ANNIBAL EN GAULE

 

CHAPITRE III. — LE PASSAGE DU RHÔNE.

 

 

II. — Le point de passage.

 

Il n'y a rien là qui doive surprendre, et si l'on n'avait pas été d'abord sous l'influence de quelques écrivains du XVIIe et du XVIIIe siècle, qui, sans preuves et même sans arguments solides, ont choisi les environs de Roquemaure, c'est la région d'Arles et de Beaucaire qui aurait dû s'imposer. On ne voit pas trace, dans l'antiquité, d'un passage du Rhône entre Beaucaire et Montélimar. Toutes les voies décrites par les itinéraires passent à Arles ou à Beaucaire, même lorsqu'elles doivent ensuite rebrousser vers le Nord.

La route définie par les vases gaditains va de Nîmes à Beaucaire, descend la rive droite du Rhône pour le passer à Arles, et remonte ensuite la rive gauche vers Saint-Gabriel et Cavaillon.

L'itinéraire de Bordeaux à Jérusalem va directement de Nîmes à Arles par Bellegarde, et remonte de là par Saint-Gabriel vers Avignon.

L'itinéraire d'Antonin va de Nîmes à Arles, de là à Saint-Gabriel et Cavaillon[1].

C'est dans les documents postérieurs seulement que l'on voit une route de Nîmes à Beaucaire passer immédiatement le Rhône pour gagner Saint-Gabriel et bifurquer alors vers Avignon, Cavaillon et Arles (Table de Peutinger et Anonyme de Ravenne).

Un siècle environ après le passage d'Annibal, les Cimbres et les Teutons envahissent la Gaule. Vainqueurs de trois armées romaines, ils ne marchent pas sur Rome, mais vont ravager l'Espagne. Marius vient les attendre au bord du Rhône, et quoiqu'il prenne position une année avant leur retour, il n'a aucune hésitation sur le point où ils voudront passer le fleuve : il se poste à Saint-Gabriel à la pointe des Alpines, et c'est devant lui en effet que les barbares viennent, à point nommé, franchir le Rhône.

Que nous dit d'ailleurs Polybe :

Annibal, ayant toujours la mer de Sardaigne à sa droite, parvint au passage du Rhône (III, 41) ; et quelques lignes plus loin : Annibal étant arrivé dans le voisinage du fleuve, tente aussitôt d'exécuter le passage, en raison de ce que le fleuve n'avait là qu'un seul bras.

Nous n'attribuons pas à ces deux phrases un très-grand caractère de précision : Polybe, nous l'avons dit, parle simplement et sommairement de tout ce qui n'a pas une importance politique ou militaire sérieuse. L'expression tenir la mer de Sardaigne à sa droite peut n'être qu'une indication très vague ; il faudrait pourtant s'en écarter beaucoup pour admettre qu'Annibal a été à Roquemaure, tournant le dos à la mer depuis le passage du Vidourle. Pour nous, l'impression que donnent les deux phrases que nous venons de citer est favorable à l'idée que le passage a eu lieu près du delta.

L'argument le plus sérieux qu'on pourra nous opposer sera tiré de l'état du sol dans cette région à cette époque reculée : Arles, nous dira-t-on, était entouré d'étangs et de marais, et depuis cette ville jusqu'à la Durance, ce n'étaient que rivières et marécages. De même entre Beaucaire et Saint-Gilles, entre Saint-Gilles et la mer, les marais aujourd'hui desséchés étaient alors des étangs entourés d'immenses mari-cages.

Nous avons expliqué plus haut pourquoi nous ne partagions pas complètement cette opinion. Répétons seulement ici que les arguments historiques nous semblent infiniment plus solides et plus probants en pareille matière que les conjectures géologiques. Il y a ici des faits incontestables : c'est autour de Rhodanusia, d'Heraclea, de Thélinè, d'Ugernum, d'Avenio, de Cabellio, d'Arausio, que s'est développée la plus grande activité agricole et commerciale de la région rhodanienne avant et immédiatement après l'époque dont nous nous occupons. C'est là que toutes les voies romaines importantes ont traversé le Rhône ; c'est là que les Cimbres, plus dépourvus de moyens qu'Annibal, sont venus le passer. Le terrain était donc praticable le long du Rhône, de Saint-Gilles à Fourques et à Beaucaire, et aussi de Fourques à Bellegarde. Où les Cimbres ont passé, Annibal a pu et dû passer.

L'endroit s'imposait pour diverses raisons, les unes physiques, les autres stratégiques.

Le courant du Rhône, en amont d'Avignon, était trop fort pour des radeaux ou des bateaux improvisés, d’informes pirogues montées par des soldats ignorants de toute navigation. On y résiste avec des pontons ou des barques bien conduits, mais point avec des troncs d'arbre creusés et montés par des hommes inexpérimentés. Au contraire, après la brusque expansion qui se produit au sud de Beaucaire, entre Soujean et le Mas-des-Tours, le courant tombe à 0m,75, et on peut lui résister sans beaucoup d'efforts et d'habileté.

