HISTOIRE DES EMPEREURS ROMAINS

 

TITUS ET DOMITIEN

LIVRE UNIQUE

§ II. Tous les vices réunis en Domitien.

 

 

FASTES DU RÈGNE DE DOMITIEN.

SEX FLAVIUS SILVANUS. - T. ANNIUS VERUS POLLIO. AN R. 832. DE J.-C. 81.

Domitien succède à Titus, mort le treize septembre. Ses commencements mêlés de quelque apparence de bien.

DOMITIANUS AUGUSTUS VIII[1]. - T. FLAVIUS SABINUS. AN R. 833. DE J.-C. 82.

On peut rapporter à cette année divers règlements, dont le détail se trouvera dans l'histoire.

DOMITIANUS AUGUSTUS IX. - Q. PETILLIUS RUFUS II. AN R. 834. DE J.-C. 83.

Trois vestales condamnées, mais laissées maîtresses de se choisir un genre de mort.

Voyage de Domitien en Germanie pour faire la guerre aux Cattes. Il revient sans avoir vu l'ennemi, et se fait décerner le triomphe. On peut croire qu'a prit, ou se confirma alors le surnom de Germanique.

DOMITIANUS AUGUSTUS X. - ..... SABINUS. AN R. 835. DE J.-C. 84.

Le collègue de Domitien peut être Oppius Sabinus, qui périt peu après dans la guerre contre les Daces.

Grande victoire remportée par Agricola sur les Calédoniens. Ornements du triomphe décernés au vainqueur.

DOMITIANUS AUGUSTUS XI. - ..... FULVIUS. AN R. 836. DE J.-C. 85.

On conjecture que Fulvius consul avec Domitien, est T. Aurelius Fulvus, ou Fulvius, aïeul de l'empereur Tite Antonin.

Retour d'Agricola à Rome.

DOMITIANUS AUGUSTUS XII. - SER. CORNELIUS DOLABELLA. AN R. 837. DE J.-C.86.

Institution des jeux capitolins.

Commencement de la guerre des Daces, selon Eusèbe.

Les Nasamons vaincus et exterminés.

DOMITIANUS AUGUSTUS XIII. - .....  SATURNINUS. AN R. 838. DE J.-C. 87.

 Continuation de la guerre des Daces pendant cette année et les suivantes.

DOMITIANUS AUGUSTUS XIV. - L. MINUCIUS RUFUS. AN R. 839. DE J.-C. 88.

Jeux séculaires.

Faux Néron.

..... FULVIUS II. - ..... ATRATINUS. AN R. 840. DE J.-C. 89.

Ordonnance pour chasser de Rome les astrologues.

DOMITIANUS AUGUSTUS XV. - ..... COCCEIUS NERVA II. AN R. 841. DE J.-C. 90.

On peut rapporter à cette année la fin de la guerre des Daces. Domitien après avoir acheté la paix des Barbares, se fait décerner le triomphe,

M. ULPIUS TRAJANUS. - ..... ACILIUS GLABRIO. AN R. 842. DE J.-C. 91.

Domitien triomphe des Daces et des Germains. Jeux à cette occasion. Il donne aux principaux sénateurs un repas lugubre, où tout annonçait la mort : et il les renvoie après s'être diverti de leur frayeur.

Il change les noms des mois de septembre et d'octobre, en ceux de Germanicus et de Domitianus. Il avait commencé de régner dans le premier de ces deux mois, et était né dans l'autre. Les nouveaux noms qu'il avait introduits ne durèrent qu'autant que son règne.

Il parait qu'il ferma alors le temple de Janus.

Cornélia, la première des vestales, est enterrée vive.

DOMITIANUS AUGUSTUS XVI. - Q. VOLUSIUS SATURNINUS. AN R. 843. DE J. C. 92.

Domitien fait arracher beaucoup de vignes, et défend d'en planter de nouvelles sans la permission du magistrat.

Révolte de L. Antonius[2] qui commandait sur le haut Rhin. Il est défait et tué.

Redoublement de cruautés de la part de Domitien à cette occasion. Changements introduits dans la milice.

..... POMPEIUS COLLEGA. - ..... PRISCUS. AN R. 844. DE J.-C. 93.

Mort d'Agricola.

Bébius Massa accusé de concussion par Hérennius Sénécion et par Pline le jeune.

On peut rapporter à cette année la guerre contre les Sarmates, en conséquence de laquelle Domitien porta au capitole une couronne de lauriers.

... ASPRENAS. - ... LATERANUS. AN R. 845. DE J. C. 94.

Domitien fait mourir Hérennius Sénécion, Helvidius Priscus, Arulenus Rusticus.

Fannia veuve d'Helvidius Priscus, père de celui dont il vient d'être parlé, et Arria mère de Fannia, sont envoyées en exil, aussi bien que Junius Mauricus frère d'Arulenus.

Expulsion des philosophes, parmi lesquels se distinguait alors Épictète.

Poème de Sulpicia, dame romaine, sur l'expulsion des philosophes.

Quintilien achevait alors ses institutions oratoires.

DOMITIANUS AUGUSTUS XVII. -  ..... FLAVIUS CLÉMENS. AN A. 846. DE J.-C. 95.

Persécution excitée contre les chrétiens. On la compte pour la seconde. Flavius Clémens, collègue et proche parent de Domitien, et Flavie Domitille, épouse de Clémens et sa parente, sont enveloppés dans cette persécution. Clémens est mis à mort, et Domitille reléguée dans l'île de Pandataire.

Saint Jean, après avoir été sauvé par miracle du supplice de la chaudière bouillante, est relégué dans l'île de Pathmos, où il écrit son Apocalypse.

Recherches faites par ordre de Domitien contre la postérité de David.

Juventius Celsus forme avec quelques autres une conspiration contre Domitien. Il est décelé, et par des  protestations réitérées de son innocence, auxquelles il joignit la promesse de s'informer de la conjuration, et de donner sur ce sujet des lumières, il obtient un délai, qui le conduit jusqu'au temps de la mort de Domitien.

Acilius Glabrio mis à mort.

Domitien fait mourir aussi Épaphrodite, pour avoir autrefois aidé Néron à se donner la mort.

C. FULVIUS VALENS. - C. ANTISTIUS VETUS. AN R. 847. DE J.-C. 96.

Le consul Valens était âgé de quatre-vingt-dix ans.

Domitien est tué dans son palais le dix-huit septembre par quelques-uns de ses affranchis. Domitia sa femme était du complot : et Nerva, qui lui succéda, en fut pareillement instruit.

On prétend que sa mort funeste lui avait été pré : dite, et qu'Apollonius de Tyane étant à Éphèse, il connut et l'annonça dans le moment même que le meurtre s'exécutait.

Domitien mourut détesté du sénat, indifférent an peuple, regretté des soldats.

Les poètes Silius Italicus, Stace, Juvénal, Martial, ont fleuri sous Domitien. Le premier et les deux derniers l'ont survécu.

 

On peut bien appliquer à Domitien, succédant à Titus, ce que Tite-Live[3] a dit d'Hiéronyme succédant à Hiéron ; il n'y a que les noms à changer. Un prince plein de modération et de bonté aurait eu peine à se aire aimer après Titus, qui avait été adoré de ses suets ; mais Domitien, par ses vices, sembla se proposer pour but de faire regretter son frère. Il réunit tans sa personne et dans sa conduite tout ce qui peut rendre un gouvernement méprisable et odieux. Bassement vain, insatiable de titres, de monuments, d'éloges flatteurs, sa vanité produisit en lui la jalousie contre quiconque se distinguait par quelque endroit pie ce pût être, et tout mérite devint un crime auprès de lui. Ce fut un caractère sombre et renfermé en lui-même, qui ne sut aimer personne. Il avait craint son père en esclave, il avait haï son frère, et les amis de l'un et de l'autre trouvèrent en lui un persécuteur. Timide et ombrageux, il fut cruel par lâcheté, et il immola à ses craintes et à ses défiances éternelles un nombre infini de têtes illustres. Prodigue et dissipateur, la disette le conduisit aux vexations et aux rapines. L'artifice et la fourberie se joignaient en lui aux violences tyranniques, et jamais personne ne sut mieux déguiser ses haines meurtrières sous des dehors caressants. Capricieux à l'excès, on l'offensait en le flattant, on l'offensait en ne le flattant point. Il avait assez d'esprit pour se défier des adulateurs, et trop d'arrogance pour ne pas exiger l'adulation. Mou, inappliqué, il poussait la paresse et l'indolence jusqu'à passer journellement des heures entières à tuer des mouches dans son cabinet ; et personne n'ignore à ce sujet le mot de Vibius Crispus, qui, sur ce qu'on lui demandait s'il y avait quelqu'un avec l'empereur, répondit agréablement : Non, il n'y a pas même une mouche. Dans la guerre, Domitien n'avait nul courage, nulle capacité : et, aussi méprisé des ennemis du dehors que déteste au dedans, les triomphes dont il voulut se dévorer' sont autant de preuves et de témoignages de ses honteuses défaites. Ajoutez à tous ces traits la débauche la plus outrée, une jeunesse passée dans la corruption, et lorsqu'il fut plus avancé en âge, les adultères, les incestes, et le faible pour une épouse impudique qu'il avait enlevée à son mari, et qui, continuant ses Mer rires, sut néanmoins le captiver tant qu'il vécut, jusqu'à ce que menacée de la mort elle le prévint et le fit périr lui-même. Tel est le portrait que l'histoire nous a laissé de Domitien, et les faits que j'ai à raconter es prouveront la ressemblance.

