LOUIS XI ET LE SAINT-SIÈGE

1461-1483

 

CHAPITRE III. — LA POLITIQUE DE SOUMISSION - 1465-1468.

 

 

Les réformes précipitées accomplies par Louis XI n'aboutirent qu'à un résultat, tourner tout le monde contre lui. L'Eglise fort mécontente entra dans le Bien public. Le roi, qui s'était passé du pape, des évêques, des chapitres, qui avait saisi le nonce et mis sous séquestre tous les biens des cardinaux, eut naturellement le clergé entier contre lui et tout ce qui tenait à l'Eglise, tout ce que le clergé confessait, dirigeait[1].

Il semble bien que l'Eglise joua dans la formation de la ligue le rôle prépondérant. Elle fut le trait d'union entre les conjurés. On a remarqué comme une chose singulière, dit dom Lobineau[2], que Notre-Dame de Paris servit de rendez-vous aux agents des chefs de la conspiration pour recevoir par écrit les serments des gentilshommes.

Les promoteurs de la révolte se gardèrent de dédaigner un tel concours. Le duc de Berry dans son manifeste de Bourges[3] dit que les ligueurs prennent les armes en faveur des gens d'église opprimés, molestés et désapointés de leurs états et bénéfices. Dans une lettre datée de Fougères il déclare que l'on veut surtout conserver l'autorité de l'Eglise[4].

Le rôle du clergé dans cette nouvelle Praguerie fut donc considérable. Nous n'en voulons pour preuve que la conduite singulièrement suspecte du patriarche de Jérusalem, Louis d'Harcourt, évêque de Bayeux, qui déclara aux envoyés du duc de Nemours que l'on pourrait facilement s'emparer du roi[5]. Durant la guerre, de concert avec Jean Hébert, seigneur d'Orsonville, conseiller du roi et général des finances et la grande seneschalle de Normandie Jeanne Grespin[6], il ouvrit, dans la nuit du 27 au 28 septembre 1465, le château de Rouen au duc de Bourbon. Toutes les places de la Basse-Normandie se rendirent alors aux ligueurs, notamment Lisieux dont l'évêque Basin se prononça ouvertement en faveur de la coalition, ce que ne lui pardonna jamais Louis XI[7]. Ainsi trahi, le roi fut obligé de traiter. Les ligueurs firent plus encore. Ils s'adressèrent au pape, lui demandant de les délier de leur serment de fidélité au roi[8]. Louis XI se vit alors dans une situation assez critique. Craignant que le pape n'autorisât par rancune la ligue, il lui écrivit que ses ennemis étaient en même temps ceux du Saint-Siège, que les princes et les seigneurs désiraient par dessus tout le rétablissement de la Pragmatique, des élections et qu'ils voulaient à leur gré disposer des bénéfices[9]. En réalité, il ne se trompait pas. Le Bien public fut, au point de vue religieux, une tentative nouvelle du clergé pour se débarrasser une fois encore de la tutelle royale et pontificale.

Dans cette passe difficile, le roi fit appel à ses bons amis d'Italie. Il pria Pierre de Médicis, qu'il autorisa à ajouter à ses armes les fleurs de lys[10], d'intervenir auprès du souverain pontife pour qu'il n'accordât pas l'autorisation que demandait sa noblesse. Il se réconcilia avec Naples, demandant aussi à Ferrand de peser sur le pape et l'assurant qu'il n'entreprendrait plus rien contre lui, le duc de Calabre s'étant, sans souci des services rendus, joint ses ennemis.

De même, il fit entendre à Francesco que le duc d'Orléans n'était entré dans la ligue que pour essayer de reprendre Gênes et Asti[11]. Sforza en fut si bien persuadé qu'il envoya une expédition militaire au secours de Louis XI[12]. Bien plus, il fit agir son ambassadeur à Rome et tenta de rendre Paul II favorable au roi. Otho de Carreto mentionne, dans sa dépêche du 5 septembre 1465, l'arrivée des ambassadeurs bourguignons, l'évêque de Tournai et maître Guido Brunori, conseillers du duc, que Sforza a déjà vus à Milan où il les a reçus avec grand honneur haveti acarezzati et honorati. Ils viennent intriguer contre le roi cerchariano qualche contra la Mta del serenmo Sigre Re de Franza. Il a conseillé au pape de ne pas se mêler de la querelle et il a pris auprès de lui avec chaleur la défense du roi contre ses vassaux rebelles. Il a, à ce sujet, raisonné le pape pendant très longtemps in verita per spatio de meza hora[13].

Le pape n'accorda pas l'autorisation sollicitée, mais il n'intervint pas non plus en faveur du roi. Il répondit gracieusement à sa lettre et lui envoya pour lui et la reine des Agnus Dei[14]. Louis XI, pour essayer malgré tout de se le rendre favorable, lui dépêcha une ambassade à la tête de laquelle se trouvait Pierre Gruel, premier président du parlement de Dauphiné. Il devait demander au pape de renouveler les anciennes bulles d'excommunication contre les sujets qui s'armaient contre leur prince. L'ambassadeur royal avait aussi pour mission de prier le pape de ne pas accorder la légation d'Avignon à Alain d'Albret qui, au dire du roi, entretenait la rébellion[15]. Pierre Gruel prit semble-t-il ses instructions trop à la lettre. Il invita le pape à montrer plus de retenue dans ses entreprises avec un ton si cassant que Louis XI fut obligé de le désavouer. Aussi n'obtint-il rien. La cour de Rome n'ayant plus rien à espérer du roi, ne se piquait pas de reconnaissance envers un prince qui accédait si facilement à ses désirs.

