HISTOIRE GRECQUE

TOME DEUXIÈME

LIVRE DEUXIÈME. — DE L’INVASION DORIENNE AUX GUERRES MÉDIQUES (SUITE).

CHAPITRE QUATRIÈME. — L’UNITÉ GRECQUE.

 

 

§ III. — L’ORACLE DE DELPHES ET LA PROSPÉRITÉ NATIONALE.

Mais les fêtes des temples ne se donnaient pas seulement pour ceux qui voulaient lutter et gagner des prix ; elles furent, au début, le rendez-vous des habitants du voisinage qui, libres du travail quotidien, s’y rassemblaient en sociétés joyeuses. Plus la population était inoffensive, pacifique et portée à l’expansion, plus les relations étaient faciles, plus ces réunions étaient fréquentées et vivantes. C’est pourquoi Délos paraît avoir été le premier théâtre de réjouissances populaires brillantes. Là, pour la fête apollinienne du printemps, les Ioniens, avec leurs femmes et leurs enfants, arrivaient sur des barques, gais pèlerins, pour se divertir par des danses et des chants, pour exposer et étaler leurs objets précieux, pour se récréer par la vue de tout ce mouvement, de toute cette foule bigarrée et ondoyante. C’était une panégyrie ionienne ; après les sacrifices communs venait le plaisir d’une réunion riante, et aussi l’échange des marchandises et des objets d’art ; c’était, en un mot, une foire animée : avec cette race si propre au commerce, il ne pouvait en être autrement[1].

Une fois que les fêtes ioniennes, qui créèrent ce genre de relations, furent décidément en vogue à côté des grandes solennités amphictyoniques, les différentes races, Doriens et Ioniens, habitants de l’intérieur ou populations maritimes, s’y rencontrèrent et y formèrent une sorte de communauté libre, garantie contre tout désordre par la sainteté de cette trêve de Dieu. C’est là qu’ils apprirent, malgré la diversité des accents et l’écart des dialectes, à se sentir des compatriotes, à se donner réciproquement leur confiance, à former ces liens d’hospitalité qui multiplièrent entre eux les rapports mutuels, pour le plus grand bien de la nation entière. Une réaction salutaire s’y produisit contre toutes les petites jalousies, les froissements, les querelles qui divisaient les villes voisines, et l’orgueil local s’absorba dans le sentiment patriotique. De même que la gloire de chaque vainqueur rejaillissait d’abord sur sa ville natale, puis sur le peuple tout entier, de même toutes les inventions nouvelles, tous les produits nouveaux qui paraissaient dans les fêtes, tournaient à l’honneur non-seulement d’un groupe restreint et d’une petite contrée, mais de la patrie elle-même. Un désaccord survenait-il entre deux États ? Leur premier acte d’hostilité était de s’interdire réciproquement l’accès de leurs fêtes. La libre fréquentation de ces solennités était donc la marque la plus sûre d’une sereine et heureuse concorde.

A Olympie comme à Delphes, le marché annuel était très important[2] ; même le nom de la Pylæa delphique devint un terme général ayant le sens de foire[3]. Mais, de tous les endroits où se donnaient des fêtes, aucun ne se prêtait mieux que l’Isthme à devenir une place de commerce. Car celui qui allait à Delphes ou à Olympie ne songeait, quand il se mettait en route, qu’aux fêtes et aux cérémonies ; tandis que l’Isthme étant situé, plus encore que Délos, au centre du trafic, au croisement de toutes les routes de terre et de mer, à une égale distance du nord et du sud, de l’Asie et de l’Occident, la fréquentation de la fête, qui tombait au commencement de la saison la plus favorable, coïncidait fort commodément avec l’époque des voyages d’affaires. La foire de l’Isthme était une Bourse pour toute l’Hellade, et des négociants industrieux ne pouvaient trouve : meilleur endroit pour nouer de nouvelles relations et régler les affaires déjà engagées. C’est dans des milieux semblables que s’est aussi développé plus tard tout ce qui était nécessaire à la réception et à l’entretien des étrangers, hôtelleries, salles de réunion, magasins, etc.