D’autre part, était-il avantageux d'aller passer, comme le dit Napoléon, entre la Durance et l'Ardèche ? L'Empereur imagine ces deux affluents tels qu'il les connaissait ; mais la Durance, du temps d'Annibal, dirigeait un ou deux bras vers Arles et un seul vers Avignon. Il n'était pas nécessaire de remonter jusqu'en amont de cette ville pour se trouver séparé des Romains par un obstacle : les étangs d'Arles et de Montmajour et les deux bras méridionaux de la Durance suffisaient amplement. En revanche, les légions devaient marcher d'une allure plus vive que l'armée-caravane d'Annibal, et il était urgent pour celui-ci de passer le Rhône. S'il l'avait remonté, il risquait de se laisser gagner de vitesse par les Romains, et d'avoir à exécuter un passage de vive force en face d'eux. C'était un coup de partie. Aussi Polybe est-il très net : Annibal longea le rivage, et passa le Rhône aussitôt qu'il l’eut atteint.

Pour se diriger sur Roquemaure ou Pont-Saint-Esprit, Annibal aurait tourné le dos à la mer pendant une durée qui n'était pas négligeable vis-à-vis de son parcours : le Vidourle coupe par moitié le trajet de Narbonne à Pont-Saint-Esprit. Sans vouloir trop prendre Polybe au pied de la lettre[2], il serait difficile de prétendre que le voyage de Narbonne à Pont-Saint-Esprit se fait en longeant la mer.

Le colonel Perrin l’a parfaitement reconnu en écrivant : Ayant appris à Nîmes que Publius était arrivé avec sa flotte à la première embouchure du Rhône, il obliqua vers le Nord, ne voulant point combattre au milieu des Gaulois qui, sous l’influence de Marseille, rivale de Carthage, lui étaient hostiles, et prendraient parti pour l’armée romaine (p. 20).

Il faut observer : 1° Qu'Annibal n'a connu l'arrivée des Romains qu'après avoir passé le Rhône. Il ne pouvait en être avisé plus tôt, par la seule raison qu'elle n'avait pas encore eu lieu. Mais il pouvait s'y attendre, et agir en conséquence. Or, 2° il ne semble pas qu'il ait trouvé un point de passage où les populations lui fussent bien favorables ; 3° il valait beaucoup mieux aller combattre les Romains au milieu de peuples dont l'esprit était douteux, que d'attendre l’arrivée des légions pour passer le Rhône devant elles.

Pour aller de Nîmes à Roquemaure ou à Pont-Saint-Esprit, il fallait franchir le Gardon, puis parcourir pendant deux jours un petit plateau rocailleux, couvert de maigres forêts, sans ressources, peut-être sans chemins tracés. On aurait fini par trouver le Rhône plus vif à Roquemaure qu'à Beaucaire, et pourquoi ? Pour éviter la Durance, dans la saison des basses eaux, où cette rivière ne constitue qu'un obstacle tout à fait insignifiant.

Polybe nous dit encore qu'Annibal a passé le Rhône dans un endroit où le fleuve n’avait qu'un seul bras. Il laisse entendre que c'était un avantage. Comme on ne voulait songer qu'à la partie du Rhône comprise entre Montélimar et Avignon, l'indication de Polybe a été interprétée de manière à faire chercher un endroit où il n'y eût pas d'îles. On ne s'est pas aperçu que cette interprétation conduisait à un non-sens militaire. Il n'y a pas besoin d'être un professionnel pour comprendre qu'il est beaucoup plus facile, en général, de franchir un fleuve en s'aidant d'une île, qui coupe et diminue l'obstacle, et dissimule les préparatifs. Imagine-t-on Napoléon évitant l'île Lobau ? Le Rhône, surtout dans la saison des basses eaux, rend les îles plus précieuses encore que d'habitude, car il est bien rare que le ou les bras secondaires ne soient pas alors tout à fait guéables. Ils l'auraient été, en tout cas, pour les éléphants, dont le passage s'y serait effectué sans aucune difficulté.

Qu'on se figure Annibal à Roquemaure : il aurait, devant lui, un bras unique de 200 à 250 mètres de largeur, mais en remontant ou en descendant de quelque mille pas, il trouverait l’île de Miémar ou l'île d'Oiselet, séparant le fleuve en un bras vif de 100 à 150 mètres, et un bras mort guéable. Préférerait-il, dans une pareille situation, passer le fleuve à l’endroit où il a 200 mètres et plus ? Pour peu qu'on y réfléchisse, ce n'est certainement pas là ce que Polybe a voulu dire.

On a cherché, on a trouvé sans trop de peine des parties où le Rhône ne forme pas d'îles. C'était, de toute façon, un travail bien superflu, car les îles d'aujourd'hui ne sont pas celles d'autrefois, et l'endroit choisi n'aurait peut-être pas présenté les mêmes caractères il y a vingt siècles. Le mieux était de ne pas entrer dans un pareil détail, et de ne pas tenir compte de cette indication. Mais la préoccupation attribuée à Annibal était absurde, nous croyons l'avoir montré.

