I. — La distance du Rhône aux plaines du Pô. Depuis le passage du Rhône, en remontant le fleuve comme pour aller vers ses sources, il y a 1.400 stades jusqu'à l'entrée des Alpes, par où l'on va en Italie. Reste la traversée des Alpes, environ 1.200 stades ; après les avoir franchies, Annibal devait être arrivé dans les plaines de l'Italie voisines du Pô. (Polybe, III, 39.) Il y a là deux choses bien définies : le point de départ,
qui est le Rhône, et le point d'arrivée final, qui est le pied du versant
italien des Alpes. Qu'on regarde une carte, à quelque échelle qu'elle soit,
ou mieux, que l'on aille voir le terrain, et l'on constatera avec quelle
netteté est marquée la ligne où la plaine succède à la montagne du côté de l’Italie.
Quand on vient par la vallée de Les indications intermédiaires sont, au contraire, bien vagues : 1° Nous avons traduit άναβολή par entrée, mais le sens peut être aussi montée ; ce sont les mesures sur la carte qui nous fixeront. Nous allons mesurer la longueur des différentes routes qui traversent les Alpes et examiner pour chacune d'elles si 1.400 stades aboutissent près d'un endroit qu'on puisse qualifier de montée ou d'entrée des Alpes ; 2° Comment et jusqu'où remonterons-nous le Rhône ? Le
biographe Hœfer a cru devoir aller jusqu'à ses sources, et mettre le passage
au Saint-Gothard : que deviennent alors les 1.400 et les 2,600 stades qui,
eux, sont précis ? Telles sont, dit M.
Osiander (p. 41), les absurdités où l'on tombe quand on ne s'attache qu'à un
mot, isolé du contexte, et sur lequel on bâtit tout un système en en forçant
le sens. ώς έπί
τάς πηγάς, écrit-il ailleurs,
indique simplement la direction, l'orientation du mouvement, non son but (p. 29). Si l'on veut s'en convaincre, il
suffit de compter les 1.400 stades le long du Rhône. En partant de Fourques,
ils nous mènent jusqu'à Doit-on du moins remonter le Rhône jusqu'à l’entrée ou à la montée
des Alpes ? Remontons-le pendant 1.400 stades ( En écartant provisoirement cette solution, nous sommes forcés de ne pas remonter le Rhône jusqu'au bout des 1.400 stades, et nous devons nous écarter du fleuve quelque temps avant l'entrée ou la montée des Alpes. Entendre par là qu'on peut se contenter de marcher un ou
deux jours le long du Rhône pour s'en écarter aussitôt, c'est peut-être
élargir beaucoup l'interprétation ; nous sommes donc disposé dès à présent à
ne pas admettre que le mouvement ait pu se faire dans la vallée de Supposons qu'Annibal ait remonté le cours de
Si au lieu de suivre la rivière, il a suivi la route la plus naturelle :
Dans l’un et l'autre cas, les 1.400 stades ( Ainsi, depuis Arles jusqu'à Avigliana, il y a 411 ou Si l'on veut emprunter le col de l’Échelle ou le col des
Thures au lieu du mont Genèvre, la longueur totale de l'itinéraire se trouve
augmentée de 20 à Tout itinéraire passant au sud du mont Genèvre, par la vallée de l'Ubaye ou celle du Guil, serait plus court encore, et de beaucoup. Il est donc inutile de s'en occuper. La voie romaine, passant à Saint-Rémy, Cavaillon, Apt,
Sisteron, Gap, Embrun, mont Genèvre et Suse, nous donne 370 à Strabon nous a indiqué un chemin qui était, semble-t-il, le plus fréquenté de son temps. Il passait par Cavaillon, puis traversait la partie méridionale du territoire des Voconces pour gagner Embrun, Strabon qualifie d'άναβάσις la montée des Alpes ; c'est l'άναβολή, de Polybe, III, 50, et il y a 63 milles de Tarascon au pied de cette montée, qui ne peut être loin de Vaison ; 99 milles depuis là jusqu'aux frontières des Caturiges, près d'Embrun, et 99 encore de là jusqu'en Italie, La longueur de cette roule est donc à peu près la même que celle de la route Sisteron, Gap, Embrun. Plus au Nord, le chemin qui emprunte la vallée de
Cet itinéraire est donc acceptable, au point de vue des
chiffres et des données du paragraphe III, 39 de Polybe, Il placerait l'άναβολή au pied
du col de Cabre (ce serait alors non pas l’entrée, mais la montée
des Alpes) et donnerait bien près de Essayons de passer par Die et Grenoble. Il y a, d'Arles à
Die, Remontons le Rhône jusqu'à l'Isère.
