qui, en dépit de leurs affinités naturelles, avaient été violemment séparés.

Pendant qu’on prenait à Délos ces importantes mesures, les forces des Perses et des Grecs étaient en présence au nord de la mer Égée, prèles à en venir aux mains. La nouvelle Ligue maritime n’avait pas, en effet, de’ tâche plus pressante à remplir que de chasser les Perses des fortes positions qu’ils occupaient encore en Europe et de rendre ainsi la mer libre. Byzance, la clef des routes maritimes du Nord, resta le quartier général des vaisseaux grecs et le point de mire constant des Perses. Ceux-ci, en effet, n’avaient pas le moins du monde abandonné leurs possessions européennes ; ils avaient tout une série de garnisons autour de l’Hellespont[16], et c’était pour eux une question d’honneur de ne pas sacrifier les conquêtes de Darius. Aussi les deux hommes les plus braves que connut Xerxès étaient-ils chargés de garder les possessions de la Thrace, Mascamès à Doriscos et Bogès à Eïon. Ils étaient en relation avec les Thraces qui leur amenaient du blé ; ils pouvaient aussi compter sur la Macédoine ; car l’extension de la nouvelle puissance maritime grecque dans ces parages et l’entrée des villes de la Chalcidique dans la confédération maritime de Délos ne pouvaient être indifférentes aux princes du Nord. On s’appliquait, par conséquent, du côté des Perses, à entretenir des relations avec les anciens alliés de Macédoine et de Thessalie, et l’on espérait toujours, dans des circonstances plus favorables, pouvoir s’avancer de nouveau sur le continent européen.

D’autres questions surgirent :encore qui dirigèrent du côté des mers du Nord l’attention et l’activité des Athéniens. Il s’était conservé dans les îles qui bornent au sud la mer de Thrace, surtout à Scyros, des tribus pélasgiques aux mœurs grossières, qui troublaient la sécurité de la mer en se livrant à la piraterie, et qui inquiétaient le commerce sur les côtes de la Thessalie. Les Amphictyons de Delphes avaient réclamé des dommages-intérêts pour un acte de piraterie commis sur des marchands thessaliens ; les Scyriens refusèrent l’indemnité, en se moquant de l’impuissance de la diète de Delphes. On chercha alors à décider Athènes à intervenir. Un oracle arriva de Delphes à Athènes, recommandant au peuple de songer aux ossements de Thésée, qui reposaient dans la lointaine Scyros, et de ramener les saintes reliques dans leur patrie[17]. Ce fut une raison de plus, quand les domaines les plus voisins de la confédération eurent été mis à l’abri de tout danger, de diriger les premières grandes entreprises du côté du Nord, où l’on comprenait qu’on devait trouver un terrain exceptionnellement favorable pour des opérations militaires et des entreprises coloniales.

Le chef qu’il fallait se rencontra à point. Les Athéniens le trouvèrent dans la personne de Cimon, fils de Miltiade, dont les talents stratégiques et le patriotisme leur furent très chaudement recommandés par Aristide[18]. La première irritation contre le héros de Marathon avait fait place à une appréciation plus impartiale de ses services. On fut d’autant plus heureux de reconnaître dans son fils l’homme appelé à faire revivre, pour le salut de la ville, la gloire de l’antique race des Philaïdes.

Fils d’un prince opulent et d’Hégésipyle, la fille d’un prince thrace, il avait grandi au milieu du luxe, exempt de soucis, se livrant, à la façon de ses ancêtres, à des exercices chevaleresques, menant au jour le jour une existence frivole et consacrée au plaisir ; puis, la fin malheureuse de son père l’avait précipité du faite de la fortune, et il avait appris à connaître, par une dure expérience, les côtés sérieux de la vie. Hors d’état de payer l’amende à laquelle son père avait été condamné, il dut se résigner à être traité avec toute la rigueur des lois athéniennes relatives aux dettes ; il était privé de tous ses droits civils, et, comme sa propre personne répondait de sa dette, il fut même peut-être, pendant quelque temps, privé de sa liberté. Il vivait dans la retraite la plus absolue avec sa sœur Elpinice, issue d’un autre mariage ; et il en avait fait, dit-on, sa femme, ce qui n’était pas interdit d’après les idées des anciens et ce qui s’explique aussi, dans ce cas particulier, par le fait que l’extrême pauvreté d’Elpinice ne lui offrait aucune occasion de faire un mariage assorti à son rang[19]

A ce moment, une péripétie singulière vint changer du tout au tout la vie du frère et de la sœur. Un des plus riches citoyens d’Athènes, Callias, conçut une violente passion pour Elpinice. Il obtint sa main, paya les 50 talents, et par là, non seulement il délivra le fils de Miltiade de la misère et de l’opprobre, mais il le rendit à sa patrie[20] Celle-ci eut depuis lors en Cimon un serviteur dévoué.