Le texte même de Polybe prouvait que le passage avait eu lieu dans un endroit extrêmement large : on avait construit une estacade de 100 mètres pour embarquer les éléphants et, ce faisant, on n'était même pas parvenu à dépasser le milieu du fleuve ; on n'était pas arrivé à un endroit où ces énormes animaux auraient eu pied. Imagine-t-on que ce renseignement soit applicable au Rhône qui coule entre Roquemaure et l'Hers, et dont la largeur, en temps de basses eaux, descend au-dessous de 200 mètres ? Croit-on surtout que, si cette estacade de 100 mètres avait conduit vers le milieu du fleuve, il n'aurait pas été plus simple de la prolonger jusqu'à l'autre bord que d'organiser un système de transport compliqué, dangereux, incertain ? Quand les Arvernes ont passé le Rhône pour secourir les Allobroges contre les Romains, ils ont établi deux ponts de bateaux[3]. Annibal était bien capable d'en faire autant, à moins de se trouver, comme nous le pensons, en présence d'un fleuve large de 500 à 800 mètres. Le Rhône large et lent, qui coule entre Soujean et Fourques, répond seul à toutes les exigences du texte.

Ne faut-il pas, d'ailleurs, un endroit assez voisin de la côte pour y rencontrer ces grands bateaux dont parle Polybe, qui faisaient le commerce avec les ports maritimes ? En trouverait-on à Roquemaure ou à Pont-Saint-Esprit ? C'est aux environs d'Arles seulement qu'on a pu en obtenir un assez grand nombre pour le passage de 8.000 chevaux et autant de mulets.

C'est là aussi que s'adressa César (De bello civili, I, 36) lorsqu'il voulut avoir douze grands navires en trente jours. Il y établit une colonie militaire (Julia Paterna), et Arles était déjà une ville considérable, car on n'envoyait pas de colonies dans des bourgades ; elle fut, après Narbonne, la première ville des Gaules à laquelle cet honneur fut accordé ! Elle avait déjà été célèbre comme colonie grecque sous le nom de Thèlinè (F. Avienus, v. 679) et ses faubourgs s'étendaient jusqu'à Fourques, comme le montrent les rues découvertes lors de la construction du chemin de fer d'Arles à Lunel[4].

C'est là qu’Annibal a pu trouver les moyens de passage, qui eussent manqué partout ailleurs.

Annibal, venant de la côte, a atteint le petit Rhône près de Saint-Gilles, puis a continué jusqu'à Fourques. Il n'a pas voulu traverser le petit Rhône et le grand Rhône, mais, dès qu'il a trouvé un fleuve unique, c'est-à-dire en amont du delta, il a passé, pour ne pas donner le temps aux Romains de le devancer sur un point plus éloigné. A partir de Beaucaire» d'ailleurs, la rive droite du Rhône serait devenue moins praticable que l'autre. Tel est le sens qu'il faut donner, selon nous, aux deux phrases de Polybe.

Il nous parait bien difficile de faire concorder le passage d'Annibal à Roquemaure ou Pont-Saint-Esprit avec les opérations de P. Cornélius Scipion. Tout le récit de Polybe ou de Tite-Live, en ce qui concerne la reconnaissance des cavaliers romains, leur combat contre les Numides, leur retour, est écrit de manière à faire penser que ces événements tiennent dans un espace de terrain et de temps très restreint. On croirait presque que le tout s'est passé dans une seule journée. Imaginons le point de passage entre Roquemaure et Pont-Saint-Esprit, à 50 kilomètres de la mer : Scipion envoie une reconnaissance de 300 chevaux, qui pousse jusqu'à une pareille distance, et que l'armée laisse s'éloigner indéfiniment sans la suivre le moins du monde ; c'est au moins étonnant ! Ces cavaliers, ayant battu les 500 Numides d'Annibal, viennent jusqu'au camp de celui-ci, et repartent. C'est le lendemain matin qu'Annibal lève le camp, et c'est quatre jours plus tard que Scipion arrive avec son armée en carré. Polybe nous a dit qu'il y avait quatre marches de la mer au point de passage ; s'il fait arriver Scipion trois jours après le départ d'Annibal, il suppose donc qu'il aura levé son camp en même temps que lui. Si le passage avait eu lieu à Roquemaure, les cavaliers romains, qui avaient fait 110 kilomètres, passé les marais d'Arles, les trois bras de la Durance, la Sorgues, etc., battu les 500 Numides, et reconnu le camp carthaginois, auraient pu, après tant de fatigues, repartir sans désemparer et faire encore 50 kilomètres en moins de 24 heures, en repassant tous les obstacles déjà rencontrés ? C'est beaucoup. Il est extraordinaire, aussi, qu'une cavalerie, ayant pris le contact avec l’ennemi à une si grande distance de sa propre armée, revienne tout d'un trait jusqu'à son général au lieu de rester en observation : ainsi, ces 300 chevaux auront fait inutilement 220 kilomètres pour retourner à Fos et revenir de Fos à Roquemaure ?