Après la mort de Pierre de Foix, survenue le 17 décembre 1464, le roi avait proposé comme légat le neveu du défunt, Pierre de Foix[16], que le pape refusa d'accepter. Le roi demanda alors l'archevêque d'Auch, Jean de Lescun, et envoya à Rome pour traiter cette affaire particulière l'un de ses secrétaires, Jean de Reilhac, dont l'ambassade dura du 13 août 1464 au 13 mars 1460 et qui fut en outre chargé de représenter Louis XI à l'installation du nouveau pontife[17]. C'est sans doute à cette ambassade que fait allusion l'archevêque de Milan quand il écrit au duc (17 octobre 1464)[18] qu'il ne pense pas que Louis XI obtienne que le légat soit nommé suivant sa proposition, ni que le pape lui accorde la nomination de celui qu'il présente. Paul II avait peut-être songé à nommer à Avignon Alain de Coetivy, cardinal du titre de Sainte-Praxède. Mais ce prélat fougueux, violent, ambitieux et intrigant, aurait indisposé le roi. Nous en avons la preuve par l'ambassade Gruel. De plus, l'ambassadeur à Rome, Agostino de Rossi, nous apprend que le souverain pontife, malgré les instances réitérées des ambassadeurs avignonnais pour faire donner la légation au cardinal, s'y montra définitivement défavorable[19]. Il répondit aux ambassadeurs qu'il leur ferait volontiers plaisir, car il aimait beaucoup Avignon quella terra et li cittadini de epsa, mais qu'il doutait que cette nomination fût du goût du roi. Le pape ne veut pas le contrarier, car il a toujours favorisé les Avignonnais. Aussi, dit Agostino, le cardinal restera sans espérance cardinale restarne senza speranza. On dit qu'il veut quand même — ajoute-t-il — et ceci montre bien le caractère bouillant de ce prélat, rejoindre son évêché d'Avignon, quoiqu'il ne soit point légat Mais l'ambassadeur milanais croit qu'il ne partira pas. Le pape ne veut pas créer des embarras au roi dans la crise difficile qu'il traverse.

Ces prédictions se réalisèrent. Paul Il évita le conflit en nommant un légat intérimaire, Constantin de Hérulis, évêque de Narni, déjà recteur du Comtat[20], se montrant ainsi un habile politique tout en laissant au roi l'espoir de lui donner bientôt satisfaction.

Après l'échec de Gruel, le roi songea à déléguer à Rome le cardinal d'Albi. Jouffroy se déroba. Les instructions rédigées pour le cardinal furent alors transmises à d'autres ambassadeurs qui, très probablement, n'allèrent pas à Rome[21]. Ils devaient se plaindre des conflits de juridiction, de l'évacuation des pécunes, demander, au nom du roi, Avignon, soit pour l'archevêque d'Auch, soit pour celui d'Albi, soit enfin pour un prélat italien probe et honnête à qui on pût se confier, réclamer, en un mot, un remède pour l'avenir et quelque satisfaction pour le passé. Le roi présentait l'abolition de la Pragmatique comme la principale cause du Bien public et il priait le souverain pontife de tenir compte de ses préférences pour la nomination des évêques expectare dignetur regias preces, car il est souvent en butte à la trahison de ces évêques. La conduite du patriarche le prouve surabondamment.

Louis XI se vit, en effet, obligé de céder à la coalition féodale. Il dut, par le traité de Rouen (octobre 1465), abandonner à François II la régale des évêchés bretons[22]. Par lettres patentes enregistrées au Parlement (30 novembre 1465), le roi cassa la sentence du duc du Maine. Il déclara que la régale des évêchés vacants, la garde des églises, le serment de fidélité des évêques appartenaient bien au duc[23].

Par lettres spéciales datées de Caen (décembre 1466), il renonça de nouveau d'une façon entière et complète à la régale et à ses droits sur l'Eglise bretonne[24]. Cette renonciation fut aussi inscrite dans le traité de Conflans (5 oct. 1465)[25]. Quant au duc de Calabre, il était entré dans le Bien public, mécontent de l'attitude prise par le roi dans la question de Sicile. Pourtant Louis XI, pour se l'attacher, avait fiancé sa fille Anne avec le duc de Pont et lui avait donné une dot de 100.000 écus d'or, dont Jean avait déjà touché tout ou partie, puisqu'il en avait donné un reçu. Mais le duc qui avait lutté pour le roi à Gènes, avait été très froissé par l'abandon de Louis XL Il déclara que la perte du royaume napolitain était due à la politique peu énergique du roi et de dépit il se jeta dans la ligue. Le roi avait essayé de l'en détourner. Il lui avait fait écrire une lettre de semonce[26] par son père, René d'Anjou, et l'évêque de Verdun avait été chargé de lui reprocher sa conduite[27]. Rien n'y fit. Victorieux avec la ligue, le duc de Lorraine força, par le traité de Saint-Maur, Louis XI à renoncer à l'alliance de Ferrand[28]. Les traités de Conflans et de Saint-Maur stipulèrent enfin le rétablissement de la Pragmatique.

Le Parlement s'empressa — très vraisemblablement à l'instigation du roi — de refuser l'enregistrement de ces traités. Il déclara, à propos des lettres de don faites au comte de Charolais qui lui furent présentées, que le roi n'agissait ainsi que par contrainte et par force, car le roi étant en liberté, le tout ferait révoquer[29]. Louis XI en profita pour casser ces traités. Mais il ne se crut pas suffisamment fort pour rompre les engagements pris avec François II au sujet de la régale. En juillet 1466, à la requête du même duc, il consentit à donner l'absolution au personnage qui l'avait trahi au moment critique, au patriarche[30]. De plus, par un nouvel acte, il confirma ses précédentes concessions et reconnut que les droits du duc étaient bien fondés. Cette déclaration fut faite librement et sur l'avis des princes et du conseil du roi[31]. Il est vrai que, en fin diplomate, le roi avait pris ses précautions et essayé de rendre nulles les concessions faites à François II, en donnant, sa vie durant, à la Sainte-Chapelle de Paris, le droit de régale sur tous les évêchés du royaume[32].

Quant au Saint-Père, dont l'attitude pendant la ligue avait été expectante, mais qui parait pourtant avoir été plutôt favorable au parti bourguignon[33], quoique Agostino de Rossi écrive à Milan, en mai 1465, que le pape ne veut pas se mêler aux conspirations contre le roi et qu'il veut avant tout rester libre[34], il vit bientôt que le roi n'avait pas été dupe de cette politique cauteleuse. Louis XI recommença sa petite guerre habituelle contre la papauté. Il fit déclarer que le serment d'obédience ne l'engageait qu'envers Pie II et que depuis sa mort il n'était plus lié. Il menaça à nouveau le souverain pontife d'un synode national[35]. De plus, approuvant son Parlement, il interdit toute sorte de commerce avec la cour de Rome[36].