La distance depuis le passage du Rhône jusqu'au bec de
l’Échaillon, qui est bien l’entrée en montagne, le seuil des Alpes, άναβολή, est
bien près du chiffre de Polybe ( Si, au lieu de passer par le mont Cenis, nous employons le col Clapier, proposé par le colonel Perrin, nous trouvons :
L'itinéraire qui emprunte les vallées de l’Isère et de l’Arc est donc admissible, à condition de passer, non pas par le mont Cenis, mais par le Clapier. Il a, sur les précédents, l'avantage de donner une entrée (άναβολή) très nette dans la montagne à la distance indiquée par Polybe. Quiconque a suivi la route ou le chemin de fer de Valence
à Grenoble a pu constater combien l'entrée dans la montagne est franchement
marquée, au moment où l'on pénètre entre le Vercors et le massif de La distance est exactement la même si, à partir de
Grenoble, on remonte vers le Lautaret au lieu de passer par Si, au lieu de se diriger vers le mont Cenis, on gagne le Petit Saint-Bernard, on trouve :
Nous avons donc Certains historiens ont essayé de réduire ce chiffre en plaçant le débouché en plaine à Aoste au lieu d'Ivrée. Il faut n'avoir regardé ni la carte, ni le pays, pour accepter une pareille solution. C'est à quelques kilomètres d'Ivrée que l'on débouche en plaine. Aoste, entourée de montagnes de tous côtés, ne donne nullement l’impression de l'arrivée en plaine. Et quand on y arrive, on n'a pas franchi le défilé de Bard ! En résumé, nous sommes obligés d'exclure les itinéraires
qui empruntent la vallée de 1° Parce qu'ils ne remontent pas le Rhône assez longtemps pour justifier les expressions de Polybe ; 2° Parce qu'ils sont trop courts ; 3° Parce qu'ils ne fournissent pas, quelque interprétation que l'on donne au texte grec, et quelque approximation que l'on admette, une entrée ou montée (άναβολή) dans les Alpes à environ 1.400 stades du Rhône ou 1.200 stades de l’Italie. Nous rejetons les itinéraires qui passent par la vallée d'Aoste comme beaucoup trop longs. Il nous reste trois solutions admissibles au point de vue de la longueur : 1° Vallée du Rhône, d'Arles à Loriol, puis vallée de 2° Valence, Grenoble, 3° Valence, Grenoble, le Lautaret, le mont Genèvre. Il n'est pas sans intérêt de voir ce que nous donneraient les conditions du paragraphe III, 39, si nous avions accepté le point de passage de Roquemaure ou celui de Pont-Saint-Esprit, choisis par la plupart de nos prédécesseurs. Il y a environ Rien ne serait changé à nos conclusions précédentes concernant la route de Sisteron, Briançon, le mont Genèvre. Elle demeurerait beaucoup trop courte. La route de Le colonel Perrin a fait remonter Annibal, sur la rive
droite de l'Isère, vers Saint-Rambert et Saint-Genix-d'Aoste, pour gagner de
là le col Clapier par Chambéry et Le chemin du Petit Saint-Bernard, par Grenoble, aurait bien la longueur totale voulue, mais il serait impossible d'y placer une entrée ou une montée des Alpes à hauteur de Chamousset, et plus impossible encore d'apercevoir les plaines d'Italie en arrivant au col. On ne voit de là que d'affreux précipices. Nous arrivons donc aux conclusions suivantes : 1° Ayant fixé le passage près d'Arles, nous avons trois
solutions possibles pour la traversée des Alpes : passer par la vallée de 2° Si nous avions accepté le point de passage de Roquemaure, aucune solution ne pouvait plus convenir ; 3° En acceptant le passage à Pont-Saint-Esprit, la route d'Yenne, Chambéry, le Clapier serait admissible, au point de vue des distances. Malgré la clarté et la simplicité des mesures qui ont conduit à ces conclusions, un grand nombre de nos prédécesseurs ont adopté le point de passage de Roquemaure, celui-là même qui ne se prête à aucune solution pour la traversée des Alpes. Nous avons vu dans le chapitre précédent comment ils y avaient été amenés ; examinons de même comment ils ont pu s'en accommoder, malgré les chiffres. Pour les uns, ce fut assez facile, car ils laissèrent tout
à fait de côté les données du paragraphe III, 39, ou, ce qui revient au même,