La rude école de la vie avait mûri et ennobli son caractère. Aussi ne montra-t-il ni susceptibilité personnelle ni bas désir de vengeance ; il sut également s’affranchit’ des traditions un peu étroites de sa maison, qui avait mis son orgueil à dresser des chevaux de course. Il se rallia, en effet, sans réserve à la politique maritime de Thémistocle. Dans un temps où la bourgeoisie était encore hésitante et où les familles nobles se montraient dédaigneuses, on le vit monter à l’acropole, pour consacrer à la déesse protectrice de la ville une bride da cheval, et descendre ensuite au port avec son bouclier. C’était une manière de témoigner qu’il comprenait son temps et que, à son sens, la force et l’avenir d’Athènes n’étaient pas dans ses chevaux, mais bien dans ses vaisseaux. Bientôt, servant sur la flotte à côté d’Aristide, il montra les qualités d’un vrai général ; il contribua beaucoup pour sa part à faire passer si facilement et si heureusement le commandement maritime aux marins d’Athènes ; on ne faisait donc que reconnaître ses services en lui confiant la direction des premières entreprises importantes de la flotte attico-ionienne.

Le fils de Miltiade paraissait tout particulièrement appelé à faire la guerre sur ce terrain, c’est-à-dire à combattre les Perses et les tribus sauvages de la Thrace sur le littoral et dans les îles de la mer de Thrace, comme avait fait son père. Cette fois, il s’agissait d’ouvrir aux navires de la nouvelle puissance maritime la route du Pont-Euxin, et de faire entrer dans la confédération les places qui commandaient le nord de l’Archipel. C’est pourquoi on commença par assiéger et prendre Byzance, où Pausanias s’était de nouveau installé et où il jouait un rôle très suspect[21]. Ensuite on s’avança vers l’Hellespont, auquel les Perses s’attachaient avec ténacité afin de s’assurer les moyens de passer librement en Europe. C’est pour cette raison qu’ils avaient établi leurs plus braves généraux comme gouverneurs dans les places de la côte et qu’ils invitaient les tribus thraces à leur prêter main-forte. Tout d’abord, ils dédaignèrent la petite escadre ; mais ils s’aperçurent bientôt, non sans effroi, qu’elle s’avançait sous la conduite de Cimon avec une énergie singulière et d’après un plan bien concerté ; ils virent bientôt leur ligne de retraite coupée, et, attaqués dans toutes leurs positions importantes, ils furent partout obligés de céder[22]. Boriscos seule, ville située sur la côte, à l’ouest de l’Hèbre (Maritza), ne put are prise, grâce à l’héroïsme du général perse Mascamès, que le Grand-Roi honorait comme le brave des braves[23].

Enfin, on s’attaqua à Eïon, place située à l’embouchure du Strymon da plus considérable e t la mieux fortifiée qui fut encore aux mains des Perses. Bien pénétré de la difficulté de sa tâche, Cimon avait noué des relations avec la Thessalie, où le parti national reprenait vigueur ; il reçut de Pharsale des secours d’argent et de troupes, et fut ainsi en état d’envelopper Eïon. Mais les murs furent défendus avec la plus grande bravoure, sous le commandement supérieur de Bogès. Cimon dut renoncer à donner l’assaut et attendre que les provisions de la place, encombrée de monde, fussent épuisées. Il barra en même temps par une digue le cours inférieur du Strymon, de sorte que l’eau s’éleva le long des murs et amollit les briques crues dont ils étaient construits. Lorsque Bogès vit tomber les murs, il jeta à l’eau ses trésors et se tua enfin, lui et les siens. Ce fut un monceau informe de décombres qui tomba entre les mains des Athéniens (470-69 : Ol. LXXVII, 3 ou 4)[24].

Cette campagne valut à la confédération la possession d’un territoire tout nouveau, situé le long de la mer ; tout une série de villes maritimes de la Thrace, telles que Acanthe, Olynthe, Stagire, peut-être aussi Potidée, entrèrent dans la Ligue[25]. Une colonie fut établie à Eïon. Le butin de la campagne de Thrace fut partagé à Chios, et les Athéniens retirèrent de grands bénéfices de la rançon que les nobles Perses payèrent pour leurs parents prisonniers[26].