Si l'on veut bien se donner la peine d'étudier les mouvements des armées anciennes, on y trouvera les pratiques dont le XVIIe et le XVIIIe siècle nous fournissent les derniers exemples : les armées marchent très vite quand elles sont loin de l'ennemi : Condé, allant d'Alsace en Flandres, ou César, de Milan à Lyon, font près de 30 kilomètres par jour ; arrivés à portée de l'ennemi, c'est-à-dire à deux jours de marche, ils ne vont plus que pas à pas. Il ne s'agit pas d'engager la bataille légèrement. Une armée romaine aurait fait aisément 110 kilomètres en trois jours dans l'intérieur du territoire, et loin de l'ennemi ; mais Scipion, dans le cas présent, n'aura pas fait ces 110 kilomètres en moins de cinq jours, car il aura ralenti son mouvement en arrivant près des Carthaginois.

Tout s'explique très bien, au contraire, si l'on place le point de passage près de Fourques, à 50 ou 60 kilomètres de Fos. II n'y a rien de surprenant à ce que 300 cavaliers soient envoyés en reconnaissance à cette distance-là du gros : rien d'anormal non plus à ce qu'ils fassent l'aller et le retour en 36 heures. Partis le matin même du jour où ils ont rencontré les Numides, ils ont dû se retrouver le lendemain à Fos, vers le milieu de la journée.

Scipion a rembarqué ses bagages le soir même, et a commencé à marcher ; il a pu faire 10 ou 15 kilomètres ce jour-là ; le lendemain, il en aura fait 20 ou 30 ; puis, se trouvant à proximité de l'ennemi, il aura formé le carré et marché lentement : c'est tout au plus s'il aura fait 15 kilomètres le troisième jour, et 8 ou 10 le quatrième jour. On ne verra jamais une armée ancienne faire davantage à l'approche d'un combat.

On s'est fondé principalement, pour soutenir le point de Roquemaure, sur ce que Polybe place le passage à environ quatre jours de marche de la mer. Il est assez plaisant de voir les mêmes historiens qui ont traité si gaillardement les 1.600 stades de l'écrivain grec, se montrer intransigeants sur la valeur de ces quatre marches. Il importe peu, dirait-on, de prendre 2.000 stades au lieu de 1.600, mais on ne saurait admettre moins de 80 kilomètres pour faire à peu près 4 jours de marche. Il est vrai qu'on en compte volontiers 110 ou 120, ce qui revient à dire que les à peu près ne peuvent se prendre que par excès. Sans doute, 4 jours de marche peuvent faire environ 80 kilomètres, mais ce que nous ne pouvons accepter en aucune façon, c'est qu'on paisse compter 30 ou 40 kilomètres en plus, et non pas 15 ou 20 en moins doucette valeur moyenne.

D'ailleurs, la journée de marche n'est pas une unité susceptible d'une valeur bien définie, et quand un auteur évalue une distance en journées de marche, c'est forcément une mesure très vague qu'il nous donne. S'il ajoute, par surcroît de précaution, un à peu près, comme le fait Polybe, nous n'avons plus qu'une indication presque insignifiante. S'agit-il ici d'une journée de marche conventionnelle ? S'agit-il d'une journée moyenne de l'armée d'Annibal ? Il serait bien audacieux d'affirmer l'un ou l'autre. S'il s'agit d'une marche moyenne d'Annibal, nous savons qu'elle est d'environ 14 kilomètres, puisqu'il va faire 140 kilomètres en 10 jours le long du Rhône en plaine et en pays ami. Alors 4 marches donneraient 56 kilomètres.

Or, la voie romaine, qui ne fait pas volontiers de détours inutiles, mais qui est obligée de contourner les marais, a un développement de 50 kilomètres entre Arles et Fos. Il y en aura donc bien 56 depuis le point de passage que nous avons déterminé jusqu'à Fos. De l'autre côté du delta, le chemin qui va à la mer ne peut passer que par Saint-Gilles, et il compte encore de 50 à 60 kilomètres pour arriver au rivage près d'Aigues-Mortes.

Il n'est pas question, en tout cas, de distance à vol d'oiseau, car il serait par trop singulier de choisir alors la journée de marche comme unité de mesure. Polybe ne donne jamais que des distances itinéraires, et c'est une source de reproches incessants de la part de Strabon. Ce n'est pas dans un pays qui lui était complètement inconnu' comme le delta du Rhône, qu'il aurait pu estimer une distance à vol d'oiseau d'après les éléments qu'y possédait par ouï-dire. Selon nous, les 4 jours de marche qu'il indique ici ne lui ont même pas été indiqués par les habitants : ils ont été déduits du récit de Fabius, d'après lequel P. Cornélius Scipion est arrivé au point de passage trois jours après le départ d'Annibal, bien qu'il se fût mis en marche en même temps que lui. Polybe a fait le calcul inverse de celui que nous avons fait un peu plus haut.

