LOUIS XI ET LE SAINT-SIÈGE

1461-1483

 

CHAPITRE VII. — LA RUPTURE - 1478-1480.

 

 

En 1478, complètement débarrassé pour un instant de ses soucis intérieurs, Louis XI peut à son aise intervenir de nouveau en Italie. Le Téméraire est mort devant Nancy le 5 janvier 1477, et l'annexion de la Picardie, de la Bourgogne, de l'Artois et de la Franche-Comté, si elle doit lui valoir dans l'avenir une guerre avec l'Autriche, n'en augmente pas moins immédiatement et considérablement ses forces. Le duc de Bretagne, François II, est depuis la défaite du Téméraire en 1478, le traité d'Ancenis et l'échec de la tentative de 1478, soucieux avant tout de préserver ses possessions. D'ailleurs, le roi a acheté les droits de la maison de Blois sur son duché, ses favoris Rohan et Lescun lui appartiennent et sont prêts à avertir le roi de ses moindres actes. Les grands chefs féodaux ont tous disparu le duc d'Alençon, Jacques V d'Armagnac, le duc de Nemours, le sire d'Albret, le comte de Saint-Pol ont été décapités. Louis XI a repoussé l'invasion anglaise d'Edouard IV, battu le roi d'Aragon, Jean II, écrasé le Téméraire. Les Suisses, Venise, les Sforza, les Médicis, la Castille, l'Ecosse sont ses alliés. Désormais, l'Allemagne étant indifférente ou impuissante à maintenir en Europe son ancienne suprématie, Louis XI tout puissant, devenu le souverain le plus considérable de la chrétienté, peut s'essayer au rôle glorieux d'arbitre. Oncques plus n'y eust homme qui osast, dit Commines, lever la tête devant lui, ni contredire à son vouloir.

Aussi la conspiration des Pazzi vint-elle à point nommé pour permettre à Louis XI de prendre dans la péninsule le rôle d'arbitre qu'il aspirait à y jouer depuis si longtemps. Sans sortir de son château de Plessis-lès-Tours, il intervint en Italie comme suzerain incontesté, se posant comme le représentant unique de la catholicité la monarchie de la religion chrétienne consistant véritablement en sa personne.

La conjuration des Pazzi est trop connue pour que nous y insistions ici[1]. C'est en secourant l'un des ennemis du pape, Nicollo Vitelli, assiégé dans Cita di Castello par les troupes de Sixte IV, que Laurent de Médicis s'attira la haine du pontife qui voulait acquérir pour son neveu la seigneurie d'Imola convoitée par Florence et qui essayait de constituer en faveur de Jérôme Riario, seigneur de Forli, une principauté dans la Romagne[2]. Les Pazzi, riches banquiers florentins, ayant à cet effet fourni à Sixte IV les sommes nécessaires à la réalisation de ses projets, Laurent empêcha l'un d'eux, Jean, de recueillir l'héritage de son beau-père. D'où le complot favorisé par le souverain pontife pour renverser les Médicis. Y prirent part. outre Jacopo et Francesco de Pazzi une créature de Sixte IV, Francesco Salviati, archevêque de Pise le neveu du pape, Riario[3] ; son petit-neveu, le cardinal Raphaël Riario, et un capitaine d'aventures, Montesecco. Les conjurés profitèrent du passage à Florence du cardinal Raphaël qui gagnait sa légation de Pérouse pour mettre leur complot à exécution. Le 26 avril 1478, au moment de la célébration de la messe à Santa Maria del Fiore, Julien de Médicis fut assassiné sur les marches de l'autel et Laurent n'échappa que par miracle aux coups des meurtriers.

La répression fut atroce. L'archevêque de Pise et vingt autres conjurés furent le soir même pendus aux fenêtres de la seigneurie[4].

Le pape excommunia aussitôt les Florentins pour avoir osé porter la main sur des membres de la sainte Eglise et l'on dit qu'il s'écria, en apprenant la mort de Julien : C'en est fait de la paix de l'Italie : oggi è morte la pace d'Italia[5].

Le 23 mai 1478, il jetait l'anathème sur Laurent et les magistrats de la république au sujet des crimes commis sur des personnes ecclésiastiques et il défendait tout commerce avec eux[6]. Il nommait une commission de dix cardinaux pour instruire ce procès et le cardinal de Rouen, camérier du pape, l'annonçait aussitôt à Laurent[7]. Le pape demandait la mise en liberté du cardinal Raphaël, l'exil de Laurent, des excuses de la part de la république, le paiement d'une amende de 10.000 ducats.

Laurent répondit à l'excommunication fulminée par Sixte IV par la convocation a Florence d'un concile qui ne fut, il est vrai, jamais réuni[8]. Il en reste un manifeste des plus curieux rédigé par Gentile, évêque d'Arezzo, au dire de Fabronius[9], de Rinaldo Orsini, évêque de Florence, selon Reumont[10]. De plus, le chancelier Bartolomeo Scala justifia publiquement la seigneurie et ses sujets en publiant la confession et les aveux du capitaine Montesecco, qui laissa assez explicitement sous-entendre la complicité du pape dans la conjuration[11]. Non content de fulminer contre Laurent, Sixte IV commença la guerre contre lui avec l'aide de Ferrant, et il expliqua par lettres aux rois, aux princes et aux peuples catholiques, les causes de son conflit avec Florence[12].

Il s'adressa à Louis XI, l'engageant, pour la tranquillité de l'Italie, à chasser de Florence le tyran Laurent qui menaçait à la fois la paix de l'Eglise et celle de la péninsule[13]. Appuyé par le roi de Naples, il lui fit demander de retirer, comme ils l'avaient fait tous deux, le soin de ses affaires pécuniaires aux Médicis pour les confier aux Pazzi[14]. Bien plus, après l'usurpation du More à Milan, que Louis XI avait paru encourager, il lui écrivit pour qu'il chassât de Florence ce tyran ennemi du Saint-Siège qu'était Laurent. Il n'obtint naturellement rien[15]. Aussi, voyant que le roi, qui dès 1477 avait resserré son alliance avec son cousin Laurent, voulant absolument agir d'accord avec lui[16], ne songeait pas à le favoriser, le pape se tourna d'un autre côté.

Aussitôt après la mort de Julien, Laurent demanda les secours de Louis XI par Guy et Antoine de Vespucci.