Une tâche plus facile fut le châtiment des habitants de Scyros, qui suivit immédiatement la campagne du Strymon. Cimon l’entreprit avec un plaisir tout particulier ; rien, en effet, ne répondait mieux à ses goûts que de représenter dans ces parages les intérêts communs des Hellènes, et d’assurer à la jeune flotte la gloire de rétablir l’ordre dans la mer hellénique. Il témoigna du même coup sa reconnaissance à ses alliés thessaliens en pourvoyant à la sécurité de leur littoral, et il étendit considérablement la puissance d’Athènes. L’île devint, en effet, une terre athénienne, et des citoyens athéniens furent établis sur le sol qui avait été habité jusque-là par les Dolopes. L’entreprise de Cimon reçut enfin une consécration particulière ; car le tombeau de Thésée, dont la place avait sans doute été tenue secrète, parce qu’on attribuait à la présence du héros une vertu protectrice, fut heureusement retrouvé, et ses ossements furent transportés solennellement à Athènes, sous l’archontat d’Apséphion (469 : Ol. LXXVII, 4)[27]. Cette tâche, dont Cimon s’acquitta avec tant de bonheur, s’offrit à lui si à propos, sous tous les rapports, qu’on est tenté de voir dans ces deux occasions survenues juste au moment opportun, c’est-à-dire l’injonction de l’oracle et les plaintes des Thessaliens, le fruit d’une combinaison et le résultat d’une entente préalable ; nous devrions alors reconnaître en Cimon non seulement un général énergique, mais encore un homme d’État avisé et prévoyant, qui utilisait ses relations pour étendre au loin son action.

Ce furent là les premières entreprises dans lesquelles la confédération maritime de Délos se manifesta comme une puissance qui, dès cette époque, était en mesure d’unifier et de dominer l’Archipel divisé en un grand nombre d’États particuliers. Tonte la puissance du peuple ionien se trouvait concentrée pour la première fois sous une direction énergique, en vue de projets considérables et nettement conçus. Quelle résistance pouvait rencontrer une flotte où se trouvaient réunis les meilleurs marins du monde ?

Pendant une série d’années, la situation fut bonne : elle le resta tant que dura le danger commun et qu’on vit régner, d’un côté, la sympathie et la confiance, de l’autre, une sage modération. Cependant, les côtés faibles de la confédération ne tardèrent pas à se montrer. Le vice radical était l’inconstance du caractère ionien : on sentait l’aversion qu’éprouvaient les habitants des îles à se soumettre à des règlements communs ; et cette aversion innée s’accrut naturellement dans une forte mesure, lorsqu’on s’aperçut que l’indépendance des membres de la confédération n’était pas respectée comme on se l’était figuré. Athènes devait, de toute nécessité, veiller avec une grande rigueur à l’accomplissement des devoirs qu’imposait le pacte fédéral ; mais, comme les avantages de l’union étaient tous pour les Athéniens, que les Athéniens se servaient de la flotte confédérée pour conquérir et des îles et différentes parties du littoral, la mauvaise humeur et la défiance des alliés s’éveillèrent quand ils se virent réduits à servir d’instruments à l’extension de la puissance d’Athènes[28].

C’est ainsi que la flotte, avant même que les dix premières années de l’hégémonie d’Athènes fussent écoulées, dut être employée à faire rentrer des villes rebelles dans le devoir, ou bien à incorporer de force dans la Ligue, sous prétexte qu’elles se trouvaient dans son domaine maritime, des villes qui entendaient rester à l’écart. Tel paraît avoir été le cas de Carystos, située à la pointe méridionale de l’Eubée ; elle opposa une résistance sérieuse, même sans l’appui des autres villes de l’île, et entra ensuite dans la confédération par un traité[29]. Bientôt, le premier exemple d’un soulèvement contre le chef-lieu de la confédération fut donné par la puissante Naxos, dont la résistance ne fut brisée qu’à la suite d’un long siège.

Ce fut avec une joie secrète que les Perses, d’un côté, les Spartiates, de l’autre, virent les forces de la nouvelle Ligue s’user en luttes intestines. Pour le moment, cependant, ces luttes ne firent qu’accroître la puissance d’Athènes. On vit alors, pour la première fois, une ville confédérée exclue du nombre des États insulaires indépendants ; il fut reconnu, de par la confédération, que les Naxiens, en se révoltant contre l’ordre fédéral, avaient perdu leurs droits ; de membres de la Ligue, ils en devinrent les sujets et furent, comme tels, soumis à une contribution plus forte et à une surveillance plus rigoureuse de la part du chef-lieu[30]. C’est ainsi qu’Athènes obtint, au milieu de la mer des Cyclades, une situation plus forte et qu’elle maintenait uni par la crainte le faisceau de la confédération.

