HISTOIRE DES EMPEREURS ROMAINS

 

TITUS ET DOMITIEN

LIVRE UNIQUE

§ IV. Révolte, défaite et mort de L. Antonius.

 

 

Nous avons fort peu de détails sur la révolte de L. Antonius. A peine connaissons-nous sa personne, et nous savons seulement qu'il commandait l'armée du Haut-Rhin, et qu'irrité contre les cruautés tyranniques de Domitien, aigri personnellement par des propos injurieux et outrageants que ce prince tenait à son sujet. Il se souleva et forma le dessein d'envahir le rang suprême. Il paraît que son parti avait des forces considérables. Non-seulement les légions qu'il commandait se déclarèrent pour lui ; mais il engagea dans ses intérêts les peuples germains qui habitaient au-delà du Rhin, et ils se mirent en mouvement pour le secourir.

L'alarme fut donc grande dans Rome, et Domitien partit pour la Germanie, accompagné de tout le sénat, dont aucun membre n'osa se dispenser du voyage, de peur de se rendre suspect de froideur et d'indifférence pour les périls de l'empereur. Dion parle d'un vieux sénateur, presque toujours retiré à la campagne, que la crainte d'une mort infaillible, s'il paraissait manquer le zèle en cette occasion, força de sortir de sa retraite pour se mettre à la suite de ce prince.

Domitien encore en marche apprit la défaite du rebelle. L. Maximus, ou Appius Norbanus — car il est appelé diversement par les différents auteurs, et peut-être est-ce le même homme qui réunissait ces quatre noms —, se hâta d'attaquer Antonius, avant la jonction des secours de Germanie, qu'une crue subite du Rhin arrêtait : il remporta sur lui une victoire complète, et Antonius fut tué dans le combat.

On a regardé comme une merveille le bruit que cet événement fit dans Rome, avant que de pouvoir y être connu par aucune voie sûre. Suétone rapporte que le même jour de la bataille, un aigle remarquable par sa grandeur vint se poser sur une statue de Domitien dans Rome, et l'enveloppa de ses ailes, en poussant des cris qui paraissaient exprimer la joie. Mais ce prétendu présage, semblable à mille autres contes frivoles, mérite peu notre attention. Ce qui est singulier au premier aspect, et néanmoins constant, c'est qu'en ce même jour le bruit se répandit dans la ville qu'Antonius était vaincu et tué. La nouvelle fit des progrès rapides ; tout le monde y ajouta foi : les magistrats offrirent des sacrifices d'actions de grâces. Ensuite on réfléchit : on voulut remonter à la source et chercher le premier auteur ; on ne le trouva point, et l'on vit que l'on n'avait pour garant qu'une multitude qui parlait comme instruite de tout, et qui ne savait rien. Le bruit touffe donc pour le moment. Mais après quelques jours d'intervalle, lorsqu'on eut appris par des courriers certains la défaite et la mort d'Antonius, on combina les dates, et on reconnut que l'événement et l'éclat qu'il avait fait dans Rome tombaient au même jour. Ce rapport sembla merveilleux : on crut qu'il y avait là quelque chose de divin ; et Plutarque, tout judicieux qu'il est, y admet du prodige, quoiqu'il ne soit nullement étonnant qu'un bruit se répande, et qu'il se trouve concourir fortuitement avec la réalité. Ce n'est ici que la répétition de ce qui était déjà arrivé à l'occasion de la victoire que Paul Émile remporta sur Persée dans la Macédoine[1].

Le vainqueur d'Antonius fit un acte de générosité plus glorieux que sa victoire même. Sans s'inquiéter des suites, sans craindre d'irriter Domitien en frustrant sa vengeance, il brûla tous les papiers du rebelle vaincu, de peur qu'ils ne fournissent matière à d'odieuses accusations et à d'injustes poursuites contre les plus gens de bien de Rome.

Il n'est point dit si Domitien punit Maximus de cette belle action. Ce qui est certain, c'est que privé des lumières qu'il aurait pu tirer des papiers d'Antonius, il y suppléa par une tyrannie à qui les prétextes n'étaient point nécessaires. Il rechercha avec une rigueur inouïe tous ceux qui pouvaient avoir eu la part la plus légère aux desseins d'Antonius ; et leur mort ne suffisait pas à sa cruauté. Il leur faisait souffrir les tourments les ; plus effrayants, et il inventa même un nouveau genre de question par le feu appliqué sur les parties du corps les plus sensibles et les plus délicates. Aucun de ceux qu'il soupçonnait n'échappa à sa vengeance. S'il accorda la vie à quelques-uns, il leur fit couper les mains, ou il les envoya en exil. Deux officiers seulement furent épargnés, parce qu'ils achetèrent leur sûreté aux dépens de leur honneur, ayant prouvé que leur conduite était déréglée jusqu'à l'infamie, et que par conséquent ils avaient été incapables de prendre aucun crédit, ni auprès du chef de la révolte, ni sur les soldats.

Il n'est pas possible de marquer le nombre de ceux que Domitien fit mourir en cette occasion ; mais on peut juger aisément qu'il fut énorme, puisque celui qui ordonnait ces supplices en eut honte lui-même, et défendit qu'on en tînt registre. Il n'en écrivit point non plus au sénat, quoiqu'il envoyât à Rome les têtes qu'il faisait couper, pour être exposées sur les Rostres avec celle d'Antonius.

C'est particulièrement le temps dont je parle ici, que Tacite avait en vue dans la peinture énergique qu'il nous a tracée en abrégé des malheurs affreux que les Romains éprouvèrent sous le règne de Domitien. On vit, dit-il[2], la mer couverte d'exilés ; les roches où on les avait confinés, bientôt après teintes de leur sang ; de plus grandes cruautés encore exercées dans la ville même. La naissance, les richesses étaient devenues des crimes. On se rendait coupable en possédant les honneurs : on se rendait coupable en ne les possédant pas ; mais surtout la vertu était le gage le plus certain d'une perte infaillible. Les récompenses des délateurs excitaient encore plus l'indignation que leurs crimes. Ils triomphaient insolemment, les uns décorés de sacerdoces et de consulats, qu'ils étalaient comme de riches dépouilles de leurs détestables victoires ; les autres, s'attachant plus au solide qu'à l'éclat, obtenaient des intendances, acquéraient de la puissance à la cour, et se rendaient la terreur de tous les bons citoyens. On suscitait les esclaves contre leurs maîtres, les affranchis contre leurs patrons ; et si quelqu'un n'avait point d'ennemis, on se servait de ses amis pour le perdre.

Au milieu de tant d'horreurs brillèrent des traits de vertu, mais qui ne font que charger celui qui donnait lieu à ces actions de générosité par sa tyrannie. Des mères accompagnèrent leurs fils en exil, des femmes leurs maris ; plusieurs accusés trouvèrent de la fidélité et du zèle dans leurs proches ; on vit des esclaves même braver, par attachement pour leurs maîtres, toute la rigueur des tourments. D'illustres personnages subirent la mort avec une constance digne d'être comparée aux modèles les plus vantés de l'antiquité.

Tel est le tableau que Tacite nous présente en raccourci des maux que j'ai à décrire. Quel dommage que nous ayons perdu la partie de l'ouvrage de cet excellent maitre où des mêmes objets étaient peints dans leur juste grandeur ! Quel intérêt n'avait-ii pas jeté dans le récit des tristes catastrophes de trois des pins illustres et des plus vertueux sénateurs qui fussent alors, Helvidius Priscus, Arulénus Rusticus, et Hérennius Sénécion ! Je vais donner au lecteur l'ombre et le squelette de ces faits, ne nous en reste pas davantage.