Le roi, comprenant le danger d'une ingérence de la papauté dans les affaires de la péninsule, se hâta d'intervenir. Il commença de défendre par lettres patentes, aux assassins de Julien et de Laurent, l'accès de son royaume[17]. Il flétrit la conjuration qui n'est pas autre chose qu'un crime de lèse-majesté, la considérant, dit-il dans une lettre à la république, comme un attentat dirigé contre sa propre personne che se fosse facto e commesso nella nostra propria persona et per questo tutti i detti Pazzi criminosi lese majestatis[18]. Après avoir exprimé à Laurent ses condoléances, Louis XI expédia à Milan et Venise une ambassade qui avait à sa tête Commynes, sire d'Argenton[19], dont le roi annonçait à la république l'arrivée en ces termes : C'est l'un des hommes en qui nous avons la plus grande confianceche è oggi uno degli uomini che noi abbiamo nel quale abbiamo maggiore fidanza[20]. La république s'en montra fort heureuse et elle annonça aussitôt cette bonne nouvelle à ses sujets : Il re di Francia si eva diachiarato in favore della républica, dit-elle le 12 juillet 1478[21]. Le roi agissait aussi auprès de Jean Galéas qui pour lui être agréable promettait de secourir les Florentins[22]. Ceux-ci s'empressaient de remercier Louis XI qui les rappelait ainsi à la vie tales profecto ut mortuos etiam exsuscitare possini, incredibile dictu est qnanie consolations fuerint, quantum reddiderint aninzos.

La seigneurie gardera au roi une reconnaissance éternelle de son intervention et elle assure Louis XI de son entier dévouement natio florentinorum in tua manu est eritque dam hec mœnia stabunt et durabit florentinum nomen[23].

Le 25 juillet 1478, le pape annonçait au comte d'Urbin qu'il avait reçu des lettres de menace de Laurent, mais qu'il n'en était pas troublé. Dieu, dit-il, en punition de leurs crimes les frappe de folie. Il a envoyé sa justification à tous les rois, surtout à Louis XI dont il attend des ambassadeurs, espérant que Dieu leur inspirera des réponses convenables speramus che Dio ne spirara le riposte convenienti. Il craint cependant d'être menacé d'un schisme et de la soustraction d'obédience[24].

Pendant que Commines se rendait à Florence pour conseiller Laurent, Louis XI avait traité avec Venise (9 janvier 1478), ce qui lui permit de pouvoir apporter de puissants secours à la république. Cette paix qui prouve l'intention de Louis XI à multiplier le nombre de ses amis et alliés en Italie eut comme conséquence de lui faire jouer le rôle de médiateur et presque d'arbitre dans le conflit romano-florentin[25]. En même temps, le roi envoyait à Rome le seigneur de Clermont et Gabriel Vivès.

La seigneurie florentine apprécia très vivement la façon d'agir du roi et elle se montra heureuse de l'arrivée du sire d'Argenton vir maximi animi et rarœ cirtutis et dignus qui ametur a Mte tua. Commines dut sans doute, durant son séjour à Florence, provoquer la manifestation du synode et il quitta la capitale de la Toscane, le 24 août 1478 redit ad te functus apud nos sua legatione[26]. Sa mission avait consisté à engager tous les potentats italiens à refuser leur obédience au pape et il avait quitté Milan pour Florence le 22 juin 1478, ainsi que l'écrivait la duchesse à la seigneurie[27].

Quant aux ambassadeurs envoyés à Rome, ils ne réussirent pas dans leur mission. Lors de leur arrivée, le cardinal de Pavie conseilla au pape de louvoyer et de prendre prétexte de la peste qui dévastait les terres de l'Eglise pour proposer une réunion aux environs de Rome. S'ils acceptent, dit-il, on pourra à loisir prendre toutes les mesures convenables pour tirer le Saint-Siège d'embarras. Si, au contraire, ils refusent, on pourra leur reprocher la fierté de leurs demandes et l'impatience de leurs procédés[28].

Le seigneur de Clermont ne put voir le pape, car celui-ci, profitant des avis du cardinal, se retira hors de Rome. Aussi les ambassadeurs ne purent-ils que protester contre cette fuite du Saint-Père. C'est alors que Louis XI envoya au pape, qui par sa conduite envers Laurent compromettait la chrétienté, la célèbre lettre de reproches où se trouve le fameux passage : Plût au ciel que votre Sainteté fût restée étrangère à un crime si horrible[29]. Le pape s'empressa de lui dépêcher l'évêque de Fréjus, Urbain de Fiesque, et l'un de ses familiers, Grimaldi, pour l'entretenir sur aucunes choses tendant au bien de paix et unyon[30].

Louis XI préludait d'ailleurs à son intervention diplomatique en Italie par sa petite guerre religieuse habituelle, afin d'intimider par avance ses adversaires. Nous le voyons, en janvier 1478, ordonner au Parlement de faire immédiatement droit aux demandes de Guillaume Le Roy et de Lucas Fumée, pourvus de deux bénéfices — l'archidiaconé des Vées et la prébende de Cartigny en l'église de Bayeux — qu'un nommé Cabourdelli, courtisan demourant à Romme, s'efforçait de leur enlever au moyen de certaines bulles obtenues contre les sains canons et decretz de l'Eglise et aussi, c'est là le point important contre nos droiz, prérogatives et ordonnances touchant lesquelles sont intervenues aucunes faulsetez et abuz dignes de grant punicion[31]. Il s'oppose à la collation du prieuré de Gigny à l'évêque de Lausanne, Benoît de Montferrand, qu'il avait déjà chassé de l'évêché de Coutances[32].

Il intervint de même avec vigueur contre certains religieux mendiants, soi-disant inquisiteurs de la foi, qui vexaient ses sujets vaudois des montagnes du Dauphiné. Il ordonna au gouverneur du Dauphiné de remettre aussitôt en liberté cet x de ses sujets des vallées qui avaient été arrêtés, de faire cesser toutes les procédures commencées contre eux, et il défendit à ces prétendus inquisiteurs de les inquiéter à l'avenir, déclarant se réserver à lui et à son conseil ces sortes de matières[33]. Louis XI montrait ainsi clairement sa volonté de ne pas souffrir l'intervention de la papauté ou de ses représentants dans les affaires intérieures de son royaume sans son autorisation. Il dut aussi user du procédé de la saisie des bénéfices et des revenus des familiers du pape, car nous voyons le cardinal de Pavie prier le roi de lui faire restituer certains impôts du diocèse d'Avignon. Il mérite, dit-il, cette faveur, ayant fait tout son possible en faveur du roi et du royaume[34].