En outre, il se faisait — vraisemblablement en 1465 —semoncer par l'un des chefs de l'opposition, Basin, qui lui adressait un opuscule intitulé : Advis de Mgr de Lysieux au roi mon souverain seigneur. Ce mémoire, qui ne servit sans doute qu'à couvrir la défection de l'évêque lors du Bien public, n'est, à part quelques points, que la reproduction des remontrances que le roi eut à subir vers la même époque de la part de son Parlement. Le morceau le plus saillant est celui où l'évêque propose, puisque Louis XI trouve le titre de Pragmatique Sanction trop violent, de le changer en celui de Liberté de l'Eglise gallicane, ou Loy ecclésiastique, ou Décret ou Edit du Roy.

Le roi peut oser cette substitution, puisqu'il a, dit fort ironiquement l'évêque, aujourd'hui l'expérience qu'il ne possédait pas encore au début de son règne. On pourrait, dit en outre Basin, assembler l'Eglise du royaume après cest hyver pour discuter sur toutes les réformes à opérer afin de maintenir les droits et libertés de l'Eglise gallicane. Quant à la convention avec Pie II, elle était essentiellement personnelle. Pie II vient de mourir, on peut donc revenir là-dessus. Tout y autorise le roi[37].

Bien plus, Louis XI se faisait, en septembre 1466, semoncer à nouveau par quelques seigneurs, deux ecclésiastiques et plusieurs officiers nommés par lui, pour le fait de l'Eglise de son royaume et pour mettre ordre aux sommes immenses qui se tirent à Rome de ce royaume[38]. Cette commission, réunie pour réformer le royaume tant au spirituel qu'au temporel, après avoir vu les lois, décrets et saints canons, déclara que les élections devaient revenir — sans que Rome eût à s'en mêler — aux ordinaires. Elle fit un compte extrêmement minutieux de l'argent qui partait à Rome sous tous les prétextes, ce qui amenait la dépopulation de l'or du royaume, et décida que le roi devait faire cesser tous ces abus.

Aussi voyons-nous Louis XI, sans aucun souci de ses engagements avec le Saint-Siège, recommander directement aux chapitres ses candidats aux bénéfices ecclésiastiques[39]. Il demande à l'archevêque d'Auch de confirmer l'élection faite par le chapitre de Hugues d'Espagne comme évêque de Comminges, quoique le pape ne l'ait point choisi[40]. Il réitère cette invitation un an après pour bien marquer sa volonté[41]. Il n'hésite pas à envoyer des ambassadeurs au pape lui-même pour que l'un de ses ennemis soit écarté de l'évêché d'Embrun[42]. Enfin, il fait saisir pour la seconde fois les revenus du cardinal de Coutances (septembre 1466), malgré une lettre du pape lui recommandant son légat et l'assurant qu'on l'avait trompé par de faux rapports et qu'il n'avait pas de meilleur serviteur[43]. Il soutint le comte du Maine qui prétendait avoir la garde des églises de fondation royale lorsqu'elles étaient vacantes. Le comte appuya fortement les religieux de l'abbaye de la Couture du Mans, lorsque après la mort de leur abbé, ils élurent, pour le remplacer, un des leurs, quoique l'évêque de Thessalonique se fût fait pourvoir par la cour de Rome. Le souverain pontife parvint à faire céder les religieux, mais l'intervention royale n'en fut pas moins nettement visible dans cette circonstance[44]. Bien plus, Louis XI envoyait à Paul II (juillet 1466) l'évêque de Cahors, Antoine Allemand, pour lui signifier de s'opposer aux tentatives faites sur les Marches par un condottiere poussé par Venise, ce qui pouvait être préjudiciable à Galéas Sforza[45]. Il écrivait dans le même sens au cardinal Guillaume d'Estouteville[46].

Le pape fut fort mécontent de cette politique. Il déclara — c'est le cardinal de Gonzague qui l'écrit à son père — que si Louis XI persistait dans cette attitude il jetterait l'interdit sur la France sia tuto il reamo interdicto[47]. Mais le roi ne conserva pas longtemps cette menaçante attitude le rétablissement de fait de la Pragmatique lui avait de nouveau ôté tout pouvoir sur l'Eglise et Louis XI, pour ressaisir l'autorité qu'il avait perdue, se décida à prêter au souverain pontife l'obédience qu'il lui avait jusqu'alors refusée.

Le roi envoya au pontife, pour prêter ce serment, une ambassade à la tête de laquelle se trouvait l'archevêque de Lyon, Charles de Bourbon. Elle comprenait aussi l'évêque du Mans, Thibaud de Luxembourg, frère du comte de Saint-Pol[48], et l'archevêque de Rennes[49]. Louis XI recommanda chaudement au duc de Milan ses ambassadeurs qui allaient à Rome pour faire à nostre dit Saint-Père la révérence et lui rendre l'obéissance que nous sommes tenus de faire à lui et au Saint-Siège apostolique[50]. L'ambassade était précédée par le cardinal d'Albi. L'ambassadeur milanais, Agostino de Rossi, qui en informe le duc, déclare que le pape est dans de très bonnes dispositions vis-à-vis du roi[51].

Les ambassadeurs partirent dans le courant d'octobre 1466. Ils n'étaient pas encore à Rome vers le milieu de décembre[52]. Ils emportaient des instructions très précises. Elles comprenaient cinq points principaux[53]. Louis XI rappelle qu'il a toujours, depuis sa jeunesse, vénéré le Saint-Siège et qu'il a gémi quand son père ne s'est pas bien comporté envers lui. Cette vénération, il l'a bien montrée lorsque, malgré tous, il a aboli la Pragmatique. Il la montre encore maintenant en envoyant son obédience au pape et en révoquant certains édits et prohibitions portés contre le Saint-Siège. Il recommande le duc de Milan à Paul II. Enfin il demande au pontife, en retour des services qu'il rend ainsi à l'Eglise, de lui accorder le droit de pourvoir à 25 sièges ecclésiastiques du royaume. Les envoyés royaux devaient aussi laisser entendre que les ordonnances révoquées avaient été prises sur l'initiative du patriarche de Jérusalem, que Louis XI essaie de la sorte de perdre dans l'esprit de Paul II. Le roi sollicitait en outre pour l'Université et pour diverses facultés la meilleure disposition des bénéfices qu'il serait possible d'obtenir. La demande la plus intéressante de Louis XI est celle qui a trait à la provision des évêchés. Nous voyons le roi esquisser là la politique qu'il tentera de faire triompher, en 1472, par le concordat d'Amboise. Il veut partager avec le pape l'autorité sur l'Eglise, comptant bien installer partout des prélats entièrement à sa dévotion. Il montre qu'il comprend l'importance capitale de cet instrument de gouvernement qu'est l'Eglise. Il veut l'avoir à sa disposition.