Il ne manifesta pas d'abord tous ses vices ; mais ne se gêna point sur l'article de la vanité, qu'il prenait sans doute pour amour de la belle gloire. Ainsi il reçut dès les commencements tous les titres d'honneur, dont les empereurs avaient coutume de différer quelques-uns, comme pour se donner le temps de les mérita. Il osa dire en plein sénat, que la souveraine puissance dont il commençait à jouir était une restitution de le part de son père et de son frère, à qui il avait bien voulu la céder : comme si la circonstance fortuite de sa présence dans Rome au temps, de la mort de Vitellius, et les honneurs qui lui furent déférés alors, et qu'il dut uniquement à sa qualité de fils de Vespasien, eussent pu former un titre en sa faveur contre Vespasien lui-même, dont la considération seule les lui procurait.

Il se fit désigner consul pour dix ans de suite, jaloux de marquer les années par son nom, et enviant aux particuliers cette faible prérogative. Il ne prit néanmoins que sept consulats consécutifs ; les trois autres se trouvent distribués dans les huit dernières années de son règne : et comme il avait déjà été sept fois consul, tant sous Vespasien que sous Titus, il était flatté du glorieux avantage d'avoir accumulé sur sa tête dix-sept consulats, nombre auquel n'a jamais atteint aucun autre Romain, ni avant ni après lui. Curieux d'un faste puérile, au lieu de douze licteurs qu'avaient régulièrement les consuls, Domitien en prenait vingt-quatre ; et lorsqu'il eut une fois triomphé, il ne présida plus au sénat qu'avec la robe triomphale. La même vanité qui lui faisait désirer le consulat le portait, par un autre tour d'imagination, à en dédaigner l'exercice. Il ne fut jamais consul plus de quatre mois : le plus souvent il ne garda la charge que jusqu'au 13 janvier ; et sans en avoir fait aucune fonction il l'abdiquait, non pas suivant le, cérémonial ordinaire, dans une assemblée du sénat ou même du peuple, mais par un simple édit affiché au coin d'une place ; en sorte que, dit Pline[4], presque la seule marque à laquelle on reconnût qu'il gérait le consulat, c'était de ne voir paraître qu'un consul.

Il reconstruisit plusieurs édifices consumés par le feu, soit sous Néron, soit dans le dernier incendie ; mais il n'y inscrivit que son nom, et supprima ceux des premiers auteurs. Il remplit le monde entier de ses statues, selon l'expression de Dion, et il ne souffrait point qu'on lui en érigeât dans le Capitole qui ne fussent d'argent ou même d'or, et d'un certain poids. On leur immolait une si grande quantité de victimes, que les rues qui menaient au Capitole en étaient souvent embarrassées ; et l'on versait, dit Pline[5], autant de sang des animaux pour honorer l'image du tyran, qu'il ver sait lui-même de sang humain pour satisfaire sa cruauté. Il était si jaloux du respect dû à ses statues, qu'il fit condamner à mort une femme dont tout le crime était de s'être déshabillée devant une représentation de l'empereur. Il lassa la patience publique par le nombre excessif d'arcs de triomphes qu'il se dressa dans les différents quartiers de la ville pour ses prétendues victoires ; et l'on inscrivit sur un de ces monuments un mot grec qui signifie : C'est assez.

 Après avoir été battu et repoussé par les Germains, il prit le surnom de Germanique, comme s'il les eût vaincus ; et il donna ce nom au mois de septembre, dans lequel il était parvenu à l'empire, et celui de Domitien au mois d'octobre, dans lequel il était né. Il se fit proclamer imperator, ou général vainqueur, vingt-deux fois pendant le cours de son règne, qui ne fut presque marqué que par des défaites.

Le titre de maitre et seigneur, qu'Auguste et Tibère avaient rejeté avec une sorte d'horreur, ne suffit pas à l'arrogance de Domitien ; il y joignit celui de Dieu : et dictant un jour la formule des lettres que ses intendants devaient publier, en son nom, il commença par ces mots : Voici ce qu'ordonne notre Seigneur et notre Dieu. Ce style impie passa en règle sous son règne ; il s'en servait lui-même ; et annonçant par un édit sa réconciliation avec Domitia sa femme, qu'il rappelait après l'avoir répudiée, il s'exprima en ces termes : Nous l'avons fait rentrer dans notre temple[6]. Personne n'eut plus la liberté de lui parler, ni de lui écrire, qu'en employant cette flatterie sacrilège, dont nous trouvons la preuve subsistante dans Martial[7].

Après un tel excès, dont la seule frénésie de Caligula lui avait donné l'exemple, il est presque inutile d'ajouter qu'il convertit la maison où il était né en un temple dédié à sa famille, et au nom des Flavius, et qu'il institua un collège de prêtres pour en célébrer le culte. Il ne faisait en cela qu'imiter ce qui avait déjà été établi en l'honneur des Jules, des Claudes et des Domitius.

Les différents traits que je viens de recueillir ne sont pas tous du même temps, comme il a été aisé de l'observer, et j'ai mis ensemble tout ce qui pouvait contribuer à peindre la vanité extrême et l'arrogance de Domitien. Il montra ce vice, ainsi que je l'ai dit, pendant qu'il cachait encore ses autres ; car les commencements de son gouvernement présentent des actions et plusieurs règlements dignes de louange.

On pourrait mettre en ce rang les honneurs qu'il rendit à la mémoire de son frère, et l'éloge funèbre de ce prince aimable, qu'il prononça avec tannes, s'il n'avait paru dans le temps même que c'était de sa part une pure comédie. Personne n'y fut trompé ; et l'embarras des courtisans ne fut pas médiocre, parce qu'ils craignaient, en montrant de la douleur, de blesser ses véritables sentiments, et, en témoignant de la joie, de paraître le deviner et démasquer son hypocrisie. Mais voici quelques endroits de sa conduite vraiment louables.

Il fixa un œil attentif et sévère sur les magistrats, soit de la ville, soit des provinces, et il les tint tellement en respect, que jamais on ne les vit ni plus modérés, ni plus exacts à éviter toute injustice ; au lieu que la douceur du gouvernement, sous ses successeurs Nerva et Trajan, donna lieu à plusieurs de ceux qui se trouvèrent en place de s'écarter des règles, et de s'attirer en conséquence des accusations flétrissantes.

Il rendait lui-même la justice avec une grande intégrité. Il avertissait souvent les juges de la fidélité avec laquelle ils devaient traiter leur important ministère, et il punissait ceux qui s'étaient laissé gagner par argent. Il prit plus d'une fois extraordinairement connaissance de certaines affaires qui avaient été mal jugées, et, assis sur son tribunal dans la place publique, il cassa par son autorité suprême des sentences où la faveur avait été plus considérée que le bon droit. IL fit rentrer dans la servitude et rendit à son maître un esclave qui pendant plusieurs années s'était attribué la jouissance de la liberté, et qui même était parvenu au grade de centurion dans les troupes. Un édile s'étant rendu légitimement suspect d'avidité et de rapines, Domitien excita les tribuns du peuple à poursuivre ce magistrat comme concussionnaire, et à demander contre lui des juges au sénat.

Ayant pris la qualité de censeur, il la garda, à l'exemple de son père, durant tout son règne, et il en remplit les devoirs par diverses ordonnances qui tendaient à la réforme des mœurs. Il interdit aux femmes d'une conduite scandaleuse l'usage de la litière, et la faculté de recevoir des legs, et de recueillir les successions qui auraient pu, leur appartenir. Il chassa du sénat un ancien questeur qui avait un goût immodéré pour la déclamation et les danses théâtrales. Il raya du tableau des juges, un chevalier romain qui, ayant répudié sa femme pour cause d'adultère, l'avait ensuite reprise. Il remit en pleine vigueur la loi Scantinia, portée contre les débauches qui violent l'ordre de la nature, et il punit pour ce crime des sénateurs et des chevaliers. On doit le louer aussi, d'avoir défendu que l'on fit des eunuques dans toute l'étendue de l'empire, quoiqu'un motif de malignité l'ait peut-être conduit dans l'établissement de cette loi si sage et si juste en elle-même : on a prétendu que son intention était de reprocher à son frère l'inclination et la faveur qu'il avait témoignées pour cette espèce de monstres, si peu dignes de protection, d'un prince sage et vertueux ; et ce soupçon n'est pas sans vraisemblance. Il est bien certain que la conduite personnelle de Domitien ne permet pas de penser que, dans tout ce qu'il fit pour maintenir et pour rappeler la pureté des mœurs, ce soit l'amour de cette vertu qui l'ait animé. Ainsi nous nous croyons en droit d'attribuer encore au désir de décrier le gouvernement de son père et de son frère, la sévérité avec laquelle il punit trois vestales dont ils avaient épargné les désordres : Domitien les condamna à la mort, en leur laissant néanmoins le choix des voies qu'elles voudraient prendre pour sortir de la vie. Deux étaient sœurs, et avaient pour nom Ocellata ; la troisième est appelée Varronille. Nous parlerons bientôt du supplice d'une autre vestale, sur lequel nous avons plus de détails.

Cette rigueur cadrait bien mal avec les mœurs de Domitien ; de même qu'on ne s'attendrait pas à trouve dans l'usurpateur du nom et des honneurs suprêmes de la Divinité un zèle vif contre une simple irrévérence en matière de religion. Un des affranchis du prince ayant employé à construire un monument à son fils des pierres destinées à entrer dans l'édifice du Capitole, ce religieux pontife ne put souffrir une telle profanation, il envoya des soldats : pour détruire le monument, et il fit jeter dans la mer les cendres qui s'y trouvaient renfermées. Il montra la même inconséquence dans la conduite qu'il tint à l'égard des astrologues : il croyait à leur art mensonger, et néanmoins il rendit une ordonnance pour les chasser de Rome.