Non seulement le roi ne souffrait pas l'ingérence pontificale dans les affaires de son royaume, mais encore il n'admettait pas que les clercs français osassent s'attaquer au gouvernement. C'est ainsi qu'un cordelier, né à Villefranche en Beaujolais, Antoine Fradin, faisant grand bruit par ses prédications et la hardiesse avec laquelle il parlait du gouvernement, prêchant sur la justice, soutenant que le roi était mal servi et entouré de traîtres, Louis XI lui fit défendre de prêcher et fit disperser les attroupements aux environs du couvent des Cordeliers. Quant au prédicateur il fut expulsé sous prétexte qu'il était partisan des Bourguignons. Olivier le Daim se chargea de l'exécution de la sentence[35].

D'autre part, les présidents du conseil du roi à Dijon déclarèrent la Bourgogne venant à peine d'être annexée que les nouveaux sujets du roi ne devaient exécuter ou faire exécuter aucuns mandements et bulles apostoliques et qu'on ne pouvait les obliger d'aller hors du royaume ou à Rome[36]. Enfin, pour montrer à la papauté que sa menace du concile n'était pas toujours vaine, Louis XI convoqua le 17 août et réunit, du 13 septembre au 19 octobre 1478, son clergé en assemblée à Orléans. Par lettres de Selommes (21 août 1478) adressées au chapitre cathédral de Troyes, il convoque les prélats, les notables gens d'église, des universités et chapitres pour adviser et donner ordre et provision selon les sains canons, privilèges et libertés de l'Eglise de France, aux diversités et inconvénients qui viennent de cour de Romme et de l'argent qui se y tire et vuyde de nostre royaume[37].

Les députés vinrent très nombreux. Six archevêques le patriarche de Jérusalem, archevêque de Narbonne, évêque de Bayeux les archevêques de Sens, Bourses, Rennes, Bordeaux, Toulouse : 47 évêques, de nombreux abbés, les délégués des églises métropolitaines et collégiales du royaume au nombre de plus de 300 y assistèrent[38]. On y discuta sur la question du concile général, celle de la croisade contre le Turc, on décida d'envoyer au pape une ambassade pour le concile et la paix de l'Italie, on parla de remettre en vigueur la Pragmatique, et l'assemblée décida qu'elle se réunirait de nouveau en mai 1479, à Lyon. Cette réunion, que le roi honora de sa présence une demi-journée et qui fut présidée par le chancelier et par Pierre de Beaujeu, déclara aussi que l'argent des vaccans et bénéfices ne devrait plus être porté à Rome ne tyré hors de ce royaume[39].

Les orateurs se sentant soutenus par le roi qui leur laissa espérer la remise en vigueur de la Pragmatique — car il tenait toujours en réserve, pour les cas ou il était mécontent du pape, les libertés de l'Eglise gallicane — s'y montrèrent assez violents, car Jean de Roye nous cite plusieurs clercs qui firent de grandes remontrances, parlèrent fort, hardiment et moult bien.

A la suite de cette réunion, un long mémoire fut adressé au Saint-Père. On y rappelle tous les bienfaits des Français qui ont combattu les infidèles et du roi qui s'est toujours montré le protecteur zélé de l'Eglise. Sixte IV, au lieu de perdre son temps en misérables querelles contre les alliés du roi en Italie, devrait unir comme c'est son office toute la chrétienté contre le Turc. Le concile, réuni à Orléans, y invite le pape, il l'exhorte à réunir ce concile général désiré depuis 40 ans, à abandonner ses desseins, à ne pas soustraire au roi et à ses alliés leur argent[40]. Défense est faite aux Français et aux membres de la ligue italienne de porter de l'argent à la cour romaine pour l'obtention de bénéfices, de peur qu'il ne soit employé à faire la guerre au roi et à ses alliés[41].

Louis XI renouvela cette défense par l'ordonnance de Selommes du 16 août 1478. Après avoir rappelé le complot ourdi contre Florence, le roi déclare que la papauté emploie les revenus de l'Eglise, la substantation des pauvres, à soutenir la guerre contre Florence et Venise qu'elle perçoit des droits contre les saints canons qu'elle porte des bulles en telle multiplication que tous les bénéfices du royaume sont en procès qu'elle dissipe les revenus du service divin en vaines dilapidations[42].

L'ordonnance suspend à nouveau les expectatives : Nous prohibons et défendons à toutes manières de gens, ecclésiastiques, séculiers ou autres, de quelque qualité, nation ou condition qu'ils soient, qu'ils ne soient si ozés ne si hardis d'aller ou envoyer en cour de Rome ne ailleurs, de nostre dit royaume, pour quérir et pourchasser bénéfices et grâces expectatives, ne de porter ou envoyer en ladite cour de Rome, par lettre de change, bullette ou autrement, directement ou indirectement, par quelque voye ou manière que ce soit, or, argent monnoyé ou à monnoyer, pour avoir ou obtenir collation de bénéfices par bulles et grâces expectatives ne autrement, et lesquelles expectatives non exécutées nous avons suspendues et suspendons par ces présentes jusqu'à ce que par nous soit autrement ordonné. Ceux qui enfreindront ces prescriptions seront passibles de la confiscation de leurs biens et pourront être emprisonnés. Pour arriver à une répression sévère de ces abus, le roi décida qu'il serait fait don aux dénonciateurs des meubles, bagues et chevaux de quelque valeur ou estimation qu'ils soient des clercs qui passeraient outre à la défense royale.

Louis XI remit en outre en vigueur l'ordonnance sur la visite des bulles et il installa dans chaque ville du royaume deux députés aux mains desquels tous paquets venant de Rome étaient portés pour les ouvrir et voir s'ils contenaient des lettres ou bulles contraires aux droits, privilèges et libertés de l'Eglise gallicane[43].