ils admirent qu'une différence de D'autres ont recherché un appareil plus scientifique. Ayant fixé d'avance leur itinéraire avant d'avoir fait aucune mesure, ils ont trouvé à peu près 1.400 stades jusqu'à Montmélian, ont même poussé un peu plus loin s'il le fallait, découvert tant bien que mal un chemin creux ou une butte pour marquer l'άναβολή, entrée ou montée ; arrivés là, ils se sont trouvés un peu à l'étroit dans l'espace compris entre Montmélian et Avigliana pour faire tenir les 1.200 stades que nous avons comptés, nous, entre le bec de l'Échaillon et Avigliana. Ils ont donc abandonné le chemin de la vallée, le plus naturel, pour grimper et descendre sans cesse sur les contreforts des Alpes ; enfin, comme l'allongement qui en résultait ne suffisait pas encore, ils ont admis que, dans les montées, en raison de la fatigue, on majorait les distances parcourues. En accomplissant ce petit travail avec des méthodes diverses, mais avec un 'doigté parfait, ils se sont tous retrouvés ensemble à l'arrivée. Nous savons, dit le
colonel Perrin, qu'en pays de montagnes,
l'expérience a prouvé que les routes, par suite des nombreux détours qu'elles
sont obligées de faire, sont plus longues de 1/3 que celles des
plaines, pour parcourir une même distance mesurée à vol d'oiseau. Mais cette
règle n'est véritablement exacte que dans des massifs montagneux tels que les
Vosges, le Jura, etc. ; elle ne peut
s'appliquer à des massifs aussi escarpés et aussi élevés que celui des Alpes.
Si cependant nous appliquons cette règle à la voie ferrée du mont Cenis, qui
peut être assimilée à une voie en plaine, nous aurons de Chamousset à Alpignano
Comment a été vérifiée cette règle, d'après laquelle les chemins
de montagne sont de 1/3
supérieurs aux chemins de plaines ? Nous n'en savons rien. Mais en admettant
même qu'elle soit exacte dans certaines conditions, elle ne peut pas l'être
d'une manière générale, ni même donner une moyenne dans un ordre d'idées où
tout est irrégulier. Les montagnes allongent les chemins : 1° en les obligeant
à contourner des massifs. Ainsi, de Grenoble à Saint-Jean-de-Maurienne, il y
a Ces deux modes d'allongements peuvent agir, ensemble ou séparément, de la manière' la plus diverse, et l'allongement peut varier depuis zéro jusqu'aux valeurs extrêmes que nous venons d'indiquer. Peut-on en conclure une moyenne ? Jamais de la vie ! Il faut d'ailleurs tenir compte de la nature du chemin
considéré. S'il y a Le lieutenant Azan a reconnu l’insuffisance de la majoration ainsi obtenue, et il est parti d'un principe différent. Le colonel Perrin ne nous parlait que de longueurs réelles, existantes, et si son estimation est discutable en thèse générale, au moins peut-on couper court à toute discussion par une mesure directe sur le terrain ou sur le cadastre. Avec MM. Osiander et Azan, il s'agit de longueurs fictives. On part de ce principe que l'on marche plus lentement en montant qu'en terrain plat, et l'on suppose que Polybe mesure les distances parcourues, non plus en longueur, mais en temps. Ceci est exact pour nos alpins, qui ont des montres, et mesurent les trajets d'un point à un autre en heures et en minutes ; mais ce procédé n'était pas à la portée des anciens. Non seulement ils n'avaient pas de montre, pas de sabliers de poche, mais ils n'avaient pas d'unité de temps ; l’heure était la douzième partie de la journée, comptée du lever au coucher du soleil, et une heure d'été valait presque deux heures d'hiver. Ainsi les anciens ne songeaient pas à estimer les distances parcourues en montagne par le temps mis à les parcourir, mais bien par leur longueur. Strabon ne donne pas l'altitude d'un col, mais la longueur du chemin qui va du pied au sommet, et on peut en vérifier l’exactitude. Il est donc inexact que les chemins aient été mesurés en montagne autrement qu'en plaine. La mesure par le temps ou par l'altitude était impossible. M. Osiander veut que l'unité de longueur ne soit pas la même en montagne qu'en plaine. Il s'ensuivra que les 1.200 stades fournis par Polybe pour la traversée des montagnes devront donner en kilomètres un équivalent beaucoup plus faible que ne le pense le vulgaire. M. Osiander, qui veut placer le commencement de la montée