L'obédience fut vraisemblablement prêtée à Paul II par l'archevêque de Lyon et les grands qui l'accompagnaient au début de 1467. Elle ne fut pas, semble-t-il, plénière. Elle ne fut que filiale. Les envoyés discutèrent avec le souverain pontife sur les questions importantes en litige, notamment sur la façon dont le pouvoir pontifical devait s'exercer en France pour la collation des églises cathédrales, des monastères et autres bénéfices et sur le fait des expectatives et des réserves[54].

Paul II accepta l'obédience et écouta les propositions royales. Il n'y répondit que par d'assez vagues promesses. Il annonça au roi l'envoi de l'archevêque de Milan pour régler toutes les questions pendantes, mais bientôt se ravisant, il délégua auprès de Louis XI l'homme qui était persona grata à la cour de France, le cardinal d'Albi. Il lui adjoignit l'évêque d'Angers, Jean Balue, qui allait, en 1467, jouer absolument le même rôle que Jouffroy en 1461, poussé d'ailleurs par une ambition semblable l'espoir de la pourpre.

Nous ne voulons point ici refaire l'histoire de cet autre ambitieux, Jean Balue, qui, comme Jouffroy, se hissa au premier rang par l'intrigue[55]. Ce personnage, d'intime naissance, se proposa pour modèle le cardinal d'Albi. Il parvint, grâce à la protection du patriarche d'Antioche, à l'évêché de Poitiers, puis il s'insinua dans les bonnes grâces de l'évêque d'Angers, Jean de Beauvau, qu'il parvint à déposséder de son siège. Il obtint l'amitié de Louis XI, étant conseiller au Parlement de Paris, ce qui lui valut l'appui du roi lors du procès qu'il soutint contre l'évêque[56].

Balue, malgré ses mœurs plus que légères, dit-on, fit interdire excommunier, dépouiller et enfin enfermer son bienfaiteur à la Chaise-Dieu. Le roi, par lettres de cachet, défendit au Parlement de connaître de cette affaire, malgré les appels de Beauvau au pape qui le condamna sans l'ouïr[57].

Balue ne désirait pas seulement l'épiscopat. il voulait aussi le chapeau. C'est lui qui, dans cet espoir, poussa le roi à reprendre les négociations avec Paul II. Il représentait Louis XI à Rome en ce moment et il avait été chargé de traiter les questions relatives à l'abrogation de la Pragmatique[58]. Aussi Paul II — imitant la politique suivie en 1461 par Pie II — n'hésita-t-il pas à l'adjoindre au cardinal d'Albi. Jouffroy avait d'ailleurs en poche la bulle de promotion de l'évêque d'Angers au cardinalat qu'il devait sans nul doute exhiber après la réalisation des vœux du Saint-Père. Stimulé de la sorte, Balue fit de multiples efforts pour parvenir au but. Le roi, qui se trouvait à Tours[59], accorda au légat de nouvelles lettres d'abolition et Jouffroy les donna à Balue pour les faire enregistrer au Parlement, Il lui remit en même temps la bulle d'abolition de Pie II[60]. L'évêque d'Angers les porta au Châtelet où elles furent lues et publiées sans difficultés. Mais quand il se présenta, le 1er octobre 1467, devant le Parlement, il n'en fut pas de même. Quoique Balue, qui craignait les résistances des parlementaires, eût choisi, à cause des nombreuses absences qui se produisaient alors, l'époque des vacations, il rencontra une opposition très nette, celle du procureur général, Jean de Saint-Romain. Celui-ci déclara s'opposer à la suppression de la Pragmatique parce qu'elle était utile au royaume et conforme aux saints canons. Malgré les menaces de Balue, qui lui laissa entendre qu'on le priverait de son office, le procureur ne voulut pas céder. Il dit à l'évêque qu'il devrait avoir grand honte de poursuivre ladite expédition. L'Université le soutint dans sa résistance. Le recteur et les suppôts allèrent trouver le légat. Ils en appelèrent des lettres du pape au futur concile et firent sur-le-champ enregistrer leur appel au Châtelet. Le cardinal témoigna qu'il était surpris d'une telle démarche, vu la sentence d'excommunication fulminée par Pie II contre les appelants au futur concile, ce qui suffit pour réduire, semble-t-il, l'Université au silence.