De plus, il se fit donner par sa cour de Parlement une consultation sur les pouvoirs des légats pontificaux. Le Parlement déclara que les légats envoyés par les papes de Rome en France, n'y ont accès ou entrée, ni autorité d'user de leurs facultés sans avoir eu en premier lieu congé du roi, sans avoir assuré au roi par écrit que tout ce qu'ils feraient serait à sa permission et licence et tant qu'il lui plairait, et outre sans être leurs facultés vues et vérifiées au Parlement, lequel toujours défend de n'en user que par eux au préjudice des libertés et franchises du royaume, de l'Eglise gallicane et de ses autres sujets[44].

Le roi fut peut-être aussi mêlé à une tentative, faite par des exilés florentins et un aventurier chassé des compagnies royales, Bernard de Guerlands, contre Avignon, pour molester les sujets du pape et inquiéter Sixte IV lui-même au moment où il était en conflit avec Louis XI et ses alliés[45].

Enfin Louis XI songea à intervenir militairement en Italie. Il écrit de Chartres, le io août 1478, à la duchesse de Milan qu'il est heureux que ses ambassadeurs aient rassuré les Florentins et leurs alliés. Il a écrit sévèrement au pape pour l'engager à abandonner sa politique néfaste. Mais il veut faire plus. Pour que le pape et Ferrand voient qu'il ne peut pas tolérer plus longtemps leur conduite, j'ai délibéré, dit-il, d'envoyer quatre ou Ve lances de mon ordonnance pour accompaigner M. de Calabre — fils de Charles d'Anjou, comte du Maine, neveu du roi — de par delà en aide et secours desdiz Fleurentins et de la ligue d'Ytalie. Aussi il demande le passage des Alpes pour ses troupes et il adresse la même demande à la duchesse de Savoie à qui il annonce la même nouvelle[46].

Dans une autre lettre au duc et à la duchesse de Milan, il annonce le départ de son ambassade en Italie afin de pousser Ferrand et le pape à s'accorder avec Laurent. Il écrit à Ferrand et à Jérôme Riario pour les inviter à cesser leur guerre contre les Florentins[47]. S'ils refusent, il interviendra, il le déclare formellement, par les armes. Quod si facere recusaverint, curabimus copiis nostris armatorum quas ad illos transmittemur, taliter peragere ut ex bello pax sequatur[48]. Enfin il déclare qu'il a ordonné la convocation d'un concile pour s'occuper de ceste matière.

Ceci nous montre que Louis XI eut donc, tout au début du conflit, l'intention bien arrêtée d'effrayer non seulement par ses menaces la papauté ce qu'il fit mais encore d'intervenir par les armes.

Il se considérait de la sorte comme le protecteur des Etats italiens et comme l'arbitre naturel de leurs querelles.

De son côté Laurent de Médicis ne restait pas inactif et il se cherchait partout des alliés.

Il demandait à l'empereur de convoquer une diète pour pouvoir s'y justifier et prouver que le pape agissait injustement envers lui[49]. Dans une lettre à Commines, du 24 septembre 1478, il loue le roi de songer, après la réunion d'Orléans, à envoyer de nouveaux ambassadeurs en Italie, mais il faut qu'il les fasse appuyer par une armée et qu'il n'hésite pas à convoquer un nouveau concile[50]. Laurent n'était d'ailleurs qu'à moitié rassuré. Un de ses agents à Rome, Filippo Corbizzi, lui écrivait, le 5 décembre 1478, qu'on avait persuadé au pape que le roi n'était pas très ferme en ses propositions sua intentione è non deviare dalle voglie della sedia apostolica. Il veut rester le fils soumis du Saint-Père vuole egere buono figliuolo della sedia apostolica. Aussi faut-il réchauffer son zèle[51]. Laurent semblait n'avoir pas en ce moment grande confiance en Louis XI[52] : Noi habbiamo poco speranza di pace per questo mezzo di Francia per moite ragioni. — Ceux qui sont à Rome, disait-il, ont besoin de bâton et je voudrais pouvoir leur en donner. On devrait épouvanter le pape par une démonstration militaire afin de le faire céder plus vite[53]. Louis XI endormit, en effet, Laurent par de bonnes paroles et ne se brouilla pas avec la papauté. Il ne secourut pas Milan attaquée par Robert de San Severino qui était aux gages du pontife, il accorda au fils de Ferrand la main d'une princesse de Savoie. Pour complaire à la ligue, qui avait ordonné à ses ambassadeurs de quitter Rome si le pape ne cédait pas, le roi écrivit au collège des cardinaux que l'évêque de Fréjus et Jean-André Grimaldi ne lui avaient été envoyés par Sixte IV que Il pour dissimuler et nous cuider abuser[54] et qu'il allait rappeler ses ambassadeurs. Il fit aussi arrêter quelques courtisans qui étaient allés à Rome pour avoir des bénéfices. C'est ainsi qu'il écrit au chancelier d'informer sur le cas du prieur de Montclat et du curé de Lésignan arrêtés à Bourgueil, en Dauphiné, comme se rendant à Rome malgré sa défense. Le chancelier devra savoir pourquoi ils y alloient et il fera faire la justice ainsi qu'il appartiendra[55].

Le pape ne s'émut guère des mesures de rigueur prises par Louis XI, car l'évêque de Fréjus, qui avait assisté au concile d'Orléans où il prit témérairement pour Sixte IV l'engagement de remettre le différend à l'arbitrage royal, lui assura que le roi ne bougerait pas. Louis XI eut, semble-t-il, connaissance des propos tenus par le pape à ce sujet, car il écrivit à la duchesse de Milan pour protester et affirmer que le pape ne l'effrayait pas : Et au regard de ce que le pape dit que j'ay esté ung peu esmeu mai que je seray tantost rapaisé, je ne suis pas si aisé à esmouvoir qu'il dit, aussi ne suis pas à rapaiser[56]. Pourtant l'entourage du souverain pontife n'était pas trop rassuré, puisque le cardinal de Pavie écrivait que les nouveaux ambassadeurs français arrivaient avec des intentions hostiles : Certior factus suna ventre ad nos a rege oratorem multœ estimationis in Gallias et superba admodum mandata afferre.

Ces envoyés arrivèrent en 1479. Louis XI songea alors à intervenir énergiquement dans le conflit et il annonçait, en avril 1479, à Philippe de Bavière, comte palatin du Rhin, son intention fermement arrêtée d'assister les Florentins contre le pape[57]. Mais le roi se borna à agir diplomatiquement.