 

 

 



[1] La fin du règne de Léotychide et l’avènement d’Archidamos se trouvent placés à tort par Diodore (XI, 48) l’année de l’archontat de Phædon (476 : Ol. LXXVI, 1). C’est une erreur que l’on peut rectifier d’après Diodore lui-même (voyez CLINTON, Fasti Hellenici, II, Append. 3). Léotychide a régné 22 ans ; Archidamos meurt, après 42 ans de règne, en 427 : par conséquent, le bannissement de Léotychide est de l’année 460 (Ol. LXXVII, 4), l’année de l’archontat d’Apséphion. L’erreur de Diodore parait provenir ici d’une confusion entre les noms de Άψεφίων et Φαίδων. Cf. KRÜGER, Histor.-philol. Studien, p. 150.

[2] Ce qui a été dit ici, dans des éditions précédentes, de la présence de Pausanias en Thessalie et des restes de Léonidas rapportés à Sparte, se fonde sur une correction d’un texte de Pausanias (III, 14, 1) où O. MÜLLER (Dorier, II, p. 488) écrit τέσσαρσι au lieu de τεσσαράκοντα. Ce n’est point l’avis de SCHUBART (Pausan. éd. Teubner, Præf., p. XIII) qui admet une lacune et la comble ainsi [Παυσανίου τοΰ Πλειστοάνακτος] τοΰ Παυσανίου. L’opinion de Schubart est adoptée par A. SCHÄFER, De rerum post bell. Pers. gest. temporibus, 1865, p. 7. En ce cas, le fait se passe vers 440, c’est-à-dire au temps où Pausanias n’était encore, durant l’exil de son père, qu’un roi mineur ; il faut donc que le tuteur de Pausanias ait fait pour lui l’expédition aux Thermopyles, ce qui s’accorde mal avec l’expression de notre auteur. Cependant, il n’y a pas de raison de mettre en doute le fait et le laps de temps indiqué. Cf. KIRCHHOFF, Monatsber. der Berl. Akad., 1870, p. 6.

[3] THUCYDIDE, I, 132. Le distique est de Simonide, d’après PAUSANIAS, III, 8,2.

[4] On croit posséder, dans les serpents de bronze enroulés que l’on a exhumés en 1856 sur l’Ameidan de Constantinople, l’original de l’ex-voto consacré après Platée (O. FRICK, Das platäische Weihgeschenk zu Constantinopel, Leipzig, 1859). J’ai exprimé mes doutes sur cette identité dans l’Archäol. Zeitung, 1867, p. 137 ; Jenäer Literaturzeitung, 1874, p. 156.

[5] THUCYDIDE, I, 128. DIODORE, XI, 44.

[6] Sur les motifs de la défection et la façon dont elle eut lieu, voyez THUCYDIDE, I, 94-95. Plutarque nomme Cimon à côté d’Aristide et parle d’une attaque des Chiotes, Sauriens et Lesbiens, contre le vaisseau amiral spartiate (PLUTARQUE, Aristid., 23).

[7] L’option des alliés pour Athènes eut lieu en même temps que le rappel de Pausanias THUCYDIDE, I, 95. Si l’on n’avait rappelé que Pausanias, on lui eût nommé un successeur. C’est parce que Pausanias était rentré avec la flotte qu’on expédia Dorcis avec une nouvelle armée.

[8] DIODORE, XI, 50 (d’après Éphore. Cf. Philologus, XXVIII [1869], p. 51).

[9] THUCYDIDE, I, 95.

[10] CLINTON, Fasti Hellenici, II, append. O. SCHÄFER, op. cit., p. 14. Les chiffres donnés par les orateurs comme représentant la durée de l’hégémonie athénienne sont bien incertains. Le plus exact est celui qu’on trouve dans Démosthène (III, 24 : IX, 23). Il compte 45 ans, en défalquant du nombre total d’années écoulées entre le départ des Perses et le début de la guerre du Péloponnèse, nombre ordinairement évalué à 50 ans, les cinq ans durant lesquels les Lacédémoniens étaient encore en possession de l’hégémonie. Sur les calculs chronologiques relatifs à l’hégémonie attique, voyez BÖCKH, Staatshaushaltung, I, p. 584. Andocide comptait 85 ans à partir de Marathon. Cf. KIRCHNER, De Andocidea quæ fertur tertia oratione, p. 55.