J'ai parlé de la mort d'Helvidius Priscus le père, condamné sous le règne de Vespasien ; son fils marcha sur ses traces dans la pratique d'une exacte probité. S'il imita sa fierté républicaine et son zèle amer et outre, c'est ce qu'on peut regarder comme un problème, parce que d'une part Pline dit de lui, que pour se dérober[3], s'il eût pu, au malheur des temps, il cachait dans la retraite un grand nom qu'égalaient ses vertus ; et que de l'autre, Suétone[4] témoigne qu'il avait joué le divorce de l'empereur avec sa femme, sous les noms de Pâris et d'Œnone ; ce qui ne pourrait être disculpé d'imprudence.

Il fut accusé devant le sénat, soit au sujet de ses vers, ce qui ne paraît guère vraisemblable, soit sur quelque autre prétexte qui couvrait le vrai motif de la haine de Domitien. Il était consulaire, et respecté de tous les gens de bien ; cependant Publicius Certus, ancien préteur, eut la bassesse et la lâcheté de porter la main sur lui dans le sénat même, et de le traîner en prison. Pline a raison de penser qu'il ne s'était rien vu de plus atroce que cette indigne action d'un sénateur qui mettait la main sur son confrère, d'un juge qui s'oubliait jusqu'à user de violence contre un accusé. Helvidius fut condamné et mis à mort.

Hérennius Sénécion éprouva la même injustice. L'austère vertu dont il faisait profession ne pouvait manquer de le rendre odieux à Domitien, qui se tenait en particulier très-offensé de ce que Sénécion, content du rang d'ancien questeur, y demeurait constamment attaché, sans aspirer à monter plus haut ; faisant assez connaître, par cette conduite singulière, qu'il regardait les charges de la république comme devenues des postes de servitude, peu convenables à un homme qui avait de l'élévation et des sentiments meilleurs, il avait écrit la vie d'Helvidius Priscus le père, de Fannia sa veuve, et donné de grands éloges à ce fier sénateur, dont Vespasien même, tout modéré qu'il était, n'avait pu supporter les procédés trop hardis. Enfin il s'était attiré un ennemi redoutable en la personne de Bébius Massa, fameux délateur, qu'il avait accusé de concussions. Ce fait nous est raconté en détail par Pline[5], qui s'y est acquis beaucoup d'honneur, et il fera connaître la fermeté du caractère de Sénécion.

Bébius Massa avait été gouverneur de la Bétique. Les peuples de cette province, vexés par lui, le poursuivirent lorsqu'il fut sorti de place, et le sénat leur nomma pour avocats Sénécion et Pline. Les crimes de Massa étaient clairs, ainsi il fut condamné ; et pour sûreté des dommages et intérêts qu'il devait aux peuples à qui il avait fait de très- grands torts, on ordonna que tous ses biens seraient mis sous la garde d'un officier public. Sénécion, qui prenait cette affaire à cœur, craignit quelque intrigue de la part de Bébius, quelque collusion entre lui et le gardien ; et il résolut de s'adresser aux consuls pour les prier de donner leurs ordres, afin que rien ne fût détourné. Il invita Pline à se joindre à lui pour présenter cette requête, qu'il regardait comme une suite de l'accusation qu'ils avaient poussée de concert. Pline témoigna d'abord quelque répugnance, croyant leur commission finie par le jugement prononcé. Vous pouvez, lui dit Sénécion, faire ce qu'il vous plaira. Vous n'avez d'autre liaison avec la province de Bétique que par le bienfait récent dont elle vous est redevable : pour moi, j'y suis né, et j'y ai exercé la questure. — Si votre parti est pris, répliqua Pline, je ne me séparerai point de vous. Je ne veux pas que cette démarche, si elle peut avoir des suites fâcheuses, soit imputée à vous seul. Ils allèrent donc ensemble faire leur demande, qui mit Bébius en fureur. Il s'emporta avec la dernière violence contre Sénécion, lui reprochant qu'il passait les bornes du devoir d'un avocat, et montrait l'aigreur et l'amertume d'un ennemi ; et il ajouta qu'il le déférait lui-même, comme coupable d'impiété contre le prince. Ce mot fit trembler toute l'assistance. Pline prit la parole : Messieurs, dit-il aux consuls, je crains que Bébius, en ne me comprenant point dans son accusation contre mon confrère, ne me rende suspect de prévarication et d'infidélité envers mes parties.

Nous ne savons point la conclusion de cette affaire, dont Pline[6] n'achève point le récit ; mais peu de temps après Sénécion fut poursuivi comme criminel de lèse majesté par Métius Carus, autre délateur non moins dangereux que Bébius Massa, et qui vraisemblablement était d'intelligence avec lui. La vie d'Helvidius, que Sénécion avait écrite, fut le fondement de cette accusation. Il fut condamné à mort, et son ouvrage brillé par la main du bourreau.

Fannia, veuve d'Helvidius loué par Sénécion, fut aussi mise en cause. Sénécion, à qui on faisait un crime d'état de son livre, voulant faire connaître que c'était une liaison particulière d'amitié qui l'avait engagé à l'écrire, déclara qu'il l'avait composé à la prière de Fannia : aussitôt elle est citée pour être interrogée par l'accusateur. C'était une dame d'une rare vertu et d'un courage très-élevé, sortie d'une de ces familles où les sentiments de droiture et d'honneur sont héréditaires, fille de Thraséa, petite-fille par sa mère de la célèbre Arria ; et son mariage avec Helvidius avait nourri en elle la grandeur d'âme qu'elle avait reçue des auteurs de sa naissance. Elle parut donc en jugement avec une noble intrépidité ; et Métius Carus lui ayant demandé si elle avait prié Sénécion de composer la vie de son mari, Oui, répondit-elle, je l'en ai prié. Lui avez-vous fourni des mémoires ? Je lui en ai fourni. Est-ce de concert avec votre mère ? Elle n'en savait rien. A toutes les autres interrogations de Carus, Fannia répondit avec la même fermeté. En conséquence elle fut condamnée à l'exil, et ses biens confisqués. C'était la troisième fois qu'elle allait en exil. Elle y avait suivi deux fois son mari ; sous Néron et sous Vespasien, et c'était à cause de lui qu'elle souffrait son troisième exil. Elle y porta le livre qui était le motif de sa disgrâce, sans s'embarrasser des défenses qui avaient été faites de le lire et de le garder. Sa mère Arria, veuve de Thraséa, fut pareillement exilée, sans doute pour une cause semblable et à l'occasion de l'éloge historique de ce grand homme, composé par Arulénus Rusticus.

Arulénus avait été fort lié avec Thraséa ; et j'ai rapporté qu'étant tribun du peuple il voulut, user du droit de sa charge pour s'opposer à la condamnation de ce respectable sénateur, qui l'en détourna comme d'une saillie où il entrait plus de zèle que de prudence. Il n'y a donc pas lieu de s'étonner qu'Arulénus se soit porté volontiers à écrire la vie de Thraséa, qu'il avait pris pour son modèle, et sur les pas duquel il se faisait gloire de marcher. Pline[7], formé par ses avis, témoigne un souverain respect pour sa mémoire, et une parfaite estime de sa vertu. Sa gloire était telle, que Domitien en fut jaloux ; et, selon Plutarque, il se détermina par ce motif à s'en défaire. Il est fâcheux que nous n'ayons pas un grand nombre de traits particuliers à rapporter sur un homme de ce mérite. Plutarque nous en a conservé un dont il fut témoin oculaire. et qui doit nous être précieux, sinon comme fort intéressant en lui-même, au moins comme le seul qui nous reste.