A mesure que les fêtes prenaient un caractère plus national, on devait se préoccuper davantage d’en faciliter de tous les côtés l’approche. Ces graves intérêts, sur lesquels les familles sacerdotales appelèrent l’attention, eurent pour défenseurs les magistrats amphictyoniques. Il ne s’agissait pas seulement de rendre sûrs les environs immédiats des temples, particulièrement exposés aux coups de main des voleurs, à cause des richesses qui y affluaient ; il fallait aussi protéger le commerce par terre et par mer dans toute l’étendue du monde grec. Il n’est pas douteux que Delphes n’ait contribué essentiellement à assurer, conformément à l’esprit de l’ancienne amphictyonie, la paix publique et à réprimer la piraterie. L’état de guerre jadis endémique, l’époque barbare où on ne vivait qu’en armes, les meurtres et les vengeances sans fin, tout cela a réellement disparu sous l’influence moralisatrice de Delphes. Il faut rattacher à la même cause la construction des routes. Plus la paix donnait aux villes le bien-être et la prospérité, plus s’accroissait le nombre des hôtes admis aux fêtes ainsi que l’éclat des processions. Ce n’étaient plus quelques pèlerins isolés qu’on voyait par les chemins ; les États eux-mêmes prenaient part aux fêtes par l’envoi de députations qui s’avançaient sur des chars couronnés de feuillage, chargés d’offrandes et d’objets sacrés. Or, ces chars devaient pouvoir arriver sans peine, sans danger, sans encombre, au terme du voyage ; tout accident aurait passé pour un mauvais présage. Enfin, à partir de l’introduction des courses de chars, de grandes routes bien établies furent nécessaires ; et dans une région aussi pierreuse que Delphes, dans ces montagnes et ces enfoncements, ce n’était pas une tâche facile que d’y réussir.

Telle fut l’origine des voies sacrées, que les dieux eux-mêmes devaient avoir frayées les premiers, comme fit Apollon quand il parvint jadis à Delphes à travers un pays dépourvu de sentiers. Il fut bientôt suivi de ses serviteurs, notamment des Athéniens, les fils d’Héphæstos, constructeurs de routes, qui ont apprivoisé pour lui la terre sauvage[4]. Ainsi, l’art de construire les routes, l’art de bâtir les ponts qui défiaient les torrents déchaînés, sont sortis tous deux des sanctuaires nationaux et surtout de celui d’Apollon.

Tandis que le chemin des piétons serpentait sur le flanc des montagnes, la route des chars suivait le fond des vallées qu’avaient creusées les eaux. On aplanit le sol rocheux, on y creusa des rainures qui, soigneusement polies, servaient d’ornières où les rôties avançaient sans obstacle et rapidement. Ce système une fois adopté, l’accroissement des communications exigea qu’on donnât aux chaussées une largeur uniforme, car autrement l’abord des différents sanctuaires eût été impossible aux chars de fête[5] comme aux chars de course. Comme ces dimensions, aussi loin que s’étendait l’influence de Delphes, dans le Péloponnèse et dans la Grèce centrale, paraissent avoir été de 5 pieds 4 pouces, nous pouvons attribuer à l’initiative de Delphes non seulement l’extension du réseau des voies grecques, mais encore l’uniformité de structure, qui était comme la marque nationale. Dans chaque territoire amphictyonique, les routes et les ponts devaient être entretenus par l’État[6] ; la sainteté du temple se communiquait aux chemins eux-mêmes ; attaquer les chars qui y passaient, c’était attaquer le temple. Ainsi, la bénédiction pacifique émanée des temples, suivant en quelque sorte le parcours de ces lignes, se répandait dans toute la contrée et unissait même matériellement, par un lien jeté à travers l’espace, tous les centres religieux des Hellènes.