[11] Le caractère amphictyonique de la confédération fut cause que l’on put dans certains cas accorder dispense du tribut, mais non pas de la quote-part destinée à la divinité : c’est ce qui arriva pour Méthone en Macédoine (C. I. ATTIC., I, 40) et Neapolis en Thrace (C. I. ATTIC., I, 51).

[12] ATHÉNÉE, p. 331 sqq. (d’après la Δηλιάς de Sémos).

[13] THUCYDIDE, I, 96. Thucydide ne nomme pas Aristide qui, d’après Diodore (XI, 47), dut à cette organisation son nom de Δίκαιος (PLUTARQUE, Aristid., 24). Plutarque parle même d’impôts payés antérieurement, au temps de l’hégémonie spartiate. Cf. BÖCKH, Staatshaushaltung, I, p. 521. Urkunden und Untersuchungen zur Geschichte des delisch-attischen Bundes (Abh. d. Berl. Akad., 1869), p. 88 sqq. D’après KIRCHHOFF (ap. Hermes, XI, p. 37), Thucydide (loc. cit.) décrit par anticipation l’état de la ligue maritime, telle qu’elle subsista, sans changements notables, après la bataille de l’Eurymédon, et fait ensuite l’histoire de son développement. C’est pour avoir mal compris Thucydide qu’Éphore. établit un rapport immédiat entre Aristide et les 460 talents. La répartition, telle que la décrit Éphore (ap. DIOD., XI, 47), repose sur une idée fausse.

[14] KÖHLER, ap. Hermes, VII, p. 163. C. I. ATTIC., II, 11.

[15] KÖHLER, Urkunden des del.-att. Bundes, p. 90.

[16] HÉRODOTE, VII, 106 sqq. GROTE (VII, p. 271. trad. Sadous).

[17] Sur la date de l’oracle, voyez SCHÄFER (op. cit., p. 10). D’après Plutarque (Theseus, 30), l’oracle fut rendu Φαίδωνος άρχοντος, c’est-à-dire en 476 (Ol. LXXVI, 1) : mais le transfert des reliques eut lieu sous Apséphion, en 469 (Ol. LXXVII, 4). Un si long intervalle est d’autant plus invraisemblable que l’oracle cadrait mieux avec les vues politiques de Cimon. Aussi est-il permis de croire que, dans Plutarque, le nom de l’archonte se trouve altéré, comme aussi dans le scoliaste d’Eschine (II, 31, p. 502, Didot). Déjà Bentley était d’avis que l’oracle de la Pythie, la prise de Scyros, la victoire de Sophocle et le transfert des reliques de Thésée, devaient tomber dans la même année, celle de l’archontat d’Apséphion.

[18] PLUTARQUE, Aristid., 25. Sur Cimon, voyez W. VISCHER, Kimon, Basel, 1847.

[19] PLUTARQUE, Cimon, 4. CORN. NEPOS, Cimon, 1. Le frère et la sœur calomniés sur la scène cornique (SCHOL. ARISTOPH., p. 515 Dindorf).

[20] CORN. NEPOS, Cimon, 1. DIO CHRYS., LXXIX, 11. MEIER, De bonis damnatorum, p. 5. 16.

[21] PLUTARQUE, Cimon, 6.

[22] PLUTARQUE, Cimon, 14. SCHÄFER, op. cit., p. 10. Plutarque ne fait commencer ce balayage de l’Hellespont qu’après la révolte de Thasos.

[23] HÉRODOTE, VII, 106.

[24] HÉRODOTE, VII, 107. PLUTARQUE, Cimon, 7. ÆSCHINE, In Ctesiph., § 183, PAUSANIAS, VIII, 8, 9.

[25] Sur toute cette expédition de Thrace, voyez Hermes, XI, p. 17 sqq.

[26] D’après Ion (ap. PLUTARQUE, Cimon, 9), le butin fut partagé à Chios.

[27] THUCYDIDE, I, 98. KIRCHHOFF, ap. Abhand. der Berl. Akad., 1873, p. 13.

[28] THUCYDIDE, I, 99.

[29] THUCYDIDE, I, 98. HÉRODOTE, IX, 105.

[30] THUCYDIDE, I, 98. PLUTARQUE, Cimon, 10.