Pendant qu'Arulénus écoutait Plutarque, qui récitait devant un auditoire un discours de sa composition, il reçut une lettre de l'empereur, qui lui fut apportée par un soldat. Aussitôt le philosophe se tut. d tout le monde demeura dans le silence, pour dentier le temps à Arulénus de lire sa lettre. Il fut assez marte de lui-même et eut assez de gravité pour prier Plutarque de continuer, et pour différer, jusqu'à ce que le discours fût fini et l'assemblée séparée, une lecture qui semblait ne souffrir aucun délai.

Le crime d'Arulénus était semblable à celui de Sénécion, et il éprouva le même traitement : il fut condamné à mort, et son livre brûlé. Regulus, qui avait fait connaître ses dangereux talents par des accusations odieuses dès le temps de Néron, et qui continuait encore sous Domitien, quoique avec un peu plus de réserve, un métier dont il s'était trop bien trouvé, sollicita et appuya la condamnation d'Arulénus ; et il fut même assez lâche pour l'insulter, après sa mort, par un écrit qu'il publia et récita avec emphase. Ennemi de toute vertu, il lui associait Sénécion dans son invective ; mais Tacite a bien vengé ces deux illustres personnages par les éloges qu'il leur donne. Il les traite d'esprits sublimes, et il observe qu'il était bien inutile de brûler leurs écrits, et qu'il aurait donc fallu livrer aux mêmes flammes la voix du peuple romain, la liberté du sénat, et le témoignage du genre humain.

Junius Mauricus, frère d'Arulénus, et non moins homme de bien que lui, fut enveloppé dans sa disgrâce, et envoyé en exil.

Ces différentes condamnations furent portées par le sénat, que Domitien faisait assiéger de soldats armés, pour ne lui laisser pas même une ombre de liberté : les sénateurs n'osaient seulement gémir de la tyrannie qu'ils souffraient, et dont on les forçait de devenir les instruments. On tenait registre de leurs soupirs[8] ; et l'empereur, présent à tout, étudiait les airs de leurs visages pour leur en faire des crimes.

Pline nous décrit de quelle manière se passaient ces tristes délibérations. Personne, dit-il[9], ne parlait, personne n'ouvrait la bouche, si ce n'est celui qui avait le malheur d'être le premier opinant. Les autres, muets et immobiles, consentaient d'un simple geste, par nécessité ; mais avec quelle douleur dans l'âme ! avec quel tremblement de tout le corps ! Un seul ouvrait un avis que tous suivaient, et qui déplaisait à tous, et principalement à celui qui l'avait ouvert ; car, dans des temps aussi malheureux, rien n'est plus généralement improuvé que ce qui passe avec un air d'approbation générale.

S'il ne s'agissait point dans le sénat de ces sortes d'odieuses affaires, aucune affaire ne s'y traitait[10]. On ne tenait cette auguste assemblée que par dérision, ou pour la plonger dans l'amertume : jamais elle n'ordonnait rien de sérieux, et souvent on la forçait de se prêter aux décisions les plus affligeantes.

Tous ceux dont je viens de rapporter les tragiques aventures étaient des élèves de l'école stoïque ; et leur condamnation attira un orage contre la philosophie Domitien, par un sénatus-consulte, bannit tous les philosophes de Rome et de l'Italie. Il ne voulut souffrir devant ses yeux, dit Tacite[11], aucun vestige d'honneur et de vertu ; et c'était pour se délivrer d'un aspect importun, qu'il chassait ceux qui enseignaient la sagesse, et qu'il réduisait au silence tous les beaux-arts.

Les philosophes étaient en grand nombre dans Rome[12], et ils se dispersèrent et s'enfuirent, les uns aux extrémités de la Gaule, les autres dans les déserts de Libye ou de Scythie. Il y en eut qui trouvèrent plus commode de renoncer à une profession trop périlleuse, et de se réconcilier avec les mœurs du siècle.

Parmi les fugitifs, nous pouvons citer Dion, surnommé Chrysostome ou bouche d'or, qui se retira dans le pays des Daces, il vécut, si nous en croyons Philostrate, du travail de ses mains, bêchant la terre, se louant pour cultiver des jardins, et n'ayant d'autre consolation qu'un Dialogue de Platon et une Harangue de Démosthène, qu'il emporta avec lui. Philostrate[13] fait encore mention de Pontius Télésinus, qui, étant consul sous Néron, avait fait connaissance avec Apollonius de Tyane, et qui depuis ce temps, attaché à la philosophie, aima mieux sous Domitien sortir de Rome comme philosophe, que d'y vivre dans le rang de consulaire.

Mais le plus célèbre de tous ceux que l'ordonnance rendue contre les philosophes obligea de quitter Rome, est Épictète, l'honneur du Portique, le plus fameux et le plus parfait des disciples de Zénon. Son exemple est une preuve que les disgrâces de la fortune ne sont point un obstacle pour devenir un homme supérieur. Épictète fut esclave de plusieurs maîtres successivement, et en particulier d'Épaphrodite, qui paraît être le célèbre affranchi de Néron. ll était estropié et boiteux : il vécut toujours pauvre ; et néanmoins l'élévation de son génie, la sublimité de ses maximes, et le ton persuasif dont il les débitait, lui firent une haute réputation, et lui attirèrent une foule d'admirateurs et de sectateurs. Son Manuel, le seul ouvrage qui nous reste de lui, ne mérite point la censure méprisante qu'en a faite un de nos poètes. Une morale sèche et austère n'est pas au goût des nourrissons des muses. Il est peut-être difficile à la raison humaine de porter plus loin, qu'Épictète ne l'a fait dans ce petit ouvrage, les principes de détachement, de modération, d'égalité dame ; mais un si bel édifice n'a ni fondement ni fin solide. Les païens n'ont jamais connu ni la liaison de la morale avec la connaissance de Dieu, qui doit lui servir de base, ni la vraie félicité, qui doit en être le terme. Épictète se retira à Nicopolis en Épire, et il revint à Rome après la mort de Domitien.

Il vécut jusque sous Adrien, de qui il fut considéré et aimé : il laissa en mourant un grand nom ; et nul philosophe, depuis les fondateurs de sectes, n'a reçu des témoignages d'une vénération si profonde. Elle allait dans quelques-uns jusqu'à la superstition ; et Lucien se moque avec raison d'un imbécile qui acheta trois mille dragmes (quinze cents francs) la lampe d'Épictète. Cette lampe était de terre ; mais l'acheteur s'imaginait qu'en travaillant pendant la nuit à la lumière de la lampe d'Épictète, il recevrait par infusion la sagesse de celui à qui elle avait appartenu.

Artémidore, gendre de Musonius Rufus, dont il a été parlé plus d'une fois dans cette histoire, fut aussi  du nombre de ceux que la haine de Domitien contre les philosophes écarta de Rome. Pline[14] peint Artémidore comme un vrai philosophe, dont la morale ne s'en tenait point à de vaines spéculations, et influait dans sa conduite. Il l'estimait au point que, le sachant dans un faubourg prêt à partir, mais encore retenu par la nécessité de payer des dettes contractées pour les causes les plus louables et les plus nobles, il emprunta la somme dont ce philosophe avait besoin, et alla lui en faire don. D'illustres et opulents amis d'Artémidore avaient affecté de ne pas entendre les prières par lesquelles il les sollicitait de le secourir. Pline saisit l'occasion de placer un bienfait, et cela dans des circonstances où il s'exposait beaucoup. Il était actuellement préteur, et cette dignité attirait sur lui l'attention : d'ailleurs, la foudre venait de tomber tout autour de lui, et elle lui avait enlevé plusieurs amis par la mort et par l'exil. Il en était menacé lui-même, si Domitien eût vécu plus longtemps ; car, après la mort de cet empereur, on trouva parmi ses papiers un mémoire que Métius Carus lui avait donné contre Pline[15].