L’activité de l’oracle apollinien ne se bornait cependant pas à maintenir en état d’union les sanctuaires déjà existants. Il y avait bien plutôt dans ce culte une tendance infatigable à élargir sa sphère, à envoyer au dehors des missions nouvelles. Si donc aucune colonie ne fut fondée sans l’agrément du dieu, il ne faut pas expliquer ce fait en disant que les Hellènes n’entreprenaient en général aucun acte important et difficile sans avoir les dieux pour eux, mais y voir plutôt la preuve que toute leur activité colonisatrice était soumise à la direction particulière d’Apollon ; à tel point que c’était une impiété de fonder sans son ordre une ville au delà de la mer, et qu’on eût jugé une pareille fondation incapable de prospérer jamais. Ici encore, on reconnaît facilement comment les Grecs ont suivi l’exemple des Phéniciens. En effet, les migrations de ces derniers furent présentées comme des voyages du Kronos phénicien, d’Astarté et de Melkart ; les nouveaux établissements de Sidon et de Tyr, comme des créations des dieux protecteurs de la nation. Héraclès-Melkart était, pour toutes les colonies tyriennes, le seigneur du lieu[7] ; il recevait d’elles la dîme et d’autres offrandes à titre d’honneur ; et, quand les Carthaginois perdirent la Sicile, ils crurent qu’ils expiaient encore ainsi quelque négligence dans l’accomplissement de ces obligations sacrées.

Le caractère religieux de la colonisation hellénique se montre déjà par ce fait que le premier soin des colons abordant à un rivage inconnu était d’élever un autel à Apollon ; c’est précisément ainsi que les Crétois débarqués à Crisa ont inauguré, en dressant un autel de cc genre, toute l’histoire du pays delphique[8]. En effet, Apollon, en qualité de Delphinios, est dieu de la mer et des côtes ; à ce titre, il est vraiment chez lui à Chalcis. L’art antique le représente la lyre en main, ayant sur l’épaule son carquois fermé, assis sur le trépied ailé, planant au-dessus de la mer ; c’est un dieu de paix et de bénédiction, qui s’élance pour porter ses bienfaits jusqu’aux rivages des Barbares[9]. Il exige de ses serviteurs la propagation de son culte, fût-elle environnée de dangers. Fort de cette puissance qui s’étend sur la population et sur le pays, il leur ordonne de lever une partie de la jeunesse de la ville, et de l’envoyer en un lieu déterminé sur la terre étrangère. Ces émigrants sont sous sa protection particulière ; ils sont considérés comme des personnes sacrées : par exemple, les Chalcidiens partis pour Rhégion[10]. De même, Métaponte et Crotone sont manifestement fondées sous la direction toute spéciale du dieu ; à une origine analogue se rapportent certains noms comme Apollonia, Phœbia, Pythopolis, etc. Les colons d’outremer demeurent les sujets du dieu ; et, comme gage de leur dépendance durable, ils adressent au trésor delphique, sans jamais y manquer, la dîme de leurs récoltes, ou bien, au lieu de cette dîme réelle, ils envoient en une somme d’or leur tribut qu’on appelle l’été d’or. Delphes poussait les habitants du golfe de Corinthe à se joindre en toute confiance aux hommes qui boivent l’eau de l’Aréthuse[11] ; et une preuve que les colonies fondées par les Chalcidiens à l’est l’ont été sous l’autorité du même dieu, c’est qu’on trouve empreinte sur toutes les monnaies des Chalcidiens de Thrace la lyre d’Apollon.