à Montmélian (!) ne compte que Pour en venir là, M. Osiander remarque que les distances fournies par Polybe sont des multiples de 200 stades (3.000, 2.600, 1.600, 1.400 et 1.200) c'est-à-dire de 24 milles romains ; or, Hérodote se sert (V, 53) d'une journée de marche de 200 stades, et Végèce (I, 9) nous apprend que la journée de marche d'une armée romaine est de 24 milles en terrain plat, de 20 milles en terrain difficile (in arduis et clivosis, I, 27). Polybe aurait donc, suivant M. Osiander, transformé en stades une mesure donnée en jours de marche ; mais la journée de marche, évaluée par lui à 200 stades, était de 24 milles en plaine, de 20 milles en montagne. Son évaluation, exacte jusqu'à l'entrée des Alpes, se trouve donc trop forte de 4/6 dans la traversée des montagnes. A coup sûr, dit le savant
professeur, Polybe n'a pas procédé lui-même à la
mesure ; compter des pas, comme firent les bématistes d'Alexandre, aurait été
trop absorbant et d'ailleurs inutile, la transformation des pas en stades, en
terrain accidenté, ne pouvant donner qu'an résultat subjectif. (Et celle des journées de marche !) Polybe n'avait donc pas d'autre moyen que celui auquel
nous avons encore recours : il déduisait la longueur de la marche de sa
durée. Ce procédé devait être passé dans les habitudes militaires, et le
stade itinéraire des savants, égal à Nous demandons la permission de n'en rien croire. Polybe était mieux au courant que nous de toutes ces questions, et n'était pas homme à prendre une mesure pour une autre. Il n'y a pas trace, dans les textes, de deux milles différents, et celui qui a servi à graduer les voies romaines était une mesure militaire. D'ailleurs, en supposant deux pas, deux milles, l’un pour les civils et l'autre pour les militaires, s'ensuit-il que le premier convienne aux plaines et l'autre aux montagnes, sans que jamais un mot indique la différence ? Les montagnes sont-elles réservées aux militaires et la plaine aux civils ? Enfin, puisque l'on accuse la mesure des longueurs d'être illusoire en montagne, quoi de plus illusoire que la mesure du temps pour un ancien ? On s'imagine difficilement Polybe sur le sentier qui mène à un col et estimant la durée de son ascension par le cours des astres ! Nous le voyons bien plutôt, lui ou son bématiste, mesurer la longueur de la route (carrossable ou charretière) avec un odomètre. M. Osiander ajoute, pour nous convaincre, qu'en
identifiant les stations des voies romaines, on trouve une différence marquée
entre les unités de distance employées en plaine et en montagne. Nous
craignons qu'il n'ait été abusé par un petit nombre de cas particuliers où il
y avait quelques erreurs de tracé ou d'identification ; car nous avons étudié
avec soin toutes les voies romaines de Pour nous, qui faisons suivre aux armées anciennes, comme
aux nôtres, le fond des vallées tant qu'elles le peuvent, il nous semble que
de Montmélian jusqu'au pied des cols, la distinction entre les deux unités
n'a pas lieu d'être faite. Elle n'aurait à intervenir que pour l'ascension du
col, et là son influence se bornerait à 2 ou Était-il vraiment indispensable de quitter le fond des vallées pour grimper et redescendre sans cesse ? Y a-t-il là d'autre nécessité que celle de procurer une majoration aux chiffres de Polybe ? La vallée de l'Arc, dit-on, était impraticable il y a vingt siècles : c'était un marécage sillonné en tous sens par les bras de la rivière. Voilà une affirmation bien hardie, et à l’appui de laquelle on n'apporte aucune preuve formelle. L'expression de marécage, en tout cas, est impropre : tout ce qu'on peut admettre, c'est que le fond de la vallée ait été couvert de sable et de cailloux, à travers lesquels l'Arc creusait des sillons toujours changeants. Qu'il fût impossible d'y tracer un chemin, c'est certain, et il en a été de même jusqu'à l'endiguement du torrent ; mais qu'on ne pût pas y marcher, c'est autre chose. Acceptons pourtant l'hypothèse, et supposons qu'Annibal n'ait pas fait marcher son armée sur le fond