Il envoya à Rome la grande ambassade de 1479. Elle comprenait le sire d'Argenton Antoine de Morlhon, docteur en droit, seigneur de Castelmarin, président au parlement de Toulouse le chevalier Jean de Voisin Pierre de Caraman, écuyer Antoine de Tournus, docteur ès-lois, juge ordinaire en la sénéchaussée de Carcassonne Jean de Morlhon, avocat au parlement de Toulouse, conseiller du roi Jean Barbier, professeur ès-lois, conseiller du roi et Jean de Compans, notaire et secrétaire royal[58]. Les instructions des ambassadeurs étaient très nettes. Ils devaient demander au pape de punir les auteurs de l'attentat commis contre les Médicis et de lever les censures fulminées contre Florence. Sous prétexte d'une croisade, ils réclameront la réunion d'un concile général en France pour amener la paix entre les princes. Le pontife ne créera pas à l'avenir les sujets du roi cardinaux, sans son consentement. Il ne donnera de même aucune provision de bénéfices. Il modérera, suivant les décrets de Constance, les taxes pour l'expédition des bulles, ne réservera pas de pensions sans le consentement des possesseurs de bénéfices ou du roi, supprimera les réservations et éteindra les litiges survenus à ce sujet. Le roi demande la réunion du concile à Lyon, ville admirablement située au débouché de nombreuses provinces, ce qui évitera la famine. De plus, Lyon est une cité de grande quantité de bons logis et belles maisons. Si le pape refuse, on le menacera de séquestrer les biens des clercs de la curie[59]. Le pontife ne doit pas oublier que le roi est en même temps que le défenseur du Saint-Siège, celui de Florence. D'ailleurs, le concile luy est deu en son royaume. Si Sixte IV ne cède pas, on verra la guerre civile déchirer l'Italie et ce par la faute de Jérôme Riario et avec l'assentiment de Sa Sainteté. L'expédition contre les ennemys de la foy en sera retardée d'autant. Les ambassadeurs supplieront donc le pape, au nom du roi, toute faveur et affection arrière mises, de donner bonne trêve et abstinence de guerre pour que l'on s'emploie tous ensemble au bien et en la deffense de la foy afin que l'on puisse, avec l'aide de Dieu, mettre les choses en bonne pacification[60].

L'ambassade ne partit pas avant la fin de 1478, car différentes lettres de Louis XI à la république florentine, datées dé septembre et novembre, mentionnent encore le départ prochain des envoyés royaux[61].

Quant à Sixte IV, pour résister à tous ses ennemis, il se tournait du côté de l'empire et demandait contre Florence, Milan, Venise et la France qui le menaçaient du concile, l'appui de Frédéric III.

Deux légats pontificaux, Louis de Agnelli, protonotaire apostolique, et Antoine de Grassi, auditeur des causes du palais sacré, furent envoyés en Allemagne pour justifier la conduite du pape dans l'affaire de Florence et pour prier l'empereur de ne pas prêter l'oreille aux insinuations de Laurent, de Venise et de Louis XI, qui voulaient faire du scandale dans l'Eglise[62]. Il faut à tout prix empêcher la réunion du concile que voudrait provoquer la France. Le pape ne demande qu'à faire la paix avec Laurent, pourvu que ce soit à l'honneur de Dieu et de l'Eglise. L'empereur étant le premier des princes temporels doit défendre le Saint-Siège. Le pontife demande à Frédéric III de venir se concerter avec lui à Rome pour arracher de Florence cette pierre de scandale petra scandali qui s'y trouve. Il excite l'empereur contre Louis XI qui s'est cru supérieur à lui immemor imperialis dignitatis et majestatis quœ longe eum prœcedit. Il doit sévèrement admonester le roi qui s'arroge des droits ne lui appartenant pas qui plura sibi arrogat quœ suœ imperiali conveniunt. Enfin, Sixte IV prie ses ambassadeurs, qui furent sans doute appuyés par l'évêque de Fréjus alors en Allemagne, de demander avec habileté cum magna cautela à Frédéric III son avis sur la tenue d'un concile au Latran — il voulait riposter par un concile réuni à Rome à celui que Louis XI réclamait en France — et sur la venue de Sa Majesté impériale à cette réunion solennelle[63].

Pour faire échec au roi, le pape intervenait en outre dans les affaires intérieures du royaume. Il accordait de nombreux privilèges au duc de Bretagne. Il lui permettait, en 1478, de juger le possessoire des bénéfices bretons et déclarait que les causes bretonnes ne devaient aller en appel qu'au parlement de Bretagne ou en cour de Rome. Il décidait que les sujets bretons ne pourraient être, en vertu de quelque privilège que ce fut, tirés hors du duché pour plaider[64]. Il agréait la nomination faite par le duc de trente-deux personnes pour être préférées à toutes autres dans les bénéfices qui viendraient à vaquer en Bretagne.

Enfin, Sixte IV cherchait partout des ennemis à Louis XI. En 1479 il envoya un nonce au roi d'Espagne pour se plaindre de la conduite du roi qui avait soulevé toute l'Italie contre lui. Sa mission consistait à pousser le roi d'Espagne, à qui le pape promettait 65.000 ducats, à envahir, d'accord avec le roi des Romains, le royaume de France[65].

Louis XI, de son côté, faisait saisir le temporel de l'archevêque d'Auch, abbé de la Chaise-Dieu, et en faisait remettre l'administration et régime au cardinal de Foix[66]. Il favorisait pour l'évêché de Saint-Paul un candidat désagréable au pape qui voulait y faire nommer un de ses familiers, le protonotaire de Grignan, et le cardinal Saint-Pierre-ès-liens écrivait à du Bouchage pour le prier d'intervenir dans cette affaire[67].

Mécontent de l'attitude du pape et des réponses qu'il faisait à ses ambassadeurs, le roi convoqua en mai 1479 le concile de Lyon, qui ne fut qu'une simple assemblée des principaux prélats du royaume. Le doyen d'Angers et l'official d'Orléans furent chargés d'exposer tous les griefs de l'Eglise de France, et le roi, tout en se déclarant le fils très respectueux du Saint-Siège, prétendit faire régner l'ordre et la règle dans l'Eglise universelle. L'assemblée renouvela les principales dispositions de la Pragmatique et décida que le concile général était supérieur au pape. On y formula en outre un acte d'appel au futur concile contre tout ce que le pape pourrait entreprendre au préjudice des libertés du royaume.

