LE CONSEIL DES EMPEREURS, D'AUGUSTE À DIOCLÉTIEN

 

PAR ÉDOUARD CUQ.

PROFESSEUR À LA FACULTÉ DE DROIT DE BORDEAUX, ANCIEN MEMBRE DE L'ÉCOLE FRANÇAISE DE ROME.

EXTRAIT DES MÉMOIRES PRÉSENTÉS PAR DIVERS SAVANTS À L'ACADÉMIE DES INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES.

PARIS- IMPRIMERIE NATIONALE - 1884

 

INTRODUCTION.

PREMIÈRE PARTIE. — LE CONSILIUM PRINCIPIS D'AUGUSTE À L'AVÈNEMENT DE DIOCLÉTIEN.

CHAPITRE I. — Origine et attributions du conseil.

CHAPITRE II. — Le consilium principis d'Auguste à Trajan.

CHAPITRE III. — Le consilium principis depuis Hadrien jusqu'à l'avènement de Dioclétien.

CHAPITRE IV. — Organisation du conseil.

SECTION I. - Les membres du conseil en service ordinaire. — SECTION II. - Les membres du conseil en service extraordinaire. — SECTION III. - Les principes officiorum. — SECTION IV. - Les séances du conseil. — SECTION V. Les archives du conseil.

CHAPITRE V. Les affaires soumises au conseil.

 

SECONDE PARTIE. — LES CONSILIA SACRA SOUS DIOCLÉTIEN.

CHAPITRE I. — Les consilia sacra des Augustes et des Césars.

CHAPITRE II. — Organisation des consilia sacra.

CHAPITRE III. — Les affaires soumises aux consilia sacra.

 

INTRODUCTION.

Pendant plusieurs siècles, le sénat exerça à Rome une influence décisive sur la direction des affaires publiques. Les magistrats n'étaient, pour ainsi dire, que les exécuteurs de ses volontés[1]. Lorsque, sous l'empire, le peuple délégua à un seul homme les pouvoirs qui étaient autrefois divisés entre les mains de plusieurs, le sénat vit diminuer son influence jusqu'alors prépondérante. Sans doute, en droit, il conserva son rôle de corps consultatif, mais, en fait, l'empereur chercha ailleurs ses inspirations pour la conduite de l'État. A côté du sénat, on aperçoit, dès le règne d'Auguste, une autre assemblée délibérante qui porta d'abord le nom de consilium principis, puis, dans le Bas-Empire, celui de consistorium.

Je voudrais essayer de déterminer quels furent l'organisation et le fonctionnement de ce conseil, d'Auguste à Dioclétien, comment et sous quel rapport il a acquis une existence légale à côté du sénat ; puis donner une idée des divers genres d'affaires soumises à ses délibérations ; enfin rechercher les modifications apportées par Dioclétien à son organisation et montrer comment elles ont préparé la transformation qu'il a subie sous les empereurs byzantins.

Le consilium principis occupe une place trop importante dans l'histoire du gouvernement des empereurs pour ne pas être l'objet d'une étude particulière. Si on ne lui a pas toujours accordé l'attention qu'il mérite, au moins pour les trois premiers siècles de l'empire, c'est que l'on n'a eu pendant longtemps de renseignements un peu complets sur son organisation que par le code Théodosien ; or, les documents contenus dans ce recueil ne remontent pas à une époque antérieure à Constantin. C'est pour ce motif que Haubold, dans ses deux dissertations de consistorio principum Romanorum[2], s'est attaché de préférence au consistorium de Constantin et de ses successeurs, et que, pour la période antérieure, il s'est contenté de réunir dans un court chapitre les renseignements épars dans Suétone, Dion Cassius et les scriptores historiæ Augustæ. Ces renseignements lui ont permis d'affirmer l'existence du conseil à cette époque, mais non de décrire son organisation, bien moins encore de montrer comment les réformes opérées dans le cours du troisième siècle et sous Dioclétien en ont modifié le caractère et ont préparé l'établissement du consistorium sous Constantin.