Avec la philosophie Domitien bannit aussi les beaux-arts. Tout ce qui brillait lui faisait ombrage, et l'éloquence même n'osait se montrer. De là suivit une espèce d'engourdissement dans les esprits, qui tenait les talents dans l'inaction et en étouffait presque le germe[16]. Sulpicia, dame romaine, qui composa une satire sur ce sujet, demande à sa muse si Jupiter veut ôter aux Romains les arts qu'il leur avait donnés ; s'il veut que, réduits au silence et privés de toute culture, ils retournent à la grossièreté du premier âge et à l'enfance du genre humain, qui ne savait que se nourrir de glands et se désaltérer dans l'onde pure.

Tacite qui écrivait sous Trajan, se plaint de ce que la liberté, dont on avait recommencé à jouir sous ce bon prince et sous Nerva, son prédécesseur, avait peine à faire renaître ce beau feu que la violence avait éteint. La faiblesse de la nature humaine est telle, dit-il, que les remèdes opèrent bien plus lentement que les maux : et de même que les corps ont besoin d'un long temps pour croître, et qu'au contraire il ne faut qu'un instant pour les détruire, aussi est-il plus aisé d'étouffer l'activité des esprits et les beaux-arts qui en dépendent que de les ressusciter. La douceur même de l'oisiveté se glisse imperceptiblement dans l'âme, et la paresse, que l'on haïssait d'abord, parvient enfin par l'habitude à se faire aimer. Bien plus, ajoute-t-il, pendant un intervalle de quinze ans, qui fait une grande portion de la vie humaine, plusieurs ont payé le tri à la nature, et les sujets les plus brillants ont péri par la cruauté du prince. Nous ne restons qu'un poil nombre qui survivons, non-seulement aux autres, mais en quelque façon à nous-mêmes, puisque du milieu de notre vie ont été retranchées tant d'années, durant lesquelles, condamnés au silence, nous sommes arrivés les uns à la vieillesse, les autres au dernier période de l'âge.

Les délateurs étaient les instruments que Domitien employait pour tenir tout Rome dans la terreur et dans l'oppression. J'en ai déjà nommé quelques-uns, Bebius, Massa, Métius Carus. Pline et Juvénal[17] en font connaître d'autres, Veiento, Catullus Messalinus, monstre de cruauté, aveugle, et, par la privation même de la vue, affranchi de toute impression de respect, de pitié, de pudeur. Mais le plus célèbre dans les Lettres de Pline est Regulus, dont la noirceur, déjà prouvée par les plus grands forfaits, se fera parfaitement sentir dans le trait suivant.

Pline[18] défendait au tribunal des Centumvirs une cause, dont il s'était chargé à la prière d'Arulénus Rusticus, et Regulus plaidait contre lui. Par rapport à un des chefs de cette cause, Pline s'appuyait sur le sentiment de Métius Modestus, très-homme de bien, actuellement exilé. Regulus l'attaqua à ce sujet, et lui dit : Vous citez Modestus ; que pensez-vous de cet homme-là ? Pline aperçut tout le venin d'une interrogation si captieuse. Quelle honte, s'il répondait qu'il jugeait mal d'un honnête homme ! Quel péril, s'il témoignait de l'estime pour un exilé ! Lui-même en racontant ce fait pense que les dieux l'assistèrent. Il répondit : Je dois satisfaire à votre question, si c'est là l'objet sur lequel les Centumvirs ont à prononcer. Regulus revint à la charge. Je vous demande encore une fois, dit-il, ce que vous pensez de Modestus. C'est par rapport aux accusés, répliqua Pline, et non par rapport à ceux qui sont déjà condamnés, que l'on interroge les témoins. Regulus insista pour la troisième fois. Je ne vous demande plus, dit-il, ce que vous pensez de la personne de Modestus, mais de sa piété envers le prince. Pline soutint ce troisième choc avec la même prudence. Je ne crois pas, répondit-il, qu'il soit même permis d'interroger sur le compte de ceux qui sont jugés. On voit l'horrible malignité de Regulus, qui voulait forcer Pline à se déshonorer, ou à se perdre. Ce même homme, aussi lâche que méchant, après la mort de Domitien, alla faire d'humbles excuses à Pline, et le pria de se réconcilier avec lui.

L'effroi que ces délateurs répandaient dans Rome y glaçait tous les esprits. Certes, dit Tacite, nous avons donné un grand exemple de patience servile, et de même que nos aïeux ont vu l'excès de la liberté, nous avons éprouvé celui de l'esclavage. L'inquisition qui s'exerçait au milieu de nous nous privait même de la liberté des entretiens familiers. Nous aurions perdu la mémoire avec la voix, si nous étions aussi bien maîtres d'oublier que de nous taire.

Domitien mit le comble à ses crimes en persécutant l'Église de Jésus-Christ. J'ai déjà observé que vraisemblablement ce qui donna occasion à cette persécution furent les recherches contre les Juifs au sujet du tribut qu'ils devaient au fisc. Suétone dit qu'on étendit ces recherches à ceux qui, en vertu d'un engagement contracté, vivaient en juifs dans la ville : expression qui désigne assez naturellement les chrétiens que l'on confondait encore alors avec les Juifs.

Un autre motif, un prétendu intérêt d'état, aiguillonna la cruauté de Domitien. La postérité de Davis lui donna de l'inquiétude. Il craignit que ceux qui restaient de la race de ce saint roi ne soulevassent la faction des Juifs ; et les idées du royaume du Christ, mêlées à tout cela dans l'esprit d'un prince qui était bien éloigné d'en connaître le mystère, augmentèrent ses alarmes, et l'engagèrent à renouveler les ordres qu'avait donnés autrefois Vespasien son père contre les descendants de David. Ils se cachaient pour se dérober à la persécution. Deux néanmoins furent découverts, et amenés à Rome par un officier : c'étaient les petits-fils de saint Jude, parents de Jésus-Christ et issus comme lui du sang de David. Ils parurent devant l'empereur ; et leur interrogatoire, rapporté par Hégésippe[19], auteur presque contemporain, me paraît tout-à-fait digne de trouver place ici.

Domitien leur demanda s'ils étaient de la race de David. Ils l'avouèrent. Il les interrogea ensuite sur leur fortune, et sur les biens qu'ils pouvaient posséder. Ils répondirent qu'à eux deux ils avaient la valeur de neuf mille deniers[20], non pas en argent, mais en terres, dont trente-neuf arpents, cultivés de leurs mains, leur fournissaient de quoi payer les tributs, et se procurer à eux-mêmes une modique subsistance. En preuve de ce qu'ils alléguaient, ils montrèrent leurs mains endurcies par le travail, et pleines de calus, comme les ont ordinairement ceux qui manient la hache et conduisent la charrue. Domitien conçut que de pareils hommes n'étaient guère à craindre pour lui. Il voulut pourtant avoir quelque éclaircissement sur le royaume du Christ.

Ils lui répondirent que ce royaume n'était ni terrestre ni temporel, mais céleste et spirituel ; et qu'il ne se manifesterait qu'à la consommation des siècles, lorsque le Christ, venant dans sa gloire, jugerait les vivants et les morts, et rendrait droit à chacun selon ses œuvres. Domitien, par ces réponses, fut entièrement guéri de sa peur : il méprisa des hommes simples et pauvres, et il les renvoya sans leur faire souffrir aucun mal.