Si le clergé delphique prit une part tellement active à la colonisation grecque, cela s’explique non-seulement par son zèle pour la religion, par une sage sollicitude pour les différents États, qu’il fallait protéger contre l’excès de population et les troubles intérieurs, mais aussi et avant tout par l’accroissement d’honneur, de puissance et de profit que chaque progrès de la civilisation faisait affluer vers le siège et le foyer d’Apollon. Chaque colonie florissante était pour l’oracle une fille reconnaissante, un monument de sa sagesse vigilante et prévoyante. Mais si ce même clergé a été capable, à un si haut degré, de prendre la direction suprême de ce grand mouvement national, il le doit à la situation même des établissements apolliniens. Ceux-ci, en effet, étaient originairement des colonies appartenant aux races d’outre-mer, à des missions, isolées au milieu d’une contrée étrangère, et qui avaient leurs attaches dans des régions lointaines ; ils étaient donc forcés, dès le début, de regarder au loin, et, pour garantir leur propre puissance, de nouer et d’entretenir des relations à distance. Cette tendance, les collèges de prêtres l’ont fortifiée et développée avec une remarquable sagacité, une fois que les contrées les plus voisines furent pénétrées d’une civilisation uniforme. Une de leurs tâches les plus sérieuses était d’amasser et de concentrer toutes les connaissances qu’on pût acquérir d’une manière quelconque sur le monde et les divers peuples ; ils se mettaient ainsi en état de montrer à l’instinct colonisateur des Hellènes la route à suivre, et d’empêcher, par une sage direction, un gaspillage de forces inutile et un morcellement dangereux[12]. Il suffit de suivre de près l’histoire des colonies, pour y trouver marquée la trace de l’intelligence supérieure qui a tout ordonné. Peut-être est-ce là le plus signalé et le plus durable service qu’ait rendu à la nation l’oracle delphique.

Delphes, il est vrai, ne fut point seule à exercer une pareille influence. La colonisation hellénique eut deux centres religieux, comme deux centres politiques. Milet, aussi bien que Chalcis, était une ville apollinienne ; Cyzique et Sinope[13], aussi bien que Cyrène et Naxos de Sicile, révéraient Apollon comme leur fondateur, et le sanctuaire des Branchides, près du Didyme on, avait sans doute pour les colonies de Milet la même importance que Delphes pour celles de l’Eubée ; avec cette différence seulement qu’en Ionie la civilisation a été bien plus précoce et plus également répandue, et que, conséquemment, l’oracle d’Ionie, dans la période historique, n’a jamais pu exercer un empire aussi prépondérant, ni dicter des lois aussi souveraines que fit Delphes en Europe[14]. Le sanctuaire de Claros, près de Colophon, joua pareillement son rôle dans la colonisation, et on vit aborder à l’Artémision d’Éphèse des voyageurs phocéens, qui emmenèrent avec eux des prêtresses, prirent la mesure exacte du sanctuaire pour en établir un autre dans des proportions identiques au delà de la mer, et frappèrent à Marseille des monnaies qui portaient l’image de la déesse protectrice[15].

Mais, longtemps avant que la colonisation eût commencé à se développer en se rattachant étroitement aux sanctuaires, ces derniers étaient déjà les centres d’un trafic très étendu, qui trouvait dans les ports sacrés, sur les routes sacrées, dans le voisinage des temples, la paix et la sécurité, tandis que dans le reste du monde régnait encore le droit sauvage de la force brutale. Aux assemblées religieuses s’ajoutèrent bientôt des foires ; c’est là qu’on se fit pour la première fois une idée de la multiplicité des produits naturels, et des moyens les plus avantageux de pratiquer le négoce ; on y noua aussi des liaisons, qui mirent les différentes places de commerce en relations suivies et provoquèrent l’établissement d’abord de magasins, puis de villes, dans les pays d’outremer. C’est ainsi que, outre les sanctuaires de Milet et de Delphes, le temple de Délos, l’Héræon de Samos et l’Artémision d’Éphèse sont devenus le point de départ d’un vaste commerce maritime et de découvertes importantes. Ce n’est point sans une mission divine, disait-on, que le Samien Colæos fut de plus en plus entraîné loin de sa route par un vent d’est persistant, jusqu’à ce qu’enfin, de l’autre côté des colonnes d’Héraclès, il découvrit la côte de Tartessos, et que, dans sa reconnaissance pour la déesse de son pays, qui lui avait procuré un gain considérable, il lui dédia un vase d’airain valant six talents[16]. Ainsi, l’instinct religieux et l’esprit commercial, tous deux si puissants dans la race hellénique, se sont ici pénétrés l’un l’autre merveilleusement ; les dieux devinrent les patrons des trafiquants, si bien qu’aucun de ceux-ci ne passait devant Délos sans y débarquer pour vénérer l’autel d’Apollon[17]. Il est vrai que les pratiques superstitieuses ne manquaient pas non plus ; c’est ainsi qu’ils flagellaient l’autel, pour extorquer en quelque sorte aux dieux la bénédiction de leur négoce.