Quoi qu'il en soit, nous ne croyons pas qu'on puisse attribuer une valeur bien précise aux quatre marches environ indiquées par Polybe, et surtout nous nous refusons à faire passer ce renseignement vague avant la donnée très rigoureuse du parcours effectué depuis Ampurias et malgré l'incompatibilité absolue de certains détails du passage avec le site de Roquemaure.

Ce qu'il faut se dire ici, c'est que s'il y avait contradiction entre cette seule donnée des 4 jours de marche et toutes les autres, il faudrait choisir : ou bien on prendra exactement les 1.600 stades de Polybe depuis Ampurias, en longeant la mer, en passant le Rhône aussitôt qu'on l'atteint, dans un endroit où il ne forme qu'un bras, assez large pour qu'on ne jette pas de pont, pour que les éléphants soient transportés à partir d'une estacade de 100 mètres ; assez lent pour que les soldats passent dans des pirogues creusées dans des troncs d'arbres ; assez près de la mer pour que Scipion y envoie 300 cavaliers en reconnaissance et reçoive leur rapport en 24 heures ; — ou bien on passera le Rhône étroit, rapide, après avoir tourné le dos à la mer pendant quatre jours, dans des conditions incompatibles avec les détails du récit, mais en croyant satisfaire (?) à une seule des indications de Polybe ; celle qui met 4 marches de la côte au point de passage.

On choisira. A notre avis, le doute n'est pas possible.

On nous excusera de tant insister sur la question du passage du Rhône : c'est que, pour nous, tout le problème est là. C'est sur ce point que les erreurs les plus graves ont été commises, et avec une unanimité presque complète ; et c'est de là que proviennent toutes celles qu'on a faites sur le reste du parcours. Il faut à toute force reconnaître ici la valeur et la concordance des renseignements fournis par Polybe.

Nous avons essayé de montrer comment l'adoption de Roquemaure pour le passage du Rhône ne répondait pas aux données de Polybe (et de Tite-Live) ; mais on est en droit d'exiger davantage : on nous demandera comment il se fait que tant d'historiens se soient trompés ; on voudra savoir s'il est bien vrai qu'ils n'avaient pas d'excellentes raisons pour choisir un point aussi différent de celui que nous proposons. Nous allons donc reprendre sommairement les calculs de nos prédécesseurs et montrer ce qui en fausse les conclusions.

On a fait passer le Rhône par Annibal :

1° Près d'Arles (Quiqueran de Beaujeu, Doujat, le P. Fabre) ;

2° Près de Tarascon (De Marca, Mandajors) ;

3° Près d'Avignon (H. Bouche, Cambis, Imbert Desgranges) ;

4° Près de Roquemaure et d'Orange (Martin de Bagnols, Rollin, Napoléon, Giraud, Du Puy, Fortia d'Urban, Deluc, Larauza, Letronne, A. Thierry, Lavalette, Hennebert, Azan, etc.) ;

5° Près de Pont-Saint-Esprit (Rogniat, Saint-Simon, de Vaissète, colonel Perrin, Osiander ;

6° A Loriol (Whitaker.)

La plupart des historiens que nous ne citons pas adoptent Roquemaure ou Pont-Saint-Esprit, de confiance.

Larauza fait suivre à l'armée carthaginoise la voie romaine de Figuières à Nîmes. Il commet sur la longueur du trajet quelques petites erreurs, comptant XIII milles au lieu de XIV entre Illiberris et Combusta, confondant Juncaria avec la Junquera, et trouvant 40 kilomètres d'Ampurias au Perthus par la Junquera, tandis qu'il y en a près de 44. Il prolonge la marche d'Annibal de Nîmes sur Roquemaure, et donne à ce dernier segment 41 kilomètres au lieu de 47 ou 48. Au total, entre Ampurias et Roquemaure, il trouve 13 kilomètres de moins qu'il n'y en a en réalité, même si l'on accepte les chiffres des itinéraires romains. Malgré cette première erreur, et bien qu'il évalue le stade à 1/8 de mille, ou 184 mètres, il trouve que le chiffre de Polybe ne le conduit qu'à Beaucaire ou Aramon. Il n'en revient pas moins à Roquemaure, où s'est fixée l'attention de ses prédécesseurs, moyennant une différence de 15 kilomètres, qu'il juge admissible avec raison. Mais que l'on fasse disparaître de son travail les erreurs d'évaluation, et l'écart deviendra tel qu'il faudra renoncer à Roquemaure.

Deluc a trouvé des chiffres inférieurs encore à ceux de Larauza, en suivant le même tracé : il a pris Castellon-de-Ampurias pour point de départ, au lieu d'Ampurias, et il compte seulement 31km,600 d'Emporion au col au lieu de 43km,700. Il prend des chiffres assez exacts depuis le col jusqu'à Nîmes, mais la longueur qu'il attribue au trajet de Nîmes à Roquemaure est trop faible de quelques kilomètres ; au total, il trouve un chiffre trop faible de 15 kilomètres, et fait les mêmes réflexions que Larauza.