J'ai anticipé le récit de ce fait ; car les ordres pour la persécution ayant été donnés par l'empereur l'année d'avant sa mort, il avait fallu du temps pour découvrir, et ensuite pour amener de Judée à Rome les petits-fils de l'apôtre saint Jude ; et par conséquent leur interrogatoire ne peut pas avoir précédé de beaucoup la fin du règne et de la vie de Domitien. Durant cet intervalle, plusieurs martyrs avaient glorieusement confessé le nom de Jésus-Christ. Je ne parlerai que des plus illustres.

Tout le monde sait que c'est alors que saint Jean l'Évangéliste fut jeté dans une chaudière d'huile bouillante, près de la porte Latine à Rome, et qu'ayant été préservé miraculeusement de l'effet d'un si horrible supplice, il fut relégué dans l'île de Pathmos, où il écrivit son Apocalypse.

Domitien trouva des chrétiens jusque dans sa famille, et il ne leur fit pas plus de grâce qu'aux étrangers. Flavius Clémens[21], son cousin-germain, étant consul avec lui, l'an de Jésus-Christ 95, de Rome 846, fut accusé, dit Dion, d'athéisme, et mis à mort au sortir de son consulat. On entend assez ce que signifie dans le langage d'un païen l'imputation d'athéisme, qui ne marque que l'aversion pour le culte des faux dieux ; et l'historien s'explique lui-même en ajoutant que plusieurs autres furent pareillement condamnés pour avoir embrassé les mœurs des Juifs, c'est-à-dire des chrétiens. Suétone reproche à Clémens une paresse qui, dit-il, le rendait entièrement méprisable. C'est ainsi que les païens qualifiaient l'indifférence pour les choses de la terre en conséquence de l'amour et de l'espérance des biens du ciel.

Flavie Domitille, épouse de Clémens et nièce de l'empereur, fut impliquée dans l'accusation intentée contre son mari, et elle eut la gloire de souffrir, sinon la mort, au moins l'exil pour le nom de Jésus-Christ. Elle fut reléguée dans l'île Pandataire.

Nos historiens ecclésiastiques font mention d'une autre Flavie Domitille, vierge, fille d'une sœur de Clémens, qui fut aussi bannie et enfermée dans l'île Ponce.

Du mariage de Clémens et de Domitille étaient sortis deux fils, que Domitien destinait à lui succéder, et dont par cette raison il changea les noms, appelant l'un Vespasien, et l'autre Domitien. Tout ce que nous savons de ces jeunes princes, c'est que Quintilien fut chargé par l'empereur du soin de leur instruction. Du reste on ignore ce qu'ils devinrent, et il n'en est plus fait aucune mention dans l'histoire.

La persécution excitée par Domitien contre l'Église[22], ne finit qu'avec son règne. Il n'était pas d'un caractère à revenir sur ses pas, ni à se laisser toucher par considérations d'humanité et de justice. Au contraire ses humeurs s'aigrissaient contre tous indifféremment et ses défiances augmentant à mesure qu'il se mal devenir plus digne de haine, il lavait dans le sang son bras ensanglanté. Après avoir abattu tant de têtes illustres, il fit encore mourir Acinus Glabrio, qui avait été consul avec Trajan cinq ans auparavant, et qui portait un nom respecté dès le temps de la république. Glabrio, sachant combien l'exposait la splendeur de sa naissance, tâchait d'en amortir l'éclat en se livrant à des exercices peu dignes de lui, et il imitait la ruse de l'ancien Brutus, qui avait cherché sa sûreté dans le mépris[23], puisque les lois ne pouvaient pas lui servir de sauvegarde. Il combattait sur l'arène contre les bêtes et il réussissait parfaitement dans ces sortes de combats. Il n'était ni ours ni lion dont il ne triomphât. Mais ce qu'il employait comme précaution de sûreté, fut précisément la cause de sa perte. Domitien l'ayant engagé à entrer en lice contre un lion furieux, dans des jeux qu'il donnait à Albe, fut surpris et effrayé de la force et de l'adresse avec lesquelles Glabrio vint à bout de terrasser ce redoutable animal. Il craignit que de semblables talents ne fussent tournés contre lui-même, et sous de faux prétextes, qui ne lui manquaient jamais au besoin, il l'envoya en exil, où il le fit ensuite massacrer.

Un autre consulaire, Sakyidiénus Orfitus, fut traité avec la même cruauté. Philostrate parle d'un Rufus confiné par ordre de Domitien dans une île ; et il ajoute que Nerva fut relégué à Tarente. Ces trois sénateurs étaient tous gens de mérite, et passaient pour être dignes de l'empire, comme en effet Nerva y parvint. Mais si nous ajoutons foi au témoignage de Philostrate, les défiances que Domitien avait conçues contre eux n'étaient pas trop mal fondées, puisqu'ils étaient en commerce avec Apollonius de Tyane, qui ne cessait de les exhorter à délivrer l'univers d'un tyran qui l'opprimait.

Juventius Celsus, célèbre jurisconsulte, évita par adresse la condamnation et la mort. Il était entré des premiers dans une conspiration contre Domitien, et se voyant près d'être convaincu, il demanda et obtint une audience secrète de l'empereur. Il se prosterna à ses pieds pour l'adorer, il l'appela son Seigneur et son Dieu, et après avoir protesté de son innocence, il ajouta qu'il lui prouverait même son zèle en recherchant ceux qui formaient des desseins criminels contre la vie de leur prince ; qu'il les découvrirait et les lui dénoncerait. Ces promesses flattèrent Domitien : il accorda un délai à Juventius, qui gagna ainsi du temps ; et pendant qu'il diffère sous divers prétextes, comme n'ayant point encore de lumières suffisantes, la mort de Domitien arriva et le tira du danger.

Ce prince vivait dans des alarmes continuelles : tout le faisait trembler. Il disait souvent que le sort des princes était à plaindre, parce qu'on ne croyait la réalité des conjurations formées  contre eux, qu'après qu'ils en avaient été les victimes : pensée qui peut avoir du vrai, mais bien dangereuse dans l'esprit du souverain. Pour écarter, s'il eût pu, le malheur qu'il appréhendait, il s'était assuré du côté des gens de guerre, non-seulement en se les attachant par des largesses, mais en prévenant par des règlements de discipline tout ce qui pouvait tendre à une révolte. Ainsi il défendit que deux légions campassent ensemble en temps de paix, de peur que leurs forces réunies ne leur inspirassent trop de hardiesse. C'était l'usage que les soldats et la officiers déposassent, dans une caisse que l'on gardas près de l'Aigle, l'argent qu'ils pouvaient se réserver ou des libéralités impériales, ou de leurs épargnes, ou des gains militaires ; et cette caisse avait été un fonds dont L. Antonins s'était aidé dans sa rébellion. Domitien, pour parer à un semblable inconvénient, voulut empêcher que ces dépôts ne formassent des amas d'argent considérables, et il défendit à tout soldat ou officier d'y porter plus de mille sesterces, ou cent vingt-cinq livres. Ces mesures étaient sagement prises, et elles hi réussirent : ce ne fut point par les gens de guerre qu'il périt.

Nous avons vu comment il se précautionnait contre les grands et contre le sénat par les violences, parti cruautés, par la tyrannie. Il s'en faisait aussi souverainement haïr. Il n'était point de sénateur qui ne lui souhaitât la mort, et qui ne fût dans la disposition de la lui procurer, si l'occasion s'en présentait. Pline rapporte que Corellius, dont il vante extrêmement la sagesse et la vertu, accablé alors d'années et d'infirmités, tourmenté par une goutte cruelle, lui dit un jour : Par quel motif pensez-vous que je m'opiniâtre à souffrir de si grandes douleurs, pendant que je puis m'en affranchir par une mort volontaire ? C'est pour survivre, quand ce ne serait que d'un jour, à ce tyran que je déteste. Sur quoi Pline ajoute : Si Corellius eût eu un corps capable de seconder son courage, il aurait fait ce qu'il se contentait de désirer. Il est plus que probable que le très-grand nombre des sénateurs étaient dans les mêmes sentiments ; mais des hommes qui ont un rang, un état, une famille, sont retenus par ces différents liens : ils ont trop à perdre, pour risquer aisément ; et Domitien brava impunément la haine du sénat.