Aussi la tâche des ambassadeurs de Louis XI ne fut-elle rien moins que facile. Les envoyés royaux arrivèrent à Milan le 27 décembre 1478. Le roi, qui voulait fonder dans le nord de l'Italie une ligue à sa dévotion, dominer la Savoie et la Lombardie, si longtemps favorables au Téméraire, avoir Florence et Venise pour alliées, nourrissait, dit un diplomate milanais, le dessein de provoquer, pour arriver à ce but, un schisme dans l'Eglise et il n'était pas éloigné d'une lutte ouverte avec la papauté. Il désirait que Milan, la Savoie et Venise ne laissassent passer et aller à Rome aucune personne venant d'au delà des monts. Commines était chargé d'engager tous les potentats italiens à se soustraire à l'obédience du pontife[68].

Louis XI annonça le départ de ses ambassadeurs aux Florentins, le 14 septembre 1478, en leur disant qu'ils avaient pour mission d'offrir aux deux parties l'arbitrage royal et nobis dictas questiones remittere[69].

L'ambassade arriva à Florence le 19 janvier 1479. Elle fit connaitre à Laurent les instructions du roi. Louis XI n'était pas avare de promesses. Les ambassadeurs devaient agir conformément à la volonté de Laurent et travailler pour lui comme pour le roi di fare pe suoi affari come pe miei proprii écrit Louis XI à Commines[70]. En dehors du concile, il réclamait la punition des prélats coupables et promettait, s'il était nécessaire, des troupes. Les ambassadeurs parvinrent enfin à Rome le 24 janvier 1479. Dès leur arrivée ils rendirent visite au cardinal Saint-Pierre-ès-liens qui leur déclara qu'on avait fabriqué de fausses instructions royales. Ce que voyant les envoyés du roi lui remirent les véritables instructions de leur maitre. Le pape put ainsi tout à loisir préparer ses réponses.

Sixte IV adressa les ambassadeurs français à une commission de dix cardinaux chargée de régler la question turque et florentine. Les audiences qu'on leur accorda furent nombreuses. Le 26 janvier, audience en consistoire. Le pape y déclare qu'il veut la paix. Le 27, audience solennelle le 31, audience partielle avec le cardinal Julien. Les envoyés de Louis XI firent ensuite des visites particulières aux cardinaux. Le 5 février, nouvelle audience où fut réglée l'affaire de l'évêque de Fréjus. Le 15, le pape, en consistoire, s'appuya sur les ambassadeurs autrichiens pour refuser tout accommodement. Les ambassadeurs royaux s'entendirent alors avec ceux de la Ligue pour poser un ultimatum au pape. Il lui fut remis le 25 mars et Sixte IV le repoussa. Le 14 avril, jour de Pâques, malgré des supplications que l'on réitéra le 22 et le 28, même refus. Le 19 mai, le pontife accorda la liberté à Gènes en dépit des protestations des envoyés français. Le 20 mai, nouvelle audience accordée aux ambassadeurs du roi, de la Ligue, de l'Angleterre. Le 2 juin, enfin, les négociateurs de Louis XI prirent congé du pape[71].

Dès la première audience, les envoyés français attribuèrent à leur maître une autorité quasi-sacerdotale. De même — dit Morlhon — que la personne de Votre Sainteté est mixte, c'est-à-dire à la fois divine et humaine, on peut dire que la personne du roi très chrétien est également mixte, c'est-à-dire temporelle et ecclésiastique. En effet, il est oint de l'huile sainte et il a le don des miracles, il confère de plein droit les abbayes et les prébendes de plusieurs églises ainsi que les bénéfices de celles qui sont en régale, il connaît des cas ecclésiastiques qui en dépendent. Comme il en a la juridiction, tous ses juges sont en partie ecclésiastiques, en partie laïcs[72]. Ils prêtèrent ensuite l'obéissance filiale au nom du roi. Ils déclarèrent qu'on voulait enlever à leur maître l'alliance des Florentins, lui ôter l'hommage de Gênes et de Savone dont le pape soutint si bien la rébellion[73] qu'il reçut en mai leur obédience. Le roi s'en plaignit très amèrement et demanda que l'on effaçât des articles de paix celui où il était stipulé qu'aucun prince d'Italie ou aucun roi ne pourrait les inquiéter dans leur liberté reconnue par le saint père.

Sixte IV répondit qu'il avait été calomnié. Il déplore que le roi se soit fait l'avocat des Florentins. Il est prêt à faire la paix, mais à des conditions honorables pour le Saint-Siège et pourvu que Florence commence par se soumettre. Il ne craint rien, car il a pour lui, outre son bon droit, l'empereur et le roi des Romains[74]. Les menaces de Louis XI ne l'émeuvent pas, Laurent devra s'humilier. Le concile ne l'effraie pas davantage. Les rois ne peuvent présider ces sortes d'assemblées. De plus, on ne peut les convoquer que pour trois motifs particuliers pour supprimer l'hérésie — or il n'yen a pas en ce moment —, pour amener la paix entre les princes, pour la réforme des mœurs, ce qui est inutile. Quant au rétablissement de la Pragmatique, Sixte IV pense que le roi ne s'y résoudra point. Il y va de l'honneur et de la conscience de Sa Majesté. Si la Pragmatique était juste, pourquoi le roi l'a-t-il abolie, si elle est injuste, pourquoi la remettre en vigueur ?

Ce serait pour Louis XI inutilement souiller sa gloire tam grandem maculam velit inferri gloriœ suœ. Enfin, le roi n'a pas le droit de rappeler les prélats qui sont à Rome[75]. Le 9 février, le pape indiqua les conditions auxquelles il ferait la paix avec Florence humiliation de la république qui demandera pardon et absolution, fondation d'une messe solennelle pour le repos des âmes des ecclésiastiques tués, effacement des injurieuses peintures exécutées au Palais par Boticelli, engagement de ne plus attaquer les Etats de l'Eglise, indemnité pécuniaire ou restitution de Borgo san Sepolcro[76].

Les envoyés du roi promirent de forcer Laurent et la République à souscrire à ces conditions, pourvu que le pape acceptât l'arbitrage royal. Sixte IV, soutenu par l'empereur et Maximilien, refusa net. Il exigea que Laurent et dix notables florentins accompagnés des prieurs et des gonfaloniers vinssent s'humilier devant lui. Désavouant l'évêque de Fréjus, le pontife déclara qu'en outre de la punition que Laurent devait subir, la triple alliance ne devrait plus désormais se mêler des affaires de l'Eglise. L'évêque de Fréjus dont les ambassadeurs invoquèrent alors le témoignage s'était engagé dans sa mission de France à faire demander par le pape l'arbitrage royal[77].