Tous deux ont été (inconsciemment ou non) attirés vers Roquemaure et Pont-Saint-Esprit par l'influence de Rollin[5], de d'Anville, de Saint-Simon, de Folard[6], etc., et pourtant, sans les erreurs qu'ils ont commises, ils n'auraient jamais trouvé an écart admissible entre leur mesure et celle de Polybe.

Larauza nous révèle très naïvement le préjugé qui le guidait lorsqu'il écrit (p. 16) :

De Nîmes, la voie romaine allait passer le Rhône devant Arles, d'où elle remontait par Cavaillon vers Gap, Embrun et le mont Genèvre ; mais on doit nécessairement supposer qu'ici Annibal la quitta et alla traverser ce fleuve sur un point plus éloigné de la mer.

Ainsi, le consciencieux écrivain nous avoue que tout semblait lui conseiller de prendre un point plus bas sur le Rhône, mais qu'il a volontairement cherché un passage plus au Nord. Il invoque à l'appui de ce raisonnement la nécessité impérieuse où se trouvait Annibal d'éviter les Romains. Nous avons expliqué pourquoi l'approche des Romains l'obligeait, au contraire, à presser son passage. Tite-Live nous a rapporté, en outre, qu'Annibal a pris la résolution d'éviter les Romains deux jours après le passage du Rhône, et que jusque-là il était dans l'hésitation.

Larauza insiste enfin sur l'obligation de placer le point de passage à mi-chemin entre la mer et l’Île, et il nous prévient que celle-ci se trouvera au confluent de l’Isère. C'est un procédé bien vicieux que d'asseoir une hypothèse sur une autre, et cela quand tout jusque-là semblait devoir l'écarter[7]. Nous nous contenterons donc d'avoir déterminé provisoirement le point de passage en partant de données certaines, et nous verrons plus tard si le point que nous avons fixé s'accorde mal avec ce qui suit. Nous avertissons dès maintenant le lecteur que c'est le contraire qui aura lieu, le récit et les chiffres suivants de Polybe ne pouvant pas plus que les précédents se concilier avec le passage à Roquemaure,

Le colonel Perrin, pour le trajet de Carthagène au Rhône, a presque entièrement abandonné les textes. Il emploie pour l'Espagne une carte dressée en 1823-1824 par Damas, et grossièrement inexacte, qui lui donne :

Des Colonnes à Carthagène, 3.776 stades au lieu de 3.000 ;

De Carthagène à l’Èbre, 2.464 stades au lieu de 2.200 ;

De l’Èbre à Perelada, 1.752 stades au lieu de 1.600.

Ces chiffres sont très éloignés de ceux de Polybe ; le colonel Perrin s'en contente néanmoins. Il ne veut pas que l’historien grec ait pris un point de repère à Emporion, et il marque un arrêt à Perelada, de sorte que la distance comptée par Polybe d'Ampurias au Rhône sera comptée par le colonel Perrin de Perelada au Rhône. On conçoit qu'il remonte ainsi plus haut que nous.

M. de Bagnols a écrit dans la Notice des travaux de l’Académie du Gard que Pont-Saint-Esprit fut, dans les temps les plus reculés, un centre de communications entre les Allobroges, les Volques, les Helviens, et plusieurs autres peuples ; que ces mouvements commerciaux avaient donné naissance, bien avant le passage d'Annibal, à une route partant de Pont-Saint-Esprit pour gagner Nîmes par Cassau et Uzès. Comme il n'est rien resté des chemins gaulois et que les textes n'en font pas mention, nous avons affaire ici à une simple hypothèse. Ajoutons, du reste, que l'existence d'un chemin entre Nîmes et Pont-Saint-Esprit est à peu près certaine, car il y avait presque autant de chemins dans la Narbonnaise il y a vingt siècles qu'aujourd'hui ; mais cela ne prouve absolument rien pour le passage d'Annibal.

M. Osiander, le plus savant des historiens d'Annibal, commence par déclarer que les chiffres de Polybe sont la base de toute étude sur ce sujet, le fil d'Ariane qui doit nous guider à travers toutes les difficultés ; il ne cessera pas, dans la suite, de les traiter de Turc à More. Ici, il juge que la distance de 1600 stades entre Ampurias et Je Rhône n'est pas suffisante, et il veut en ajouter 800. Il s'appuie sur ce que Polybe compte à peu près (σχεδόν) 8.000 stades des Colonnes d'Hercule aux Pyrénées, tandis qu'il y en a seulement 7.200 (3.000 + 2.600 + 1.600) des Colonnes à Ampurias, et qu'Ampurias ne s'écarte pas sensiblement des Pyrénées.

Ce raisonnement ne nous paraît pas irrésistible. Nous trouvons, en effet, dans Polybe, les chiffres suivants :

Des Colonnes à Emporion[8], 3.000 + 2.600 + 1.600 = 7.200 stades ;

Des Colonnes à la pointe des Pyrénées[9] dans la Méditerranée, près de 8.000 stades ;

Des Colonnes à Narbonne[10], un peu moins de 8.000 stades ;

Des Colonnes à Marseille[11], un peu plus de 9.000 stades.