Il est aisé de sentir que Domitien se piquait de sévérité. Il supprima de libelles diffamatoires qui déchiraient la réputation de personnes illustres des deux sexes, et il en punit les auteurs ; il régla la police des théâtres ; il interdit la scène aux pantomimes, ne leur permettant d'exercer leur art que dans les maisons privées. Ayant remarqué qu'il y avait abondance de vin et disette de blé, il crut que la culture des vignes faisait négliger les terres ; et en conséquence il défendit que l'on fit aucun nouveau plant de vigne en Italie, et il ordonna que l'on en arrachât la moitié dans les provinces. Suétone dit qu'il ne persista pas à exiger l'exécution de son ordonnance ; et il paraît par Philostrate[8] que l'Asie obtint de lui dispense à cet égard ; cependant une preuve que la défense de Domitien fut observée au moins dans certains pays, c'est la permission donnée cent quatre-vingts ans après par l'empereur Probus aux Gaulois, aux Espagnols et aux Pannoniens, de planter, et de cultiver la vigne.

L'avidité n'était point en lui un vice d'inclination. Il ne laissa paraître aucun signe avant son élévation à l'empire ; et depuis qu'il y fut parvenu, pendant longtemps il se montra plutôt éloigné de toute rapine, et par le on porté à la libéralité. Le premier avis qu'il donna à ses de officiers, et celui sur lequel il appuya avec le plus de force, fut de s'abstenir de tout gain sordide ; et pour leur en épargner la tentation, il leur fit de grandes largesses. Il refusa de recueillir les successions de ceux qui le nommaient leur héritier, s'ils avaient des enfants, laissa aux possesseurs certains morceaux de terre qui, compris dans les cantons destinés à être distribués aux soldats que l'on établissait en colonies, étaient restés sans entrer en partage. Il ne fit point valoir son droit sur ces lots superflus, et il les regarda comme prescrits par ceux qui les tenaient. Sachant que les droits du fisc étaient souvent onéreux aux particuliers, il ne les exigea point avec rigueur. Il réprima même le faux zèle des délateurs avides, qui, sous prétexte de faire le profit du trésor impérial, vexaient les citoyens par des procès injustes. Non content de les frustrer de leur proie, il leur faisait subir la peine prononcée par les lois contre les calomniateurs. Et à cette occasion sortit de sa bouche un mot digne des meilleurs princes : Le souverain qui ne punit point les délateurs, les amorce et les invite.

Mais ces procédés, quoique louables en eux-mêmes, ne partaient point d'un fond de vertu solide : c'était par goût, et non par principes, que Domitien se portait à des actions de générosité ; et les circonstances changées changèrent totalement sa conduite. Il aimait la magnificence, et, s'étant épuisé par des dépenses insensées, il lui fallut remplacer par des exactions tyranniques le vide qu'avait laissé une mauvaise économie. Les biens des vivants et des morts étaient confisqués sur le plus frivole prétexte. Il suffisait pour cela qu'il se trouvât un accusateur, si vil et si décrié qu'il pût être, qui mît en avant le reproche vague de quelque action ou de quelque parole contraire au respect dû à la majesté de l'empereur. Le fisc s'emparait des successions opulentes, pourvu qu'un seul témoin déclarât avoir entendu dire au mort qu'il faisait César son héritier. Surtout les Juifs furent tourmentés, à l'occasion du tribut imposé à toute leur nation : on les traînait devant les juges ; on les condamnait à des amendes, on leur faisait mille avanies, et c'est vraisemblablement ce qui fit naître la persécution contre les chrétiens. Nous en parlerons en son lieu.

Les dépenses par lesquelles j'ai dit que Domitien fut appauvri sont d'abord les bâtiments. La reconstruction du Capitole, consumé de nouveau par l'incendie arrivé sous le règne de Titus, était un ouvrage nécessaire ; mais Domitien l'exécuta avec une somptuosité qui passait toute mesure. Nous pouvons conjecturer quelle Plut. Popl. fia la dépense totale par l'article seul des dorures, qui excédèrent la somme de douze mille talents, c'est-à-dire, suivant notre estimation, de trente-six millions de livres tournois : et Domitien porta ce même goût de faste et de prodigalité dans tous les bâtiments qu'il fit, et qui furent en grand nombre. Si, dit Plutarque, après avoir admiré la magnificence du Capitole, on va visiter dans le palais de Domitien ou un portique, ou des bains, ou son sérail, on lui appliquera le mot du poète Epicharme à un prodigue : Vous n'êtes pas bienfaisant ; c'est une manie qui vous possède : vous vous plaisez à donner. De même on pouvait dire à Domitien : Vous n'êtes ni religieux, ni magnifique ; vous vous plaisez à bâtir, et à tout convertir, à l'exemple de Midas, en or et en pierreries.

Un autre genre de dépenses ruineuses pour Domi Spectacles. tien furent les spectacles : il en donna assidument de toutes les espèces, et avec des frais immenses. Pour éviter d'ennuyeuses répétitions, je prie le lecteur de se rappeler ici ce que j'ai dit des jeux de Titus et de tous les empereurs précédents : Domitien en égala et même en surpassa la magnificence.

Cette idée générale sur des objets essentiellement frivoles pourrait suffire à ceux. qui ne cherchent dans l'histoire que l'utilité ; mais puisque les écrivains d'après lesquels je travaille maintenant, bien différents de Tacite, ont traité comme important ce qui paraissait au génie élevé de ce grand historien digne seulement des journaux de la ville, ayons cet égard pour les seuls originaux qui nous restent, d'emprunter d'eux quelques détails.

Pendant que Domitien faisait exécuter un combat naval, où les vaisseaux étaient en si grand nombre de part et d'autre, qu'ils formaient presque deux flottes en règle, survint une grosse pluie et de longue durée. La passion qu'il avait pour le spectacle était si forte, qu'il y demeura constamment malgré la pluie jusqu'à la fin, et ne souffrit point que personne es sortît. Il changea plusieurs fois d'habits de dessus ; mais les spectateurs qui n'avaient pas les mêmes facilités furent percés, et quelques-uns en tombèrent malades et en moururent.

Aux quatre factions du cirque, qui étaient distinguées, comme je l'ai dit ailleurs, par des couleurs, il en ajouta deux nouvelles, l'une ornée en or, l'autre en pourpre. Mais cet établissement ne subsista pas, et l'os en revint bientôt au nombre de quatre, auquel on était accoutumé.

Les spectacles occupèrent souvent même les nuits, et Domitien donna des combats de gladiateurs et des chasses aux flambeaux.

Le sexe le plus faible fit un rôle dans des jeux qui semblaient par leur nature uniquement destinés aux hommes. Dans l'exercice de la course à pied, des filles disputèrent le prix, et des femmes combattirent sur l'arme, comme faisaient les gladiateurs. Domitien assistait à tous ces jeux, ayant le plus souvent à ses pieds un jeune enfant, dont le mérite était d'avoir une tête extrêmement petite et mal proportionnée au reste du corps. Il conversait avec cet enfant, quelquefois sur des matières sérieuses, et on l'entendit un jour lui demander s'il savait quel motif l'avait déterminé dans la dernière promotion à donner la préfecture de l'Égypte à Métius Rufus.

Il célébra les jeux séculaires étant consul pour la quatorzième fois, l'an de Rome 839, de Jésus-Christ 88. Il enchérit ainsi sur le ridicule empressement de Claude pour cette cérémonie. Il s'était écoulé soixante-quatre ans entre les jeux d'Auguste et ceux de Claude ; et Domitien donna les siens après un intervalle de quarante et un ans. Le calcul sur lequel il se fonda pour la célébration de ces jeux, avait été expliqué par Tacite[9], qui cette année-là même était préteur. Mais nous avons perdu la partie de l'ouvrage de Tacite qui renfermait l'histoire du règne de Domitien ; en sorte que nous ne savons sur ce point que ce que nous apprennent les dates. Domitien célébra ses jeux cent cinq ans après ceux d'Auguste. Ainsi sa manière de compter le siècle ne convient ni au calcul vulgaire, ni à celui qui porte le siècle à : cent dix ans.

Non content des jeux déjà établis, dont le nombre était pourtant assez grand dans Rome, il en institua de nouveaux, en même-temps gymniques, musicaux, et équestres[10] ; ou plutôt il en renouvela l'institution, faite autrefois par Néron, et abolie à sa mort. Ceux de Domitien subsistèrent, apparemment parce qu'il ne les consacra pas à son nom, ainsi que Néron lui en avait donné l'exemple, mais en l'honneur de Jupiter Capitolin. Ils se célébraient chaque cinquième année, comme les jeux olympiques, auxquels ils avaient beaucoup de rapport. Ils furent institués par Domitien, consul pour la douzième fois, l'an de Rome 837, de Jésus-Christ 86. Dans ces jeux étaient proposés des prix à l'éloquence et à la poésie. Domitien, qui par politique avait feint pendant un temps de cultiver les Muses, feignit encore par vanité de les aimer. Comme le goût et le système des jeux capitolins tenaient plus des mœurs grecques que des romaines, Domitien y présida vêtu à la grecque, portant le manteau et la chaussure des Grecs, et une couronne d'or où étaient enchâssées les images de Jupiter, de Junon et de Minerve. Il était accompagné du prêtre de Jupiter, et du collège de ceux qu'il avait institués pour le culte de la maison Flavia ; tous habillés comme lui, avec cette seule différence, que dans leurs couronnes ils avaient l'image de l'empereur.