Il déclara, quoique le pape voulût le forcer à se rétracter, que le pontife lui avait dit qu'il désirait la paix. Le pape, furieux, le priva de son office de référendaire et l'exila. Louis XI sentant alors que Laurent devrait tôt ou tard céder, le poussa à se rendre à Rome pour faire des excuses au Saint-Père.

La séance du 26 mars fut des plus orageuses. La ligue menaça de rappeler ses ambassadeurs si le pape — qui refusa en levant la séance — ne consentait pas à signer un armistice et à lever les censures portées contre Florence. Pourtant Sixte IV voulut bien, le 22 avril, examiner attentivement les demandes de la ligue. Celle-ci le menaça, le 22 mai, de faire retirer sous huit jours tous ses ambassadeurs. Le 3i mai, lors de la discussion au sujet du concile général réclamé par les Vénitiens et les Français, Sixte IV, pour éviter de répondre catégoriquement, leva brusquement la séance en déclarant qu'il était trop tard perche èra circa a hore una di notte[78].

Pour amener enfin le pontife à lever les censures et à accorder une suspension d'armes, les ambassadeurs le menacèrent du retrait de l'obédience, de la réunion d'un concile à Lyon et d'une intervention militaire. Sixte IV céda alors mais seulement à la persuasion des députés de l'empereur et de Maximilien dont l'autorité a toujours et aura toujours à juste titre une très grande influence sur ce Saint-Siège[79]. Louis XI fit en même temps intervenir le roi d'Angleterre dans le conflit et celui-ci envoya au pape le docteur Boffille de Juge, qui reçut mission d'agir de concert avec les ambassadeurs français. Le roi le fit accompagner par Toustain qui protesta violemment quand Sixte IV eut accordé la liberté à Gènes et donné l'investiture au duc Campofregoso.

Le pontife voulut bien, le 31 mai, s'en remettre à l'arbitrage de la France et de l'Angleterre assistées d'un légat a latere et, si l'on n'arrivait à aucun résultat, à celui de l'empereur et de Maximilien.

Dans une lettre à Bonne de Savoie, Louis XI déclara qu'il n'accepterait le compromis proposé par le pape qu'à trois conditions levée des censures, retrait des troupes pontificales, reddition mutuelle des conquêtes[80].

Les ambassadeurs partirent, sans être ainsi arrivés à un résultat sérieux, le 2 juin, jour où le pape expédia un légat en France et en Angleterre. De retour à Florence, ils firent de grandes promesses à Laurent, sans oublier leurs propres intérêts, car ils lui réclamèrent quelque récompense qualche renumeratione della faticha loro[81]. Laurent, qui les déclara dupes ou menteurs, les acheta pourtant pour qu'ils fissexit un rapport favorable au roi.

Le pape envoya au roi Raphaël Ballarino, que Louis XI reçut très mal, comme d'ailleurs Morlhon qu'il traita de fou pour avoir accepté le compromis proposé par le pape la suppression des censures jusqu'à la sentence d'arbitrage. Cet arbitrage, il ne l'accepta qu'à la condition qu'il fût demandé par le pontife. Mais le légat de Sixte IV esquiva la demande. Le roi se vit d'ailleurs dupé par le pape qui, à la nouvelle de Guinegate, se refusa à accepter les conditions exposées dans la lettre à Bonne de Savoie. Ce fut le 11 août que Sixte IV repoussa le compromis royal.

Il envoya sa réponse à Louis XI par Jean-Baptiste de Imola, que le roi reçut plus mal encore que le précédent messager pontifical. Le roi de France ne s'occupa plus alors qu'à rendre honorable la défaite de Laurent. Il expédia en Italie Jean Palmier, en apparence pour faire accepter son compromis, mais en réalité pour réconcilier la ligue et surtout Florence avec Naples et arriver ainsi à faire céder Sixte IV[82].

Laurent tenta pourtant, à la fin de 1479, un effort désespéré auprès du roi, déclarant par la bouche de son ambassadeur qu'il n'attendait plus son salut que de lui : Mosterroli ancora e pericoli nostri et dache importantia sono a colisto stato et il remédie che è nelle mani sue[83].

Malgré les prières du roi et de l'empereur, Sixte IV ayant renouvelé, le 15 août, les censures déjà portées contre les Florentins qu'il déclara à nouveau, pour avoir envahi les campagnes de Pérouse, excommuniés et interdits[84], Laurent comprit qu'il lui fallait passer sous les Fourches Caudines. Il entra en négociations avec Ferrand qui, pour complaire à Louis XI et pour faciliter la conclusion de la paix, lui fit déclarer par Palmier qu'il pouvait lui envoyer un ambassadeur pour traiter (21 novembre 1479)[85].

Ainsi donc, malgré l'échec partiel du roi, dû en partie à ce fait qu'au milieu de 1479, Louis XI dut cesser de se préoccuper activement des affaires italiennes pour faire face à Maximilien qui recommençait la guerre contre lui, l'influence française ne s'en était pas moins accrue en Italie. Tous les Etats italiens se voyaient, par suite de la force de la France, obligés de s'humilier devant elle et de la prendre comme arbitre dans leurs querelles intestines. L'Italie était moralement soumise à Louis XI qui est, en somme, à ce moment le véritable maitre de la péninsule[86].

Quoique n'ayant pas réussi à faire céder le pape, ce qu'il eût pu obtenir s'il l'avait voulu en usant de la force, Louis XI avait rendue sensible à tous l'éclatante supériorité de la France. Il montra par sa diplomatie souvent cauteleuse qu'il était, bien plus encore que l'empereur, vraiment le premier roi de la chrétienté.

L'affaire des Pazzi eut pour résultat de faire de Louis XI l'arbitre incontesté de l'Italie. Il s'est substitué dans ce rôle au souverain pontife.

Il montra ainsi à Sixte IV qu'il n'avait pas oublié lea leçons de Pie II et que le reclus de Plessis-lès-Tours valait bien comme diplomate l'orgueilleux souverain de Rome.