Devant cette opposition, le roi voulut qu'on lui présentât par écrit les motifs du procureur général et de tout le Parlement pour refuser l'enregistrement. Le Parlement délégua alors deux de ses membres, Jean Loselier et Jean Henry, conseillers du roi et présidents en la Chambre des Enquestes, pour faire à Louis XI des remontrances au nom de sa cour de Parlement sur les libertés de l'Eglise gallicane[61]. Ces remontrances sont très curieuses à examiner, car elles nous montrent quelles furent les conséquences immédiates de la révocation, conséquences fort peu heureuses, comme le roi ne tarda pas à s'en rendre compte lui-même. Cette abolition, dit le Parlement, rappelant les remontrances jadis adressées saint Louis, à Charles VI et à Charles VII, présente quatre graves inconvénients elle porte la confusion dans tout l'ordre ecclésiastique, amène la dépopulation du royaume, lui enlève ses trésors, ruine et désole l'Eglise. Si, en effet, on remet tout à Rome — collations et juridictions —, on bouleverse toutes les habitudes de l'Eglise, on augmente la confusion dans les diocèses et l'on va bientôt de nouveau, par suite de la cupidité romaine, voir dix et quelquefois douze bulles de collation accordées pour un seul bénéfice. Les maux ne s'arrêteront pas là. L'ancienne fiscalité que l'on a eu tant de peine à détruire, reprendra de plus belle. Au point de vue judiciaire, les causes étant jugées à Rome, les sujets délaisseront le royaume, les universités se dépeupleront, tous voulant aller intriguer et plaider en cour pontificale. Quant à l'évacuation des pécunes, elle sera plus terrible que jamais. Par les vacances, les expectatives, les procès, il partira à Rome plus de deux millions d'écus par an, comme sous le pape Pie. Le roi sera ainsi privé d'une force considérable, car l'argent est la mesure de toutes choses mensura omnium rerum. Le royaume est d'ailleurs déjà presque tary d'or, l'expérience quœ est rerum magistra en est faite. Le Pont au Change, où affluaient jadis les changeurs, est aujourd'hui occupé par des chapeliers et des faiseurs de poupées. La conséquence de cet exode vers Rome de l'argent et des hommes amène la ruine de l'Eglise, car tout le fruict qu'ils emportaient — les clercs —, ils le perdaient, c'estoit pour or avoir du plomb et beaucoup au retour, tombés dans la misère, préféraient la mort. Aussi le roi doit-il écouter la grande et mûre délibération prise par sa cour de Parlement. Il reviendra sur la révocation. Il ne peut ni être noté de désobéissance, ni avoir un scrupule quelconque de conscience à cet effet. C'est une obligation pour lui, il doit le faire pour le bien du royaume.

Les abus que le Parlement signalait si vigoureusement se renouvelèrent et la série des désordres engendrés par les abolitions successives de la Pragmatique nous est montrée d'une façon très saisissante par les cahiers de l'Eglise de France aux états de Tours de 1484.

Mais Louis XI, qui voulait à la fois enlever aux seigneurs leurs droits d'élection et s'entendre avec le souverain pontife, passa outre et fit publier son ordonnance au Châtelet. Pour manifester son mécontentement, il destitua Saint-Romain, se monstrant par le dehors bien courrouscé de sa réponse, mais il le combla secrètement de faveurs[62]. Il estoit — dit fort malicieusement Jean Bouchet — homme pour faire ce bon tour, veu son esprit, sçavoir et expérience car il avoit de science acquise, tant légale qu'historiale, plus que les Roys de France n'avoient accoutumé d'avoir. C'est qu'en effet la Pragmatique, comme le concile général, ne fut toujours pour Louis XI, qu'une sorte d'épouvantail dont il se servit suivant les besoins du moment, pour effrayer la papauté.

Après cette révocation, les rapports entre le pape et le roi devinrent plus amicaux. Par l'ordonnance d'Etampes[63] du 24 juillet 1467, Louis XI révoque les édits contraires à l'autorité du pape, autorise ses sujets à aller ou envoyer en cour de Rome pour obtenir des collations, des provisions ou des bénéfices et enjoint à tous ses Parlements d'enregistrer son ordonnance. Il est aussi permis de croire que le roi, sur les instances du duc de Bourgogne et du pape, dut se relâcher de sa sévérité envers les prélats que le Parlement avait frappés en 1463. Le duc écrivait au roi pour lui recommander particulièrement le cardinal de Coutances, témoignant que celui-ci étant légat à Rome lui avait toujours rendu bon et loyal service et que ses biens avaient été saisis sur de faux rapports[64].

De son côté, Paul II accordait à Balue, pour le récompenser de son zèle, le chapeau, objet de sa convoitise. L'habile évêque d'Angers n'avait d'ailleurs pas perdu son temps. Il avait fait aussitôt réclamer par Louis XI la pourpre au souverain pontife. Cette démarche du roi en faveur de son favori nous est connue par une dépêche du cardinal de Gonzague à son père[65]. Il écrit au marquis de Mantoue, le 30 août 1467, que le roi de France — ces nouvelles ont été connues à Rome par une lettre de l'archevêque de Milan — était content de révoquer les décrets portés contre Sa Sainteté au moment de son élévation au trône pontifical et qu'il désirait vivement que Paul II fit cardinal l'évêque d'Angers. Le pape s'y décida, mais en même temps, il prit bonne note aussi d'un autre désir de Louis XI qui consentait à la levée dans son royaume d'une dîme universelle pour la croisade turque.

Par une bulle du 1er octobre 1463, il décida la levée de la dime en France, en Dauphiné, en Bourgogne et en Bretagne[66]. Les collecteurs en furent le nonce résidant en France, Etienne Nardino, archevêque de Milan, et l'évêque d'Angers que Paul II créa, pour complaire au roi, cardinal prêtre du titre de Sainte-Suzanne. Le cardinal fut nommé commissaire et collecteur général. Il s'occupa de ses fonctions avec assez de zèle, mais sans oublier — semble-t-il — ses propres intérêts, puisqu'on l'accusa plus tard d'avoir détourné une partie des fonds recueillis[67].

Voulant profiter des bonnes dispositions dans lesquelles paraissait être Louis XI, Paul II, dans un consistoire où l'on s'occupa de la paix chrétienne, émit l'idée de demander au roi, au duc de Milan et à Florence dix mille ducats pour le bien de la chrétienté. Mais, fait judicieusement observer le cardinal de Mantoue qui nous donne ces détails[68], le pape ne réussira pas, car si le roi promet, il ne paiera probablement pas non crede per niente la Mta del Re debba consentirli. Le roi se récusant, Florence et Milan en feront autant, car elles marchent d'accord avec la France, leurs ambassadeurs sont bien unis errano ben daccordo.

Les collecteurs ne durent pas recueillir des sommes considérables. Ils se heurtèrent, surtout Balue, à des difficultés très nombreuses et durent assez souvent user des armes spirituelles[69]. Aussi voyons-nous le pape déléguer en France, vers la fin de 1468[70], un de ses familiers, messer Falco, qui apporta le chapeau à Balue et qui, sous ce prétexte, devait aussi essayer de faire rentrer les deniers de la dime etiam a judicio meo per torre li denari dela decima. Messier Falco fut reçu à la cour avec de très grands honneurs, le 10 octobre 1468, mais ce fut là sans doute tout ce qu'il obtint.