Domitien célébrait tous les ans dans sa maison d'Albe les fêtes de Minerve avec une pompe magnifique. Il avait adopté cette déesse pour sa divinité tutélaire, et quoiqu'elle soit vierge selon les idées de la mythologie, il s'en disait le fils. Il était même si curieux de cette qualité de fils de Minerve, que pour ne la lui avoir point donnée dans un sacrifice, un magistrat de Tarente fut mis en justice et poursuivi criminellement, si nous en croyons Philostrate. Dans ces fêtes s'ouvrait aussi un concours pour les poètes et les orateurs : et Stace, qui ne put être couronné aux jeux capitolins, remporta trois fois le prix dans les combats des fêtes de Minerve.

Ces fêtes, ces combats, ces jeux, qui par eux-mêmes coûtaient des sommes prodigieuses, attiraient encore une troisième espèce de dépense, non moins capable d'épuiser les finances publiques. Je veux parler des largesses, des loteries, telles que je les ai expliquées sous Titus et sous Néron, des distributions de vins, viandes, et autres choses pareilles, qui ne manquaient point d'accompagner les spectacles. La sagesse des ministres de Néron avait aboli l'usage des repas publics, qui se donnaient dans certaines cérémonies, et leur avait substitué la pratique, beaucoup moins onéreuse au fisc, d'envoyer à ceux qui devaient y être appelés, des corbeilles garnies de tout 'ce qui peut se servir sur table. Domitien rétablit ces repas, et même il en donna un magnifique à tout le peuple, après ce combat naval où la pluie avait causé un si fâcheux contretemps.

Enfin le désir de se ménager un appui du côté des soldats contre la haine du sénat et des grands, l'engagea à charger son épargne à perpétuité d'un fardeau très-pesant, en augmentant d'un quart la paie des troupes, et en la portant de deux cent vingt-cinq deniers par an à trois cents. Il sentit si bien l'inconvénient de cette nt, a. augmentation de paie, qu'il voulut y remédier en diminuant le nombre des gens de guerre que l'empire entretenait. Mais la crainte d'ouvrir les frontières aux Barbares l'obligea de renoncer à cet expédient ; et sa ressource fart, comme je l'ai dit, une rapine aussi basse qu'effrénée, et la cruauté contre les premiers et les plus opulents citoyens.

La cruauté Il est vrai que la cruauté chez lui n'avait pas besoin de cette amorce. Il était naturellement malfaisant ; et c'est une puérilité d'alléguer en preuve de sa prétendue douceur, comme a fait Suétone[11], la fantaisie qui lui passa par l'esprit à l'occasion d'un vers de Virgile[12]. Parce que ce poète traite d'impiété l'usage de se nourrir de la chair d'un animal aussi utile que le bœuf pour le labourage, Domitien encore jeune, et dans le temps qu'en l'absence de son père il s'arrogeait déjà presque les droits de la souveraineté, voulut, dit-on, rendre une ordonnance pour défendre d'immoler des bœufs. Cette idée d'enfant, mouvement passager et sans conséquence, n'autorise pas à juger du fond du caractère. Mais nous avons vu qu'il se piquait de sévérité, et ce penchant, quand on en fait gloire, quand on s'y livre par goût, est bien voisin de la cruauté. Il témoignait ouvertement le peu de cas qu'il faisait de la clémence, et il disait souvent que les princes qui punissaient peu, avaient bien de quoi se juger plus heureux, mais non pas meilleurs que les autres. On sait combien la défiance est capable de rendre cruels ceux qui sont revêtus du pouvoir suprême. Or Domitien était ombrageux à l'excès, et ne s'en cachait pas. Faisant allusion à un mot de Démosthène, il disait que si la défiance est la sauvegarde des peuples contre les tyrans, elle est celle des tyrans contre tous. Il goûtait même un plaisir barbare dans les gémissements et dans les larmes de ceux qui souffraient. Néron, dit Tacite[13], épargnait au moins ses regards ; il se contenait d'ordonner ses injustes et cruelles vengeances, et ne s'en rendait pas le spectateur. Sous Domitien le comble de la douleur était de voir et d'être vu. Il venait présider aux assemblées du sénat, où l'on devait lui livrer ses victimes. Il interrogeait lui-même les accusés, et il se faisait amener des prisonniers pour les examiner seul, prenant dans sa main le bout de la chaîne dont ils étaient attachés.

La cruauté n'était point chez lui un emportement qui l'entraînât ; c'était un vice de réflexion et de sang-froid; en sorte que l'on n'avait jamais plus à craindre de sa part, que lorsqu'il affectait un extérieur de douceur et de bonté. Résolu de faire mettre en croix un contrôleur de sa maison, il manda ce malheureux dans sa chambre ; il le contraignit de s'asseoir à ses côtés, et après l'avoir renvoyé joyeux et content, après lui avoir fait même porter un plat de sa table, le lendemain il ordonna qu'il fût crucifié.

Arrétinus Clémens, personnage consulaire, avait toujours eu, part à son amitié, du vivant même Vespasien, de qui il était allié. Domitien continua pendant longtemps de le combler de faveurs, et il se servit même de lui comme d'un ministre affidé pour l'exécution de ses desseins tyranniques. Enfin il le prit en haine, sans que l'histoire nous en apprenne la raison. Nous savons seulement qu'il lui était ordinaire de punir ses émissaires des crimes qu'il leur avait fait commettre, parce qu'il croyait se décharger lui-même par leur supplice, et faire retomber sur eux seuls tout l'odieux des violences dont ils n'avaient été que les instruments. C'est apparemment par ce motif qu'il résolut de perdre Clémens, et qu'il fit tramer sourdement une accusation contre lui, fournissant, selon sa coutume, des mémoires aux accusateurs et aux témoins. Pendant que cette intrigue se préparait, Domitien fit plus de caresses que jamais à celui dont il méditait la ruine ; jusqu'à ce que, se promenant dans une mène litière avec lui et ayant aperçu son délateur : Voulez-vous, dit-il à Clémens, que nous donnions demain audience à ce misérable esclave ? Le lendemain il mit l'affaire en train, et condamna l'accusé à la mort.

 Il se faisait un plaisir de joindre l'insulte à la cruauté, ne prononçant jamais une sentence de condamnation, qu'il n'eût fait précéder des protestations de clémence. Un jour qu'il s'agissait dans le sénat, de juger des accusés sur de prétendus crimes de lèse-majesté, Domitien commença par déclarer qu'il reconnaîtrait au parti que prendrait la compagnie dans, Cette affaire, s'il en était véritablement aimé. C'était bien là exiger la dernière rigueur. Aussi les accusés furent-ils condamnés à être punis selon toute la sévérité des lois anciennes, c'est-à-dire, à être battis de verges et ensuite décapités. Domitien, très-satisfait de l'aveugle obéissance du sénat, mais craignant nits-moins qu'un supplice si rigoureux n'excitât le murmure et l'indignation publique, fit alors son rôle de feinte douceur ; et voici ses propres termes, rapportés par Suétone[14] : Sénateurs, dit-il, permettez-moi d'obtenir de vous une indulgence, qui coûtera sans doute beaucoup à votre piété envers votre empereur. Mais enfin accordez, je vous prie, aux accusés le libre choix d'un genre de mort. Par-là vous épargnerez à vos yeux un spectacle trop triste, et l'on reconnaîtra l'effet de ma présence au sénat.

C'est sans doute cette apparence de modération qui, avant qu'on en eût pénétré le faux, inspira aux sénateurs la hardiesse de demander à. Domitien un régie-minent, par lequel il fût dit que l'empereur ne pourrait, en vertu de sa seule puissance militaire, mettre à mort aucun membre de la compagnie. Nous avons vu que Titus s'en était fait une loi, et son exemple fut imité dans la suite par les bons princes. La considération pour le sénat les engageait à déroger ainsi à une partie de leurs droits, et à remettre entre les mains de cette auguste compagnie le pouvoir suprême sur ses membres ; et de là il résultait que très-rarement un sénateur pouvait-il courir risque d'être condamné à mourir, parce que les anciennes lois romaines, comme je l'ai observé plusieurs fois, ne prononçaient la peine dei mort que contre un petit nombre de crimes. Domitien était bien éloigné d'affaiblir son pouvoir par déférence pour le sénat, qu'il haïssait ; et quoiqu'il sentît parfaitement qu'il serait toujours le maître, et qu'il lui était à peu près égal ou d'ordonner par lui-même la mort d'un sénateur, ou de la faire ordonner par le sénat, il ne voulut point accorder un privilège qui lui faisait ombrage, ni souffrir la plus légère diminution dam les droits qui le rendaient redoutable.

Il en fit porter tout le poids à un très-grand nombre d'illustres sénateurs, qui furent condamnés sur les plus frivoles prétextes, et qui n'avaient d'autre crime que d'être des objets de jalousie pour un tyran soupçonneux. Je vais en rapporter quelques exemples circonstanciés.

Flavius Sabinus, son cousin-germain, gendre de son frère, et son collègue dans le consulat, se trouvait à tant de titres trop proche de son rang pour ne pas irriter ses cruelles défiances. Domitien était piquées particulier de ce que les gens de son cousin portaient des tuniques blanches, comme ceux de l'empereur. Enfin il arriva malheureusement que lorsqu'il l'eut nommé au consulat, le héraut, par pure inadvertance, le proclama empereur au lieu de consul. Domitien saisit cette occasion de se délivrer d'un parent odieux, que ses jaloux soupçons lui représentaient comme un rival ; et il fit expier à Sabinus par la mort une erreur innocente en soi, et qui ne devait pas même lui être imputée.