Nous avons aujourd'hui deux sources d'informations où nous pouvons puiser avec plus de facilité que nos devanciers : les inscriptions et les écrits des jurisconsultes des trois premiers siècles de l'empire. Les monuments épigraphiques nous fournissent des données précises et authentiques depuis qu'une critique éclairée a su les classer méthodiquement et mettre à part ceux qui sont dus à l'imagination des faussaires. Quant aux écrits des jurisconsultes, remaniés au vie siècle par les compilateurs du Digeste, nous avons, depuis la découverte à Vérone des Institutes de Gains, un point de repère qui permet, dans bien des cas, de discerner ce qui a été modifié par les commissaires de Justinien.

Sans doute il ne faut pas demander au droit et à l'épigraphie plus qu'ils ne peuvent donner. Les écrits des jurisconsultes de même que les inscriptions sont particulièrement propres à nous faire connaître l'organisation gouvernementale ou administrative de l'empire, mais ils contiennent bien rarement des aperçus suries causes qui ont amené telle ou telle modification. Ils nous révèlent la structure anatomique des institutions ; ils sont muets sur la fonction qu'elles étaient destinées à remplir. Nous ne pourrons donc tirer de conclusion certaine des documents fournis par le droit ou par l'épigraphie que lorsqu'il nous sera donné de les replacer dans le milieu pour lequel ils ont été faits.

Ce ne sera pas toujours chose possible, et nous devons nous résigner à en laisser certains de côté, en attendant que quelque découverte nouvelle permette de les expliquer. Nous possédons fort heureusement un grand nombre de textes, et bien qu'ils aient une valeur très inégale, ils seront suffisants, je l'espère, pour faire comprendre le rôle du conseil sous les règnes des principaux empereurs.

L'influence du consilium principis a été particulièrement décisive dans les questions d'interprétation et d'application de la loi. C'est à titre de cour régulatrice de la jurisprudence qu'il a acquis une existence légale à côté du sénat. C'est grâce à lui que le jus extraordinarium s'est développé aux dépens du jus civile et du jus honorarium. Il a été entre les mains des empereurs un instrument qu'ils ont approprié au but qu'ils poursuivaient : faire de la justice une branche de l'administration, substituer les tribunaux administratifs aux tribunaux civils. Pour accomplir cette réforme, pour la faire accepter par l'opinion publique, il fallait donner au tribunal suprême une organisation telle, que les plaideurs eussent intérêt à préférer la justice impériale à celle des tribunaux ordinaires. On s'habitua ainsi peu à peu à voir dans l'empereur le grand justicier et d'interprète autorisé de la loi. Un jour vint où, se sentant assez fort, il se présenta comme la source de toute justice et comme le législateur souverain de l'empire. Ce jour-là, le consilium principis, sous le nom de consistorium, fut substitué au sénat, réduit désormais au rôle d'une simple institution municipale.

 

 

 



[1] Majores nostri, dit Cicéron (Pro Sest., c. 65), senatum rei publiera custodem, præsidem, propugnatorem collocaverunt ; hujus ordinis auctoritate uti magistratus et quasi ministros gravissimi consilii esse voluerunt.

[2] Elles ont été écrites, l'une en 1788 pour obtenir le grade de docteur en droit, l'autre en 1789 pour obtenir le titre de professeur extraordinaire des antiquités du droit. Wenck les a réimprimées dans son édition des Opuscula academica de Haubold, 1825, t. I, p. 187-260, 261-314. A une époque plus récente, quelques auteurs se sont occupés incidemment du conseil du prince avant Dioclétien. Voyez Duruy, Histoire des Romains, t. III, p. 175, t. IV, p. 382, t. VI, p. 236 ; Mommsen, Römisches Staatsrecht, 2e édit., t. II, p. 948 ; Madvig, L'État romain, sa constitution et son administration, trad. Morel, c. VI, § 7.