même de la vallée. Il ne s'ensuit pas qu'il l'ait promenée à flanc de coteau. Prenons une carte du XVIIe ou du XVIIIe siècle, par exemple la belle carte manuscrite de 1729-1731 conservée au dépôt de la guerre[5] : l'Arc, non endigué, coule en plusieurs bras à travers les sables et les galets dont il a rempli son lit majeur, et où nul chemin n'est tracé ; mais deux bonnes routes longent sur les deux rives le pied des pentes. Situées à quelques mètres au-dessus du fond de la vallée, elles sont hors de l'atteinte des flots de l’Arc, sauf en cas d'inondation exceptionnelle. Ces deux roules, on en voit encore les restes tout le long de la vallée : tantôt elles sont en remblai, si la pente est douce, la terre friable ; leur mur de soutènement existe toujours, mais la route abandonnée est recouverte de gazon ; tantôt elles sont entaillées dans le roc, et à peine ruinées par le temps. De pareilles routes, non pavées, mais assurant les communications les plus faciles et les plus rapides entre les diverses parties de la vallée, ont dû exister de tout temps, et s'il n'y en avait pas lors du passage d'Annibal, chose bien improbable, il valait mieux pour ses éléphants marcher dans la vallée, sur les sables et les galets, mais à plat, que de monter et descendre sans cesse. On jugera les chemins qu'a choisis le colonel Perrin, par
exemple, en constatant qu'il compte A notre avis, c'est aller chercher bien loin, et au prix
de grandes complications, des fatigues certaines pour échapper à des difficultés
hypothétiques. Qu'il y ait eu des voies romaines sur les coteaux où le
colonel Perrin trace l'itinéraire d'Annibal, c'est possible : l'industrie et
l'agriculture étaient plus florissantes alors qu'aujourd'hui sur ces hauteurs
; mais partout nous voyons les grandes voies romaines suivre le fond des
vallées avec nos roules modernes : sur Nous nous en tenons donc à la solution la plus naturelle et la plus simple, celle qui consiste à faire passer Annibal par les voies les plus faciles, les plus voisines des chemins modernes. Il faudrait nous donner de bien solides arguments pour nous faire quitter les voies naturelles et courir à travers la montagne. Si les invasions se sont toujours faites par les vallées, ce n'était pas pour marcher sur les sommets. Tous ces détours, toutes ces majorations viennent se combiner avec le choix d'une entrée ou d'une montée près de Montmélian. Ce n’est pas la partie la moins étonnante de la solution de Larauza, de M. Osiander, etc. En s'engageant au milieu des
éminences entre Ainsi voilà des gens qui ont franchi sur les bords du
Rhône, plusieurs collines très âpres de 200 à Que le mot grec άναβολή signifie entrée ou montée, la chose est tout aussi extraordinaire. Il n'y a là ni entrée ni montée, mais un mouvement de terrain insignifiant qu'on grossit, comme on a grossi les chiffres de Polybe, pour assurer la concordance. M. Osiander soutient ce paradoxe-ci, comme l’autre, à
force d'érudition, en quoi il est sans rival : Polybe,
nous dit-il, ne parle nullement d'une entrée,
d'une porte des Alpes, mais bien d'un commencement de la montée
vers les Alpes. Il y a ici confusion entre deux paragraphes de
Polybe. Dans l'un, III, Plus loin, dans le récit détaillé de la marche, Polybe dit qu'en quittant le Rhône[7], Annibal commence τήν άναβολήν πρός τάς Άλπεις la montée vers les Alpes. Ici, plus de doutes : il s'agit d'une montée assez longue commençant au Rhône et finissant aux Alpes. Quelle que soit la solution proposée, si elle ne place pas cette montée à Saint-Genix-d'Aoste, où les Alpes sont baignées par le Rhône, l'άναβολή πρός τάς Άλπεις à une assez grande longueur. Notre άναβολή τών Άλπεων de tout à l’heure, qui était un point bien précis, n'est donc pas à confondre avec l'άναβολή πρός τάς Άλπεις. Elle pourrait être le pied ou le sommet de cette montée ; mais le pied de la montée vers les Alpes n'est pas dans les Alpes, tandis que le sommet y est. L'άναβολή τών Άλπεων est donc au sommet, non au pied de l'άναβολή πρός τάς Άλπεις[8]. Le même mot άναβολή a été pris dans deux sens un peu différents, entrée