Il en coûta pareillement la vie à Salvius Cocceianus, neveu de l'empereur Othon, parce qu'il célébrait par une fête le jour de la naissance de son onde ; à Sallustius Lucullus, commandant de la Grande-Bretagne, parce qu'il avait souffert' que l'on appelât de son nom Luculliennes des lances d'une nouvelle forme. Métius Pomposianus passait pour être destiné par son horoscope à l'empire. Cette vaine opinion, qui n'avait pas empêché Vespasien de verser ses bienfaits sur Métius, devint sous Domitien un crime digne de mort. Les soupçons de cette mue bassement timide furent encore aigris par d'autres circonstances frivoles et qui méritent à peine d'être alléguées. Métius avait des cartes géographiques qui représentaient toute la terre ; il lisait volontiers un extrait qu'il avait fait de Tite-Live, contenant des discours de rois et de généraux d'armée ; il avait donné à deux de ses esclaves les noms de Magon et d'Annibal. De pareilles futilités causèrent la perte d'un homme consulaire. Domitien relégua d'abord Métius dans l'île de Corse, et ensuite il le fit tuer.

Élius Lamia portait un nom illustre, et de plus Domitien l'avait offensé en lui enlevant sa femme, dès qu'il commença à jouir de quelque puissance en vertu de l'élévation de son père à l'empire ; et Lamia s'était vengé par des railleries. Comme Domitien le louait un jour sur sa belle voix : Hélas, répondit Lamia, vous devriez plutôt louer mon silence. Titus exhortant le même Lamia à prendre une autre femme : Eh quoi ! répondit-il, auriez-vous aussi envie de vous marier ? Ces plaisanteries demeurèrent profondément gravées dans la mémoire de Domitien, et lorsqu'il fut parvenu à la souveraine puissance, il fit mourir Lamia.

Suétone ne nous apprend point de quel genre de mort périrent ceux dont je viens de rapporter d'après lui la fin funeste. Mais nous savons d'ailleurs que Domitien n'employait pas toujours le fer et les supplices, et que souvent il faisait usage du poison. Il aimait à cacher en bien des occasions ses violences sanguinaires. Tantôt il exilait ceux qu'il destinait à la mort, afin que, tués loin de Rome, leur fin tragique fit moins d'éclat ; tantôt il employait diverses manœuvres pour les amener au point de se donner la mort à eux-mêmes, et il tâchait de faire passer la nécessité à laquelle il les avait réduits pour une résolution volontaire de leur part.

Ses vengeances n'épargnèrent pas même les personnes du commun, et celles qui par leur condition ou par leur âge avaient le moins de quoi se faire craindre. Il haïssait avec raison le pantomime Pâris, dont l'impératrice sa femme était devenue éperdument amoureuse, et l'on n'a point droit d'être surpris qu'il ait fait assassiner en pleine rue cet insolent histrion ; mais il ne s'en tint pas là. Pâris fut extrêmement regretté du peuple, qui idolâtrait son talent ; et quelques-uns ayant répandu des parfums et jeté des fleurs sur le lieu où il avait été tué, Domitien les envoya tenir compagnie à celui qu'ils pleuraient, et dont ils honoraient si follement la mémoire. Sa haine s'étendit jusqu'à un 'jeune disciple de ce pantomime, qui avait le malheur de ressembler à son maître par l'adresse de son jeu et par la figure : Domitien n'eut pas honte d'envoyer tuer cet enfant, qui avait moins de quatorze ans, et qui était actuellement malade. Un homme de lettres, auteur d'une Histoire dans laquelle il avait employé quelques expressions ambiguës, quelques-uns de ces tours ingénieux qui ne disent qu'à demi ce qu'ils font pourtant bien entendre, lui fut déféré : il condamna l'auteur à la mort ; et les libraires qui avaient transcrit et débite son livre périrent par le supplice de la croix. Maternus[15], qualifié de sophiste par Dion, paya aussi de sa vie quelques traits libres qui lui avaient échappé contre les tyrans dans une déclamation. Un simple bourgeois, qui assistait à un spectacle de gladiateurs, hasarda ce mot dont l'empereur se tint offensé. Pour entendre ce mot, il faut supposer que les gladiateurs formaient différentes classes qui partageaient, Comme les factions dia Cirque, l'intérêt et la faveur des spectateurs. Domitien protégeait ceux que l'on nommait Mirmillons, et le bourgeois dont je parle était du nombre des fauteurs de l'ordre des gladiateurs que l'on appelait du nom de Thraces. Il lui échappa de dire : Le Thrace pourrait bien tenir tête au Mirmillon ; mais il ne peut résister au pouvoir de celui qui protège son adversaire. Pour cette seule parole, Domitien fit enlever de sa place l'imprudent spectateur ; et il ordonna que sur-le-champ on l'exposât à des chiens furieux avec un écriteau qui portait : Fauteur de Thraces, qui a tenu un langage impie.

Pline faisant allusion à ce trait, et peut-être à plusieurs autres du même genre, nous développe ce qui se passait dans l'esprit de Domitien, et par quel travers il se portait à une si horrible barbarie. Oh, qu'il était insensé ! dit Pline[16] ; qu'il se connaissait peu en véritable honneur, ce prince qui cherchait matière dans l'amphithéâtre à des accusations de lèse-majesté ; qui pensait être méprisé, si nous n'avions de la vénération pour ses gladiateurs ; qui se croyait insulté en leur personne ; qui confondait leurs intérêts avec ceux de sa divinité prétendue ! Il se faisait une même chose avec les dieux, et ses gladiateurs avec lui-même !

Le goût décidé de Domitien pour la cruauté lui persuada que le supplice d'une vestale enterrée toute vive, suivant l'ancien usage, serait une illustration pour son règne. Il en avait forcé trois à se donner la mort à elles-mêmes ; mais les exemples de ces sortes de morts étaient trop communs : il voulait du singulier. Il attaqua donc Cornélia, la première des vestales, qui déjà autrefois accusée de s'être laissé corrompre avait été déchargée de l'accusation, mais qui, soit coupable, soit innocente, succomba dans ce dernier jugement. Domitien y avait présidé en qualité de souverain pontife, et il voulut qu'elle subît toute k rigueur des anciennes lois.

Il était bien maître de l'enterrer vive, mais non de la faire passer pour criminelle. Elle protesta de son innocence jusqu'au dernier moment. Lorsqu'elle descendit dans le funeste caveau, sa robe s'étant accrochée, elle se retourna, et la ramena sur elle avec une attention qui donna une idée avantageuse de sa pudeur et de sa modestie ; et le bourreau lui ayant tendu la main pour l'aider à descendre, elle refusa avec indignation un secours par lequel elle se serait cru en quelque sorte souillée.

Ces circonstances disposaient les esprits à regarder le supplice de Cornélia comme un acte, non de justice, mais de tyrannie ; et ce qui autorisa de plus en plus cette façon de penser, c'est qu'un chevalier romain nommé Céler, accusé et condamné comme le complice et l'auteur du crime de la vestale, persista comme elle à nier constamment ; et pendant qu'on le battait de verges jusqu'à la mort, il ne dit autre chose sinon : Qu'ai-je fait ? Je n'ai rien fait. Si nous en croyons Dion, plusieurs autres furent impliqués dans la même accusation, et tourmentés si cruellement qu'un des pontifes, nommé Helvius Agrippa, qui était présent, en fut attendri et saisi au point de mourir sur la place. Les plaintes étaient donc générales ; Domitien était détesté ; et quelque accoutumé qu'il Mt à braver les jugements du public, dans une affaire si odieuse il se troublait, il se déconcertait, il ne savait à quel expédient recourir.

Il s'en prit à Valérius Licinianus, ancien préteur, et l'un des premiers avocats de Rome, qui avait caché dans ses terres une affranchie de Cornélia. Sur cet indice, Licinianus fut mis en cause ; et en même temps on l'avertit sous main que, s'il voulait éviter le supplice, il n'avait d'autre ressource que d'avouer tout. Il le fit ; et Hérennius Sénécion, qui s'était chargé de le défendre, vint trouver l'empereur, et lui dit : D'avocat je suis devenu simple porteur de déclaration ; Licinianus avoue tout. Domitien fut charmé ; sa joie même le trahit, et il ne put s'empêcher de s'écrier Licinianus nous a justifiés. Il ajouta qu'il convenait de ménager la pudeur d'un coupable qui se mettait à la raison, et de ne point le fatiguer par les formalités de l'instruction d'un procès criminel. Il lui permit de sauver ce qu'il pourrait de ses biens, avant qu'ils fussent confisqués, et il lui accorda un exil doux comme une récompense.

Ainsi finit cette affaire, qui laisse un nuage sur l'innocence de la vestale, mais qui met en évidence cruauté de Domitien.

Qu'il me soit permis d'ajouter ici ce que Pline noces apprend du sort de Licinianus. Après la mort de Domitien, il ne fut point rappelé comme les autres exilés ; mais il obtint de la clémence de Nerva la permission de passer en Sicile. Il y ouvrit une école de rhétorique ; et en commençant ses leçons il fit un discours préliminaire dans lequel, se plaignant de la Fortune, il l'apostropha en ces termes : Capricieuse déesse ! à quels jeux cruels te plais-tu ? Tu métamorphoses les professeurs en sénateurs, et les sénateurs en professeurs. Il vivait et enseignait sous Trajan.