Un progrès d’une autre sorte se rattache étroitement à l’influence exercée par les sanctuaires sur la colonisation et le commerce.

Les dieux étant les plus riches propriétaires du pays, leurs prêtres furent les premiers-à comprendre la valeur du capital. Les temples avaient pour leur part de gros revenus, tirés du produit de leurs biens-fonds, de la dîme prélevée sur le butin de guerre et les bénéfices commerciaux, des amendes et des indemnités, des offrandes reçues en échange de services rendus à ceux qui y venaient chercher un conseil, un secours, la guérison du corps et de l’esprit. C’est pourquoi ou disait que les loups avaient apporté l’or à Delphes[18] ; car on comprenait sous ce nom les hommes inquiets, errants, souillés de meurtre, qui, par l’entremise des prêtres, avaient recouvré la paix de l’âme et le droit de vivre avec leurs semblables. Delphes entretient un commerce suivi avec les contrées aurifères de l’Asie ; elle reçoit de Midas et de Gygès les premiers lingots d’or qu’on ait vus en Hellade[19] ; et quand les Spartiates, ayant besoin d’or pour orner une statue colossale d’Apollon, en envoyèrent chercher à Sardes[20], c’est Delphes sans doute qui leur avait indiqué la vraie source où ils en pouvaient trouver.

Dans tous les autres sanctuaires de quelque importance fonctionnait une vaste administration financière : car c’était l’office des prêtres d’accroître, par une habile gestion, par leur participation à des entreprises lucratives, par des locations avantageuses, par des prêts, etc., etc., les revenus annuels, de constituer ainsi un trésor qui non-seulement suffisait à sauvegarder la dignité du culte, mais était en même temps une condition essentielle assurant l’influence nationale du sanctuaire. Les dieux ont eu un trésor avant d’avoir un temple proprement dit : il était gardé sous le seuil de la maison divine, ou à l’intérieur de la cour, dans des locaux particuliers que les trésoriers surveillaient[21]. Aucune place n’était plus sûre : c’est pourquoi les États[22], aussi bien que les particuliers, y avaient recours et y déposaient soit des documents précieux, des testaments, des contrats, des titres de créance, soit de simples sommes d’argent[23]. Par là, les sanctuaires entraient en relations d’affaires avec toutes les parties du monde grec ; ce qui leur valait à la fois du profit et de l’influence. Ils devinrent des établissements financiers, qui tinrent lieu de banques publiques ; leurs relations avec les particuliers furent affermies et consacrées par des privilèges qu’on accorda à ceux qui avaient montré an sanctuaire une confiance particulière et lui avaient rendu des services signalés : ceux-là obtinrent le titre d’hôtes de Delphes, le privilège de consulter le dieu avant tous les autres, la préséance dans les jeux, et autres avantages. De cette façon, des personnages considérés dans le pays et à l’étranger devinrent les obligés du sanctuaire, dont ils soutinrent dans leur patrie les intérêts.

Les desservants des oracles, ayant ainsi, au prestige de leur caractère sacré et à la supériorité de leur culture intellectuelle, ajouté cette puissance que les relations personnelles les plus étendues, de grandes richesses et un crédit vraiment national pouvaient seuls procurer, il leur fut dès lors possible d’appliquer à toutes les affaires de la Grèce l’immense influence ainsi acquise. Le dieu de Delphes put donc, du poste central qu’il occupait, porter ses regards sur le monde hellénique, encourager et diriger l’esprit entreprenant de la nation, montrer aux explorateurs leur but en leur traçant un itinéraire sur la mer sans chemins, donner aux émigrants les moyens de s’établir, en même temps que de salutaires instructions, et maintenir la solidarité des fondations nouvelles soit entre elles, soit avec les anciennes villes. Apollon est chez les Grecs, comme Melkart chez les Phéniciens, le souverain des colonies : il est le fondateur du droit colonial et, en même temps, l’arbitre suprême de tous les conflits juridiques qui s’élèvent entre la métropole et ses colonies.