et montée, ce qui s'explique d'autant plus facilement qu'il s'agit de textes empruntés à deux originaux indépendants. Ne trouverait-on pas du reste, dans un ouvrage français, le mot monter pris dans trois ou quatre sens distincts ? Le commencement de la montée vers les Alpes ne correspond pas au 1.400e stade depuis le passage du Rhône ; il le précède, et se trouve exprimé par le erigentibtis in primos agmen clivos de Tite-Live. Mais, si nous appliquons bien celte indication aux contreforts que l'on rencontre, de plus en plus accentués, à partir de Valence jusqu'au bec de l'Échaillon, la hauteur de Maltaverne ne nous paraît pas y répondre aussi bien. En tout cas, elle ne répond pas au mot άναβολή, désignant un point précis du parcours, dans le paragraphe III, 39 de Polybe ; elle ne se trouve pas à proximité du Rhône, ni au moment où l'on entre chez les Allobroges, puisqu'au contraire on va les quitter. Nous avons indiqué plusieurs solutions entre lesquelles les chiffres de III, 39 ne permettaient pas de faire un choix. Achevons ici notre travail d'élimination en utilisant les autres données de Polybe. 1° Le dernier de nos trois itinéraires passe au col Clapier, qui est le seul d'où l'on voit la plaine d'Italie. Ce chemin est donc le seul admissible ; 2° D'autre part, les deux autres itinéraires ont à franchir le col de Cabre ou le Lautaret avant le mont Genèvre, et les textes ne nous permettent pas de supposer qu'Annibal ait franchi deux cols. Quand on songe aux difficultés que présente le passage unique détaillé par Polybe et Tite-Live, on est assuré qu'un autre passage n'aurait pas été décrit sommairement, et à peine indiqué dans le récit. Le mont Genèvre n'est pas beaucoup plus difficile que le Lautaret ou le col de Cabre. Le Lautaret, en particulier, offre des obstacles très sérieux à la montée ; 3° Enfin, de toute façon, il faut que le chemin choisi pénètre sur le territoire allobroge peu de temps avant l'entrée des Alpes, et que la grande ville des Allobroges se rencontre aussitôt après. La route du col de Cabre ne traverse pas le territoire allobroge. L'itinéraire Valence, Grenoble, col Clapier, répond donc seul à toutes les données essentielles de Polybe. C'est à lui que nous nous attacherons pour le comparer en détail avec le récit des historiens. |
[1] Ces chiffres sont mesurés sur la carte à 1/200.000e et vérifiés au moyen de la carte des étapes et d'une carte cycliste.
[2] Voir le détail plus loin.
[3]
Il y a
[4]
Voir plus haut la route d'Arles à Avigliana, qui a
[5]
Réduction du cadastre de
[6]
Larauza (p. 64) place ici le commencement de la montée. Il s'appuie sur ce
texte : A 100 pas environ de l'autre côté du pont, dit
M. Albanis Beaumont, est une charmante colline ou falaise, couverte d'arbres
jusqu'à son sommet. C'est au pied de cette colline qu'on laisse à droite le
chemin qui conduit à Sainte-Hélène, pour prendre à gauche celui du Piémont. Le
premier hameau que l'on traverse se nomme
Et page 66 :
Dès
[7] La plupart des historiens, ayant placé le passage à Roquemaure ou plus haut, ne peuvent marcher 800 stades le long du Rhône, et ils admettent que Polybe, en disant le Rhône, a voulu nommer l’Isère.
[8] DELUC, p. 97 :
Il suffit de jeter les yeux sur les expressions mêmes de Polybe, ήρξάτο τής πρός τάς Άλπεις άναβολής, pour voir que dans le cas où le mot άναβολή serait employé comme désignant l’action de monter, la phrase signifierait tout au plus qu'Annibal commença à monter vers les Alpes, c'est-à-dire à franchir les premières collines que l'on rencontre, mais non pas qu'il commença à gravir les Alpes elles-mêmes. Mais si le mot άναβολή désigne quelquefois l’action de traverser en montant' il peut aussi désigner celle de traverser en pénétrant, d'après le double sens de la préposition άνά sursum, en haut, et per, à travers.
Dans un des chapitres précédents, l'expression τήν άναβολή Άλπεων désigne Ventrée des Alpes et non la montée des Alpes. Ce mot étant employé par Polybe dans chacun de ses deux sens, il était important de les signaler suivant l'occurrence.
Voir Polybe, X, 48.