Je reviens à Domitien, aux cruautés duquel échappèrent néanmoins deux illustres personnages, mais par une conduite souple et qui ne se refusait à rien. Pégasus[17], jurisconsulte célèbre, préfet de la ville, qualifié par Juvénal de très-homme-de-bien et de vertueux interprète des lois, savait plier et désarmer la justice à l'égard du crime protégé. Vibius Crispus était un agréable vieillard, dont les mœurs imitaient la douce faconde. Il était capable de donner de bous conseils à son empereur, s'il n'y eût eu rien à risquer ; mais il ne se roidit jamais contre le torrent, et il n'était pas un citoyen zélateur de la liberté, et disposé à sacrifier sa vie à la défense du vrai et du juste. Par cette complaisance il se maintint dans la cour d'un prince auprès duquel un entretien sur la pluie et sur le beau temps décidait souvent du sort d'un ami, et il parvint à l'âge de quatre-vingts ans.

Domitien ne fut pas moins excessif dans la débauche que dans la cruauté, et il mêla même souvent ces deux vices ensemble : c'est ce qui parut surtout dans l'horrible conduite qu'il tint à l'égard de Julie, fille de son frère. D'abord on voulut le marier avec elle ; mais, prévenu d'un ardent amour pour Domitia, il refusa opiniâtrement d'y consentir : et depuis que cette même Julie eut épousé Flavius Sabinus, son cousin, il la corrompit pendant que Titus vivait encore. Enfin, lorsqu'elle fut restée sans père et sans époux, il ne cacha plus sa passion incestueuse pour sa nièce ; et cependant il lui causa la mort, en la forçant de se procurer l'avortement.

Julie est un exemple et non le terme de l'incontinence de Domitien. Nulle sorte de désordres où il ne se plongeât avidement. Il datait ses excès en ce genre dès sa première jeunesse ; il en faisait gloire ; et même, devenu empereur, il les portait jusqu'à chercher dia-aines plaisirs parmi les femmes les plus décriées, et parmi celles qui se font victimes publiques de la prostitution.

Il n'était pas également intempérant en ce qui regarde la table. Il faisait son grand repas à dîner, contre l'usage des Romains, et le soir il ne prenait que quelque fruit avec un verre de vin. Il donnait néanmoins de magnifiques soupers aux premiers du sénat ; mais comme il s'était rempli de nourriture auparavant, il venait à table sans appétit, il y mangeait peu, n'y restait pas longtemps. Jamais de ces divertissements qui perçaient dans la nuit : on se retirait avant que le soleil fût couché ; et en attendant le sommeil, Domitien se promenait seul dans une galerie. Je ne donne pas tout cela pour preuve de sobriété : c'était arrogance, humeur sombre, caractère farouche, qui non-seulement n'avait pas la douceur de la vertu, mais en qui le vice était triste, sauvage, et ennemi de la société.

Tel fut Domitien dans la paix, dans sa conduite privée, dans le gouvernement intérieur de l'État. Sa vanité le porta à vouloir se signaler dans la guerre. Nous avons vu qu'il avait eu cette fantaisie dès que son père fut parvenu à l'empire, et Mucien eut bien de la peine à le retenir : j'ai dit encore qu'il ne tint pas à lui que Vespasien ne l'envoyât à la tête d'une armée au secours de Vologèse, roi des Parthes, contre les Alains. A peine se vit-il empereur, qu'il résolut de satisfaire un désir si longtemps combattu ; et dès la troisième année de son règne il entreprit, sans aucune nécessité, une expédition contre les Cattes, peuple germain dont j'ai souvent eu occasion de parler.

Frontin, qui a écrit ses Stratagèmes sous le règne de Domitien, loue beaucoup la sagesse et la vigueur avec expédition lesquelles cette guerre fut conduite. Les Germains, dit-il[18], étaient en armes ; et Domitien qui voulait, les surprendre, et qui n'ignorait pas qu'ils feraient de plus grands préparatifs s'ils prévoyaient qu'ils dussent avoir affaire à un si redouté capitaine, cacha son dessein sous le prétexte d'un dénombrement qu'il venait faire en Gaule. Par cette ruse, il trompa les Germains ; et étant retombé sur eux lorsqu'ils ne s'y attendaient point, il dompta la fierté de ces nations barbares, et il assura la tranquillité des provinces de l'empire.

Mais selon les écrivains qui n'ont point eu intérêt de flatter Domitien, et probablement selon la vérité ; il revint sans avoir seulement vu l'ennemi. Ses exploits se réduisirent à ravager au-delà du Rhin un pays ami ; après quoi il se fit décerner les plus grands honneurs, et il voulut triompher. Mais il n'avait point de prisonniers qu'il pût mener chargés de chaînes devant son char ; il y suppléa en ordonnant que parmi les nations voisines on achetât des esclaves, de qui il eut soin de faire arranger la chevelure et vêtir toute la personé à la mode des Germains : au moyen de cette ressource misérable, il satisfit sa vanité par un triomphe dont d savait intérieurement que tout le monde se moquait Il est à croire que ce fut aussi à cette occasion qu'il prit le surnom de Germanique, à moins qu'il ne se le soit attribué dès auparavant en vertu du voyage vil avait fait à Lyon, la première année du règne de sen père, dans le temps de la guerre de Civilis. M. de Tillemont place la prétendue victoire de Domitien sur les Cattes sous l'an de J.-C. 83[19], et son triomphe dans la même année ou la suivante.

On peut rapporter à ce même temps le triste sort de Cariomer, roi des Chérusques, qui, dépouillé de ses états par les Cattes, implora en vain le secours de Rome, et n'en obtint qu'une largesse en argent, au lieu des trompes qu'il demandait. Les Chérusques qui autrefois, à l'aide d'Arminius leur héros, avaient tenu un rang si illustre entre les Germains, furent abattus par cette disgrâce, à laquelle leur mollesse avait préparé les voies. Ils s'étaient endormis, dit Tacite[20], dans le loisir d'une longue paix : ils éprouvèrent que ce repos avait plus de douceur qu'il n'est sûr et avantageux ; car au milieu de voisins ambitieux et puissants, c'est un mauvais parti que de demeurer tranquille. Lorsqu'on en vient aux mains, la gloire de la modération et de la probité passe du côté de la Fortune. Ainsi, continue l'historien, les Chérusques, que l'on appelait ci-devant un peuple ami de la vertu et de l'équité, sont traités aujourd'hui de lâches et d'imbéciles ; et les Cattes avec la victoire ont acquis la réputation de sagesse.

Le même fragment de Dion, d'où nous avons tiré ce qui regarde Cariomer, fait aussi mention d'une prétendue prophétesse, nommée Ganna, qui rendait des oracles parmi les Germains, comme Véléda, dont nous avons parlé ailleurs, vierge comme elle, et qui fit un voyage à Rome, où elle reçut de grands honneurs de Domitien.

Du côté du Danube, il y eut quelques mouvements sur lesquels nous avons fort peu de lumières, mais qui peuvent être regardés comme l'es préludes de la guerre des Daces, la plus importante de celles auxquelles Domitien voulut prendre part en personne.

Les Daces, appelés Gètes par les Grecs, habitaient les régions comprises entre le Danube au midi et à l'orient, les monts Crapax au nord, et la Teisse à l'occident : c'est ce que nous nommons aujourd'hui Transylvanie, Valachie, Moldavie, avec une partie de la Hongrie. Ils sont vantés dans l'antiquité comme un peuple très-belliqueux, et deux secours contribuaient à entretenir et à nourrir leur valeur : l'un, leur genre de vie dur, pauvre, laborieux, éloigné de toutes les délices, dont ils n'avaient pas même d'idée ; l'autre, l'opinion qui régnait parmi eux que la mort n'était qu'un passage, et qu'en sortant de cette vie ils allaient rejoindre Zamolxis, qui de leur législateur était devenu leur dieu. Cette persuasion agissait si puissamment sur eux, qu'ils allaient à la mort plus gaiement que d'autres n'entreprennent un voyage.

J'ai fait jusqu'ici peu de mention des Daces, parce qu'ils n'avaient pas encore soutenu la guerre contre les Romains en leur nom et avec leurs seules forces, ma mêlés et associés avec des nations voisines, les Pannoniens, les Dalmates, les habitants de la Mœsie. Ainsi ils furent du nombre des peuples vaincus par M. Crassus, l'an de Rome 723. Tibère remporta ensuite sur eux de grands avantages, pendant que son frère Drusus combattait contre les Germains. Enfin, dans la grande guerre par laquelle le même Tibère subjugua la Pannonie, les Daces souffrirent des pertes considérables, dont ils demeurèrent tellement affaiblis que cette nation autrefois puissante, et capable de mettre sur pied une armée de deux cent mille combattants, fut réduite à quarante mille hommes portant armes. Peu s'en fallait, au temps où Strabon écrivait[21], qu'elle ne tilt entièrement soumise aux Romains ; et ce n'était qu'à la faveur de la diversion causée par les peuples de la Germanie, qu'elle conservait un reste de liberté. Il n'est plus parlé des Daces jusqu'aux commencements de la guerre entre Vespasien et Vitellius. La Mœsie se trouvant alors dégarnie des légions qui lui servaient de défense, ils y passèrent à main armée ; et leur invasion pouvait avoir de grandes suites, si la querelle pour l'empire n'eût été promptement décidée par la bataille de Crémone. Réprimés par Mucien, ils rentrèrent dan un calme forcé, et se tinrent tranquilles pendant le règne de Vespasien et celui de Titus. Sous Domitien ils reprirent les armes, soit irrités par ses injustices, soit invités par le mépris qu'ils faisaient de sa lâcheté.