Il n'en fut pas de même de ses affranchis et de ceux qui composaient sa maison. Il les redoutait, et pour leur donner un exemple qui les intimidât, il fit un crime à Épaphrodite, affranchi de Néron, de n'avoir pas défendu son maître, et de l'avoir au contraire aidé à se donner la mort ; et pour ce sujet, quoiqu'il se fût longtemps servi de son ministère, et qu'il lui eût confié, comme Néron, le soin de recevoir les requêtes adressées à l'empereur, il le fit punir du dernier supplice. Les préfets des gardes prétoriennes n'étaient point à couvert de ses défiances cruelles, et il ne faisait point difficulté de les immoler à ses moindres soupçons. Il avait versé, par le même motif, le sang de ses parents.

Ici sa politique sanguinaire le trompa. En se rendant un objet de terreur pour tous ceux qui l'approchaient, il arma contre lui les mains que le devoir intéressait le plus à sa conservation et à sa défense. Il se forma contre lui une conspiration, toute de gens de sa maison. Sa femme était à la tête : les deux préfets du prétoire, Norbanus et Pétronius Secundus en avaient connaissance ; Parthène, son chambellan, en qui il avait tant de confiance qu'il lui permettait de paraître en sa présence avec l'épée, Sigérius, autre chambellan, Entellus, garde des archives impériales ; Étienne, intendant de Domitille, et d'autres pareillement attachés à l'empereur par des liens particuliers, tramèrent le complot et l'exécutèrent.

Domitia avait été éperdument aimée de Domitien qui l'enleva, comme je l'ai dit, à Élius Lama son mari. Il eut d'elle un fils, vers les commencements de son empire[24], et il la décora du nom d'Augusta. Mais Domitia s'étant follement éprise de l'histrion Pâris, il s'en fallut peu qu'il ne la punît de mort ; et il ne fut détourné de ce dessein que par les représentations d'Ursus, homme recommandable par son esprit et par son rang. Il se contenta donc de la répudier, et peu après il eut la faiblesse de la reprendre. On a lien de croire qu'elle ne se mit pas beaucoup en peine de mériter sol pardon et l'affection de son mari par une meilleure conduite. Elle parvint enfin à s'en faire tellement haie que, si nous en croyons Dion, Domitien résolut absolument de lui ôter la vie. Le même historien ajoute que tous ceux que j'ai nommés étaient menacés d'as pareil sort, et qu'ils en furent instruits. Suétone ne dit rien de semblable ; il ne marque aucun danger précis et déterminé que par rapport à Étienne, intendant de  Domitille, qui était actuellement poursuivi comme coupable d'infidélité dans l'administration des biens de sa maîtresse. Du reste, il suppose que les conjurés n'eurent pour motifs que des craintes générales, qui n'avaient point d'application singulière pour chacun d'eux, et je m'en rapporte plus volontiers à son témoignage[25].

Il ne paraît point qu'ils se soient pressés d'en venir à l'exécution. Ils se donnèrent le temps d'arranger leur plan, et, avant que de tuer Domitien, ils voulurent s'assurer d'un successeur à l'empire. Ils sondèrent quelques-uns des chefs du sénat, qui refusèrent, n'osant s'engager dans une entreprise si hasardeuse, et qui néanmoins leur gardèrent le secret. Enfin ils s'adressèrent à Nerva, respectable vieillard et comblé de dignités, alors relégué à Tarente, si le témoignage de Philostrate doit être compté pour quelque chose : mais la suite des faits, motif supérieur à l'autorité de cet écrivain romanesque, nous porte, à croire que Nerva était à Rome. Domitien à qui son mérite causait de l'inquiétude, l'aurait fait mourir, s'il n'eût été trompé par un astrologue qui, étant ami de ce sénateur, persuada au prince qu'il avait lu dans les astres la fin prochaine de celui dont la vie lui donnait de l'inquiétude. Nerva, qui savait ce qu'il avait à appréhender de Domitien, et qui, suivant les idées alors reçues, regardait comme légitime le projet de délivrer Rome d'ou tyran, accepta la proposition.

Les conjurés n'eurent donc plus qu'à concerter les ces moyens et le moment de l'attaquer, et n'y furent pas peu embarrassés ; car Domitien était fort peureux, et par cette raison extrêmement sur ses gardes. Il avait toujours été frappé de la crainte d'une mort violente, et rien, dit-on, ne l'engagea tant a se relâcher en partie sur l'ordonnance qu'il avait rendue pour arracher les vignes, qu'un distique grec qui courut partout, et qui, ayant été fait originairement contre le bouc, était tourné, au moyen d'un léger changement, contre Domitien. On y faisait parler la vigne, qui disait : Quand tu me rongerais jusqu'à la racine, je porterai encore assez de fruit pour fournir aux libations qu'il faudra faire sur la tête de César, lorsqu'on l'immolera. Par un effet de la même frayeur, Domitien refusa un honneur singulier que le sénat lui offrait. On voulait ordonner que, lorsque le prince gérerait le consulat, des chevaliers romains, revêtus des robes qu'ils portaient aux jours les plus solennels, et tenant en main des piques, marchassent devant lui parmi ses licteurs. La vanité de Domitien le rendait très-avide de ces sortes d'honneurs ; mais ici la peur fut la plus forte, et elle ne lui permit pas d'approcher de sa personne des chevaliers armés.

Il ne tient pas à Suétone et à Dion que nous ne croyions que Domitien avait, non de simples pressentiments, mais des avertissements clairs et précis du genre, de mort par lequel il devait périr, du jour et de l'heure qui devaient lui être funestes. Ils accumulent des présages, des prédictions, des faits qui auraient de quoi étonner, s'ils étaient bien prouvés. Je choisis le plus frappant.

Un astrologue nommé Asclétarion avait, disent-ils, prédit la manière et le jour de la mort de Domitien. Il fut décelé et amené devant le prince, à qui il avoua le fait. Interrogé sur la destinée qui lui était réservée à lui-même, il dit qu'il serait bientôt déchiré par des chiens dévorants. Domitien, pour le convaincre de faux, ordonna qu'il fût brûlé ; ce qui fut exécuté sur-le-champ. Mais il survint une grande pluie qui éteignit le feu ; et des chiens, trouvant ce cadavre à demi rôti, se jetèrent dessus et le dévorèrent. L'empereur en fut instruit par un farceur qui avait coutume de le divertir des nouvelles de ville, et qui lui conta celle-ci pendant son souper.

Si le récit de nos auteurs est exact, s'ils ne l'ont point embelli par quelques circonstances de leur invention, on ne peut s'empêcher d'admirer un rapport si juste entre la prédiction et l'événement ; mais on sait combien les hommes crédules et amateurs du merveilleux prêtent à la lettre, presque sans s'en apercevoir, en racontant de semblables prodiges. Ce qui parait vrai, c'est que Domitien, qui croyait à l'astrologie et à toutes sortes de divinations, avait l'esprit frappé, dans les derniers temps qui précédèrent sa mort, de l'idée d'un danger prochain et extrême.