 

 

 



[1] Cf. pour plus de détails Fabronius, Politien, Desjardins, Lebey.

[2] Desjardins. oc, I, 169. Delaborde. oc, 109.

[3] Riario Raphael Galeotto, né à Savone en 1451, mort à Naples en 1521. Cardinal diacre de Saint-Laurent in Damaso en 1477. Prend part en 1478 au complot des Pazzi. Il mène sous Alexandre VI une vie retirée dans son évêché de Tréguier et revient à Rome sous Pie III. Il eut aussi les évêchés de Porto et d'Ostie. Il fut parmi les cardinaux qui tentèrent de renverser Léon X.

[4] Delaborde. oc, 112.

[5] Cipolla. oc, II, 579.

[6] Fabronius. Adnotationes, 121.

[7] Fabronius. Adnotationes, 115.

[8] Desjardins. oc, 173.

[9] Fabronius. Adnotationes, 136.

[10] Reumont. oc, I, 441.

[11] Fabronius. Adnotationes, 167.

[12] A. du Vatican. Sixti IV Arm XXXIX, n° 10, f° 230.

[13] Fabronius. Adn., 133.

[14] Delaborde. oc, 111.

[15] Delaborde. oc, 134.

[16] Buser. oc. Documente, 472.

[17] Dupuy. Mss 751, 159. Legrand. Pièces hist., XXVI, 189 (5 août 1478).

[18] Desjardins. oc, 171. Lettres. VII, 60.

[19] Legrand. Histoire, III, 353.

[20] Desjardins. oc, 171. Fabronius, Adn 119.

[21] Firenze. A. di Stato. Della Medicea. 12 juillet 1478.

[22] Milan. A. di Stato. Potenze estere : Francia. Corrispondenza Luigi XI. Galleazo a Luigi XI. 25 août 1418.

[23] Firenze. A. di Stato. Registro di lettere dal 1477 at 1484. Signori Missive. Minutari I. Cancellaria n° 11. Carte 60.

[24] Fabronius. Adn., 130.

[25] Perret., art. cité, 134-5. — Lettres, VII, 9, 51.

[26] Firenze. A. di Stato. Registro di lettere esterne dal 1475 al 1490, p. 55 (24 août 1478).

[27] Kervyn de Lettenhove. oc, 172 et sq.

[28] Jacobi Papiensis. Epistolæ, 477. A. du Vatican. Arm. XI, n° 52, f° 46b.

[29] Lettres, VII, 137-8. Chartres, 10 août 1478.

[30] Perret. oc, passim.

[31] Lettres, VI, 286.

[32] Lettres, VI, 322.

[33] Legrand. Histoire, III, 286.

[34] A. du Vatican. Sixti IV. Arm. XXXIX, n° 10, f° 123. (28 février 1478.)

[35] Dom Lobineau. oc, III, 871. Pithou. Traité, 293. Barante, oc, VII, 385. Jean le Boulanger, premier président au Parlement et Denis Hesselin, maître de l'hôtel du roi, furent chargés avec Olivier le Daim de l'expulsion de Fradin. On composa à ce sujet les vers suivants qui eurent un grand succès à Paris

Un puissant noble Boulanger,

Un Hesselin et un barbier

Ont mis hors le bon cordelier.

[36] Legrand. Pièces hist., XXVII, 296 (7 janvier 1478).

[37] Lettres, VII, 147.

[38] De la Roque, oc, I, 455. Legrand. Pièces hist., XXVII, 573.

[39] Jean de Roye. oc, II, 37.

[40] A. du Vatican. Fondo Borghese. Série I, n° 34, f° 217.

[41] Dantier. II, 172.

[42] Ordonnances. XVIII, 425. — Pithou. Preuves, I, p. II, 202.

[43] Pithou. Traité, I, 101.

[44] Pithou. Traité, I, 149.

[45] Rey. oc, 199.

[46] Lettres, VII, 131, 140.

[47] Lettres, VII, 180, 181.

[48] Lettres, VII, 152.

[49] Buser. Documente, 486.

[50] Buser. Documente, 482.

[51] Firenze. A. di Stato. Mediceo Innanzi il principato.

[52] Buser. Documente, 484.

[53] Firenze. A. di Stato. Dieci di Balia. Missive. Registri n° 9. Carte 146. Lettere da dicembre a marzo 1478.

[54] Lettres, VII, 191.

[55] Lettres, VII, 213.

[56] Lettres, VII, 150.

[57] Legrand. Pièces hist., XXVIII, 379 (18 avril 1479).

[58] Mss. français, 3880.

[59] Mss. français, 3880.

[60] Desjardins, oc, 150.

[61] Desjardins. oc, 173-4.

[62] A. du Vatican. Nunziature diverse. Bibla Pio. T. 237, f° 125. — Fonda Borghese. Série I, n° 34, f° 121 4.

[63] A. du Vatican. Nunziature diverse. Bibla Pio. T. 237, f° 147.

[64] Dom Lobineau. H. de Bretagne, I, 733.

[65] A. du Vatican. Nunziature diverse. Ba Pio. Tome 237, f° 181.

[66] Legrand. Pièces hist., XXVII, 565.

[67] Legrand. Pièces hist., XXVII, 459 (5 août 1479).

[68] Kervyn de Lettenhove. oc, 170.

[69] Lettres, VII, 165.

[70] Lettres, VII, 161.

[71] Legrand. Pièces hist., XXVII, 1289.

[72] Delaborde. oc, 126.

[73] Legrand. Hist., III, 403.

[74] A. du Vatican. Nunziature diverse. Ba Pio. T. 237, f° 133, 137. Fondo Borghese. Série I, n° 806, f° 277.

[75] A. du Vatican. Nunziature diverse. Ba Pio. T. 237, f° 45b.

[76] Firenze. A. di Stato. Dieci di Balia. (9 février 1479.)

[77] Lettres, VII, 174, 177, 179.

[78] Buser. Documente, 487.

[79] Delaborde. oc, 130.

[80] Buser. Documente, 488.

[81] Buser. Documente, 487.

[82] Perret, oc, passim. Lettres ; VII, 168, 172.

[83] Buser. Documente, 490.

[84] A. du Vatican. Sixti IV. Arm. XXXV, n° 8, f° 443b. (Rome, 16 k. septembre 1479.)

[85] Buser. Documente, 496.

[86] Buser. oc. 187.