Le roi n'en intervint pas moins avec succès auprès du pape en faveur de Florence. Pour résister aux bannis florentins soutenus par Venise, Florence s'allia avec Milan et Naples[71].

Le pape resta neutre, mais il dut pencher plutôt du côté de ses compatriotes. Louis XI, qui s'intéressait très vivement à la paix[72] et qui avait poussé à la formation d'une ligué où on l'avait inscrit en bonne place dignissimus locus sur la demande expresse de Florence[73], contribua en ce moment à la formation d'une nouvelle ligue dans laquelle refusa d'entrer Venise, mais où figura Mantoue[74]. Il envoya en effet en Italie, pour réconcilier Milan et Venise, une ambassade qui oublia d'affirmer les droits du duc de Calabre[75] sur Naples, au grand mécontentement de Jean. Cela se comprend de reste, car le duc lorrain et le roi se contrecarraient continuellement en Italie. Le duc s'était allié avec la Savoie, Venise et le duc de Bourgogne pour faire échec au roi. Louis XI déjoua ces plans en adhérant à la ligue conclue entre Milan, Florence et Naples en janvier 1467, il ordonna à son représentant Valperga d'intervenir auprès du pape afin de le rendre favorable aux Florentins, ce qui eut lieu. Paul II détacha, en effet, Venise de la Quadruple alliance pour l'amènera la Triplice en 1468 et les Florentins remercièrent très vivement le roi de sa bienveillance[76]. Louis XI en retira de nombreux avantages, et contre la Savoie, par Milan ; et contre le Téméraire, par Venise. Il protégea aussi le royaume de Naples contre les entreprises de Jean. Il fallait, en effet, à Louis XI un allié sur en Italie contre la Savoie et la Bourgogne et cet allié ne pouvait être que Milan. Or, les Sforza avaient tout intérêt il éloigner les Angevins de Naples, car ceux-ci, pour les empêcher de favoriser Ferrand, leur avaient suscité des difficultés par la Savoie et le Téméraire. Lorsque Jean de Calabre fut mort, en décembre 1470, et que son fils Nicolas de Pont, alors âgé de vingt-trois ans, lui eût succédé, le roi de France put tout à son aise, débarrassé de la question angevine, intriguer en Italie.

Mais bientôt ces bons rapports entre le roi et le pape s'altérèrent. Le roi de France fut accusé par Paul II d'avoir trempé dans un complot contre sa personne[77]. Le pape devait être assassinée et Rome pillée. Le roi de Naples fut aussi impliqué dans cette affaire.

En outre, les affaires de Bohème vinrent encore compliquer la situation et amener entre les deux souverains une nouvelle brouille.

Le roi de Bohème, Georges Podiebrad[78], qui était arrivé au trône en 1458, après la mort de Ladislas d'Autriche, étant resté fidèle aux compactata de 1436, se trouva très rapidement en conflit avec la papauté. Ce conflit débuta sous Pie II. Ce pontife qui, pour faire oublier les souvenirs et les écarts de sa jeunesse, afficha comme on l'a dit une inflexibilité de principes, une raideur de conduite et une intransigeance sans pitié, déclara, le 31 mars 1462, après que ce sceptique politique, indifférent en matière dogmatique qu'était Podiebrad, lui eût fait déclarer par son ambassadeur qu'il était forcé de vivre avec les deux confessions les compactata nuls. Le roi de Bohême fit alors arrêter l'envoyé pontifical, Fantin de Valle. Pie II cita aussitôt le roi à comparaitre à Rome, mais Podiebrad refusa de faire publier la bulle pontificale. La querelle continua sous Paul II. Ce pontife fit, en 1460, déclarer par ses légats, Bessarion et Carvajal, que les serments prêtés à un hérétique étaient nuls et il cita de nouveau le roi devant lui. Podiebrad ayant refusé de se rendre à Rome, Paul II délia ses sujets de leurs serments (8 décembre 1465) et en 1466 (29 décembre) il lança contre lui une bulle d'excommunication que le légat Rodolphe publia en Bohême et dans laquelle Podiebrad était traité de fils de perdition, de monstre odieux et de brebis galeuse. En même temps, le pontife intriguait auprès de l'empereur contre le roi de Bohême[79].

Podiébrad en appela aussitôt au futur concile. Il envoya des ambassadeurs à Louis XI pour conclure entre eux une alliance offensive et défensive. L'ambassade bohème demandait l'appui du roi pour la convocation d'un concile afin d'obtenir la répression et punition des mauvais desseins du pontife qui tendait à réunir dans sa main les deux glaives, à réduire entièrement à sa discrétion la puissance royale et toute autorité en général pour mettre les ecclésiastiques en mesure d'exercer et de satisfaire d'autant mieux leur malice[80]. Louis XI promit d'agir de façon à ce que les compactata du saint concile de Baie restassent toujours en vigueur. Aussi le pape s'éleva-t-il contre cette politique du roi. Il essaya par tous les moyens d'obtenir la publication en France de la bulle par laquelle il excommuniait le roi de Bohème[81]. Il adressa même à ce sujet des ordres à l'archevêque de Lyon. Louis XI s'y refusa sur l'avis de son Parlement qui lui adressa un Mémoire sur les choses préjudiciables contenues dans la bulle de Paul II de 1468, excommuniant Podiébrad et son fils, ceux qui levaient des impôts sur les ecclésiastiques sans la permission du pape et qui levaient de nouveaux péages[82]. Le Parlement déclare que vouloir faire publier cette bulle est chose fort grave et qui ne s'est jamais faite du temps des prédécesseurs du roi très chrétien qui ne reconnait nul en temporalité. De plus, le pape outrepasse ses droits en voulant priver les rois de leur dignité. En outre, en défendant de lever des taxes sur les gens d'église sans son congié, le pape prétend que lesdits gens d'église sont ses subjects en temporel et non ceux du roi. Enfin, c'est grande entreprise d'envoyer publier en France toutes ces défenses sur les taxes que l'on peut imposer à l'Eglise, car les édits royaux seront par là annulés. Aussi le Parlement conseille-t-il au roi de refuser l'autorisation.