 

 

 



[1] Sur Délos considérée comme place de commerce, voyez H. BLÜMNER, Gewerbliche Thätigheit im Alterthum, p. 69.

[2] E. CURTIUS, Peloponnesos, II, p. 69 sqq. 113. SCHOL. PIND., Olymp., XI, 46. VELL. PATERCULUS, I, 8.

[3] E. CURTIUS, Anecdota Delphica, p. 55. P. FOUCART, Mém. sur les ruines et l’hist. de Delphes, pp. 107. 183. De Πυλαία dérivent les expressions πυλαικός (PLUTARQUE, Pyrrhos, 39), πύλαιος (PLUTARQUE, Artax., 1).

[4] ÆSCHYLE, Eumen., 13-14.

[5] STRABON, p. 659.

[6] C’est le devoir des Amphictyons (C. I. GRÆC., 1698). Sur ce sujet en général, cf. E. CURTIUS, Zur Gesch. des Wegebaus bei den Griechen, 1855, p. 19 (Abh. d. B. Akad., p. 227).

[7] MOVERS, Colonien der Phönizier, p. 51. Sur les devoirs religieux des colonies (ibid., p. 50).

[8] Apollon est bien le dieu de la colonisation : quam enim Græcia coloniam misit sine Pythio aut Dodonæo aut Hammonis oraculo ? (CICÉRON, Divin., I, 1). Cf. FUSTEL DE COULANGES, La cité antique, 7e éd. [1878], p. 252.

[9] Sur Apollon Delphinios, voyez L. PRELLER, Aufsätze, p. 344. C’est un patron des colons (A. MOMMSEN, Heortol., p. 49), surtout des colons chalcidiens (GERHARD, Mythol., § 301, 4).

[10] Χαλκιδεΐς κατά χρησμόν δεκατευθέντες et envoyés à Rhégion (STRABON, p. 257).

[11] Oracle qui recommande aux Achéens d’Ægion les Chalcidiens (STRABON, p. 449).

[12] Cf., comme exemple, les consultations répétées des Ænianes et l’influence exercée sur leurs migrations par l’oracle (PLUTARQUE, Quæst. græc., 13, 26).

[13] Apollon, archégète de Cyzique (ARISTIDE, Orat., XVI [I, p. 383 Dindorf]) et de Sinope (SCHOL. APOLL. RHOD., II, p. 346).

[14] Cf. H. GELZER, De Branchidis, p. 7.

[15] STRABON, p. 179. Cf. mon article sur les monnaies coloniales dans la Revue de Sallet (Zeitschrift für Numism., I [1873], p. 1 sqq.).

[16] HÉRODOTE, IV, 152.

[17] CALLIM., Hymn. in Del., 321.

[18] SERVIUS, Æn., IV, 377. ULRICHS, Reisen und Forschungen, I, 62.

[19] Γυγάδας à Delphes (HÉRODOTE, I, 14).

[20] HÉRODOTE, I, 69.

[21] Sur ces locaux ou dépôts pour les trésors (favissæ), voyez BÖTTICHER, Tektonik der Hellenen, II, 306, 318. Ueber den Parthenon zu Athen (Zeitschr. f. Bauwesen, 1852, p. 8). Il y a à Delphes un χρυσοφύλαξ τοΰ θεοΰ (EURIPIDE, Ion, 54).

[22] Dépôts faits à Delphes par des États (ATHEN., p. 231. BÜCHSENSCHÜTZ, Besitz und Erwerb, p. 506 sqq.).

[23] Sur l’Artémision d’Éphèse considéré comme banque de dépôts et consignations, voyez BERNAYS, Heraklit. Briefe, p. 107.