Il prit une nouvelle précaution pour tâcher de n'être point surpris par une attaque imprévue. On avait trouvé sous le règne de Néron, dans des carrières de Cappadoce, une pierre d'une nature singulière[26], dette comme le marbre, et en même temps transparente ou plutôt lumineuse ; car, selon le témoignage de Pline le naturaliste[27], dans un temple bâti de cette pierre par Néron, on voyait clair les portes fermées. Domitien voulut mettre à profit cette découverte ; et afin que per sonne ne pût l'approcher même par derrière sans être aperçu, il fit revêtir de feuilles d'une pierre si utile pour ses vues les murailles des portiques où il se promenait ordinairement.

Il avait toujours été d'un accès très-difficile ; il s'enfonça alors plus que jamais dans la solitude et dans les ténèbres : mais tant d'attentions furent inutiles, parce qu'il ne voulait pas employer le seul moyen efficace. qui eût été de se rendre aimable. Dans ces murs, dit Pline[28], par lesquels il croyait mettre sa vie en sûreté, il enferma avec lui la trahison, les embûches, et un Dieu vengeur. La peine due à ses crimes écarta les gardes, força les barrières, et se fit jour à travers des passages étroits et soigneusement fermés, comme si elle eût rencontré de larges ouvertures.

Les conjurés, qui étaient tous de sa maison, comme je l'ai remarqué, après avoir longtemps délibéré, convinrent enfin du jour et du moment. Étienne, qui était le plus robuste, se chargea de porter le premier coup ; et voici de quelle manière la chose s'exécuta.

Le 18 septembre, vers la cinquième heure du jour, Domitien, qui, dit-on, craignait ce moment comme pouvant lui être fatal, demanda quelle heure il était. On lui répondit qu'il était midi ; et cette réponse lui fit grand plaisir, parce qu'il s'imagina que le péril était passé. Il se disposait à aller prendre le bain, lorsque Parthène son chambellan lui dit qu'Étienne, intendant de Domitille, demandait à lui parler pour une affaire de grande conséquence qui ne souffrait point de délai. L'empereur ayant donné ordre que tout le monde se retirât, entra dans sa chambre, et fit appeler Étienne, qui avait le bras gauche en écharpe. Il le portait ainsi depuis plusieurs jours, comme s'il y eût eu quelque mal, afin de pouvoir cacher, comme il fit, un poignard dans l'écharpe, sans donner de soupçon. Il dit à l'empereur qu'il venait lui découvrir une conjuration tramée contre sa personne, et il lui donna un mémoire qui en contenait le détail. Pendant que Domitien lisait avec beaucoup d'attention et même de saisissement, Étienne tira son poignard et le lui enfonça dans le ventre. La blessure n'était pas mortelle, et Domitien se jeta sur le meurtrier et le terrassa, appelant au secours et demandant l'épée qui devait être sous son chevet. Un enfant qui se trouva dans la chambre, chargé, suivant l'usage, du soin des dieux lares, courut au lit, et il ne trouva que la garde de l'épée[29] : Parthène en avait ôté la lame. Toutes les portes étaient fermées ; ainsi personne ne put secourir le prince ; et ceux qui étaient destinés à achever le meurtre, savoir, un affranchi de Parthène, un gladiateur et deux bas officiers, eurent toute liberté de tomber sur Domitien, qui se débattait contre Étienne, et s'efforçait tantôt de lui arracher son poignard, tantôt de lui porter ses doigts tout déchiquetés dans les yeux pour les lui crever. Le renfort d'assassins fit bientôt cesser le combat en perçant Domitien de sept coups. Cependant accoururent au bruit quelques officiers de la garde, qui virent trop tard pour sauver le prince, mais qui tuèrent Étienne sur la place.

Une circonstance bien remarquable, si elle est vrai de la mort de Domitien, c'est qu'Apollonius de Tyane, qui était alors à Éphèse, en eut, dit-on, connaissant dans le moment même que le meurtre s'exécutait. Philostrate raconte qu'Apollonius discourait sur le midi dans un jardin, où toute la ville d'Éphèse était assemblée pour l'entendre. Tout d'un coup il s'arrête, comme frappé de terreur, baisse la voix et parle d'un air distrait, comme s'il eût eu devant les yeux un objet intéressant qui eût attiré toute son attention : il garde quelques moments le silence ; ensuite, regardant fixement la terre, il fait trois ou quatre pas, et s'écrie : Frappe le tyran ! frappe ! Tout l'auditoire demeura étrangement surpris. Messieurs, dit Apollonius, ayez bon courage, le tyran a été tué aujourd'hui. Que dis-je, aujourd'hui, dans l'instant même, de par Minerve ! dans l'instant où je me suis tû, il subissait la peine de ses crimes. Ce discours fut regardé par les Éphésiens comme une folie ; mais au bout de quelques jours il se trouva vérifié par la nouvelle de la mort de Domitien, qui arriva de Rome.

Philostrate donne ce fait pour constant ; Dion ne veut pas qu'il soit permis d'en douter. Nous n'avons aucun intérêt à le nier, puisqu'il n'excède pas la puissance des démons, avec lesquels Apollonius entretenait commerce par la magie. J'observerai seulement que Philostrate et Dion sont des écrivains si crédules, que le poids de leur témoignage est peu capable de contrebalancer l'absurdité d'une semblable merveille. Ma défiance paraîtra encore plus justement fondée, lorsqu'on aura lu l'article détaillé et circonstancié que je donnerai sur Apollonius de Tyane, à l'exemple de M. de Tillemont ; mais auparavant je dois achever ce que j'ai encore à dire sur Domitien.

Ce prince avait, lorsqu'il fut tué, quarante-quatre ans, dix mois et vingt-six jours ; ainsi il était né l'an de Rome 802, le 24 octobre. Il régna quinze ans et cinq jours. Son corps ne reçut aucun honneur après sa mort ; et même, si l'on n'eût pris soin de le dérober à la vengeance du sénat, il courait risque d'être traité avec ignominie. Il fut emporté précipitamment dans une bière hors de la ville. Sa nourrice, qui se nommait Phyllis, lui célébra de modiques funérailles dans une maison de campagne qu'elle avait sur la voie Latine ; ensuite elle fit porter furtivement les cendres dans le temple de la maison Flavia, et elle les mêla avec celles de Julie, fille de Titus, dont elle avait aussi élevé l'enfance.

Il était grand de taille, bien fait de sa personne ; son visage annonçait la modestie, et il rougissait très-aisément. Il s'en faisait honneur, et, dans un discours au sénat, il s'en vanta en ces termes : Jusqu'ici, sénateurs, vous avez approuvé et mes sentiments, elle la pudeur qui règne sur mon visage. Mais l'intérieur démentait bien cette modestie apparente. La rougeur habituelle de son visage était en lui, dit Tacite[30], en préservatif contre la honte, qui n'avait plus de signe par où se manifester.

Il devint chauve de bonne heure, et il en était tes mortifié ; en sorte qu'il prenait à offense si on en ta sait devant lui le reproche même à un autre, soit pu raillerie, soit sérieusement. C'est pour cela que Juvénal, voulant le désigner d'une façon injurieuse et piquante, l'appelle Néron le Chauve. Néanmoins Domitien, dans un petit écrit qu'il composa sur les soins que demandent les cheveux, et qu'il adressa à un ami chauve comme lui, le consolait et se consolait lui-même avec assez de courage sur leur commune disgrâce. Ne voyez-vous pas, lui disait-il en s'appliquant les paroles d'Achille dans Homère[31], combien je suis avantagé du côté de la figure et de la taille ? Cependant mes cheveux éprouvent le même sort que les vôtres, et je supporte avec constance le désagrément de voir ma chevelure vieillir pendant que je suis encore jeune. C'est une leçon qui nous append que rien n'est ni plus agréable ni de plus courte durée que tout ce qui sert à l'ornement.