Ils avaient alors pour roi Décébale, prince d'un mérite éminent, également propre pour le conseil et pour l'action ; sachant saisir le moment d'attaquer et celui de faire retraite ; habile à dresser une embuscade et à ordonner une bataille ; capable de profiter de la victoire et de se ménager des ressources après une défaite. Il était redevable du rang suprême ii l'éclat de ses talents. Duras, à qui le commandement appartenait, le lui avait cédé, par un exemple de modération bien rare, comme à celui qui pouvait en user le mieux pour l'avantage et pour la gloire de la nation. Décébale, avide de justifier la haute opinion que l'on avait de lui, profita de l'occasion des troubles survenus entre quelques peuples voisins du Danube[22]. Les plus faibles ayant imploré et obtenu la protection de l'empereur romain, le roi des Daces épousa la querelle du parti contraire. Il passa le Danube, entra dans la Mœsie ; et Oppius Sabinus, qui commandait les légions de cette province, étant venu à sa rencontre, il lui livra bataille, le vainquit, le tua, courut ensuite tout le pays, et se rendit maître de plusieurs forts et châteaux occupés par les Romains.

Cette disgrâce détermina Domitien à marcher lui-même contre les Daces, ou plutôt, à se transporter dans leur voisinage ; car il s'arrêta dans une ville de Mœsie, ne prenant part aux opérations de la guerre que par ses lieutenants. C'est tout ce que nous savons de ce voyage de Domitien ; et en général l'histoire de la guerre des Daces est pour nous remplie d'obscurités et d'incertitudes : nous ne connaissons avec précision ni la date de son commencement, ni celle de sa fin, ni sa durée. Sur le détail des évènements, nous n'avons que quelques fragments de Dion, quelques abréviateurs sans goût et sans génie, quelques mots épars çà et là dans les poètes du temps. M. de Tillemont en a composé un tissu le moins mal lié qu'il était possible : je prends pour guide cet illustre savant.

Outre la première défaite dont j'ai parlé, les Romains en souffrirent encore une sanglante dans cette guerre. Pendant que Domitien, de retour à Rome, vengeait sur le sénat de ses mauvais succès contre les ennemis de l'empire, Cornélius Fuscus, préfet du prétoire, commandait les légions opposées aux Daces. C'était un caractère bouillant, impétueux, dont nous avons vu la chaleur et le feu se signaler en faveur de Vespasien contre Vitellius ; du reste, homme sans capacité et sans expérience dans la guerre, à laquelle il ne s'était préparé, si nous en croyons Juvénal, que par une vie voluptueuse dans son palais de marbre[23]. Ce général, voyant sous ses ordres une armée florissante, se livra à son ardeur, passa le Danube, et engagea une bataille dans laquelle il périt avec la plus grande partie de ses troupes. Le désastre fut complet : les Romains y perdirent armes et bagages, et laissèrent entre les mains des Barbares une de leurs aigles et beaucoup de prisonniers.

A cette nouvelle, Domitien prit le parti de retourner sur les lieux, et il ne dut pas se repentir de son voyage. Julien, à qui il avait donné le commandement de l'armée, remporta une victoire sur Décébale. Dion observe que ce général, pour mettre en évidence et la bravoure des soldats qui se signaleraient par quelque belle action, et la lâcheté de ceux qui feraient mal leur devoir, leur ordonna à tous d'inscrire sur leur bouclier leur nom et celui de leur capitaine. Les Daces furent entièrement défaits ; et Vézinas, qui tenait le second rang dans la nation, ne put éviter de périr qu'en se cachant et se confondant parmi les tas de corps morts.

Décébale craignit les suites de cette victoire des ennemis, qui leur ouvrait son pays et mettait en danger sa capitale : il les en éloigna néanmoins par un stratagème auquel il est assez surprenant que les Romains se soient laissé surprendre. Un bois couvrait la capitale des Daces : Décébale en fit étêter les arbres, et il ordonna que l'on y suspendît différentes pièces d'armures qui, vues de loin, firent croire aux Romains qu'une armée défendait les approches de la ville, et ils se retirèrent.

Le péril n'était que différé ; et Décébale, non moins prudent et sage dans l'adversité que hardi dans la bonne fortune, sentit qu'il avait besoin de la paix. Il fit donc des démarches pour l'obtenir ; et au lieu que, lorsqu'il l'avait proposée précédemment, il prétendait en régler les articles avec hauteur, osant exiger que tous les Romains lui payassent un tribut par tête, il se réduisit aux prières, et demanda des conditions équitables. Domitien avait une belle occasion de finir glorieusement la guerre ; il la manqua par opiniâtreté et par orgueil. Il refusa les offres de Décébale ; et en même temps, au lieu de le presser, il tourna l'effort de ses armes contre deux nations germaniques, les Quades et les Marcomans, à qui il chercha querelle sur ce qu'ils ne lui avaient point envoyé de secours contre les Daces. Il porta dans cette nouvelle entreprise toute l'arrogance dont l'avait enivré le succès. Il ne voulut point écouter les soumissions que lui firent les Germains ; il ta ; mairie leurs ambassadeurs : et l'événement fut que, vaincu par eux, il se vit contraint, non plus de donner la paix à Décébale, mais de l'acheter de lai, et lui faisant remettre de grandes sommes comptant ; en s'obligeant à lui payer chaque année un vrai tribut, quoique l'on s'abstînt du terme ; et en lui fournissant, contre les intérêts de l'empire, un nombre d'ouvriers pour tous les arts de la guerre et de la paix.

Il paraît[24] que Domitien était à Rome dans le temps que cette paix se négociait. Couvert d'une honte réelle, il s'étudia à sauver les apparences. Dans cette vue, il voulait que Décébale vînt lui faire hommage dans la capitale de l'empiré ; mais le fier Dace rejeta la proposition, et consentit seulement à envoyer Degys son frère, qui rendit à Domitien quelques armes, quelques prisonniers, et qui reçut de lui le diadème au nom du roi des Daces. On lut aussi dans le sénat une lettre de Décébale fort soumise ; mais on soupçonna avec beaucoup de fondement qu'elle était supposée, et tue Domitien, qui ne cherchait qu'à faire illusion, rand dressée telle qu'il lui avait plu.

Après de si nobles exploits, Domitien se donna hautement pour vainqueur : il prit le surnom de Dacie : il se fit décerner le triomphe, et il triompha en effet de Daces et des Germains. Ces Germains ne peuvent être que les Quades et les Marcomans, par lesquels il avait été battu. Tout fut prodigué pour célébrer ces glorieuses victoires, et pour en perpétuer le souvenir : jeux, spectacles, éloges excessifs des poètes, arcs de triomphe, statues en un nombre prodigieux, ainsi que je l'ai observé d'avance. Une autre espèce de trophée fut le monument construit à Fuma ; dans le pays des Daces, où il avait été tué. La paix rendue à l'empire fut solennisée par la clôture du temple de Janus. Il fallait bien relever par l'étalage du faste ce qui n'était digne en soi que d'un souverain mépris.

Car à la honte des mauvais succès on doit ajouter celle de la conduite personnelle de Domitien : rien au monde n'était si mou. On le voyait rarement à cheval ; il se faisait presque toujours porter en litière. S'il voyageait par eau, il craignait le bruit des rames ; il voulait que le bateau dans lequel il était languissamment couché fût traîné par d'autres bateaux où se faisait la manœuvre. C'est ainsi qu'il descendait, soit le Rhin, soit le Danube, non-seulement, dit Pline, à la vue des aigles romaines, mais sous les yeux des ennemis, accoutumés à passer ces grands fleuves à la nage, ou à les regarder comme des chemins commodes lorsqu'ils étaient glacés.

L'exemple du prince était bien propre à corrompre la discipline, et ses jaloux soupçons achevaient de la détruire. Regardant tous ses sujets comme autant d'ennemis, parce qu'il en était lui-même l'ennemi et le fléau, il n'osait se fier à personne, et par cette raison il ne donnait jamais une autorité pleine à ceux qu'il mettait à la tête de ses armées. De là nulle fermeté dans les commandements[25], et conséquemment nulle obéissance. L'officier n'était point respecté, le soldat n'avait nulle retenue ; la licence, la confusion, le désordre, régnaient parmi les troupes. Les généraux, toujours en alarmes du côté de la cour, se tenaient moins en garde contre les embûches des ennemis que contre celles de leur empereur, à qui tout mérite était suspect, et dont on ne pouvait acquérir les bonnes grâces que par l'avilissement du courage et des sentiments. Il n'est pas étonnant que des armées ainsi gouvernées se soient fait battre par l'ennemi. Et Domitien, en qui résidait l'origine de tout le mal, rendait ses généraux responsables des événements fâcheux ; et s'il arrivait quelque succès, il s'en attribuait à lui seul toute la gloire.

 Redouté et haï si justement de ceux qui tenaient un rang illustre, il se rendait encore odieux aux peuples par les vexations[26] qu'il exerçait sur toute sa route. Il ne voyageait pas, il pillait et ravageait ; en sorte que les pays par lesquels il avait passé étaient aussi désolés que s'ils eussent été battus de la grêle et de la tempête, ou  qu'ils eussent souffert une incursion de ces mêmes Barbares devant lesquels Domitien fuyait si lâchement.

C'est ainsi qu'il portait partout l'esprit malfaisant et tyrannique qui était son vice dominant. Dans les fêtes qu'il donna à l'occasion de son triomphe sur les Daces, il en mêla une d'un goût qui ne pouvait plaire qu'à un prince farouche et capable de se faire un divertissement des inquiétudes et des peines d'autrui.