Louis XI ne s'en tint pas là. Sa cour de Parlement, à propos d'un cas particulier — celui de Pierre Caros, docteur régent en théologie de l'Université de Paris, qui avait été pourvu du doyenné de l'église de Nevers dont le pape avait disposé — quoiqu'il fût de fondation royale — en faveur d'un autre clerc —, renouvela les ordonnances de Rue de 1464 et décida qu'il était de nouveau prohibé d'impectrer bulles ou procès en cour de Rome touchant les bénéfices du royaume, même électifs, sous peine de grands châtiments[83].

C'est sans doute à cette politique hostile du roi que font allusion l'ambassadeur milanais en France et le cardinal de Gonzague dans leurs dépêches de la fin de 1468. Sforza de Bettini informe d'Orléans (29 nov. 1463) le duc de Milan que l'ambassadeur du pape est depuis trois mois à Orléans sans pouvoir parler à Sa Majesté qui ne lui a pas encore accordé d'audience[84]. Quant au cardinal, il écrit à peu près vers la même époque (17 septembre 1468) que le roi, non content de blesser par ses paroles et ses actes Paul II, cherche à le détrôner atachare qualche fuoco per vedere sel puotesse tirare fuora nostro signore et à contrecarrer par tous les moyens la sainte Eglise romaine[85].

Louis XI priait en même temps son très chier et très amé frère et cousin le duc de Milan[86] d'enjoindre à son sujet l'archevêque de Milan, Nardino, légat du pape en France, de ne plus se mêler des affaires du royaume. Ce prélat, pour lequel le roi avait, par l'entremise de Jean Munier, envoyé à Rome à cet effet en janvier 1468, sollicité la pourpre[87], s'était entendu avec ses ennemis et livré à l'égard du roi à des imputations calomnieuses auprès du pape. Nous avons eu clére congnoissance qu'il n'y a pas tenu le chemin tel qu'il devoit, ainçois couvertement s'est monstre parcial de ceulx qui se sont déclairez contre nous. Le roi écrit aussi au duc operato contra de noy. Il a découvert qu'il voulait le brouiller avec ses fidèles habiamo trovato che con certe lettere se era disposto ad fare praticha deponere dissentione in la corte nostra con questi signori[88].

Aussi ordonna-t-il aux bourgeois de Lyon de faire vuyder et en aller de la dicte ville Farce vesque de Millan estant en ladicte ville.

Enfin, le roi envoyait à Rome, pour traiter avec le pape, Geoffroy de l'Eglise, conseiller au parlement de Dauphiné, qui devait s'occuper du maintien de la paix en Italie[89]. Il avait ordre de témoigner le mécontentement du roi au pape au sujet des difficultés soulevées par Venise et le souverain pontife la paix de la péninsule quale sono in somma che non vogliono assentire alla reservatione della liga et obligatione reciproche che sonno fra noy[90]. Il devait inviter Paul II à y mettre un terme dans le plus bref délai apud sanctitatem prefatam vos instare volumus ac jubemm quod ad finem debitum pax ipsa perducatur[91].

Malheureusement Louis XI ne put pas persévérer dans cette attitude.

Une fois encore le péril intérieur l'obligea à se soumettre. Les intrigues anglaises et bourguignonnes[92], la possibilité d'une union entre ces deux puissances — par un mariage à propos duquel le roi pria Ferrand de pousser le pape à refuser son consentement —, la question liégeoise, la peur enfin d'une descente anglaise jetèrent le roi dans l'aventure de Péronne, où il faillit sombrer. Balue y joua un rôle capital — fort bien mis en lumière par Forgeot[93] —, qui le fit plus tard accuser d'avoir trahi son maitre.

Louis XI fut donc forcé de nouveau de recourir aux bons offices du Saint-Père. Nous le voyons ratifier une bulle pontificale relative à la sécularisation de l'abbaye de Luçon[94], ordonner de lever nostre main delphinal sur le temporel de l'archevêque d'Embrun[95].

Le pape en profita pour essayer d'imposer la paix à tous les princes chrétiens en vue de la croisade. Il établit une confrérie pour maintenir l'union quœ pacis et caritatis felicissimœ universorum fidelium nuncupatur.

Cette confrérie devait être une sorte de tribunal arbitral chargé de régler, grâce à un chapitre général tenu tous les trois ans, les contestations entre les princes de la chrétienté et les membres de la confrairie[96].

En somme, durant cette période, le roi a dû abandonner sa fanfaronne et belliqueuse politique. Il n'a pu maintenir ce despotisme qu'il avait un instant fait peser sur l'Eglise et il s'est vu forcé à maintes reprises de solliciter l'alliance de celui à qui il voulait enlever tout pouvoir.

La ligue du Bien public l'a obligé de laisser de côté sa guerre d'église. Péronne le met à la merci du pape. Il doit se résigner et se soumettre, quitte à recommencer ce qu'il a fait deux fois déjà.

Louis XI a eu pendant ces trois années une politique au jour le jour, politique non seulement de soumission, mais encore et surtout d'attente.

 

 

 



[1] Michelet. Louis XI.

[2] Dom Lobineau. Hist. de Paris, II, 850.

[3] Legrand. Pièces hist., XII, 182.

[4] Legrand. Pièces hist., XII, 28.

[5] Legrand. Histoire, II, 44.

[6] Mandrot. Mémoires de Communes, I, 84.

[7] Mandrot. Journal de Jean de Roye, I, 119-20, note 2.

[8] Buser. oc, 129.

[9] Michelet. Louis XI.

[10] Fabronius. Laurentii Medicîs Magnifici vita. — Adnotationes, 117 (mai 1465).

[11] Delaborde. oc, 86.

[12] Ghinzoni. La spedizione sforzesca in Francia (1465-1466) (Archivio Storico lombardo, 1890, II, 314).

Le duc de Milan offrit, en 1465, à Louis XI un corps de 4.000 cavaliers et de 1.000 fantassins. Le roi nomma la même année Galeas-Marie, son lieutenant en Lyonnais et Dauphiné. L'expédition milanaise dura de juillet 1465 à mars 1466 et Louis XI assura le retour des hommes d'armes lombards en Italie.

[13] Milano. A. di Stato. Potenza estere : Roma, 5 septembre 1465.