On voit par ce morceau, qui ne manque ni de goût ni d'élégance, que Domitien était capable de bien écrire et de bien parler, s'il eût voulu s'en donner la peine. Il avait affecté dans sa jeunesse, comme je l'ai déjà dit plus d'une fois, de paraître aimer la poésie ; mais c'était pure feinte. Lorsqu'il fut empereur, il ne témoigna que de l'indifférence pour les beaux-arts. Contre l'usage des premiers Césars, imité sans doute par son père et par son frère, il se servait de la plume d'autrui pour dresser ses lettres, ses ordonnances, ses harangues : il ne lisait même rien, ni poésie, ni histoire, mais seulement les Mémoires de Tibère, où il étudiait les maximes de la tyrannie. L'unique preuve qu'il donna d'attention pour la littérature, fut le soin qu'il eut de réparer les bibliothèques consumées par les différents incendies qui avaient successivement affligé Rome. Il rassembla des exemplaires de toutes parts, et il envoya d'habiles copistes à Alexandrie pour transcrire les livres qui lui manquaient, et rendre plus corrects ceux qu'il avait. Ainsi Domitien était du nombre de ceux qui sont bien aises d'avoir des livres, comme une parure, comme un ameublement qui orne leurs salles, sans tirer à conséquence pour leur esprit.

Il était si mou et si nonchalant, qu'il négligeait les exercices du corps : seulement il tirait de l'arc avec beaucoup d'adresse ; faible mérite pour un empereur.

Nous avons vu qu'il ne possédait presque aucune des qualités qu'exige le rang suprême, et qu'il eut tous les vices des tyrans. On l'a comparé à Néron. Il paraît, comme l'a observé M. de Tillemont, qu'il avait plus de ressemblance avec Tibère, par l'humeur sombre, par la méchanceté réfléchie, par une politique aussi artificieuse que cruelle.

Le sénat, qui l'avait détesté et redouté vivant, fût charmé de sa mort. Dès qu'elle fut sue, les sénateurs coururent à l'envi au lieu de leur assemblée, et là ils satisfirent leur haine contre sa mémoire par les acclamations les plus atroces : ils voulaient que l'on jetât son corps aux Gémonies ; ils ordonnèrent que l'on arrachât sur-le-champ les bustes qui le représentaient, ses portraits, ses statues ; qu'on les jetât par terre ; que l'on effaçât son nom et des Fastes, et de tous les monuments publics ; et il nous en reste encore plusieurs où parait l'exécution de ce décret du sénat. Le peuple qui n'avait pas été l'objet des violences et des crimes de Domitien, et que d'un autre côté nulle raison n'évitait à l'aimer, prit peu de part à son sort. Les soldats, dont il s'était étudié à gagner l'affection par de complaisances et par des largesses, le regrettèrent amèrement ; il ne tint pas à eux qu'il ne fût mis au rang des dieux, et que ceux qui l'avaient tué ne fussent punir sur-le-champ. Nous verrons les suites de leurs mouvements sous Nerva, après que j'aurai acquitté ma promesse sur ce qui concerne Apollonius de Tyane.

 

 

 



[1] Voyez Histoire Romaine, t. VI, p. 509.

[2] TACITE, Histoires, I, 2.

[3] PLINE LE JEUNE, Ep., IX, 13.

[4] SUÉTONE, Domitien, 10.

[5] PLINE LE JEUNE, Ep., VII, 33.

[6] PLINE LE JEUNE, Ep., I, 5.

[7] PLINE LE JEUNE, Ep., I, 14.

[8] TACITE, Agricola, 43.

[9] PLINE LE JEUNE, Panégyrique, 76.

[10] PLINE LE JEUNE, Ep., VIII, 14.

[11] TACITE, Agricola, 1.

[12] PHILOSTRATE, Vie d'Apollonius de Tyane, VII, 4.

[13] PHILOSTRATE, Vie d'Apollonius de Tyane, VII, 11.

[14] PLINE LE JEUNE, Ep., III, 11.

[15] PLINE LE JEUNE, Ep., VII, 26.

[16] TACITE, Agricola, 3.

[17] JUVÉNAL, Satires, I et IV ; PLINE LE JEUNE, Ep., II, 24.

[18] PLINE LE JEUNE, Ep., I, 5.

[19] Scaliger, dans ses remarques sur la chronique d'Eusèbe, n. MMCXII, réfute ce récit d'Hégésippe, mais sur un fondement frivole. Il suppose que selon cet ancien auteur la postérité de David était alors réduite aux deux petits-fils de l'apôtre saint Jude. Hégésippe dit seulement qu'ils furent dénoncés comme descendants de David. Ces savants du premier ordre ne prennent pas toujours garde de bien près à ce qu'ils avancent, et ils tombent par là dans des fautes qu'une juste défiance fait éviter à ceux qui savent infiniment moins. On peut voir dans M. de Tillemont, article de saint Jacques le mineur et de saint Jude, comment ces deux saints frères étaient parents de Jésus-Christ.

[20] Quatre mille cinq cents livres.

[21] Il parait que Flavius Clémens était fils de Flavius Sabinus, qui fut tué après l'incendie du capitole, et frère d'un autre Flavius Sabinus, que Domitien fit mourir vers les commencements de son règne. Sa femme Flavie Domitille était probablement fille de la sœur de Domitille, qui était morte avant l'élévation de Vespasien à l'empire.

[22] Hégésippe et Tertullien ont écrit que Domitien révoqua les ordres qu'il avait publiés pour la persécution de l'Église. Mais il est constant par le témoignage d'Eusèbe (Histoire ecclésiastique, III, 18.) que saint Jean ne sortit de son exil que sous Nerva : et Dion rapporte que ce dernier prince défendit que l'on poursuivit personne pour cause de judaïsme, c'est-à-dire de christianisme. Or cette défense n'aurait pas été nécessaire, si Domitien en eût déjà fait une pareille. Ce qui peut avoir induit en erreur Hégésippe et Tertullien, c'est que la persécution de Domitien ne fut pas longue ; et il est même peu pensable qu'elle se soit ralentie dans les derniers mois de son règne.

[23] TITE-LIVE, I, 56.

[24] Le texte de Suétone est altéré dans l'endroit que je traduis. J'y donne l'interprétation qui m'a paru la plus vraisemblable.

[25] Le récit de Dion n'a aucune vraisemblance. Il raconte que Domitien ayant dessein de faire mourir sa femme et plusieurs officiers de sa chambre et de sa maison, écrivit leurs noms sur des tablettes ; qu'un enfant qui lui servait de jouet enleva ces tablettes de dessous le chevet de son lit pendant qu'il dormait ; que Domitia ayant rencontré cet enfant, prit les tablettes, les lut, et les fit lire à toua ceux qui y étaient intéressés. Ce trait est visiblement une répétition anticipée de ce qui arriva à l'empereur Commode : et une preuve qu'il est ici déplacé, c'est que l'historien met un intervalle considérable entre la découverte de ces tablettes fatales et la mort de Domitien. Or on conçoit aisément, qu'au premier instant où Domitien se serait aperçu que ses tablettes étaient égarées, il n'aurait pu manqué de prévenir les conjurés.

[26] Cette pierre fut appelée d'un nom qui exprimait sa vertu, phengites, lumineux, du mot grec φιγγος, lumière, éclat. Je ne sais pas si elle est connue aujourd'hui.

[27] PLINE, Histoires naturelles, XXXVI, 22.

[28] PLINE LE JEUNE, Panégyrique, 49.

[29] M. de Tillemont traduit le fourreau : et cela est plus aisé à concevoir. Mais le mot capulus, dont se sert Suétone, ne parait pas souffrir cette interprétation.

[30] TACITE, Agricola, 45.

[31] Iliade, XXI, v. 108.