Ayant invité à un repas les premiers du sénat et de l'ordre des chevaliers, il les fit introduire dans une salle tendue de noir, les murailles, les voûtes, le plancher : les lits étaient nus, et peints en noir. Lorsque les convives eurent pris leurs places, ils trouvèrent chacun vis-à-vis de soi une petite colonne, telle qu'on en élevait communément sur les tombeaux : cette colonne portait le nom de celui pour qui elle était dressée, avec une lampe sépulcrale. Nul n'eut la permission de se faire servir par ses gens, qui restèrent dehors ; en leur place parurent de petits enfants nus, et noircis depuis les pieds jusqu'à la tête, pour représenter des ombres infernales : ces enfants s'étant rangés autour de la table, exécutèrent une danse qui avait quelque chose d'effrayant et de lugubre ; après quoi ils se distribuèrent chacun auprès de celui des convives qu'il devait servir. Les mets furent précisément ceux que l'on avait cou-turne d'offrir aux morts dans les cérémonies funèbres. Les plats, la vaisselle, tout était noir, et n'annonçait rien que de triste : un profond silence, comme dans le séjour des morts, régnait dans l'assemblée ; Domitien seul parlait, et il n'entretenait sa compagnie que de morts et d'aventures sanglantes. On peut juger quel effroi jeta dans l'esprit de tous les convives cet appareil sinistre, dressé par les ordres d'un prince cruel ; il n'y en eut aucun qui ne crût que c'en était fait de lui, et qu'il touchait à sa dernière heure. Enfin Domitien les renvoya, mais non pas avec leurs domestiques : il les mit entre les mains de gens inconnus, qui les firent entrer dans des voitures de différentes espèces, et les reconduisirent chez eux. Rendus dans leurs maisons, ils commençaient à respirer, lorsqu'on leur annonça un messager de l'empereur ; ils ne doutèrent point qu'on ne leur apportât un ordre de mort : c'était la fin de la comédie. L'empereur leur envoyait en présent tout ce qui avait paru au repas : à l'un, quelqu'une de ces petites colonnes qui, dénoircies, se broyaient être d'argent ; à l'autre, quelques pièces de vaisselle artistement travaillée, et précieuse par la matière aussi bien que par l'ouvrage ; et de plus, feraient qui avait servi chacun des convives accompagnait le présent, mais ayant repris toutes ses grâces, délivré par le bain de la couleur étrangère qui le déguisait, et paré avec élégance. Ceux à qui s'adressaient ces présents les trouvèrent bien achetés par les transes mortelles qu'on leur avait fait éprouver ; et dans le publie on se moqua d'une, scène qui semblait destinée à apaiser les mânes de ceux dont l'empereur avait causé la mort, soit par sa lâcheté et sa mauvaise conduite dans -la Dace, soit par sa cruauté dans Rome.

 J'ai déjà dit qu'il est impossible de fixer avec exactitude les dates des événements de la guerre des Daces ; elle doit avoir roulé entre l'an 86 de J.-C. et l'an 91[27] : on ne peut pas la commencer plus tôt ni la finir phis tard, et il est permis de croire qu'elle a occupé use grande partie de cet espace.

Avant que de passer aux exploits d'Agricola dans la Grande-Bretagne, qui feront un article important, et qui nous soulageront par une agréable diversion, en nous présentant enfin des actions louables et le tableau d'un homme infiniment digne d'estime par la réunion des talents et des vertus, il me reste à parler de deux autres guerres moins considérables.

Les Nasamons, peuple de Libye au-dessus des Syrtes, ne pouvant supporter la rigueur avec laquelle on exigeait les impôts, se soulevèrent, tuèrent les financiers et leurs commis ; et Flaccus, gouverneur de Numidie, ayant amené des forces pour châtier leur rébellion, ils le défirent lui-même et remportèrent une victoire complète, jusqu'à se rendre maîtres de son camp : mais ce grand succès fut précisément la cause de leur perte. Ayant trouvé dans le camp romain d'abondantes provisions de vin, ils s'en remplirent avec une avidité de Barbares, et s'enivrèrent : Flaccus, qui en fut instruit, revint avec ce qui lui restait de troupes les surprendre en cet état, et il les extermina sans qu'il en échappât un seul. Domitien fut très-enflé de cette victoire, et il se servit de cette arrogante expression dans le sénat : J'ai voulu que les Nasamons cessassent d'être, et ils ne sont plus. Cet événement doit être placé, selon M. de Tillemont, sous l'an de J.-C. 86.

L'expédition de Domitien contre les Sarmates est postérieure de plusieurs années. Les savants la rejettent après la guerre des Daces finie, et ils hésitent seulement entre les années 92 ou 93 de J.-C. Ces peuples avaient taillé en pièces une légion avec son commandant. La chose parut mériter la peine à Domitien de se transporter en personne sur les lieux. Il faut que ses exploits n'aient pas été fort considérables, puisqu'il ne les jugea pas dignes du triomphe, et qu'à son retour à Rome il se contenta de porter en pompe et d'offrir à Jupiter Capitolin une branche de laurier.

Je dois encore ajouter ici qu'un faux Néron pensa donner lieu à une guerre avec les Parthes. L'imposteur, quoique la fourberie dût être usée, puisqu'il était le troisième qui l'employait, fut accueilli favorablement par le roi des Parthes, qui fut près d'embrasser sa querelle, et qui ne se laissa déterminer qu'avec beaucoup de peine à le livrer aux Romains. M. de Tillemont observe que cet événement, pour lequel il n'y eut pas une épée tirée, est probablement le sujet des triomphes que Silius Italicus attribue à Domitien sur le Gange, sur les Bactriens, et sur tout l'Orient. Suétone le date de la vingtième année après la mort de Néron, et par conséquent il tombe sous l'an de Rome 839, de J.-C. 88.

Enfin je ne dois point omettre un genre de crime singulier et jusque-là inouï, qui devint un fléau pour Rome et pour tout l'empire. Des scélérats imaginèrent de s'armer d'aiguilles empoisonnées, avec lesquelles ils firent périr un grand nombre de personnes qu'ils attaquaient au moment où l'on s'y attendait le moins. Plusieurs de ces assassins furent découverts, et expièrent par le supplice la noirceur de leur forfait.

Je viens maintenant à Agricola, dont la vie a été écrite par Tacite son gendre. Je transporterai ici presque en entier un morceau si précieux, qui est le dernier que me fournira pour mon ouvrage ce grand et sublime historien.

 

 

 



[1] Le nom de Domitien n'a paru que deux fois dans nos faites. Mais outre ses deux consulats ordinaires, il avait été cinq fois consul substitué.

[2] Je place sous cette année la révolte de L. Antonius, pour la rapprocher du temps de la mort d'Agricola. Ces deux événements ne paraissent pas devoir être fort éloignés l'an de l'autre, puisqu'ils sont marqués l'un par Dion et le jeune Victor, et l'antre par Tacite (Agricola, 44), comme l'époque des plus grandes et des plus atroces cruautés de Domitien. Dion ne parle de la révolte de L. Antonius, qu'après avoir terminé ce qui concerne la guerre des Daces. Or le triomphe de Domitien sur les Daces se rapporte à limée précédente. Ces raisons m'eut déterminé à m'écarter du sentiment de M. de Tillemont, qui place cinq ale plus tôt la révolte de L. Antonius.

[3] TITE-LIVE, XXIV, 5.

[4] PLINE LE JEUNE, Panégyrique, 65.

[5] PLINE LE JEUNE, Panégyrique, 52.

[6] Pulvinar. Ça terme marquait le lit sur lequel on couchait les statues des dieux dans les repas sacrés, et la niche dans laquelle on les plaçait.

[7] MARTIAL, V, 8.

[8] PHILOSTRATE, Vie des sophistes, I, 21, 6.

[9] TACITE, Annales, XI, 11.

[10] C'est-à-dire, où l'on proposait des prix pour la lutte pour la musique et la poésie, et pour la course à cheval.

[11] SUÉTONE, Domitien, 9.

[12] VIRGILE, Géorgiques, II, 536.

[13] TACITE, Agricola, 45.

[14] SUÉTONE, Domitien, 11.

[15] Ce Maternus pourrait bien être le même qui, dans un dialogue écrit sous Vespasien, et que l'on imprime communément à la suite des œuvres de Tacite, soutient la cause des poètes et de la poésie. Il est vrai que la qualité de sophiste ne lui convient pas ; mais je compte peu sur l'exactitude de Dion : et la ressemblance des caractères me frappe. Le Maternus du Dialogue des Orateurs avait fait une tragédie dont Caton était le héros, et il l'avait écrite avec une liberté dont les oreilles délicates des puissants s'étaient offensées. On lui conseille d'adoucir, ou même de retrancher quelques-uns de ces traits, et il répond : Je donnerai ma pièce au public telle que je l'ai composée : et si Caton n'a pas tout dit, Thyeste, auquel je travaille actuellement, achèvera le reste. Dialogue des Orateurs, n. 3.

[16] PLINE LE JEUNE, Panégyrique, 33.

[17] JUVÉNAL, Satires, IV.

[18] FRONTIN, Stratagèmes, I.

[19] An 834 de Rome.

[20] TACITE, Mœurs de Germains, 36.

[21] STRABON, VII, p. 305.

[22] Je ne trouve nulle part cette liaison entre les mouvements indiqués ici et la guerre des Daces. Mais les circonstances des temps et des lieux autorisent la conjecture que je hasarde.

[23] JUVÉNAL, Satires, IV, v. 112.

[24] C'est ce que semble supposer l'épigramme de Martial, qui fait mention de l'hommage de Degys, V, ep. 3.

[25] PLINE LE JEUNE, Ep., VIII, 14.

[26] PLINE LE JEUNE, Panégyrique, 20.

[27] Ans 837 et 842 de Rome.