[14] Michelet. Louis XI.

[15] Ducros. oc, I, 382.

[16] Pierre de Foix dit le Jeune, né à Pau en 1449, évêque de Vannes en 1475, cardinal de Saint-Sixte en 1476. Mort à Rome en 1490.

[17] Reilhac. oc, I, 305-322.

[18] Milano. A. di Stato. Potenze estere : Roma, 17 octobre 1464.

[19] Milano. A. di Stato. Potenze estere : Roma, 30 septembre 1465.

[20] Rey. oc, 130.

[21] Legrand. Hist., II, 39 et Preuves historiques, XII, 139.

[22] Legrand. Pièces hist., XIII, 143 et Ordonnances, XVI, 450.

[23] Dom Morice. Hist. de Bretagne, II, 99.

[24] Legrand. Pièces hist., XIII, 251.

[25] Fierville. oc, 137.

[26] Legrand. Hist., II, 96.

[27] Legrand. Pièces hist., XII, 89.

[28] Legrand. Hist., II, 113.

[29] Pithou. Preuves, I, 26.

[30] Legrand. Pièces hist., XIV, 255.

[31] Dom Lobineau. Hist. de Bretagne, I, 699.

[32] Ordonnances, XVI, 345.

[33] Vast. oc, 406.

[34] Milano. A. di Stato. Potenze estere : Roma, 17 maggio 1465.

[35] Pastor. oc, IV, 95.

[36] Legrand. Hist., II, 236.

[37] Basin. oc, IV, 73-90.

[38] Legrand. Pièces hist., XIV, 362.

[39] Lettres, III, 56.

[40] Lettres, II, 281.

[41] Lettres, III, 78.

[42] Lettres, III, 115.

[43] Legrand. Pièces hist., XIV, 356.

[44] Legrand. Hist., II, 186.

[45] Lettres, III, 66-7.

[46] Lettres. III, 95.

[47] Mantova. A. Gonzaga. Potenze estere : Roma, 3 juillet 1466. Le cardinal au marquis.

[48] Lettres, III, 108. — Mantova. A. Gonzaga. Potenze estere : Roma, 11 mars 1467.

[49] Mantova. A. Gonzaga. Potenze estere : Roma, 19 décembre 1466.

[50] Lettres, III, 108.

[51] Milano. A. di Stato. Potenze estere : Roma, 28 maggio 1466. Agostino de Rossi au duc. — Et : it. 8 février 1466.

[52] Mantova A. Gonzaga. Potenze estere : Roma, 13 oct. et 19 décembre 1466. (Arrivabene à Barbara.)

[53] A. du Vatican. Privilegia Romanæ ecclesiae. Arm. XXXV, t. 3, f° 414b.

[54] A. du Vatican. Arm. XXXII n° 10, f° 236b. (Ce document est faussement daté de 1464.)

[55] Forgeot. Jean Balue, passim. Jean Balue (1421 ?-1491), né à Poitiers, évêque d'Evreux (1465), d'Angers (1467), fut fait cardinal du titre de Sainte-Suzanne, en 1467. Il est, après la mort de Louis XI, légat en France. Evêque d'Albano et de Preneste sous Innocent VIII. Il meurt à Ancône.

[56] Lettres, III, 165.

[57] Legrand. Pièces hist., XV, 173.

[58] Pastor oc, IV, 112.

[59] Pithou. Libertés, I, p. II, 46.

[60] Dom Lobineau. Hist. de Paris, II, 859.

[61] Ordonnances, XV, 190, 209.

[62] Pithou. Libertés, I, p. II, 46. — Il cite le passage des Annales d'Aquitaine de Jean Bouchet, poète et historien presque contemporain (1478-1050).

[63] Ordonnances, XVII, 1.

[64] Legrand. Pièces hist., XV, 222.

[65] Mantova. A. Gonzaga. Potenze estere : Roma, 30 Agosto 1467. Le cardinal au marquis.

[66] A. du Vatican. Paul II. Reg 540, f° 16a 53b.

[67] Forgeot. oc, 23.

[68] Mantova. A. Gonzaga Potenze estere : Roma, 18 janvier 1468.

[69] Forgeot. oc, 23 et sq.

[70] Milano. A. di Stato. Potenze estere : Francia. Paris, 1er oct. 1468. (Giovanni Pietro Panigarola au duc.)

[71] Desjardins, oc, 90.

[72] Firenze. A. di Stato. Della Sïgnoria. 8 juin 1467.

[73] Desjardins. oc, 145.

[74] Mantova. A. Gonzaga. Potenze estere : Roma, 7 janvier 1467. (Le cardinal au marquis.)

[75] Lettres, III, 116, 149.

[76] Desjardins. oc, 149.

[77] Pastor. oc, IV, 45.

[78] Denis. oc, passim.

[79] A. du Vatican. Pauli II. Brevia. Arm XXXII, n° 22, f° 326. Cruciata contra regem Bœmiæ hereticum. Mai 1465. Arm. XXXII, n° 22, f° 330. Exortatio facta Imperatori contra dictum regem. Mai 1465. (Ce document est faussement daté de 1467.) Arm. XXXLI, n° 23, f° 332. Privatio Regis Boemiæ heretici.

[80] Pastor. oc, IV. 131.

[81] Daunou. Essai, II, 261.

[82] Pithou. Libertés, 27.

[83] Pithou. Libertés, 57.

[84] Milano. A. di Stato. Potenze estere : Francia. Orléans, 28 novembre 1468.

[85] Mantova. A. Gonzaga. Potenze estere : Roma, 17 septembre 1468.

[86] Lettres, III, 217.

[87] Lettres, III, 194. Perret. oc, passim. Etienne Nardino, né Forli, évêque de Milan en 1460, cardinal de Saint-Adrien, puis de Sainte-Marie au delà du Tibre en 1473, mort à Rome en 1484.

[88] Lettres, III, 260.

[89] Lettres, III, 219.

[90] Lettres, III, 240.

[91] Lettres, III, 242.

[92] Delaborde. oc, 92.

[93] Forgeot. oc, 64.

[94] Ordonnances, XVII, 97 et 217.

[95] Lettres, III, 195.

[96] Dupuy. Mss. 762, f° 60.