Tous ces chiffres nous semblent parfaitement d'accord si nous appelons chaque chose par son nom, et si nous ne remplaçons pas les Pyrénées par Emporion. Il y a, en effet, de cette ville à la pointe des Pyrénées, près du cap Cerbère, par le chemin, 300 stades environ.

Il y a d'Emporion à Narbonne, par la route, 540 stades.

De Narbonne à Marseille, 1.660 stades.

Les égalités précédentes deviennent donc :

Des Colonnes à Emporion, 7.200 stades ;

Des Colonnes à la pointe des Pyrénées, 7.200 + 300 = 7.500, un peu moins de 8.000 stades ;

Des Colonnes à Narbonne, 7.200 + 540 = 7.740, un peu moins de 8.000 stades ;

Des Colonnes à Marseille, 7.740 + 1.660 = 9.400, un peu plus de 9.000 stades.

Il n'y a rien là qui ne paraisse très normal, et l'on ne voit guère le moyen de modifier l'un des chiffres sans fausser l’une ou l’autre des égalités.

Il est vrai que Strabon met Ampurias à 40 stades des Pyrénées, mais ceci est une erreur qui lui appartient en propre, et qu'il ne faut pas mêler aux chiffres de Polybe.

M. Osiander remarque encore qu'Annibal, arrivé dans les Pyrénées, n'aurait pas fait, au dire de Polybe, la moitié du trajet de Carthagène à la sortie des Alpes, Nous nous permettrons de renvoyer au texte, où l’on verra qu'au moment où Polybe dit qu'Annibal n'a pas fait la moitié du parcours, celui-ci n'est pas encore parvenu aux Pyrénées. Il est près d'y arriver ; mais n'est-ce pas M. Osiander lui-même qui plaçait naguère Emporion au pied des Pyrénées ? Pour peu que Polybe suppose Annibal à 400 stades des montagnes, il n'a pas fait la moitié du trajet.

Il y a d'ailleurs, dans la remarque du savant allemand, une interprétation que nous ne saurions accepter : de ce que Strabon traduit, une fois par hasard, le σχεδόν de Polybe par un peu moins de, M. Osiander veut que les deux expressions soient équivalentes. C'est une conclusion un peu légère. On sait que la racine σχεδ exprime une idée de course, de rapidité ; σχεδόν signifie en courant, à vue de pays, et non pas presque, un peu moins de. Aussi, au lieu de lire, comme M. Osiander, qu'Annibal, arrivé dans les Pyrénées, avait fait un peu moins de la moitié du trajet, nous lisons qu'arrivé près des Pyrénées, il avait fait environ la moitié du trajet. La différence, on le voit, est sensible.

M. Osiander trouve aussi περί (XXXIV, 7) remplacé dans Strabon (II, 106) par un peu moins de. Alors que nous restera-t-il pour signifier simplement à peu près, puisque σχεδόν et περί voient leur sens restreint de la même façon ? Ne donnera-t-on jamais de chiffre approché par excès ?

Nous l’avons dit dans un précédent chapitre : il ne faut pas demander à Polybe une extrême précision au cours de son récit ; il sacrifie tout à la clarté. Il aime mieux laisser dans l'esprit du lecteur un chiffre facile à retenir, tel que 8.000, 9.000 stades, que de se montrer inutilement exact. Il y en a un exemple bien frappant dans le Xe livre, où il place Carthagène à moitié chemin entre les Colonnes et Emporion, ce qui donnerait 3.000 = 7.200 / 2. Et c'est après un exemple pareil qu'on voudrait changer un chiffre parce que 7.500 stades sont donnés pour un peu moins de 8.000 !

Nous n'admettons donc pas les deux raisons pour lesquelles M. Osiander croit devoir ajouter un sixième nombre à la série donnée par Polybe. M. Schmidt, dans sa Dissertatio inauguralis philologica de Polybii geographia (Berlin, 1873) voulait ajouter 600 stades d'Emporion à Narbonne, et en laisser 1600 de Narbonne au Rhône. M. Osiander lui oppose les raisons suivantes :

1° On ne trouvera jamais 1.600 stades de Narbonne au Rhône ; 2° Narbonne n'est pas une limite naturelle comme Emporion (!). Il propose donc d'ajouter simplement : De la ville d'Emporion jusqu'au cap précité, par le rivage, environ 800 stades, mais en franchissant les Pyrénées 600.

Comment expliquer que ce membre de phrase manque dans tous les manuscrits de Polybe qui nous restent ? Ces manuscrits ne sont pas de la même famille ; M. Hultsch les a divisés en quatre ou cinq groupes d'après certaines variantes, mais ici, tous sont d'accord ; quelques-uns, il est vrai, sont un peu abîmés à l'endroit même qui nous intéresse, mais pas de manière à laisser supposer la disparition de toute une phrase. On ne met pas en doute leur parfaite concordance pour le paragraphe III, 39.

Voudra-t-on supposer que tous les copistes se sont entendus pour supprimer le membre de phrase que M. Osiander vient rétablir ?

Cette addition ne nous paraît ni simple, ni utile ; et un chiffre de 600 ou 800 stades est bien petit pour prendre place dans la série de Polybe ; on sent qu'il s'agit surtout de fournir un appoint. M. Osiander est trop habile homme pour se permettre des erreurs grossières comme celles de Larauza ou Deluc, et pourtant il faut bien qu’il aille à Roquemaure comme les autres. Il fait donc des mesures exactes, et il y ajoute un nombre arbitraire.

Nous avons analysé les quatre auteurs qui ont procédé à la détermination la plus sérieuse du point de passage d'Annibal sur le Rhône, en se servant de à distance d'Emporion au Rhône, et nous avons vu comment ils arrivaient à Roquemaure : l’un commet une erreur de mesure ; le second y joint une erreur d'identification pour Ampurias ; le troisième refuse de prendre le point de départ indiqué par Polybe ; le quatrième ajoute une quantité arbitraire au chiffre de l’historien grec. Le lecteur sera désormais édifié, nous l'espérons, sur les motifs qui ont fait adopter le point de passage de Roquemaure ou de Pont-Saint-Esprit, et il n'aura sans doute plus de scrupule à redescendre jusqu'en aval de Beaucaire.

 

 

 



[1] On doit remarquer, à ce propos, que la carte donnée par E. Desjardins (chap. IV, p. 38) pour l'itinéraire d'Antonin, est inexacte sur ce point.

[2] OSIANDER, 92.

[3] Il existait au confluent de l’Isère et du Rhône un pont de bateaux, qui permettait le passage de l’une à l'autre rive du Rhône. Bituit en fit construire un second.

[4] Ch. LENTHÉRIC, Le Rhône, II, p. 417.

[5] ROLLIN, IV, p. 418, note.

On croit que ce fut entre Roquemaure et Pont Saint-Esprit. Rollin (page 427, note) nous indique la valeur de ses sources : Le texte de Polybe, tel que nous l’avons, et celui de Tite-Live, mettent cette île entre la Saône et le Rhône, c'est-à-dire à l’endroit où Lyon a été bâti. On prétend que c'est une faute, il y avait dans le grec Σκώρας, et l'on a substitué à ce mot ό Άράρος. J. Gronove dit avoir vu dans un manuscrit de Tite-Live Bisarar, ce qui montre qu'il faut lire Isara Rhodanusque amnes, au lieu de Arar Rhodanusque, et que l'ile en question est formée par le confluent de l'Isère et du Rhône. La situation des Allobroges, dont il est parlé ici, en parait une preuve évidente. Je n'entre point dans ces sortes de disputes. J’ai cru devoir suivre la correction.

[6] M. de Mandajors publia, dans les Mémoires de l'Académie, deux dissertations sur ce point de critique... Son opinion ayant été adoptée par Rollin dans son Histoire romaine, IV, 305, et par le célèbre géographe d'Anville, qui a dressé les cartes de cet estimable ouvrage, est devenue en quelque sorte classique. Ils placent le passage du Rhône entre Roquemaure et Pont-Saint-Esprit. J'ai cru devoir adopter cette opinion dans un ouvrage publié il y a quelques années. Je l'ai fortifiée de nouvelles preuves.

Les disputes occasionnées par la recherche de l'endroit où Annibal a passé le Rhône, paraissent donc à présent terminées. On convient assez généralement que ce fut à Roquemaure, en face d'une petite ville appelée dans ce temps-là Aeria, devenue depuis le château de Lers. (Deluc, p. 9.)

[7] M. Osiander (p. 93) procède de même lorsqu'il écrit :

L'endroit était à environ quatre jours de marche de la mer, à 600 stades de l'embouchure de l'Isère ; si nous avons le droit d'admettre qu'il faut compter les 1.600 stades depuis le versant nord des Pyrénées jusqu'au passage du Rhône, l'emplacement est à environ 5i milles au nord de Nîmes, etc. Toutes ces données concordent pour placer le point de passage à Pont-Saint-Esprit, comme l'ont déjà fait Niebuhr, Peter et bien d'autres.

On remarquera que de toutes ces données, il n'y en a qu'une seule qu'on retrouve dans Polybe, c'est celle des quatre jours de marche. Il n'y est pas question un instant de 600 stades entre le point de passage et l'Isère, non plus que de 1.600 stades entre les Pyrénées et le Rhône. Ces trois hypothèses qui se prêtent un mutuel appui forment le faisceau le plus fragile, et nous ne connaissons pas de science où une pareille méthode conduise à autre chose qu'à des erreurs. Il n'y a pas deux logiques.

[8] Polybe, III, 39.

[9] Polybe, III, 39, et Strabon, II, 105-106.

[10] Strabon, II, 105-106.

[11] Strabon, II, 105-106.